au trésor des souffles
Textes bien-aimés
révoltes, résistances, solidarités, responsabilités
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I-Révoltes
Il n’y a d’humanisme que celui des hommes révoltés.
Albert Camus
( Cette citation est, à ce jour, la préférée de l’auteur de ce blog
avec celle de Gandhi « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence »
et avec celle du poète Hafiz « A l’heure de l’adieu, en partant loin de toi, mes yeux se sont vidés tout d’un coup de lumière, et je suis resté aveugle à force de pleurer. » )
L’homme n’est pas entièrement coupable, il n’a pas commencé l’histoire, ni tout à fait innocent puisqu’il la continue. Ceux qui passent cette limite et affirment son innocence totale finissent dans la rage de la culpabilité définitive. La révolte nous met au contraire sur le chemin d’une culpabilité calmée (…).
Jean-Paul Sartre
Il faut scandaliser et trahir ce monde! Autrement il s’éteint en se répétant dans son éternité!
Pier Paolo Pasolini
Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement.
Albert Camus
Il faut veiller. Autour de nous c’est la nuit. Le monde peut s’endormir, lassé par le malheur. Le veilleur est debout : il fait confiance à l’aurore. Il faut veiller : le veilleur a confiance au nom des autres.
Jacques Leclercq
Le monde ne sera sauvé , s’il peut l’être, que par des insoumis. Sans eux çà en est fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimions et qui donnait à notre présence sur terre une justification secrète.
André Gide
Inventer le monde c’est ne jamais se reposer devant le scandale.
Roberto Matta
Il faut valoriser la colère inextinguible contre tout ce qui menace la vie, qui l’attaque et qui la tue. L’amour de la vie et de tout ce qui est vivant fait naître une colère énorme, qui est, dans son cœur même, la haine de la mort.
Georges Casalis
La crise est le moyen habituel par lequel, dans l’ordre de la matière, de la biologie ou de l’histoire, s’opèrent les grands changements et les naissances.
Max Gallo
Transformer le monde.
Marx
Changer la vie.
Rimbaud
C’est nous les Canuts/ Nous sommes tous nus (…)/ Mais notre règne arrivera /Quand votre règne finira/ Nous tisserons le linceul du vieux monde/ Car on entend déjà la révolte qui gronde
Aristide Bruant
Je vais avoir un fils, et ce fils ne sera pas à moi, Mais il sera le fils de l’humanité tout entière. Et il n’écoutera pas les slogans des grands potentats. Et au moment du choix, Quand il sera appelé par les puissants, Il se retournera vers son peuple et prendra place à sa table, Il mangera de son pain et boira de son vin.(…) Mon fils, à côté des autres fils, fauchera les campagnes En séparant les épis des broussailles épineuses. Mon fils, à côté d’autres fils, fera la récolte Et ils sèmeront à nouveau dans la terre blanche et féconde.
Poème anonyme écrit dans une prison chilienne
Il n’y a plus beaucoup de chances de salut pour l’humanité sinon par la multiplication de mon indignation et de ma révolte.
Pierre Bonjut
Ce n’est pas que je ne sois jamais en colère mais je ne donne pas libre cours à ma colère. En la contrôlant on peut obtenir une grande force.
Gandhi
La conscience n’est pas une donnée mais une tâche.
Jean Lacroix
La conscience morale ne peut naître qu’avec l’émergence du sentiment de culpabilité.
Vladimir Jankélévitch
Soyez révolté, criez , pleurez, mais ne vous cachez pas au fond de votre détresse comme les fous se cachent dans leur folie.
Marie-Claire Blais
On ne sait pas toujours donner une forme à la révolte. La révolte , elle , s’autorise parfois toute seule à prendre forme.
Suzanne Jacob
Ou tu rampes pour amasser, stocker, profiter,
ou tu te mets debout, tu marches, tu t’insurges pour faire naître et incarner une vision d’humanité cordiale.
Ou tu es visionnaire, poète,
ou tu es calculateur.
Jean Cardonnel
Il faut recoller l’espace, remodeler la terre, pour taire ces Somalies du monde, pour le rire des enfants de la terre. Mon âme se voile devant tant de haine distillée, tant d’amour perdu et je cherche comme un berger les lueurs d’une espérance que l’aube ne trahira pas. Ici et maintenant, la main tendue vers l’autre monde, j’attends la renaissance sous les toits de la terre mère. Chaque jour, mon cœur brûle devant tant de spectacles et mes yeux s’éteignent de leurs larmes innocentes. Et ma révolte contenue explose pour des horizons meilleurs.
Ben Kamara
Vous qui sur terre vivez dans la douleur, Il faut réveiller toutes les forces de votre être. L’obéissance pour l’homme est le fléau majeur. Qui n’aimerait une bonne fois devenir son propre maître ?
Bertolt Brecht
C’est la révolte même, la révolte seule qui est créatrice de lumière.
André Gide
Quand on ne bouge pas on ne sent pas ses chaînes.
Rosa Luxembourg
Ce n’est pas la révolte en elle-même qui est noble mais ce qu’elle exige.
Albert Camus
Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous les fouets du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas. Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur.
Albert Camus
Je me révolte donc nous sommes.
Albert Camus
II-Résistances
1-Citations fortes sur les résistances 2- Quatre définitions des résistances correspondant à quatre séries de situations.
1-Citations fortes sur les résistances
Je suis tombé par terre
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau
C’est la faute à…
Victor Hugo (Les Misérables, Gavroche)
Résister c’est aussi, c’est d’abord peut-être un état d’esprit. Une certaine manière de ne pas se soumettre : de ne pas entrer dans le jeu de l’ennemi. Oui, refuser d’être assujetti à un ordre dont on ne veut à aucun prix, voilà la pierre de touche de la résistance, celle dont sortiront un jour révolte, insurrection, émeute.
A la vérité l’esprit qui dit non est comme ces diables à ressort qu’on enfonce au fond des boites : à un moment donné toujours ils ressortent, ils reviennent vous tirer la langue. Parce qu’on ne met pas un feu follet en prison.
Gérald Cahen
Très tôt la société nous apprend à ne pas résister, à nous soumettre aux normes qu’elle nous impose. Ainsi Durkheim, pour qui la contrainte est le fait social par excellence, voit dans la discipline et dans l’éducation morale la meilleure manière d’assurer l’harmonie collective. Certes. Mais c’est faire bon marché des conflits de pouvoir. Et c’est considérer surtout que les finalités d’une société sont celles de chacune des parties qui la composent. Rien de moins sûr…
Sophie Jankélévitch
Le silence des pantoufles est plus dangereux que le bruit des bottes.
Martin Niemoller
Il est des mots dont la graphie semble incarner mystérieusement le sens. Ainsi du beau verbe résister avec ses deux r, ses deux e, ses deux s qui entourent symétriquement son i, comme s’il s’agissait de le préserver, de le garder précieusement en vie. Car résister, c’est d’abord cela : c’est maintenir intacte la flamme fragile, éphémère de l’existence : tenir, survivre.
Gérald Cahen
Est-ce à dire qu’on résisterait comme on respire : spontanément, par pur réflexe, et parce que la vie, selon le mot de Bichat, « est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » ? Il est vrai que l’on a parfois pas le choix, qu’en certains cas on se bat, en effet, le dos au mur. Mais même si l’instinct de conservation nous y pousse, il y a plus ici qu’une simple parade vitale. D’abord parce qu’on peut se tromper, on peut se croire, à tort, menacé. Après tout les imbéciles aussi résistent. Ensuite la variété des manières de résister est telle qu’elle relève, à l’évidence, d’un libre choix. Enfin et surtout, vient un moment où il ne s’agit plus seulement de défendre sa vie, mais aussi les valeurs sans lesquelles celle-ci n’a plus de sens. Au prix d’un paradoxe alors, puisque cela peut nous conduire à réviser l’ordre des priorités, à remettre en jeu, s’il le faut, notre propre existence. Pour mieux résister à la mort, on est prêt à la rencontrer, à l’épouser.
Gérard Cahen
Dans la vie de chaque homme vient un moment où pour dire simplement : ceci est noir et ceci est blanc il faut payer très cher. Ce peut être le prix de la vie. A ce moment le problème principal n’est pas de connaître le prix à payer mais de savoir si le blanc est blanc et si le noir est noir. Pour cela il faut garder une conscience.
Adam Michnik
Un homme lors de la Seconde guerre mondiale, en Italie, un jour s’est plié en deux. Impossible de le remettre droit, de jour comme de nuit, aucune force n’en est venue à bout. Impossible de le faire incorporer à la guerre ou maintenir en détention. Il est resté plié en deux pendant plusieurs années. Devenu symbole de la résistance il a été fusillé .
Il avait inventé cette attitude corporelle silencieuse qui était sa façon de parler juste. Plié par refus de plier et pour montrer que l’homme était déjà plié sous le joug du fascisme. Aujourd’hui on parle encore de la façon singulière d’avoir dit non à la guerre.
Marie-Magdeleine Lessana,
Devant la conquête et la colonisation de nombreux Mayas se suicidèrent prenant ainsi « le maquis de l’âme » dans une manifestation ultime de refus qui en laissait entrevoir bien d’autres. Les chefs mayas laissaient à leurs descendants ce message : « nous reviendrons ».
Michel Boccara
Tu te plains / D’une forte houle ?/ Voilà pourquoi nous voulons/ Le courage /De ceux qui n’acceptent pas /Seulement/ Ce qui se voit / Les rebelles eux/ Sont les seules vigies /Du changement /Que la condition Humaine Exige
Federico Mayor Zaragoza
Un appel au sursaut afin de trouer l’épais brouillard qui, aujourd’hui, voile l’espérance.
Dire non pour inventer tous ensemble notre oui.
Edwy Plenel
Ce ne sont pas tant les fusils britanniques qui sont responsables de notre sujétion que notre coopération volontaire.
Gandhi
Je désirerais seulement qu’on me fît comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’on lui donne.
Etienne de la Boétie
La désobéissance civile est le droit imprescriptible de tout citoyen. Il ne saurait y renoncer sans cesser d’être un homme.
Gandhi
Il n’y a pas de tyrans, il n’y a que des esclaves.
Etienne de la Boétie
Heureusement il y a ces résistants, cette poignée de veilleurs qui en éveillent d’autres. Le grain semé s’est multiplié
Théodore Monod
2- Quatre définitions des résistances correspondant à quatre séries de situations.
Le texte qui suit est l’un des sept articles de l’auteur de ce site sur « Les résistances ».Arriver à cerner les définitions des résistances ne permet-il pas de mieux se situer par rapport à telle ou telle résistance ?
Nous proposons de les déterminer à partir de deux critères qui devraient éclairer chaque définition.
Quelles parts ont les volontés dans ces résistances ?
Comment ces résistances s’inscrivent-elles dans le temps ?
Les volontés et le temps permettent, semble-t-il, de dégager quatre définitions correspondant à quatre séries de situations.
Des résistances proches et déjà au-delà de mécanismes naturels de défense.(A)
Des résistances quotidiennes par rapport à soi-même et à d’autres.(B)
Des résistances, témoignages d’actes culturels.(C)
Des résistances de veilleurs, un état d’esprit face à tout ce qui détruit le vivant.(D)
A- Beaucoup de résistances proches et déjà au-delà de mécanismes naturels de défense.
Dans ces résistances les volontés ont malgré tout une certaine présence mais très variable et le déroulement du phénomène est souvent rapide. Quels sont les éléments qui constituent ces résistances ? Nous en proposerons deux.
-En premier lieu certaines résistances correspondent à des mécanismes naturels de défense. Il s’agit de réactions immédiates, rapides, elles sont involontaires face à ce que l’on pourrait appeler un stimulus. Ce mécanisme va se déclencher avant toute réflexion donc, a priori, indépendamment de la volonté .C’est un réflexe inné, défensif que l’on trouve chez les êtres humains, les animaux, les végétaux. On parle de réflexe vital, d’instinct de conservation, par exemple face au froid, au réchauffement, à une douleur…
-En second lieu ces résistances ne sont-elles pas, pourtant, ici et là, déjà plus qu’une défense naturelle ? Trois raisons au moins vont dans ce sens et font dire à certains qu’il y a « une impossibilité de donner une définition purement naturaliste de la résistance de l’organisme. » (« Une devise pour l’organisme » par Anne-Marie Moulin, dans l’ouvrage « Résister » déjà cité). D’abord même quand on résiste ainsi on peut avoir des marges de manœuvres, certains choix possibles. Par exemple on peut apprivoiser certaines peurs, il y a donc de l’inné mais aussi de l’acquis c’est-à-dire de l’idéologique, de l’éducatif, du social, de l’économique, par exemple face à ce que l’on appelle des « maladies de l’hiver » certes les stratégies de défense de notre corps sont là mais existent également des façons d’aider notre organisme à se défendre, on peut stimuler des défenses immunitaires par des plantes médicinales, par des vitamines. Ensuite les mécanismes de défense sont inégaux selon les personnes, certaines sont par exemple plus frileuses que d’autres, et des inégalités existent également selon les groupes, par exemple les maladies cardiaques chez les femmes sont, dit-on, sous-diagnostiquées parce qu’elles peuvent former des caillots sanguins plus silencieux .Enfin il peut arriver que des mécanismes de défense soient synonymes d’erreurs, par exemple face à des menaces que l’on croyait exister mais qui étaient des peurs sans objet.
B- Les innombrables résistances quotidiennes par rapport à soi-même et à d’autres.
Dans ces résistances les volontés sont présentes, elles sont très variables dans leur durée.
-Des résistances à soi-même varient selon ses choix de vie, son tempérament, sa santé, son entourage et selon les circonstances. Ainsi face au sommeil, à des fatigues, des efforts, des maladies, face à des situations et des décisions qui nous contrarient…On le sait aussi des résistances, des forces peuvent « nous manquer, nous abandonner. ».
-Et puis dans nos rapports avec les autres, on peut vivre des résistances dans des lieux quotidiens, autrement dit dans la famille, l’éducation de ses enfants et petits enfants, dans ses amitiés, sa profession, dans l’administration, les moyens financiers, le commerce, les transports, les voyages, les spectacles…Dans l’administration on ne résiste pas toujours au rire quand elle vous écrit « Votre dossier est vide de toutes pièces manquantes » ou bien « Vous pouvez payer en plusieurs fois à condition de tout régler d’un coup » ou bien « Comme chaque année nous avons égaré votre dossier. »
-Il arrive aussi que l’on abandonne des résistances par lassitude, par peurs de complications ou de conflits qui s’enveniment, par lâcheté dans la fuite, ou par volonté de ne plus recevoir de coups et de trouver un peu de calme voire une certaine sérénité.
C- De nombreuses résistances, témoignages d’actes culturels.
Elles représentent un ensemble de volontés et se construisent dans le temps. Quels sont les éléments qui constituent ces résistances ? On peut en recenser au moins cinq.
-En premier lieu l’acte culturel repose sur un socle, celui de valeurs, c’est-à-dire ce à quoi l’on croit. Ces valeurs les plus connues, qui ont vu le jour grâce à de nombreuses résistances à travers le temps, sont celles de la culture humaniste, elles correspondent également à la devise de la République française : liberté, égalité, fraternité .Ces valeurs se sont traduites peu à peu par les droits de quatre générations, les deux premières sont reconnues au niveau international par les deux Pactes internationaux des droits de l’homme, les droits-libertés c’est-à-dire les droits civils et politiques (qui sont les droits de), les droits-égalités c’est-à-dire les droits économiques sociaux et culturels (qui sont les droits à).La troisième, celle des droits-solidarités, qui sont les droits au développement, à l’environnement et à la paix, voit le jour, on va, trop lentement, vers la consécration d’un Pacte international du droit à l’environnement, la paix attend toujours son Pacte, des textes existent sur le droit au développement durable. Une quatrième génération de droits est en gestation, celle des droits des êtres humains par rapport à la techno science, par exemple relatifs à la bioéthique et au clonage, ou bien ,mais on en est encore très très loin,un droit à l’interdiction des recherches sur les armes de destruction massive.
Ajoutons que des personnes, des communautés, des organisations, des mouvements, de façon modérée ou radicale, ne veulent pas adhérer à ces valeurs et, par exemple, se prononcent pour un repli sur soi, une fermeture voire une haine de l’étranger et sont porteurs d’injustices, d’atteintes aux libertés.
Camus écrivait « Le révolté oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas. Toute valeur n’entraine pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. »
-En second lieu ce sont donc les atteintes à une ou plusieurs de ces valeurs qui donnent le jour à des résistances. « Indignez-vous ! » proclamait Stéphane Hessel .En effet l’indignation est le terreau de la résistance. Elle apparait dans les domaines qui correspondent à l’ensemble des activités humaines. Il s’agit des atteintes à la démocratie (liberté), à la justice (égalité), à la paix et à l’environnement (fraternité). En témoignant de son engagement dans la résistance Edgar Morin affirmait : « Je faisais quelque chose qui me semblait juste et bien. » Adam Michnik, ancien militant de l’opposition polonaise, écrivait : « Dans la vie de chaque homme vient un moment où pour dire simplement ceci est noir ceci est blanc il faut payer très cher. Ce peut être le prix de la vie. A ce moment le problème n’est pas de connaitre le prix à payer mais de savoir si le blanc est blanc et si le noir est noir. Pour cela il faut garder une conscience. » Donc l’indignation est synonyme du « trop c’est trop », de l’écœurement, de l’inacceptable. Cette révolte et cette colère apparaissent le plus souvent face aux injustices. Jean Carbonnier, auteur d’un ouvrage juridique célèbre (Flexible droit, LGDJ, 1969), constatait que « La découverte de la justice est tantôt illumination à l’horizon lointain, tantôt éclair qui déchire la conscience. » Ainsi, de façon lente ou brutale, on entre en résistance.
– En troisième lieu cette indignation se traduit concrètement par un refus, un non.
Plutarque, philosophe et biographe de la Rome antique, cité par Montaigne puis de nos jours par exemple par Edwy Plenel (« Dire non », éditions Don Quichotte, 2014) affirmait : « Les habitants d’un pays étaient tombés en esclavage pour ne pas savoir prononcer une seule syllabe : non. »Voilà qui peut rappeler cette pensée du philosophe Alain : « Penser c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non(…) » (Alain, Propos sur les pouvoirs, « L’homme devant l’apparence »,19 janvier 1924, n° 139). On refuse de « s’adapter» au scandaleux, à l’intolérable, à l’inhumain. Ce refus peut se manifester en paroles et il peut prendre corps en actes. N’écoutez pas seulement ce qu’ils disent, regardez surtout ce qu’ils font.
-En quatrième lieu cette indignation peut aussi prendre souvent la dimension du « nous » qui devient essentielle. Le fondateur de Mediapart lançait un « appel au sursaut » : « Dire non pour inventer tous ensemble notre oui. » ( Edwy Plenel « Dire nous », éditions Don Quichotte) 2016).On s’indigne au nom du bien commun, au nom de l’intérêt collectif, au nom de l’idée d’humanité.
-Enfin en cinquième lieu cette indignation peut aussi s’accompagner d’une capacité de proposition, d’une utopie créatrice c’est-à-dire prenant les moyens de se réaliser à travers des alternatives. René Jean Dupuy, juriste internationaliste, écrivait : « La dimension utopique et prophétique demeure indispensable dans toute prospective réelle qui implique non pas la simple extrapolation du passé et du présent mais le moment de la rupture, le moment de la conscience, le moment de la transcendance de l’homme par rapport à sa propre histoire. » (René Jean Dupuy, La clôture du système international. La cité terrestre », puf, 1989).
D- Des résistances de veilleurs, un état d’esprit face à tout ce qui détruit le vivant.
La distinction entre l’acte culturel et l’état d’esprit n’est pas toujours tranchée. On peut passer de l’un à l’autre dans sa vie ou dans une collectivité, selon le souffle que l’on a et selon les circonstances.
Dans l’état d’esprit de la résistance les volontés sont omni présentes et le temps est plus ou moins habité par des refus. Deux éléments constituent probablement cet esprit de résistance.
-En premier lieu : les résistant(e)s deviennent peu à peu des veilleur(e)s. Pour elles, pour eux « résister c’est exister, exister c’est résister.». L’esprit de résistance se traduit par des critiques et des insoumissions dans un ou plusieurs domaines. Le veilleur veille au nom des autres et avec les autres, mais aussi quelquefois contre eux ou sans eux. Il a une volonté particulière, celle de détecter le plus tôt possible des atteintes à des valeurs. Le veilleur sait que nos chemins de bonnes intentions peuvent être pavés de nos renoncements successifs. Il sait que plus on attend pour résister, plus il va être difficile de le faire parce que les atteintes aux valeurs deviennent plus nombreuses et plus dures à combattre et parce que les volontés d’entrer en résistance peuvent se perdent dans le sable.
-En deuxième lieu cet état d’esprit est d’autant plus porteur qu’il embrasse un ensemble d’indignations face aux atteintes qui détruisent les êtres humains et l’ensemble du vivant. L’amour de la vie et de tout ce qui est vivant fait naitre une colère qui devient inextinguible, c’est-à-dire qu’on ne peut plus l’arrêter face à ce qui menace, attaque ou tue la vie. Dans son cœur, son esprit et sa vie on crie du fond de son être « Liberté ! Justice ! Paix ! Vive le vivant ! ».
Indignation, révolte, rupture, résistance ne se dévorent pas mais ont faim ensemble, elles se complètent, elles s’inclinent les unes vers les autres.
Ainsi, vous l’avez compris, il n’y a pas de cloisons étanches entre ces quatre séries de situations de résistances. Par exemple les deux premières, celles des réflexes et celles quotidiennes envers soi et d’autres, peuvent être présentes dans l’engagement d’un acte culturel. Et par exemple on peut dans un acte culturel être habité peu à peu par un esprit de résistance plus général.
L’auteur de ce blog
III-Solidarités
1-Citations très fortes sur les solidarités 2- Solidarités et « gouttes d’eau ».
1-Citations très fortes sur les solidarités
Etre une conscience c’est s’éclater vers le monde.
Jean-Paul Sartre
Passer de la question du souci de soi à celle du destin de tous.
Jean Cardonnel
Agis donc de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.
Emmanuel Kant
Nous savons désormais que dans la recherche éperdue et démente du salut il n’y a point de salut. Mais enfants perdus de la Terre que nous sommes nous pouvons sauver la solidarité terrestre.
Edgar Morin
Il faut qu’une conscience écologique de la solidarité se substitue à la culture de la compétition et de l’agression qui régit actuellement les rapports mondiaux.
Edgar Morin
Je suis tombé par terre/ C’est la faute à Voltaire /Le nez dans le ruisseau /C’est la faute à…
Victor Hugo (Gavroche)
J’ai frappé / A la porte/ J’ai frappé /A ton cœur/ Pour avoir un bon lit/ Pour avoir un bon feu/ Pourquoi me repousser ?/ Ouvre moi Mon frère.
René Philombe
N’importe quelle gifle donnée à n’importe quel homme en n’importe quelle partie du monde, chacun doit la ressentir comme s’il l’avait reçue sur sa propre joue.
Che Guevara
On ne fera pas un monde différent avec des gens indifférents.
Arundhati Roy
Je te le disais la solidarité c’est la tendresse des peuples.
Giaconda Belli
Notre premier devoir c’est la solidarité humaine.
Susan Sontag
Désormais la solidarité est celle de l’ensemble des habitants de la Terre.
Albert Jacquard
Me voilà ici, le ventre vide, comme un enfant assassiné sous les balles torrides des déserts asséchés, le ciel dans les bras, chez l’occident, j’ai roulé la terre et tamisé les eaux, pour le sourire de mon enfant. Là-bas, sous les horizons du Nord, j’ai rencontré le rire d’un bel enfant, son visage était radieux, il ressemble à mon enfant, mon enfant a faim.
On dit que l’espace est coupé, que l’espace est déchiré, que des droits existent pour une partie du monde et que, finalement, le Sud est une misère à cacher, une souillure à voiler. Mais savent-ils que le Nord n’est pas le Nord et que ce Sud est un mot, que partout on meurt, le rire cassé, qu’un cimetière du Sud et les tombes maquillées de fleurs sont les larmes des mères, les maux de mes filles.
Ben Kamara
« Docteur, dit Rambert, je ne pars pas et je veux rester avec vous. »(…) Rieux répondit qu’il n’y avait pas de honte à préférer le bonheur. « Oui, dit Rambert, mais il peut y avoir honte à être heureux tout seul. (…) J’ai toujours su que j’étais étranger à cette ville et que je n’avais rien à faire avec vous. Mais maintenant que j’ai vu ce que j’ai vu, je sais que je suis d’ici, que je le veuille ou non. Cette histoire nous concerne tous. ».
Albert Camus
Qui maintenant pleure quelque part dans le monde/ Sans raison pleure dans le monde, / Pleure sur moi./ Qui maintenant rit quelque part dans la nuit,/ Sans raison rit dans la nuit,/ Rit de moi./ Qui maintenant marche quelque part dans le monde,/ Sans raison marche dans le monde ,/ Vient vers moi. /Qui maintenant meurt quelque part dans le monde,/ Sans raison meurt dans le monde,/Me regarde.
Rainer Maria Rilke
Un acte de résistance ? Dans « Elephant man » la victime poursuivie se dresse soudain et crie : « Mais enfin, je suis un homme! » Un acte de solidarité ? Dans « Le Kid » le vagabond s’élance sur tous les toits du monde pour retrouver l’enfant perdu, rien ne lui semble impossible.
Les cœurs des personnes et des peuples peuvent battre plus fort, ils appellent aux sociétés de libertés, d’égalités, de solidarités, aux sociétés de tendresse.
L’auteur de ce blog
L’héroïsme ce n’est pas de se tenir debout à tout prix. L’héroïsme c’est d’accepter de tomber en solidarité avec tous ceux qui paient leur tribut à la fragilité humaine.
Léonardo Boff
« Nul homme n’est une île, un tout en soi; chaque homme est partie du continent, partie du large; si une parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe c’est une perte égale à celle d’un promontoire, autant qu’à celle d’un manoir de tes amis ou du tien. La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »
John Donne
Je crois aux hommes, / Solidaires dans l’aventure de l’existence,/ Je crois à l’amour /Qui brise la solitude,/ change les destins et qualifie la vie,/ Je crois à tous ces témoins de l’humanité /
Qui sont tournés vers l’avenir / Et qui luttent contre les forces de mort. (…)
Des parents… de « Naissances en fêtes »
2-Solidarités et « gouttes d’eau »
Une action de solidarité est souvent qualifiée de « goutte d’eau dans l’océan. »
On peut vouloir dire qu’elle est dérisoire. Mais une vérité saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre :
une goutte d’eau est limitée, pourtant elle est nécessaire et elle a vocation à s’étendre.
Elle a une valeur et une force liées à quatre éléments qui s’interpellent, se complètent, se soutiennent et s’inclinent les uns vers les autres.
Par rapport au contenu de l’action
– D’abord certes cette action ne change pas le monde mais peut changer la vie ou une partie de la vie d’une personne, d’une famille, d’une entreprise, d’un village, d’un quartier, voire d’une ville, d’une région …proche ou lointaine.
– Ensuite cette action voit le jour dans l’un des quatre grands domaines de valeurs (démocratie ou justice ou environnement ou paix) et peut s’étendre aux autres domaines, ce sont alors des inter actions qui prennent une certaine ampleur.
– Enfin ce qui parfois nous apparait comme un échec va, dans le temps, devenir une semence.
Et l’optimisme de la volonté, il en faut beaucoup parce que ça réduit à la cuisson !
Par rapport aux personnes qui agissent
Une action peut à la fois changer une situation et nous changer nous-mêmes.
– D’abord on tombe en solidarité avec des personnes et des sociétés fragiles, discriminées, exploitées, exclues. « Qu’as-tu fait de ton frère ? » est une question qui peut éclairer des consciences ou être un des éclairs qui déchire la conscience. Voient le jour des remises en cause d’atteintes à la dignité humaine. Et il arrive qu’au lieu de se demander « qu’est-ce que je risque si je vais dans cette situation conflictuelle ? » on se demande « qu’est-ce que risque l’Autre si je ne n’y vais pas ? »
-Ensuite on montre, en particulier dans la vie associative, que l’on peut passer d’une culture de compétition et de soumission à une culture de solidarité et de résistance.
-Enfin on témoigne, comme le dit un proverbe, que « si l’on veut faire quelque chose on trouve un moyen et que si l’on veut ne rien faire on trouve une excuse. »
Par rapport aux liens entre le local et le mondial
« Penser globalement, agir localement », « penser localement , agir globalement », ces deux idées se complètent.
– D’abord l’enjeu est de faire évoluer ou de changer un système qui assassine le vivant et l’humanité.
Passer d’un monde sans limites et compétitif à un monde responsable et solidaire.
– Ensuite des alternatives locales peuvent contribuer à soutenir des changements plus vastes, ceux d’un pays, d’un groupe de pays, d’un continent, ou de la Terre notre foyer d’humanité.
– Enfin à une petite échelle des erreurs peuvent être remises en cause plus vite et de nouveaux chemins apparaitre plus clairement, ceux des possibles et malgré tout des « impossibles ».
Par rapport aux autres générations
On s’inscrit dans une fraternité et une solidarité intergénérationnelles.
– D’abord vis-à-vis des générations passées qui, lorsqu’elles ont lutté contre les forces de mort, ont mis au monde des libertés, des égalités, des solidarités. Les actions de solidarités sont ainsi des devoirs de mémoire et de gratitude. Et les souffles de ces ancêtres peuvent contribuer à nous donner des forces.
– Ensuite les générations futures nous demandent de leur laisser des marges de manœuvres pour devenir ce qu’elles voudront être. Leurs appels peuvent contribuer à nous porter.
– Enfin les générations présentes qui, si elles mettent en œuvre des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, portent cette espérance qui les porte à son tour.
Ainsi non seulement la goutte d’eau est dans l’océan mais, d’une certaine façon,
l’océan est déjà là dans la goutte d’eau. De la goutte d’eau à la rosée il n’y a qu’un pas.
Rosée du matin, aube d’humanité, printemps d’espérance.
Un jeune poète écrivait « Dans la rosée du matin j’ai cueilli le souffle du monde… ».
Oui, c’est notre souffle que l’on attend et c’est notre souffle qui nous attend.
IV-Responsabilité
1-Quelques citations très fortes sur la responsabilité 2-Un panorama de quelques pensées dans leurs rapports avec la nature, la liberté et la responsabilité.
1-Quelques citations très fortes sur la responsabilité
Nous sommes tous responsables de tout devant tous et moi plus que tous les autres.
Dostoïevski
Vous connaissez cette phrase de Dostoïevski : « Nous sommes tous responsables de tout devant tous et moi plus que tous les autres. ». Non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne, à cause des fautes que j’aurais commises, mais parce que je suis responsable d’une responsabilité totale, qui répond de tous les autres et de tout chez les autres, même de leur responsabilité.
Emmanuel Levinas
Je crois que nous naissons innocents et que nous avons à nous rendre responsables, que nous ne pouvons jamais prévoir toutes les conséquences de nos actes mais qu’il y a toujours, malgré tout, quelque chose à tenter, quelque entreprise commune à engager.
Francis Jeanson
Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé.
Antoine de Saint-Exupéry
Dès lors que l’on ne croit plus en Dieu ni en la survie dans l’au-delà, c’est l’Homme qui devient responsable de tout ce qui vit, de tout ce qui, dans la douleur, est voué à souffrir de la vie.
Nietzsche
Nous avons atteint l’âge d’homme, ce qui signifie que nous sommes responsables de nous-mêmes à un point jamais égalé dans l’histoire des sociétés modernes. Cette augmentation de la responsabilité nous rend, dans son mouvement même, plus vulnérables, car elle suppose d’accroître la capacité de chacun à agir à partir de son autorité privée et de son jugement personnel sans lesquels on bascule dans l’impuissance et la souffrance psychique.
Alain Ehrenberg
Respecter les générations futures c’est construire une société humainement soutenable en particulier appliquer le principe de précaution en maîtrisant la technoscience et redéfinir le droit de la responsabilité en tenant compte de la valeur même des biens naturels en dehors de tout usage socio-économique immédiat.
Voulons-nous demain des petits enfants sujets de leurs propres vies ou objets de la vie de quelques générations qui n’auront pas su prendre aujourd’hui leurs responsabilités ?
L’auteur de ce blog
Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre.
Hans Jonas
2- Un panorama de quelques pensées dans leurs rapports avec la nature, la liberté et la responsabilité.
– Pour ce qui est des rapports avec la nature
soit l’environnement n’est pas présent dans ces œuvres mais tel ou tel élément peut nous interroger sur lui, ainsi la question de savoir si nous avons un libre arbitre ou si nous sommes déterminés,
soit l’environnement est évoqué directement sous la forme de nos rapports avec la nature, on retrouve ici la responsabilité.
Donc ces pensées peuvent éclairer divers aspects et préparer le terrain à d’autres qui rencontreront l’environnement plus directement , en particulier bien sûr lorsque la débâcle écologique apparaitra et se déchainera de 1850 à nos jours.
– Pour ce qui est de la liberté et de la responsabilité
Pour les plus nombreux la liberté existe. Et la responsabilité repose sur la liberté.
Pour d’autres le déterminisme est omniprésent, la liberté et la responsabilité n’existent pas.
Pour d’autres enfin on est responsable avant d’être libre. « Je dois démesurément à l’autre c’est à dire à mon frère.»
-Nous avons conscience que résumer une œuvre ou même un ouvrage de ces pensées complexes et gigantesques a quelque chose non seulement de réducteur mais aussi d’incertain voire d’injuste.
Pourtant dans le cadre de cette volonté de synthèse nous pensons que ces très petits résumés peuvent souligner quelques idées fortes pour mieux situer ces pensées par rapport aux questions abordées et donc contribuer à nous éclairer. Certains passages significatifs seront cités, là aussi avec à la fois un certain arbitraire mais un éclairage de lignes le plus souvent lumineuses.
Partons de l’Antiquité jusqu’au XIXè (A) pour arriver au XXè siècle (B).
Nous soulignerons simplement ici quelques idées importantes relatives à nos rapports avec la nature mais surtout relatives à la liberté, à la responsabilité.
A- Les responsabilités selon des philosophes de l’Antiquité au XIXème.
1-Aristote (-367 à -347) (Ethique à Nicomaque) est l’un des auteurs à l’origine de la responsabilité. Celle-ci va avoir pour fonction de réparer une injustice, elle repose sur le libre arbitre où l’individu est libre et sur la volonté qui est à l’opposé de la contrainte.
2-Thomas d’Aquin (1224-1274) (La Somme théologique) pense qu’il y a un lien entre libre arbitre, responsabilité juridique (fondée sur le droit naturel) et responsabilité morale (fondée sur la loi naturelle qui a pour origine la loi divine) Il faut prendre en compte l’influence des facteurs de la société sur le libre arbitre.
3-Michel de Montaigne (1533-1592) (Les Essais ) dans le courant humaniste met en avant l’esprit critique et l’amour de la connaissance. Il défend la liberté et la responsabilité individuelles.
4-Etienne de La Boétie (1530-1563) (Discours de la servitude volontaire) met en avant l’idée selon laquelle les sujets ont le droit et le devoir de juger le Prince et il existe une responsabilité du peuple dans le maintien du tyran au pouvoir.
Si l’on ne soutient plus les dictateurs leurs pouvoirs s’effondrent. « Si on ne donne rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits, ils ne sont plus rien, sinon que, comme la racine, n’ayant plus d’aliment, la branche devient sèche et morte. » Il faut donc retirer son appui au tyran : « Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez mais seulement que vous ne le souteniez plus et vous le verrez comme un grand colosse à qui se dérobe sa base, de son poids même, fondre en bas et se rompre. » Ainsi il y a bien sûr la capacité de violence des régimes autoritaires mais il y a aussi et surtout la capacité de soumission des opprimés qui sont prisonniers de leurs peurs. Cet auteur de ce grand ouvrage est l’un des inspirateurs des théories et des pratiques de la non-violence qui ont vu le jour par la suite et qui répondent présentes aux responsabilités individuelles et collectives mises en œuvre souvent dans le cadre de la protection de l’environnement.
5-René Descartes (1596-1650) (Les Méditations métaphysiques) affirmait que tout repose sur la raison, les erreurs sont des mauvais usages de la raison. La responsabilité repose sur le libre arbitre et sur la volonté.
Descartes est aussi un des défenseurs d’une possession de la nature : « […] connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent […] nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie […].»(Discours de la méthode, 1637, 6e partie, classique Larousse)
Dénonçant ce déferlement de violence de l’homme contre le vivant, Claude Lévi-Strauss écrira beaucoup plus tard en 1973:
« On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru effacer ainsi son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné le champ libre à tous les abus […]. » (Anthropologie structurale, Plon, 1973, p. 53)
6-Blaise Pascal (1623-1662) (Pensées). La conscience nous libère de notre condition finie, elle fonde la dignité humaine, elle est source de liberté par le pouvoir qu’elle nous donne sur la nature. Avec la conscience apparait la loi morale et ses interdits. Si j’agis consciemment je suis responsable de ce que je fais.
7-Baruch Spinoza (1632-1677) ( Ethique) répond à Descartes que le libre arbitre n’existe pas. Notre raison et notre volonté sont déterminées par les lois qui commandent la nature. Dès lors dans ce déterminisme le principe de responsabilité des individus, lui non plus, n’existe pas.
L’accès à une certaine liberté repose sur la connaissance rationnelle qui permet d’éclairer l’être humain sur les « enchaînements de causes » des phénomènes du monde.
8- Charles-Louis de Secondat de Montesquieu (1689-1755) (Pensées diverses).
Nous ne proposons pas ici ses théories célèbres sur la séparation des pouvoirs mais uniquement cette pensée forte de citoyen du monde qu’il était : « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose d’utile à ma patrie et préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. «
Dit autrement : le village, la ville, la région c’est mon terroir, le pays c’est ma patrie, le continent c’est ma matrie, la planète c’est mon foyer d’humanité. Entre ces différents territoires, ces lieux de vie il est essentiel de construire des harmonies fondées sur quelques principes autour du respect de l’humain et du vivant.
9-Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes ) . L’homme est capable du meilleur comme du pire, d’où sa responsabilité particulière vis-à-vis des autres et de la nature.
L’opposition entre Voltaire et Rousseau par rapport au tremblement de terre de Lisbonne de 1755 est significative. Alors que Voltaire met en avant le caractère naturel de cette catastrophe, Rousseau dénonce la responsabilité humaine « Convenez que la nature n’avait point rassemblé là 20.000 maisons de six à sept étages et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également et plus légèrement logés le dégât eût été beaucoup moindre et peut-être nul » (Lettre sur la providence, 18 août 1756).
Comme on peut l’observer en 2000, soit 244 ans plus tard, le représentant (Salvano Briceno) de « la décennie internationale des Nations unies (1990-2000) ne nous dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « c’est la vulnérabilité sociale et humaine qui transforme un phénomène naturel en catastrophe. » (Julien Bétaille préface du colloque international sur « Les catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit, » sous la direction de Jean-Marc Lavieille, Julien Bétaille et Michel Prieur, éditions Bruylant, 2012.)
10-Emmanuel Kant (1724-1804) (Critique de la raison pratique) (Fondements de la métaphysique des mœurs). L’homme appartient au règne de la nature donc ses actions sont déterminées et il appartient aussi au monde de la raison et de la volonté, or la liberté de la volonté est autonome, elle est sa propre loi.
La raison pratique c’est la faculté de se représenter la loi morale.
« Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif catégorique, il faut qu’il soit tel que, par la représentation de ce qui, étant une fin en soi, est nécessairement une fin pour tout homme, il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. Voici le fondement de ce principe : la nature raisonnable existe comme fin en soi. L’homme se représente nécessairement ainsi sa propre existence ; c’est donc en ce sens un principe subjectif d’actions humaines.
Mais tout autre être raisonnable se présente également ainsi son existence, en conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi ; c’est donc en même temps un principe objectif dont doivent pouvoir être déduites, comme d’un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L’impératif sera donc celui-ci :
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »
La dignité humaine est donc une valeur absolue et universelle.
11-Karl Marx (1818-1883) (L’idéologie allemande). Le passage est connu « çà n’est pas la conscience qui détermine l’existence, c’est l’existence qui détermine la conscience ; dans le premier cas on part de l’individu vivant (lui-même) ; dans le second cas on part des individus vivants réels et on considère la conscience comme leur conscience.»
La dénonciation du capitalisme est centrale dans sa pensée, mais ne se fonde donc pas sur des règles morales, ce qui ne veut pas dire que certains auteurs ne voient pas dans les écrits de Marx une normativité éthique fondée en particulier sur la valeur de la justice.
Enfin Marx pense que les contradictions du capitalisme peuvent porter atteinte à la nature mais il n’est pas question de remettre en cause la science et de la technique qui sont en elles-mêmes porteuses de progrès.
D’autres affirmeront par la suite que la techno science peut contribuer certes à des libérations (par exemple de maladies) mais peut être porteuse aussi d’aliénations (ainsi par exemple les recherches et les productions d’armes de destruction massive).
12-Friedrich Nietzsche (1844-1900) (Généalogie de la morale.) (Crépuscule des idoles) Contrairement par exemple à Pascal , qui croyait que la conscience nous libère de notre condition finie, Nietzsche pense que la conscience est une ruse théologique qui nous écrase. Il critique la responsabilité morale. La société par le dressage impose le devoir, et c’est l’aptitude à répondre de soi (définition classique de la responsabilité) qui fonde la morale laquelle se traduit par l’assujettissement, on a inventé la faute pour punir.
Le « Crépuscule des idoles » affirme que l’une des erreurs est celle du libre arbitre.
« Il ne nous reste aujourd’hui plus aucune espèce de compassion avec l’idée du “libre arbitre” : nous savons trop bien ce que c’est le tour de force théologique le plus mal famé qu’il y ait, pour rendre l’humanité “responsable”, à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l’humanité dépendante des théologiens… Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à vouloir rendre responsable.
Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de punir et de juger qui est à l’œuvre. On a dégagé le devenir de son innocence lorsque l’on ramène un état de fait quelconque à la volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée à fin de punir, c’est-à-dire avec l’intention de trouver coupable. Toute l’ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n’existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs des communautés anciennes, voulurent se créer le droit d’infliger une peine – ou plutôt qu’ils voulurent créer ce droit pour Dieu… Les hommes ont été considérés comme “libres” pour pouvoir être jugés et punis, -pour pouvoir être coupables : par conséquent toute action devait être regardée comme voulue, l’origine de toute action comme se trouvant dans la conscience. »
La liberté repose sur l’idée de spontanéité : la conscience sous des impératifs moraux ne fait qu’étouffer cette spontanéité.
B- Les responsabilités selon des auteurs du XXème.
1-Max Weber (1864-1920) (Le savant et le politique)
« Toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l’éthique de la responsabilité ou l’éthique de la conviction […]. »
Ainsi il y a une opposition entre l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de conviction qui veut respecter des principes et l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de responsabilité qui veut voir avant tout les effets de nos actes.
Ainsi le politique est un homme d’action qui se positionne à partir de ses valeurs alors que le savant veut démontrer la vérité à partir des faits scientifiquement reconnus, Ainsi d’un côté l’action, d’un autre côté la recherche,
L’éthique de conviction correspond à celui qui obéit à des valeurs sans se préoccuper de leur mise en œuvre, on évoquerait aujourd’hui par exemple des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité.
L’éthique de responsabilité correspond au fait de se demander comment on doit répondre à telle ou telle situation, on se demanderait aujourd’hui par exemple créer les conditions d’une fraternité transgénérationnelle permettant en particulier aux générations futures de vivre dans un monde viable.
Si l’opposition est considérée par beaucoup comme radicale, certains par la suite évoqueront ces deux éthiques conçues comme complémentaires, on veut alors viser le respect de valeurs et les effets de leur mise en œuvre.
2-Sigmund Freud (1856-1939) (L’Avenir d’une illusion) (Malaise dans la civilisation).La découverte de l’inconscient remet en question la maitrise su sujet sur lui-même tant du point de vue de ses pensées que de ses actes. Nos désirs sont commandés par des pulsions inconscientes et involontaires. « Le moi n’est plus maitre dans sa maison. » Mais alors suis-je responsable de mes actes si je ne suis plus libre ?
L’inconscience ne peut servir de prétexte pour fuir ses responsabilités. Freud pense d’ailleurs que chacun est responsable de parvenir à un maximum de conscience, « là où le ça était, je dois advenir ». Cette conquête de la conscience sur l’inconscient devient un devoir vis-à-vis de soi-même.
A cela ajoutons deux remarques.
D’abord le code pénal limite la responsabilité des personnes atteintes par un trouble psychique. Ainsi il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action.
Ensuite la position de Freud a été critiquée par différents auteurs, par exemple le psychanalyste Lacan pensait qu’en dehors des maladies mentales « De notre position de sujet nous sommes toujours responsable. » Par exemple le philosophe Alain qualifiait la position de Freud d’erreur mais aussi de faute parce qu’il pensait qu’elle débouche sur la fatalité, or l’inconscient nous laisse des choix.
3-Hannah Arendt (1906-1975) (Rapport sur la banalité du mal) (La responsabilité collective) (Les origines du totalitarisme).Cette politologue affirme que le processus d’obéissance est fondamental dans le totalitarisme, même le haut-fonctionnaire est préoccupé d’obéir aux ordres, « je n’ai fait qu’obéir aux ordres » diront de nombreux dignitaires nazis pour leur défense.
Le procureur du Tribunal de Nuremberg répondra en disant magnifiquement et tragiquement : « Vient un moment où il faut désobéir aux ordres et obéir à sa conscience ».On est au cœur d’une des questions relatives à la responsabilité.
Comment voit-elle la responsabilité collective ?
« Il existe une responsabilité pour des choses que nous n’avons pas commises, mais dont on peut néanmoins être tenu pour responsable. Mais être ou se sentir coupable pour des choses qui se sont produites sans que nous y prenions une part active, est impossible. C’est là un point important qui mérite d’être clairement et vigoureusement souligné à un moment où tant de bons libéraux blancs avouent leurs sentiments de culpabilité face au problème noir. […]
Chaque gouvernement assume la responsabilité des actes et des méfaits de ses prédécesseurs, et chaque nation assume la responsabilité des actes et des méfaits du passé. […] En ce sens on nous tient toujours pour responsable des péchés de nos pères, de même que nous récoltons les lauriers dus à leur mérite, mais nous ne sommes évidemment pas coupables de leurs forfaits, ni moralement ni juridiquement, pas plus que nous ne pouvons imputer leurs actions à nos propres mérites. […]
Nous ne pouvons échapper à cette responsabilité politique et purement collective qu’en quittant la communauté, et puisqu’aucun individu ne peut vivre sans appartenir à une communauté quelconque, cela signifierait simplement passer d’une communauté à l’autre et donc une sorte de responsabilité à une autre. […] Cette responsabilité d’actes que nous n’avons pas commis, cette façon d’endosser les conséquences d’actes dont nous sommes entièrement innocents, est le prix à payer parce que nous ne vivons pas seuls, mais parmi d’autres hommes, et que la faculté d’agir, qui est après tout la faculté politique par excellence, ne peut s’accomplir que dans l’une des nombreuses et diverses formes de la communauté humaine. » ( La responsabilité collective in Ontologie et Politique, édit. Tierce, 1989, pp. 175 à 184.)
4-Raymond Aron (1905-1983) (Introduction à la philosophie de l’histoire)
Responsabilité morale, responsabilité juridique, responsabilité historique comportent une partie commune : l’établissement des causes. La différence fondamentale concerne l’ordre des causes : le moraliste vise les intentions, l’historien les actes, le juriste confronte intentions et actes, et les mesure aux concepts juridiques.
Au regard de l’historien en tant que telles la guerre et la révolution sont des faits, d’une fréquence variable selon les siècles, observés dans toutes les cultures et toutes les époques.
5-Jean-Paul Sartre (1905-1980) (l’existentialisme est un humanisme) (Situations III)
La liberté se réalise dans l’engagement qui permet la rupture, mais cet engagement n’engage pas que moi :
« L’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être (…) l’homme est responsable de ce qu’il est. Ainsi, la première démarche de l’existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu’il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence. Et quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes (…). « Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant, il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes qui, en créant l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être. (…) Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l’humanité toute entière. (…) Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis; en me choisissant, je choisis l’homme. »
Quant à l’inconscient il sert parfois d’excuse mais il n’est pas recevable. « On ne fait pas toujours ce que l’on veut, mais on est toujours responsable de ce que l’on fait ». Pour Sartre au contraire, l’inconscient sert parfois d’excuse, de l’ordre de la mauvaise foi, mais n’est jamais une excuse recevable.
Jean-Paul Sartre après 1945 écrit : « Quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes. »(…)
« Il fallait bien qu’un jour l’humanité fût mise en possession de sa mort. »
« Cette bombe qui peut tuer cent mille hommes d’un coup et qui demain, en tuera deux millions nous met tout à coup face à nos responsabilités. A la prochaine la Terre peut sauter, cette fin absurde laisserait en suspend pour toujours les problèmes qui font depuis dix mille ans nos soucis. Ainsi au moment où finit cette guerre, la boucle est bouclée, en chacun de nous l’humanité découvre sa mort possible, assume sa vie et sa mort. »
6-Simone de Beauvoir (1908-1986) (Le Deuxième Sexe) met en avant la responsabilité de l’écrivain engagé. Elle analyse les phénomènes de domination des hommes.
Les femmes mais aussi les hommes sont placés devant leurs responsabilités dans l’émancipation des femmes sur « les chemins de la liberté »
7-Albert Camus (1913-1960) (L’homme révolté). « L’homme n’est pas entièrement coupable, il n’a pas commencé l’histoire ; ni tout à fait innocent puisqu’il la continue. »
La révolte qui nait à l’intérieur de l’absurde donne à l’homme la possibilité d’assumer la responsabilité de ses actes et du monde qui l’entoure. « Je me révolte donc nous sommes . » « La vertu de l’homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. »
Dans ses engagements il dénonce le totalitarisme de l’Union soviétique, la colonisation. Il dénoncera « les marchands de mort » que sont à ses yeux les fabricants d’armes.
Dans l’éditorial du journal Combat le 8 août 1945, deux jours après le lancement de la bombe atomique sur Hiroshima, il écrit (…) Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.(…)Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison. «
8-Paul Ricœur (1913-2005) (Soi-même comme un autre) (Le concept de responsabilité: Essai d’analyse sémantique). Il distingue la morale fondée sur des normes, des obligations, et l’éthique fondée sur des actions estimées bonnes. L’éthique est au centre de la vie « avec et pour l’autre », c’est « l’aveu partagé de la fragilité et finalement de la mortalité ».
Juridiquement on doit réparer une faute ou subir une sanction à la suite d’une action, mais se développe aussi la responsabilité sans faute, la responsabilité pour autrui.Chacun serait responsable d’autres personnes dont il a la charge ou la garde en raison de leur vulnérabilité. L’homme est responsable du vulnérable, du fragile, du faible . L’éthique médicale particulièrement est liée à la sollicitude, à la spontanéité bienveillante. « L’estime de l’autre comme soi-même correspond à l’estime de soi-même comme un autre. «
9-Emmanuel Lévinas (1906-1995) (Totalité et infini) (Soi-même comme un autre). Il distingue l’éthique c’est-à-dire « ce qui est estimé bon » de la morale « qui s’impose comme obligation. »
.Il s’agit de dire « l’humain de l’homme » donc de proposer une éthique de l’éthique. Rencontrer l’autre c’est avoir une idée de l’infini La responsabilité pose la primauté d’autrui, la figure d’autrui est synonyme de fragilité, elle en appelle à ma sollicitude, elle fonde ma liberté. Dès que son visage apparait il m’oblige, cette responsabilité s’impose à moi.
L’éthique n’est pas la recherche du perfectionnement personnel mais la responsabilité à l’égard d’autrui. Autrui c’est d’abord un visage, il exige sollicitude, l’homme doit accepter d’être « le gardien de son frère. »La question essentielle est « Qu’as-tu fait de ton frère? ».La réponse doit être donnée dans le face à face et aussi dans la cité des citoyens.
Levinas emprunte aux Frères Karamazov de Dostoïevski la « devise » : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres. ». « Vous connaissez , écrit-il, cette phrase de Dostoïevski : « Nous sommes tous responsables de tout devant tous et moi plus que tous les autres. ». Non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne, à cause des fautes que j’aurais commises, mais parce que je suis responsable d’une responsabilité totale, qui répond de tous les autres et de tout chez les autres, même de leur responsabilité.»
10- Voici donc la pensée de Hans Jonas (1903-1993) ( « Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique ». Parution allemande en 1979, traduction française chez Flammarion, Champs, 1990 ). Et avec une traduction et une présentation de Jean Greisch , aux éditions Le Cerf, 1990.)
Voir aussi sur Hans Jonas l’article de Jean Greisch, » L’amour du monde et le principe responsabilité », dans l’ouvrage précité « La responsabilité. », Editions Autrement ,. Série Morales n°14, janvier 1994
« Le principe responsabilité » de Hans Jonas en 1979 marque la pensée environnementale, cet ouvrage contribue à fonder une « éthique pour la civilisation technologique ».
Cette philosophie s’exprime en quelques idées essentielles.
– La civilisation technologique menace l’humanité, une éthique nouvelle doit voir le jour.
Jean Rostand écrivait « Tous les espoirs sont permis à l’homme même celui de disparaitre ». Jonas pense que doit être détruite toute technologie qui comporte le risque de détruire l’humanité .C’est l’humanité qui est l’objet de la responsabilité.
« Nulle éthique antérieure n’avait à prendre en considération la condition globale de la vie humaine et l’avenir lointain et l’existence de l’espèce elle-même […]. Personne n’était tenu responsable pour les effets ultérieurs non voulus de son acte bien intentionné, bien réfléchi, et bien exécuté. […] Tout cela s’est transformé de manière décisive. La technique moderne a introduit des actions d’un ordre de grandeur tellement nouveau, avec des objets tellement inédits, et des conséquences tellement inédites, que le cadre de l’éthique antérieure ne peut plus les contenir. »
-La peur doit pousser à agir, la responsabilité est le principe vital .
Hans Jonas insiste sur la peur qui favorise la responsabilité. Non pas la peur paralysante mais celle qui pousse à agir. On mesure et on connait les risques, la peur devient alors une force.
La responsabilité est une vertu mais c’est surtout un principe. C’est le fondement d’une nouvelle conception éthique .
Le problème le plus crucial pour la civilisation technologique, c’est de savoir comment agir sans compromettre « la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. »
« Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie »
– La responsabilité nous engage vis-à-vis de tout homme, de tout lointain dans le temps et également de l’ensemble de l’environnement .
La responsabilité n’intéresse plus aujourd’hui le seul prochain immédiat, mais tout prochain et même tout objet : elle embrasse « l’environnement », entendu comme la totalité de ce qui est.
On retrouve ce point commun avec d’autres philosophies qui est relatif à la fragilité, la vulnérabilité. Autrui me regarde, il m’assigne à responsabilité.
L’humanité est fragile, vulnérable, nous sommes responsables de son futur.
« Le fait que depuis peu la responsabilité s’étende au-delà jusque à l’état de la biosphère et de la survie future de l’espèce humaine, est simplement donné avec l’extension du pouvoir sur ces choses, qui est en premier lieu un pouvoir de destruction. Le pouvoir et le danger dévoilent une obligation qui, par la solidarité avec le reste, une solidarité soustraite au choix, s’étend de l’être propre à l’être en général, sans même un consentement particulier. »
Notre responsabilité est engagée vis à vie des générations passées, présentes, futures et par rapport à l’ensemble du vivant.
La philosophie de Hans Jonas est proche, globalement ou sur certains points, de celles de certains auteurs que nous allons maintenant évoquer… et réciproquement leurs pensées sont souvent proches, globalement ou sur certains points , de celle de l’auteur du « Principe responsabilité.»
11- Les responsabilités selon des auteurs contemporains qui remettent en cause le système productiviste
Nous constatons que des philosophes, des économistes, des sociologues, des anthropologues et d’autres auteurs analysent de façon radicale le système qu’ils qualifient selon les cas de capitaliste, de néo libéral, de technoscientiste, ou de productiviste, système qui a étendu son emprise sur la Terre.
Chaque auteur le fait dans la cadre de sa pensée générale et en insistant sur tel et tel élément mais ce point commun saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre.
Nombreux ont été ces auteurs, parmi beaucoup d’autres : Claude Levi Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy Debord , Bernard Charbonneau, Edgar Morin, Herbert Marcuse, André Gorz, Cornelius Castoriadis , François Partant, René Dumont, Théodore Monod, Jean Rostand, Kostas Axelos, Paul Virilio, Serge Latouche…
(Edgar Morin et Serge Latouche sont toujours vivants au moment où nous écrivons ces lignes, le 10 octobre 2020)
– Un choix vital face au système mondial : la détermination de limites des activités humaines
Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits :
d’une part le système productiviste est lancé dans une course en avant autodestructrice, il faut donc être en rupture globale avec ce système,
d’autre part une croissance illimitée sur une planète limitée nous amène vers une gigantesque collision entre l’environnement et les activités humaines, il faut donc « retrouver le sens de la limite » (expression de l’introduction de l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection Frankenstein,2013).
– Les logiques autodestructrices de la fuite en avant
Ces logiques s’appellent : la recherche effrénée du profit, la course à la marchandisation du monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions humanicides et terricides, la croissance sacro-sainte, la vitesse facteur de répartition de richesses et de pouvoirs, la dictature du court terme, le vertige de la puissance, la compétition élevée au rang d’impératif naturel de nos sociétés, l’accélération d’un système porteur d’une crise du temps.
Et puis, à travers une explosion démographique mondiale qui continue, cette fuite en avant est aussi celle d’une machine à gagner fonctionnant comme une lame qui met d’un côté ceux et celles dont les besoins fondamentaux sont plus ou moins satisfaits et de l’autre ceux et celles, de très loin les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.
– Les dénis, les mensonges et les silences accompagnant cette fuite en avant
Il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de nombreux dénis personnels et collectifs de la réalité : on pense que la catastrophe ne se produira pas ou qu’on y échappera. (Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Le Seuil, 2002.)
Il n’est pas étonnant non plus que cette fuite en avant s’accompagne de silences et de mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle catastrophe écologique, ou même sur l’existence de certaines d’entre elles que l’on espère garder dans les secrets de la planète et qui peuvent constituer autant de bombes à retardement.
– Pour une pédagogie de compréhension et de dénonciation des impasses
Face à cette fuite en avant doivent exister des limites nécessaires, voila donc une pédagogie des impasses.
Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites ? (J. Ellul, Le Bluff technologique, Hachette, 1988)
Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la croissance indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. »
Cornelius Castoriadis en appelait à nous défaire des « fantasmes de l’expansion illimitée.» ( voir C. Castoriadis, La Montée de l’insignifiance, les carrefours du labyrinthe (IV), Seuil, 1996 ;
Edgar Morin en appelle « à fédérer les voies de la réforme de l’éducation, de l’écologie, de la politique, de l’économie. Une utopie concrète à l’horizon de nos actions s’impose comme une urgence indispensable. » (La Voie.Pour l’avenir de l’humanité. Pluriel ?2016)
Voir également : André Gorz, Écologica , Galilée, 2008 ; Serge Latouche, Survivre au développement, Mille et une nuits, 2004 ; et ceux plus haut cités, tous des défricheurs de la pensée.
On peut bien sûr constater que ces auteurs à travers leurs critiques radicales du système productiviste se tournent aussi vers des alternatives. Penser et mettre en œuvre ces alternatives voilà qui se rattache à de nouvelles politiques écologiquement socialement démocratiquement pacifiquement responsables.