au trésor des souffles
Environnement
Antinucléaires
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Les quelques lignes qui suivent sont essentielles pour souligner « l’Argument des arguments » antinucléaires.
Il est trop peu évoqué en tant que tel, ne mérite- t-il pas d’être plus connu, discuté, médité et partagé ? Ne mérite-il pas une analyse qui se voudrait globale, critique et créatrice ?
Quatre séries de réflexions proposées tour à tour : les logiques nucléocrates(I),
les problèmes, les drames et les menaces liés au nucléaire(II),
l’Argument antinucléaire(III),
les résistances(IV).
I- Les systèmes ou complexes nucléocrates
Avant de quitter la présidence des Etats-Unis, Eisenhower dans son discours d’adieu en janvier 1961 avait lancé cet avertissement : « (…) Dans les prises de décision de l’Etat, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. (…) »
En 2020 de quoi s’agit ?
Des complexes scientifico-industriels du nucléaire civil, cela dans 31 pays, dont surtout aux Etats-Unis et en France,
et des complexes scientifico-militaro-industriels du nucléaire militaire, cela dans neuf pays, dont 90% des stocks sont aux Etats-Unis et en Russie.
A-Face aux arguments anti nucléaires comment réagissent ces complexes nucléocrates?
Ces complexes essaient presque toujours
ou bien de poser un linceul de silence sur les arguments antinucléaires ,
ou bien de qualifier les détracteurs du nucléaire civil d’incompétents,
ou bien d’accuser les partisans du désarmement nucléaire unilatéral d’irréalistes et de suicidaires,
ou bien de les « renvoyer dans les cordes » en invoquant des réflexes « irrationnels et passionnels. »
Passionnels? Heureusement qu’il reste un minimum de passion pour en appeler à la lucidité.
Irrationnels? Il est au contraire rationnel de refuser cette forme de « course à la mort » qui a sa spécificité que nous voulons souligner ici.
B- Quelques logiques des systèmes nucléocrates
Les systèmes nucléocrates, dont les logiques sont plongées dans la course en avant, affirment après les accidents et les incidents en tirer une certaine « pédagogie » : « Nous revoyons de très près la sécurité de nos parcs nucléaires, nous exportons notre savoir-faire nucléaire qui est un atout à partager avec d’autres pays , nous insistons sur le fait que l’énergie nucléaire est une alternative aux émissions de gaz à effet de serre…»
Pourtant une véritable pédagogie de la catastrophe consisterait à comprendre que le nucléaire mérite une condamnation et une remise en cause radicales , c’est à dire une sortie rapide , qui bien sûr doit être accompagnée d’alternatives énergétiques massives et planifiées, à développer quand elles existent et à créer quand elles n’existent pas, et accompagnée aussi d’ économies massives et planifiées des utilisations énergétiques.
Mais le productivisme suit la pente la plus forte, celle de ses logiques terricides et humanicides .
Ainsi les systèmes nucléocrates ne veulent pas et/ou n’arrivent pas à voir leur folie.
Kostas Axelos aurait peut-être dit qu’ils deviennent (et nous avec?) « les fous d’un système devenu fou. »
Ils sont, en le sachant ou sans le savoir, une des avant-gardes d’une société qui a tendance à ne plus se donner de limites.
Jean Rostand, ardent pourfendeur du nucléaire, dans « Pensées d’un biologiste » (Stock, 1978), écrivait lumineusement : « La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes ».
Il disait aussi « tous les espoirs sont permis à l’homme, même celui de disparaitre. »(Voir nos deux ouvrages « Construire la paix », éditions la Chronique sociale, 1988)
Cette prise de conscience n’appelle-t-elle pas à déranger ses pensées, et surtout à (re)trouver le sens des ensembles qui devrait être une vertu politique majeure des « décideurs » et des citoyen
II- L’évocation d’un ensemble de problèmes, de drames et de menaces liés au nucléaire
Le nucléaire civil et militaire n’est pas un « problème » devant lequel on se trouve, c’est un ensemble de problèmes, de drames et de menaces dans lesquels ont été, sont et seront de nombreux êtres humains et d’ailleurs aussi une partie du vivant.
A-Le nucléaire militaire et le nucléaire civil ont de multiples liens
Contrairement à ce que certains affirment, il n’existe pas de cloison étanche entre le nucléaire civil et militaire. Un des auteurs qui l’a pleinement montré était Bruno Barillot dans une étude décapante « Le complexe nucléaire. Des liens entre l’atome civil et l’atome militaire ». (Observatoire des armements , Lyon, 2005).
Un des contre-pouvoirs citoyens dans ce domaine, le « Réseau Sortir du nucléaire », met lui aussi en avant cette réalité incontournable selon laquelle « derrière le nucléaire il y a la bombe. »
On connait également les graves insuffisances du traité de non-prolifération nucléaire en particulier dans les contrôles. (Voir notre ouvrage « Le droit international du désarmement », éditions L’Harmattan,1998, préfacé par le Président de la Cour internationale de justice qui était en fonction au moment de l’avis du 8 juillet 1996 sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires.)
B-Les accidents nucléaires et les contaminations radioactives
En ce qui concerne les effets des accidents de centrales nucléaires il s’agit de drames à court moyen long et très long termes, ainsi de la population ukrainienne (accident nucléaire de Tchernobyl du 26 avril 1986) et de la population japonaise (accident nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011).
On doit avoir en mémoire le titre d’un petit livre sur les hibakushas, survivants des bombes atomiques : « Guerre nucléaire guerre sans fin » . ( Voir nos deux ouvrages « Construire la paix », éditions la Chronique sociale,1988)). On peut dire que les luttes contre les effets d’un accident nucléaire majeur sont et seront des formes de « guerre sans fin. »
On peut aussi affirmer que, parmi d’autres exemples, si les centrales nucléaires se multiplient, les lieux évacués, pour des périodes plus ou moins longues à la suite d’accidents, se multiplieront aussi, ce sont et seront des logiques profondes.
On peut également affirmer que les pollutions radioactives dans le milieu marin (accidents de centrales nucléaires près des côtes, sous-marins nucléaires accidentés, fuites de fûts par érosion et pression de l’eau …) ont des logiques destructrices et catastrophiques à long terme et pour les humains et pour de nombreuses espèces, le milieu marin devient peu à peu pour une part « tchernobylisé . »
Le monde en 2019 comptait 450 centrales nucléaires en service dans 31 pays, en France 57 réacteurs nucléaires en activité sont répartis sur 19 sites. Le jour où interviendra un accident nucléaire majeur dans une centrale par exemple française le plan ORSEC de secours en cas d’accident nucléaire majeur sera très probablement dramatiquement dérisoire. Dramatiques seront le caractère soudain de la catastrophe, l’impréparation collective, les effets -à court moyen et très long termes- sanitaires et environnementaux…Par exemple posons-nous une question : combien de lits d’hôpitaux opérationnels et de personnels spécialisés pour les victimes contaminées par la radioactivité ? Question tristement connue face à d’autres situations…
C-Les victimes directes et les victimes indirectes du nucléaire
Comment ne pas évoquer les victimes directes du nucléaire par les contaminations, générations futures comprises, mais également les victimes indirectes ?
Ces dernières, particulièrement nombreuses, sont des personnes, des parties de populations, des peuples restés sans réponses face à des besoins criants.
Ainsi par exemple le CARN (Campagne pour l’abolition des armes nucléaires) dans son dernier rapport rappelle qu’en 2019 les Etats-Unis ont dépensé 35 milliards de dollars pour leurs armes nucléaires, de même les autres Etats nucléaires ont dépensé d’énormes sommes, la France par exemple avec 4,9 milliards de dollars « pour cette seule année « aurait pu financer 100.000 lits de soins intensifs, 10.000 ventilateurs, et les salaires de 20.000 infirmières et ceux de 10.000 médecins »
Ainsi , de façon beaucoup plus gigantesque, les dépenses nucléaires militaires mondiales auraient pu financer par exemple l’effectivité du droit d’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous les habitants de la terre dans un programme mondial, son absence étant source de malheurs incommensurables alors que les moyens d’y remédier sont connus. Le transfert des dépenses militaires, en particulier nucléaires, vers la santé , l’alimentation et l’environnement est et sera un puissant moyen de sauver des vies.
Il est vrai que les décideurs des Etats dotés d’armes nucléaires sont, pour l’instant, incapables d’avoir le courage politique de signer et de ratifier le Traité d’interdiction des armes nucléaires de 2017. La conscience est souvent ou toujours en retard ont écrit beaucoup d’auteurs , l’histoire des êtres humains nous le crie.
« ( …) Croire à la paix c’est foi, il faut vouloir , la foi est courage. Au contraire croire à la guerre c’est croyance, pensée agenouillée et bientôt couchée, c’est répéter ce qui a été dit et redit, c’est penser mécaniquement » écrivait le philosophe Alain.
Mettre perpétuellement en avant et avoir à la bouche le terrible « soyons réalistes, restons réalistes » c’est aujourd’hui en fait, malgré soi et/ou avec soi, être de fait fermé sur des mécanismes de mort, c’est refuser les paris d’autres possibles, c’est étouffer l’audace, c’est pactiser avec l’indifférence, être paralysé par la peur de ne rien pouvoir faire et ne rien faire, c’est enfin et surtout se laisser glisser sur la pente la plus forte : celle d’un système porteur de souffrances et de drames.
Le lendemain d’Hiroshima Albert Camus écrivait « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie(…) Ce n’est plus une prière mais un ordre qui doit qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir entre l’enfer et la raison. »
« Accepter l’arme atomique c’est se rendre complice, par nonchalance ou passivité, du plus abominable forfait que l’homme ait jamais prémédité contre l’homme » disait Jean Rostand . « La guerre commencera à avoir du plomb dans l’aile le jour où les candidats qui promettent d’augmenter les crédits militaires cesseront d’être élus » écrivait Bernard Clavel.
En attendant : merci les Etats, les peuples vous remercient ! Chaque jour plus de cinq milliards de dollars partent dans les dépenses militaires mondiales alors qu’ un enfant sur deux dans le monde est en situation de détresse et/ou de danger (guerres, maladies, misère…) Et alors que la matrice de la plupart des violences c’est l’injustice.
III- L’Argument des arguments anti nucléaires est là, devant nous. Lequel?
Il est même aveuglant. Il est très difficile à regarder parce qu’il remet en cause trop de logiques installées, trop d’intérêts puissants, trop de peurs de déranger. « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » écrivait René Char.
Cette forme de vérité du nucléaire peut interroger en particulier des personnes qui y travaillent sous de multiples formes, des décideurs et des citoyen(ne) ouverts à d’autres possibles, et parfois on ne sait pas si l’on a marché sur un débris qui se perd sous nos pas ou sur une semence qui va pousser peu à peu.
A-L’énumération de réalités nucléaires rassemblées en un Argument
Toutes les raisons de refuser le nucléaire quand il n’est pas encore là et de sortir rapidement du nucléaire quand il est là, ont un point commun. Lequel ?
– Les accidents nucléaires (aux nombreuses causes prévisibles, probables, improbables et imprévisibles, internes et externes ) ,
-les plans, à ce jour dramatiquement dérisoires, pour faire face aux accidents nucléaires,
-les démantèlements de centrales nucléaires et de l’ensemble de la filière nucléaire,
-la décontamination des sites et des régions gravement dégradées,
-les déchets nucléaires, militaires et civils, passés, présents et à venir,
-la prolifération entre le nucléaire civil et militaire, porteuse d’insécurité globale,
-la difficulté du droit à l’information, la surveillance des sociétés nucléarisées,
-les gigantesques sommes passées, présentes et à venir (générations futures comprises) englouties dans ce type d’énergie et dans ce moyen de défense qui accroit l’insécurité,
Toutes ces réalités ont un point commun. Il saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre :
Il s’agit de mécanismes qui ont des effets sanitaires, environnementaux et, aussi, financiers, économiques, sociaux, stratégiques… QUI TENDENT A ETRE SANS LIMITES DANS L’ESPACE ET DANS LE TEMPS.
B-Le nucléaire n’a pas le monopole de ce « sans limites » mais il en a toutes les « qualités ! »
Certes le nucléaire n’a pas le monopole de cette immensité, par exemple le réchauffement climatique se situe aussi dans des effets incommensurablement longs.
Mais le nucléaire a au moins quatre aspects qui vont dans ce sens.
-Ce sont des effets particulièrement dramatiques sur le long et très long termes qui peuvent l’accompagner,
-C’est une cause précise, un domaine spécifique alors que, par exemple, le réchauffement a de multiples causes.
-C’est un ensemble, civil et militaire, qui a déjà de nombreuses alternatives en marche. Les Etats sans armes nucléaires sont les plus nombreux, nombreux aussi les Etats sans centrales nucléaires, c’est une situation connue mais il faut la souligner, et les démantèlements de toutes les filières du nucléaire, autrement dit des chantiers de lutte contre des pollutions nucléaires, seront porteurs de nombreux emplois, écologiquement, sanitairement, socialement et financièrement utiles. Et ces chantiers seront immensément longs.
-C’est « l’éternité » qui est clairement engagée quant aux déchets hautement radioactifs.
Ainsi après 2125, date jusqu’à laquelle les déchets seront réversibles, le « mausolée nucléaire français » de l’enfouissement sera scellé « pour l’éternité. »
Si ils et elles ne sont pas arrivées avant les générations futures, celles-ci , si elles sont encore là , risqueront de se trouver face à face « avec des glissements de terrain, des arrivées d’eau, des combustions, des explosions… » et ce qui sera consacré comme « crimes contre les générations futures » n’aura plus de responsables disparus depuis longtemps.
Sur une tombe était magnifiquement écrit
« Ce que j’ai gardé je ne l’ai plus,
ce que j’ai dépensé je l’ai eu,
ce que j’ai donné je l’ai. »
Les générations futures, si elles sont victimes de la radioactivité, ( d’autres atteintes peuvent ne pas les épargner) pourront faire écrire sur leurs tombes en évoquant des générations passées, entre autres celles de 1945 à 2020 :
« Ce qu’elles ont gardé elles ne l’ont plus mais pour notre malheur nous l’avons,
ce qu’elles ont dépensé on ne l’a jamais eu ,
ce qu’elles ont donné, laissé en dépôt, leurs irresponsabilités,
elles l’ont encore. »
Une des questions les plus cruciales pour la civilisation technologique, c’est de savoir comment agir sans compromettre « la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie » écrit Hans Jonas.(Voir les quatre articles sur ce blog relatifs aux responsabilités .)
Je me rappelle avoir eu la chance de participer aux paroles de créations de chansons enregistrées en 1995 et 96 , paroles de résistance à l’enfouissement de déchets nucléaires (« D’où vient l’eau du puits ? » DVD de Patricia Dallio ) où j’écrivais entre autres ceci :
« Le temps de la certitude a été synonyme de toute-puissance, il a sombré avec le Titanic.
Est venu le temps du doute, Tchernobyl est une sorte de dernier avertissement que les générations présentes se donnent à elles-mêmes.
Doit venir le temps de la précaution, il faut penser et agir à long terme pour éviter « l’irréparable ». Il faut le consacrer dans de multiples textes et s’emparer du principe de précaution face à des risques, mal connus ou inconnus, de dommages graves ou irréversibles.
Voulons-nous demain des petits-enfants sujets de leurs propres vies ou objets de la vie de quelques générations qui n’auront pas su prendre leurs responsabilités ?
Marché mondial cherche compétition, humanité cherche futur.
Oui ,Camus avait raison : « Il n’y a d’humanisme que celui des hommes révoltés. »
IV-Résistances et alternatives aux systèmes nucléocrates
1-Le sens de la limite
On le sait ou on va le découvrir, des philosophes, des économistes, des sociologues, des anthropologues et d’autres auteurs analysent de façon radicale le système qu’ils qualifient selon les cas de capitaliste, de néo libéral, de technoscientiste, ou de productiviste, système qui a étendu son emprise sur la Terre. Chaque auteur le fait dans la cadre de sa pensée générale et en insistant sur tel et tel élément mais ce point commun est bien là.
Nombreux ont été ces auteurs, ainsi Claude Levi Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy Debord , Bernard Charbonneau, Edgar Morin, Herbert Marcuse, André Gorz, Cornelius Castoriadis , François Partant, René Dumont, Théodore Monod, Jean Rostand, Kostas Axelos, Paul Virilio, Serge Latouche…d’autres encore. Nombreux sont aussi les citoyen(ne)s qui personnellement et collectivement (associations, mouvements…) partagent ces analyses.
Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites ?
Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la croissance indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. »
Cornelius Castoriadis en appelait à nous défaire des « fantasmes de l’expansion illimitée.»
Toute l’œuvre splendide, pionnière, gigantesque et porteuse d’Edgar Morin nous le redit sans cesse sous de multiples formes.
Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits et leurs actions :
d’une part le système productiviste est lancé dans une course en avant autodestructrice, il faut donc être en rupture globale avec ce système,
d’autre part une croissance illimitée sur une planète limitée nous amène vers une gigantesque collision entre l’environnement et les activités humaines.
Il faut donc « retrouver le sens de la limite »(expression de l’introduction de l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection Frankenstein,2013).
2- Un concept alternatif , celui de limites des activités humaines, concept porteur des principes
C’est donc la dénonciation de la fuite en avant , c’est également l’élaboration d’un concept porteur de principes. Ce concept ne condamne-t-il pas indirectement le nucléaire ?
Ce concept de limites ne se traduit-il pas par au moins quatre principes que l’on retrouve par exemple en droit international de l’environnement(DIE) ? (Voir notre ouvrage de DIE, éditions Ellipses, quatre éditions de 2010 à 2018).
De façon plus globale on retrouve les trois premiers principes dans la remarquable « Plate-forme pour un monde responsable et solidaire », publiée par le Monde diplomatique d’avril 1994, qui est à la fois « un état des lieux des dysfonctionnements de la planète et une mise en avant de principes d’action pour garantir un avenir digne au genre humain », plate-forme portée par la Fondation pour le progrès de l’homme, plate-forme qui devrait être symboliquement affichée sur beaucoup de portes d’universités et de lycées dans le monde, étudiée et débattue dans de nombreux cours.
Le quatrième principe a vu le jour dans des textes de plus en plus nombreux, c’est le principe de non régression.
-Le principe de précaution selon lequel les sociétés humaines ne doivent mettre en œuvre de nouveaux projets, produits et techniques, comportant des risques graves ou irréversibles, qu’une fois acquise la capacité de maitriser ou d’éliminer ces risques pour le présent et le futur. La précaution veut répondre à des risques graves ou irréversibles, mal connus ou inconnus alors que la prévention est une réponse face à des risques connus.
-Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à brûler moins d’énergie, à maitriser leurs besoins pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité, de décroissance. André Gorz écrivait : « Il est impossible d’éviter la catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les logiques qui y conduisent depuis cent cinquante ans. »
– Le principe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des modes de production et de consommation sans prélèvements, sans déchets et sans rejets susceptibles de porter atteinte à l’environnement. D’où l’existence de ces luttes pour développer des technologies propres, des énergies renouvelables et pour consacrer des éléments de l’environnement, comme par exemple l’eau, comme biens publics mondiaux (BPM) ou comme éléments du patrimoine commun de l’humanité(PCH).
-Enfin le principe de non régression. Sauvegarde signifie aussi que lorsqu’une avancée décisive, sur un point de protection importante, a été acquise, un verrou juridique doit être alors posé. Un exemple significatif est celui du Protocole de Madrid sur l’Antarctique (1991) qui interdit les recherches minérales pour cinquante ans. On ne doit pas revenir en arrière dans la protection. C’est donc ce que l’on nomme le principe de non régression. La nécessité vitale de réduire les atteintes à l’environnement ne peut que contribuer à convaincre les législateurs, les juges et la société civile d’agir en vue de renforcer la protection des acquis environnementaux au moyen de la consécration de ce principe de non régression. ( Michel Prieur est l’inspirateur de ce principe. Voir par exemple sous sa direction et celle de Gonzalo Sozzo, « La non régression en droit de l’environnement », Bruylant , 2012).
On peut ajouter que le concept de limites au cœur des activités humaines se rattache à des théories et des pratiques de décroissance et de post-croissance à travers une économie soutenable (s’éloignant du culte de la croissance, s’attaquant aux inégalités criantes à tous les niveaux géographiques, et désarmant le pouvoir financier ainsi que… la course aux armements), à travers le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur consommation, leur mode de vie, à bruler moins d’énergie pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité. Essentielles sont aussi des relocalisations d’activités, des circuits courts, des richesses redistribuées. Essentielle également cette ennemi redoutable : la compétition, remise en cause par la consécration de biens communs (eau, forêts…), par des coopérations, des solidarités , par l’appartenance à notre commune humanité , par des périls communs qui devraient nous fraterniser.
3-Les consécrations des « crimes contre les générations futures » et de l’interdiction de recherches « contraires à l’intérêt commun de l’humanité. »
Dans la future « Déclaration universelle des droits de l’humanité » (voir site spécifique), qui a été écrite par une équipe française en 2015 et qui sera un jour peut-être enfin consacrée par les Nations Unies, la notion, englobant l’environnement et la paix, de « crime contre les générations futures » pourra voir le jour.(Déjà cité notre « Droit international de l’environnement », éditions Ellipses.)L’enfouissement irréversible de déchets radioactifs devrait en faire partie, d’autres pratiques anti écologiques gravissimes aussi.
De même dans un traité devront être interdites les recherches sur les armes de destruction massive, nucléaires, biologiques, chimiques, comme portant atteinte à l’intérêt commun de l’humanité. (Voir Les recherches scientifiques sur les armes de destruction massive : des lacunes du droit positif à une criminalisation par le droit prospectif, intervention au colloque international du RDST, mars 2011 à Paris, JM .Lavieille, J. Bétaille, S.Jolivet, D.Roets, in Droit, sciences et techniques : quelles responsabilités ? Editions LexisNexis, 2011). Ce jour là sera l’une des plus importantes avancées de l’humanité, si elle y arrive.
4-Les résistances non-violentes
Les moyens non-violents des résistances.
-Il s’agit de résister en pensant et en mettant en œuvre des moyens conformes aux fins que l’on met en avant. Si l’on veut la démocratie il faut des moyens démocratiques, si l’on veut la justice il faut des moyens justes, si l’on veut la paix il faut des moyens pacifiques, si l’on veut la protection de l’environnement il faut des moyens écologiques.
Face aux théories et aux pratiques dominantes voire écrasantes à travers l’histoire qui correspondent à la pensée de Machiavel « Qui veut la fin veut les moyens », il faut résister en se fondant sur cette pensée radicale et lumineuse de Gandhi : « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » ( voir « Tous les hommes sont frères », Folio essais, Gallimard). (voir aussi nos articles « Les moyens et les fins » sur ce blog de Mediaprt et sur notre site « au trésor des souffles »)
Autrement dit aucun moyen n’est neutre, si l’on veut lutter pour la paix on ne peut que résister avec des moyens pacifiques, la course aux armements est un des moyens opposés à la paix parce qu’elle ne fait qu’accroitre l’insécurité, les guerres, les injustices et la dégradation mondiale de l’environnement.
– L’histoire de la non-violence, en partie méconnue, révèle l’efficacité de ces méthodes d’action qui, comme le disait Jacques de Bollardière , « mobilisent par delà le mépris, la violence et la haine. »(Voir à ce sujet la revue opérationnelle « Non-violence Actualité », et la remarquable revue « Alternatives non-violentes », directeur F Vaillant, ainsi que les travaux, eux aussi remarquables, de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits-IRNC, créé par F. Marchand , JM Muller, C Mellon, J Sémelin, C Delorme.)
-Ces moyens reposent sur un cadre non-violent c’est-à-dire un respect de la dignité humaine, une exigence de justice, une combativité positive (et non une agressivité) face au conflit. (J Sémelin, La non-violence expliquée à mes filles, Seuil, 2000).
Cette méthode de règlement des conflits refuse la violence d’oppression dans laquelle on impose sa loi, elle refuse la violence de soumission dans laquelle on renonce à ce que l’on pense être essentiel. On cherche ensemble, dans le respect des personnes et la confrontation, des solutions justes. (JM Muller, Lexique de la non-violence, ANV,1998). Jacques Sémelin insiste sur « trois principes majeurs : l’affirmation de l’identité du sujet résistant (…), la non coopération collective(…), la médiatisation du conflit c’est à dire susciter la constitution de « tiers » qui appuient sa cause. » (Jacques Sémelin, « Du combat non-violent » dans l’ouvrage « Résister. Le prix du refus », sous la direction de Gérald Cahen, éditions Autrement, Série Morales n°15,1994)
La non-violence n’a pas le monopole de certains des moyens qui suivent. Ces moyens, énumérés à titre indicatif, font partie des pratiques essentielles de l’action non-violente. Il s’agit , de façon non exhaustive, de la non-coopération, la désobéissance civile (Alain Refalo, Les sources historiques de la désobéissance civile, colloque Lyon 2006), l’obstruction non-violente, l’objection de conscience, la grève de la faim, la grève, le sit in (s’asseoir sur la voie publique en particulier des places), le boycott, le refus de l’impôt sur les armements, les pétitions…(JM Muller, Stratégie de l’action non-violente, Seuil,1981).Les non-violents ont aussi des pratiques d’éducation à la paix,
Dans cette perspective ne pensons pas que sera toujours dérisoire ce que Jean Rostand appelait de ses vœux : « l’objection collective scientifique » face à ce que certains qualifieront d’inacceptable. Des scientifiques sont entrés (personnellement et/ou collectivement) et entreront demain en résistance, au grand jour ou plus discrètement.
Ils ont vécu ou vivront, et d’autres avec eux, le retournement de la question du risque. Au lieu de se demander « qu’est-ce que je risque si je ne fais pas cela ? » ils se demandent « qu’est ce que les autres risquent si je fais cela » ?
De façon plus générale d’ailleurs ce retournement se pose dans des rapports entre le risque et la prudence. « C’est dans l’incertitude et le risque qu’il faut assumer nos actes » écrit Simone de Beauvoir.
Ajoutons que nombreuses pourront être les situations où on va se demander « Si je vais au milieu de tel ou tel conflit qu’est-ce que je risque ? Mais si je n’y vais pas qu’est-ce que l’autre risque ? » On peut alors « tomber » en solidarité.
Il est cependant clair que les résistances contre le nucléaire devront être plus globales , ce sont et ce seront celles de l’ensemble des sociétés civiles (citoyen(ne)s, associations, réseaux, fronts communs,…), d’ Etats, d’organisations régionales et d’autres acteurs, par exemple des collectivités territoriales, des juridictions à tous les niveaux géographiques, des administrations, des entreprises…
A propos de la non-violence constatons avec force qu’ une partie de plus en plus importante des jeunes générations, dans le sillage de multiples formes de résistance non-violentes locales et des deux immenses résistances non-violentes, celles de la marche du sel en 1930 en Inde et celle des populations de l’Est en 1989,ont commencé des marches de résistances non-violentes , demain probablement gigantesques, dans les luttes pour des politiques radicales face au réchauffement climatique. Elles ne sont pas le remède miracle, elles peuvent être de puissants leviers pour soulever les montagnes, avec aussi d’autres moyens.(Voir quatre articles mis en ligne le 7 mai 2020 sur ce blog.)
5-Les logiques autodestructrices de ce système
Les gouffres nucléocrates financiers auront aussi leurs propres logiques auto destructrices, accompagnées alors de résistances de citoyen(ne)s face à des besoins fondamentaux non satisfaits.
6-Le rappel des alternatives au nucléaire civil et militaire
Les coûts des énergies renouvelables et leurs avantages écologiques apparaitront de plus en plus porteurs et contribueront à ces remises en cause du nucléaire civil.
De même les économies massives et planifiées d’énergie.
Des alternatives de défense pourront contribuer à des remises en cause du nucléaire militaire. (Voir la très remarquable revue « Alternatives non-violentes. »).(Voir aussi mes deux ouvrages « Construire la paix », éditions la Chronique sociale,1988.)
Remarque terminale
Ainsi doit peu à peu voir le jour dans les vies des peuples, des générations présentes et futures, ce concept, porteur de principes et de multiples remises en cause, le concept de LIMITES AU COEUR DES ACTIVITES HUMAINES.
Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites? N’est-ce pas la question des questions que pose le nucléaire et que nous devons lui poser?
Post scriptum . Témoignage de l’auteur du site.
Par rapport au nucléaire civil j’ai le souvenir de notre manifestation contre le surgénérateur de Creys Malville avec la mort d’un manifestant en juillet 1977, celui aussi du revirement , commencé depuis quelques années, sur la force de frappe que le PS a décidé de conserver, il m’apparaissait inacceptable, et dans une « lettre ouverte » de septembre 1977(envoyée à la « Gueule ouverte » et à « Combat non-violent » qui la publient), j’ai démissionné de toutes mes fonctions au PS puis du PS lui-même, enfin avec des amis nous avons créé le « Collectif Paix Liberté » à Limoges, parcours militant finalement classique.
Par rapport au nucléaire militaire j’ai un souvenir poignant qui m’a marqué jusqu’à ce jour et, lorsque dans un voyage associatif , j’ai vu au Bangladesh dans la gare de Dacca le premier enfant mort de faim, je me rappelle les avoir réunis tous deux par la pensée , viscéralement révolté.
Lorsque j’avais douze ans , quelque temps après une opération qui m’avait sauvé la vie, j’ai découvert dans un calendrier une photo, celle du visage d’un enfant survivant d’Hiroshima nous regardant en face avec une tristesse infinie , accompagnée de quelques lignes d’un poète japonais( voir ci-dessous).. Après les explications demandées elle m’a bouleversé.
Depuis soixante deux ans j’ai gardé cette photo sur moi comme se voulant symbolique des souffrances des enfants du monde.
J’ai souvent pensé qu’elle m’avait préparé à entrer dans la compréhension de la folie nucléaire.
Le dernier mot :
Le nucléaire est bien un des éléments qui nous fait perdre le sens de la limite.
Sa force est en même temps sa folie, elle n’est qu’un des reflets de ce productivisme terricide et humanicide.
Mais il y a des fous plus sages, (« mourir sage et avoir vécu fou » disait Cervantès),
ceux et celles qui ne désespèrent pas d’un monde viable
et qui veulent le dire dans leurs vies.
Texte de Mizukawa sous la photo d’un enfant d’Hiroshima :
« Une mère aveugle
Serrant contre elle son enfant mort
Des larmes ruisselant
De ses yeux détruits.
C’était dans mon enfance ,
Ma mère me tenait par la main.
Vision de cauchemar
Inoubliable. »