Sélectionner une page

au trésor des souffles

Paix

violences

VIOLENCES : les  analyses des causes. ( V )

 

Comment globalement les violences sont-elles évoquées dans les médias, dans la vie politique, dans le langage courant ?

Il est très fréquent que soient mises en avant les manifestations des violences, violences au sein du couple, au sein de la famille, violences scolaires, violences urbaines, violences au travail, violences envers des femmes,  des enfants,  des personnes âgées, des homosexuels, des personnes handicapées, des immigrés, violences des actes racistes, violences sur les routes, violences des nationalismes, violences des guerres, violences des terrorismes, violences d’inondations, d’incendies, de cyclones, de tsunamis…

Il est moins fréquent que l’on souligne telle ou telle cause de telle ou telle violence, 

Il est rare que l’on propose une vue de l’ensemble des analyses des causes des violences.

Il est  plus rare que l’on y ajoute un ensemble de contre-mécanismes porteurs de paix. C’est ce que nous voudrions essayer de faire.

A priori, et sous réserve de vérification, il n’existe probablement pas une seule analyse qui serait susceptible d’expliquer toutes les formes de violences, ainsi par exemple celles d’un harcèlement, d’un crime, d’une agression armée, de la faim.

Nous partirons d’un grand nombre d’analyses, pourquoi ? Parce qu’il nous paraît important de recenser les pensées d’auteurs de nombreuses disciplines pour ne pas passer à côté d’une idée clef, d’une réalité importante.

Ce nombre d’analyses a ses limites. Nous aspirons non pas, bien sûr, à nous approcher de la totalité des analyses du passé et du présent, ni même à une exhaustivité mais à une certaine globalité, à une certaine représentativité des analyses en ces débuts de XXIème siècle.

Ce recensement suppose une méthodologie, laquelle ? D’abord un classement rigoureux et clair, ensuite une critique de chaque analyse en termes positifs et/ou négatifs, enfin ce recensement en appelle à une énumération des luttes contre ces causes, autrement dit des propositions de contre-mécanismes, d’alternatives.

Dès lors, si l’on veut dresser un panorama global des analyses existantes, peut-on proposer un critère qui aurait vocation à les distinguer ?

Ne pourrions-nous pas ainsi réfléchir tour à tour aux analyses extra historiques (A) 

puis aux analyses historiques (B) ?

La cloison ne sera certainement pas étanche entre les deux séries d’analyses,  d’abord des auteurs ont des pensées dont certains éléments se rattachent aux premières, d’autres aux secondes (Freud), ensuite des visions peuvent être interprétées de façons variables les situant hors de l’histoire ou dans l’histoire (Hegel), enfin au cours d’une vie, personnellement et/ou collectivement, nous pouvons être plus sensibles à une analyse étouffée par une grande fatalité ou, au contraire, montrant des marges de manœuvres importantes.

Pour chacun des deux développements (A puis B) nous adopterons une même démarche : comprendre les caractères communs des analyses de chacun de ces deux grands regroupements, autrement dit les justifier(1), nous ferons ensuite une synthèse des analyses les plus fréquentes aujourd’hui(2), puis des autres analyses pour chaque regroupement(3).

A titre bibliographique rappelons simplement l’ouvrage remarquable de Jacques Sémelin « Pour sortir de la violence »(1983) et la revue trimestrielle, elle aussi remarquable, « Alternatives non-violentes ». Signalons enfin un  ouvrage qui synthétise des analyses, « Violence et pouvoir » de François Stirn,  éd.Hatier, 1978.

 

 

 

 

A-Les analyses extra historiques des causes des violences

 

1-Les caractères communs des analyses extra historiques des causes des violences

a)Ces analyses sont en dehors de l’histoire humaine,c’est à dire qu’elles ont des causes qui sont soit extérieures aux êtres humains (par exemple le cosmos), soit inhérentes aux êtres humains mais indépendamment des moments de l’histoire, des types de sociétés, des vies personnelles et collectives.

  1. b) Dans ces analyses les violences en général et les guerres en particulier sont considérées comme des phénomènes immuables, indépassables.Elles ont toujours existé, elles existeront toujours. Le poids de la fatalité est ici très grand.

c)Ces analyses ont, de nos jours, une place beaucoup moins importante que les analyses historiques à l’exception de la théorie de la violence innée de la nature humaine, théorie à laquelle se rattachent certains auteurs mais aussi beaucoup de personnes qui, dans le langage courant , affirmeront facilement : « C’est comme çà, ce sera toujours comme çà ».

2-Les analyses extra historiques les plus fréquentes de nos jours : la violence innée de la nature humaine

Ne faut-il pas se situer par rapport à la conception que l’on peut avoir de la nature humaine ou au moins entrer dans la question ? Il y a très probablement au moins trois façons de la concevoir.
Certain(ne)s pensent qu’elle est mauvaise (agressivité innée). D’autres pensent qu’elle est bonne et que, par exemple comme le croyait Rousseau, c’est la société qui la change. D’autres pensent qu’elle peut tout être, la meilleure, la pire, ou l’entre deux, cela selon les conditions des sociétés dans lesquelles on se trouve et selon les volontés personnelles et collectives. Si l’on partage la première conception on est amené à dire que la violence est innée, « naturelle », qu’elle est inhérente à la nature humaine.
Le choix des analyses proposées ici s’est fait en mettant en avant une idée forte, celle-ci se rattache à un auteur dont elle peut être au centre de l’œuvre (Lorenz) ou un simple élément d’une pensée complexe (Freud). Il arrive aussi que l’idée ne soit pas symbolisée par un auteur mais que sa force soit réelle (par exemple les violences cosmiques).
Il s’agit enfin de synthèses très courtes soulignant l’essentiel du contenu d’une analyse et l’essentiel d’une critique possible de celle-ci.

  1. a) L’homme méchant par nature. Thomas Hobbes , dans le Léviathan (1651), pense que l’état de nature est celui de « la guerre de tous contre tous », que l’homme est égoïste, calculateur, violent. Chacun s’efforce de détruire l’autre ou de le dominer. « L’homme est un loup pour l’homme », gouverné par le seul instinct de conservation il sera éternellement violent.
    Seul le Souverain, dépositaire de l’Etat tout-puissant, le Léviathan, peut lui fermer sa bouche carnassière par la crainte du châtiment et la mise en oeuvre de sanctions. L’Etat tout-puissant va protéger les citoyens contre leur propre violence.
    L’ouvrage sera utilisé comme une des justifications de l’Etat autoritaire (l’armée prend le pouvoir, ou le parti unique et le dictateur exercent leurs emprises sur le pays) et une des justifications de l’Etat totalitaire (un Etat autoritaire absolu : « Tout dans l’Etat, rien contre, rien en dehors. »)
    La citation « l’homme est un loup pour l’homme » est passée dans le langage courant, elle est synonyme de fatalité. Nous verrons ce qu’en pensent les tenant(e)s des théories de l’agressivité acquise pour lesquels l’homme n’est pas méchant par nature.
  2. b) La pulsion de mort. Sigmund Freud, dans « Malaise dans la civilisation »(1929) et dans une lettre à Einstein « Pourquoi la guerre ? »(1933), pense qu’existent la pulsion de vie(Eros) et la pulsion de mort(Thanatos).
    Cette dernière est instinctive, elle vise à détruire. Mais cette pulsion de mort est aussi liée à une « désillusion historique », les progrès de la science et du commerce, contrairement à ce que certains croyaient, n’ont pas provoqué la fin des guerres.
    Cependant les deux textes cités sont donc également un appel à un Eros maîtrisant Thanatos. La civilisation doit permettre que l’agressivité de chacun soit orientée vers des tâches constructives porteuses d’une certaine coopération. Dans cette conception la pulsion de mort peut être remise en cause. On est donc ici dans l’histoire, une civilisation peut devenir plus pacifique.
  3. c) La fatalité biologique. Konrad Lorenz, zoologiste autrichien, qui étudiait les animaux en milieu naturel, dans « L’agression »(1969), affirme que la violence est inscrite dans nos gènes, que « la guerre est le résultat d’une fatalité biologique », elle est inéluctable.
    Notre « agressivité naturelle », comme celle des autres animaux, nous amène à distribuer et à protéger des territoires.(Voir dans le même sens un anthropologue américain, Robert Ardrey, « Le territoire », (1967).)
    Lorenz fait un amalgame conceptuel, un raisonnement par analogie, ne tenant pas compte d’une approche interdisciplinaire, il passe de l’escalade violente entre deux coqs, puis entre deux garçons, enfin entre deux Etats.
    Face à l’empire des gênes on trouvera en fait la loi du milieu (voir ci-dessous B, 3° a), c’est à dire des théories sur l’agressivité acquise, et non pas l’agressivité innée comme le prétend Lorenz et d’autres avec lui.

3- Les autres analyses extra-historiques des causes des violences

 Ces analyses se déploient tous azimuts avec cependant ce point commun très fort souligné dès le départ : ces causes sont inscrites dans une fatalité en dehors de l’histoire.

  1. a) Des interventions de l’au-delà. Un auteur comme Joseph de Maistre, dans « Les Soirées de Saint-Pétersbourg » (1830), affirmait que la guerre avait pour cause la « volonté divine vengeresse », Dieu se venge de l’injustice que les hommes ont commise en oubliant que la vie est un don sacré. Ce dieu vengeur est ici loin d’un dieu d’amour auquel d’autres croient.

On trouve aussi, en particulier dans certaines religions, le Diable c’est à dire l’esprit personnifiant le mal, diable associé à trois figures : le Serpent de la Genèse, l’Ange révolté déchu puis précipité en enfer, et enfin Satan. Le Diable est considéré comme l’esprit personnifiant le mal, c’est lui qui divise, c’est lui qui détruit.

Cette idée de vengeance, ou de menace venue d’ailleurs, se retrouve aussi, par exemple, chez des personnes ou des groupes qui croient que des forces, extra terrestres, ou cachées sur notre planète, nous gouvernent, nous manipulent, nous poussent aux violences et en particulier aux guerres.

  1. b) Les violences cosmiques. La source des violences en général et des guerres en particulier se trouve dans l’univers. Le cosmos est violent dans ses origines, avec le Big Bang initial, et dans son histoire, avec des chocs gigantesques entre galaxies, entre étoiles, ainsi des mondes meurent et naissent. L’homme est violent parce qu’il est à l’image de l’univers dans lequel il se trouve.
    Ce raisonnement par analogie déduit d’une évolution astrophysique, incommensurable dans l’espace et le temps, une condition inéluctable pour l’humanité. Cependant l’humanité est liée à de multiples données qui ne sont pas seulement physiques, elle est limitée dans l’espace et le temps, deux réalités qui ne sont pas comparables.
    Il y a cependant deux séries d’hypothèses scientifiques qui peuvent concerner les êtres humains. D’une part la disparition physique totale de la Terre qui entraînerait aussi celle de tout le vivant. Des astrophysiciens ont établi une dizaine de scénarios, par exemple sa disparition dans un trou noir. Ces hypothèses ont quelque chose d’extra historique dans la mesure où elles sont imprévisibles dans l’espace et le temps et dans la mesure où la fatalité de la disparition, à partir d’une cause extérieure à l’humanité, serait telle qu’aucun contre- mécanisme pour l’en empêcher ne serait possible.
    D’autre part, seconde série d’hypothèses, la menace de la disparition d’une partie du vivant. Ainsi sont étudiées, par exemple, les trajectoires d’astéroïdes qui se rapprocheraient de la Terre et pourraient éventuellement la heurter. Ces hypothèses de violences extrêmes sous forme de catastrophes ont quelque chose d’historique pour au moins trois raisons. D’abord elles se sont déjà produites, en particulier il y a 360 et 65 millions d’années, ensuite on avance dans ces prévisions en soulignant même les jours ( !) des risques les plus grands de collision, enfin on peut les combattre, jusque à un certain degré bien sûr, degré au delà duquel l’humanité serait impuissante et dans la prévention et dans la réparation des effets apocalyptiques.
  2. c) La lutte des contraires. Héraclite d’Ephèse, dans ses « fragments » (500 avant J.C) cités par divers auteurs (voir par exemple « Héraclite et la philosophie », Kostas Axelos ,  éditions  de minuit, 1962), faisait du Feu le principe d’un univers en perpétuel devenir.
    Contrairement à Parménide pour lequel « tout demeure », il pensait que « tout devient ». Le moteur de ce devenir c’est la lutte des contraires, « chaque réalité n’existe qu’en s’opposant à son contraire », ainsi le jour la nuit, la paix la guerre…Le conflit serait donc le père de toutes choses et la condition nécessaire du devenir.

Cette pensée a une force impressionnante. C’est elle qui a inspiré à la fois l’idéalisme et le matérialisme, deux courants de pensée opposés.

 L’idéalisme (Hegel) selon lequel au début il y a l’être qui ne se pensait pas et qui, pour se penser, se donne son contraire, la matière dont il triomphera enfin. Le matérialisme (Marx) selon lequel çà n’est pas l’esprit qui se donne son contraire, ce sont les hommes qui ont produit l’aliénation imposée par les dominants et l’histoire des hommes c’est celle des luttes de libération.

On voit donc que la lutte des contraires peut être interprétée extra historiquement ou, au contraire, historiquement. Dans cette dernière façon de concevoir le réel est-ce que ce ne sont ici et là des luttes de contraires -et lesquels ?- que l’on retrouve dans différentes violences ? Comment les dépasser ?

  1. d) Le désir de l’autre, menace permanente et indépassable. Friedrich Hegel, dans « La raison dans l’histoire »(1830), montre la fécondité des contradictions, elles permettent le devenir de l’univers et celui de l’histoire humaine. Or l’histoire humaine est fondée sur la conscience vers la liberté, cette conscience est avant tout désir, c’est ce désir qui est source de violence, on cherche à nier l’autre pour ne pas être nié par lui. Une lutte violente s’engage pour être reconnu par l’autre, le désir de l’autre me menacera  toujours .  « Nous sommes condamnés à être violents», la violence et la guerre sont des moteurs indépassables de l’histoire.
    Dans cette vision ne peut-on pas dire que tout a une histoire… sauf ce qui est au fondement de l’histoire ? En ce sens on a voulu ici inscrire cette pensée dans les analyses extra historiques, avec pour marque ce poids insurmontable de la fatalité.
    Dans cette analyse on est également loin de l’altérité. Où sont les fraternités vécues, les solidarités passées, présentes et à venir ?

 

 

B- Les analyses historiques des causes des violences

 Nous poserons les mêmes questions que dans le développement précédent : quels sont leurs caractères communs(1) ? Quelles sont les analyses historiques les plus fréquentes(2) ? Quelles sont les autres analyses historiques(3)? Nous terminerons par un exemple, celui  des analyses historiques des causes des totalitarismes, systèmes de  violences gigantesques (4).

1-Les caractères communs des analyses historiques des causes des violences

 On retrouve les trois éléments opposés ici à ceux des analyses extra historiques.

  1. a) Ces analyses sont dans l’histoire humaine, c’est à dire qu’elles ont des causes qui sont liées aux périodes de l’histoire, aux types de sociétés, aux êtres humains. Les violences en général et les guerres en particulier sont des phénomènes variables selon les époques, les sociétés, les personnes.
  2. b) Dans ces analyses les violences en général et les guerres en particulier sont considérées comme des phénomènes modifiables, pouvant être dépassés . Certaines violences peuvent s’amplifier, d’autres apparaître, d’autres devenir plus rares ou disparaître. La fatalité n’existe pas, nous pouvons sortir de nombreuses violences (voire de la violence ?), nous pouvons « inventer la paix ».
  3. c) Ces analyses ont de nos jours un poids beaucoup plus important que les analyses extra historiques. Les analyses économiques sont particulièrement présentes dans une société productiviste mondialisée. L’ensemble des analyses montre une variété plus grande que les précédentes ce qui appelle à de nombreuses luttes et, aussi, à des stratégies communes pour regrouper des forces.

2- Les analyses historiques les plus fréquentes des causes des violences : les analyses économiques.

Ces analyses sont les fruits de multiples disciplines, en particulier philosophiques, sociologiques, économiques. Rappelons que les économistes classiques (Adam Smith,« Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations »(1776), et David Ricardo « Des principes de l’économie politique et de l’impôt »(1817), pensent que la liberté du commerce conduit vers la paix universelle, la guerre n’est pas un phénomène économique, le marché et la croissance se situent dans « l’hypothèse normale de la paix. » Et pourtant les analyses économiques de la violence ont été et sont nombreuses.

  1. a) La propriété. Jean-Jacques Rousseau, dans « Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes »(1758), pense que tous les malheurs viennent de la propriété. Le passage est célèbre : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire « ceci est à moi » et trouva des gens assez simples pour le croire fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, de misères et d’horreurs n’eut point épargné au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eut crié à ses semblables : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne ! »
    Intuition de génie à l’heure où le patrimoine mondial de l’humanité a tant de mal à émerger face aux souverainetés étatiques, face à la dégradation écologique d’un productivisme prédateur, face à la course en avant de générations présentes hypothéquant l’environnement qui conditionne la vie et la santé des générations futures.
  2. b) La propriété privée des moyens de production, les antagonismes de classes, et de nouveaux débouchés pour le capitalisme. Karl Marx, dans « Le capital »(1867), distingue, contrairement à Rousseau, plusieurs types de propriétés : la propriété permise par le travail indépendant, l’appropriation capitaliste de la propriété privée, et « la propriété socialiste enfin qui rétablit non la propriété privée du travailleur mais sa propriété individuelle fondée sur la possession commune de tous les moyens de production car ce qui est à tous est à chacun. »Marx pense que la propriété privée des moyens de production est une violence à l’origine de la plupart des autres violences. « L’appropriation capitaliste vient d’un vol, on a enlevé au travailleur le fruit de son travail. » Après l’appropriation des esclaves, des terres, voilà celle du capital , capital industriel, capital financier.
    Pour Marx et Engels la guerre s’explique par des antagonismes économiques et par des manœuvres de diversion dans le cadre de la lutte des classes.
    Depuis Marx la guerre est analysée par des marxistes comme permettant de créer de nouveaux débouchés. Le capitalisme, pour préserver ses taux de profit, établit des stratégies économiques, sociales, idéologiques, militaires, porteuses de multiples violences.
    D’autres marxistes insistent sur le fait que la guerre va permettre de redonner force aux ressorts de l’exploitation capitaliste en faisant taire le refus de cette société productiviste, c’est l’union sacrée contre l’ennemi.
  3. c) La rareté liée à un manque de ressources et à une mauvaise répartition des richesses. Parmi les auteurs soutenant cette thèse on trouve des économistes, des sociologues mais aussi des philosophes, ainsi Jean-Paul Sartre, dans « Critique de la raison dialectique »(1967), pense que la rareté est un fondement premier de la violence, « la rareté quelque soit sa forme, domine toute la praxis. » Il n’y a pas assez de ressources pour les besoins, cette rareté a cassé la réciprocité des hommes au travail.
    Mais nous ne sommes pas condamnés à la violence, l’histoire et les hommes peuvent la surmonter. Les ressources sont inégalement réparties, nous ne sommes pas soumis à la fatalité, la répartition des richesses est vitale.
    Soulignons qu’aujourd’hui s’ajoute une manifestation de la rareté qui n’existait pas, elle est liée, bien sûr, à la dégradation mondiale de l’environnement.
    Ajoutons aussi qu’il est nécessaire et possible de partager des avoirs, des pouvoirs, des savoirs. Ce partage se fait à travers des rapports de forces. Nous pensons que les dominants ne partagent que rarement d’eux-mêmes. Ils ne le font que si les dominés les y contraignent ou alors s’ils arrivent à avoir une conscience assez vive d’un intérêt général vital.
  4. d) L’injustice, matrice de nombreuses violences. Des mouvements de libération, des représentants de pays et de peuples dominés, des ONG, des organisations internationales et régionales, des mouvements sociaux, les alter mondialistes, le mouvement des indignés, d’autres encore, ont dénoncé et dénoncent de multiples injustices criantes.

 Très nombreux ont été et sont également les auteurs, dans de multiples disciplines, qui ont critiqué les situations d’injustice aux différents niveaux géographiques, en particulier dans les « pays du tiers-monde » puis dans les « pays du Sud ».
Parmi eux citons Helder Camara, évêque brésilien connu pour ses luttes contre la pauvreté, qui, dans « La spirale de la violence »(1975), affirmait que « les violences premières » sont la faim, la misère, l’absence d’accès à l’eau potable, « ce sont des injustices structurelles », des structures d’oppression. 
Voilà ici une des idées, une des réalités les plus fortes qui saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre : un nombre gigantesque de violences personnelles et collectives a pour terreau des injustices.
Si l’on veut une synthèse des inégalités mondiales porteuses de violences structurelles on peut se reporter au passage relatif à ces inégalités sur ce même blog à l’article  intitulé « les contenus des violences » ou aussi à la rubrique sur la justice à l’article intitulé « Les inégalités dans le monde », inégalités globales et particulières.
Le sens commun exprime d’ailleurs les liens entre inégalités et violences par exemple dans un sondage (rapporté dans Le Monde, du 1-12-2011,sondage Ipsos effectué les 18 et 19–11-2011, pour le Conseil économique, social et environnemental ), à la question « Parmi les propositions suivantes qu’est-ce qui selon vous menace le plus aujourd’hui la capacité de bien vivre ensemble en France ? » les réponses étaient les suivantes, avec un pourcentage supérieur à 100% puisque deux réponses étaient possibles : arrivait nettement en tête l’accroissement des inégalités sociales 43%, venaient ensuite la crise économique et financière 39%, les extrémismes religieux 26%, l’individualisme 25%, les extrémismes politiques 12%, le repli communautaire 9%, le fossé entre les générations 5%, ne se prononcent pas 3%.
Enfin, bien sûr, les idées et les pratiques non-violentes sont ici présentes : La Boétie, Thoreau, Gandhi et d’autres non-violents l’affirment : la force des injustices repose sur l’obéissance.
Une pensée de Amartya Sen (voir sur ce blog les articles relatifs à la justice) résume bien un sentiment profond que l’on peut avoir : « Qu’est-ce qui devrait nous tenir éveillés la nuit ? Les tragédies que nous pouvons empêcher. Les injustices que nous pouvons réparer. »

  1. e) La compétition économique. John Galbraith, économiste américain, dans « Le nouvel Etat industriel »(1967), montre en particulier que beaucoup de guerres ont été et sont liées au contrôle des matières premières, ainsi par exemple le pétrole. Ces guerres sont « des formes extrêmes de la concurrence industrielle ». Cet auteur dénonce la production de guerre comme étant « un gaspillage nécessaire qui permet la justification des dépenses d’armements et la poursuite de la course au profit ».

 La compétition peut être un des ressorts du nationalisme lequel en appelle à la domination sur d’autres pays voire  à la haine d’autres peuples.

De façon plus globale le Club de Lisbonne, animé par Riccardo Petrella, dans « Les limites à la compétitivité »(2005), dénonce « l’évangile de la compétition », mais « la bonne nouvelle » n’existe que pour les gagnants, la machine à gagner devient de plus en plus une machine à exclure, elle est donc productrice de violences.

On retrouve cette opposition fondamentale entre ceux et celles ( de loin les plus nombreux avec une véritable « colonisation des esprits ») qui pensent que la compétition est naturelle, qu’elle est saine, bonne, nécessaire , et ceux et celles (moins nombreux, mais quelque chose de minoritaire n’est pas faux pour autant…c’est simplement minoritaire) qui pensent que la compétition est un produit de l’histoire, qu’il y a des compétitions liées aux périodes et aux sociétés, que les solidarités et les coopérations peuvent et doivent l’emporter face aux périls communs qui s’appellent la débâcle écologique, les armes de destruction massive, les inégalités criantes, la techno science et les marchés financiers non remis à leurs places

.f) La conjugaison de facteurs économiques dans de nombreux conflits armés contemporains. Le plus souvent se conjuguent quatre facteurs :

En premier lieu la pauvreté des populations qui les pousse à revendiquer l’amélioration de leurs conditions de vie, le pouvoir répond par des répressions et peut en arriver à installer la terreur les victimes recourent à la contre-violence pour se faire entendre, la guerre civile s’installe. 

En second lieu le contrôle des matières premières peut être une cause profonde de l’apparition d’un conflit à travers les processus suivants : voilà un pays riche en matières premières ou en une matière première considérée comme essentielle par le productivisme (pétrole, uranium, or, ou diamant…) vitales écologiquement (eau) ,ce pays a une population pauvre, des groupes sociaux essaient de contrôler ces matières premières pour devenir plus puissants, une partie de la population pauvre peut aussi réagir, interviennent également des pays extérieurs qui ont pour objectif de garder ou de prendre le contrôle de ces matières premières. 

En troisième lieu la course aux armements contribue à pousser aux guerres : des détentions et des livraisons d’armements aggravent des tensions, entravent des règlements pacifiques de différends, poussent à transformer le différend en conflit armé, et réciproquement les guerres poussent à la course aux armements.

Pauvreté des populations, contrôle des matières premières et course aux armements peuvent alimenter des nationalismes et réciproquement. Or le nationalisme, entreprise  de domination,  pousse souvent à de nombreuses violences par exemple xénophobes, il peut être aussi un des chemins qui conduit à  la guerre.

 3- Les autres analyses historiques des causes des violences

 Ces théories sont nombreuses, essentielles, souvent complémentaires.

  1. a) L’agressivité acquise. Il s’agit d’un ensemble de réponses aux analyses relatives à l’agressivité innée de la nature humaine, en particulier à la fatalité biologique. Les auteurs sont ici très nombreux, nous soulignerons simplement les analyses principales.

Mélanie Klein, psychanalyste britannique, pionnière de la psychanalyse des enfants, dans « Essai de psychanalyse »(1920), découvre chez le nourrisson l’existence de l’agressivité à travers « une imagination féroce, des fantasmes de toute-puissance et de dévoration ». Selon elle, la vie imaginaire du nourrisson est faite d’amour et de haine à l’égard de sa mère qui lui donne le sein et le lui refuse. Klein montre que les fantasmes destructeurs sont refoulés, que l’amour prend la place de la haine.

Margaret Mead, anthropologue américaine, dans « Mœurs et sexualité en Océanie »(1950), montre que, sur un même territoire, des civilisations voisines peuvent produire des conduites très différentes à travers un véritable « modelage de l’enfant ». Ainsi, par rapport à l’agressivité, des enfants qui auront été souvent proches des bras de quelqu’un seront moins agressifs que ceux d’autres tribus qui auront au départ une vie plus hostile.

Erich Fromm, psychanalyste américain d’origine allemande, dans « La passion de détruire »(1975), affirme qu’aucune donnée significative en psychologie animale, en neurophysiologie, en anthropologie, ne confirme une agressivité innée, montre que la destructivité n’est pas une pulsion instinctive, qu’elle n’a pas de racines biologiques mais qu’il s’agit d’une « passion liée à la socio culture. »

Simone de Beauvoir, dans «Le deuxième sexe »(1949), grand ouvrage contribuant à ouvrir des « chemins de la liberté », affirme en particulier que, généralement, si le garçon est plus agressif, cela tient au fait que, depuis son enfance, on lui a répété qu’il était courageux de se battre et on a fait comprendre à la fille qu’elle devait être tendre et soumise.

Henri Laborit, biologiste, dans « La nouvelle grille »(1974) et au congrès international de criminologie de Montréal en 1977, affirme que l’agressivité prédatrice fondée sur la faim est l’exception chez l’être humain, c’est l’agressivité de compétition qui est la plus fréquente, elle est le produit d’un apprentissage basé sur les concurrences, les hiérarchies, les soumissions. Même la défense du territoire et la propriété ne reposent pas sur des instincts innés ou sur des gènes, ce sont des comportements qui peuvent être transformés par la socio culture, ainsi on peut apprendre des répartitions équitables de territoires, de biens, de personnes.

Enfin « Le Manifeste de Séville »(1986) est un appel lancé dans le cadre de l’UNESCO. Il a été écrit par une vingtaine de personnalités scientifiques (psychanalystes, sociologues, politologues, éthologues, biologistes…) qui affirment d’abord que « les animaux ne font pas la guerre », contrairement aux êtres humains qui ont cependant une culture qu’ils peuvent faire évoluer dans le sens de la solidarité. Ces auteurs du Manifeste affirment ensuite « il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre est un phénomène instinctif ou qui dépend de nos gênes même si les ceux-ci ont une certaine influence sur notre manière d’agir, mais c’est l’influence de la socio culture qui est déterminante.» Le Manifeste de Séville se termine en soulignant que « la guerre et la violence ne sont pas des fatalités biologiques »(…) « Nous pouvons inventer la paix .  »

  1. b) La soumission à l’autorité. Ces analyses sont nombreuses, nous choisirons les principales en insistant sur le fait que cet élément est soit essentiel soit important dans les objections, les insoumissions, les révoltes, les révolutions…Un des exemples les plus gigantesques de ces dernières décennies est celui des révolutions des peuples de l’Est de 1989, exemple particulièrement réussi de non-violence massive, un autre exemple d’ampleur importante a été celui du printemps de peuples arabes de 2011.

Etienne de la Boétie, grand ami de Montaigne, dans « Le discours de la servitude volontaire »(1550), met en avant l’idée selon laquelle si l’on ne soutient plus les dictateurs leurs pouvoirs s’effondrent. « Si on ne donne rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits, ils ne sont plus rien, sinon que, comme la racine, n’ayant plus d’aliment, la branche devient sèche et morte. » Il faut donc retirer son appui au tyran : « Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez mais seulement que vous ne le souteniez plus et vous le verrez comme un grand colosse à qui se dérobe sa base, de son poids même, fondre en bas et se rompre. » Ainsi il y a bien sûr la capacité de violence des régimes autoritaires mais il y a aussi et surtout la capacité de soumission des opprimés qui sont prisonniers de leurs peurs. Cet auteur de ce grand ouvrage est l’un des inspirateurs des théories et des pratiques de la non-violence qui ont vu le jour par la suite.

 Le second ouvrage est relatif à la désobéissance civile. Elle est théorisée par un américain, Henri David Thoreau, dont le texte est publié en 1849 : « Du devoir de désobéissance civile ».Il ne faut pas être complice de l’injustice que l’on condamne. L’homme juste affirme sa liberté et sa dignité par un acte d’insoumission qu’exige sa conscience, cette insoumission de l’individu face à l’Etat se manifeste en particulier par le refus de l’impôt servant à l’esclavage et  à la guerre. Ces deux œuvres, celles de La Boétie et de Thoreau, vont inspirer les théories et les pratiques de la non-violence qui ont vu le jour.

Hannah Arendt, philosophe américaine d’origine allemande, auteur de « Les origines du totalitarisme » (1951), en commentant plus tard le procès d’un haut dirigeant nazi (Eichmann), réaffirme que le processus d’obéissance est fondamental dans le totalitarisme, même le haut-fonctionnaire est préoccupé d’obéir aux ordres, « je n’ai fait qu’obéir aux ordres » diront de nombreux nazis pour leur défense.
Le procureur du Tribunal de Nuremberg répondra en disant magnifiquement et tragiquement : « Vient un moment où il faut désobéir aux ordres et obéir à sa conscience ».

Wilhem Reich, médecin, psychanalyste autrichien, dans « Psychologie du fascisme »(1933), affirme qu’il n’y a pas que les pouvoirs des dominants, les opprimés jouent aussi un rôle important dans leur soumission. Le fascisme nivelle les individus et réveille les liens affectifs familiaux dans une soumission au père autoritaire, le dictateur. Cet auteur dénonce en particulier l’éducation répressive du point de vue sexuel et, d’une façon générale, il en appelle à l’autonomie et à l’esprit critique dans l’éducation dès le plus jeune âge .

Gérard Mendel, psychanalyste, dans « Pour décoloniser l’enfant » (1977), affirme « qu’un enfant conditionné donnera vraisemblablement un adulte aliéné ». « Il se soumettra plus facilement aux Grands, au Père de la Nation, à l’Etat. » Mendel pense qu’obéir n’est pas forcément se soumettre.
Il faut distinguer, souligne-t-il, entre l’obéissance et la soumission à l’autorité. On peut obéir par consentement volontaire et éclairé. Dans la soumission passive à l’autorité c’est la volonté de l’autre que l’on exécute.

Stanley Milgram, psychosociologue américain, dans « La soumission à l’autorité »(1974), a étudié les effets de la punition sur l’apprentissage, l’expérience est d’ailleurs reconstituée dans le film « I comme Icare ».La punition consistait en décharges électriques administrées par des volontaires recrutés par petites annonces, décharges envoyées à des compères de Milgram. Cet auteur démontre que « 60% à 85% des personnes, en situation d’autorité, sont prêtes à torturer leurs semblables » ! 
Ce que l’expérience de laboratoire permet de prouver scientifiquement, l’histoire et en particulier les guerres se chargent de le montrer à travers d’horribles et multiples réalités. Plus on est intégré dans une structure plus on s’en dégage difficilement, L’obéissance peut ainsi être pourvoyeuse de violences. Il existe un double mécanisme : on s’en remet aux chefs donc on atténue son sentiment de culpabilité et on nie la souffrance de la victime, on dévalorise la victime que l’on peut même qualifier de « sous-homme. » 
Face à des ordres criminels ou terriblement injustes on peut être amené à obéir aux chefs et à désobéir à sa conscience. C’est au sursaut de la conscience qu’il faut en appeler, dire non c’est alors vouloir rester humain.

  1. c) Le mécanisme de transgression du sacré. Georges Bataille, dans « L’érotisme »(1957), pense que les interdits ont pour objectif d’éloigner les hommes des puissances sacrées, d’opérer une séparation entre le monde sacré, symbolisé par l’interdiction de l’inceste et du meurtre, et le monde profane, symbolisé par le travail. Ce sont les transgressions qui vont relier les hommes au sacré, ces transgressions s’appellent la fête, l’orgie, la guerre.
    Roger Caillois, dans «L’Homme et le Sacré »(1938), qualifiera la guerre de « fête noire du monde moderne », elle va remplir le rôle que ne joue plus la fête, c’est un défoulement collectif, une sorte d’ agression sexuelle collective.
    Mais si transgression et défoulement dans la guerre commencent quelquefois par « la fleur au fusil » l’une et l’autre basculent vite dans une somme de souffrances terrifiantes.
  2. d) Le désir mimétique et le mécanisme victimaire. René Girard, dans « De la violence à la divinité »(2007), qui réunit quatre de ses ouvrages, en particulier « La violence et le sacré » (1972), « Bouc émissaire »(1982), met en avant d’éclairants instruments d’analyse qui « ne sont pas des idées philosophiques, des concepts sociologiques. Ce sont des rapports humains très simples. » Il s’agit du « désir mimétique » et du « mécanisme victimaire. »
    Le désir est copié sur un autre désir, il est « mimétique », il y a un sujet désirant, un autre sujet désirant à imiter, un objet désiré. Le ressort du conflit s’appelle la concurrence « rivalitaire », chacun désire ce que désire autrui. Apparaît ainsi les cycles des jalousies, des haines et des vengeances. Se laisser prendre par ces concurrences religieuses, nationales, idéologiques, voilà qui va multiplier les violences…L’escalade de la jalousie, l’escalade des « comparaisons venimeuses », celle aussi des représailles, accompagnent la mondialisation.

De nos jours  la violence mimétique s’étend sur la planète, et, souvent au nom de la religion, elle s’exerce en particulier contre l’Occident qui a produit cette mondialisation.
Les sociétés dites primitives pensaient que les puissances divines qui nous donnent la vie peuvent aussi à tout moment la retirer. Le sacré a une double face : il est vénéré parce qu’il fait vivre, il fait peur parce qu’il tue. Il existe donc une violence fondatrice du sacré puisque ces puissances divines provoquent en nous des pulsions de vie et de destruction. Ainsi « la violence et le sacré sont inséparables.»
Les cultures archaïques ont ainsi cherché à domestiquer la violence en faisant appel au religieux, c’est le sacrifice qui va servir d’exutoire temporaire. Dès les sociétés primitives c’est pour se protéger des désirs de destruction qui rendent à tout moment possible la violence réciproque, œil pour œil, dent pour dent, que les hommes ont inventé « la violence unanime du sacrifice qui les réconcilie aux dépens d’une victime émissaire ».Le mécanisme a fonctionné contre des animaux, des personnes, des groupes, des peuples, des Etats. C’est le « tous contre un.» On veut arrêter la violence par la violence. Ce mécanisme a été mis en oeuvre de façon terrifiante à travers différentes périodes.
Loin de s’arrêter la violence a proliféré, le mécanisme est en train de se casser, parce que les transcendances ne sont plus ce qu’elles étaient, parce que nous commençons à comprendre que nous sommes les acteurs de violences à travers par exemple des injustices planétaires, parce que l’utilisation d’armes de destruction massive, sortes de formes de violences sacralisées, peuvent faire disparaître les ennemis mais aussi ceux qui les emploient.
René Girard pensait qu’il faut rompre avec le sacrifice d’autrui quelle que soit la  cause avancée. Il faut rompre aussi avec le sacrifice de soi, désir de se sacraliser qui n’a rien à voir avec les risques que l’on peut prendre pour combattre une violence en donnant place à la vie.

  1. e) Le consentement à la violence. Marc Crépon, dans « Le consentement meurtrier »(2012),pense que nous avons conscience des scandales de la faim, de la misère, des inégalités, nous savons aussi que des intérêts économiques, financiers, militaires, par exemple à travers les ventes d’armes, entretiennent des situations de violences. « « Le consentement » qui en résulte peut donc être tacite, négligent, oublieux, il est d’autant plus fort que les violences sont lointaines, il signifie déjà une forme de résignation à la violence.
    Pour cet auteur les « voies de dégagement » s’appellent la révolte, la bonté, la critique, la honte.
    Primo Levi dans « Si c’est un homme », témoignage poignant sur l’horreur des camps nazis, écrit : « Il nous reste encore une ressource et nous devons la défendre jusqu’au bout parce que c’est la dernière : refuser notre consentement. »
    Il est important de renvoyer ici à une autre analyse, celle des non violents qui en appellent à la résistance active, la non-violence est aussi un refus de la résignation et de l’indifférence.

Enfin a contrario rappelons un exemple de résistance importante, celui de la lutte pour la criminalisation du viol enfin  consacrée par une loi de 1980. Au procès de 1978 Gisèle Halimi, avocate et militante féministe, fondatrice avec Simone de Beauvoir et Jean Rostand du mouvement « Choisir la cause des femmes », avait dénoncé le scandale de l’argument  de la défense qui mettait toujours  en avant le consentement au viol.

  1. f) La spirale du ressentiment et de la colère. Peter Sloterdijk , dans « Colère et temps » (2007),pense que la colère est une « force fondamentale dans l’écosystème des affects ».
    Considéré comme « un penseur de l’impulsion » (voir les articles de Jean Birbaum en ce sens dans Le Monde du 23-11-2007) il affirme  qu’autrefois  la colère des exclus et des humiliés trouvait des exutoires, ainsi l’Eglise chrétienne puis l’Internationale communiste constituaient de véritables « banques de la colère », et selon l’auteur l’islamisme prend le relais.
    En effet, affirme-t-il, d’une part il y a l’Occident qui a mondialisé la planète et qui fait l’objet de toutes les colères, d’autre part il y a des groupes qui exploitent la colère universelle accumulée, ces groupes n’offrant « qu’une mystique du combat, une religion du suicide. » 
    Trois critiques peuvent être faites à cette analyse. D’abord la géopolitique du ressentiment peut expliquer une partie des violences (certaines guerres et certains terrorismes) mais n’épuise pas le champ immense d’autres formes de violences. Ensuite en amont de la colère on retrouve un facteur qui explique nombre de ressentiments, il s’agit des inégalités criantes et mortelles de notre monde. Enfin et surtout l’auteur affirme que « même si toutes les questions sociales étaient résolues, la dimension de l’orgueil et de l’ambition demeurerait », nous pensons au contraire que si nombre d’inégalités disparaissaient nombre de violences disparaîtraient aussi, et que l’orgueil serait  probablement pour une large part  asséché par une compétition qui se tarirait.
  2. g) La paranoïa et la dépression collectives. Franco Fornari, psychanalyste italien, dans « Psychanalyse de la situation atomique »(1972), rattache l’histoire collective à l’histoire individuelle.
    Il peut arriver qu’une enfance amène soit à une position paranoïde, c’est à dire que le sujet veut se sauver en détruisant l’objet par lequel il se sent détruit, soit à une position dépressive, c’est à dire que le sujet veut sauver l’objet aimé au point de se sacrifier.
    Fornari pense que la position paranoïde amène à déclarer la guerre et que la position dépressive amène à l’accepter.
    L’auteur explique aussi que « l’on confie sa propre violence à l’Etat qui la capitalise pour la transformer en armes de terreur », les armes de destruction massive seraient donc un reflet de nos peurs d’un autre qui, à travers les propagandes, va être qualifié d’ennemi.
    Un des points forts de cette analyse nous parait être la fabrication de l’image de l’ennemi qui nourrit le nationalisme et ses dominations.
  3. h) Des idées dont certains usages peuvent être meurtriers. Marc Crépon, dans « Les Géographies de l’esprit »(1996) et dans « Le consentement meurtrier »(2012) (évoqué plus haut dans « le consentement à la violence ») interroge les identités et l’intolérance.
    Ainsi mettre en avant les identités des peuples n’est-ce pas préparer des exclusions, des conflits, des guerres ? « Fracturer le genre humain » n’est-ce pas là une source profonde de violences possibles ?
    « Il y a des idées qui finissent par tuer. La nation, la patrie, l’identité, la sécurité sont des concepts dont les usages peuvent s’avérer extrêmement meurtriers. »
    L’auteur en appelle à la philosophie qui est de « remettre de la vigilance critique dans l’usage indu qui peut être fait de ces représentations.»

Nous pensons, pour notre part, que l’on doit articuler les différents lieux de vie : ainsi le village, la ville, la région ce sont nos terroirs, le pays c’est notre patrie, le continent c’est notre « matrie », la Terre c’est notre foyer d’humanité.

 Il faut que chaque lieu puisse vivre et qu’il respecte les autres, tout cela en se fondant sur des luttes pour la démocratie, la justice, l’écologie et la paix . Plus facile à dire qu’à faire…

i)Le sécuritaire, l’administration de la peur et la fabrication de l’image de l’ennemi

 Si la sécurité apparait légitime, la consommation de la sécurité doit avoir personnellement et collectivement des limites, sinon on peut entrer ou basculer dans l’obsession sécuritaire.

. « Le virage sécuritaire » de différents pays « consiste à restreindre des droits humains pour répondre à des menaces sans pour autant répondre à une meilleure protection des citoyens » (rapport 2016 de l’ONG Human Rights Watch)

 Le sécuritaire est lié à l’imaginaire répressif et au fonctionnement du mécanisme du bouc émissaire voire à la fabrication de l’image de l’ennemi. Il n’est pas rare que l’on désigne des « classes dangereuses », par exemple  des jeunes délinquants,  des malades mentaux, des homosexuels,  des immigrés, des étrangers …

On emploie parfois le terme « ensauvagement » qui  renvoie à des personnes de  quartiers difficiles, à des immigrés, à des communautés étrangères, bref à des sortes de « sauvages » qui menacent le mode de vie et la tranquillité des personnes  « civilisées. ». Au lieu de s’attaquer aux causes de ces difficultés on stigmatise des personnes et des collectivités, c’est aussi un  mécanisme du bouc émissaire , du « tous contre un. »

 Demain « les nouvelles classes dangereuses  massives » seront les déplacés environnementaux que certains veulent, par exemple,  parquer sur des océans  ou arrêter si besoin, ce qui commence ici et là, par des murs et des miradors aux frontières.

 L’obsession sécuritaire d’une part devient paralysante et d’autre part cette forme d’« administration de la peur » (expression de Paul Virilio) comporte des dangers. Des institutions, des pratiques, des techniques peuvent porter atteinte à des libertés fondamentales, à la vie privée de populations  ou de personnes.

 Les sociétés du contrôle social, les sociétés de surveillance, à travers des fichiers et des techniques de plus en plus nombreuses liées en particulier au numérique, peuvent se rapprocher du Big Brother, personnage de fiction du roman 1984 de George Orwell ( roman publié en 1949.)

 Les luttes contre les idéologies  et les pratiques sécuritaires en appellent aux traitements des causes, ainsi  par exemple la lutte contre la pauvreté et l’échec scolaire par rapport à la délinquance de jeunes , ainsi une psychiatrie conçue non comme une discipline sécuritaire mais une discipline soignante par rapport aux malades mentaux, ainsi un accueil puissamment organisé internationalement par rapport aux réfugiés politiques et aux immigrés économiques , enfin  des luttes contre la dégradation environnementale pour les déplacés environnementaux 

-Une forme de  sécuritaire se voulant absolu : les  armes de destruction massive

 Du point de vue global : la politique de la peur peut-être fondée entre autres sur les armes de destruction massive à travers la prolifération gouvernementale et non-gouvernementale.

 Est-ce qu’elle ne correspond pas à une sorte de vaste chantage à la mort ? C’est une fausse paix qui repose sur la peur d’être détruit, on capitalise un certain nombre de peurs face à un ennemi réel ou hypothétique, en produisant une arme monstrueuse qui est censée nous en préserver.

  La guerre correspond  à l’équation « ta mort c’est ma vie » or, explique Jacques Sémelin,  avec les armes de destruction massive on arrive à une équation selon laquelle « ta mort c’est ma mort » puisque l’emploi de telles armes menace aussi leurs utilisateurs. D’où l’urgente nécessité pour l’humanité de s’engager dans cette nouvelle équation : « ta vie c’est ma vie ». Est-ce que « changer notre rapport à la mort n’est pas changer notre rapport à la paix, à la peur, à la violence ? » ( voir sur ces thèmes l’ouvrage remarquable de Jacques Sémelin, « Pour  sortir de la violence », Editions ouvrières, 1983).Pas de paix véritable fondée sur la peur mais, souligne l’auteur, « la volonté d’évoluer vers la maîtrise de nos craintes, la gestion de nos conflits, la non-violence de nos actions, », la construction d’une sécurité commune.

  1. j) La peur de la mort. Jacques Sémelin, dans « Pour sortir de la violence »(1983), avance une des analyses les plus profondes.
    Au commencement de la violence, pense-t-il, il y a l’angoisse de mort. « Plutôt que de reconnaître que la mort fait partie de la vie nous préférons l’affronter sur celui que nous déclarons être notre ennemi. » On le tue, c’est la mort réelle, on refuse de le reconnaître, on le ramène au rang d’objet, on le méprise, c’est la mort symbolique.
    Ainsi « la violence est une grande illusion de l’homme : en tuant l’ennemi il croit se sauver de la mort. » La guerre correspond à « Ta mort c’est ma vie », mais avec les armes de destruction massive elle signifie plutôt « Ta mort c’est ma mort » dans la mesure où ces armes peuvent faire disparaître tout le monde.
    Il existe donc des liens entre peurs et violences, la peur de tel ou tel autre peut amener la violence, le déploiement de la violence peut amener la peur.
    Ainsi essayer de « changer notre rapport à la mort c’est changer notre rapport à la paix, au pouvoir, à la violence ». Il faudrait arriver à une équation selon laquelle « Ta vie c’est ma vie.»

Cette analyse  profonde ne devrait-elle pas voir le jour ou se développer   dans de nombreux enseignements et lieux d’éducation ?

  1. k) Le dérèglement du conflit. Mohandas Gandhi, dans « Tous les hommes sont frères », écrits publiés en 1969 longtemps après sa mort, et de nos jours par exemple Jean-Marie Muller, dans « Stratégie de l’action non-violente »(1972), François Vaillant dans « La non-violence »(1991), de même Jacques Sémelin cité ci- dessus, considèrent la violence comme correspondant à un dérèglement du conflit.
    Un moyen de résolution du conflit n’était pas prévu, ou n’était pas adapté, ou n’a pas été utilisé ou a été mal utilisé.
    On a eu affaire à une violence d’oppression par laquelle le plus fort a imposé sa loi et/ou à une violence de soumission par laquelle le plus faible à renoncé à quelque chose d’essentiel pour lui.
    Au contraire la résolution non-violente du conflit va reposer sur au moins quatre éléments : trouver ensemble, dans le respect des personnes, dans la confrontation des idées, des solutions justes.
  2. l) Des analyses démographiques, sociologiques, politiques des causes des violences.

Une analyse démographique est connue. C’est celle de Gaston Bouthoul qui, dans « La paix »(1960), dénonçait, parmi les causes de certaines guerres, la recherche d’un espace vital et la pression d’une surpopulation, la guerre permet alors de sacrifier un « excédent de jeunes ».La guerre, disait-il, est un « infanticide différé », le véritable désarmement doit être démographique.

Une analyse sociologique, elle aussi connue, consiste à affirmer que certaines guerres deviennent des éléments de contrôle de tout désaccord social jugé dangereux. Ces guerres vont assurer une certaine cohésion sociale, comment ? Par une « union sacrée » face à l’ennemi.

Une analyse politique est ici classique, on affirme que la possibilité permanente de recourir à la guerre est un fondement possible de la stabilité des gouvernements, la menace de la guerre contribue à l’acceptation par tous de l’autorité politique dans la mesure où elle constitue un moyen d’assurer la subordination  des citoyens à l’Etat.

  1. m) Une tentative d’analyse globale de l’apparition de la guerre. Max Escalon de Fonton, historien, dans un article du journal Le Monde ( 7 février 1979), faisait l’analyse suivante : ce sont des causes climatiques, économiques et démographiques qui ont fait apparaître la guerre.
    En effet des origines lointaines jusque vers 5000 avant notre ère, les êtres préhistoriques n’auraient pas connu la guerre, les chasseurs étaient paisibles, les tombes retrouvées n’ont pas de traces de conflits armés.
    Ensuite la Terre se réchauffe passant de 6° vers 15000 à 11° vers 8000, l’herbe pousse vers 5000, des espèces herbivores se multiplient, on fait de petites récoltes, on les surveille, l’agriculture est inventée, les grottes sont abandonnées, des villages naissent, la propriété apparaît.Des réserves sont faites pour les mauvais jours, des récoltes sont parfois prises chez les voisins. Vers 4000 arrive une petite explosion démographique et, par la suite, on trouve des traces d’enfants et de femmes assassinées dans des tombes datant de 3000-2000 avant notre ère. Voilà donc une façon d’articuler ces trois séries de causes de l’apparition des conflits armés.

4-L’exemple des analyses historiques des causes des totalitarismes, systèmes de violences gigantesques

Les totalitarismes du XXème siècle ont été le nazisme c’est-à-dire le régime politique (« national-socialisme ») en Allemagne de 1933 à 1945,le stalinisme c’est-à-dire le régime politique( « Républiques socialistes soviétiques ») en Union soviétique de 1928 à 1953,et le régime politique au Cambodge de 1975 à 1979 (les khmers rouges et le « Kampuchéa démocratique »).

A cela il faut ajouter la période totalitaire sous la Chine de Mao, pendant « la Révolution culturelle » de 1966 à 1976, et la Corée du Nord de 1948 à nos jours dont le régime est souvent qualifié de totalitaire dans la mesure, entre autres, où existent des camps de détention de travail forcé.

 Un des points communs de ces régimes est le ciment totalitaire du parti unique dirigé par le dictateur.

 Comment se manifeste  cette forme la plus absolue de la dictature(a) ? Quelles en sont les causes(b) et donc quelles peuvent être les luttes qui empêcheraient l’arrivée  d’un totalitarisme(c) ?

  1. a) Les manifestations du totalitarisme

Partons des analyses de deux grands auteurs, pour en arriver  ensuite  à  l’ évocation   des camps de l’horreur.

  -Les analyses des manifestations du totalitarisme par deux grands auteurs.

Pour Hannah Arendt, philosophe américaine d’origine allemande qui avait fui le nazisme, (« Les origines du totalitarisme », 1951)(publié en français: Le Système totalitaire, Le Seuil,1972), le totalitarisme est le résultat d’un ensemble d’éléments : une idéologie officielle couvrant tous les aspects de la vie individuelle et collective, une main mise sur tous les moyens d’information et de propagande, un isolement de l’individu, « isolé et désolé », par la destruction des anciennes structures(familles ,syndicats, associations, églises), un parti unique dirigé par le dictateur, une terreur dont la police politique est un instrument, une mobilisation de la population dès la petite enfance, enfin, horreur de l’horreur ,des camps de concentration. Donc réduire le totalitarisme au dictateur c’est faire une  analyse incomplète, le totalitarisme c’est un système composé d’un ensemble d’éléments parmi lesquels le dictateur et le parti unique  ont des  rôles essentiels.

Arendt met en avant la convergence entre le nazisme et le stalinisme.

Pour Raymond Aron, sociologue français, (« Démocratie et totalitarisme »,Gallimard, 1965) le totalitarisme repose sur les éléments suivants : le monopole de l’activité politique par un parti, l’existence d’une idéologie monopolistique, le monopole des moyens de force et de persuasion détenus par ce parti, la subordination des activités à l’idéologie du parti, la terreur politique et idéologique, les camps de concentration.

Aron  en comparant les deux totalitarismes fait une différence : le nazisme est un « totalitarisme volontaire », l’homme « ne doit pas se donner pour but de ressembler à une bête de proie, il y réussit trop bien. » Par contre le stalinisme est un « totalitarisme involontaire », « qui veut faire l’ange fait la bête », les lendemains radieux annoncés étaient porteurs de présents massacreurs.

Les manifestations les plus terrifiantes : les camps de l’horreur.

Les nazis éliminaient les juifs, les tziganes, les homosexuels et les handicapés, les staliniens éliminaient les opposants au régime communiste, les khmers rouges éliminaient tous ceux qui avaient un capital matériel et/ou intellectuel.

Sous le nazisme  la décision de « la solution finale  » est prise le 20  janvier 1942 (pour certains historiens en décembre 1941).Dachau(l’ouverture de ce premier camp est annoncée par Himmler) fonctionnait depuis mars 1933, Auschwitz  dès juin 1940.Le système concentrationnaire comprenait en particulier  4 camps d’extermination immédiate (Treblinka, Belzec, Chelmno, Sobidor),2 camps d’extermination et de concentration(Auschwitz-Birkenau avec au moins 1, 1million de victimes, Madjanek), 14 camps de concentration ( Ravensbruck, Buchenwald, Mauthausen, Dachau… et aussi le seul en territoire français, Struthof).En marge des centrales concentrationnaires et de leurs commandos  il y avait les camps de transit ou d’internement qui dépendaient du système et deux camps de représailles pour prisonniers de guerre.

Les historiens , en particulier Raul Hilberg, estiment aujourd’hui  que les nazis ont exterminé 5,1 millions de juifs ( 3 millions dans les camps,800.000 dans les ghettos,1,3millions massacrés en dehors des camps) et d’autre part 250.000 tziganes,200.000 handicapés physiques et mentaux , 15000 homosexuels,  3,5 millions de prisonniers de guerre soviétiques et 1,1 million de déportés ne relevant pas des « crimes » précédents. Le Tribunal international de Nuremberg a estimé le nombre de victimes juives à 5,7millions et a employé le nombre  de 6 millions repris par la suite. L’extermination a été celle des deux tiers de la population juive d’Europe et du tiers du peuple juif dans son entier.

 Sous le stalinisme la décision de création du Goulag  est du 7 avril 1930, 10 à 19  millions de personnes ont été envoyés dans ces camps de rééducation par le travail. Les bagnards (les zeks) du Goulag étaient affectés à des chantiers terrifiants, par exemple creuser la roche à mains nues dans la construction du canal de la mer Blanche. Le système concentrationnaire était gigantesque, il comprenait des centaines de camps et 17 camps principaux, parmi les pires les camps de Magadan, de Kolyma, le plus grand était le Bamlag. Ces camps étaient  synonymes   d’arbitraire, de misère, de mort.

 Le stalinisme dans son ensemble est responsable d’au moins 25 millions de victimes, à travers les camps, les purges, les famines organisées (celle terrifiante d’ Ukraine  en 1931-1932 qui fit 6 millions de victimes ! )

 Sous les Khmers rouges du 17 avril 1975 (  leur entrée dans Phnom Penh)au 7 janvier 1979 ( l’ arrivée des Vietnamiens au Cambodge), au nom d’une révolution radicale c’est, en fait, un génocide qui prend la forme d’un monde concentrationnaire, il s’installe dans le pays avec évacuations des villes, déportations, famines, oppressions, persécutions, disparitions,  centres de torture… Parmi ces derniers « S-21 », un  lycée de la capitale, où sont torturées et exécutées  plusieurs dizaines de milliers de victimes.

On considère que plus du quart de la population a été décimé, en trois ans, huit mois et vingt jours, soit plus de 2 millions de cambodgiens sur 7 millions. Là aussi l’horreur de l’horreur.

Telles sont les manifestations de ces formes d’enfer que sont les totalitarismes.

Nous récapitulerons ensuite  les analyses  des causes du totalitarisme nazi.

  1. b)  Les analyses historiques des causes du totalitarisme

Certains affirment que cette  forme d’horreur a quelque chose d’impensable. C’est une façon de dire qu’il y a une limite à penser les causes de telles atteintes à l’humanité, de ces crimes contre l’humanité, de ces génocides.

  Ces analyses peuvent être exclusives les unes des autres mais il est beaucoup plus cohérent de les articuler les unes aux autres. L’arrivée d’un totalitarisme se traduit par des mécanismes qui se mettent en marche, nous les soulignerons à travers le nazisme.

 -Une réaction de l’Etat

 Une des définitions les plus terrifiante du totalitarisme a été donnée par Mussolini(discours à la Chambre des députés,26mai1927) « Tout dans l’Etat rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat ».Dans un autre discours(24mars 1924)il  affirmait déjà «Tout est dans l’Etat et rien  d’humain, rien de spirituel n’existe et n’a tant soit peu de valeur  en dehors de l’Etat( …)En dehors de l’Etat pas d’individu, pas de groupes(partis politiques, associations, syndicats, classes sociales…) »

Cette réaction de l’Etat se produit, selon certains auteurs, à la suite d’un effondrement des structures traditionnelles.

 Le totalitarisme, disait Hannah Arendt, a besoin « d’individus désolés », au sens de dépression collective. En 1924 le parti nazi avait 3% des voix, en 1928 il obtenait 2,6%, donc avant la crise de 1929 il était très minoritaire, or en septembre 1930 il est à 18,6%, en juillet 1932 il est à 37,3% des voix.

Individus « désolés » : la défaite de la Première Guerre mondiale et les lourdes indemnités imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles ( juin 1919), l’hyper inflation  qui ravage le pays, le chômage qui  explose avec la crise économique de 1929, il y a 6 millions de chômeurs en 1932, en juillet 1932 le parti nazi est donc à 37,3%.

 Hitler est nommé chancelier en janvier 1933, les partis de droite traditionnels et démocrates voyaient en lui un agitateur qui serait dépassé par l’exercice du pouvoir, or les nazis renversent la République de Weimar en six mois, c’est la dictature. D’autre part les partis de gauche, pourtant puissants, ont sous-estimé la possibilité pour les nazis d’arriver au pouvoir.

  L’Etat nationaliste va se retourner contre  d’autres Etats et d’autres peuples qui sont accusés d’être la source de ses malheurs, à travers la course aux armements  il va conduire à la guerre.

 – L’acharnement à l’unité : les dirigeants veulent fondre la société dans le Même,  ainsi pour les nazis  la race aryenne est supérieure aux autres, on doit la préserver de sa pureté.

Le totalitarisme, disait encore Hannah Arendt, a besoin « d’individus isolés », on les coupe de toutes leurs anciennes structures. On élimine les diversités qui ne sont pas conformes à cette unité totalitaire ou ne tendent pas vers elle.

 Hitler se sert de l’incendie criminel du Reichstag en février 1933 pour interdire le parti communiste. Le 23 mars 1933 Hitler obtient  les pleins pouvoirs de l’Assemblée du Reich (444 voix pour, 94 sociaux démocrates contre, en juin ce parti est interdit). Le 14 juillet le parti nazi devient parti unique, puis  à la place des syndicats est créé un Front du travail contrôlé par les nazis. Les opposants au régime  sont arrêtés, exécutés ou déportés. Handicapés mentaux et physiques,  homosexuels sont éliminés. Enfin les lois raciales de Nuremberg du 15 septembre 1935 « protègent le sang allemand » face aux « sous-hommes ».

Claude Lefort « (L’Invention démocratique, Fayard,1981,Le Temps présent, Belin,2007)a  insisté sur cet aspect du totalitarisme qui est la négation radicale de la démocratie. En effet le totalitarisme prétend créer un peuple « Un », il met en avant la fusion de l’Etat et de la société civile, c’est le fantasme de l’unité totalisante. La démocratie va au contraire laisser les horizons ouverts, les diversités s’y expriment.

– Les idées totalitaires reposent sur l’élimination d’un bouc émissaire et sur l’annonce de lendemains radieux auxquels on doit parvenir par tous les moyens, y compris l’écrasement des faibles par les forts.

Ainsi les juifs sont rendus responsables de la défaite allemande  de la Première Guerre mondiale, suivie du Traité de Versailles imposant de lourdes conditions à l’Allemagne, et responsables aussi  de la crise de 1929.Les juifs qui n’ont pas pu immigrer sont  déportés et exterminés.

Les lendemains qui chantent sont promis par Hitler : le chômage disparaitra, la paix sera là. Les pleins pouvoirs donnés au dictateur sont présentés comme  un moyen d’y parvenir. Le totalitarisme étouffe et détruit le pluralisme de la pensée, la liberté d’expression, la liberté de la presse qui sont des piliers de la démocratie.

– L’obéissance  pourvoyeuse de violences.

Des individus  fanatisés et criminels…Dans cette « mise au pas » l’individu veut avant tout se montrer digne de ce que l’autorité attend de lui, on s’identifie au fort, on nie la souffrance du faible. L’embrigadement des jeunes par le régime devient omniprésent, le totalitarisme fait tout pour  que le cerveau de l’enfant et celui de l’adolescent soient à son service. D’autre part des étudiants sont amenés à  brûler les livres interdits, ces autodafés ces brasiers sont organisés par le parti nazi.

D’autres individus soumis et anesthésiés… Des historiens affirment que début 1943 une majorité d’allemands était au courant des massacres. L’absence de véritables réactions collectives, en particulier en Allemagne et en Europe, a contribué à rendre l’extermination des juifs possible. Certes il y a eu des dévouements individuels, certes il y a eu des actes de résistance, mais  « l’opinion publique » n’a pas massivement  bougé pour protéger les juifs. On arrive difficilement à comprendre comment, écrivait le philosophe Gunter Anders, « L’énorme n’atteignait plus leurs yeux », comment la conscience n’a pas de sursaut devant la démesure des crimes.

D’autres  individus  victimes, écrasés et anéantis… Du côté des victimes la connaissance de « la solution finale » est connue par certains fin 1941, mais c’est l’impuissance de la plus grande partie des juifs et pour cause : juifs persécutés, affamés, affaiblis, même si des actes de résistance ont existé, résistance massive à Varsovie bien sûr, et résistance même dans l’enfer d’ Auschwitz…

-Des techniques, des sciences, des finances, des arts  vont être mis au service du régime  totalitaire.

Goebbels met en œuvre une propagande intensive à travers de grands rassemblements, le jour et la nuit, à travers aussi la radio qui est un instrument favori  d’Hitler dont la voix impressionnante est imprécatrice, vocifératrice, hystérique.

 De grands industriels et scientifiques mettent leurs productions et leurs recherches au service du Reich, en particulier armements et transports. Des médecins  participent à des expérimentations humaines terrifiantes. Des arts sont utilisés (musique, cinéma, photographie…) pour vanter les splendeurs du Reich, le sport lui aussi est mis à contribution. Des banquiers se mettent au service du Reich.

On est ainsi amené à se demander si, très  en amont, on peut empêcher la mise en route de ces mécanismes de mort ?

  1. c) L’évocation des luttes contre les causes du totalitarisme

Nous analyserons de façon autonome dans la Vème partie les luttes contre les causes des violences. Afin de garder une certaine autonomie aux réflexions sur le totalitarisme nous ferons ici une exception en évoquant ces luttes.

Il ne s’agit pas d’évoquer ici les résistances pendant le totalitarisme, résistances armées, résistances civiles.

Il s’agit simplement de souligner les luttes en amont de celles-ci. Ce sont aussi des formes de résistance.

 Trois idées semblent essentielles.

-La première idée est celle  de résister le plus tôt possible. Plus on attend pour résister, plus il est difficile de le faire.

 Des chemins de bonnes intentions sont pavés de renoncements  successifs, dit-on parfois, c’est une vérité.

 S’étalant sur des décennies, des années, la mise en oeuvre préventive des contre-mécanismes est essentielle.

 – La seconde idée est celle de la mise en route de contre-mécanismes.

 Face à la réaction de l’Etat menacé, créer et développer des luttes pour les égalités. Les injustices sapent les fondements des démocraties.

 Face à l’acharnement à l’unité, respecter les différences.

Face à l’obéissance et la soumission, apprendre l’autonomie, l’esprit critique, la responsabilité.

 Face aux idées d’élimination des boucs émissaires, apprendre le refus du discours vérité,  la primauté des droits de l’homme, le respect de la dignité humaine.

 Face à l’annonce de lendemains radieux établis par n’importe quels moyens, faire comprendre que, pour aller vers des sociétés démocratiques, il faut des moyens démocratiques.

 Enfin face à une techno science au service d’un tel régime, avoir une vue critique de certaines techniques, par exemple fixer des limites aux moyens de surveillance des citoyens.

-La dernière idée est celle des liens à créer et à développer entre les résistances internes et les soutiens extérieurs qui peuvent être de différentes sortes : diplomatiques, stratégiques, institutionnels, financiers, idéologiques, artistiques, éducatifs…

 

 

 

Remarques terminales

 

1- Beaucoup d’analyses historiques des causes de la violence proposent des explications convaincantes, ainsi la compétition économique, la course aux armements, le contrôle des matières premières, l’agressivité acquise, la soumission à l’autorité, le désir mimétique et le mécanisme victimaire, le consentement à la violence, la peur de la mort, le dérèglement du conflit, la fabrication de l’image de l’ennemi, des  idées porteuses de violences…

Mais   par-dessus tout, à notre sens, le plus souvent ce sont les injustices qui sont sources de violences, cela à tous les niveaux géographiques, sous de multiples formes, à travers de nombreux acteurs.

2- Pour analyser les causes d’une violence il est souvent important de faire intervenir plusieurs analyses même si l’une d’entre elles peut être dominante. Les luttes contre ces violences sont alors plus porteuses en agissant sur différents fronts à travers différents moyens.

 3-D’une façon générale et de façons plus précises comment lutter contre les causes extra historiques  des violences, et surtout contre les causes historiques des violences ?  (VOIR VI)