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au trésor des souffles

Environnement II

nucléaire

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Nucléaire : les arguments et l’Argument antinucléaires. ( III )

L’Argument des arguments  anti nucléaires  est là, devant nous.  Lequel?

Il est  aveuglant. Il est très difficile à regarder parce qu’il remet en cause trop de logiques  installées, trop d’intérêts puissants, trop de peurs de déranger.

 Pourtant  « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » écrivait René Char.

Cette forme de vérité du nucléaire peut interroger en particulier des personnes qui y travaillent sous de multiples formes ,également des décideurs et des citoyen(ne) ouverts à d’autres possibles, et parfois on ne sait pas si l’on a marché sur un débris qui se perd sous nos pas ou sur une semence qui va pousser peu à peu, celle du refus de cette forme de société sans limites.

Les arguments ne manquent pas, on oublie l’un ou  l’autre , volontairement ou involontairement , ils sont au nombre de huit, plus l’Argument des arguments.(B)

Depuis quelques temps, particulièrement en France, face aux changements climatiques certains mettent en avant  un remède miracle : le nucléaire est appelé à l’aide par certains pour limiter nos émissions de gaz à effet de serre.(A) 

 

A-Le nucléaire et le réchauffement climatique.

On veut éviter un malheur mais on se réfugie dans  un autre malheur. On passe de catastrophes écologiques  à d’autres catastrophes écologiques, de Charybde en Scylla, comme Ulysse dans l’Odyssée, pris entre un gouffre profond aspirant les navires et un récif escarpé sur lequel on se fracasse.

Les relations entre les deux domaines ne sont d’ailleurs  pas au beau fixe, par exemple la pénurie d’eau ne menace-t-elle pas le refroidissement  des centrales nucléaires?

 

1-Un discours fondé sur des contre-vérités.

 L’énergie nucléaire est une solution voire « La » solution  face aux changements climatiques proclament les nucléocrates qui accueillent dans leurs rangs de nouveaux convertis.

a-Cette source d’énergie est « propre » affirme-t-on  alors que les déchets nucléaires témoignent massivement et dramatiquement du contraire. Ajoutons à cela que  des pays du Sud, ayant acheté de petits réacteurs peuvent ne pas avoir demain   les moyens de gérer ces déchets. On retrouve là cette façon d’agir : on vend des armes, on ne s’occupe plus de leurs effets sur le vivant, on vend des centrales nucléaires, on ne s’occupe plus des conséquences sanitaires et environnementales.

 

 b-Cette source d’énergie  est « décarbonée » dit-on  alors que la construction d’une centrale produit du CO2 ainsi que le démantèlement(pendant plusieurs décennies pour une centrale).

A cela  on peut aussi ajouter  l’extraction, le traitement (uranium concentré),l’enrichissement(en uranium235),la fabrication du combustible(poudre noire comprimée, cuite au four sous forme de pastilles, mises dans des tubes de quatre mètres de long placés au cœur du réacteur), le transport, le retraitement  de l’uranium.

 

c- Elle est « respectueuse de l’environnement »affirme-t-on   alors que la consommation d’eau pour le refroidissement des réacteurs est massive (19 milliards de mètres cube d’eau chaque année en France),plus que l’agriculture en France( !), et que cette eau chaude(pollution thermique) radioactive  rejetée a un impact écologique majeur, en particulier dans des bassins versants et des nappes phréatiques, sans compter le drame des sécheresses qui rend l’eau inutilisable au dessus de 28°C et le débit très bas de rivières qui ne permet   plus le pompage.

En France les usages de l’eau sont de 20% pour les fins domestiques (alimentation, hygiène, santé),30% pour l’agriculture(au niveau mondial 70%),et 50 % pour l’industrie. Or dans ces usages industriels 80% servent à refroidir les centrales! On prélève ainsi le tiers de l’eau en France pour le nucléaire. Donc 30% pour l’agriculture,40% pour refroidir les centrales nucléaires. Les  petits réacteurs auront  besoin de moins d’eau pour leur refroidissement mais est-ce vraiment l’idéal pour des pays du Sud qui l’achèteront et qui n’ont aucuns problèmes et drames de l’eau… comme chacun sait…

 

 d- Elle est « bon marché »  affirme-t-on  alors que  dépenses s’annoncent de plus en plus nombreuses et  insoutenables, c’est bien de gouffres financiers dont il s’agit d’amont  en  aval , tour à tour à titre indicatif : extractions, entretiens, constructions,  carénages,  démantèlements, entretiens, nouvelles constructions, gestion des déchets, incidents et accidents…

A titre indicatif et variables selon les sources voici quelques estimations: le « grand carénage »(programme industriel de rénovation et de modernisation du parc nucléaire existant) d’ici 2030:  100 milliards d’euros, le coût du démantèlement : 80, le coût d’un accident majeur: 430(soit 20% du PIB français ),pouvant aller jusqu’au « pire scénario » de l’ordre de 5800(?) milliards d’euros. L’EPR de Flamanville (réacteur pressurisé européen)  avait au départ un coût estimé à 3 milliards d’euros, la Cour des comptes constate  qu’il coûterait  19 milliards d’euros. Le démantèlement (15 à 40 ans selon, entre autres, les types de centrales) et les accidents nucléaires sont deux exemples criants des inconnues d’un chiffrage, comment chiffrer ces deux réalités qui s’étendent sur plusieurs générations?

Quant aux petits réacteurs modulaires(PRM,en anglais Small modular reactors,SMR), ils ont chacun une puissance de 50 à 500 mégawatts(alors qu’un réacteur actuel est de l’ordre de 900 à 1500 mégawatts),ils sont abrités dans une enceinte de 16 mètres de haut(un réacteur actuel c’est 60 mètres),les Etats-Unis , la Chine et la Russie, surtout, ont  investi dans ces technologies .En France l’ objectif  d’un marché d’exportation  est affiché pour  » permettre aux pays du Sud  clients de décarboner ». On nous disait » plus les réacteurs sont gros plus c’est rentable », maintenant on nous affirme « plus les réacteurs sont petits… plus c’est rentable », en fait n’est-ce pas aussi cher ou même plus cher?  Le coût du kilowatt serait peut-être de l’ordre de 4000 euros, donc encore plus cher que pour l’EPR  et le marché très concurrentiel sera on ne peut plus incertain cela d’autant que les énergies renouvelables  ont vocation à avoir  des prix de plus en plus bas.

 A cela il faut ajouter les effets sanitaires et environnementaux par exemple  des essais nucléaires français, les indemnisations (encore  peu   nombreuses par rapport aux réalités dramatiques )  des victimes contaminées au Sahara algérien(1960 à 1966 : 4 essais aériens,13 essais souterrains), en Polynésie(1966 à 1974 : 46 essais aériens,1975 à 1996 :  147 essais souterrains dans les sous-sols et sous les lagons).

Quant au Niger l’extraction de l’uranium voit les premières  recherches en 1957, les premières exploitations en  1971,tout cela avec de nombreux et graves effets sanitaires(sur la vie et la santé des travailleurs et des populations) et environnementaux(sols, air, eaux) (Voir par exemple « Abandonnés dans la poussière », rapport de Greenpeace, mai 2010, sur « l’héritage radioactif d’Areva -aujourd’hui Orano- dans les villes du désert nigérien. »)…

Autant de dépenses et d’autres encore  qui font que,  peu à peu,  des énergies renouvelables sont financièrement de plus en plus intéressantes et par comparaisons et en elles-mêmes.

 

e- Enfin, dernier argument, l’énergie nucléaire  assure, dit-on, « notre indépendance énergétique », alors que le groupe Orano  extrait le minerai d’uranium  principalement au Niger, au Canada et au Kazakhstan, régime particulièrement répressif pour sa population.

 Les difficultés pour trouver de nouveaux gisements seront grandes et surtout leur exploitation aura un coût très élevé, les rivalités économiques  ne sont pas loin et des conflits armés pour les gisements ne sont pas exclus (le pétrole en a été l’objet à travers combien de drames !) alors que la France pour ses réacteurs actuels a besoin de l’ordre de 9000 tonnes par an de minerai pour fabriquer son combustible.

 

2- Un discours contre-productif face au  réchauffement climatique.

 

a-L’énergie nucléaire aujourd’hui fournit 2% de la consommation de l’énergie dans le monde, et elle représente 10% de la production mondiale d’électricité ( la France avec 75% de l’électricité est une exception, c’est le pays le plus nucléarisé au monde). Donc le réchauffement climatique ne peut être ralenti par cette très faible proportion  du nucléaire.

 

b-Le recours au nucléaire, affirment des scientifiques et des ONG , peut aussi constituer un frein pour la transition bas carbone  en ralentissant les renouvelables  qui pourtant ont gagné aujourd’hui la compétition bas carbone. Preuve en est, par exemple, le solaire photovoltaïque qui aujourd’hui est à  1,1 centime d’euros le kWh au Portugal et à 0,9 centime d’euros le kWh en Arabie saoudite, autrement dit le quart des coûts de fonctionnement des réacteurs nucléaires .

 

c-Enfin le fait que les prototypes de mini  réacteurs nucléaires  en France arriveraient en 2030, ils seraient produits en série vers 2040,  on ne peut donc attendre d’agir pour la neutralité carbone qui doit voir le jour en 2050.

 

3-Des  avertissements scientifiques.

a-Des scientifiques , en particulier dans certains scénarios du GIEC (rapport 2013-2014), soulignent le « risque de prolifération d’armes nucléaires » en faisant appel à  cette énergie.

b-Ils insistent sur les  « problèmes non résolus porteurs de risques et d’obstacles que soulève le traitement des déchets. ».

 Le recours au nucléaire « ne peut être au mieux qu’une  réponse partielle et non dénuée de dommages collatéraux. »

Nous ferons ci-dessous un  tableau de synthèse  en énumérant tous les arguments impressionnants relatifs à cette source d’énergie.

 

 

 2-L’énumération de huit réalités  nucléaires ayant un Argument en commun.

 

Quelles sont les huit raisons de  refuser le nucléaire quand il n’est pas encore là et de sortir rapidement du nucléaire quand il est là ?

1/- Les accidents nucléaires aux nombreuses causes prévisibles, probables, improbables et imprévisibles, internes et   externes .

2/-Les  plans, à ce jour dramatiquement dérisoires, pour faire face aux accidents nucléaires.

3/-Les démantèlements immensément longs et coûteux de centrales nucléaires et de l’ensemble de la filière nucléaire.

4/-La décontamination des sites et des régions gravement  dégradées ( sols, forêts, eaux, airs),

5/ -Les déchets nucléaires de plus en plus massifs, militaires et civils, passés, présents et à venir .

6/-La prolifération entre le nucléaire civil et militaire, porteuse d’insécurité globale.

7/-La difficulté du droit à l’information, la surveillance des sociétés  nucléarisées.

8/-Les gigantesques sommes passées, présentes et à venir (générations futures comprises) englouties et dans ce type d’énergie qui est loin des avantages des énergies renouvelables  et dans ce moyen de défense qui accroit l’insécurité.

Toutes ces réalités  ont  un point commun. Il saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre :

 Il s’agit de mécanismes qui ont des effets sanitaires, environnementaux et, aussi, financiers, économiques, sociaux, stratégiques… QUI TENDENT A ETRE SANS LIMITES DANS L’ESPACE ET DANS LE TEMPS.

Ne peut-on pas affirmer ,  par exemple ,que l’enfouissement irréversible des déchets radioactifs constitue un « crime contre les générations futures? »

 

2-Le nucléaire n’a pas le monopole de ce « sans limites » mais il en a toutes les « qualités! »

 

Certes le nucléaire n’a pas le monopole de cette immensité, par exemple le réchauffement climatique se situe aussi dans des effets incommensurablement longs.

Mais le nucléaire a  au moins cinq aspects  qui vont dans ce sens :

a-Ce sont des effets particulièrement dramatiques sur le long et très long termes qui peuvent l’accompagner, les déchets nucléaires portent atteinte aux générations présentes et futures.

b-C’est  un domaine spécifique  alors que, par exemple, le réchauffement a de multiples causes et recouvre des quantités de domaines.

c-C’est un ensemble, civil et militaire, qui a déjà de nombreuses « alternatives » en marche. Les Etats sans armes nucléaires sont les plus nombreux, nombreux aussi les Etats sans centrales nucléaires, c’est une situation connue mais il faut la souligner,  et  les démantèlements de toutes les filières du nucléaire, autrement dit des chantiers de lutte contre  des pollutions nucléaires, seront porteurs de grandes difficultés et …de  nombreux  emplois, pour l’environnement et la santé.

 d-La radioactivité est invisible, inodore  et sa prolifération ne connait pas de limites dans l’espace et le temps. Une exposition  à une forte irradiation tue les cellules et provoque des brûlures radioactives, la maladie et souvent la mort.

d-C’est « l’éternité » qui est clairement engagée quant aux déchets hautement  radioactifs. La durée de vie des déches de haute activité peut aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années.

 

Remarques terminales

 Je me rappelle avoir eu la chance de participer aux paroles de créations de chansons enregistrées en 1995 et 96 ,  paroles de résistance à l’enfouissement de déchets nucléaires (« D’où vient l’eau du puits ? » DVD de Patricia Dallio ) où j’écrivais entre autres ceci :

 » Le temps de la certitude a été synonyme de toute-puissance, il a sombré avec le Titanic.

Est venu le temps du doute, Tchernobyl est une sorte de dernier avertissement que les générations présentes se donnent à elles-mêmes.

Doit venir le temps de la précaution, il faut penser et agir à long terme pour éviter « l’irréparable ». Il faut consacrer ce principe  dans de multiples textes et s’en emparer face à des risques mal connus ou inconnus de dommages graves ou irréversibles.

Voulons-nous demain des petits-enfants sujets de leurs propres vies ou objets de la vie de quelques générations qui n’auront pas su prendre leurs responsabilités ?

Marché mondial cherche compétition, humanité cherche futur. »

Oui , Camus avait raison : « Il n’y a d’humanisme que celui des hommes révoltés. »