Le droit international de l’environnement (DIE) est-il juridiquement
contraignant ?
C’est une réponse à la question posée par plusieurs étudiants au créateur de
ce site , lorsqu’il était directeur du Master de droit international et comparé de
l’environnement, réponse qui a été publiée en février 2013 sur leur « forum
interactif » à destination de la promotion 2012-2013 composée de 125
candidats de 27 pays. Le jour de mon départ à la retraite j’ai eu la joie
d’apprendre qu’elle portait le nom de « JML».
D’abord dénoncer l’ erreur générale la plus courante(1),ensuite examiner la
valeur juridique des déclarations(2)puis celle des conventions(3) et comprendre
enfin pourquoi ce hard law, pourquoi ce soft law, et ce que l’on peut en penser
par rapport à la protection de l’environnement(4) ?
1/Il est erroné de dire , d’écrire ou de penser que le DIE est un droit qui
n’est pas obligatoire, que c’est un droit « mou »(incitatif, déclaratoire, ) et
de s’en tenir là.
Sans aucun doute en affirmant cela on se trompe, la vérité sautera aux yeux
pourvu qu’on les ouvre …
Certes« Qui trop embrasse mal étreint » mais qui n’embrasse pas du tout
n’étreint pas grand chose.
Or, quand on raisonne ainsi, on est loin des théories et des pratiques
juridiques.
On affirme souvent cela, pourquoi ? Parce que l’on veut ne pas appliquer tel
ou tel texte qui contrarie des intérêts, ou parce que l’on veut mettre en avant
les souverainetés étatiques en oubliant qu’elles se sont parfois engagées dans
des normes communes qui les autolimitent et qui en appellent à la coopération
interétatique, ou parce que l’on est resté bloqué dans une sorte de bulle du
droit étatique (« le seul vrai droit » pense-t-on encore parfois).
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2/Les déclarations sont juridiquement non contraignantes (par exemple celles
de Stockholm1972, de Rio de 1992, la Charte mondiale de la nature de 1982
(attention : ce terme est trompeur, la Charte des Nations Unies est
contraignante).
Cependant des principes de DIE contenus dans des déclarations peuvent
changer de portée juridique et devenir obligatoires dans deux hypothèses :
soit lorsque, en se répétant dans des déclarations, ils finissent par devenir des
coutumes internationales, par exemple l’obligation de tout Etat d’éviter les
dommages causés à l’environnement au-delà des frontières nationales,
soit lorsqu’un principe migre (part ) dans une convention, une constitution,
une loi, ou un texte de type Union européenne(directive ou règlement),un des
exemples les plus connus est celui du principe de précaution qui a ses origines
en particulier en DIE.
Enfin il ne faut pas oublier que des déclarations ( solennelles) et des
recommandations(plus courantes) peuvent préparer des conventions.
La patience est quelquefois « la promesse d’un fruit mûr ». La Déclaration des
droits de l’enfant(1959) contribuait à préparer la Convention de 1989.Il en est
de même en DIE, dans le droit de l’homme à l’environnement proclamé dans la
Déclaration de Stockholm de 1972 il y a en gestation la Convention d’Aarhus
qui viendra en 1998.
Il ne faut donc pas regarder avec mépris les déclarations, elles peuvent
contribuer à préparer la suite, même s’il n’en reste pas moins que l’on voudrait
plus rapidement des mécanismes de protection face à la puissance et à la
rapidité de la dégradation mondiale de l’environnement (voir par exemple
GEO 5 du PNUE, rapport 2012).
3/Les conventions de DIE sont juridiquement contraignantes (c’est-à-dire
obligatoires) pour les Etats parties. Leur force d’applicabilité est variable, elle
dépend entre autres de leur précision et des moyens prévus pour les
appliquer.
Il y a des dispositions précises, avec une force d’applicabilité importante,
relatives à des engagements des Etats parties,
Il y a des dispositions liées à des programmes (objectifs, moyens) et des
dispositions qui donnent une liste indicative de moyens à l’Etat partie, les
parties ont alors des marges de manoeuvres mais on est toujours dans une
obligation,
Il y a des dispositions qui peuvent laisser la porte ouverte sur l’arbitraire
étatique, pouvant aller à l’encontre de la protection de l’environnement (de
type par exemple « chaque Etat partie, dans la mesure du possible et selon
qu’il conviendra », voir par exemple dans la Convention sur la diversité
biologique de 1992.)
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4 /Au final le DIE est un ensemble d’obligations et de
recommandations, reflets de rapports de forces.
Vous le savez « penser c’est dialoguer avec la complexité » (Edgar Morin).
Il faudrait ajouter, à ce schéma général ci-dessus, le schéma de l’application
des textes de DIE, on constate,- certains d’entre vous le vivent oh combien !-
par exemple que les Etats qui doivent aider financièrement les Etats touchés
par le drame de la désertification ne respectent ces engagements financiers, il
arrive donc que des dispositions obligatoires de conventions ne soient pas
appliquées.
Une fois de plus nous constatons que le droit est un produit de rapports de
forces dans sa formation comme dans son application. Il n’est pas étonnant
qu’il soit constitué d’ éléments contraignants et d’autres qui ne le sont pas,
pourquoi ?
Parce que le DIE est un reflet d’intérêts nationaux(les Etats préfèrent alors un
droit mou, le soft law, si le droit élaboré heurte leurs intérêts), il est aussi le
reflet d’intérêts communs(les Etats acceptent de mettre en place des
obligations, ils peuvent finir par accepter un droit dur, le hard law).
Partir de solidarités étatiques, parfois irréductibles, pour construire une
solidarité mondiale vitale correspond à ce passage, expliquait René-Jean
Dupuy, de « la société relationnelle » (celle des Etats) à « la société
institutionnelle » (celle des organisations internationales et régionales),
passage du « monde des cités à la cité du monde. »
Ainsi le DIE pose cette question et elle lui est aussi posée : au-delà des intérêts
nationaux et des intérêts communs des Etats et de la société internationale
n’y a-t-il pas l’intérêt commun de l’humanité ?
Comment dégager cet intérêt commun de l’humanité face aux problèmes aux
drames et aux menaces écologiques ?
Certes, entre autres, en faisant appel au droit contraignant si les rapports de
force sont mûrs et /ou si on arrive à tirer la pédagogie des catastrophes
écologiques .
Sinon en faisant appel à un droit non contraignant qui pourra recevoir une
certaine application, évoluer, ou changer de nature un jour, en migrant en
partie dans un texte national obligatoire ou en donnant naissance à une
convention..
Mais, dans un cas comme dans l’autre, une question vitale demeure :
comment faire naitre les déterminations personnelles et collectives?
(Sur cette dernière question des volontés voir l’article proposé sur ce site à la
rubrique « Sujets tous azimuts ».)
JML