VIOLENCES : analyses des causes ( IV )
L’article a été refondu fin novembre 2018
IV- Les analyses des causes des violences
Comment globalement les violences sont-elles évoquées dans les médias,
dans la vie politique, dans le langage courant ?
Il est très fréquent que soient mises en avant les manifestations des violences,
violences au sein du couple, au sein de la famille, violences scolaires, violences
urbaines, violences au travail, violences envers des femmes, des enfants, des
personnes âgées, des homosexuels, des personnes handicapées, des immigrés,
violences des actes racistes, violences sur les routes, violences des
nationalismes, violences des guerres, violences des terrorismes,violences
d’inondations,d’incendies,de cyclones,de tsunamis…
Il est moins fréquent que l’on souligne telle ou telle cause de telle ou telle
violence,
Il est rare que l’on propose une vue de l’ensemble des analyses des causes des
violences.
Il est plus rare que l’on y ajoute un ensemble de contre-mécanismes porteurs
de paix. C’est ce que nous voudrions essayer de faire.
A priori, et sous réserve de vérification, il n’existe probablement pas une seule
analyse qui serait susceptible d’expliquer toutes les formes de violences, ainsi
par exemple celles d’un harcèlement, d’un crime, d’une agression armée, de la
faim.
Nous partirons d’un grand nombre d’analyses, pourquoi ? Parce qu’il nous
paraît important de recenser les pensées d’auteurs de nombreuses disciplines
pour ne pas passer à côté d’une idée clef, d’une réalité importante.
Ce nombre d’analyses a ses limites. Nous aspirons non pas, bien sûr, à nous
approcher de la totalité des analyses du passé et du présent, ni même à une
exhaustivité mais à une certaine globalité, à une certaine représentativité des
analyses en ces débuts de XXIème siècle.
Ce recensement suppose une méthodologie, laquelle ? D’abord un classement
rigoureux et clair, ensuite une critique de chaque analyse en termes positifs et/ou
négatifs, enfin ce recensement en appelle à une énumération des luttes contre ces
causes, autrement dit des propositions de contre-mécanismes, d’alternatives.
Dès lors, si l’on veut dresser un panorama global des analyses existantes, peuton
proposer un critère qui aurait vocation à les distinguer ? Ne pourrionsnous
pas ainsi réfléchir tour à tour aux analyses extra historiques (A) puis
aux analyses historiques (B) ?
La cloison ne sera certainement pas étanche entre les deux séries
d’analyses, d’abord des auteurs ont des pensées dont certains éléments se
rattachent aux premières, d’autres aux secondes (Freud), ensuite des visions
peuvent être interprétées de façons variables les situant hors de l’histoire ou dans
l’histoire (Hegel), enfin au cours d’une vie, personnellement et/ou
collectivement, nous pouvons être plus sensibles à une analyse étouffée par une
grande fatalité ou, au contraire, montrant des marges de manoeuvres importantes.
Pour chacun des deux développements (A puis B) nous adopterons une
même démarche : comprendre les caractères communs des analyses de
chacun de ces deux grands regroupements, autrement dit les justifier(1),
nous ferons ensuite une synthèse des analyses les plus fréquentes
aujourd’hui(2), puis des autres analyses pour chaque regroupement(3).
A titre bibliographique rappelons simplement l’ouvrage remarquable de
Jacques Sémelin « Pour sortir de la violence »(1983) et la revue trimestrielle,
elle aussi remarquable, « Alternatives non-violentes ». Signalons enfin un petit
ouvrage qui synthétise des analyses, « Violence et pouvoir » de François Stirn,
éd.Hatier, 1978.
A- Les analyses extra historiques des causes des violences
1-Les caractères communs des analyses extra historiques des causes des
violences
a)Ces analyses sont en dehors de l’histoire humaine,c’est à dire qu’elles ont
des causes qui sont soit extérieures aux êtres humains (par exemple le cosmos),
soit inhérentes aux êtres humains mais indépendamment des moments de
l’histoire, des types de sociétés, des vies personnelles et collectives.
b) Dans ces analyses les violences en général et les guerres en particulier sont
considérées comme des phénomènes immuables, indépassables. Elles ont
toujours existé, elles existeront toujours. Le poids de la fatalité est ici très grand.
c)Ces analyses ont, de nos jours, une place beaucoup moins importante que
les analyses historiques à l’exception de la théorie de la violence innée de la
nature humaine, théorie à laquelle se rattachent certains auteurs mais aussi
beaucoup de personnes qui, dans le langage courant , affirmeront facilement : «
C’est comme çà, ce sera toujours comme çà ».
2-Les analyses extra historiques les plus fréquentes de nos jours : la
violence innée de la nature humaine
Ne faut-il pas se situer par rapport à la conception que l’on peut avoir de la
nature humaine ou au moins entrer dans la question ? Il y a très
probablement au moins trois façons de la concevoir.
Certain(ne)s pensent qu’elle est mauvaise (agressivité innée). D’autres pensent
qu’elle est bonne et que, par exemple comme le croyait Rousseau, c’est la
société qui la change. D’autres pensent qu’elle peut tout être, la meilleure, la
pire, ou l’entre deux, cela selon les conditions des sociétés dans lesquelles on se
trouve et selon les volontés personnelles et collectives. Si l’on partage la
première conception on est amené à dire que la violence est innée, « naturelle »,
qu’elle est inhérente à la nature humaine.
Le choix des analyses proposées ici s’est fait en mettant en avant une idée forte,
celle-ci se rattache à un auteur dont elle peut être au centre de l’oeuvre (Lorenz)
ou un simple élément d’une pensée complexe (Freud). Il arrive aussi que l’idée
ne soit pas symbolisée par un auteur mais que sa force soit réelle (par exemple
les violences cosmiques).
Il s’agit enfin de synthèses très courtes soulignant l’essentiel du contenu d’une
analyse et l’essentiel d’une critique possible de celle-ci.
a) L’homme méchant par nature.Thomas Hobbes , dans le Léviathan (1651),
pense que l’état de nature est celui de « la guerre de tous contre tous », que
l’homme est égoïste, calculateur, violent. Chacun s’efforce de détruire l’autre ou
de le dominer. « L’homme est un loup pour l’homme », gouverné par le seul
instinct de conservation il sera éternellement violent.
Seul le Souverain, dépositaire de l’Etat tout-puissant, le Léviathan, peut lui
fermer sa bouche carnassière par la crainte du châtiment et la mise en oeuvre de
sanctions. L’Etat tout-puissant va protéger les citoyens contre leur propre
violence.
L’ouvrage sera utilisé comme une des justifications de l’Etat autoritaire (l’armée
prend le pouvoir, ou le parti unique et le dictateur exercent leurs emprises sur le
pays) et une des justifications de l’Etat totalitaire (un Etat autoritaire absolu : «
Tout dans l’Etat, rien contre, rien en dehors. »)
La citation « l’homme est un loup pour l’homme » est passée dans le langage
courant, elle est synonyme de fatalité. Nous verrons ce qu’en pensent les
tenant(e)s des théories de l’agressivité acquise pour lesquels l’homme n’est pas
méchant par nature.
b) La pulsion de mort. Sigmund Freud, dans « Malaise dans la civilisation
»(1929) et dans une lettre à Einstein « Pourquoi la guerre ? »(1933), pense
qu’existent la pulsion de vie(Eros) et la pulsion de mort(Thanatos).
Cette dernière est instinctive, elle vise à détruire. Mais cette pulsion de mort est
aussi liée à une « désillusion historique », les progrès de la science et du
commerce, contrairement à ce que certains croyaient, n’ont pas provoqué la fin
des guerres.
Cependant les deux textes cités sont donc également un appel à un Eros
maîtrisant Thanatos. La civilisation doit permettre que l’agressivité de chacun
soit orientée vers des tâches constructives porteuses d’une certaine coopération.
Dans cette conception la pulsion de mort peut être remise en cause. On est donc
ici dans l’histoire, une civilisation peut devenir plus pacifique.
c) La fatalité biologique. Konrad Lorenz, zoologiste autrichien, qui étudiait les
animaux en milieu naturel, dans « L’agression »(1969), affirme que la violence
est inscrite dans nos gènes, que « la guerre est le résultat d’une fatalité
biologique », elle est inéluctable.
Notre « agressivité naturelle », comme celle des autres animaux, nous amène à
distribuer et à protéger des territoires.(Voir dans le même sens un anthropologue
américain, Robert Ardrey, « Le territoire », (1967).)
Lorenz fait un amalgame conceptuel, un raisonnement par analogie, ne tenant
pas compte d’une approche interdisciplinaire, il passe de l’escalade violente
entre deux coqs, puis entre deux garçons, enfin entre deux Etats.
Face à l’empire des gênes on trouvera en fait la loi du milieu (voir ci-dessous B,
3° a), c’est à dire des théories sur l’agressivité acquise, et non pas l’agressivité
innée comme le prétend Lorenz et d’autres avec lui.
3- Les autres analyses extra-historiques des causes des violences
Ces analyses se déploient tous azimuts avec cependant ce point commun très
fort souligné dès le départ : ces causes sont inscrites dans une fatalité en dehors
de l’histoire.
a) Des interventions de l’au-delà. Un auteur comme Joseph de Maistre, dans «
Les Soirées de Saint-Pétersbourg » (1830), affirmait que la guerre avait pour
cause la « volonté divine vengeresse », Dieu se venge de l’injustice que les
hommes ont commise en oubliant que la vie est un don sacré. Ce dieu vengeur
est ici loin d’un dieu d’amour auquel d’autres croient.
On trouve aussi, en particulier dans certaines religions, le Diable c’est à dire
l’esprit personnifiant le mal, diable associé à trois figures : le Serpent de la
Genèse, l’Ange révolté déchu puis précipité en enfer, et enfin Satan. Le Diable
est considéré comme l’esprit personnifiant le mal, c’est lui qui divise, c’est lui
qui détruit.
Cette idée de vengeance, ou de menace venue d’ailleurs, se retrouve aussi, par
exemple, chez des personnes ou des groupes qui croient que des forces, extra
terrestres, ou cachées sur notre planète, nous gouvernent, nous manipulent, nous
poussent aux violences et en particulier aux guerres.
b) Les violences cosmiques.La source des violences en général et des guerres
en particulier se trouve dans l’univers. Le cosmos est violent dans ses origines,
avec le Big Bang initial, et dans son histoire, avec des chocs gigantesques entre
galaxies, entre étoiles, ainsi des mondes meurent et naissent. L’homme est
violent parce qu’il est à l’image de l’univers dans lequel il se trouve.
Ce raisonnement par analogie déduit d’une évolution astrophysique,
incommensurable dans l’espace et le temps, une condition inéluctable pour
l’humanité. Cependant l’humanité est liée à de multiples données qui ne sont pas
seulement physiques, elle est limitée dans l’espace et le temps, deux réalités qui
ne sont pas comparables.
Il y a cependant deux séries d’hypothèses scientifiques qui peuvent concerner
les êtres humains. D’une part la disparition physique totale de la Terre qui
entraînerait aussi celle de tout le vivant. Des astrophysiciens ont établi une
dizaine de scénarios, par exemple sa disparition dans un trou noir. Ces
hypothèses ont quelque chose d’extra historique dans la mesure où elles sont
imprévisibles dans l’espace et le temps et dans la mesure où la fatalité de la
disparition, à partir d’une cause extérieure à l’humanité, serait telle qu’aucun
contre- mécanisme pour l’en empêcher ne serait possible.
D’autre part, seconde série d’hypothèses, la menace de la disparition d’une
partie du vivant. Ainsi sont étudiées, par exemple, les trajectoires d’astéroïdes
qui se rapprocheraient de la Terre et pourraient éventuellement la heurter. Ces
hypothèses de violences extrêmes sous forme de catastrophes ont quelque chose
d’historique pour au moins trois raisons. D’abord elles se sont déjà produites, en
particulier il y a 360 et 65 millions d’années, ensuite on avance dans ces
prévisions en soulignant même les jours ( !) des risques les plus grands de
collision, enfin on peut les combattre, jusque à un certain degré bien sûr, degré
au delà duquel l’humanité serait impuissante et dans la prévention et dans la
réparation des effets apocalyptiques.
c) La lutte des contraires.Héraclite d’Ephèse, dans ses « fragments » (500
avant J.C) cités par divers auteurs (voir par exemple « Héraclite et la philosophie
», Kostas Axelos , éditions de minuit, 1962), faisait du Feu le principe d’un
univers en perpétuel devenir.
Contrairement à Parménide pour lequel « tout demeure », il pensait que « tout
devient ». Le moteur de ce devenir c’est la lutte des contraires, « chaque réalité
n’existe qu’en s’opposant à son contraire », ainsi le jour la nuit, la paix la
guerre…Le conflit serait donc le père de toutes choses et la condition nécessaire
du devenir.
Cette pensée a une force impressionnante. C’est elle qui a inspiré à la fois
l’idéalisme et le matérialisme, deux courants de pensée opposés.
L’idéalisme (Hegel) selon lequel au début il y a l’être qui ne se pensait pas et
qui, pour se penser, se donne son contraire, la matière dont il triomphera enfin.
Le matérialisme (Marx) selon lequel çà n’est pas l’esprit qui se donne son
contraire, ce sont les hommes qui ont produit l’aliénation imposée par les
dominants et l’histoire des hommes c’est celle des luttes de libération.
On voit donc que la lutte des contraires peut être interprétée extra
historiquement ou, au contraire, historiquement. Dans cette dernière façon de
concevoir le réel est-ce que ce ne sont ici et là des luttes de contraires -et
lesquels ?- que l’on retrouve dans différentes violences ? Comment les dépasser
?
d) Le désir de l’autre, menace permanente et indépassable.Friedrich Hegel,
dans « La raison dans l’histoire »(1830), montre la fécondité des contradictions,
elles permettent le devenir de l’univers et celui de l’histoire humaine. Or
l’histoire humaine est fondée sur la conscience vers la liberté, cette conscience
est avant tout désir, c’est ce désir qui est source de violence, on cherche à nier
l’autre pour ne pas être nié par lui. Une lutte violente s’engage pour être reconnu
par l’autre, le désir de l’autre me menacera toujours . « Nous sommes
condamnés à être violents», la violence et la guerre sont des moteurs
indépassables de l’histoire.
Dans cette vision ne peut-on pas dire que tout a une histoire… sauf ce qui est au
fondement de l’histoire ? En ce sens on a voulu ici inscrire cette pensée dans les
analyses extra historiques, avec pour marque ce poids insurmontable de la
fatalité.
Dans cette analyse on est également loin de l’altérité. Où sont les fraternités
vécues, les solidarités passées, présentes et à venir ?
B- Les analyses historiques des causes des violences
Nous poserons les mêmes questions que dans le développement précédent :
quels sont leurs caractères communs(1) ? Quelles sont les analyses historiques
les plus fréquentes(2) ? Quelles sont les autres analyses historiques(3)? Nous
terminerons par un exemple, celui des analyses historiques des causes des
totalitarismes, systèmes de violences gigantesques (4).
1-Les caractères communs des analyses historiques des causes des violences
On retrouve les trois éléments opposés ici à ceux des analyses extra historiques.
a) Ces analyses sont dans l’histoire humaine, c’est à dire qu’elles ont des
causes qui sont liées aux périodes de l’histoire, aux types de sociétés, aux êtres
humains. Les violences en général et les guerres en particulier sont des
phénomènes variables selon les époques, les sociétés, les personnes.
b) Dans ces analyses les violences en général et les guerres en particulier
sont considérées comme des phénomènes modifiables, pouvant être dépassés .
Certaines violences peuvent s’amplifier, d’autres apparaître, d’autres devenir
plus rares ou disparaître. La fatalité n’existe pas, nous pouvons sortir de
nombreuses violences (voire de la violence ?), nous pouvons « inventer la paix
».
c) Ces analyses ont de nos jours un poids beaucoup plus important que les
analyses extra historiques.Les analyses économiques sont particulièrement
présentes dans une société productiviste mondialisée. L’ensemble des analyses
montre une variété plus grande que les précédentes ce qui appelle à de
nombreuses luttes et, aussi, à des stratégies communes pour regrouper des
forces.
2- Les analyses historiques les plus fréquentes des causes des violences : les
analyses économiques.
Ces analyses sont les fruits de multiples disciplines, en particulier
philosophiques, sociologiques, économiques. Rappelons que les économistes
classiques (Adam Smith,« Recherches sur la nature et les causes de la richesse
des nations »(1776), et David Ricardo « Des principes de l’économie politique
et de l’impôt »(1817), pensent que la liberté du commerce conduit vers la paix
universelle, la guerre n’est pas un phénomène économique, le marché et la
croissance se situent dans « l’hypothèse normale de la paix. » Et pourtant les
analyses économiques de la violence ont été et sont nombreuses.
a) La propriété.Jean-Jacques Rousseau, dans « Discours sur l’origine de
l’inégalité parmi les hommes »(1758), pense que tous les malheurs viennent de
la propriété. Le passage est célèbre : « Le premier qui ayant enclos un terrain
s’avisa de dire « ceci est à moi » et trouva des gens assez simples pour le croire
fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres,
de misères et d’horreurs n’eut point épargné au genre humain celui qui,
arrachant les pieux ou comblant le fossé, eut crié à ses semblables : « Gardezvous
d’écouter cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont
à tous et que la terre n’est à personne ! »
Intuition de génie à l’heure où le patrimoine mondial de l’humanité a tant de mal
à émerger face aux souverainetés étatiques, face à la dégradation écologique
d’un productivisme prédateur, face à course en avant de générations présentes
hypothéquant l’environnement qui conditionne la vie et la santé des générations
futures.
b) La propriété privée des moyens de production, les antagonismes de
classes, et de nouveaux débouchés pour le capitalisme.Karl Marx, dans « Le
capital »(1867), distingue, contrairement à Rousseau, plusieurs types de
propriétés : la propriété permise par le travail indépendant, l’appropriation
capitaliste de la propriété privée, et « la propriété socialiste enfin qui rétablit non
la propriété privée du travailleur mais sa propriété individuelle fondée sur la
possession commune de tous les moyens de production car ce qui est à tous est à
chacun. »Marx pense que la propriété privée des moyens de production est une
violence à l’origine de la plupart des autres violences. « L’appropriation
capitaliste vient d’un vol, on a enlevé au travailleur le fruit de son travail. »
Après l’appropriation des esclaves, des terres, voilà celle du capital , capital
industriel, capital financier.
Pour Marx et Engels la guerre s’explique par des antagonismes économiques et
par des manoeuvres de diversion dans le cadre de la lutte des classes.
Depuis Marx la guerre est analysée par des marxistes comme permettant de
créer de nouveaux débouchés. Le capitalisme, pour préserver ses taux de profit,
établit des stratégies économiques, sociales, idéologiques, militaires, porteuses
de multiples violences.
D’autres marxistes insistent sur le fait que la guerre va permettre de redonner
force aux ressorts de l’exploitation capitaliste en faisant taire le refus de cette
société productiviste, c’est l’union sacrée contre l’ennemi.
c) La rareté liée à un manque de ressources et à une mauvaise répartition
des richesses.Parmi les auteurs soutenant cette thèse on trouve des économistes,
des sociologues mais aussi des philosophes, ainsi Jean-Paul Sartre, dans «
Critique de la raison dialectique »(1967), pense que la rareté est un fondement
premier de la violence, « la rareté quelque soit sa forme, domine toute la praxis.
» Il n’y a pas assez de ressources pour les besoins, cette rareté a cassé la
réciprocité des hommes au travail.
Mais nous ne sommes pas condamnés à la violence, l’histoire et les hommes
peuvent la surmonter. Les ressources sont inégalement réparties, nous ne
sommes pas soumis à la fatalité, la répartition des richesses est vitale.
Soulignons qu’aujourd’hui s’ajoute une manifestation de la rareté qui n’existait
pas, elle est liée, bien sûr, à la dégradation mondiale de l’environnement.
Ajoutons aussi qu’il est nécessaire et possible de partager des avoirs, des
pouvoirs, des savoirs. Ce partage se fait à travers des rapports de forces. Nous
pensons que les dominants ne partagent que rarement d’eux-mêmes. Ils ne le
font que si les dominés les y contraignent ou alors s’ils arrivent à avoir une
conscience assez vive d’un intérêt général vital.
d) L’injustice, matrice de nombreuses violences.Des mouvements de
libération, des représentants de pays et de peuples dominés, des ONG, des
organisations internationales et régionales, des mouvements sociaux, les alter
mondialistes, le mouvement des indignés, d’autres encore, ont dénoncé et
dénoncent de multiples injustices criantes.
Très nombreux ont été et sont également les auteurs, dans de multiples
disciplines, qui ont critiqué les situations d’injustice aux différents niveaux
géographiques, en particulier dans les « pays du tiers-monde » puis dans les «
pays du Sud ».
Parmi eux citons Helder Camara, évêque brésilien connu pour ses luttes contre
la pauvreté, qui, dans « La spiracle de la violence »(1975), affirmait que « les
violences premières » sont la faim, la misère, l’absence d’accès à l’eau potable,
« ce sont des injustices structurelles », des structures d’oppression.
Voilà ici une des idées, une des réalités les plus fortes qui saute aux yeux pourvu
qu’on les ouvre : un nombre gigantesque de violences personnelles et collectives
a pour terreau des injustices.
Si l’on veut une synthèse des inégalités mondiales porteuses de violences
structurelles on peut se reporter au passage relatif à ces inégalités sur ce même
blog à l’article intitulé « les contenus des violences » ou aussi à la rubrique sur
la justice à l’article intitulé « Les inégalités dans le monde », inégalités globales
et particulières.
Le sens commun exprime d’ailleurs les liens entre inégalités et violences par
exemple dans un sondage (rapporté dans Le Monde, du 1-12-2011,sondage
Ipsos effectué les 18 et 19–11-2011, pour le Conseil économique, social et
environnemental ), à la question « Parmi les propositions suivantes qu’est-ce qui
selon vous menace le plus aujourd’hui la capacité de bien vivre ensemble en
France ? » les réponses étaient les suivantes, avec un pourcentage supérieur à
100% puisque deux réponses étaient possibles : arrivait nettement en tête
l’accroissement des inégalités sociales 43%, venaient ensuite la crise
économique et financière 39%, les extrémismes religieux 26%, l’individualisme
25%, les extrémismes politiques 12%, le repli communautaire 9%, le fossé entre
les générations 5%, ne se prononcent pas 3%.
Enfin, bien sûr, les idées et les pratiques non-violentes sont ici présentes : La
Boétie, Thoreau, Gandhi et d’autres non-violents l’affirment : la force des
injustices repose sur l’obéissance.
Une pensée de Amartya Sen (voir sur ce blog les articles relatifs à la justice)
résume bien un sentiment profond que l’on peut avoir : « Qu’est-ce qui devrait
nous tenir éveillés la nuit ? Les tragédies que nous pouvons empêcher. Les
injustices que nous pouvons réparer. »
e) La compétition économique. John Galbraith, économiste américain, dans «
Le nouvel Etat industriel »(1967), montre en particulier que beaucoup de guerres
ont été et sont liées au contrôle des matières premières, ainsi par exemple le
pétrole. Ces guerres sont « des formes extrêmes de la concurrence industrielle ».
Cet auteur dénonce la production de guerre comme étant « un gaspillage
nécessaire qui permet la justification des dépenses d’armements et la poursuite
de la course au profit ».
La compétition peut être un des ressorts du nationalisme lequel en appelle à la
domination sur d’autres pays voire à la haine d’autres peuples.
De façon plus globale le Club de Lisbonne, animé par Riccardo Petrella, dans «
Les limites à la compétitivité »(2005), dénonce « l’évangile de la compétition »,
mais « la bonne nouvelle » n’existe que pour les gagnants, la machine à gagner
devient de plus en plus une machine à exclure, elle est donc productrice de
violences.
On retrouve cette opposition fondamentale entre ceux et celles ( de loin les plus
nombreux avec une véritable « colonisation des esprits ») qui pensent que la
compétition est naturelle, qu’elle est saine, bonne, nécessaire , et ceux et celles
(moins nombreux, mais quelque chose de minoritaire n’est pas faux pour
autant…c’est simplement minoritaire) qui pensent que la compétition est un
produit de l’histoire, qu’il y a des compétitions liées aux périodes et aux
sociétés, que les solidarités et les coopérations peuvent et doivent l’emporter
face aux périls communs qui s’appellent la débâcle écologique, les armes de
destruction massive, les inégalités criantes, la techno science et les marchés
financiers non remis à leurs places
.f) La conjugaison de facteurs économiques dans de nombreux conflits
armés contemporains.Le plus souvent se conjuguent quatre facteurs :
En premier lieu la pauvreté des populations qui les pousse à revendiquer
l’amélioration de leurs conditions de vie, le pouvoir répond par des répressions
et peut en arriver à installer la terreur les victimes recourent à la contre-violence
pour se faire entendre, la guerre civile s’installe.
En second lieu le contrôle des matières premières peut être une cause
profonde de l’apparition d’un conflit à travers les processus suivants : voilà un
pays riche en matières premières ou en une matière première considérée comme
essentielle par le productivisme (pétrole, uranium, or, ou diamant…) vitales
écologiquement (eau) ,ce pays a une population pauvre, des groupes sociaux
essaient de contrôler ces matières premières pour devenir plus puissants, une
partie de la population pauvre peut aussi réagir, interviennent également des
pays extérieurs qui ont pour objectif de garder ou de prendre le contrôle de ces
matières premières.
En troisième lieu la course aux armements contribue à pousser aux guerres :
des détentions et des livraisons d’armements aggravent des tensions, entravent
des règlements pacifiques de différends, poussent à transformer le différend en
conflit armé, et réciproquement les guerres poussent à la course aux armements.
Pauvreté des populations, contrôle des matières premières et course aux
armements peuvent alimenter des nationalismes et réciproquement. Or le
nationalisme, entreprise de domination, pousse souvent à de nombreuses
violences par exemple xénophobes, il peut être aussi un des chemins qui conduit
à la guerre.
3- Les autres analyses historiques des causes des violences
Ces théories sont nombreuses, essentielles, souvent complémentaires.
a) L’agressivité acquise.Il s’agit d’un ensemble de réponses aux analyses
relatives à l’agressivité innée de la nature humaine, en particulier à la fatalité
biologique. Les auteurs sont ici très nombreux, nous soulignerons simplement
les analyses principales.
Mélanie Klein, psychanalyste britannique, pionnière de la psychanalyse des
enfants, dans « Essai de psychanalyse »(1920), découvre chez le nourrisson
l’existence de l’agressivité à travers « une imagination féroce, des fantasmes de
toute-puissance et de dévoration ». Selon elle, la vie imaginaire du nourrisson
est faite d’amour et de haine à l’égard de sa mère qui lui donne le sein et le lui
refuse. Klein montre que les fantasmes destructeurs sont refoulés, que l’amour
prend la place de la haine.
Margaret Mead, anthropologue américaine, dans « Moeurs et sexualité en
Océanie »(1950), montre que, sur un même territoire, des civilisations voisines
peuvent produire des conduites très différentes à travers un véritable « modelage
de l’enfant ». Ainsi, par rapport à l’agressivité, des enfants qui auront été
souvent proches des bras de quelqu’un seront moins agressifs que ceux d’autres
tribus qui auront au départ une vie plus hostile.
Erich Fromm, psychanalyste américain d’origine allemande, dans « La passion
de détruire »(1975), affirme qu’aucune donnée significative en psychologie
animale, en neurophysiologie, en anthropologie, ne confirme une agressivité
innée, montre que la destructivité n’est pas une pulsion instinctive, qu’elle n’a
pas de racines biologiques mais qu’il s’agit d’une « passion liée à la socio
culture. »
Simone de Beauvoir, dans «Le deuxième sexe »(1949), grand ouvrage
contribuant à ouvrir des « chemins de la liberté », affirme en particulier que,
généralement, si le garçon est plus agressif, cela tient au fait que, depuis son
enfance, on lui a répété qu’il était courageux de se battre et on a fait comprendre
à la fille qu’elle devait être tendre et soumise.
Henri Laborit, biologiste, dans « La nouvelle grille »(1974) et au congrès
international de criminologie de Montréal en 1977, affirme que l’agressivité
prédatrice fondée sur la faim est l’exception chez l’être humain, c’est
l’agressivité de compétition qui est la plus fréquente, elle est le produit d’un
apprentissage basé sur les concurrences, les hiérarchies, les soumissions. Même
la défense du territoire et la propriété ne reposent pas sur des instincts innés ou
sur des gènes, ce sont des comportements qui peuvent être transformés par la
socio culture, ainsi on peut apprendre des répartitions équitables de territoires,
de biens, de personnes.
Enfin « Le Manifeste de Séville »(1986) est un appel lancé dans le cadre de
l’UNESCO. Il a été écrit par une vingtaine de personnalités scientifiques
(psychanalystes, sociologues, politologues, éthologues, biologistes…) qui
affirment d’abord que « les animaux ne font pas la guerre », contrairement aux
êtres humains qui ont cependant une culture qu’ils peuvent faire évoluer dans le
sens de la solidarité. Ces auteurs du Manifeste affirment ensuite « il est
scientifiquement incorrect de dire que la guerre est un phénomène instinctif ou
qui dépend de nos gênes même si les ceux-ci ont une certaine influence sur notre
manière d’agir, mais c’est l’influence de la socio culture qui est déterminante.»
Le Manifeste de Séville se termine en soulignant que « la guerre et la violence
ne sont pas des fatalités biologiques »(…) « Nous pouvons inventer la paix . »
b) La soumission à l’autorité.Ces analyses sont nombreuses, nous choisirons
les principales en insistant sur le fait que cet élément est soit essentiel soit
important dans les objections, les insoumissions, les révoltes, les
révolutions…Un des exemples les plus gigantesques de ces dernières décennies
est celui des révolutions des peuples de l’Est de 1989, exemple particulièrement
réussi de non-violence massive, un autre exemple d’ampleur importante a été
celui du printemps de peuples arabes de 2011.
Etienne de la Boétie, grand ami de Montaigne, dans « Le discours de la
servitude volontaire »(1550), met en avant l’idée selon laquelle si l’on ne
soutient plus les dictateurs leurs pouvoirs s’effondrent. « Si on ne donne rien, si
on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits,
ils ne sont plus rien, sinon que, comme la racine, n’ayant plus d’aliment, la
branche devient sèche et morte. » Il faut donc retirer son appui au tyran : «
Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le
poussiez ou l’ébranliez mais seulement que vous ne le souteniez plus et vous le
verrez comme un grand colosse à qui se dérobe sa base, de son poids même,
fondre en bas et se rompre. » Ainsi il y a bien sûr la capacité de violence des
régimes autoritaires mais il y a aussi et surtout la capacité de soumission des
opprimés qui sont prisonniers de leurs peurs. Cet auteur de ce grand ouvrage est
l’un des inspirateurs des théories et des pratiques de la non-violence qui ont vu
le jour par la suite.
Hannah Arendt, philosophe américaine d’origine allemande, auteur de « Les
origines du totalitarisme » (1951), en commentant plus tard le procès d’un haut
dirigeant nazi (Eichmann), réaffirme que le processus d’obéissance est
fondamental dans le totalitarisme, même le haut-fonctionnaire est préoccupé
d’obéir aux ordres, « je n’ai fait qu’obéir aux ordres » diront de nombreux nazis
pour leur défense.
Le procureur du Tribunal de Nuremberg répondra en disant magnifiquement et
tragiquement : « Vient un moment où il faut désobéir aux ordres et obéir à sa
conscience ».
Wilhem Reich, médecin, psychanalyste autrichien, dans « Psychologie du
fascisme »(1933), affirme qu’il n’y a pas que les pouvoirs des dominants, les
opprimés jouent aussi un rôle important dans leur soumission. Le fascisme
nivelle les individus et réveille les liens affectifs familiaux dans une soumission
au père autoritaire, le dictateur. Cet auteur dénonce en particulier l’éducation
répressive du point de vue sexuel et, d’une façon générale, il en appelle à
l’autonomie et à l’esprit critique dans l’éducation dès le plus jeune âge .
Gérard Mendel, psychanalyste, dans « Pour décoloniser l’enfant » (1977),
affirme « qu’un enfant conditionné donnera vraisemblablement un adulte aliéné
». « Il se soumettra plus facilement aux Grands, au Père de la Nation, à l’Etat. »
Mendel pense qu’obéir n’est pas forcément se soumettre.
Il faut distinguer, souligne-t-il, entre l’obéissance et la soumission à l’autorité.
On peut obéir par consentement volontaire et éclairé. Dans la soumission
passive à l’autorité c’est la volonté de l’autre que l’on exécute.
Stanley Milgram, psychosociologue américain, dans « La soumission à l’autorité
»(1974), a étudié les effets de la punition sur l’apprentissage, l’expérience est
d’ailleurs reconstituée dans le film « I comme Icare ».La punition consistait en
décharges électriques administrées par des volontaires recrutés par petites
annonces, décharges envoyées à des compères de Milgram. Cet auteur démontre
que « 60% à 85% des personnes, en situation d’autorité, sont prêtes à torturer
leurs semblables » !
Ce que l’expérience de laboratoire permet de prouver scientifiquement, l’histoire
et en particulier les guerres se chargent de le montrer à travers d’horribles et
multiples réalités. Plus on est intégré dans une structure plus on s’en dégage
difficilement, L’obéissance peut ainsi être pourvoyeuse de violences. Il existe un
double mécanisme : on s’en remet aux chefs donc on atténue son sentiment de
culpabilité et on nie la souffrance de la victime, on dévalorise la victime que
l’on peut même qualifier de « sous-homme. »
Face à des ordres criminels ou terriblement injustes on peut être amené à obéir
aux chefs et à désobéir à sa conscience. C’est au sursaut de la conscience qu’il
faut en appeler, dire non c’est alors vouloir rester humain.
c) Le mécanisme de transgression du sacré.Georges Bataille, dans «
L’érotisme »(1957), pense que les interdits ont pour objectif d’éloigner les
hommes des puissances sacrées, d’opérer une séparation entre le monde sacré,
symbolisé par l’interdiction de l’inceste et du meurtre, et le monde profane,
symbolisé par le travail. Ce sont les transgressions qui vont relier les hommes au
sacré, ces transgressions s’appellent la fête, l’orgie, la guerre.
Roger Caillois, dans «L’Homme et le Sacré »(1938), qualifiera la guerre de «
fête noire du monde moderne », elle va remplir le rôle que ne joue plus la fête,
c’est un défoulement collectif, une sorte d’ agression sexuelle collective.
Mais si transgression et défoulement dans la guerre commencent quelquefois par
« la fleur au fusil » l’une et l’autre basculent vite dans une somme de
souffrances terrifiantes.
d) Le désir mimétique et le mécanisme victimaire.René Girard, dans « De la
violence à la divinité »(2007), qui réunit quatre de ses ouvrages, en particulier «
La violence et le sacré » (1972), « Bouc émissaire »(1982), met en avant
d’éclairants instruments d’analyse qui « ne sont pas des idées philosophiques,
des concepts sociologiques. Ce sont des rapports humains très simples. » Il
s’agit du « désir mimétique » et du « mécanisme victimaire. »
Le désir est copié sur un autre désir, il est « mimétique », il y a un sujet désirant,
un autre sujet désirant à imiter, un objet désiré. Le ressort du conflit s’appelle la
concurrence « rivalitaire », chacun désire ce que désire autrui. Apparaît ainsi les
cycles des jalousies, des haines et des vengeances. Se laisser prendre par ces
concurrences religieuses, nationales, idéologiques, voilà qui va multiplier les
violences…L’escalade de la jalousie, l’escalade des « comparaisons venimeuses
», celle aussi des représailles, accompagnent la mondialisation.
De nos jours la violence mimétique s’étend sur la planète, et, souvent au nom
de la religion, elle s’exerce en particulier contre l’Occident qui a produit cette
mondialisation.
Les sociétés dites primitives pensaient que les puissances divines qui nous
donnent la vie peuvent aussi à tout moment la retirer. Le sacré a une double face
: il est vénéré parce qu’il fait vivre, il fait peur parce qu’il tue. Il existe donc une
violence fondatrice du sacré puisque ces puissances divines provoquent en nous
des pulsions de vie et de destruction. Ainsi « la violence et le sacré sont
inséparables.»
Les cultures archaïques ont ainsi cherché à domestiquer la violence en faisant
appel au religieux, c’est le sacrifice qui va servir d’exutoire temporaire. Dès les
sociétés primitives c’est pour se protéger des désirs de destruction qui rendent à
tout moment possible la violence réciproque, oeil pour oeil, dent pour dent, que
les hommes ont inventé « la violence unanime du sacrifice qui les réconcilie aux
dépens d’une victime émissaire ».Le mécanisme a fonctionné contre des
animaux, des personnes, des groupes, des peuples, des Etats. C’est le « tous
contre un.» On veut arrêter la violence par la violence. Ce mécanisme a été mis
en oeuvre de façon terrifiante à travers différentes périodes.
Loin de s’arrêter la violence a proliféré, le mécanisme est en train de se casser,
parce que les transcendances ne sont plus ce qu’elles étaient, parce que nous
commençons à comprendre que nous sommes les acteurs de violences à travers
par exemple des injustices planétaires, parce que l’utilisation d’armes de
destruction massive, sortes de formes de violences sacralisées, peuvent faire
disparaître les ennemis mais aussi ceux qui les emploient.
René Girard pensait qu’il faut rompre avec le sacrifice d’autrui quelle que soit
la cause avancée. Il faut rompre aussi avec le sacrifice de soi, désir de se
sacraliser qui n’a rien à voir avec les risques que l’on peut prendre pour
combattre une violence en donnant place à la vie.
e) Le consentement à la violence.Marc Crépon, dans « Le consentement
meurtrier »(2012),pense que nous avons conscience des scandales de la faim, de
la misère, des inégalités, nous savons aussi que des intérêts économiques,
financiers, militaires, par exemple à travers les ventes d’armes, entretiennent des
situations de violences. « « Le consentement » qui en résulte peut donc être
tacite, négligent, oublieux, il est d’autant plus fort que les violences sont
lointaines, il signifie déjà une forme de résignation à la violence.
Pour cet auteur les « voies de dégagement » s’appellent la révolte, la bonté, la
critique, la honte.
Primo Levi dans « Si c’est un homme », témoignage poignant sur l’horreur des
camps nazis, écrit : « Il nous reste encore une ressource et nous devons la
défendre jusqu’au bout parce que c’est la dernière : refuser notre consentement.
»
Il est important de renvoyer ici à une autre analyse, celle des non violents qui en
appellent à la résistance active, la non-violence est aussi un refus de la
résignation et de l’indifférence.
f) La spirale du ressentiment et de la colère.Peter Sloterdijk , dans « Colère et
temps » (2007),pense que la colère est une « force fondamentale dans
l’écosystème des affects ».
Considéré comme « un penseur de l’impulsion » (voir les articles de Jean
Birbaum en ce sens dans Le Monde du 23-11-2007) il affirme qu’autrefois la
colère des exclus et des humiliés trouvait des exutoires, ainsi l’Eglise chrétienne
puis l’Internationale communiste constituaient de véritables « banques de la
colère », et selon l’auteur l’islamisme prend le relais.
En effet, affirme-t-il, d’une part il y a l’Occident qui a mondialisé la planète et
qui fait l’objet de toutes les colères, d’autre part il y a des groupes qui exploitent
la colère universelle accumulée, ces groupes n’offrant « qu’une mystique du
combat, une religion du suicide. »
Trois critiques peuvent être faites à cette analyse. D’abord la géopolitique du
ressentiment peut expliquer une partie des violences (certaines guerres et
certains terrorismes) mais n’épuise pas le champ immense d’autres formes de
violences. Ensuite en amont de la colère on retrouve un facteur qui explique
nombre de ressentiments, il s’agit des inégalités criantes et mortelles de notre
monde. Enfin et surtout l’auteur affirme que « même si toutes les questions
sociales étaient résolues, la dimension de l’orgueil et de l’ambition demeurerait
», nous pensons au contraire que si nombre d’inégalités disparaissaient nombre
de violences disparaîtraient aussi, et que l’orgueil serait probablement pour une
large part asséché par une compétition qui se tarirait.
g) La paranoïa et la dépression collectives. Franco Fornari, psychanalyste
italien, dans « Psychanalyse de la situation atomique »(1972), rattache l’histoire
collective à l’histoire individuelle.
Il peut arriver qu’une enfance amène soit à une position paranoïde, c’est à dire
que le sujet veut se sauver en détruisant l’objet par lequel il se sent détruit, soit à
une position dépressive, c’est à dire que le sujet veut sauver l’objet aimé au
point de se sacrifier.
Fornari pense que la position paranoïde amène à déclarer la guerre et que la
position dépressive amène à l’accepter.
L’auteur explique aussi que « l’on confie sa propre violence à l’Etat qui la
capitalise pour la transformer en armes de terreur », les armes de destruction
massive seraient donc un reflet de nos peurs d’un autre qui, à travers les
propagandes, va être qualifié d’ennemi.
Un des points forts de cette analyse nous parait être la fabrication de l’image de
l’ennemi qui nourrit le nationalisme et ses dominations.
h) Des idées dont certains usages peuvent être meurtriers.Marc Crépon, dans
« Les Géographies de l’esprit »(1996) et dans « Le consentement meurtrier
»(2012) (évoqué plus haut dans « le consentement à la violence ») interroge les
identités et l’intolérance.
Ainsi mettre en avant les identités des peuples n’est-ce pas préparer des
exclusions, des conflits, des guerres ? « Fracturer le genre humain » n’est-ce pas
là une source profonde de violences possibles ?
« Il y a des idées qui finissent par tuer. La nation, la patrie, l’identité, la sécurité
sont des concepts dont les usages peuvent s’avérer extrêmement meurtriers. »
L’auteur en appelle à la philosophie qui est de « remettre de la vigilance critique
dans l’usage indu qui peut être fait de ces représentations.»
Nous pensons, pour notre part, que l’on doit articuler les différents lieux de vie :
ainsi le village, la ville, la région ce sont nos terroirs, le pays c’est notre patrie,
le continent c’est notre « matrie », la Terre c’est notre foyer d’humanité.
Il faut que chaque lieu puisse vivre et qu’il respecte les autres, tout cela en se
fondant sur des luttes pour la démocratie, la justice, l’écologie et la paix . Plus
facile à dire qu’à faire…
i) La peur de la mort.Jacques Sémelin, dans « Pour sortir de la violence
»(1983), avance une des analyses les plus profondes.
Au commencement de la violence, pense-t-il, il y a l’angoisse de mort. « Plutôt
que de reconnaître que la mort fait partie de la vie nous préférons l’affronter sur
celui que nous déclarons être notre ennemi. » On le tue, c’est la mort réelle, on
refuse de le reconnaître, on le ramène au rang d’objet, on le méprise, c’est la
mort symbolique.
Ainsi « la violence est une grande illusion de l’homme : en tuant l’ennemi il
croit se sauver de la mort. » La guerre correspond à « Ta mort c’est ma vie »,
mais avec les armes de destruction massive elle signifie plutôt « Ta mort c’est
ma mort » dans la mesure où ces armes peuvent faire disparaître tout le monde.
Il existe donc des liens entre peurs et violences, la peur de tel ou tel autre peut
amener la violence, le déploiement de la violence peut amener la peur.
Ainsi essayer de « changer notre rapport à la mort c’est changer notre rapport à
la paix, au pouvoir, à la violence ». Il faudrait arriver à une équation selon
laquelle « Ta vie c’est ma vie.»
Cette analyse profonde ne devrait-elle pas voir le jour ou se développer dans
de nombreux enseignements et lieux d’éducation ?
j) Le dérèglement du conflit.Mohandas Gandhi, dans « Tous les hommes sont
frères », écrits publiés en 1969 longtemps après sa mort, et de nos jours par
exemple Jean-Marie Muller, dans « Stratégie de l’action non-violente »(1972),
François Vaillant dans « La non-violence »(1991), de même Jacques Sémelin
cité ci- dessus, considèrent la violence comme correspondant à un dérèglement
du conflit.
Un moyen de résolution du conflit n’était pas prévu, ou n’était pas adapté, ou
n’a pas été utilisé ou a été mal utilisé.
On a eu affaire à une violence d’oppression par laquelle le plus fort a imposé sa
loi et/ou à une violence de soumission par laquelle le plus faible à renoncé à
quelque chose d’essentiel pour lui.
Au contraire la résolution non-violente du conflit va reposer sur au moins quatre
éléments : trouver ensemble, dans le respect des personnes, dans la
confrontation des idées, des solutions justes.
k) Des analyses démographiques, sociologiques, politiques des causes des
violences.
Une analyse démographique est connue. C’est celle de Gaston Bouthoul qui,
dans « La paix »(1960), dénonçait, parmi les causes de certaines guerres, la
recherche d’un espace vital et la pression d’une surpopulation, la guerre permet
alors de sacrifier un « excédent de jeunes ».La guerre, disait-il, est un «
infanticide différé », le véritable désarmement doit être démographique.
Une analyse sociologique, elle aussi connue, consiste à affirmer que certaines
guerres deviennent des éléments de contrôle de tout désaccord social jugé
dangereux. Ces guerres vont assurer une certaine cohésion sociale, comment ?
Par une « union sacrée » face à l’ennemi.
Une analyse politique est ici classique, on affirme que la possibilité permanente
de recourir à la guerre est un fondement possible de la stabilité des
gouvernements, la menace de la guerre contribue à l’acceptation par tous de
l’autorité politique dans la mesure où elle constitue un moyen d’assurer la
subordination des citoyens à l’Etat.
l) Une tentative d’analyse globale de l’apparition de la guerre.Max Escalon
de Fonton, historien, dans un article du journal Le Monde ( 7 février 1979),
faisait l’analyse suivante : ce sont des causes climatiques, économiques et
démographiques qui ont fait apparaître la guerre.
En effet des origines lointaines jusque vers 5000 avant notre ère, les êtres
préhistoriques n’auraient pas connu la guerre, les chasseurs étaient paisibles, les
tombes retrouvées n’ont pas de traces de conflits armés.
Ensuite la Terre se réchauffe passant de 6° vers 15000 à 11° vers 8000, l’herbe
pousse vers 5000, des espèces herbivores se multiplient, on fait de petites
récoltes, on les surveille, l’agriculture est inventée, les grottes sont abandonnées,
des villages naissent, la propriété apparaît.Des réserves sont faites pour les
mauvais jours, des récoltes sont parfois prises chez les voisins. Vers 4000 arrive
une petite explosion démographique et, par la suite, on trouve des traces
d’enfants et de femmes assassinées dans des tombes datant de 3000-2000 avant
notre ère. Voilà donc une façon d’articuler ces trois séries de causes de
l’apparition des conflits armés.
4-L’exemple des analyses historiques des causes des totalitarismes, systèmes
de violences gigantesques
Les totalitarismes du XXème siècle ont été le nazisme c’est-à-dire le régime
politique (« national-socialisme ») en Allemagne de 1933 à 1945,le stalinisme
c’est-à-dire le régime politique( « Républiques socialistes soviétiques ») en
Union soviétique de 1928 à 1953,et le régime politique au Cambodge de 1975 à
1979 (les khmers rouges et le « Kampuchéa démocratique »).
A cela il faut ajouter la période totalitaire sous la Chine de Mao, pendant « la
Révolution culturelle » de 1966 à 1976, et la Corée du Nord de 1948 à nos jours
dont le régime est souvent qualifié de totalitaire dans la mesure, entre autres, où
existent des camps de détention de travail forcé.
Un des points communs de ces régimes est le ciment totalitaire du parti unique
dirigé par le dictateur.
Comment se manifeste cette forme la plus absolue de la dictature(a) ? Quelles
en sont les causes(b) et donc quelles peuvent être les luttes qui empêcheraient
l’arrivée d’un totalitarisme(c) ?
a) Les manifestations du totalitarisme
Partons des analyses de deux grands auteurs, pour en arriver ensuite à l’
évocation des camps de l’horreur.
-Les analyses des manifestations du totalitarisme par deux grands auteurs.
Pour Hannah Arendt, philosophe américaine d’origine allemande qui avait fui
le nazisme, (« Les origines du totalitarisme », 1951)(publié en français: Le
Système totalitaire, Le Seuil,1972), le totalitarisme est le résultat d’un ensemble
d’éléments : une idéologie officielle couvrant tous les aspects de la vie
individuelle et collective, une main mise sur tous les moyens d’information et de
propagande, un isolement de l’individu, « isolé et désolé », par la destruction des
anciennes structures(familles ,syndicats, associations, églises), un parti unique
dirigé par le dictateur, une terreur dont la police politique est un instrument, une
mobilisation de la population dès la petite enfance, enfin, horreur de l’horreur
,des camps de concentration. Donc réduire le totalitarisme au dictateur c’est
faire une analyse incomplète, le totalitarisme c’est un système composé d’un
ensemble d’éléments parmi lesquels le dictateur et le parti unique ont des rôles
essentiels.
Arendt met en avant la convergence entre le nazisme et le stalinisme.
Pour Raymond Aron, sociologue français, (« Démocratie et
totalitarisme »,Gallimard, 1965) le totalitarisme repose sur les éléments suivants
: le monopole de l’activité politique par un parti, l’existence d’une idéologie
monopolistique, le monopole des moyens de force et de persuasion détenus par
ce parti, la subordination des activités à l’idéologie du parti, la terreur politique
et idéologique, les camps de concentration.
Aron en comparant les deux totalitarismes fait une différence : le nazisme est un
« totalitarisme volontaire », l’homme « ne doit pas se donner pour but de
ressembler à une bête de proie, il y réussit trop bien. » Par contre le stalinisme
est un « totalitarisme involontaire », « qui veut faire l’ange fait la bête », les
lendemains radieux annoncés étaient porteurs de présents massacreurs.
–Les manifestations les plus terrifiantes : les camps de l’horreur.
Les nazis éliminaient les juifs, les tziganes, les homosexuels et les handicapés,
les staliniens éliminaient les opposants au régime communiste, les khmers
rouges éliminaient tous ceux qui avaient un capital matériel et/ou intellectuel.
Sous le nazisme la décision de « la solution finale » est prise le 20 janvier
1942 (pour certains historiens en décembre 1941).Dachau(l’ouverture de ce
premier camp est annoncée par Himmler) fonctionnait depuis mars 1933,
Auschwitz dès juin 1940.Le système concentrationnaire comprenait en
particulier 4 camps d’extermination immédiate (Treblinka, Belzec, Chelmno,
Sobidor),2 camps d’extermination et de concentration(Auschwitz-Birkenau avec
au moins 1, 1million de victimes, Madjanek), 14 camps de concentration (
Ravensbruck, Buchenwald, Mauthausen, Dachau… et aussi le seul en territoire
français, Struthof).En marge des centrales concentrationnaires et de leurs
commandos il y avait les camps de transit ou d’internement qui dépendaient du
système et deux camps de représailles pour prisonniers de guerre.
Les historiens , en particulier Raul Hilberg, estiment aujourd’hui que les nazis
ont exterminé 5,1 millions de juifs ( 3 millions dans les camps,800.000 dans les
ghettos,1,3millions massacrés en dehors des camps) et d’autre part 250.000
tziganes,200.000 handicapés physiques et mentaux , 15000 homosexuels, 3,5
millions de prisonniers de guerre soviétiques et 1,1 million de déportés ne
relevant pas des « crimes » précédents. Le Tribunal international de Nuremberg
a estimé le nombre de victimes juives à 5,7millions et a employé le nombre de 6
millions repris par la suite. L’extermination a été celle des deux tiers de la
population juive d’Europe et du tiers du peuple juif dans son entier.
Sous le stalinisme la décision de création du Goulag est du 7 avril 1930, 10 à
19 millions de personnes ont été envoyés dans ces camps de rééducation par le
travail. Les bagnards (les zeks) du Goulag étaient affectés à des chantiers
terrifiants, par exemple creuser la roche à mains nues dans la construction du
canal de la mer Blanche. Le système concentrationnaire était gigantesque, il
comprenait des centaines de camps et 17 camps principaux, parmi les pires les
camps de Magadan, de Kolyma, le plus grand était le Bamlag. Ces camps
étaient synonymes d’arbitraire, de misère, de mort.
Le stalinisme dans son ensemble est responsable d’au moins 25 millions de
victimes, à travers les camps, les purges, les famines organisées (celle terrifiante
d’ Ukraine en 1931-1932 qui fit 6 millions de victimes ! )
Sous les Khmers rouges du 17 avril 1975 ( leur entrée dans Phnom Penh)au 7
janvier 1979 ( l’ arrivée des Vietnamiens au Cambodge), au nom d’une
révolution radicale c’est, en fait, un génocide qui prend la forme d’un monde
concentrationnaire, il s’installe dans le pays avec évacuations des villes,
déportations, famines, oppressions, persécutions, disparitions, centres de
torture… Parmi ces derniers « S-21 », un lycée de la capitale, où sont torturées
et exécutées plusieurs dizaines de milliers de victimes.
On considère que plus du quart de la population a été décimé, en trois ans, huit
mois et vingt jours, soit plus de 2 millions de cambodgiens sur 7 millions. Là
aussi l’horreur de l’horreur.
Telles sont les manifestations de ces formes d’enfer que sont les totalitarismes.
Nous récapitulerons ensuite les analyses des causes du totalitarisme nazi.
b) Les analyses historiques des causes du totalitarisme
Certains affirment que cette forme d’horreur a quelque chose d’impensable.
C’est une façon de dire qu’il y a une limite à penser les causes de telles atteintes
à l’humanité, de ces crimes contre l’humanité, de ces génocides.
Ces analyses peuvent être exclusives les unes des autres mais il est beaucoup
plus cohérent de les articuler les unes aux autres. L’arrivée d’un totalitarisme se
traduit par des mécanismes qui se mettent en marche, nous les soulignerons à
travers le nazisme.
-Une réaction de l’Etat
Une des définitions les plus terrifiante du totalitarisme a été donnée par
Mussolini(discours à la Chambre des députés,26mai1927) « Tout dans l’Etat
rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat ».Dans un autre discours(24mars 1924)il
affirmait déjà «Tout est dans l’Etat et rien d’humain, rien de spirituel n’existe et
n’a tant soit peu de valeur en dehors de l’Etat( …)En dehors de l’Etat pas
d’individu, pas de groupes(partis politiques, associations, syndicats, classes
sociales…) »
Cette réaction de l’Etat se produit, selon certains auteurs, à la suite d’un
effondrement des structures traditionnelles.
Le totalitarisme, disait Hannah Arendt, a besoin « d’individus désolés », au
sens de dépression collective. En 1924 le parti nazi avait 3% des voix, en 1928 il
obtenait 2,6%, donc avant la crise de 1929 il était très minoritaire, or en
septembre 1930 il est à 18,6%, en juillet 1932 il est à 37,3% des voix.
Individus « désolés » : la défaite de la Première Guerre mondiale et les lourdes
indemnités imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles ( juin 1919),
l’hyper inflation qui ravage le pays, le chômage qui explose avec la crise
économique de 1929, il y a 6 millions de chômeurs en 1932, en juillet 1932 le
parti nazi est donc à 37,3%.
Hitler est nommé chancelier en janvier 1933, les partis de droite traditionnels et
démocrates voyaient en lui un agitateur qui serait dépassé par l’exercice du
pouvoir, or les nazis renversent la République de Weimar en six mois, c’est la
dictature. D’autre part les partis de gauche, pourtant puissants, ont sous-estimé
la possibilité pour les nazis d’arriver au pouvoir.
L’Etat nationaliste va se retourner contre d’autres Etats et d’autres peuples qui
sont accusés d’être la source de ses malheurs, à travers la course aux armements
il va conduire à la guerre.
– L’acharnement à l’unité : les dirigeants veulent fondre la société dans le
Même, ainsi pour les nazis la race aryenne est supérieure aux autres, on doit la
préserver de sa pureté.
Le totalitarisme, disait encore Hannah Arendt, a besoin « d’individus isolés »,
on les coupe de toutes leurs anciennes structures. On élimine les diversités qui
ne sont pas conformes à cette unité totalitaire ou ne tendent pas vers elle.
Hitler se sert de l’incendie criminel du Reichstag en février 1933 pour interdire
le parti communiste. Le 23 mars 1933 Hitler obtient les pleins pouvoirs de
l’Assemblée du Reich (444 voix pour, 94 sociaux démocrates contre, en juin ce
parti est interdit). Le 14 juillet le parti nazi devient parti unique, puis à la place
des syndicats est créé un Front du travail contrôlé par les nazis. Les opposants
au régime sont arrêtés, exécutés ou déportés. Handicapés mentaux et
physiques, homosexuels sont éliminés. Enfin les lois raciales de Nuremberg du
15 septembre 1935 « protègent le sang allemand » face aux « sous-hommes ».
Claude Lefort « (L’Invention démocratique, Fayard,1981,Le Temps présent,
Belin,2007)a insisté sur cet aspect du totalitarisme qui est la négation radicale
de la démocratie. En effet le totalitarisme prétend créer un peuple « Un », il
met en avant la fusion de l’Etat et de la société civile, c’est le fantasme de
l’unité totalisante. La démocratie va au contraire laisser les horizons ouverts, les
diversités s’y expriment.
– Les idées totalitaires reposent sur l’élimination d’un bouc émissaire et
surl’annonce de lendemains radieux auxquels on doit parvenir par tous les
moyens, y compris l’écrasement des faibles par les forts.
Ainsi les juifs sont rendus responsables de la défaite allemande de la Première
Guerre mondiale, suivie du Traité de Versailles imposant de lourdes conditions à
l’Allemagne, et responsables aussi de la crise de 1929.Les juifs qui n’ont pas pu
immigrer sont déportés et exterminés.
Les lendemains qui chantent sont promis par Hitler : le chômage disparaitra, la
paix sera là. Les pleins pouvoirs donnés au dictateur sont présentés comme un
moyen d’y parvenir. Le totalitarisme étouffe et détruit le pluralisme de la
pensée, la liberté d’expression, la liberté de la presse qui sont des piliers de la
démocratie.
– L’obéissance pourvoyeuse de violences.
Des individus fanatisés et criminels…Dans cette « mise au pas » l’individu
veut avant tout se montrer digne de ce que l’autorité attend de lui, on s’identifie
au fort, on nie la souffrance du faible. L’embrigadement des jeunes par le
régime devient omniprésent, le totalitarisme fait tout pour que le cerveau de
l’enfant et celui de l’adolescent soient à son service. D’autre part des étudiants
sont amenés à brûler les livres interdits, ces autodafés ces brasiers sont
organisés par le parti nazi.
D’autres individus soumis et anesthésiés… Des historiens affirment que début
1943 une majorité d’allemands était au courant des massacres. L’absence de
véritables réactions collectives, en particulier en Allemagne et en Europe, a
contribué à rendre l’extermination des juifs possible. Certes il y a eu des
dévouements individuels, certes il y a eu des actes de résistance, mais
« l’opinion publique » n’a pas massivement bougé pour protéger les juifs. On
arrive difficilement à comprendre comment, écrivait le philosophe Gunter
Anders, « L’énorme n’atteignait plus leurs yeux », comment la conscience n’a
pas de sursaut devant la démesure des crimes.
D’autres individus victimes, écrasés et anéantis… Du côté des victimes la
connaissance de « la solution finale » est connue par certains fin 1941, mais
c’est l’impuissance de la plus grande partie des juifs et pour cause : juifs
persécutés, affamés, affaiblis, même si des actes de résistance ont existé,
résistance massive à Varsovie bien sûr, et résistance même dans l’enfer d’
Auschwitz…
-Des techniques, des sciences, des finances, des arts vont être mis au service
du régime totalitaire.
Goebbels met en oeuvre une propagande intensive à travers de grands
rassemblements, le jour et la nuit, à travers aussi la radio qui est un instrument
favori d’Hitler dont la voix impressionnante est imprécatrice, vocifératrice,
hystérique.
De grands industriels et scientifiques mettent leurs productions et leurs
recherches au service du Reich, en particulier armements et transports. Des
médecins participent à des expérimentations humaines terrifiantes. Des arts sont
utilisés (musique, cinéma, photographie…) pour vanter les splendeurs du Reich,
le sport lui aussi est mis à contribution. Des banquiers se mettent au service du
Reich.
On est ainsi amené à se demander si, très en amont, on peut empêcher la mise
en route de ces mécanismes de mort ?
c) L’évocation des luttes contre les causes du totalitarisme
Nous analyserons de façon autonome dans la Vème partie les luttes contre les
causes des violences. Afin de garder une certaine autonomie aux réflexions sur
le totalitarisme nous ferons ici une exception en évoquant ces luttes.
Il ne s’agit pas d’évoquer ici les résistances pendant le totalitarisme, résistances
armées, résistances civiles.
Il s’agit simplement de souligner les luttes en amont de celles-ci. Ce sont aussi
des formes de résistance.
Trois idées semblent essentielles.
-La première idée est celle de résister le plus tôt possible. Plus on attend pour
résister, plus il est difficile de le faire.
Des chemins de bonnes intentions sont pavés de renoncements successifs, diton
parfois, c’est une vérité.
S’étalant sur des décennies, des années, la mise en oeuvre préventive des contremécanismes
est essentielle.
– La seconde idée est celle de la mise en route de contre-mécanismes.
Face à la réaction de l’Etat menacé, créer et développer des luttes pour les
égalités. Les injustices sapent les fondements des démocraties.
Face à l’acharnement à l’unité, respecter les différences.
Face à l’obéissance et la soumission, apprendre l’autonomie, l’esprit critique, la
responsabilité.
Face aux idées d’élimination des boucs émissaires, apprendre le refus du
discours vérité, la primauté des droits de l’homme, le respect de la dignité
humaine.
Face à l’annonce de lendemains radieux établis par n’importe quels moyens,
faire comprendre que, pour aller vers des sociétés démocratiques, il faut des
moyens démocratiques.
Enfin face à une techno science au service d’un tel régime, avoir une vue
critique de certaines techniques, par exemple fixer des limites aux moyens de
surveillance des citoyens.
-La dernière idée est celle des liens à créer et à développer entre les
résistances internes et les soutiens extérieurs qui peuvent être de différentes
sortes : diplomatiques, stratégiques, institutionnels, financiers, idéologiques,
artistiques, éducatifs…
Remarques terminales
1- Beaucoup d’analyses historiques des causes de la violence proposent des
explications convaincantes, ainsi la compétition économique, la course aux
armements, le contrôle des matières premières, l’agressivité acquise, la
soumission à l’autorité, le désir mimétique et le mécanisme victimaire, le
consentement à la violence, la peur de la mort, le dérèglement du conflit, la
fabrication de l’image de l’ennemi, des idées porteuses de violences…
Mais par-dessus tout, à notre sens, le plus souvent ce sont les injustices qui
sont sources de violences, cela à tous les niveaux géographiques, sous de
multiples formes, à travers de nombreux acteurs.
2- Pour analyser les causes d’une violence il est souvent important de faire
intervenir plusieurs analyses même si l’une d’entre elles peut être
dominante. Les luttes contre ces violences sont alors plus porteuses en
agissant sur différents fronts à travers différents moyens.
3-D’une façon générale et de façons plus précises comment lutter contre les
causes extra historiques des violences, et surtout contre les causes
historiques des violences ? (VOIR V)
VIOLENCES : LES LUTTES CONTRE LES CAUSES (V)
V-LES LUTTES CONTRE LES CAUSES DES VIOLENCES
Nous partirons des analyses des causes des violences parce que nous pensons
que la distinction faite entre les causes extra historiques et historiques est non
seulement fondée mais, aussi, opérationnelle par rapport à ces luttes.
Préalablement n’est-il pas nécessaire de penser les luttes contre les causes cela à
partir des quatre parties précédentes (clarifications, classifications, contenus,
causes) ?
Nous envisagerons donc tour à tour :
Des éléments pouvant contribuer à penser les luttes contre les causes des
violences(A)
Les luttes contre les causes extra historiques des violences ( B )
Les luttes contre les causes historiques des violences (C)
A-DES ELEMENTS POUVANT CONTRIBUER A PENSER LES
LUTTES CONTRE LES VIOLENCES
Trois précisions terminologiques :
Nous employons cet article « des » et non « les » éléments pour insister sur le
fait que les réflexions qui suivent ne sont pas exhaustives et restent ouvertes à
d’autres moyens, d’autres alternatives dans ces luttes.
Nous employons le terme « luttes » pour montrer qu’il n’y a pas de remède
miracle, que les combats contre ces causes peuvent être longs, que ces luttes
sont synonymes de volontés personnelles et collectives, que ces luttes
comprennent des finalités et des moyens, que ces remises en cause peuvent être
complexes.
Nous employons le terme « penser » qui voudrait prendre en compte des
méthodologies mais aussi des objectifs et des moyens, des principes et des
modalités, des théories et des pratiques…
Parmi les nombreuses questions qui se posent :
Comment se situer par rapport à la complexité des luttes ? (1)
Que penser des rapports entre les théories et les pratiques de ces luttes ? (2)
Le long terme et le court terme, l’amont et l’aval doivent-ils intervenir et si oui
comment ? (3)
Doit-on tenir compte de la globalité et de la diversité des luttes et si oui
comment ?(4)
Doit-on envisager des apaisements, des sorties, des fins de violences ? (5)
Dans ces luttes quels rôles jouent les volontés, les hasards et les nécessités ? (6)
Dans ces luttes quels sont les rapports entre les moyens et les fins ? (7)
Nos articles dans ce même blog sur « Les résistances » pourront être
complémentaires.
1-Prendre en compte la complexité des causes des violences et des luttes
contre ces violences.
-La complexité est omni présente dans ces luttes, pourquoi ? Pour au moins
quatre raisons :
Les interactions se sont multipliées, ainsi entre les domaines d’activités, entre
les niveaux géographiques.
Les acteurs se sont multipliés, ainsi les acteurs publics et privés, ainsi les
acteurs locaux, régionaux, nationaux, continentaux, internationaux.
Les urgences occupent une place envahissante, la construction de politiques à
long terme une place qui devrait être essentielle.
L’accélération du système mondial complique ces luttes.
– Face à la complexité les théories et les pratiques simplificatrices sont très
présentes, pourquoi ? Pour au moins trois raisons :
La paresse intellectuelle est une tentation qui contribue à basculer facilement
dans le simplisme.
La désignation facile de boucs émissaires est un mécanisme connu qu’on
retrouve et dans les causes et dans des réactions contre des violences.
Une partie des mondes médiatiques en reste aux effets des violences et ne
remonte ni à la complexité des analyses des causes ni à la complexité des luttes.
-La complexité qu’il faut affronter peut être un alibi pour l’inaction et cela
sous au moins trois formes :
Alibi pour ne rien faire parce que c’est trop compliqué. « Qui ne veut pas agir
trouve une excuse, qui veut agir trouve un moyen » dit un proverbe.
Alibi pour mettre en avant le simplisme et proposer une solution qui risquera d’
aggraver une situation.
Alibi pour renvoyer à d’autres responsabilités diluées et sans effets.
-La prise en compte de la complexité peut avoir quels effets ? Au moins
cinq :
Elle en appelle au courage de ne pas tomber dans le simplisme et de faire front
avec ténacité. Elle en appelle à la patience pour organiser ces luttes.
Elle en appelle aux fronts communs, aux rassemblements, aux coopérations,
pour donner plus de chances de remettre en cause des violences.
Elle en appelle à l’humilité en se méfiant du discours-vérité.
Elle se veut en liens avec l’intergénérationnel : on entend encore les pas de ceux
et celles qui étaient là, on entend chaque jour nos pas dans ces luttes, on entend
déjà les pas de ceux et celles qui vont venir.
2-Veiller à une interpellation réciproque entre des théories et des pratiques
des luttes contre les violences
« Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie disait Einstein. »Dans un
schéma porteur ne faudrait-il pas « agir en homme de pensée et penser en
homme d’action » comme l’affirmait Bergson ? En fait deux exigences sont
là :
– Des théories relatives aux causes des violences peuvent éclairer des luttes,
faire preuve de cohérence, s’attaquer à des interactions porteuses de violences.
-Mais réciproquement des pratiques relatives à ces luttes peuvent aussi éclairer
des théories. La lumière des théories ne doit pas aveugler. Des échecs, de
nouvelles idées issues de la pratique peuvent contribuer à des remises en cause
partielles ou plus globales de théories.
Dans cette optique des luttes sur de petites échelles territoriales peuvent parfois
contribuer à préparer des réformes ou des remises en cause plus étendues dans
l’espace.
Dans cette optique aussi, pour les théories comme pour les pratiques , s’inspirer
de tel ou tel pays, de tel ou tel acteur (associations, ONG, mouvements de
citoyens…) peut être porteur.
Théories et pratiques ne doivent-elles pas se reconnaitre, s’interpeller, se
compléter les unes les autres et finalement s’incliner les unes vers les
autres ?
3-Répondre à deux exigences : le long terme et le court terme des luttes
contre les violences, autrement dit agir en amont et en aval.
On se ment à soi-même et on ment aux autres en affirmant qu’on n’a pas le
temps de s’occuper du long terme parce que l’on doit répondre aux urgences.
-En fait moins on construit des réponses (des politiques, des pratiques…) à
long terme… plus on est noyé sous les urgences.
-Il faut donc surtout répondre aux causes profondes des violences en
remontant en amont vers ces causes profondes et aussi soulager des
souffrances immédiates en aval.
4–Prendre en compte deux réalités : la diversité et la globalité des luttes
contre les violences.
–Penser la diversité des luttes contre les violences signifie qu’il faut
déterminer desmoyens plus spécifiques à telle ou telle violence, ainsi par
rapport à des violences dans des écoles, des violences par rapport aux femmes
battues…
–Il est pourtant nécessaire qu’une certaine globalité intervienne aussi.
Globalité signifie qu’il vaut mieux avoir à titre complémentaire deux, trois ou
plus, analyses d’une situation donnée. Ainsi ne pas croire à un remède miracle
mais épouser une certaine complexité pour se donner plus de chances de réussir.
On peut aussi très bien privilégier tel ou tel moyen et utiliser toute une panoplie.
Globalité signifie qu’il faut comprendre des interactions éventuelles entre
différentes violences, par exemple entre des violences à l’école, des difficultés
de quartiers et des situations familiales.
Globalité signifie qu’on peut être amené à envisager la nécessité de moyens plus
généraux.
5-Des apaisements de violences, des fins de violences, sortir de la violence…
-Des violences peuvent-elles s’apaiser ? Sûrement mais on peut être loin de la
disparition des causes.
Après des meurtres un serial killer est arrêté. Le soulagement est réel pour des
habitants mais continuent les douleurs des familles. Le procès selon son
déroulement peut correspondre à une forme d’apaisement ou donner lieu à
d’autres souffrances.
Un déchainement de violences collectives peut être suivi d’un apaisement, ainsi
lorsque s’arrête un bombardement, mais les souffrances des survivants
continuent. Et la guerre peut-être toujours présente jusqu’au traité de paix qui
peut constituer une avancée réelle et durable ou qui peut contenir les germes
d’une autre guerre à venir, « la paix enceinte d’une future guerre » disait Gaston
Bouthoul.
-Des violences peuvent-elles finir ? Des violences particulières (telle ou telle
guerre) peuvent finir lorsque les causes sont véritablement résolues.
L’ensemble d’une catégorie de violences (les guerres) peut beaucoup plus
difficilement finir, certains penseront même que c’est impossible.
Par contre une diminution du nombre de guerres et des victimes est envisageable
dans la mesure où l’on s’attaque aux causes profondes. Les générations futures
peuvent aussi, au contraire, se retrouver face à une multiplication des guerres et
des victimes dans la mesure en particulier où se développent la course aux
armements et le réchauffement climatique porteurs de conflits armés.
Enfin, terrible rappel nécessaire, il faut redire ici que des montres qui
disparaissent un moment, tels par exemple des totalitarismes, peuvent resurgir
sous d’autres formes. « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête
immonde » écrivait Bertolt Brecht).
-La violence peut-elle finir ? Au moins trois arguments ne plaident pas en
faveur de cette idée. D’abord les rapports de force sont là, les laisser en l’état
correspond à de multiples violences, les faire évoluer et les remettre en cause ne
se fait pas sans actions et réactions . Ensuite les interactions qui se multiplient ne
vont pas en ce sens. Enfin les défis de l’humanité sont immenses, ils s’appellent
la débâcle écologique, la course aux armements en particulier des armes de
destruction massive, les injustices criantes, la toute-puissance de la techno
science et des marchés financiers.
Par contre on peut penser non pas à la fin de toutes des violences mais à une
certaine « sortie de la violence », à un grand nombre de violences si voyait le
jour la mise en oeuvre massive de moyens justes, pacifiques, démocratiques et
écologiques à tous les niveaux géographiques.
6-Les volontés sont essentielles mais existent aussi des nécessités et des
hasards dans les luttes contre les violences.
-Notre analyse générale se veut claire dans le choix du type de discours. Il
y a ceux et celles qui choisiront d’être sur le terrain d’un discours-vérité c’est-àdire
qui n’admet pas du tout le doute. Il y a ceux et celles qui choisiront le
terrain de la prévision, c’est-à-dire un discours qui se fonde sur des données
passées et présentes en les projetant en avant avec telle ou telle évolution. Enfin
il y a ceux et celles, dont nous serons, qui choisiront une intervention fondée sur
la prospective c’est-à-dire un mélange de hasards, de nécessités et de
volontés, cela dans des proportions variables, discours qui admet une
pluralité de possibles.
-Les volontés personnelles et collectives pour lutter contre les violences sont
essentielles, à tous les niveaux géographiques.(Voir sur ce blog les articles
relatifs aux « Volontés politiques »).
Mais même lorsque des volontés sont en route, la remise en cause d’une
violence n’est pas complètement sûre, pourquoi ? Parce qu’existent aussi
les hasards et les nécessités.
-Nietzsche écrivait : « Nous autres nains malins avec nos volontés et nos fins,
nous sommes molestés, renversés et souvent piétinés à mort par ces géants
imbéciles, les hasards. »(…) « Nous luttons pied à pied avec le géant hasard. »
Ces hasards peuvent contribuer à aller vers le pire, l’ entre-deux ou le meilleur.
-Aux volontés et aux hasards s’ajoutent des nécessités que l’on maitrise un peu,
beaucoup ou pas du tout. Ainsi nous ne contrôlons que peu le temps de
reconstitution d’une forêt , ainsi l’accélération du système mondial comprend
des éléments que nous pouvons maitriser et d’autres qui nous échappent (voir
sur ce même blog « L’accélération du système mondial »).
Il y a donc une certaine pluralité de possibles : des pires, des entre-deux, des
meilleurs.
-Même avec nos volontés nous sommes loin de maitriser complètement un
changement modeste, donc à plus forte raison le changement d’un système
puissant. Mais ce système a ses faiblesses et, loin de maitriser lui aussi son
avenir, le voilà devenu un géant aux pieds d’argile dans la mesure où ses
logiques d’autodestruction sont en marche.
C’est une raison de plus pour unir nos faiblesses, « s’unir ou périr » disait
Einstein. Nous voilà peu à peu fraternisés par les périls communs, pour les
surmonter ensemble.
7-Proposer et mettre en oeuvre des moyens conformes aux finalités
proclamées
Dans ces luttes, comme dans d’autres, les rapports entre les fins et les moyens
posent deux séries de questions.
-Il s’agit de résister face aux confusions entre les moyens et les fins,
autrement dit de remettre à leurs places les moyens c’est-à-dire la techno science
et le marché mondial, de les mettre au service des êtres humains. Il faut aussi
respecter les fins c’est-à-dire les êtres humains en personnes, en peuples et en
humanité (générations passées à travers le patrimoine culturel, générations
présentes et à venir.), l’Autre n’est pas un moyen, agir moralement c’est
reconnaitre tout homme comme fin et de le traduire en acte.
-Il s’agit de résister en pensant et en mettant en oeuvre des moyens
conformes aux fins que l’on met en avant. Si l’on veut la démocratie il faut
des moyens démocratiques, si l’on veut la justice il faut des moyens justes, si
l’on veut la paix il faut des moyens pacifiques, si l’on veut la protection de
l’environnement il faut des moyens écologiques.
-Face aux théories et aux pratiques dominantes voire écrasantes à travers
l’histoire qui correspondent à la pensée de Machiavel « Qui veut la fin veut les
moyens », il faut résister en se fondant sur cette pensée radicale et lumineuse de
Gandhi : « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » (
voir « Tous les hommes sont frères », Folio essais, Gallimard). Autrement dit
aucun moyen n’est neutre, si l’on veut lutter pour la paix on ne peut que résister
avec des moyens pacifiques, la course aux armements est un des moyens
opposés à la paix parce qu’elle ne fait qu’accroitre l’insécurité, les guerres, les
injustices et la dégradation mondiale de l’environnement.
-La fin ne justifie pas n’importe quel moyen. Dit autrement : la légitimité
d’une cause n’implique pas la légitimité de tous les moyens pour la faire
triompher. Ainsi il était oh combien légitime de lutter contre le nazisme mais il
n’était pas légitime de lancer deux bombes nucléaires pour y contribuer.
Les luttes contre les violences impliquent de penser et de mettre en oeuvre des
moyens conformes aux finalités de paix, de justice, de démocratie et d’écologie.
Soyons maintenant plus concrets quant aux luttes contre les violences en
reprenant les analyses relatives à leurs causes.
Nous dresserons une sorte de panorama général dont l’intérêt sera d’être
relativement exhaustif, par contre chaque moyen fera l’objet d’une analyse
trop rapide…
B-LES LUTTES CONTRE LES CAUSES EXTRA HISTORIQUES DES
VIOLENCES
Ces luttes peuvent être conçues sous deux formes : d’abord elles correspondent à
une façon globale de se situer de façon critique face à ces analyses, ensuite il
s’agit de repérer ce qu’il peut y avoir comme causes éventuelles de violences et
de lutter contre elles.
1 – Une attitude globale : apprendre à se méfier de la fatalité, être
ouvert(e)s à la prospective
a- Ne faut-il pas apprendre à se méfier de la fatalité ?
Nous ne sommes pas en dehors de l’histoire des êtres humains et du vivant.
Nous sommes plus ou moins liés à une histoire personnelle et à une histoire
collective qui nous ont précédés. Nous sommes partie prenante pendant notre vie
des histoires présentes et même de celles d’après dans certains de leurs effets.
Autrement dit : il ne faut pas fuir nos responsabilités en pensant et en agissant
comme si des éléments extra historiques agissaient à notre place et produisaient
par exemple des violences.
Concrètement deux contre-mécanismes face à ses analyses s’appellent
l’esprit de responsabilité et l’esprit critique. Plus concrètement encore ils
doivent être présents dans l’éducation, de la maternelle à l’université, et dans
l’ensemble des médias et des lieux de vie (familles, professions, institutions,
associations, syndicats…).
b- Ne faut-il pas apprendre à penser l’avenir en termes de prospective ?
En effet il y a au moins trois façons de penser l’avenir personnel et/ou collectif.
-Penser l’avenir en se livrant, pieds coeur et esprit soumis, à une prophétie c’est à
dire à un discours-vérité dans lequel la fatalité est omniprésente.
-Penser l’avenir en faisant plus ou moins confiance à des prévisions
scientifiques qui affirment que, si différents éléments interviennent, l’avenir se
présentera sous tels et tels aspects prévisibles.
–Penser l’avenir en étant ouvert(e)s, en termes prospectifs, à une pluralité
depossibles : les pires, les entre-deux, les meilleurs. L’avenir, dans cette
perspective, est un mélange de volontés, de nécessités, de hasards, cela dans des
proportions variables.
Pour mieux entrer dans cette prospective l’esprit d’imagination est important,
l’imagination doit être favorisée de la maternelle à l’université et dans les
multiples lieux de vie. On la trouve aussi en particulier chez certains auteurs et
dans des associations alternatives.
c- Que faire face à chaque analyse « extra historique » des violences ?
D’abord avoir cette attitude générale que l’on vient de souligner, c’est à
direconstruire ce refus de la fatalité en s’appuyant sur l’esprit critique, sur
l’esprit de responsabilité et aussi s’ouvrir à la prospective en s’appuyant sur
l’imagination.(voir ci-dessus a) b) ).
Ensuite prendre en compte ce qui, dans chaque analyse, peut être facteur de
violence :
c1) Par rapport à ceux et celles qui croient à la nature humaine mauvaise, à la
pulsion de mort, à la fatalité biologique de la violence : mettre en avant les
analyses de l’agressivité acquise (IV partie précédente). On peut faire
reculer des violences par la socio culture en particulier de la maternelle à
l’université.
c2) Par rapport à ceux et celles qui croient à des interventions de l’au-delà
porteuses de violences : mettre en avant des interventions porteuses de paix
en ce monde existant.
c3) Par rapport à la lutte des contraires : ne pas interpréter cette analyse
comme une fatalité mais comme un appel aux levées de contradictions, aux
volontés de synthèses, à l’élaboration de compromis, compromis qui sont
des moyens non-violents favorisant des conciliations.
c4- Par rapport aux violences de notre univers : savoir que dans l’univers
existent aussi du silence, des harmonies, des merveilles. Et qu’il est vrai que, si
nous venions à être menacés par quelques astéroïdes, c’est une raison de
mettre en commun des moyens de surveillance et des moyens de protection
autant que faire se peut. C’est de toute façon une occasion de plus de
réaliser la chance qu’est la vie sur Terre pour la transformer en chance de
vivre sur Terre cela en faisant face aux défis communs qui, à ces exceptions
près, ne sont pas dans l’espace. Pour le reste la science-fiction est là, et
heureusement lorsqu’elle est bonne ou géniale.
c5- Par rapport à un désir de l’autre qui nous menacera toujours : c’est là une
conception bien proche d’un « enfer » indéfiniment constitué par les
autres. Sortir de cette fatalité c’est remettre en cause des compétitions, des
concentrations d’avoirs de pouvoirs de savoirs, des jalousies, des haines,
c’est mettre en avant les constructions de réconciliations, de solidarités, de
partages, de coopérations, de mises en commun, de côtes à côtes face aux
défis communs, c’est entrer en fraternités. C’est être parties prenantes de
l’histoire de l’humanité.
C- LES LUTTES CONTRE LES CAUSES HISTORIQUES DES
VIOLENCES
Nous distinguerons d’abord les contre-mécanismes économiques (1), ils ont une
grande place parce que le poids de la mondialisation économique et financière
productiviste est gigantesque. Viennent ensuite les luttes contre les autres causes
historiques des violences (2). Vient alors une énumération de propositions de
réformes et de remises en cause « directement » liées à une société pacifique (3)
Enumération enfin de propositions de réformes et de remises en cause
« indirectement » liées à une société pacifique (4).
1- L’énumération des luttes contre les causes économiques des violences
Face à chaque cause :
a- Face à la propriété : développer la notion et les pratiques de biens
communs et celles de patrimoine commun de l’humanité.
(Voir par exemple « Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s)
juridique(s) ? » dans Les cahiers du crideau, pulim 2017,sous la direction de
Jessica Makowiak et Simon Jolivet, voir entre autres notre article sur « Le projet
de déclaration universelle du bien commun de l’humanité »)
b- Face à la propriété privée des moyens de production : partager les avoirs et
les pouvoirs.
c- Face à la rareté : répartir les richesses et faire un usage prudent des
richesses naturelles.
d- Face aux injustices : supprimer les inégalités les plus criantes. Cette
violence structurelle est parmi les plus massives, il faut la remettre en cause
par un partage équitable des fruits des sociétés locales, nationales,
régionales et de la société internationale.
Les puissants ne partagent que rarement d’eux-mêmes, ils arrivent à le
faire si des intérêts communs deviennent criants, de type écologique par
exemple.
Mais la plupart du temps les partages sont les fruits de rapports de forces
entre les dominants et les dominés d’un lieu donné à un moment
donné .Ainsi seront les remises en cause des paradis fiscaux, des évasions
fiscales, les créations de taxations de change, d’impôts sur le capital, sur les
firmes multinationales, ainsi sera la remise en cause de la place du
conducteur occupée par les marchés financiers, ainsi sera la remise en cause
de la toute-puissance de la techno science alors au service du vivant …
e- Face aux compétitions : mettre en route et développer des solidarités, des
causes communes, des coopérations.
2- L’énumération des luttes contre les autres causes historiques des
violences
a- Face à l’agressivité acquise : ne pas surestimer l’influence des gènes et
transformer une socio culture compétitive et agressive en socio culture de
coopérations , de causes communes, de vivre ensemble, de fraternité.
b- Face à la soumission à l’autorité : apprendre l’esprit critique, construire
son autonomie, construire une participation égale des citoyen(ne)s aux
prises de décision dans leur pays.
c- Face à un mécanisme de transgression du sacré : créer et développer des
fêtes qui aient un sens, autant de moments de fraternité sous de multiples
formes.
d- Face au désir mimétique et au sacrifice du bouc émissaire : lutter contre les
inégalités, refuser les slogans de haine, découvrir et faire découvrir les
responsabilités personnelles et collectives, promouvoir les chances et les
bienfaits du « vivre ensemble ».
e- Face au consentement à la violence : créer et développer des associations et
des ONG porteuses d’éducation à la non-violence en particulier à la
désobéissance civile devant des injustices, et porteuses d’actions de
solidarités dans l’urgence et le long terme.
f- Face à la spirale du ressentiment et de la colère : pour éviter que naissent les
haines lutter contre les inégalités, respecter les différences, organiser les
intégrations, rétablir des dialogues, faire en sorte que les circuits financiers
de ces haines soient asséchés et que la coopération s’intensifie en matière de
renseignement et de justice, mettre en avant les bienfaits du « vivre
ensemble » .
g- Face à la paranoïa et à la dépression collectives : apprendre à apprivoiser et
à respecter les différences, mettre en avant projets communs sousrégionaux,
régionaux, intercontinentaux pacifiques, vastes et à long terme.
h- Face à des idées dont l’usage peut être meurtrier : bien comprendre et faire
comprendre de la maternelle à l’université, dans les médias, dans
différentes administrations et entreprises que, pour chaque être humain,
son village, sa ville, sa région c’est son terroir, son pays c’est sa patrie, son
continent c’est sa matrie, la Terre c’est son foyer d’humanité. Ces différents
territoires et lieux de vie doivent créer et développer des solidarités face aux
périls communs et non s’affronter dans des conflits dérisoires et porteurs de
souffrances.
i- Face à la peur de la mort : changer notre rapport à la mort, essayer de
maîtriser nos craintes.
« Evoluer vers la maîtrise de nos craintes, la gestion pacifiée de nos conflits,
la non-violence de nos actions.» écrit Jacques Sémelin.
j- Face au dérèglement du conflit : prévoir et mettre en oeuvre une résolution
non violente des conflits de la maternelle à l’université, dans l’ensemble des
lieux de vie (familles, professions, citoyenneté…) et dans les relations entre
tous les niveaux géographiques. Cela signifie apprendre et mettre en oeuvre
des comportements dans lesquels les personnes, comme le disent les théories
et les pratiques non-violentes, » se montrent assez fortes pour être
reconnues par les autres et se montrent assez imaginatives pour inventer,
avec les autres, des solutions justes à leurs problèmes ».
k- Face aux causes démographiques, sociologiques, politiques : ralentir
l’explosion démographique mondiale, avancer dans la résolution des
conflits sociaux de façon pacifique, créer quand elle n’existe pas,
développer quand elle existe, la démocratie représentative et participative.
En termes de propositions plus structurées comment traduire, par de
simples énumérations, ces réformes et ces remises en cause ?
3- Enumération de propositions de réformes et de remises en cause
« directement » liées à une société pacifique
Elles pourraient être essentiellement les suivantes :
a-Pour contribuer à passer d’un système international pour une large part
violent à une communauté mondiale pacifique :
-Interdiction des recherches scientifiques sur les armes de destruction massive
(déclarées contraires à l’intérêt commun de l’humanité.)
-Mise en place d’une sécurité collective (fondée à titre principal sur des forces
d’interposition envoyées à titre préventif et à titre exceptionnel sur des forces
d’intervention internationalisées)
-Remises en cause des ventes d’armes (restrictions, taxations, interdictions,
reconversions), créations de ministères du désarmement.
-Conclusions de nouveaux traités et protocoles de désarmement (armes de
destruction massive en particulier nucléaires), application des traités qui existent
déjà.
-Mise en place d’une éducation à la paix (de la maternelle à l’université et dans
de multiples lieux, fondée entre autres sur les apprentissages de règlement non
violent des conflits, sur l’appartenance à une même humanité…)
b-De façon à la fois plus globale et plus spécifique se situent ici la chance et
la force de la non-violence.
L’histoire de la non-violence, en partie méconnue, révèle l’efficacité de ces
méthodes d’action qui, comme le disait Jacques de Bollardière , « mobilisent
par delà le mépris, la violence et la haine. »(Voir à ce sujet la revue
opérationnelle « Non-violence Actualité », et la remarquable revue
« Alternatives non-violentes », directeur F Vaillant, ainsi que les travaux, eux
aussi remarquables, de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des
conflits-IRNC, créé par F. Marchand , JM Muller, C Mellon, J Sémelin, C
Delorme.)
Ces moyens reposent sur un cadre non-violent c’est-à-dire un respect de la
dignité humaine, une exigence de justice, une combativité positive (et non une
agressivité) face au conflit. (J Sémelin, La non-violence expliquée à mes filles,
Seuil, 2000.. Cetteméthode de règlement des conflits refuse la violence
d’oppression dans laquelle on impose sa loi, elle refuse la violence de
soumission dans laquelle on renonce à ce que l’on pense être essentiel. On
cherche ensemble, dans le respect des personnes et la confrontation, des
solutions justes. (JM Muller, Lexique de la non-violence, ANV,1998). Jacques
Sémelin insiste sur « trois principes majeurs : l’affirmation de l’identité du sujet
résistant (…), la non coopération collective(…), la médiatisation du conflit c’est
à dire susciter la constitution de « tiers » qui appuient sa cause. » (Jacques
Sémelin, « Du combat non-violent » dans l’ouvrage « Résister. Le prix du
refus », sous la direction de Gérald Cahen, éditions Autrement, Série Morales
n°15,1994)
-La non-violence n’a pas le monopole de certains des moyens qui suivent,
par exemple les grèves et les pétitions. Il peut même arriver que des forces de
mort utilisent des moyens « non-violents », ainsi le boycott des magasins juifs
par le régime nazi était un détournement absolu de ce moyen qui dans la nonviolence
a pour objectifs la justice et la liberté.
-Ces moyens, énumérés à titre indicatif, font partie des pratiques
essentielles de l’action non-violente. Il s’agit , de façon non exhaustive, de la
non-coopération, la désobéissance civile (Alain Refalo, Les sources historiques
de la désobéissance civile, colloque Lyon 2006), l’obstruction non-violente,
l’objection de conscience, la grève de la faim, la grève, le sit in (s’asseoir sur la
voie publique en particulier des places), le boycott, le refus de l’impôt sur les
armements, les pétitions…(JM Muller, Stratégie de l’action non-violente,
Seuil,1981).
Les non-violents ont aussi des pratiques d’éducation à la paix, ainsi par exemple
« Non-violence Actualité » et son Centre de ressources pour la gestion nonviolente
des relations et des conflits, avec ses outils pédagogiques, ses jeux
coopératifs, ses formations. Des expositions comme « Ni hérisson, ni
paillasson » du Centre pour l’action non-violente ont été et sont porteuses pour
des jeunes.( Voir aussi JM Muller, De la non-violence en éducation, UNESCO
et IRNC, 2002), des pratiques d’interventions civiles de paix où des volontaires,
après une formation, ont été envoyés sur des zones de conflits, par exemple au
Kosovo, en Palestine, au Guatemala (formation ICP assurée par le Mouvement
pour une alternative non violente, MAN).Les non-violents ont également pensé
« La dissuasion civile : les principes et les méthodes de la résistance nonviolente
dans la stratégie française. » (C Mellon, JM Muller, J Sémelin, La
dissuasion civile, éditions FEDN, 1985).
4- Enumération de propositions de réformes et de remises en cause »
indirectement » liées à une société pacifique
Elles pourraient être principalement les suivantes :
a-Pour contribuer à passer d’un système international pour une large part
autoritaire à une communauté mondiale démocratique :
-Désarmement du pouvoir financier (taxations des transactions financières,
impôt mondial sur les capitaux, suppressions des paradis fiscaux…)
-Encadrement des firmes multinationales (respects de la santé, du social, de
l’environnement, de la culture…)
-Démocratisation des institutions internationales (réformes du Conseil de
sécurité et de certaines institutions spécialisées des Nations Unies…place
légitime des pays du Sud, promotion des ONG…)
-Accès des femmes aux processus de décision (aux niveaux locaux, nationaux,
continentaux, internationaux) et non-cumul généralisé des mandats des élu(e)s
dans tous les Etats.
-Créations d’organisations nouvelles (composées d’Etats, d’ONG, de
collectivités territoriales …), rencontres institutionnalisées des organisations
internationales, régionales et sous-régionales, développement de réseaux, de
coordinations, de fronts communs d’ONG (par exemple celles allant dans le sens
d’un ralentissement du système.)
b-Pour contribuer à passer d’un système international pour une large part
injuste à une communauté mondiale juste :
-Création d’un revenu universel d’existence (attribué à tout habitant de la Terre,
revenu déconnecté du travail auquel s’ajouteront des revenus d’activités)
-Annulation de la dette publique (celles des Etats, des collectivités territoriales,
des organisations internationales…)
-Priorités données au juste échange et au commerce équitable (le libre échange
leur sera subordonné), développement de l‘économie sociale et solidaire, de
l’économie collaborative…
-Mise en place d’agricultures durables et autonomes (respect de
l’environnement, statut international des matières agricoles, souveraineté
alimentaire)
-Créations et redistributions de fonds internationaux (taxes liées au désarmement
du pouvoir financier et liées aux activités polluantes, redistribuées vers des
besoins criants en santé, en protection sociale, en éducation, en environnement,
en emplois…)
c-Pour contribuer à passer d’un système international pour une large part
anti écologique à une communauté mondiale écologique :
-Remises en cause d’activités polluantes (réductions et suppressions des modes
de production, de consommation, de transport écologiquement non viables)
-Programmes massifs d’accès à l’eau (effectivités du droit à l’eau potable et du
droit à l’assainissement)
-Revitalisation des régions profondément dégradées (programmes massifs à
tous les niveaux géographiques)
-Transitions énergétiques (développement massif des énergies renouvelables,
économies massives d’énergie, sortie rapide du nucléaire)
-Conclusions de nouvelles conventions mondiales (convention créant une
Organisation mondiale de l’environnement, convention sur les droits des
déplacés environnementaux, convention créant une Organisation mondiale et
régionale d’assistance écologique, conventions de protection des sols,
convention de protection des forêts, convention contre les pollutions telluriques
…) et de nouveaux protocoles(en particulier de réductions massives et radicales
des gaz à effet de serre).
Ces remises en cause auraient des effets massifs sur les créations d’emplois.
Remarques terminales
1-Une synthèse de la démarche suivie.
Nous avons d’abord voulu clarifier la notion de violences en la resituant dans
un ensemble de notions qui lui sont proches, puis est venue l’ énumération des
différentes classifications des violences en proposant une classification. Il
s’agissait ensuite de faire la synthèse des contenus d’une trentaine de catégories
de violences.
Nous avons ensuite souligné les analyses des causes des violences, analyses
extra historiques, et surtout analyses historiques, ce qui nous a conduit à
énumérer les luttes contre les causes des violences, reprises pour terminer sous
la forme de propositions de réformes et de remises en cause spécifiques ou plus
générales contribuant à passer d’une société mondiale pour une large part
violente à une communauté mondiale pour une large part pacifique.
2-Les violences militaires, économiques, sociales, écologiques, culturelles
peuvent et doivent être remises en cause principalement
-par un règlement pacifique des conflits, un désarmement massif, des
alternatives de défense,
-par de gigantesques luttes contre les inégalités, cela à tous les niveaux
géographiques, remettre en cause ces réservoirs de multiples violences c’est
faire oeuvre de paix,
-par la construction d’ une société écologiquement viable,
-par une éducation massive aux droits de l’homme et à la paix.
3-La violence ne mérite pas seulement une condamnation, elle appelle à
donner le jour à une alternative : la non-violence.
Nous soulignerons ici l’un des écrits les plus éclairants, celui de Jacques de
Bollardière, général devenu militant de la non-violence après avoir dénoncé la
torture pendant la guerre d’Algérie et condamné ensuite les armes nucléaires.
« L’homme, dans ce monde de conflits et de tensions, n’a-t-il le choix
qu’entre une passivité résignée, un lâche renoncement à l’exigence
impérieuse de libération qui constitue son être ou la dégradation de son
agressivité en une violence meurtrière qui détruit ce qu’il a d’humain en lui
?
La non-violence est une idée neuve qui perce une terre aride et pousse à
travers les décombres des espoirs ruinés avec l’indomptable puissance de
vie des jeunes plantes qui cherchent la lumière. Elle s’enracine dans
l’espérance, se nourrit de la force de la justice. Son passé trop court et
méprisé révèle l’efficacité des méthodes d’action qui mobilisent par delà la
violence, le mépris et la haine. Dans ce monde bouleversé, elle reste
compatible avec une vision humaine du destin des hommes et avec l’amour
qui, inlassablement, s’offre à nous au plus secret de notre être. »
4- Il est tard mais encore temps.
Einstein, vers la fin de sa vie, avait bien résumé la situation : « Un seul monde
ou aucun, s’unir ou périr. »
Martin Luther King, qui faisait « le rêve qu‘un jour la justice ruissellera comme
l’eau », lançait aussi cet avertissement : « Il nous faut apprendre à vivre
ensemble comme des frères sinon nous périrons ensemble comme des
imbéciles.»
Inégalités criantes, course aux armements, débâcle écologique, toute puissance
de la techno science : lutter contre ces défis doit nous fraterniser. Jean Rostand
écrivait« Nous sommes fraternisés par les périls communs. »
Nous avions commencé ces quatre articles par une citation d’André Gorz « La
violence c’est le négatif de la tendresse », c’est Emile Zola qui aura le dernier
mot lui aussi sur la tendresse:
« (…) Le rêve final sera de ramener tous les peuples à l’universelle
fraternité, de les sauver tous le plus possible de la commune douleur, de les
noyer tous dans une commune tendresse. »