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au trésor des souffles

Environnement III

Apocalypses écologiques: lA LENTEUR DES CONTRE-MÉCANISMES POUR UN MONDE VIABLE (II)

 La lenteur des contre-mécanismes pour un monde viable (II)

 

Face à la rapidité de l’autodestruction on ne peut que constater une lenteur problématique ou  le plus souvent dramatique des contre-mécanismes,

lenteur coupable des Etats ( A),

lenteur  irresponsable de nombreux acteurs(B),

 lenteur  alarmante de résistances et d’alternatives(C).

 

 A-La lenteur coupable  des Etats.

 

L’exemple des négociations sur les changements climatiques a été et continue d’être un des exemples massifs les plus criants(1).Il témoigne de la difficulté de dégager l’intérêt commun de l’humanité(2).

 

1-Les lenteurs  et les silences  de nombreuses  conférences climatiques

C’est là un des exemples internationaux les plus marquants.

 « A l’auberge de la décision les gens dorment bien. » Proverbe persan.

L’un des exemples les plus terribles est celui des temps de réactions et de remises en cause devant les changements climatiques.  Existe  un  divorce très impressionnant entre, d’une part , des données scientifiques, des avertissements d’auteurs de diverses disciplines et de militants d’ONG  et, d’autre part, les temps de réactions, de décisions et d’applications  de nombreux autres acteurs : alors que la dégradation environnementale s’accélère  et atteint ici et là des seuils d’irréversibilité, il est fréquent de constater que des conférences internationales décident, selon les cas,  pour une part, pour une large part ou pour la totalité … que l’on décidera plus tard.

Cela signifie que plus l’on attend plus  les solutions devront être  radicales et massives sous peine de fonctionner dans le vide.

 Sans remonter à l’avertissement du scientifique suédois Arrhénius  en 1896, rappelons, exemple criant ,

 que c’est en 1972 à la Conférence de Stockholm qu’est évoqué pour la première fois au niveau de tous les Etats le danger du réchauffement climatique,

qu’il faut attendre 1992 pour voir une convention,

1997 pour qu’arrive son protocole, 2005 pour qu’il entre en vigueur,

2015 pour un nouvel accord qui, certes  rapidement, entre en vigueur fin 2016,

soit au total près de 44 ans ! Sans compter cinq années de plus pour que des Etats annoncent des augmentations volontaires de réductions des émissions de gaz à effet de serre, soit cinquante ans au total ! Merci les Etats ! Les générations présentes et futures vous remercient !

 

2-  La difficulté pour les Etats de dégager l’intérêt commun de l’humanité.

Les délégations  étatiques étaient certes réveillées, comment ?

En surmontant parfois  des intérêts nationaux,

en  dégageant parfois  des intérêts communs, ce qui n’était pas rien,

mais  lorsque l’intérêt  commun de l’humanité les appelait ou les  appelle pourquoi ne répondent-elles pas ?

D’immenses penseurs les exhortent  pourtant à le faire :

 C’est ici ou jamais qu’il fallait et qu’il faut traduire en actes cette  citation magnifique, terrible et appelant aux remises en cause, citation de Montesquieu : «  Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. » Œuvres complètes, Montesquieu, éd. Firmin Didot frères, 1854, Pensées diverses, p. 622.

-«  Le péril majeur pour l’humanité ne provient pas d’un régime, d’un parti, d’un groupe ou d’une classe. Il provient de l’humanité elle-même dans son ensemble qui se révèle être sa pire ennemie et celle du reste de la création. C’est de cela qu’il faut la convaincre si nous voulons la sauver. » Claude Lévi-Strauss (L’Express va plus loin avec Claude Lévi-Strauss, 25-31 mars 1971.

 -« L’humanité entière est confrontée à un ensemble entremêlé de crises qui, à elles toutes,     constituent   la Grande Crise d’une humanité qui n’arrive pas à accéder à l’Humanité. » Edgar Morin(Le chemin de l’espérance, Stéphane Hessel , Edgar Morin, fayard, 2011.)

-« Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative ; accéder à l’Humanité‚ suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi, elle doit, elle-même, jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »  René Jean Dupuy (La clôture du système international. La cité terrestre, puf, 1989.)

-« Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » Hans Jonas (Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, 1979).

– «  On entend dire « les moyens, après tout, ne sont que des moyens ». Moi je vous dirai plutôt : « tout, en définitive, est dans les moyens. La fin vaut ce que valent les moyens. Il n’existe aucune cloison entre les deux catégories » (…) Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens (…) Les moyens sont comme le grain et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence. Ceux qui, au contraire, s’abaissent à employer n’importe quel moyen pour arracher une victoire ou qui se permettent d’exploiter d’autres peuples ou d’autres personnes plus faibles, ceux-là non seulement se dégradent eux-mêmes, mais aussi toute l’humanité. Qui pourrait donc se réjouir de voir l’homme ainsi bafoué ? » Mohandas  Gandhi, dans l’ouvrage posthume réunissant ses écrits  « Tous les hommes sont frères » (première parution en 1969, puis folio essais , Gallimard,1990. )

 

 

B-La lenteur irresponsable d’un certain nombre d’acteurs  pour dégager l’intérêt commun de l’humanité.

 

Les faiblesses de l’Accord de Paris sur le climat représentent encore un exemple essentiel de cette lenteur de nombreux acteurs face à leurs responsabilités.

Il serait trop rapide d’attribuer la seule responsabilité de cette lenteur aux Etats. Les insuffisances de l’Accord de Paris de 2015 sur le climat témoignent des puissances et des impuissances de nombreux acteurs. (1) Les quatre critiques de l’Accord de Paris sont les reflets du refus et de la lenteur de nombreux  acteurs face à leurs remises en cause pourtant vitales.(2)

 

 

1-L’Accord de Paris de 2015 sur le climat témoigne des puissances et des impuissances de nombreux acteurs et de leurs absences de remises en cause.

 Oui, le droit est bien le produit de rapports de forces.

Parmi les puissances les plus fortes celles des puissances  pétrolières, charbonnières et gazières, des pays dominants, des puissances de financiarisation du marché mondial, des  logiques productivistes (voir sur  ce  blog les articles  relatifs au productivisme)..

Parmi les «contre-puissances » encore trop faibles  celles des acteurs agissant dans le sens de contre mécanismes modérés ou radicaux face au  productivisme.

 Parmi les impuissances : celles des absences de chiffres, de dates, celles  des imprécisions, celles de l’omniprésence  des marges de manœuvres des Etats Parties, et puis celles des silences criants, scandaleux. Finalement n’y a-t-il pas une  impuissance des Etats et d’autres acteurs à s’attaquer  radicalement aux causes des changements climatiques ?

2-Les quatre critiques de l’Accord de Paris sont les reflets du refus et de la lenteur d’acteurs face à leurs remises en cause pourtant vitales.

En ce sens l’Accord de Paris peut faire l’objet d’au moins quatre  critiques gravissimes qui seront ici  résumées. Elles marquent la lenteur dans la remise en cause de nombreux rapports de forces, nombre d’acteurs restent arcboutés fermés  sur leurs intérêts, une lenteur irresponsable demeure face à des remises en cause qui seraient pourtant vitales.

 

-1ère critique.  L’Accord de Paris, sans fixer une stratégie de pourcentages et d’étapes,  avalise  pour  une  (large ?)  part   le réchauffement climatique.

 -Certes un objectif ambitieux est mis en avant, il prévoit de « contenir le réchauffement « nettement  en dessous de 2°C » par rapport aux niveaux préindustriels et de « poursuivre l’action menée  pour limiter l’élévation à 1,5°C. »

-Mais ce volontarisme est  très gravement affaibli par l’absence d’objectifs chiffrés à long terme.

-Les contributions volontaires nationales sont avalisées. Or le secrétariat de la Convention dans un rapport de synthèse  affirme que le pire a été évité, (entre 4° et 5° ou au-delà) mais qu’elles  conduisent à un réchauffement d’au moins  trois degrés.  

-Le pic des émissions mondiales de gaz à effet de serre est visé « dès que possible.» On appréciera  l’indétermination.

– Quant à l’équilibre entre les émissions d’origine anthropique et les absorptions par les puits de carbone on s’efforcera d’y parvenir au cours de la deuxième moitié du siècle. Dans les décennies qui viennent on avalise ainsi  le stockage et la séquestration du carbone, la compensation carbone, la géo ingénierie.

 -Enfin les révisions à la hausse sont encore retardées à 2025 après un rendez-vous en 2018, un premier bilan mondial des contributions nationales sera fait en 2023.Une coalition d’Etats envisage une première révision avant 2020. Des inventaires  sont prévus tous les 5 ans, mais la mise en œuvre  des révisions à la hausse restent dépendante des volontés des États.

On est très loin de ce qu’a martelé avec une gravité extrême le GIEC,

 il fallait impérativement des points de passage à  2030,2050,

il fallait impérativement s’engager à faire chuter les émissions mondiales de 40 à 70% d’ici 2050 pour éviter un emballement climatique incontrôlable.

 

-2ème  critique.   L’Accord de Paris, sans engagements précis, ne  détermine  pas des  moyens financiers pérennes et massifs.

-Certes l’ensemble des pays en développement et les pays émergents pourront participer à ces efforts de l’aide, ils sont « invités à fournir ou à continuer de fournir ce type d’appui à titre volontaire », et non pas seulement les pays développés qui, eux, « fournissent des ressources financières aux pays en développement aux fins tant de l’atténuation que de l’adaptation dans la continuité de leurs obligations au titre de la Convention de 1992. »

  -Certes les 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros)(qui sont par exemple seulement  l’équivalent de 25 jours de dépenses militaires mondiales)(et en 2021 10 jours à 5 milliards de dollars par jour) , cent  promis depuis six ans  par les pays développés pour aider, chaque année à partir de 2020, les pays en développement à faire face aux conséquences des changements climatiques, sont considérés comme un « niveau plancher » à partir duquel un nouvel objectif chiffré collectif devra être fixé avant 2025 mais sans engagement pour la suite. Ces 100 milliards de dollars  restent dérisoires face aux besoins de plus en plus gigantesques, il devrait être multiplié au moins par dix puis rapidement par cent et plus.

–Pourtant  ce plancher de financement n’est même pas dans l’Accord, il  se trouve dans une des décisions de la COP donc sans force contraignante et faisant l’objet de nouveaux arbitrages futurs.

-Ces financements ne sont pas qualifiés  « d’additionnels »  à l’aide au développement, c’est une porte ouverte à des Etats développés qui requalifieront en « financement climat », l’aide déjà apportée.

Ajoutons qu’on se trouve dans un schéma de grande complexité économique et écologique, par rapport à la répartition des efforts financiers entre l’atténuation et l’adaptation. L’Accord de Paris n’est pas clair là-dessus.

En schématisant on peut dire que plus le réchauffement s’aggrave plus on a besoin de fonds pour l’adaptation,

mais s’il y a moins de fonds pour l’atténuation le réchauffement s’aggrave.

Cette complexité pourrait  être pour une large part résolue si les moyens financiers étaient sans commune mesure avec ceux programmés qui restent dérisoires par rapport aux besoins qui s’annoncent et par rapport à de nouvelles ressources financières gigantesques qui sont pensées par quelques auteurs  mais ne sont pas mises en œuvre.

 

-3ème critique.  L’accord de Paris, sans remises en cause des responsabilités,  persiste dans des formes d’injustice climatique.

-Ce consensus pour trouver un accord entre les Etats est la preuve, affirment certains, qu’il y eu un compromis porté  la justice climatique c’est à dire par la reconnaissance que les pays développés et les pays en développement ont du principe consacré  à nouveau par l’Accord (principe déjà présent dans la Convention de 1992 et dans le Protocole de 1997)des responsabilités communes mais différenciées dans le changement climatique et que leurs capacités respectives à y faire face sont inégales.

– Mais sont renvoyés dans le préambule (ce qui est mieux que rien mais qui n’est pas assez contraignant) les impératifs d’une transition juste, le respect des droits de l’homme, des droits des peuples autochtones, l’équité entre les générations. Vous avez dit justice ?

– En plus de cela il y a, dirait  Aragon,  un « silence qui  a le poids des larmes », celui sur les déplacés environnementaux et sur  leurs droits. Quelle honte, quelle tristesse, quelle fuite devant les responsabilités ! On sait qu’ils sont et  seront surtout dans les pays du Sud. Voilà qui  en dit long sur ce qui constitue  déjà, aux yeux de certains, de nouvelles classes dangereuses en voie d’explosion dans les décennies à venir. Au moins aurait-on pu avoir le courage minimal d’annoncer la nécessité  d’une réunion internationale spécifique.  Vous avez dit justice ?

 –Aucun mécanisme clairement défini pour faciliter le transfert des technologies, pour supprimer des barrières à l’accès, barrières liées aux droits de propriété intellectuelle.  Vous avez dit justice ?

-Egalement certes les parties qui reconnaissent la nécessité d’éviter et de réduire au minimum les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques et d’y remédier mais la décision de la COP précise que « l’Accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation. » Les pays développés refusent de devoir indemniser les pays en développement pour les dommages climatiques. Vous avez dit justice ?

-Enfin l’absence aussi d’un tribunal international sur la justice climatique, même si on peut estimer très positif le fait que des associations saisissent des tribunaux nationaux pour poursuivre l’Etat considérant qu’il ne faisait pas assez pour lutter contre le réchauffement climatique. Ainsi  aux Pays-Bas en 2015 et 2018,en France en 2020(Conseil d’Etat) ont ordonné  à ces Etats  d’appliquer leurs engagements .Mais l’Accord de Paris en tant que tel  est loin de la justice climatique !

 

 –   4ème critique.   L’accord de Paris, par de nombreux silences, n’arrive pas à rompre  avec le  système  productiviste.

« La vérité d’un homme c’est d’abord ce qu’il cache » écrivait André Malraux.

 La vérité de cet accord c’est aussi ce qu’il cache.

 Il  ne cache pas tout, certains éléments, comme la référence à la croissance économique, sont comme ces diables qu’on enfonce dans une boite et qui ressortent toujours. Sainte croissance protégez-nous !

 Ne pas se demander seulement ce qui est écrit mais aussi ce qui ne l’est pas…

 -Ainsi  de  nombreux silences  sont là, et  à leurs façons ils sont plus ou moins criants :

 -l’absence (  provisoire  en principe puisque  l’OACI et l’OMM doivent intervenir par la suite) de prise en compte  des secteurs de l’aviation et du transport maritime,

 -l’absence   de prise en compte des gaz à effet de serre liés aux activités militaires, un remarquable colloque à Paris (« Armées, guerres et environnement ») parallèle à la COP21,  a insisté sur ce point,

 -certes l’absence de référence dans l’Accord aux énergies renouvelables qui ne sont mentionnées que dans le préambule de la décision par rapport aux pays en développement,

-le silence révélateur d’un puissant non-dit sur le nucléaire, autre élément de  grande discorde en particulier entre d’une part certains Etats, le complexe de la nucléocratie et d’autre part une grande partie des ONG ,

-mais aussi  deux   grands silences  révélateurs l’un sur l’absence d’interdictions aux subventions accordées aux énergies fossiles,

 -l’autre, particulièrement gravissime, sur le prix du carbone (même si une allusion est faite à la tarification du carbone à la fin de la décision de la COP dans une rubrique consacrées aux entités non parties à l’accord),certains pensent que c’était un contre mécanisme  essentiel contribuant puissamment à laisser des énergies fossiles dans le sol,

-…mais aussi le  silence sur les liens à établir entre la taxation des transactions de  change et le fonds d’adaptation,

– mais aussi le silence sur la consécration d’un nouveau principe selon lequel le commerce international doit être conforme aux conditions sanitaires et environnementales,

– mais aussi un grand silence sur les espèces vivantes, même si la biodiversité est évoquée dans le préambule de l’Accord, il fallait l’affirmer clairement : les changements climatiques mettent en péril l’humanité et l’ensemble du vivant,

 – Un autre silence es celui relatif à l’explosion démographique, chaque jour l’excédent de la population mondiale, naissances moins décès  (227.000 personnes) est l’équivalent de la communauté d’agglomération Limoges Métropole, cette explosion démographique que, par exemple, Claude Levi Strauss … ou René Dumont,  ne séparaient pas de la crise écologique;

-Enfin pas un mot sur les déplacés environnementaux ! C’est probablement un des silences les plus écœurants.

 On trouve  une façon quasi automatique de répondre aux raisons de ces  silences nombreux et omniprésents : d’autres conférences, climatiques ou non,” traiteront de ces questions, l’ordre du jour était déjà trop chargé comme  cela .

 -En fait ces silences témoignent de désaccords profonds, de reflets de multiples puissances et impuissances, de cette machine infernale du renvoi à plus tard, de l’incapacité de se hisser au niveau de l’intérêt commun de l’humanité.

Et çà n’est pas parce que l’on est noyé dans  l’ urgence qu’on ne peut pas prendre en compte le long terme, c’est surtout  parce qu’on a pas pris en compte le long terme que l’on est noyé dans l’urgence.

-Il aurait fallu, au minimum, prendre acte de ces ou de certaines de ces questions à résoudre

soit dans le préambule de l’Accord, soit dans une déclaration spécifique, soit par un autre moyen

et   annoncer le principe de conférences  diplomatiques  pour avancer  par rapport à tel ou tel drame, par exemple celui des  déplacés environnementaux.

On aurait pu avoir là    une autre “dynamique vertueuse” et vitale.

 

 C-La  lenteur alarmante de résistances et d’alternatives.

 

D’abord existent au moins une douzaine de causes du déni de l’accélération de la débâcle écologique.(1)

D’autre part la faiblesse de certaines  résistances saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre(2).

De même la puissance de certains adversaires peut constituer un obstacle majeur pour mettre en œuvre les moyens d’un  monde viable.(3).

Enfin on peut  constater  la lenteur de nombreuses alternatives(4).

 

1-Ces apocalypses écologiques  font encore,   pour  une  large part, l’objet d’un déni.

a-Il y a aujourd’hui  au moins une dizaine de   causes   de ce déni :

 une réalité scientifique dont on n’a pas connaissance,

une réalité scientifique que  l’on nie,

une attente du Grand remède miracle qui mettra la Terre à l’ombre,

 des intérêts à défendre que l’on veut protéger quoiqu’il arrive,

 une  incapacité abyssale pour penser et mettre en œuvre des remises en cause,

 des habitudes que l’on ne peut ni ne veut  changer, on ne bouge pas, on est rangé alors que c’est le plus souvent « déranger » qui fait venir au monde,

un avenir dans lequel on ne croit plus et  des générations futures qui « n’auront qu’à faire face comme elles le pourront » et « qui finiront bien par s’adapter »(une des affirmations les plus critiquables humainement , irresponsables écologiquement  et nullissimes intellectuellement.)

et bien sûr, malheureusement, des « fins de mois » dramatiques ou difficiles qui empêchent de voir « des fins du monde » et d’établir des liens entre les deux.

 

b-Deux autres  causes du déni sont   très puissantes, liées au système mondial autodestructeur, c’est ce que l’on pourrait appeler les triomphes ( mythologie grecque) de  Midas et de  Prométhée  dans  notre monde d’aujourd’hui.

– Le roi Midas voulait pouvoir tout transformer en or, son vœu fut exhaussé. Mais  la nourriture et l’eau deviennent aussi de l’or et  le roi dépérit peu à peu. En se trempant dans le fleuve il est libéré de son malheur. Qu’est-ce qu’une société pour laquelle tout vaut tant ? 

L’exemple de la marchandisation du monde se manifeste en particulier par les stratégies de  marchandisation de la nature.(Voir premier article) La course au profit et la marchandisation de la nature ne sont-elles  pas  entrées dans une course incontrôlée, irrépressible, irrésistible qui en appelle aux crans d’arrêt ? Contrairement à ce que croyaient certains, le mouvement de marchandisation   n’a pas réduit  les  risques environnementaux et la pénurie des  ressources .

 Ainsi à grande allure, sous de multiples formes,  la pente est prise : tout vaut tant. Voilà que le trio infernal, productivisme, capitalisme,  anthropocène,  réalise le vœu du roi Midas : transformer en or tout ce qu’il touche. Ainsi  la logique a été implacable : notre foyer d’humanité ,    la nature, meurt , et nous avec, et de même l’ensemble du vivant.

 

-Le titan Prométhée est allé dérober le feu aux dieux. Le châtiment de Zeus sera terrible.  Les pionniers de l’écologie politique et de la décroissance posaient depuis longtemps cette question  vitale :  « Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne pas de limites ? »

Dans la ville de Pripyat, près de Tchernobyl, une statue en bronze devant le cinéma représentait Prométhée levant les bras au ciel pour prendre le feu des dieux. Il était dans la toute-puissance. Après le drame du 26 avril  1986 la statue du Titan  a été enlevée de la 9ville fantôme et placée devant la centrale nucléaire  pour rendre hommage aux « liquidateurs. » (Voir  Prométhée à Tchernobyl , François Flahault, Le Monde diplomatique, septembre 2009.)

 

Comme Midas et Prométhée  il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de nombreux dénis personnels et collectifs de la réalité : on pense que la catastrophe ne se produira pas ou qu’on y échappera. Il n’est pas étonnant, non plus, que cette fuite en avant s’accompagne de silences et de mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle catastrophe écologique, ou même sur l’existence de certaines d’entre elles que l’on espère garder dans les secrets de la planète et qui peuvent constituer autant de bombes à retardement.

Nos rapports à la catastrophe sont analysés en particulier dans l’ouvrage « Pour un catastrophisme éclairé » dont la synthèse est résumée ainsi :

 « Le temps est venu de mener une réflexion sur le destin apocalyptique de l’humanité : nous avons en effet acquis la certitude que l’humanité était devenue capable de s’anéantir elle-même, soit directement par les armes de destruction massive, soit indirectement par l’altération des conditions nécessaires à sa survie. Le pire n’est plus à venir mais déjà advenu, et ce que nous considérions comme impossible est désormais certain. Et pourtant nous refusons de croire à la réalité du danger, même si nous en constatons tous les jours la présence. Face à cette situation inédite, la théorie du risque ne suffit plus : c’est à l’inévitabilité de la catastrophe et non à sa simple possibilité que nous devons désormais nous confronter. » ( Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Quand l’impossible est certain, Paris : Seuil, 2002, 216 pages. )

 

2-La faiblesse de certaines  résistances.

Des résistances modérées ou radicales pour un monde viable  ne voient pas le jour  ou sont faibles cela pour au moins quatre séries de raisons.

a-D’abord, au niveau personnel et /ou collectif, l’indifférence est là. Elle prend différentes formes qui peuvent s’additionner :

 mauvaise ou sous-information, insouciance de la prévention, manque de vigilance, lâcheté et passivité devant des injustices, acceptation parfois aveugle du pouvoir et de l’argent, fuite en avant,  absence de courage… habitudes qu’on ne peut plus et ne veut plus faire bouger .

« Le silence des pantoufles est plus dangereux que le bruit des bottes » écrivait un pasteur protestant, Martin Niemoller , envoyé en camp de concentration,  Einstein lui-même soulignait que le monde est dangereux à vivre par ceux qui font le mal et par ceux qui regardent et laissent faire. Rainer Maria Rilke, dans son poème « Heure grave», demandait : « Qui meurt quelque part dans le monde, /Sans raison meurt dans le monde ,  /Me regarde. »

 

b-Ensuite le sentiment d’impuissance, au niveau personnel et/ou collectif, autrement dit la difficulté d’agir, ce sentiment  est vécu de plusieurs façons :

 Le nombre d’acteurs favorables au productivisme peut décourager, les montagnes des habitudes personnelles et collectives trop difficiles à soulever,

 le fait que « le local » bouge parfois mais que « le global » semble immobile,

 enfin les interactions entre les atteintes sont très nombreuses, interactions dans chacun des grands domaines d’activités, par exemple pour l’environnement entre le réchauffement climatique et l’extinction des espèces, et interactions entre les domaines d’activités, par exemple entre les atteintes à l’environnement et la paix, entre les injustices (que vive la justice climatique !) et l’environnement.

 

c-Egalement  la faiblesse dans l’organisation. De nombreuses  avancées sont nécessaires, en particulier au niveau international, pour les mouvements écologiques et sociaux. Une des faiblesses à tous les niveaux géographiques est de ne pas  essayer encore et encore de rassembler des forces, par exemple autour de « fronts communs. »

 

d-Enfin les « contraintes », elles sont souvent financières par insuffisance de moyens et aussi juridiques dans la mesure où les marges de manœuvres sont liées aux possibilités que laissent les textes aux différents niveaux géographiques et qu’il n’est pas évident de les faire évoluer ou de les changer, cela  que l’on soit une association dans un pays ou un Etat dans une organisation régionale, l’Union européenne par exemple.

Ces contraintes peuvent être soit un alibi pour ne pas changer grand chose soit une réalité que l’on doit affronter. Un proverbe, au niveau personnel comme collectif, a une part de vérité : « Qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui ne veut rien faire trouve une excuse. »

 

3- La puissance de certains  adversaires.

a- Les dominants du système productiviste s’appellent  les marchés financiers, de grandes banques et les banques centrales, des firmes multinationales, des complexes scientifico-militaro-industriels, de grands groupes médiatiques, les Etats du G8 et de quelques autres dont la Chine et l’Inde, de certaines organisations régionales (Union européenne par exemple),de certaines organisations internationales (OMC,FMI, Banque mondiale…) …sans oublier les dominations des hommes par rapport aux femmes cela encore dans de nombreux lieux de la planète.

 

b-Deux remarques pour relativiser cette puissance.

 D’une part il ne faut pas oublier que les logiques générales  du système mondial sont des logiques d’autodestruction,  ainsi d’une part certaines de ces puissances sont menacées par la compétition et tôt ou tard peuvent être absorbées, d’autre part  les catastrophes produites par ce système peuvent se multiplier et s’aggraver, en particulier les catastrophes écologiques (voir sous la direction de  JM Lavieille, J Bétaille, M Prieur, « Les catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit »,( 34 communications des actes du colloque international de Limoges des 11,12 et 13 mars 2009), éditions Bruylant, 2012.)

D’autre part il faut  entrer en résistance en pensant que chaque acteur ne constitue pas toujours un bloc.Il peut y avoir des contradictions, des fissures, des fractures. Le problème est de les trouver,  d’agir dessus,  d’y appliquer des leviers pour soulever des montagnes. Combien de libérations de femmes ont été accomplies ainsi, combien de gouvernements sont fragilisés par des désaccords qui les traversent, combien de multinationales, lorsque certaines de leurs  pratiques sont dévoilées, traversent alors des périodes où des réformes voire des remises en cause peuvent voir le jour.

 

 4-La lenteur de certaines alternatives.

D’abord rappelons quelques classements d’alternatives(a), puis quelques  plates-formes globales(b) , ensuite énumérons quelques alternatives précises(c), enfin essayons de comprendre les causes de multiples lenteurs(d).

 

a-Les types d’alternatives.

Plusieurs classements sont possibles en particulier les suivants :

Des alternatives selon leur degré d’ancienneté, certaines existent depuis plusieurs décennies, d’autres depuis quelques années, d’autres sont en train de naitre…

Des alternatives selon les niveaux  géographiques où elles se développent, ainsi des alternatives locales, régionales, nationales, bilatérales, continentales, internationales…

Au niveau local par exemple il peut s’agir d’alternatives dans le cadre d’un village, d’une municipalité, de plusieurs voisins, d’une famille, d’une personne…

Des alternatives selon le domaine où elles se déploient, ainsi des alternatives agricoles, éducatives, économiques, financières, des alternatives relatives à des transports, des productions, des consommations…

Des alternatives selon leurs degrés de ruptures par rapport au modèle dominant, ainsi des alternatives en ruptures modérées, plus importantes ou radicales…

Des alternatives selon leur degré de coopération avec d’autres acteurs, coopération modérée ou multiforme…

 

b-Les plates-formes globales

Les plates-formes se sont multipliées de 1970 à 2021.

 Parmi les plus importantes celle du Club de Rome de 1972 « Les limites à la croissance. »   Celle correspondant au  rapport du Groupe de Lisbonne,   « Limites à la compétitivité, pour un nouveau contrat mondial » (éditions La Découverte, Essais, 1995).

 De très nombreuses initiatives ont donné d’autres textes importants ainsi le Manifeste de l’eau et le contrat mondial de l’eau …

 -Il y a 27 ans avait surtout vu le jour la « Plate-forme pour un monde responsable et solidaire », qui est à la fois « un état des lieux des dysfonctionnements de la planète et une mise en avant de principes d’action pour garantir un avenir digne au genre humain », plate-forme portée par la Fondation pour le progrès de l’homme. (Voir le Monde diplomatique d’avril 1994.)

 

c-Un exemple de liste  d’alternatives précises.

Un des documents les plus exhaustifs sur des remises en causes plus précises et plus  ou moins  radicales, à différentes échelles géographiques, est celui d’ un appel d’Alternatiba   d’août 2013 :

 « Des alternatives existent, elles ne demandent qu’à être renforcées, développées, multipliées : agriculture paysanne, consommation  responsable, relocalisation de l’économie, partage du travail et des richesses, conversion  sociale et écologique  de la production, finance éthique, défense des biens communs(eau, terre, forêt), souveraineté  alimentaire ,solidarité et partage, réparation et recyclage, réduction des déchets, transports doux et mobilité soutenable, éco rénovation, lutte contre l’étalement urbain, lutte contre l’artificialisation des sols, aménagement du territoire  soutenable, démarches de préservation du foncier agricole, sobriété et efficience énergétiques, défense de la biodiversité, énergies renouvelables ,plans virage énergie climat, villes en transition, sensibilisation à l’environnement etc… » (Appel du 23 août 2013 de 90 organisations dans le cadre d’Alternatiba,  « Ensemble construisons un monde meilleur en relevant le défi climatique.»

 

d-De multiples causes de la lenteur des alternatives.

 

Cette lenteur doit être comparée à la rapidité de la destruction de l’environnement. Les causes sont à la fois internes et externes.

  Des  difficultés de toutes sortes  existent pour lancer et développer une alternative, ainsi sont à surmonter des obstacles financiers, administratifs, juridiques, auto organisationnels, des groupes d’intérêts qui résistent à ces nouvelles pratiques. Si des courages sont aux rendez-vous peuvent aussi survenir découragements et échecs provisoires ou réels.

Qui dit alternative dit aussi, le plus souvent, remises en cause de pratiques destructrices dominantes. Les refus peuvent être tenaces, un des exemples les plus connus est celui des subventions accordées aux entreprises d’énergies fossiles. Les énergies renouvelables alternatives se sont trouvées ou se trouvent  devant cet obstacle. Elles impliquent aussi une reconversion des emplois liés aux énergies fossiles.

 

Enfin il existe un obstacle psychologique puissant, celui des rapports entre des alternatives souvent modestes et la puissance de la dégradation globale. On peut avoir l’impression ou la certitude  que, malgré des avancées locales voire nationales ou régionales, le niveau mondial n’arrive pas à bouger. Les ruisseaux  des alternatives se trouvent face aux fleuves de la dégradation mondiale.

 

Voilà donc une destruction environnementale rapide, profonde, multiforme alors que voilà  un monde viable qui se construit trop  partiellement  et trop lentement.Autrement dit si l’idée  selon laquelle la construction d’un monde viable, c’est-à-dire démocratique, écologique, juste et pacifique, peut prendre peu à peu le dessus et renvoyer le productivisme sous terre, si cette idée est une idée forte , la voilà pourtant mise en échec historique et terminal ( ?) par une destruction plus rapide.

Peut-on, en désespoir de cause, arriver à déterminer un contre-mécanisme qui, faute d’être un remède miracle qui n’existe pas ,  contribuerait pourtant à remettre en cause cette course à l’abîme ?

Apparait donc déterminante  cette question de la  détermination d’un contre-mécanisme puissant, rapide. (III)

 

En transition appelons  au secours un philosophe et scientifique puis un humoriste.

 

« Il n’est pas plus insensé de s’abandonner à un espoir, celui de la survie de l’humanité, que de le repousser au nom d’un prétendu réalisme qui n’est que le consentement défaitiste au suicide de l’espèce. » Jean-Rostand

« Tant que l’espoir demeure au niveau de l’espérance il n’y a pas lieu de désespérer puisque rien de ce qui est fini n’est jamais totalement achevé tant que tout n’est pas totalement terminé. »Pierre Dac