Sélectionner une page

au trésor des souffles

Environnement

Responsabilités et environnement

« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre »

 

 (Hans Jonas, Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique. Parution allemande en 1979, traduction française  chez Flammarion, Champs, 1990  ). Avec une traduction et une présentation de Jean Greisch , aux éditions Le Cerf, 1990.

 

 

  Introduction

 

L’objectif  de nos articles est toujours le même :

 Essayer   de proposer  une vision  globale, critique et prospective d’une question essentielle.

 

 

 

Quel est l’intérêt d’une telle réflexion relative aux responsabilités ? 

Si l’on dénonce « l’alarmisme écologique » ou si l’on pense que « les générations futures s’adapteront » ou n’auront qu’à « faire face comme on l’a fait »  alors, de toute façon, une réflexion sur les responsabilités est considérée comme  inutile, sans intérêt, ou injuste pour certains acteurs et critiquable  pour  la compétition économique qui ne doit pas être inquiétée.

Si les collapsologues ont raison, c’est-à-dire si la civilisation industrielle  va fatalement s’effondrer dans les années qui viennent, on peut se demander à quoi peut  servir une réflexion relative aux responsabilités puisque la question sera celle de la survie, point final.

Enfin pour ceux et celles qui croient encore à une « métamorphose de l’humanité » (expression d’Edgar Morin) c’est-à-dire à une remise en cause radicale de l’ensemble des acteurs, cela dans les années et décennies qui viennent, alors une réflexion sur les responsabilités est nécessaire. Elle peut être porteuse, théoriquement et pratiquement, pour divers acteurs cela historiquement, présentement et en termes prospectifs.

 

 

 Dans cette introduction nous envisagerons tour à tour quelques citations(1),

l’étymologie (2) et l’omniprésence(3) relatives à la responsabilité,

 enfin des questions vitales  qui nous serviront à construire le plan proposé. (4)

 

 

1–      Nous rappellerons la force de certaines citations sur la responsabilité.

 

« Etre c’est précisément être responsable. (…) C’est sentir en posant sa pierre que l’on contribue à bâtir le monde. » (Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, Gallimard, 1939).

 

« Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. Etre libre rien n’est plus grave, la liberté est pesante, et toutes les chaines qu’elle ôte au corps, elle les ajoute à la conscience.» (Victor Hugo, Actes et Paroles, 1875-1876)

 

 « Nous sommes tous responsables  de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres. »  ( Dostoïevski , Les Frères Karamazov ,  La Pleïade , p. 310).

 

« Chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes.» (Martin Luther King, La force d’aimer, Casterman, 1964).

 

Les deux  autres  citations sont peu connues mais ont une grande force :

« Je crois que nous naissons innocents et que nous avons à nous rendre responsables, que nous ne pouvons jamais prévoir toutes les conséquences de nos actes mais qu’il y a toujours, malgré tout, quelque chose à tenter, quelque entreprise commune à engager. » (Francis Jeanson, La foi d’un incroyant, Seuil, 1963, extrait de la Conclusion)

 

« Notre société capitaliste a certes obtenu des progrès matériels grâce à une science dominant la nature ce qui a aussi  permis de la saccager ! Et en réduisant les pauvres à une condition qu’Helder Camara  appelle justement « infrahumaine »  sans le moindre souci ni de ceux qui vivront après nous et dont nous sommes responsables ni même des plus malheureux dont nous sommes encore plus directement responsables. » (René Dumont, extrait de  L’utopie ou la mort !  , Seuil, 1973, p 172.)

 

 

2-     Les origines du   mot responsabilité.

 

Depuis l’Antiquité classique, autrement dit la civilisation gréco-romaine, l’adjectif « responsable », dérivé du latin « respondere »  (se porter garant de, répondre), qualifiait une personne pouvant être admise en justice.

 Par contre le  substantif « responsabilité » n’existait pas  dans les pratiques judiciaires  comme dans les traités juridiques et cela même pendant une partie de l’époque moderne.

C’est seulement au cours du XVIIIe siècle, que ce mot commence à apparaître  dans les tribunaux et dans les dictionnaires. Les deux termes (responsable et responsabilité) arrivent donc l’un après l’autre dans l’histoire.

Des historiens et des philosophes ont souligné que le terme responsabilité est lié à l’imputation, on met sur le compte d’une personne les actions dont elle est responsable.

Responsabilité signifie ainsi que l’on met sur  le compte de quelqu’un ses actes, on l’en rend responsable. Il est proche de « sponsio » qui signifie promesse, on doit tenir ses promesses. On « répond  » de l’action dont on est responsable.

 

 

3-    Les  actes de responsabilités ne sont-ils pas ne doivent-ils pas être omniprésents ?

 

 On peut le penser à travers de multiples domaines, acteurs et lieux, comme également  de multiples moments dans le temps.

Ainsi sont présents ces actes de responsabilité à travers des domaines tels que l’éducation, la gouvernance, la gestion d’un budget, l’aménagement du territoire, la consommation, la production, le transport, la vente, l’achat… 

Ainsi  sont présents ces actes de responsabilité à travers des acteurs tels que  ceux d’un homme politique, d’un scientifique, d’un employé, d’un ingénieur, d’un restaurateur, d’un agriculteur, d’un garagiste, d’un ouvrier, d’un enseignant, d’un policier, d’un médecin, d’un journaliste, d’un religieux,  d’un militant d’association, d’un conducteur, d’un père, d’une mère, d’un ami…tous ces termes se mettant également au féminin.

Ainsi sont présents  ces actes de responsabilité à travers les lieux  aux niveaux  local,  régional, national, continental, international, par exemple en matière environnementale…

Ainsi sont présents ces actes de responsabilité à travers le temps par rapport au passé dans la transmission du patrimoine mondial et le devoir de mémoire, par rapport  au présent dans les luttes pour la liberté, l’égalité, la fraternité, par rapport à l’avenir quant aux  chances  laissées aux générations futures et à l’ensemble du vivant…

 

 

4-   Quelle démarche proposer pour cette réflexion ?

 

 Est donc arrivée la dégradation mondiale de l’environnement, massive, rapide ,  multiforme.

Nous avons déjà analysé les manifestations et les causes de cette débâcle écologique, ainsi que  les fondements et les moyens d’une protection mondiale. (Voir nos nombreux articles sur ce site et les quatre éditions de l’ouvrage de « Droit international de l’environnement » aux éditions Ellipses).

Mais nous n’avions pas écrit d’article spécifique sur les responsables et les responsabilités de la débâcle écologique.

 

Nous proposons cinq objectifs poursuivis en cinq  parties :

 

Le premier objectif proposé est de comprendre dans quel monde global  de la responsabilité évolue la responsabilité dans le domaine environnemental. Nous partirons donc de quelques données de base relatives à la responsabilité en général et écologique en particulier ( I )

 

Le second objectif proposé est de déterminer, le plus concrètement possible, quels sont les  responsables ,    personnels et collectifs, passés et présents, de cette détérioration gravissime de l’environnement. Nous préciserons donc quels sont les responsables de la débâcle écologique ?  ( II )

 

Le troisième objectif proposé est de préciser quelles données tant éthiques, politiques que juridiques, sont liées à cette responsabilité.

 Nous nous demanderons donc quelles sont les formes de responsabilité de la débâcle écologique cela en trois temps :

Qu’en est-il des   responsabilités morales par rapport à l’environnement ? ( III )

Qu’en est-il des responsabilités politiques par rapport à l’environnement ? (IV)

Qu’en est-il des  responsabilités juridiques par rapport à l’environnement ? (V)

 

 

 

       I  La responsabilité : généralités. La responsabilité environnementale   : spécificités        

 

 

Dans cette première partie commençons par  quelques données de base relatives à la responsabilité en général (A)

 pour  demandons-nous ensuite si la responsabilité environnementale a une certaine spécificité voire une spécificité certaine (B).

 

 A-La responsabilité : généralités

 

 

Le langage courant fait quelques distinctions en évoquant les responsabilités. (1).

Les  distinctions communément employées  relatives aux responsabilités sont nombreuses(2).

Les distinctions organisées par le droit le sont aussi (3) .

La distinction entre culpabilité et responsabilité demeure importante (4).

  La responsabilité, schématiquement, ne correspondrait-elle pas le plus souvent à quatre  temps ? (5).

 Enfin et surtout une question qui peut être essentielle par rapport à la responsabilité environnementale : qu’en est-il de l’évolution générale de la responsabilité ? (6)

 

 

 

1- Le langage courant fait quelques distinctions en évoquant les responsabilités.

 

a- On souligne  l’importance d’ « être responsable » c’est-à-dire  de  répondre de  ses actes. On affirme qu’il faut « prendre ses responsabilités », autrement dit que l’on doit répondre de ses actes ou de ceux de quelqu’un d’autre, ou d’avoir à sa charge des décisions.

b- On  loue « le sens des responsabilités » comme étant une qualité, une vertu, on affirme  même  que « être homme c’est être responsable ».

c- On dénonce l’attitude d’une personne ou d’une institution ou d’un autre acteur (par exemple une entreprise) qui « fuit devant ses responsabilités. » Elle nie la réalité ou la sous-estime ou se retourne vers un bouc émissaire.

d-  On constate  le fait d’ « avoir des responsabilités » que ce soit pour remplir certaines tâches, ainsi des responsabilités professionnelles, ou que ce soit par rapport à des personnes, ainsi des responsabilités parentales.

 

2- Les  distinctions communément employées  relatives aux responsabilités.

 

Du point de vue des grands  types de responsabilités voilà les responsabilités morales, politiques, juridiques.

Du point de vue de leurs portées géographiques voilà les responsabilités locales, régionales, nationales, continentales, internationales.

Du point de vue des catégories d’acteurs on distingue les responsabilités des acteurs publics et des acteurs privés.

Du point de vue des acteurs spécifiques voilà les responsabilités des gouvernements, des parlements, des administrations, des assurances, des entreprises, des associations, des syndicats, des partis politiques, des églises, des médias, des réseaux sociaux, des banques, des firmes multinationales, des organisations internationales, des organisations non gouvernementales…

Du point de vue de deux grandes catégories d’acteurs  voilà des responsabilités personnelles, voilà aussi des responsabilités collectives, on considère ainsi que les membres d’un groupe sont solidairement responsables d’un fait collectif ou bien d’un acte commis par l’un de ses membres et, de façon plus courante, on vise un acteur précis(telle banque) ou global(les banques), que ce soit une institution , un organisme, une entreprise.

Du point de vue des différents domaines  voilà  les responsabilités  familiales, parentales, professionnelles, associatives, médicales, scientifiques, sociales, politiques, administratifs, financières, économiques, industrielles, médiatiques, écologiques, militaires …

 

3- Les distinctions juridiques des responsabilités.

 

 Du point de vue  du droit en général la responsabilité c’est l’obligation de répondre d’un dommage devant la justice, on en assume les conséquences pénales, civiles, disciplinaires…Encore faut-il que trois conditions soient réunies : un fait dommageable, un préjudice indemnisable et un lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice subi.

 

Du point de vue des volontés on distingue la responsabilité contractuelle liée au non respect des volontés exprimées dans un accord et la responsabilité délictuelle  correspondant  à une attitude qui entraine un dommage.

Du point de vue du droit voilà des responsabilités de personnes physiques, voilà celles de personnes morales de droit public telle qu’une collectivité territoriale ou de droit privé  telle qu’une entreprise.

Du point de vue des situations modifiant la part de responsabilité voilà  des causes d’irresponsabilité, des causes d’atténuation des responsabilités, des partages de responsabilités. Ainsi des situations d’enfants mineurs, de personnes sous tutelle, de personnes en état de démence au moment des faits…

Du point de vue  de la responsabilité du fait d’autrui on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait mais encore , comme le dit par exemple en droit français le code civil , du dommage causé par le fait des personnes dont on doit répondre ( parents du fait de leurs enfants,  instituteurs du fait de leurs élèves,  artisans du fait de leurs apprentis…) ou des choses que l’on a sous sa garde.

Du point de vue des différents droits qui existent en matière de responsabilité on distingue :

Le droit pénal pour lequel la responsabilité pénale c’est l’obligation de répondre de ses actes délictueux en subissant une sanction pénale dans les conditions et selon les formes prescrites par la loi. Cette responsabilité pénale peut être atténuée ou pleine et entière. 

Le droit civil pour lequel la responsabilité civile c’est l’obligation pour une personne de réparer un dommage subi par autrui à la suite de l’événement dont elle est responsable. 

 Existent aussi en droit des responsabilités spécifiques. La responsabilité contractuelle, ainsi  la partie à un contrat qui n’exécute pas ses engagements est responsable de cette inexécution La responsabilité des artisans qui sont responsables des dommages causés par leurs apprentis mineurs pendant le temps que ceux-ci sont sous leur surveillance  La responsabilité des père et mère qui sont responsables des fautes commises par leur enfant mineur qui habite avec eux. La responsabilité du fait des animaux, celui qui a un animal sous sa garde est présumé responsable des dommages qu’il peut causer. La responsabilité du fait des bâtiments, ainsi le propriétaire d’un bâtiment est responsable des dommages causés si par exemple il y a eu un défaut d’entretien. Celui qui a la garde d’une chose est présumé responsable des dommages causés par elle.

 Le droit administratif avec la responsabilité de la puissance publique, selon laquelle les personnes morales de droit public peuvent voir leur responsabilité engagée à l’égard des particuliers ou d’autres collectivités publiques soit pour faute, soit sans faute (responsabilité dite pour  risque).

Le droit constitutionnel avec la responsabilité politique qui est l’obligation pour le titulaire d’un mandat politique de répondre de son exercice devant celui ou ceux de qui il la tient.  La responsabilité ministérielle  est une technique du régime parlementaire permettant à l’organe législatif de contraindre le gouvernement à démissionner.

Et bien sûr le droit de l’environnement qui fera l’objet de la Vème partie de cette analyse. Pour le droit interne de l’environnement voir Michel Prieur avec la collaboration  de Julien Bétaille , Hubert Delzangles , Marie-Anne Cohendet , Jessica Makowiak , Pascale Steichen, Droit de l’environnement, Dalloz,7ème édition,2016.Pour le droit international voir Jean-Marc Lavieille, Hubert .Delzangles, Catherine Le Bris, Droit international de l’environnement,4ème édition, Ellipses,2018.)

 

 4-     La distinction entre culpabilité et responsabilité.

 

  a-  De façon générale on peut dire que la culpabilité correspond  à deux notions :

Soit la culpabilité se situe au niveau moral, psychologique. C’est un sentiment  de faute, sentiment  ressenti par une personne, cela que cette culpabilité soit réelle ou imaginaire. Ce sentiment est fait d’angoisse, de remords, de honte, cela dans des proportions variables. Ce sentiment d’être coupable, d’avoir fait quelque chose de mal ou d’irréparable amène à  se blâmer, à se condamner pour quelque chose. Cette culpabilité est vécue face à sa conscience et  face au jugement des autres. 

 La culpabilité peut avoir quelque chose de positif en  interrogeant sur une  pratique ou un acte par rapport à des valeurs, en  contribuant à l’empathie.

 Elle peut aussi devenir obsessionnelle,  paralyser des personnes, les déprimer gravement, les plonger dans une forme d’autodestruction. Elle est alors considérée comme maladive, morbide, quelquefois imaginaire ou disproportionnée par rapport à un évènement, porteuse de souffrances, on a alors souvent besoin d’aide, en particulier psychologique.

 

 Soit la culpabilité se situe au niveau juridique. Il s’agit de  l’état d’une personne qui est coupable d’une infraction (contravention, délit ou crime).

La culpabilité juridiquement c’est l’élément moral de l’infraction, elle va permettre de connaitre l’état d’esprit de la personne au moment de l’infraction, l’auteur a conscience qu’il transgresse un interdit. Des sanctions existent pour la faute intentionnelle mais aussi pour la faute non intentionnelle (imprudence, négligence, mise en danger). Existent également des faits extérieurs justificatifs d’irresponsabilité (légitime défense, état de nécessité, ordre de la loi ou commandement de l’autorité légitime).

 

 b-  De façon générale on peut dire que la responsabilité correspond à deux notions :

Soit la responsabilité morale, c’est à dire la nécessité pour quelqu’un de répondre de ses intentions et de ses actes devant sa conscience. 

 

Soit l’obligation politique ou juridique  faite à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle  et des charges qu’elle doit remplir, elle doit en assumer les conséquences. 

 

Un des exemples connus des rapports entre  culpabilité et  responsabilité  est celui exprimé en 1991 par une ministre dans l’affaire du sang contaminé, elle   disait se sentir « responsable mais non coupable». En fait quelques années plus tard elle sera acquittée  n’étant jugée  ni responsable (c’était l’Etat) ni coupable (elle n’avait commis aucun acte illicite.)

 

 

 5-  La responsabilité schématiquement ne correspondrait-elle pas le plus souvent à quatre  temps ?

 

Ces quatre  temps peuvent être de durée  extrêmement variable cela pour chacun d’eux et aussi globalement.

a-  Il y a d’abord le temps de  la  connaissance et de la compréhension  des conséquences de ses actes.  Cette connaissance est  peut-être plus facile d’accès aujourd’hui qu’autrefois depuis l’avènement des mondes médiatiques, mais elle est aussi plus compliquée dans la mesure où trouver des  informations fiables peut s’avérer un véritable  parcours du combattant et dans la mesure où peser les conséquences de ses actes peut poser de multiples questions, ainsi par rapport à des effets mal connus ou inconnus (situations correspondant au principe de précaution) ou même pour des effets connus  (situations correspondant au principe de prévention) mais parfois complexes en termes par exemple de répartition des responsabilités.

On se demandera ce que cela signifie en termes de responsabilité environnementale.

b–  Il y a ensuite le temps de la prise de conscience. Celle-ci peut se faire soit sous la forme d’un éclair qui déchire la conscience soit sous la forme plus lente d’une lumière qui grandit, d’un jour qui se lève.

On se demandera ce que cela signifie en termes de responsabilité environnementale.

c-  Vient alors le temps de la décision. Ce temps peut être personnel et / ou collectif. Peut alors se poser  la question du risque. Simone de Beauvoir pensait que « c’est dans l’incertitude et le risque qu’il faut assumer nos actes. » Risque et prudence vont se trouver parfois dans une certaine harmonie, parfois voire souvent en tensions, en confrontations ou en conflits.

 Existe d’ailleurs  ici ce que l’on pourrait  appeler le retournement de la question du risque.  On est bien dans la  question de la responsabilité. Au lieu de se demander « Qu’est-ce que je risque si je vais défendre l’autre qui voit  ses droits  violés ? », on se demande « Qu’est-ce que risque l’autre si je n’y vais pas ? »

A ce choix sont liées les  marges de manœuvres dont on dispose. On se trouve là devant une question, qui semble gigantesque et que nous retrouverons, celle des rapports entre responsabilité et liberté.

On se demandera ce que cela signifie en termes de responsabilité environnementale.

 

 

d-  Il y a enfin le temps des actes que l’on assume, que ce soit par devoir moral et / ou par obligation juridique. Dans responsabilité il y a le fait de répondre. Assumer  signifie avoir la capacité de répondre de ses actes des points de vue psychologique, matériel cela en termes d’accompagnement, de  réparation, de sanction…

On se demandera ce que cela signifie en termes de responsabilité environnementale.

 

 6-L’évolution générale de la responsabilité.

 Si l’on veut proposer un état des lieux, malheureusement trop rapide mais voulant avoir une certaine globalité, de l’évolution de la responsabilité depuis 1945, soit 75 ans (2020), on peut souligner trois évolutions :

 l’une relative à son étendue (a),

l’autre relative à ses acteurs (b),

la troisième relative à son contenu. (c)

 

a-   L’extension  de la responsabilité dans  l’espace et le temps.

 

La proximité temporelle et spatiale de la responsabilité existe toujours mais elle est dépassée par une double extension.

Une extension dans l’espace.

 D’une part les responsabilités locales et nationales ne sont plus les seules, voilà les responsabilités continentales et internationales.

 D’autre part  on ne répond plus seulement des sols, des mers et de certaines espèces  mais de plus en plus de l’air, du climat et de l’ensemble des espèces animales et végétales, de la biosphère.

Une extension dans le temps.

D’une part on se retourne vers les générations passées et on affirme l’obligation d’assurer la protection du patrimoine mondial qu’elles nous laissent et parfois l’obligation de réparer moralement (par exemple par des excuses) ou même financièrement, d’actes  et de  pratiques  inacceptables.

 D’autre part on se retourne vers l’avenir et on affirme la responsabilité des générations présentes quant à la protection de l’environnement pour les générations futures  et pour l’ensemble du vivant.

 

b-  L’émergence  de la responsabilité de nouveaux acteurs.

 

Existe une  prise en compte très lente et d’acteurs collectifs et de l’humanité.

Un début de prise en compte d’acteurs collectifs.

Cette émergence est  lente, souvent scandaleusement et dramatiquement trop lente, les résistances sont nombreuses. Des  associations, des militants, des scientifiques, des philosophes, des sociologues, des artistes, des comités d’éthique, des partis politiques, des  juristes, d’autres encore, interviennent pour faire reconnaitre des responsabilités.

Ainsi apparaissent des choix par rapport à la techno science. Il s’agit de responsabilités personnelles de scientifiques mais aussi de responsabilités collectives de laboratoires de recherches et aussi d’industries produisant certaines  technologies pouvant porter atteinte aux personnes et à l’environnement..

Ainsi  les responsabilités des mondes médiatiques, certes celles des journalistes mais aussi celles de géants du numérique à travers par exemple des réseaux sociaux, des sites, des données  numériques.

Ainsi dans la financiarisation les responsabilités personnelles de banquiers et de traders mais aussi celles collectives de banques et , avec grandes difficultés, celles de  paradis fiscaux.

La prise en compte des entreprises.

La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSR) pensée à partir des années 1950 est mise en oeuvre à partir des années 1980 et surtout 1990 dans différents pays et plus récemment sous la forme d’une norme incitative ISO(14001)(International Standard Organisation) qui aide les entreprises à mettre en place un cadre de référence commune à travers une stratégie RSE. Il s’agit d’un ensemble de pratiques ayant pour but de respecter les principes du développement durable avec les trois piliers : le social,l’économique et l’environnemental.Concrètement par rapport à ce dernier point l’entreprise est censée réduire ses déchets,consommer moins de ressources et réduire ses impacts sur l’environnement.

Un début de prise en compte  de l’humanité.

L’humanité est entrée dans le droit international public par deux portes.

 La porte du drame à travers les crimes contre l’humanité, hier après la Seconde guerre mondiale et à travers le Statut de la Cour pénale internationale. Ces crimes   ont vocation à s’étendre demain, par exemple pour  les recherches sur les armes de destruction massive qui devraient être déclarées contraires à l’intérêt commun de l’humanité.

 Voir : Les recherches scientifiques sur les armes de destruction massive : des lacunes du droit positif à une criminalisation par le droit prospectif, intervention au colloque international du « Réseau droit, sciences et techniques »(RDST), mars 2011 à Paris,  Jean-.Marc Lavieille, Julien. Bétaille , Simon .Jolivet, Damien.Roets , in Droit, sciences et techniques :quelles responsabilités, Editions LexisNexis, 2011.)

 La porte de la possession à travers le patrimoine commun de l’humanité qui a vocation à s’étendre grâce à la notion de biens communs et réciproquement. Même si ce sont deux notions et deux réalités en partie différentes.

( Voir notre article in Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ?, Presses universitaire de Limoges , 2017)

L’humanité aussi  est en route vers une Déclaration universelle des droits de l’humanité, (DUDHu)dont le projet a été écrit en 2015, où seront inscrits en particulier des éléments relevant de la responsabilité des générations présentes ainsi  bien sûr par rapport à l’environnement. Déclaration qui, peut-être, se transformerait un jour en convention contraignante accompagnée de moyens de l’appliquer.

(Voir nos articles sur la DUDHumanité).

(Voir pour une analyse juridique remarquable  d’ensemble sur l’humanité :  Catherine Le Bris, L’humanité saisie par le droit international public, Paris, L.G.D.J., 2012)

 

 c- Un contenu allant vers une prise en compte multiforme.

 

 Une responsabilité qui voudrait répondre de soi mais aussi d’autrui et du vivant.

Ce sont, entre autres,  les écrits de nombreux  auteurs  qui font que le concept de responsabilité  est de plus en plus lié à la morale et à l’éthique.

 Etre responsable  consiste certes à répondre de soi  à travers la régulation des conduites et  la punition des coupables.

Mais la responsabilité consiste aussi à répondre d’autrui, en particulier à répondre de ce qui est fragile, vulnérable. Fragilité, vulnérabilité deviennent des appels essentiels, pour les humains, d’abord les plus faibles, les plus démunis, et également pour l’ensemble des  espèces vivantes.

Une responsabilité qui voudrait prendre en compte des risques et des limites.

La responsabilité devient parfois un « instrument d’allocation des risques » , et certains de se demander si cette responsabilité sans faute, face à l’imprévu et à l’imprévisible, ne contribue pas à une  déresponsabilisation ? « L’assurance tout risque » ne doit pas, dit-on alors, empêcher la sanction des coupables.

La conscience de nos limites et de celles du système productiviste en appelle aussi au principe de  détermination de limites au sein des activités humaines. Le principe de prévention (risques connus) et le principe de précaution (risques mal connus ou inconnus) ont ici tout leur sens et doivent être de plus en plus  reliés au principe de responsabilité.

(Voir Un concept sous-tendant le DIE : la détermination de limites au sein des activités humaines, in  Jean-Marc Lavieille, Hubert .Delzangles, Catherine Le Bris, Droit international de l’environnement, 4ème édition, Ellipses, 2018.) C’est  un véritable  concept décolonisateur de la pensée  productiviste .

 Tel est ce panorama général de la responsabilité. On reconnait déjà certains de ses caractères issus de la débâcle écologique, il s’agit maintenant de se demander quelles sont les spécificités de cette responsabilité environnementale ?

 B- La responsabilité environnementale : les spécificités    

 

 D’abord au niveau global n’est-il pas nécessaire pour mieux la comprendre  de  resituer cette  responsabilité par rapport à la rencontre du droit et de l’écologie ? (1)

Ensuite on peut se demander si le droit international de l’environnement, essentiel à la protection, n’est pas un système porteur d’une spécificité très forte (2) ?

 

Enfin on peut penser que, même si elle n’en a pas le monopole, trois  éléments sont particulièrement forts dans la débâcle écologique. Ne donnent-ils pas  une  spécificité à la responsabilité environnementale en même temps d’ailleurs qu’ils la  compliquent ? (3)

 

 1-Le droit de l’environnement est particulièrement influencé par la science écologique.

 

Rappelons ce qu’est l’écologie en tant que discipline scientifique(a),

 puis essayons de comprendre les bouleversements provoqués par sa rencontre avec le droit(b).

 

 a-  L’écologie,

 

En tant que discipline scientifique elle étudie les relations des êtres vivants avec leur environnement. Si le mot date de plus de cent ans (1866, un biologiste allemand, E.H. Haeckel), en 1935 avec un botaniste anglais (A.G. Tansley) apparait la notion d’écosystème, et à la fin des années 1960 la jonction se fait entre la prise de conscience de la débâcle environnementale et l’écologie  scientifique. Celle-ci se développe en intégrant les connaissances de la biologie, de la géologie, de la climatologie…Ainsi par exemple pour le climat le GIEC a intégré peu à peu les études d’ un ensemble considérable  de disciplines.

 On distingue l’écologie fondamentale qui consiste à étudier la structure et le fonctionnement des écosystèmes et l’écologie appliquée qui consiste à  prendre

en compte l’action des êtres humains pour éviter ou limiter la dégradation de l’environnement et favoriser une gestion écologiquement rationnelle de la nature.

 

 

b- La  rencontre du droit et de l’écologie.

 

C’est François Ost qui a proposé une analyse globale de cette rencontre dans l’ouvrage remarquable « La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit. »  (La Découverte, 1995).

 

 Le droit a tendance à s’appuyer sur des certitudes scientifiques, l’écologie  aussi mais l’incertitude scientifique doit être prise en compte par le droit lorsqu’il s’agit de risques de dommages graves ou irréversibles.

 

D’autre part le droit organise souvent la protection des biens en particulier par rapport à des intérêts économiques, l’écologie va l’appeler à protéger des écosystèmes pour leur valeur intrinsèque, indépendamment de toute utilité pour l’homme.

 

 Ensuite le droit agit sur le court, le moyen et le long terme, or l’écologie appelle ce droit certes à prendre des mesures d’urgence mais à s’inscrire également dans le long terme par rapport aux écosystèmes et aux générations futures.

 

 Enfin le droit essaie de réparer des dommages, mais comment prendre en compte l’irréversibilité ? Le droit international de l’environnement a donc essayé  d’intégrer cette approche et, par exemple, du point de vue de la conservation de la nature, on est passé d’une approche régionale à une approche planétaire, mais aussi d’une gestion économique à une écologie fondée sur la protection d’espèces menacées d’extinction, puis sur la protection d’écosystèmes, sur la conservation du patrimoine génétique.

 

Le système juridique international va donc essayer de relever un véritable défi. Ainsi que l’écrit François Ost :

«  Globalité, complexité, irréversibilité, incertitude […] Comment le droit pourrait-il se réapproprier tous ces traits de l’écologie ? La question de la traduction du langage scientifique de l’écologie dans le langage normatif des juristes est posée. »

La question est  posée bien sûr également par rapport à la responsabilité.

 

Le droit international de l’environnement n’a-t-il pas une spécificité très marquée ?

 2-  Le droit international de l’environnement, un système porteur d’une spécificité très forte

 

On retrouve des dispositions bien connues en droit international public, ainsi des règles relatives à la coopération.

 

Leur particularité est ici d’être particulièrement présentes . On retrouve de nombreuses dispositions relatives au droit de l’environnement tant en ce qui concerne les procédures, par exemple l’étude d’impact, qu’en ce qui concerne le contenu de dispositions relatives aux luttes contre les pollutions ou a la conservation de la nature.

 

D’autre part des notions telles que celles de patrimoine commun de l’humanité, de générations futures ont en droit international de l’environnement une importance évidente, de même des principes tels que celui de précaution.

 

 Le long terme n’est pas propre au droit international de l’environnement mais il a en ce domaine et dans l’ensemble de ce droit un poids essentiel.

 

Il faut souligner également que les conventions du droit international de l’environnement ont un objet propre, des moyens financiers et institutionnels particuliers.

 

Enfin le droit international de l’environnement bien entendu repose sur les Etats parties aux conventions mais il en appelle souvent à un ensemble d’acteurs autres que les Etats qui participent a la protection de l’environnement.

 

 Le fait que l’intérêt commun de l’humanité soit pris en compte ne tend-il pas a une sorte de dépassement de la société interétatique ? Les conventions de droit international de l’environnement ont quelque chose de traites-lois qui sont censés donner des avantages communs à toutes les parties, c’est-a-dire une amélioration de l’environnement pour tous.

 

 

 3-  Les trois éléments de la débâcle écologique  qui compliquent la responsabilité environnementale.

Les interactions entre les éléments de l’environnement compliquent les situations pour dégager des  responsabilités environnementales les plus claires possibles. (a)

L’accélération du système mo8k8ndial  bouscule la responsabilité environnementale dans la mesure où la stabilité des situations est mise à rude épreuve. (b)

Le long terme dans la dégradation environnementale fait que la question de la responsabilité intergénérationnelle est  posée aussi dans le temps. (c)

 

 a-   Un facteur aggravant pour la responsabilité : des interactions multiples entre problèmes,  menaces et drames environnementaux.

 Des interactions entre les éléments de l’environnement

On sait depuis longtemps que les éléments de l’environnement sont interdépendants, que des pollutions qui se rencontrent peuvent avoir divers effets, que des catastrophes ou des activités polluantes dans telle région peuvent avoir des effets dans telle autre… Cependant on ne connait pas toujours la nature précise des interactions entre les phénomènes de dégradation de l’environnement. Beaucoup de scientifiques pensent par exemple que « les interactions entre les changements climatiques et d’autres problèmes d’environnement pourraient être lourdes de conséquences ≫. Les interactions entre l’atmosphère, la biosphère et les océans ≪ pourraient aboutir à des changements irréversibles comme par exemple le déplacement des courants océaniques   et la modification de la diversité biologique ≫ (GEO-2000 – rapport du PNUE).

Existent aussi des interactions entre les changements climatiques et la couche d’ozone, entre les changements climatiques et l’extinction des espèces.

 

Des interactions entre les domaines d’activités

Ainsi par exemple la guerre a des effets catastrophiques sur l’environnement, de même une gestion injuste et anti écologique de l’environnement peut contribuer à des conflits armés.

 

 Des interactions entre deux grandes crises

La crise climatique et la crise énergétique, si elles se rencontraient, provoqueraient de multiples problèmes, drames et menaces. Cette rencontre se produirait très probablement si au moins quatre éléments étaient réunis : une consommation de pétrole augmentant en moyenne chaque année (par exemple de 1,6 % d’ici 2030),  un effondrement de la production de pétrole entre 2030-2040, des énergies fossiles représentant vers 2030 la plus grande part des ressources énergétiques mondiales (80 a 90 %), l’absence de volontés politiques

et financières massives pour développer les énergies renouvelables.

 b- Un facteur terrifiant pour la responsabilité : l’accélération du système international.

 

Quatre séries de mécanismes ont quelque chose d’infernal.

 

Le système international s’accélère : rapidité de la techno science, généralisation du règne de la marchandise toujours à renouveler, circulation rapide et multiple d’informations, de marchandises, de personnes, de capitaux, de services, discours mettant en avant la compétition, l’excellence, la croissance, le toujours plus, la puissance.

 

 Les réformes ou les remises en cause pour protéger l’environnement sont souvent lentes : complexité des rapports de force et des négociations, retards dans les engagements, obstacles dans les applications, inertie des systèmes économiques et techniques sans oublier la lenteur de l’évolution d’écosystèmes.

 

L’aggravation des problèmes des menaces et des drames fait qu’on agit pour une large part dans l’urgence : dans un certain nombre de domaines des interventions d’urgence planétaire s’imposent, nos sociétés se bloquent dans la dictature de l’instant, l’urgence tend à occuper une place importante.

 

 

 Penser et mettre en œuvre des politiques à long terme… voilà qui demande du temps : or le système s’accélère, le temps consacré à l’urgence pèse lourd, et ≪ moins il y a de temps à partager moins la démocratie est possible ≫ (Paul Virilio ), or c’est l’absence de politique à long terme qui fait que nous nous retrouvons de plus en plus en aval des phénomènes de dégradation, noyés dans  l’urgence.

 

 Se produit donc une double collision :

 d’une part le temps du marché et le temps du profit à court terme se heurtent aux temps écologiques à long terme,

 d’autre part des pouvoirs humains se voulant infinis se heurtent à la finitude de la Terre.

 

Les effets terricides et humanicides de cette double collision en appellent à une nécessité vitale : penser et mettre en œuvre des limites au cœur des activités humaines, c’est aussi cela être responsable.

 

 c-  Un facteur incertain pour la responsabilité : le long terme et les générations futures.

 

Les questions posées par le long terme de la responsabilité environnementale

Elles sont au moins au nombre de trois séries  qui ressemblent à un certain puits  juridique sans fond :

Sur une période de plusieurs décennies ou beaucoup  plus, de très nombreux actes personnels et collectifs participent à la production de tel ou tel dommage. Comment les prendre en compte en termes de responsabilité ?

Comment évaluer des dommages à venir atteignant des générations futures ?

Peut-on  condamner, pénalement et/ou civilement, des personnes disparues depuis longtemps ?

Voilà qui  en appelle entre autres au droit des générations futures.

 

 Le droit des générations futures

Une vérité saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre :

 le droit des générations futures n’est plus une utopie abstraite mais une utopie créatrice, n’est plus un épouvantail mais une chance pour elles et pour nous, n’est plus un fantôme juridique mais un concept juridique qui voit peu à  peu le jour.

  La reconnaissance du droit des générations futures

 

Elle se manifeste à travers de nombreuses  déclarations . Ainsi le principe 1 de la Déclaration de Stockholm(1972) selon lequel  « l’homme […] a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. » Ainsi le principe 3 de la Déclaration de Rio(1992) selon lequel  le droit au développement « doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures. »

Cette reconnaissance se manifeste aussi par des conventions, ainsi la Convention de lutte contre la désertification (Paris, 1994) selon laquelle les mesures appropriées doivent être prises  « dans l’intérêt des générations présentes et futures » …

 Le contenu du droit des générations futures

 

 Le droit des générations futures « c’est le droit, de ceux et celles qui nous suivront, à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux dans les différents domaines et cela sans limitation de temps, étant entendu que la condition même en est la sauvegarde voire l’amélioration de l’environnement »  écrivait Alexandre Kiss.( L’irréversibilité et le droit des générations futures , RJE, 1998, n° 5 .)

 

Pour cet auteur il appartient aux générations présentes de faire en sorte que des options restent ouvertes « soit en évitant la destruction irréversible des ressources, soit en créant des irréversibilités pour en assurer la survie ».

 

Cette seconde idée correspond à des sortes de verrous juridiques contre l’irréversibilité en particulier à travers une consécration globale du patrimoine commun de l’humanité. A nos yeux elle doit signifier qu’il faut remettre à leurs places la techno science et le marché pour que les générations futures puissent disposer de marges de manœuvres.

 

Il n’en reste pas moins, comme le faisaient justement remarquer Alexandre .Kiss et Jean-.Pierre. Beurier dans leur ouvrage de « Droit international de l’environnement » (éditions Pedone ) , que les incertitudes restent nombreuses : quels seront concrètement les besoins des générations futures ? Que penser des effets de l’explosion démographique sur les marges de manœuvres de ces générations ? Accepteront-elles de conserver toutes les œuvres d’art, tous les sites historiques, tous les espaces protégés ? Nous ajouterons qu’on peut souhaiter qu’elles aient le courage et l’intelligence de détruire différents armements si nous n’avons pas voulu  le faire.

  Le principe de précaution et les générations futures

C’est probablement l’un des plus symboliques du respect des générations à venir mais aussi l’un des plus opérationnels pour elles.

 Il s’agit de la gestion de risques mal connus ou inconnus pouvant provoquer des dommages graves ou irréversibles à l’environnement de ces générations futures.

Comment ne pas penser ici à la responsabilité inter générationnelle si chère à Hans Jonas dans  « Le Principe responsabilité » ? Comment ne pas parler avec Michel Prieur du principe de précaution comme d’« un droit à l’environnement pour les générations futures » ? (Michel Prieur,  Le principe de précaution au service des générations  futures ,  Mélanges M. Baseix,  Litec).

 Responsabilité aussi dans la transmission du   patrimoine

 Qu’il nous soit permis de renvoyer à un article de François Ost (« Générations futures et patrimoine », in Les clefs du XXIème siècle, Seuil et éditions UNESCO, 2000) dont nous citerons quelques extraits :

 « Le patrimoine ne serait-il pas précisément tout autre chose ? Moins une propriété qu’une promesse, moins une vérité qu’une question, moins un trésor en arrière qu’une quête en avant ? Nous voici donc sommés de réinventer le patrimoine dans la perspective des générations futures. Le patrimoine est donc à la fois un héritage donné et un sens à construire. »

Les générations présentes sont les relais de la transmission : « Ce n’est que reliée à d’autres que mon humanité s’affirme ».

François Ost termine par ce symbole magnifique de Virgile :

 Enée fuit la ville de Troie, il est guidé par son fils et il porte son père sur son dos qui lui-même porte des reliques de ses ancêtres.

  Ainsi, anneau après anneau, maille après maille, nous voici en humanité,

Ainsi marchant et devant marcher côte à côte voici la responsabilité et la fraternité trans générationnelles.(Voir sur ce dernier point notre article sur ce site.)

 

 Quatre remarques terminales de cette première partie

 

1-Un récapitulatif de l’essentiel consiste à rappeler que

 

Du point de vue de la responsabilité en général

son évolution est marquée

 par une extension dans l’espace et le temps,

 par de nouveaux acteurs qui apparaissent, des collectifs et l’humanité avec ses générations,

 par le contenu de cette responsabilité qui se déploie non seulement pour soi mais aussi pour autrui, surtout pour les plus vulnérables, les plus fragiles,

 par la prise en charge de risques,

 enfin par  la détermination de limites au cœur des activités humaines.

 

Du point de vue de la responsabilité environnementale on constate

 la rencontre avec l’écologie et ses effets sur le droit,

et  l’existence de trois éléments qui la rendent plus complexe ( les interactions, l’accélération, le long terme).

 

 

2- Deux des points forts de cette responsabilité environnementale sont certainement

 la prise en compte du principe de précaution,

 la prise en compte  des droits des générations futures.

( points forts retrouvés dans les IVème et Vème  parties.)

 

 

 3- Les  éléments précédents montrent  la complexité des responsabilités. Mais alors la tentation de l’irresponsabilité générale, d’une sorte de dilution, d’évaporation des responsabilités, ne peut-elle pas devenir  plus ou moins présente ?

La responsabilité ne  peut-elle pas disparaitre dans le temps sous l’effet d’une multitude d’acteurs participant aux dommages de la débâcle écologique ?

La responsabilité ne peut-elle pas disparaitre dans le temps face à des  incertitudes des dommages à venir ? Et comment les prendre en compte ?

 

 

 

4- Nous pensons au contraire que  des situations de coresponsabilité doivent être reconnues, assumées

cela en termes de réparations comme d’appels à de nouvelles protections, à de nouvelles précautions, à de nouvelles préventions, à  de  nouvelles remises en cause.

On le voit le questionnement sur la responsabilité environnementale n’est pas que juridique, il est aussi politique et éthique.

C’est  tout l’intérêt d’une réflexion qui se veut globale. Ne pas perdre de vue le sens des ensembles, apprivoiser la complexité : la responsabilité nous attend sur ces terrains du refus des analyses en vase clos. 

« Penser c’est dialoguer avec l’incertitude et la complexité » (une de mes pensées préférées d’Edgar Morin).

 

( A une étudiante qui m’avait dit que ,elle  aussi, aimait  répéter les pensées qui lui tenaient à cœur, j’avais répondu :

L’amour  se redit sans cesse et ne se répète jamais. Ainsi des pensées que nous aimons et qui nous aiment. )

 

Quels sont donc les responsables de la débâcle écologique ? (II)

 

 

    II-  Les responsables de la débâcle écologique 

                                     

 D’abord pour comprendre comment nous en sommes arrivés à cette situation   présente n’est-il pas nécessaire de resituer les responsabilités de la dégradation environnementale dans le temps, cela avant l’anthropocène puis pendant celui-ci c’est-à-dire  cette période de la domination de l’homme sur l’environnement d’environ 170 ans ? Doivent déjà apparaitre de nombreux acteurs de cette débâcle écologique. (A)

 

On ne saurait  oublier dans cette histoire les nombreux avertissements sur la route de cette débâcle écologique  (B)

 

Ensuite  il s’agira de constater  les logiques profondes du productivisme. Celles-ci   devraient nous permettre  de mettre en avant les mécanismes des responsabilités. Ce sont ces logiques qui produisent aujourd’hui la débâcle écologique. (C)

 

Sera alors venu le temps de souligner des critères de détermination des responsabilités et avec eux devraient apparaitre encore  mieux les acteurs qui, aujourd’hui, sont responsables de cette débâcle. ( D )

 

 A-  Une synthèse de l’histoire des responsabilités de la débâcle écologique   

Les proportions dans le temps sont impressionnantes et nous appellent à une certaine  humilité ou plutôt à une humilité certaine. En effet si l’on ramène l’âge de la Terre à 24 heures, l’homme apparait les 5 dernières secondes et l’anthropocène (époque industrielle)  correspondrait aux 2 derniers millièmes de la dernière seconde.

Nous distinguerons l’immense période des débuts de l’humanité jusqu’à l’anthropocène (1)

 puis les 170  dernières années (1850-2020…) de cette domination de l’homme sur la biosphère. (2).

 

 1- Des débuts de l’humanité (2 millions d’années) jusqu’à l’anthropocène (1850)

 

 

a-     La période de dépendance de l’homme par rapport à la nature est immense puisqu’elle s’étend des origines de l’humanité c’est-à-dire du genre Homo (2 millions d’années) (sans remonter à Tumai, 7 millions d’années ou à Lucy, 3 millions d’années) jusqu’à environ 11700 ans avant notre ère (la fin de la dernière période glaciaire).

Les êtres humains étaient vraisemblablement complètement dépendants de la nature. La lignée humaine vivait de la chasse, de la pêche, de la cueillette. Une certaine forme « d’harmonie »  existait probablement entre de petits groupes et la nature ce qui n’excluait pas des attaques de bêtes fauves et l’arrivée de catastrophes écologiques, mais la nature était considérée comme une mère, comme une déesse.

 

b-    La période d’apparition d’un pouvoir de l’homme sur la nature se situe de la fin de l’holocène et s’étend donc sur les 11700 dernières années et cela jusqu’à la révolution industrielle en Angleterre et en Europe à la fin du XVIIIe siècle.

 Le phénomène de sédentarisation voit le jour, ainsi que l’élevage d’animaux, l’irrigation, la création de réserves d’eaux et de céréales. C’est l’invention de l’agriculture, autrement dit la transformation et la mise en valeur du milieu naturel pour obtenir des produits végétaux et animaux utiles à l’homme. Ce pouvoir sur la nature se traduit donc par l’utilisation des ressources naturelles.

 Il n’en reste pas moins que la plupart des sociétés à cette époque refusent la séparation de l’être humain par rapport à la nature dont on se considère comme partie intégrante ou simplement associé à elle-même si on commence à la dominer.

 

 c-    On arrive ainsi à une  période de  soumission de la nature. Du XVIe au XIXe siècle c’est le grand tournant dans les théories et les pratiques entre l’être humain et la nature.

 La nature devient un objet au service de l’homme. La science et la raison humaine se trouvent face aux objets naturels, et l’Europe exploite les hommes et la nature à travers la colonisation.

   Un débat sur les rapports entre les êtres humains et la nature apparait et continue jusqu’à nos jours.

 La Bible avait  déjà en avant cet impératif « Soyez féconds, emplissez la terre et soumettez-la. »  Certains insisteront sur le fait que Dieu a donné la terre à l’homme pour qu’il la soumette mais non pour qu’il la détruise. Va ainsi dans ce sens l’encyclique du pape François de mai 2015 « Laudato si », Loué sois-tu, qui met en avant la « sauvegarde de la maison commune.»

 Sur la période du XVIIème à nos jours on peut souligner deux textes clefs symboliques, l’un de   Descartes, l’autre de  Lévi-Strauss.

En faveur de cette possession de la nature citons Descartes : « […] connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent […] nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie […].»(Discours de la méthode, 1637, 6e partie, classique Larousse).

 

Dénonçant ce déferlement de violence de l’homme contre le vivant, Claude Lévi-Strauss écrira beaucoup plus tard  en 1973:

« On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru effacer ainsi son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné le champ libre à tous les abus […]. » (Anthropologie structurale, Plon, 1973, p. 53)

C’est cette autodestruction qui nous a amenés au bord du gouffre. Comment ?

 

 2-Les responsabilités des acteurs de l’anthropocène dans la débâcle écologique

 

 La première révolution industrielle est synonyme de mécanisation, de développement minier et métallurgique, d’urbanisation… Mais c’est la deuxième révolution industrielle à partir de 1850-1880 qui va encore changer le rapport à la nature à travers en particulier l’utilisation de nouvelles énergies : pétrole, gaz, mais surtout le développement du charbon. Les forêts représentaient encore la source d’énergie essentielle en 1850, cinquante ans plus tard c’est le charbon. Les sociétés s’urbanisent, la nourriture et l’énergie sont achetées, les paysans commencent à devenir moins nombreux. On est entré dans l’anthropocène.

 

a-  En premier lieu le terme d’anthropocène de plus en plus  reconnu scientifiquement.

 

 Il a été inventé en 2002 par un chercheur (Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, 1995) qui affirme que nous avons changé d’ère géologique. Nous sommes entrés dans une ère dont l’homme est devenu « la force dominante ». Après la dernière  glaciation, les plus de  dix mille années de l’ère holocène étaient à une  température stable et relativement chaude, elle a permis l’apparition de  l’agriculture et des civilisations. 

Cette nouvelle ère  dominée par l’homme commence il y a environ  250 ans (machine à vapeur 1769) si on la fait naitre à la révolution industrielle (Angleterre fin XVIIIème, France début XIXème).

D’autres pensent qu’il  est plus juste de la situer au moment de l’explosion des énergies fossiles à partir de 1850 avec le charbon ensuite le premier puits de pétrole qui arrive en 1859. De 1850 à 2020  l’anthropocène a donc, à ce jour, environ  170 ans.

  L’ère de l’anthropocène peut se ramener à trois éléments : 

à partir de 1850 c’est l’utilisation massive des énergies fossiles, 

 au XXème siècle  la population est  multipliée par quatre (en 1900 :1,6 milliard d’habitants, en 2000 : 6,1milliards)     ( et fin 2019 : 7,7 milliards), 

la consommation d’énergie  multipliée par 8,3 (en 1900 : 965 millions de tonnes équivalent pétrole(TEP) en 2000 : 8000 millions TEP)       ( et en 2015 : 13,649 millions de TEP).  

 

 

 b-   En second  lieu voilà les dominations de quelques Etats et de quelques unes de leurs entreprises.

 

C’est d’abord l’Angleterre qui plonge dans l’exploitation de la houille au début du XIXème. Pourquoi ? Parce qu’il y avait une crise de la principale ressource énergétique en Europe, les forêts en effet  ne suffisent plus, elles sont victimes d’une déforestation et le prix du bois augmente.

Accompagnant le charbon apparaissent les machines à vapeur, les fonderies, arrive aussi  l’exploitation de matières premières de pays colonisés, par exemple le coton des Amériques. L’Angleterre domine le monde, le colonialisme marche côte à côte avec le capitalisme.

Ce sont ensuite les Etats-Unis qui se lancent dans une seconde énergie fossile qui est nouvelle, le pétrole. A partir du premier puits en 1859 c’est la ruée vers «  l’or noir. »

Une entreprise, la Standard Oil de Rockfeller, apparait en 1870 avec ses extractions, ses pipe lines, ses tankers. Avec le pétrole la révolution industrielle se développe, ainsi voilà l’éclairage, le chauffage, le béton…Les firmes pétrolières vont aussi en Russie, en Iran. Total apparait en 1924. Quant à la marine anglaise elle abandonne le charbon pour le mazout.

 

 

c-   En troisième lieu voilà les deux guerres mondiales dont l’environnement est aussi une victime, voilà aussi les débuts de la société de consommation …

 

 La guerre est synonyme de souffrances humaines,  de destructions matérielles  et aussi de destructions  environnementales considérables non seulement par les conflits armés qui font de la nature une victime blessée, meurtrie, détruite  mais, aussi, par la production des armements qui  font une utilisation massive, permanente et dramatique des matières premières. (Voir nos articles « Conflits armés et environnement »).

Elle est aussi synonyme de fortunes industrielles à partir des constructions d’avions, de canons, de chars, de munitions. La guerre est un coup de fouet pour le capitalisme.

 L’organisation scientifique du travail  à la chaine, le taylorisme, définie en 1880 ,  se développe. La chimie  et des industries apparaissent, on tue l’ennemi (gaz de combat dès la Première guerre mondiale, zyklon B des chambres à gaz, agent orange au Vietnam). On se lance dans l’agriculture productiviste et  on pollue aussi une partie du  vivant avec en particulier des pesticides. L’entreprise Monsanto est créée en  1901, elle se spécialise dans les biotechnologies agricoles.

 La rue commence à appartenir aux voitures, symboles de modernité, des productions apparaissent, Renault en 1898, Ford en 1903, General Motors en 1908.Les Etats-Unis, après la grande crise de 1929 et la sortie de la Seconde guerre mondiale, se développent tous azimuts.

 

d-   En quatrième lieu voilà l’après guerre de 1945 et « la grande accélération » de 1950 à nos jours avec les sociétés de consommation

 

 C’est l’après guerre de 1945 à 1950  puis  « la grande accélération de l’anthropocène » de 1950 à nos jours… Les armes nucléaires ouvrent une ère de menaces sur l’humanité et la nature. La guerre froide est une course effrénée entre les « supergrands », Etats-Unis et Union soviétique, à travers entre autres  une course aux armements destructrice de l’environnement.

 C’est le temps aussi de la consommation de masse à travers voitures, constructions de logements,  appareils électroménagers, industries agro alimentaires…En ce sens on peut dire que les consommateurs ont des responsabilités variables selon les contenus et les quantités de consommation, le fait par exemple d’une surconsommation de viande est une des causes de la déforestation au profit des pâturages.

Cette consommation explose dans l’ensemble des pays du Nord de la planète et peu à peu dans les pays émergents.

 L’explosion démographique dans les pays du Sud et celle de la pauvreté qui y est attachée ajoutent aux problèmes, drames et menaces écologiques.

Telle est cette histoire des responsabilités. Quelle est celle des avertissements ?

 

 B- De nombreux avertissements face à la débâcle écologique 

 

On peut toujours se dire que les acteurs, personnels et collectifs, de ces avertissements n’ont pas été assez nombreux, radicaux, tenaces,  volontaires , organisés  puisque la débâcle écologique est là.

 On ne saurait oublier pourtant des militants et militantes qui ont payé de leurs vies leurs engagements. Et d’autres qui ont commencé des remises en cause dans leurs théories et leurs pratiques.

On ne saurait oublier tous ces actes porteurs de certains changements et se dire que la débâcle écologique aurait pu être plus rapide et plus massive s’ils n’avaient pas été là.

On ne saurait oublier enfin la puissance des forces et des logiques  du productivisme.

 

Si l’on résonne en termes de personnes  voilà ,  symboliquement  , les  uns après les autres, une foule  qui serait  probablement la suivante :

 en tête  l’immense cortège des  humains et de l’ensemble du vivant, victimes  des problèmes des drames et des menaces environnementaux, dont les survivants, les « lanceurs d’alertes » témoignent,

viennent   ensuite des auteurs anti productivistes ,

puis  des scientifiques, des militants d’associations,

des fonctionnaires  d’organisations internationales,

d’ autres auteurs de nombreuses disciplines,

 des politiciens,

 des parties de populations qui prennent conscience et se remettent en cause…

Des avertissements sur la dégradation mondiale de l’environnement  commencent et se multiplient  mais le productivisme continue.

 Dégradation des ressources naturelles, catastrophes écologiques, menaces de diverses sortes, réchauffement climatique, espèces décimées, pollutions multiples : le doute accompagne la toute-puissance. Trois approches de l’environnement apparaissent et se sont développées avant tout  sous la pression des problèmes, des drames et des menaces écologiques.

L’approche scientifique de l’environnement (1),

 l’approche socio-économique de l’environnement(2),

l’approche politico-juridique(3).

 

1-L’approche scientifique de l’environnement se développe. 

 

 L’étude des relations des espèces avec leurs milieux a produit des premiers effets seulement au XIXe siècle. Des historiens de l’écologie ( Acot, Deléage, Drouin) à la fin des années 1980 ont montré que l’écologie scientifique est plus que centenaire. Les concepts sont nés en Europe au XIXème  puis ont gagné les Etats-Unis. Au XIXème  retenons la botanique géographique avec Humboldt et Warming, puis bien sûr  la théorie de l’évolution avec Darwin. En 1866 Haeckel est l’inventeur du terme écologie. Au début du XXème voilà les premières études de la biosphère, voilà aussi  l’écosystème puis l’écologie animale, la chaine alimentaire, la niche écologique, les points chauds de la biodiversité…

Voilà des études des Nations Unies, de réseaux de chercheurs  et d’ONG sur la dégradation de la biodiversité.

Voilà aussi les climatologues et leurs travaux, en particulier à partir du premier rapport du GIEC en 1990, ils alertent la communauté internationale sur le réchauffement, ces travaux ont été primordiaux dans la prise de conscience. Les autres rapports sont de 1995 , .2001 , 2007, 2013-14, 2019 (rapport spécial sur les océans et les zones glaciaires), le prochain sera publié le premier semestre de 2022.

Il faut cependant souligner que si Arrhenius, chercheur suédois, avait expliqué en 1895 le rôle de l’effet de serre , de 1895 à 1956 c’est le silence chez les climatologues alors qu’une commission internationale de climatologie  avait été créée en 1926. En 1956-57 des chercheurs aux Etats-Unis reprennent cette hypothèse  et la précisent mais de 1956 à 1976 c’est une obstruction de la part des climatologues dominants aux Etats-Unis et en Europe  qui écrivaient que le monde s’acheminait vers un petit âge glaciaire.

(Voir notre article in « Incertitude juridique, incertitude scientifique », Presses universitaires de Limoges, 2001).

Le GIEC sera enfin  créé en 1988.

 

2- L’approche socio-économique de l’environnement se trouve face à la puissante  machine productiviste. 

 

Elle  a été plus tardive : il a fallu attendre 1960 pour que l’idée selon laquelle les ressources naturelles n’étaient pas forcément  illimitées commence à être prise en compte !

C’est le fameux rapport  demandé à des chercheurs du Massachussets Institute of Technologie par le Club de Rome en 1970 et  publié en 1972, « Les limites à la croissance », qui  avertit clairement que le monde va vers  un effondrement sous les effets conjugués de la pollution, de l’explosion démographique et du manque de ressources. On ne peut avoir de croissance illimitée dans un monde limité.

A ces auteurs se joignent les ouvrages et articles de philosophes, de   sociologues , d’économistes et de beaucoup d’autres qui lancent de multiples avertissements et proposent des alternatives.

Il faut souligner ici également le rôle essentiel des associations, des ONG dans  la prise de conscience des citoyens, dans les pressions sur les pouvoirs politiques, dans la mise en avant d’alternatives.

 

 3- L’approche politico-juridique de l’environnement dramatiquement  lente.

 

En premier lieu    au niveau  international on peut retenir la date de la Conférence de Stockholm de 1972, moment de prise de conscience de la responsabilité des États, l’environnement devient un enjeu politique. Les États ont été obligés de répondre — nationalement, régionalement, internationalement — à cette pression des faits et des opinions publiques. En 1992 la Conférence de Rio marquera des avancées juridiques, mais celle encore à Rio en 2012 marquera  une récession des volontés.

Rappelons que c’est en 1972 à la Conférence de Stockholm qu’est évoqué pour la première fois au niveau de l’ensemble les Etats le danger du réchauffement climatique, qu’il faut attendre 1992 pour voir une convention, 1997 pour qu’arrive son protocole, 2005 pour qu’il entre en vigueur, 2015 pour un nouvel accord à Paris qui  est entré en vigueur en 2016, soit au total 44 ans  (1972-2016) pour faire les « premiers pas » ! Certes un chemin de mille pas commence par quelques pas, mais quel est le temps qui reste pour construire cet intérêt commun de l’humanité ?

 On a donc, souvent, décidé … qu’on déciderait plus tard. On retrouve cette tendance lourde dans la plupart des conférences climatiques précédentes. « A l’auberge de la décision les gens dorment bien » dit un proverbe. Les délégations étaient certes motivées pour l’Accord sur le climat de 2015, en surmontant parfois  des intérêts nationaux, en  dégageant parfois des intérêts communs, ce qui n’était pas rien, mais  lorsque l’intérêt  commun de l’humanité les  appelle pourquoi ne répondent-elles pas ?

En second lieu l’Accord de Paris, sans remises en cause des responsabilités,  persiste dans des formes d’injustice climatique.

 Ce consensus pour trouver un accord entre les Etats est la preuve, affirment certains, qu’il y eu un compromis porté  la justice climatique c’est à dire par la reconnaissance que les pays développés et les pays en développement ont du principe consacré  à nouveau par l’Accord (principe déjà présent dans la Convention de 1992 et dans le Protocole de 1997)des responsabilités communes mais différenciées dans le changement climatique et que leurs capacités respectives à y faire face sont inégales.

 -Mais sont renvoyés dans le préambule (ce qui est mieux que rien mais qui n’est pas assez contraignant) les impératifs d’une transition juste, le respect des droits de l’homme, des droits des peuples autochtones, l’équité entre les générations. Vous avez dit justice ?

– En plus de cela il y a, dirait  Aragon,  un « silence qui  a le poids des larmes », celui sur les déplacés environnementaux et sur  leurs droits. Quelle honte, quelle tristesse, quelle fuite devant les responsabilités ! On sait qu’ils sont et  seront surtout dans les pays du Sud. Voilà qui  en dit long sur ce qui constitue  déjà, aux yeux de certains, de nouvelles classes dangereuses en voie d’explosion dans les décennies à venir. Au moins aurait-on pu avoir le courage minimal d’annoncer la nécessité  d’une réunion internationale spécifique.  Vous avez dit justice ?

 -Aucun mécanisme clairement défini pour faciliter le transfert des technologies, pour supprimer des barrières à l’accès, barrières liées aux droits de propriété intellectuelle. Vous avez dit justice ?

-Egalement certes les parties qui reconnaissent la nécessité d’éviter et de réduire au minimum les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques et d’y remédier mais la décision de la COP précise que « l’Accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation. » Les pays développés refusent de devoir indemniser les pays en développement pour les dommages climatiques. Vous avez dit justice ?

-Enfin l’absence aussi d’un tribunal international sur la justice climatique, même si on peut estimer très positif le fait que des associations saisissent des tribunaux nationaux pour poursuivre l’Etat considérant qu’il ne faisait pas assez pour lutter contre le réchauffement climatique.  Vive  la justice climatique !

(Voir sur ce site notre article  « l’Accord de Paris sur le climat.» ).

 

 Certes ces approches scientifiques, socio-économiques et politico-juridiques ont eu ici et là des aspects positifs.

 Mais les logiques et la puissance du productivisme ont empêché des contre-mécanismes, radicaux  et à tous les niveaux géographiques , de se mettre en place.

Les groupes de pression industriels, la puissance de la  financiarisation (banques, bourses…) à partir de 1971 (date de la fin de la convertibilité du dollar en or), l’arrivée des pays émergents dans le système productiviste, tous ces éléments  font que cette course effrénée continue.

On en  arrive ainsi en 2020 à plus de 1400 milliards de tonnes de dioxyde de carbone accumulés depuis deux siècles et  prisonniers dans la basse atmosphère c’est à dire entre  0 et 15 km au dessus du niveau de la mer.

Un documentaire remarquable intitulé « L’homme a mangé la Terre », de Jean-Robert Viallet ( Arte , 2019).  se termine en affirmant que « l’anthropocène est  peut-être  un point de non retour. »

 Les collapsologues se multiplient, ils croient à « l’effondrement » de la civilisation industrielle dans les années et les décennies  qui viennent.

D’autres , comme Edgar Morin, croient encore à une  « métamorphose de l’humanité » .

Telle est cette synthèse des avertissements écologiques.

 Quelles sont les logiques des   responsabilités environnementales ?

 

                                                            

C- Les logiques profondes et les responsabilités de la débâcle écologique   

Ces logiques sont au nombre de douze, elles peuvent être  regroupées en six points (1, 2 , 3, 4, 5, 6) .(sur « Les causes de la débâcle écologique » voir nos quatre  articles).

 

1-La recherche du profit, la financiarisation de l’économie, l’expropriation des élu(e)s et des citoyen(ne)s.

 

– La recherche du profit est un mobile puissant pour des organismes et des personnes. Elle met de côté d’autres logiques qui ne la favorisent pas, ainsi la protection écologique… sauf si celle-ci lui apparait rentable.

 – La financiarisation de l’économie est synonyme de fructification des patrimoines financiers avec des opérateurs, à la fois puissants et fragiles, qui ont donc des logiques spécifiques .

 -L’expropriation des élu(e)s et des citoyen(ne)s n’a-t-elle pas tendance, ici ou là, à apparaître ou à se développer ? Ainsi les marchés financiers n’entraînent-ils pas une expropriation du politique par le financier ? La primauté du libre-échange et la puissance des firmes géantes n’entraînent-elles pas une expropriation du social par l’économique ? La compétition n’entraîne-t-elle pas une expropriation de la solidarité par l’individualisme ? La vitesse n’est-elle pas un facteur de répartition des richesses et des pouvoirs qui défavorise ou rejette des organismes et des individus plus lents ?

 

 2- L’efficacité économique et la priorité du court terme.

 

 – L’efficacité économique est synonyme  du  moment où, cessant d’être au  service de la satisfaction de véritables besoins, la recherche d’efficacité devient sa propre finalité.

 La priorité du court terme est synonyme de dictature de l’instant au détriment d’élaboration de politiques à long terme qui soit ne sont pas pensées en termes de sociétés humainement viables, soit  ne sont pas mises en œuvre et disparaissent dans les urgences fautes de moyens et de volontés.

On est loin de certaines tribus d’indiens qui prenaient des décisions en essayant de penser leurs effets sur plusieurs générations…

 

  3- Le culte de la croissance, la course aux quantités, la conquête et la défense des parts de marchés. 

 

– Le culte de la croissance est synonyme du « toujours plus », de course aux quantités, de mise en avant de critères économiques supérieurs aux critères sanitaires,  environnementaux, sociaux, culturels, de surexploitation des ressources naturelles, de fuite en avant dans une techno science qui a tendance, ici et là, à s’auto reproduire et à dépasser les êtres humains.

  – La course aux quantités est synonyme d’une surexploitation des ressources naturelles, de surproductions, de créations de pseudos besoins alors que des besoins vitaux ne sont pas satisfaits pour la  grande majorité des habitants de notre planète.

 -La conquête et la défense des parts de marché est synonyme d’un  libre-échange tout-puissant qui repose sur des affrontements directs, des absorptions des faibles par les forts, des guerres des prix, des efforts de productivité  qui  poussent  à de nouvelles conquêtes de nouveaux marchés.

 

  4-La marchandisation du monde et de la nature, la domination sur la nature.

 

– La marchandisation du monde  est  synonyme de  transformation, rapide et tentaculaire, de l’argent en toute chose et de toute chose en argent. Voilà de plus en plus d’activités  transformées en marchandises, d’êtres humains plus ou moins instrumentalisés au service du marché.

-La marchandisation de la nature. Les éléments du vivant (animaux, végétaux) sont décimés,  les éléments de l’environnement  sont entrés dans le marché (eaux, sols, air…).Dans ce système « tout vaut tant », tout est plus ou moins à vendre ou à acheter. (Voir « La marchandisation de la nature » voir nos trois billets sur ce site et notre article in Mélanges en l’honneur de Soukaina Bouraoui, Mahfoud Ghezali et Ali Mékouar, Hommage à un printemps environnemental, PUF,2016.)

 – La domination sur la nature fait de celle-ci un objet au service des êtres humains, ses ressources sont  souvent exploitées comme si elles étaient inépuisables, de toutes  façons certains pensent  que  l’homme est capable de se substituer peu à peu à la nature à travers une artificialisation totalisante, il commence à se dire même capable, après l’avoir réchauffée, de « mettre  la Terre à l’ombre »  par de gigantesques projets  technologiques (géo-ingénierie).

 

 5-La militarisation du monde.

 

-Cette logique profonde est synonyme de recherches scientifiques à des fins militaires en particulier sur les armes de destruction massive, synonymes d’industries d’armements, de camps militaires et de grandes manœuvres,  de régimes militaires ou de poids de l’armée dans des régimes politiques,

 -Logique qui est également synonyme de besoins vitaux non satisfaits et de participation à des inégalités criantes de territoires et d’êtres humains victimes des guerres. Dans plusieurs articles ainsi que dans nos deux ouvrages « Construire la paix » (éditions La Chronique sociale,1988) nous avons souligné les liens multiples et dramatiques entre « les conflits armés et l’environnement ».

 

6-La logique de compétition.

 

 – La logique de compétition est omniprésente

 Elle alimente les  logiques précédentes et elle est alimentée par ces logiques. Nous sommes entrés dans la révolution scientifique, il faut être novateur, notre droit à l’existence est  fonction de notre rentabilité ( ! ) « Etre ou ne pas être compétitif » nous dit le système, si vous n’êtes pas compétitif – pays, région, ville, entreprise, université, personne…- vous êtes dans des  perdants, vous êtes morts. 

 La compétition est un discours-vérité qui a de très nombreux fidèles, ils sont envahis par cette obsession. On est entré dans le grand marché, il faut donc libéraliser, dérèglementer, privatiser, peu importe le sens du « vivre ensemble » et celui du « bien commun ». La compétition est  considérée comme sacrée, elle nous protège, il n’y a plus d’autres critères d’appréciation que la performance, la compétitivité, la rentabilité.

«  Chacun invoque la compétitivité de l’autre pour soumettre sa propre société aux exigences systématiques de la machine économique. » écrivait magnifiquement et tragiquement André Gorz.  «  La logique de la compétitivité  est élevée au rang d’impératif naturel de la société » écrit aussi avec la même force Riccardo Petrella qui dénonce « l’Evangile de la compétitivité ». (Voir  « L’Evangile de la compétitivité, malheurs aux faibles et aux exclus », Riccardo Petrella, Le Monde diplomatique, septembre 1991et « Litanies de Sainte Compétitivité », Le Monde diplomatique, février 1994).

-La compétition pousse à la guerre donc participe à la débâcle écologique

On constate que le productivisme, pour maintenir ses taux de profit, a besoin de renouveler ses stocks d’armements. Dans la compétition de la  course aux armements, un des moyens massifs est la production de conflits armés. Les armements constituent une des logiques infernales du productivisme. Ils contribuent à fabriquer l’image de l’ennemi que l’on doit surpasser en armements. Ils contribuent à allumer des poudrières. Ils portent atteinte dans leur production et leur utilisation aux populations et à l’environnement. Ils enlèvent des sommes colossales pour des besoins criants. Ils accroissent l’insécurité ce qui en appelle à de nouveaux armements et de nouvelles compétitions.

-La compétition pousse à  la croissance démographique

Le productivisme a ici deux discours et deux pratiques.

Il affirme qu’il faut être puissant et qu’une population nombreuse est un atout dans la compétition militaire et économique. A contrario il fabrique l’image de l’adversaire ou de l’ennemi en dénonçant les risques d’autres populations importantes, en particulier quant aux migrants et aux déplacés environnementaux considérés comme de nouvelles classes dangereuses.

En fait on constate qu’une population nombreuse peut être un poids pour l’économie et l’environnement. Tout dépend du type de développement, s’il est productiviste ou bien  si des luttes pour le partage des richesses et contre la débâcle écologique sont engagées dans le pays en question. D’autre part les coopérations  interétatiques et les accueils bien organisés de réfugiés peuvent contribuer à  des solidarités et éloigner  la fabrication d’adversaires ou d’ennemis. On constate aussi que « le meilleur anticonceptionnel c’est le développement » lequel amène à avoir moins d’enfants quand on sort de la pauvreté.

 Il faudrait pourtant des politiques de ralentissement de la croissance beaucoup plus volontaires puisqu’en 2050, si tout continuait comme cela, il y aurait de l’ordre de 10 milliards de terriens. Le productivisme y voit avant tout de nouveaux marchés. Peu importe l’empreinte écologique, à ses yeux on peut toujours réparer les destructions environnementales, c’est la logique de la suprématie de la technoscience.

– La compétition globale  est  terricide et humanicide

Finalement on retrouve cette opposition fondamentale entre ceux et celles ( de loin les plus nombreux avec une véritable « colonisation des esprits ») qui pensent que la compétition est naturelle, qu’elle est saine, bonne, nécessaire .

 Et ceux et celles (pour l’instant moins nombreux, mais quelque chose de minoritaire n’est pas faux pour autant…c’est simplement minoritaire) qui pensent que la compétition est un produit de l’histoire, qu’il y a des compétitions liées aux périodes et aux sociétés, que le productivisme pousse à une compétition omniprésente, omnipotente, omnisciente.

La compétition mortifère doit laisser la place aux  solidarités, aux coopérations, aux fronts communs. Les biens communs, le « vivre ensemble » peuvent et doivent l’emporter face aux périls communs qui s’appellent la débâcle écologique, les armes de destruction massive, les inégalités criantes, la toute-puissance de la techno science et des marchés financiers, bref face à des logiques qui assassinent la Terre et l’Humanité.

(   Voir notre article in « Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ? », sous la direction de Jessica Makowiak et Simon Jolivet, Pulim ,  Collection les cahiers du CRIDEAU,  07/2017)

Telles sont les logiques profondes des responsabilités environnementales. Mais existent-ils des critères pour les déterminer ?

 

 

D- Les critères de détermination des responsabilités de la débâcle écologique   

 

La détermination des critères doit être faite par des organisations indépendantes, il s’agit d’organismes scientifiques travaillant souvent en réseau, d’organisations  internationales du système des Nations Unies, de secrétariats  et d’organismes spécialisés de conventions internationales de protection de l’environnement , enfin d’ONG qui pour certaines d’entre elles ont des équipes  compétentes pour étudier tel ou tel type  de critères et contribuent à faire connaitre de nombreuses études.

Ces études sont d’autant plus intéressantes qu’elles  montrent aussi l’évolution des acteurs, en particulier des Etats, dans le recensement de ces mesures.

Une des questions qui se pose est de savoir si l’on doit tenir compte d’une période historique plus ou moins longue Ainsi par exemple quelles « responsabilités historiques » des pays du Nord  par rapport à ceux du Sud  dans les émissions de gaz à effet de serre? Et comment et jusqu’à quel point  prendre aussi en compte des évolutions futures ?

Les choses se compliquent également en tenant compte des échanges entre pays .On exporte des biens fabriqués dans un Etat pour une consommation dans un pays étranger, comment en tenir compte par exemple dans le réchauffement climatique ?

 

Quels sont donc  les critères essentiels aujourd’hui ? Il s’agit de l’empreinte écologique qui est, à ce jour, le critère le plus global (1).

 

 Il s’agit aussi des émissions de gaz à effet de serre, critère  du réchauffement climatique.qui sont prises en compte  dans l’empreinte écologique mais aussi  de façon autonome (2).

 Nous pouvons enfin  ajouter la valeur en eau, critère appelé à prendre plus d’importance face aux pénuries hydriques présentes et à venir. (3)

 

 Nous ajouterons un critère  complémentaire relatif   à la place  occupée par chaque acteur  dans le système productiviste (4).

 

 Enfin nous nous demanderons s’il n’y a pas un autre critère complémentaire. Est-ce qu’une vision globale n’en appelle pas à une interrogation non seulement sur les générations passées et présentes mais aussi sur les générations futures ? (5)

 

1-L’empreinte écologique.

 

a-   L’empreinte écologique c’est le poids de nos modes de vie sur l’environnement (production, consommation, déchets, transports…).

Elle est calculée en surfaces nécessaires pour ces modes de vie, c’est « l’hectare global », on peut ainsi calculer l’empreinte écologique   de l’ensemble de la population mondiale, d’un pays, d’une ville, d’une personne…

La planète met à notre disposition 2,1 hectares globaux par habitant, en 2016 nous utilisons 2,7 hectares globaux par habitant de la Terre. Notre empreinte écologique dépasse (depuis 1986 nous disent des chercheurs, donc depuis plus d’ une trentaine d’années) la capacité de régénération de la Terre. A cette allure et étant donnée l’ampleur de l’empreinte écologique « il faudrait plusieurs planètes Terre » pour ce type de développement productiviste. La Terre n’a donc plus la capacité de produire nos ressources et d’absorber nos déchets.

A partir du  29 juillet 2019, l’humanité  vit à crédit jusqu’au 31 décembre2019.Il est probable que les années suivantes le jour du dépassement sera de plus en plus avancé dans l’année. Ce  Jour du dépassement de la Terre c’est le jour où l’humanité a consommé toutes les ressources que la planète est capable de produire en un an, creusant toujours plus notre dette écologique. A l’échelle de la planète comme l’affirme le WWF  «  nous avons pêché plus de poissons, abattu plus d’arbres et cultivé plus de terres que ce que la nature peut nous offrir au cours d’une année. » Quant à nos émissions de gaz à effet de serre, elles ont été plus importantes que ce que nos océans, nos sols et nos forêts peuvent absorber.

Cette date est calculée chaque année par le  Global Footprint Network (GFN), créateur du concept d’empreinte écologique, en liens désormais avec le WWF. Cette date grignote peu à peu le calendrier, passant ainsi par exemple du 29 septembre en 1999 au 29 juillet en 2019. 

 

b-   Cette empreinte écologique est marquée par de fortes inégalités donc par des responsabilités différentes.

Au niveau mondial le poids des modes de vie sur l’environnement, selon les Nations Unies, en 2005 représentait pour les pays du Nord  80% des ressources de la planète pour 20% de la population mondiale.

Au niveau continental selon le Living Planet Report(2009) en 2006 par continent quelle était l’empreinte écologique ? Amérique du Nord 9,4 hectares globaux par habitant, Union européenne 4,8, Amérique latine 2 hectares, Asie 1,3, Afrique 1,1 hectare.

 Au niveau de chaque pays   en 2012 l’empreinte  va de 9,6 hectares pour les Emirats arabes unis, à 3,8 hectares pour la France, puis 1,8 hectare pour le Brésil, 2 pour la Chine et 1,9 pour l’Inde, arrivent à la fin de la liste des pays comme par exemple le Bangladesh 0,5, l’Afghanistan 0,1, donc entre les deux  pays extrêmes une différence de 100…

Aux groupes de pays, à chaque  pays et à chaque continent on peut ajouter les  empreintes écologiques de villes, d’entreprises, de personnes qui visent donc cette forme fondamentale de responsabilité écologique.

 

2-Les émissions de gaz à effet de serre.

Des accords internationaux prévoient cette mesure compliquée à recenser et à surveiller.

Les émissions  mondiales de CO2 ont triplé entre 1970 et 2017,  cette tendance mondiale à ce jour ( octobre  2019) n’est pas encore radicalement remise en cause.

 

Les deux pays les plus gros émetteurs étaient en 2017 la Chine représentait 28 % du total mondial, les Etats-Unis 15% soit 43% à tous deux.Les  pays qui émettent le plus de GES  par habitant sont différents Avec près de 50 tonnes de CO2 par an, le Qatar est le plus gros émetteur de CO2par habitant, suivi par le Koweït et les Émirats arabes unis. Par comparaison, chaque Français émet 5,48 tonnes de CO2 par an. En effet  ces pays du Golfe persique émettent de grosses quantités de CO2 à cause de l’exploitation pétrolière  et gazière, et de la faiblesse de leur population. Autres gros pollueurs par habitant : les États-Unis et l’Australie, cette dernière étant très dépendante du  charbon.

 

Ainsi pour les pays, les entreprises,  les villes, les personnes et l’ensemble des acteurs  les émissions de gaz à effet de serre sont ,   selon les cas,  presque inexistantes,  faibles ,  moyennes,   importantes ou gigantesques.

 

3-La consommation d’eau  et  l’empreinte de l’eau.

 

-On rappellera ce constat fait en particulier par l’UNICEF

« 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. • 2,6 milliards de personnes (1 tiers des habitants de la planète) ne disposent d’aucune installation sanitaire. • 7 millions de personnes dont au moins 2 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies liées à l’eau. • Plus de 1,6 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies liées à l’eau polluée. • Des millions d’enfants souffrent de parasitoses, associées à la malnutrition et l’anémie. • 118,9 millions d’enfants de moins de 15 ans souffrent de bilharziose, une grave maladie qui atteint le foi et les intestins. »

– «  La consommation quotidienne en eau par habitant dans les zones résidentielles s’élève à 600 litres en Amérique du Nord et au Japon, entre 250 et 350 litres en Europe, elle est de 10 à 20 litres en Afrique subsaharienne. La moyenne mondiale de consommation d’eau par an est de 600m3 par habitant, soit 137 litres par jour. Au cours de 100 dernières années, la population mondiale a triplé alors que la consommation d’eau pour l’utilisation humaine a été multipliée par 6. Aujourd’hui, la pénurie d’eau affecte 250 millions de personnes dans 26 pays pour un volume annuel de 1 000m3 par personne. »

–  Existe donc avant tout  la consommation directe  d’eau pour un usage domestique, industriel et  surtout agricole, l’agriculture représente 70% de la consommation mondiale d’eau. D’où l’un des intérêts de la remise en cause de l’agriculture productiviste par d’autres agricultures.

 

 – Existe aussi le concept d’eau virtuelle c’est-à-dire la quantité d’eau pour fabriquer un bien de consommation. Le cinquième de l’eau consommée est ainsi de l’eau virtuelle pour produits agricoles et   industriels .

. On a pu mesurer par exemple que pour boire une tasse de café aux Pays-Bas, il faut 140 litres d’eau en comptant tous les stades de la production du café, ainsi  pour cultiver, récolter, torréfier, transformer, emballer et transporter les grains de café.

Il  faut 16 000 litres  pour un kilo de bœuf, ou encore 1000 litres d’eau pour un litre de lait, pour un œuf 135 litres d’eau, pour un 1 tee-shirt en coton 2 000 litres d’eau…chiffres qui peuvent varier  selon les processus de production et de distribution. Production et consommation productivistes sont donc ici  aussi en cause.

 

4- La place  occupée par chaque acteur dans le système productiviste.

 

a-   Ce critère a une faiblesse, une certaine imprécision. Un acteur peut en effet occuper plusieurs places à la fois, il peut aussi en occuper différentes tour à tour.

 Ce critère a un avantage réel  et massif, celui d’attirer l’attention sur des responsabilités plus fortes que d’autres dans la production des logiques productivistes, et donc celui d’un caractère relativement opérationnel pour penser et mettre en œuvre des contre-logiques.

 

b-  Nous avions dans deux ouvrages  « Construire la paix » (éditions la Chronique sociale, 1988) bâti notre réflexion  relative à la course aux armements sur cette « armature » et ce « cœur » de la « machine infernale » de cette course.

Nous pouvons reprendre cette même idée forte pour l’environnement et la débâcle écologique, celle du « cœur » au centre du système, celle de l’armature autour du « centre. »

 

c-   Les acteurs qui se trouvent dans « le cœur de la machine infernale » de la débâcle écologique ont le plus souvent des responsabilités gigantesques,  ou très importantes.

Il s’agit des acteurs de la techno science (des réseaux scientifiques, des industries), de la finance (banques et bourses…), de l’économie (firmes multinationales , complexe scientifico-militaro-industriel par exemple).

 

d-   Les acteurs qui se trouvent dans « l’armature de la machine infernale » de la débâcle écologique ont le plus souvent des responsabilités importantes ou secondaires.

Il s’agit des acteurs du  politique, de  l’  éducatif ,  du médiatique, du juridique, et d’autres domaines d’activités…

Autrement dit en termes de contre-logiques, de contre-mécanismes l’essentiel se joue et va se jouer dans le scientifique, le financier et l’économique.

 Ce qui ne veut surtout pas dire que

 dans les autres domaines les responsabilités n’existent pas, en particulier politiques !

Mais par exemple on connait le poids des lobbies et des marchés financiers sur le pouvoir politique…

 …sans oublier bien sûr qu’il ne s’agit que d’un schéma et que les interactions sont très nombreuses entre les différents domaines du centre et de la périphérie du système productiviste pour le meilleur , l’entre-deux et le pire.

 

e-   Cette place des acteurs dans le système productiviste pose d’abord essentiellement la question des responsabilités des acteurs collectifs puissants.

 Il faut mettre en œuvre  leurs responsabilités, ainsi en termes de dommages écologiques, responsabilités fondées principalement sur le principe pollueur-payeur et sur de multiples systèmes de prise en compte des risques.

Nous reviendrons au niveau juridique sur la prise en compte de dommages futurs qui pose question mais qui se reporte surtout vers des responsabilités en termes de précaution,  de prévention, et de remise en cause de logiques productivistes.

 

f-   La place des acteurs c’est aussi celle d’un certain nombre de responsables

 

Dans  « le cœur des mécanismes » il s’agit, par exemple, de dirigeants de firmes multinationales persistant dans de graves pollutions, de dirigeants de banques continuant à soutenir  des énergies fossiles, de patrons de laboratoires travaillant dans des recherches sur les armes de destruction massive…

Dans « l’armature des mécanismes » il s’agit, par exemple, d’ hommes politiques refusant des politiques de réduction des gaz à effet de serre , de journalistes et d’ enseignants  soutenant un  négationnisme climatique…

Les  sanctions pourront être financières, politiques, juridiques…

De ce dernier point de vue la mise en œuvre de sanctions pénales pour atteinte aux générations futures devraient demain être consacrées et mises en oeuvre. (Voir mon article sur « La fraternité transgénérationnelle », particulièrement les atteintes qui lui sont portées).

Au-delà des personnes voilà les générations…

 

5-Les générations et les responsabilités écologiques

 

  a-  Quelques données relatives aux générations 

 

  Les sens du mot « générations» sont nombreux :

 Pour le démographe c’est la totalité des individus nés une même année, pour le généalogiste c’est l’ensemble des personnes classées selon une relation de filiation, pour le sociologue ce sont des personnes d’un âge proche qui ont des vécus historiques communs,  pour l’historien c’est la durée de renouvellement des personnes, ce sera le sens choisi ici.

 Par rapport à sa  durée  une génération humaine correspond  au cycle de renouvellement d’une population adulte, entre 22 et 32 ans, soit environ 30 ans.

 Le nombre de générations passées (d’après nos calculs aussi  harassants qu’incertains) serait  de l’ordre de  6800 à 8000  sur  200.000 ans, date d’apparition de l’Homo sapiens.

 Quant aux générations présentes  elles sont au nombre de trois voire quatre (arrière- petits-enfants). Les générations à venir seraient au minimum de zéro (le lendemain de l’horreur nucléaire d’Hiroshima Jean-Paul Sartre écrit  « nous savons désormais que chaque jour peut-être la veille de la fin des temps »), ou de quatre d’ici 2100 (puisqu’existent quelques hypothèses scientifiques d’une humanité ne dépassant pas le siècle), ou alors d’un  nombre  indéterminé  de générations après 2100.

 

   b- Que peut-on  dire  du mot  « transgénérationnel » ?

 « Trans » est un préfixe qui   signifie « au-delà », il  exprime l’idée d’une traversée. L’inter générationnel est relatif aux générations différentes qui se rencontrent dans une même vie, le trans générationnel est relatif aux  générations qui se succèdent. L’inter et le trans générationnels existent  dans les transmissions familiales. C’est par exemple  le domaine de la psycho généalogie. La transmission intergénérationnelle est plus observable, puisque les quatre générations peuvent être en contact, la transmission transgénérationnelle à distance, est plus floue, plus porteuse d’inconnues. Ces transmissions peuvent nous alourdir, celles par exemple de traumatismes, et/ou au contraire nous aider à grandir. 

 

    c-  Les « trois fois trois générations » et la débâcle écologique

 

 Les « trois fois trois générations » par rapport à la débâcle écologique (nous proposons de les appeler ainsi , comme nous avions proposé voilà plus de trente ans l’expression « productivisme terricide et humanicide » dans les deux ouvrage « Construire la paix, éditions Chronique Sociale,1988).

Depuis les débuts de l’anthropocène on  peut  penser que

Nous avons reçu de trois générations passées (  1850 à 1945 environ), un environnement pour une part atteint et faisant l’objet de destructions en marche sous les logiques  du productivisme et de l’anthropocène.

 Nos trois générations présentes (1945 à 2030 environ) ont produit un environnement pour une large part détruit et plongeant dans  des apocalypses écologiques multiformes, massives, en interactions et rapides sous les logiques du productivisme et de l’accélération de l’anthropocène.

 Les  trois générations  qui viennent juste après nous (2030 à 2120 environ) se trouvent donc devant  une question vitale : cette veille de fin des temps peut-elle encore, à travers quelles volontés, quels moyens et quelles marges de manœuvres,  se transformer en aube d’humanité ?

En fait il n’est pas exclu que leurs marges de manœuvres soient relativement faibles, un des exemples les plus terribles est celui du réchauffement climatique en route qui pour ralentir demande une  d’abord une gigantesque remise en cause du cœur de la machine accompagnée certes aussi  de l’armature de la machine infernale de la débâcle écologique.

 

    d- Quatre  remarques sur ce schéma des « trois fois trois » qui contient certainement une part de vérité :

 

En premier lieu   peut-on  aussi raisonner en termes de générations alors que les personnes et différents acteurs dans chaque génération ont des responsabilités très inégales dans cette débâcle écologique, responsabilités qui ont été sont et seront( ?) selon les cas presque inexistantes, faibles, moyennes, importantes ou gigantesques ?

On est renvoyé par exemple à l’empreinte écologique d’une personne, d’une entreprise, d’une ville, d’un pays.

 Les choses se compliquent puisqu’il faudrait distinguer, pour être plus juste, ce poids  sur l’environnement à un moment donné et dans la durée de cet acteur.

 

En second lieu   la question des rapports entre les générations se pose une fois de plus, entre les générations passées et les présentes, entre les générations  présentes et les futures. (Voir par exemple nos articles sur les générations futures.)

 Mais la question se pose  aussi entre les futures immédiates (jusqu’en 2120 environ ) et les futures  qui viendraient( ?) juste  après elles…

 

 

–  En troisième lieu    se pose la question des responsabilités générales et écologiques des   dernières  générations … si  arrivaient la fin des temps humains et d’une grande partie du vivant …

On peut penser que deux séries de  situations subsisteraient :

 Une série  de  situations selon lesquelles la  responsabilité écologique et la responsabilité générale n’ont plus de sens. Cela pour deux raisons :

D’une part on ne peut absolument plus changer les choses, les actes allant dans ce sens sont de, façon  certaine, inutiles, vains.

 D’autre part on n’a plus de responsabilité morale vis-à-vis des générations futures puisque  l’espèce humaine s’éteint assez vite.

Cette désespérance multiplie des désespoirs sous diverses formes  face à l’extinction de l’humanité. Mais sont aussi présents des actes de courage personnels et collectifs.

 

 Une autre série de situations selon lesquelles la  responsabilité écologique et la responsabilité ont  encore un sens. Cela pour deux raisons contraires à celles exprimées ci-dessus.

 D’une part on pense que jusqu’au bout des temps humains on peut changer les choses, les actes allant en ce sens voudraient être porteurs d’un espoir fou.

 D’autre part on considère que l’on a une responsabilité morale vis-à-vis des vivants qui restent dans ces dernières générations.

 

En quatrième et dernier lieu  une question est bien présente, celle des marges de manœuvres de chaque génération, autrement dit la question des rapports entre les responsabilités et les libertés.

 Nous sommes ainsi arrivés  dans une réflexion relative aux formes de responsabilités (éthiques, politiques et juridiques). (IIIème ,IV et Veme parties).

 

Remarques terminales de cette deuxième  partie.

 

Quels sont donc les responsables de la débâcle écologique ?

1-    Historiquement on peut affirmer qu’il s’agit de deux pays, l’Angleterre puis les Etats-Unis, et  de quelques unes de leurs  entreprises dans la houille et le pétrole.

 

2-   Historiquement on peut affirmer qu’il s’agit ensuite de la colonisation c’est-à-dire d’Etats européens ayant pillé en matières premières  des pays lointains.

 

3-  Historiquement  il s’agit aussi des deux guerres mondiales, c’est à dire encore d’Etats  européens,  qui ont entrainé ces deux boucheries mondiales, avec la responsabilité écrasante du système totalitaire nazi. Ces guerres  ont été destructrices de multitudes d’êtres humains  et aussi d’environnement  en amont avec les industries d’armements,  puis bien sûr pendant ces conflits armés et longtemps  après. ( Voir nos articles sur « Les conflits armés et l’environnement. »)

 

4-   Historiquement on peut affirmer qu’entre 1945 et 1989 les responsables principaux de l’accélération de l’anthropocène s’appellent  les Etats-Unis et l’Union soviétique qui  s’affrontent dans la guerre froide ,

5-    De nos jours  de 1950 à 2020 ce sont aussi les pays du Nord et leurs habitants les plus aisés qui se ruent vers la société de consommation, avec en particulier la voiture qui en est un symbole et avec leurs firmes multinationales.

La débâcle écologique continue à travers l’explosion démographique des pays du Sud et la pauvreté qui lui est attachée.

Elle s’accélère avec  la plongée des pays émergents, en particulier de la Chine, dans le productivisme.

 

6-    De nos jours  les logiques terricides et humanicides du système productiviste sont en marche. Elles marchandisent  la planète.

  La financiarisation du monde se produit à travers une montée des banques , des bourses et des paradis fiscaux.

 Leurs responsabilités dans la débâcle écologique sont énormes, l’argent roi n’a pas tenu compte de la protection de l’environnement en contribuant à le détruire ou en faisant semblant  de le protéger sans  remettre en cause les logiques profondes du productivisme.

 

7- De nos jours des personnes responsables d’organismes au « cœur » mais aussi dans « l’armature » des mécanismes  de la débâcle écologique font ou devraient faire l’objet de différentes formes de  responsabilité environnementale (réparations, sanctions…).

 

6-  De nos jours les critères pour déterminer les responsables de la débâcle écologique s’appellent l’empreinte écologique, les émissions de gaz à effet de serre, la consommation en eau, la place occupée par chaque acteur local, régional, national, international dans le système productiviste .

Tout cela  avec des responsabilités gigantesques ou importantes des acteurs de la techno science, de la finance et de l’économie

 et des responsabilités importantes ou secondaires pour les acteurs de la périphérie du système productiviste (politiques, médiatiques, éducatifs…. )

 A partir de ces critères on peut avoir une responsabilité certes difficile à établir  pour chaque acteur dans le temps, cela du plus petit au plus gigantesque mais pour une large part reflétant des réalités, celles des personnes,  des  entreprises , des banques et des bourses, des Etats et des autres acteurs…

 

7-   Enfin en termes de générations il apparait clairement que

 celles de 1850 à 1945 ont commencé à mettre en œuvre la débâcle écologique,

celles de 1945 à 2020(2030) ont plongé dans les logiques de cette débâcle,

 celles de 2020(2030) à 2120 se retrouvent donc devant des formes d’apocalypses écologiques qu’elles vont devoir affronter.

Ce sont les générations de 1945 à 2020 qui ont les responsabilités les plus lourdes non seulement parce que leur course à la débâcle écologique était la plus gigantesque mais aussi parce que les prises de conscience de ces apocalypses en marche auraient pu voir davantage le jour et se traduire par des actes  à travers ces avertissements qui commençaient.

 Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) dans son rapport GEO 2000 sur « l’avenir de l’environnement mondial » affirme : « Des efforts sont faits pour enrayer la dégradation de l’environnement  mais on admet également qu’ils sont trop peu nombreux et bien trop tardifs(…)Les améliorations et les progrès seront vraisemblablement réduits à néant par le rythme et l’ampleur de la croissance économique au niveau mondial, par l’aggravation générale de la pollution du milieu et par la dégradation accélérée des ressources renouvelables de la planète. » Les autres rapports, par exemple  GEO 5 en 2012, vont dans le même sens.

 

 8- Les générations qui arrivent  se retrouveront donc devant trois séries de questions vitales :

Quelles  seront leurs volontés ?

Quels  seront  leurs moyens ?

Quelles seront  leurs marges de manœuvres ?

 

 Les générations ne sont qu’un élément des responsabilités tant il est vrai que les autres acteurs sont nombreux et que leurs responsabilités sont dérisoires, faibles, moyennes, importantes ou gigantesques.

 

Tel est le tableau général des responsables et des responsabilités. Mais alors quelles sont donc  les formes de responsabilités ? (voir  III , IV, V)

 

 

  III-Les responsabilités morales et l’environnement

 

 Introduction générale

 …relative aux trois formes de responsabilités par rapport à l’environnement (  III,IV,V  )

 

1-  Trois grandes  formes de responsabilités   existent .

  1.   Il s’agit des responsabilités morales, politiques, juridiques.

Quand on parle de responsabilité philosophique,  ou de responsabilité éthique ou devant sa conscience on se trouve dans des formes de responsabilités morales.

Quand on parle de responsabilité devant le peuple, devant le parlement, de responsabilité  du pouvoir politique et de tel ou tel acteur politique par rapport à l’environnement et à d’autres domaines on se trouve dans des formes de  responsabilités politiques.

Quand on parle de responsabilité pénale, civile, administrative, de responsabilité en droit interne, européen ou international on se trouve dans des formes  de responsabilités juridiques.

2- Ces trois formes de responsabilités sont autonomes, elles ont chacune leur champ d’application.

La morale et le droit ont chacun leur domaine. Le juge applique des règles juridiques, il n’est pas en fonction pour appliquer des lois morales.

 On constate aussi que toutes les fautes morales ne sont pas sanctionnées par des règles pénales.

Quant à la responsabilité politique elle n’implique pas la responsabilité pénale que ce soit en amont ou en aval de sa mise en jeu. Un gouvernement peut être renversé pour une  raison autre que, par exemple, une mise en cause dans des affaires de corruption.

 

3- Ces trois formes de responsabilité ont de multiples rapports entre elles.

Les trois formes de responsabilités ont certes leur autonomie mais une cloison étanche ne sépare pas ces trois grands domaines.

Ainsi lorsqu’on parle de la responsabilité morale certains évoqueront un fondement éthique du droit.

Ainsi lorsque l’on parle de la faute pénale  on est souvent renvoyé à une  faute morale.

 Ainsi lorsque l’on parle de  responsabilités politiques on pense à la conscience devant l’opinion publique et aussi à d’éventuelles possibilités de poursuite judiciaire.

Ainsi les évolutions de l’une peuvent jouer sur les évolutions de l’autre. Ce qui n’était pas pris en compte par le droit pénal peut l’être un jour sous l’effet de l’évolution de la société.

Il arrive aussi que la responsabilité politique précède l’opinion publique, l’exemple de l’abolition  de la peine de mort en France est resté célèbre.

 

  Ces responsabilités morales, politiques et juridiques ne restent pas inertes mais elles évoluent ou sont même bouleversées,  par exemple sous l’effet des atteintes à l’environnement.

 La responsabilité morale, donc la conscience morale, sous l’effet des problèmes, drames et menaces écologiques, va alors faire bouger la responsabilité juridique et introduire de nouvelles infractions passibles de sanctions.

 

 

A propos des rapports entre l’éthique et le droit  Jacques Ricot écrit « Telle  est me semble-t-il la vocation des juristes : introduire la mesure du droit dans la démesure de  l’éthique.  » (   Remarques  philosophiques sur la responsabilité, RGD 2003,33 p: 293 à 303  )

 

Nous envisagerons tout à tour les responsabilités morales, politiques et juridiques environnementales.

 

Introduction aux « responsabilités morales et l’environnement »( III )

 

1-   Rappelons à partir de quelques citations les différences entre la morale et l’éthique.

On distingue la morale  fondée sur des devoirs que l’on veut respecter et l’éthique fondée sur des actions que l’on estime bonnes, justes.Proposons quelques réflexions d’auteurs sur cette distinction : 

Un sociologue, Michel Maffesoli : « La morale est une, universelle, applicable à tous et à chacun, surplombante et généralisable. La morale est jacobine, l’éthique, quant à elle, jaillit du bas, elle est locale et spontanée, elle sert de ciment ; momentanée, elle est irruptive et imprévisible. L’éthique de l’instant ! »

 

 

Un médecin, Jacques Robin : « La morale juge l’action des hommes et des sociétés à l’aune d’un système de valeurs transcendantes. L’éthique jauge les conduites des hommes et des sociétés. C’est une attitude  questionnante  et non normative (…). L’éthique ne prétend à aucune vérité absolue et en ce sens elle est amorale. »

«  Nous refusons la démarche qui utilise l’éthique comme un pion avancé de la morale, comme une tête chercheuse qui rabattrait les conduites sur un système de valeurs (…). La pratique d’une éthique autonome et critique laisse à la conscience de chacun de décider pour lui soit de ses choix moraux, soit de sa position sans morale. »

 

Une juriste, Madeleine Grawitz : «  L’éthique est un ensemble de normes acceptées par le groupe social, non écrites et seulement sanctionnées par la réprobation sociale. La morale est un ensemble de normes acceptées et sanctionnées par une société déterminée. »

 

Un sociologue , Jacques Beauchard : « De la faillite des systèmes, des moralismes, des autorités sédentaires surgit l’impératif de l’immédiat : d’un acte éthique qui prend essor dans l’éphémère, le provisoire, la succession des ruptures intégrées par l’être en mouvement…

D’où vient l’usage renouvelé d’un mot que l’on croyait vieilli? S’agit-il d’une mode lancée par le prince ou s’agit-il d’une pratique discrète qui n’avait jamais cessé ? Faut-il voir là une échappée de l’action sur le discours, une façon de noyer les problèmes ? Les licenciements, l’échec des jeunes, le sida et le racisme, les manipulations génétiques ne se prêtent-ils pas à l’édification des morales guides des partis et du législateur ? Ou bien, à l’écart de cette exploitation, l’individu serait-il mu par quelque impératif du seul ressort de sa conscience ? »

 

Nous utiliserons ici le terme de morale, nous renverrons cependant souvent à l’éthique comme le font aujourd’hui de nombreux auteurs. Autrement dit… nous utiliserons les deux termes.

 

2- Quelle est la démarche proposée ici pour analyser les responsabilités morales  au regard de l’environnement ?

 Certes on trouve des écrits relatifs à telle ou telle philosophie en rapport direct  avec la responsabilité écologique.

 Mais vouloir  prendre en compte  des philosophies dans lesquelles la responsabilité à un certain rôle voilà qui peut nous aider aussi.

Nous proposons d’envisager tour à tour :

 

Les responsabilités  selon des philosophes de l’Antiquité à nos jours (A)

 

Une philosophie du « Principe responsabilité : une éthique pour  la civilisation technologique » (B)

 

Les responsabilités  selon des auteurs contemporains très critiques du système productiviste (C)

 

 

Avant cela proposons quelques éléments bibliographiques :

Voir l’ouvrage « La responsabilité. La condition de notre humanité. » Numéro dirigé par Monette Vacquin , Editions Autrement, Série Morales n°14, janvier 1994, en particulier l’article de André Sénik, « Déterminisme et liberté : l’interminable débat ? »

Sous la direction d’Éric Gagnon et de Francine Saillant , « De la  responsabilité : Ethique et politique », Liber,2016

 

Voir l’article de Jacques Ricot, Revue générale de droit, « Remarques philosophiques sur la responsabilité », numéro2, 2003.

Voir l’article de Jimmy Bonnilla, Marie Alix Cordevant et Esteve Freixia I Baqué, « Critique d’une philosophie de la responsabilité », Cahiers de Psychologie politique,  numéro 4

Voir l’article de Eirick Prairat , « La responsabilité » ,Le Télémaque, 2012/2, n°42, pages 19 à 34.

Voir sur Hans Jonas l’article de Jean Greisch, » L’amour du monde et le principe responsabilité », dans l’ouvrage précité  « La responsabilité. », Editions Autrement ,. Série Morales n°14, janvier 1994

Sur Levinas  voir l’article de Mylène Baum-Bothol, « Après vous , Monsieur » dans l’ouvrage pré cité  «  La responsabilité », Editions Autrement.

 

 

A-Les responsabilités selon les philosophes de l’Antiquité à nos jours 

 

Nous soulignerons simplement ici quelques idées importantes relatives à nos rapports avec  la nature mais surtout  relatives à la liberté, à  la responsabilité.

1- Pour ce qui est de nos rapports avec la nature

soit l’environnement n’est pas présent dans ces œuvres mais tel ou tel élément peut nous interroger sur lui, ainsi la question de savoir si nous avons un libre arbitre ou si nous sommes   déterminés,

soit l’environnement est évoqué directement sous la forme de nos rapports avec la nature, on retrouve ici la responsabilité.

Donc ces philosophies peuvent éclairer  divers aspects et préparer le terrain à d’autres qui  rencontreront l’environnement plus directement en particulier bien sûr lorsque la débâcle écologique apparaitra et se déchainera de 1850 à nos jours.

2- Pour ce qui est de la liberté et de la responsabilité

Pour les plus nombreux la liberté existe. Et la  responsabilité repose sur la liberté.

Pour d’autres   le déterminisme est omniprésent, la liberté et la responsabilité n’existent pas.

Pour d’autres enfin on est responsable avant d’être libre. «  Je dois démesurément à  l’autre c’est à dire à mon frère.» 

 

3-Nous avons conscience que  résumer une œuvre ou même un ouvrage de ces pensées complexes et gigantesques a quelque chose non seulement de réducteur mais aussi d’incertain voire d’injuste.

Pourtant dans le cadre de cette volonté de synthèse nous pensons que ces très petits résumés peuvent souligner quelques idées fortes pour mieux situer ces pensées par rapport aux questions abordées et donc contribuer à nous éclairer. Certains passages significatifs seront cités, là aussi avec à la fois un certain arbitraire mais un éclairage de lignes le plus souvent  lumineuses.

 

Partons de l’Antiquité jusqu’au XIXè (1)

pour arriver au XXè siècle (2).

 

Les auteurs choisis sont essentiellement des philosophes mais aussi des auteurs d’autres disciplines (sociologie, économie, histoire…)

 

 

1- Les responsabilités selon des philosophes  de l’Antiquité au XIXème.

 

Aristote (-367 à -347) (Ethique à Nicomaque) est l’un des auteurs à l’origine de la responsabilité. Celle-ci va avoir pour fonction de réparer une injustice, elle repose sur le libre arbitre  où l’individu est libre et sur la volonté qui est à l’opposé de la contrainte.

 

Thomas d’Aquin (1224-1274) (La Somme théologique) pense qu’il y a un lien entre libre arbitre, responsabilité juridique (fondée sur le droit naturel)  et responsabilité morale (fondée sur la loi naturelle qui a pour origine la loi divine)  Il faut prendre en compte l’influence des facteurs de la société sur le libre arbitre.

 

Michel de Montaigne (1533-1592) (Les   Essais ) dans le courant humaniste  met en avant l’esprit critique et l’amour de la connaissance. Il défend la liberté et la responsabilité individuelles.

 

Etienne de La Boétie (1530-1563) (Discours de la servitude volontaire) met en avant l’idée selon laquelle les sujets ont le droit et le devoir de juger le Prince et il existe une responsabilité du peuple dans le maintien du tyran au pouvoir.

 Si l’on ne soutient plus les dictateurs leurs pouvoirs s’effondrent. « Si on ne donne rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits, ils ne sont plus rien, sinon que, comme la racine, n’ayant plus d’aliment, la branche devient sèche et morte. » Il faut donc retirer son appui au tyran : « Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez mais seulement que vous ne le souteniez plus et vous le verrez comme un grand colosse à qui se dérobe sa base, de son poids même, fondre en bas et se rompre. » Ainsi il y a bien sûr la capacité de violence des régimes autoritaires mais il y a aussi et surtout la capacité de soumission des opprimés qui sont prisonniers de leurs peurs. Cet auteur de ce grand ouvrage est l’un des inspirateurs des théories et des pratiques de la non-violence qui ont vu le jour par la suite et qui répondent présentes aux responsabilités individuelles et collectives  mises en œuvre souvent dans le cadre de la protection de l’environnement.

 

René Descartes (1596-1650) (Les Méditations métaphysiques) affirmait que tout repose sur la raison, les erreurs sont des mauvais usages de la raison. La responsabilité repose sur le libre arbitre et sur la volonté.

Descartes est aussi un des défenseurs d’une  possession de la nature  : « […] connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent […] nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie […].»(Discours de la méthode, 1637, 6e partie, classique Larousse)

Dénonçant ce déferlement de violence de l’homme contre le vivant, Claude Lévi-Strauss écrira beaucoup plus tard  en 1973:

« On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru effacer ainsi son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné le champ libre à tous les abus […]. » (Anthropologie structurale, Plon, 1973, p. 53)

 

 

Blaise Pascal (1623-1662) (Pensées). La conscience nous libère de notre condition finie, elle fonde la dignité humaine, elle est source de liberté par le pouvoir qu’elle nous donne sur la nature. Avec la conscience apparait la loi morale et ses interdits. Si j’agis consciemment je suis responsable de ce que je fais.

 

Baruch Spinoza (1632-1677) ( Ethique) répond à Descartes que le libre arbitre n’existe pas. Notre raison et notre volonté sont déterminées par les lois qui commandent la nature. Dès lors dans ce déterminisme le principe de responsabilité des individus, lui non plus,  n’existe pas.

L’accès à une certaine  liberté repose sur la connaissance rationnelle qui permet  d’éclairer l’être humain sur les « enchaînements de causes » des phénomènes du monde.

 

 

. Charles-Louis de Secondat de Montesquieu (1689-1755) (Pensées diverses).

Nous ne proposons pas ici ses théories célèbres sur la séparation des pouvoirs mais uniquement cette pensée forte de citoyen du monde qu’il était : «  Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose d’utile à ma patrie et préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. « 

Dit autrement : le village, la ville, la région c’est mon terroir, le pays c’est ma patrie, le continent c’est ma matrie, la planète c’est mon foyer d’humanité. Entre ces différents territoires, ces  lieux de vie il est essentiel de construire des harmonies fondées sur quelques principes autour du respect de l’humain et du vivant.

 

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes  ) .  L’homme est capable du meilleur comme du pire, d’où sa responsabilité particulière vis-à-vis des autres et de la nature.

L’opposition  entre Voltaire et Rousseau par rapport  au  tremblement de terre de Lisbonne de 1755 est significative. Alors que Voltaire met en avant le caractère naturel de cette catastrophe, Rousseau dénonce la responsabilité humaine « Convenez que la nature n’avait point rassemblé là  20.000 maisons de six à sept étages et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également et plus légèrement logés le dégât eût été beaucoup moindre et peut-être nul » (Lettre sur la providence, 18 août 1756). 

 Comme on peut l’observer en 2000, soit 244 ans plus tard, le représentant (Salvano Briceno) de « la décennie internationale des Nations unies (1990-2000) ne nous dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « c’est la vulnérabilité sociale et humaine qui transforme un phénomène naturel en catastrophe. » (Julien Bétaille  préface du colloque international sur « Les catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit, » sous la direction de Jean-Marc Lavieille, Julien Bétaille et Michel Prieur, éditions Bruylant, 2012.)

 

Emmanuel Kant (1724-1804) (Critique de la raison pratique) (Fondements de la métaphysique des mœurs). L’homme appartient au règne de la nature  donc ses actions sont déterminées et il appartient aussi au monde de la raison et de la volonté, or la liberté de la volonté est autonome, elle est sa propre loi.

La raison pratique c’est la faculté de se représenter la loi morale.

« Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif catégorique, il faut qu’il soit tel que, par la représentation de ce qui, étant une fin en soi, est nécessairement une fin pour tout homme, il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. Voici le fondement de ce principe : la nature raisonnable existe comme fin en soi. L’homme se représente nécessairement ainsi sa propre existence ; c’est donc en ce sens un principe subjectif d’actions humaines.
Mais tout autre être raisonnable se présente également ainsi son existence, en conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi ; c’est donc en même temps un principe objectif dont doivent pouvoir être déduites, comme d’un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L’impératif sera donc celui-ci :

« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »

 La dignité humaine est donc une valeur absolue et universelle.

 

 

Karl Marx (1818-1883) (L’idéologie allemande). Le passage est connu  « çà n’est pas la conscience qui détermine l’existence, c’est l’existence qui détermine la conscience ; dans le premier cas on part de l’individu vivant (lui-même) ; dans le second cas on part des individus vivants réels et on considère la conscience comme leur conscience.»

La dénonciation du capitalisme est centrale dans sa pensée, mais ne se fonde donc pas sur des règles morales, ce qui ne veut pas dire que certains auteurs ne voient pas dans les écrits de Marx une normativité éthique fondée en particulier  sur la valeur de la justice.

Enfin Marx pense que  les contradictions du capitalisme peuvent porter atteinte à la nature mais il n’est pas question  de remettre en cause  la science et de la technique qui  sont en elles-mêmes porteuses de   progrès.

D’autres affirmeront par la suite que la techno science peut contribuer certes à des libérations (par exemple de maladies) mais peut être porteuse aussi d’aliénations (ainsi par exemple les recherches et les productions d’armes de destruction massive).

 

 

Friedrich Nietzsche (1844-1900) (Généalogie de la morale.) (Crépuscule des idoles) Contrairement par exemple à Pascal ,  qui croyait que la conscience nous libère de notre condition finie, Nietzsche pense que la conscience est une ruse théologique qui nous écrase. Il critique  la responsabilité morale. La société par le dressage impose le devoir, et c’est l’aptitude à répondre de soi (définition classique de la responsabilité) qui fonde la morale laquelle se traduit par l’assujettissement, on a inventé la faute pour punir.

 Le « Crépuscule des idoles »  affirme que l’une des erreurs est celle du libre arbitre.

 «  Il ne nous reste aujourd’hui plus aucune espèce de compassion avec l’idée du “libre arbitre” : nous savons trop bien ce que c’est le tour de force théologique le plus mal famé qu’il y ait, pour rendre l’humanité “responsable”, à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l’humanité dépendante des théologiens… Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à vouloir   rendre responsable.

Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de punir et de juger qui est à l’œuvre. On a dégagé le devenir de son innocence lorsque l’on ramène un état de fait quelconque à la volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée à fin de punir, c’est-à-dire avec l’intention de trouver coupable. Toute l’ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n’existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs des communautés anciennes, voulurent se créer le droit d’infliger une peine – ou plutôt qu’ils voulurent créer ce droit pour Dieu… Les hommes ont été considérés comme “libres” pour pouvoir être jugés et punis, -pour pouvoir être coupables : par conséquent toute action devait être regardée comme voulue, l’origine de toute action comme se trouvant dans la conscience. »

 La liberté repose sur l’idée de spontanéité : la conscience sous des impératifs moraux ne fait qu’étouffer cette spontanéité. 

 

 2- Les responsabilités selon des auteurs  du XXème.

 

 Max Weber (1864-1920)  (Le savant et le politique)

 

 « Toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l’éthique de la responsabilité ou l’éthique de la conviction […]. »

Ainsi  il y a une opposition  entre l’attitude de celui qui agit selon  l’éthique de conviction  qui veut respecter des principes  et l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de responsabilité  qui veut  voir avant tout  les effets de nos actes.

Ainsi le politique est un homme d’action qui se positionne à partir de ses valeurs alors que  le savant veut démontrer la vérité à partir des faits scientifiquement reconnus, Ainsi d’un côté l’action, d’un autre côté la recherche,

 L’éthique de conviction correspond à celui qui obéit à des valeurs sans se préoccuper de leur mise en œuvre, on évoquerait aujourd’hui par exemple des valeurs de liberté, d’égalité, de  fraternité.

 L’éthique de responsabilité  correspond au fait de se demander comment on  doit répondre à telle ou telle situation, on se demanderait aujourd’hui par exemple créer les conditions d’une fraternité transgénérationnelle  permettant en particulier aux générations futures de vivre dans un monde viable.

Si l’opposition est considérée par beaucoup comme radicale, certains  par la suite  évoqueront  ces deux éthiques conçues comme complémentaires, on  veut alors viser  le respect de valeurs et les effets de leur mise en œuvre.

 

 

Sigmund Freud (1856-1939) (L’Avenir d’une illusion) (Malaise dans la civilisation).La découverte de l’inconscient remet en question la maitrise su sujet sur lui-même tant du point de vue de ses pensées que de ses actes. Nos désirs sont commandés par des pulsions inconscientes et involontaires.  « Le moi n’est plus maitre dans sa maison. » Mais alors suis-je responsable de mes actes  si je ne suis plus libre ?

L’inconscience ne peut servir de prétexte pour  fuir ses responsabilités. Freud pense d’ailleurs que chacun est responsable de parvenir à un maximum de conscience, « là où le ça était, je dois advenir ». Cette  conquête de la conscience sur l’inconscient devient un devoir vis-à-vis de soi-même.
A cela ajoutons deux remarques.

D’abord le code pénal limite la responsabilité des personnes atteintes par  un trouble psychique. Ainsi il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action.

 Ensuite la position de Freud a été critiquée par différents auteurs, par exemple le psychanalyste Lacan pensait qu’en dehors des maladies mentales « De notre position de sujet nous sommes toujours responsable. » Par exemple le philosophe Alain qualifiait la position de Freud d’erreur mais aussi de faute parce qu’elle débouche sur la fatalité, or l’inconscient nous laisse des choix.

 

Hannah Arendt  (1906-1975)   (Rapport sur la banalité du mal) (La responsabilité collective) (Les origines du totalitarisme).Cette politologue  affirme que le processus d’obéissance est fondamental dans le totalitarisme, même le haut-fonctionnaire est préoccupé d’obéir aux ordres, « je n’ai fait qu’obéir aux ordres » diront de nombreux dignitaires nazis pour leur défense.
Le procureur du Tribunal de Nuremberg répondra en disant magnifiquement et tragiquement : « Vient un moment où il faut désobéir aux ordres et obéir à sa conscience ».On est au cœur d’une des questions relatives à la responsabilité.

Comment voit-elle la responsabilité collective ?

« Il existe une responsabilité pour des choses que nous n’avons pas commises, mais dont on peut néanmoins être tenu pour responsable. Mais être ou se sentir coupable pour des choses qui se sont produites sans que nous y prenions une part active, est impossible. C’est là un point important qui mérite d’être clairement et vigoureusement souligné à un moment où tant de bons libéraux blancs avouent leurs sentiments de culpabilité face au problème noir. […]
Chaque gouvernement assume la responsabilité des actes et des méfaits de ses prédécesseurs, et chaque nation assume la responsabilité des actes et des méfaits du passé. […] En ce sens on nous tient toujours pour responsable des péchés de nos pères, de même que nous récoltons les lauriers dus à leur mérite, mais nous ne sommes évidemment pas coupables de leurs forfaits, ni moralement ni juridiquement, pas plus que nous ne pouvons imputer leurs actions à nos propres mérites. […]
Nous ne pouvons échapper à cette responsabilité politique et purement collective qu’en quittant la communauté, et puisqu’aucun individu ne peut vivre sans appartenir à une communauté quelconque, cela signifierait simplement passer d’une communauté à l’autre et donc une sorte de responsabilité à une autre. […] Cette responsabilité d’actes que nous n’avons pas commis, cette façon d’endosser les conséquences d’actes dont nous sommes entièrement innocents, est le prix à payer parce que nous ne vivons pas seuls, mais parmi d’autres hommes, et que la faculté d’agir, qui est après tout la faculté politique par excellence, ne peut s’accomplir que dans l’une des nombreuses et diverses formes de la communauté humaine. » ( La responsabilité collective  in Ontologie et Politique, édit. Tierce, 1989, pp. 175 à 184.)

 

 

Raymond Aron (1905-1983)  (Introduction à la philosophie de l’histoire)

Responsabilité morale, responsabilité juridique, responsabilité historique comportent une partie commune : l’établissement des causes. La différence fondamentale concerne l’ordre des causes : le moraliste vise les intentions, l’historien les actes, le juriste confronte intentions et actes, et les mesure aux concepts juridiques.

Au regard de l’historien en tant que telles la guerre et la révolution sont des faits, d’une fréquence variable selon les siècles, observés dans toutes les cultures et toutes les époques.

 

 

Jean-Paul Sartre (1905-1980) (l’existentialisme est un humanisme) (Situations III)

La liberté se réalise dans l’engagement qui permet la rupture, mais  cet engagement n’engage pas que moi :

« L’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être (…) l’homme est responsable de ce qu’il est. Ainsi, la première démarche de l’existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu’il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence. Et quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes (…). « Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant, il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes qui, en créant l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être. (…) Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l’humanité toute entière. (…) Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis; en me choisissant, je choisis l’homme. »

Quant à l’inconscient il sert parfois d’excuse mais il n’est pas  recevable. « On ne fait pas toujours ce que l’on veut, mais on est toujours responsable de ce que l’on fait ». Pour Sartre au contraire, l’inconscient sert parfois d’excuse, de l’ordre de la mauvaise foi, mais n’est jamais une excuse recevable.

Jean-Paul Sartre après 1945 écrit : « Quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes. »(…)

« Il fallait bien qu’un jour l’humanité fût mise en possession de sa mort. »

« Cette bombe qui peut tuer cent mille hommes d’un coup et qui demain, en tuera deux millions nous met tout à coup face à nos responsabilités. A la prochaine la Terre peut sauter, cette fin absurde laisserait en suspend pour toujours les problèmes qui font depuis dix mille ans nos soucis. Ainsi au moment où finit cette guerre, la boucle est bouclée, en chacun de nous l’humanité découvre sa mort possible, assume sa vie et sa mort. »

 

 

Simone de Beauvoir (1908-1986) (Le Deuxième Sexe) met en avant la responsabilité de l’écrivain engagé. Elle analyse les phénomènes de domination des hommes.

Les femmes mais aussi les hommes sont placés devant leurs responsabilités dans l’émancipation des femmes sur « les chemins de la liberté »

 

 

Albert Camus (1913-1960) (L’homme révolté). « L’homme n’est pas entièrement coupable, il n’a pas commencé l’histoire ; ni tout à fait innocent puisqu’il la continue. »

La révolte qui nait à l’intérieur de l’absurde donne à l’homme la possibilité d’assumer la responsabilité de ses actes et du monde qui l’entoure. « Je me révolte donc nous  sommes . » « La vertu de l’homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. »

Dans ses engagements il dénonce le totalitarisme de l’Union soviétique, la colonisation.  Il dénoncera « les marchands de mort » que sont à ses yeux les fabricants d’armes.

 Dans l’éditorial du journal Combat le 8 août 1945, deux jours après le lancement de la bombe atomique sur Hiroshima, il écrit  (…) Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.(…)Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison. « 

 

 

Paul Ricœur (1913-2005) (Soi-même comme un autre) (Le concept de responsabilité: Essai d’analyse sémantique). Il distingue la morale fondée sur des normes, des obligations, et l’éthique fondée sur des actions estimées bonnes. L’éthique est au centre de la vie « avec et pour l’autre »,   c’est « l’aveu partagé de la fragilité et finalement de la mortalité ». 

Juridiquement  on doit réparer une faute ou subir une sanction à la suite d’une action, mais se développe aussi la responsabilité sans faute, la responsabilité pour autrui.Chacun serait responsable d’autres personnes dont il a la charge ou la garde en raison de leur vulnérabilité. L’homme est responsable du vulnérable, du fragile, du faible . L’éthique médicale particulièrement est liée à la sollicitude, à la spontanéité bienveillante. « L’estime de l’autre comme soi-même correspond à l’estime de soi-même comme un autre. « 

 

 

Emmanuel Lévinas (1906-1995) (Totalité et infini) (Soi-même comme un autre). Il distingue l’éthique c’est-à-dire « ce qui est estimé bon » de la morale « qui s’impose comme obligation. »

.Il s’agit de dire « l’humain de l’homme » donc de proposer une éthique de l’éthique. Rencontrer l’autre c’est avoir une idée de l’infini La responsabilité pose la primauté d’autrui, la figure d’autrui est synonyme de fragilité, elle en appelle à ma sollicitude, elle fonde ma liberté. Dès que son visage apparait il m’oblige, cette responsabilité s’impose à moi.

L’éthique n’est pas la recherche du perfectionnement personnel mais la  responsabilité à l’égard d’autrui. Autrui c’est d’abord un visage, il exige sollicitude, l’homme doit accepter d’être « le gardien de son frère. »La question essentielle est  « Qu’as-tu fait de ton frère? ».La réponse doit être donnée dans le face à face et aussi dans la cité des citoyens.

Levinas emprunte aux Frères Karamazov de Dostoïevski  la « devise »   : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres. ». « Vous connaissez , écrit-il, cette phrase de Dostoïevski : « Nous sommes tous responsables de tout devant tous et moi plus que tous les autres. ». Non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne, à cause des fautes que j’aurais commises, mais parce que je suis responsable d’une responsabilité totale, qui répond de tous les autres et de tout chez les autres, même de leur responsabilité.»

 

« Le principe responsabilité » de Hans Jonas en 1979 marque la pensée environnementale, cet ouvrage contribue à fonder une « éthique pour la civilisation technologique ».

 

 B-Un principe responsabilité pour une civilisation technologique  

 

 

Il s’agit donc de la pensée de Hans Jonas (1903-1993) ( « Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique ». Parution allemande en 1979, traduction française  chez Flammarion, Champs, 1990 ). Et avec une traduction et une présentation de Jean Greisch , aux éditions Le Cerf, 1990.)

Voir aussi sur Hans Jonas l’article de Jean Greisch, » L’amour du monde et le principe responsabilité », dans l’ouvrage précité  « La responsabilité. », Editions Autrement ,. Série Morales n°14, janvier 1994

 

 

Cette philosophie s’exprime en quelques  idées essentielles.

 

 1-  La civilisation technologique menace l’humanité, une éthique nouvelle doit voir le jour.

 

 Jean Rostand écrivait « Tous les espoirs sont permis à l’homme même celui de disparaitre ». Jonas pense que doit être détruite toute technologie qui comporte le risque de détruire l’humanité .C’est l’humanité qui est l’objet de la responsabilité.

 « Nulle éthique antérieure n’avait à prendre en considération la condition globale de la vie humaine et l’avenir lointain et l’existence de l’espèce elle-même […]. Personne n’était tenu responsable pour les effets ultérieurs non voulus de son acte bien intentionné, bien réfléchi, et bien exécuté. […] Tout cela s’est transformé de manière décisive. La technique moderne a introduit des actions d’un ordre de grandeur tellement nouveau, avec des objets tellement inédits, et des conséquences tellement inédites, que le cadre de l’éthique antérieure ne peut plus les contenir. »        

 

2-La peur doit pousser  à agir, la responsabilité est  le  principe vital .

 

Hans Jonas  insiste sur la peur  qui favorise la responsabilité. Non pas la peur paralysante  mais celle qui pousse à agir. On mesure  et on connait les risques, la peur devient alors  une force.

La responsabilité est une vertu mais c’est surtout un principe. C’est le fondement d’une nouvelle conception   éthique .

Le problème le plus crucial pour la civilisation technologique, c’est de savoir comment agir sans compromettre « la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. »

 « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie »

 

3-   La responsabilité nous engage vis-à-vis de tout homme, de tout lointain dans le temps et également   de l’ensemble de  l’environnement . 

 

La responsabilité n’intéresse plus aujourd’hui le seul prochain immédiat, mais tout prochain et même tout objet : elle embrasse « l’environnement », entendu comme la totalité de ce qui est.

On retrouve ce point commun avec d’autres philosophies qui est relatif à la fragilité, la vulnérabilité. Autrui me regarde, il m’assigne à responsabilité.

 L’humanité est fragile, vulnérable, nous sommes responsables de son futur.

« Le fait que depuis peu la responsabilité s’étende au-delà jusque à l’état de la biosphère et de la survie future de l’espèce humaine, est simplement donné avec l’extension du pouvoir sur ces choses, qui est en premier lieu un pouvoir de destruction. Le pouvoir et le danger dévoilent une obligation qui, par la solidarité avec le reste, une solidarité soustraite au choix, s’étend de l’être propre à l’être en général, sans même un consentement particulier. »

Notre responsabilité est engagée vis à vie des générations passées, présentes, futures  et par rapport à l’ensemble du vivant.

 

La philosophie de Hans Jonas est proche, globalement ou sur certains points,  de celles de certains auteurs que nous allons maintenant évoquer…  et réciproquement leurs pensées sont souvent proches, globalement ou sur certains points , de celle de l’auteur du « Principe responsabilité.»

 

 C- Les responsabilités selon des auteurs contemporains qui remettent en cause le système productiviste   

Nous constatons que des philosophes, des économistes, des sociologues, des anthropologues et d’autres auteurs analysent de façon radicale le système qu’ils qualifient selon les cas de capitaliste, de  néo libéral, de  technoscientiste, ou  de productiviste, système  qui a étendu son emprise sur la Terre.

Chaque auteur le fait dans la cadre de sa pensée générale  et en insistant sur tel et tel élément  mais ce point commun saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre.

  Nombreux ont été ces auteurs, parmi beaucoup d’autres : Claude Levi Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy Debord , Bernard Charbonneau, Edgar Morin, Herbert Marcuse, André Gorz, Cornelius Castoriadis , François Partant, René Dumont, Théodore Monod, Jean Rostand, Kostas Axelos,  Paul Virilio, Serge Latouche…

 

1- Un choix vital face au système mondial : la détermination de limites des activités humaines

 

 Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits :

d’une part  le système productiviste est lancé dans une course en avant autodestructrice, il faut donc être en rupture globale avec ce système,

 d’autre part une croissance illimitée sur une planète limitée nous amène vers une gigantesque collision entre l’environnement et les activités humaines, il faut donc « retrouver le sens de la limite » (expression de l’introduction de l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection Frankenstein,2013).

 

 2- Les logiques autodestructrices  de la fuite en avant

Ces logiques s’appellent : la recherche effrénée du profit, la course à la marchandisation du monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions humanicides et terricides, la croissance sacro-sainte, la vitesse facteur de répartition de richesses et de pouvoirs, la dictature du court terme, le vertige de la puissance, la compétition élevée au rang d’impératif naturel de nos sociétés, l’accélération d’un système porteur d’une crise du temps.

Et puis, à travers une explosion démographique mondiale qui continue, cette fuite en avant est aussi celle d’une machine à gagner fonctionnant comme une lame qui met d’un côté ceux et celles dont les besoins fondamentaux sont plus ou moins satisfaits et de l’autre ceux et celles, de très loin les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.

 

 3- Les dénis, les mensonges et les silences accompagnant cette fuite en avant

Il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de nombreux dénis personnels et collectifs de la réalité : on pense que la catastrophe ne se produira pas ou qu’on y échappera. (Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Le Seuil, 2002.)

  Il n’est pas étonnant non plus que cette fuite en avant s’accompagne de silences et de mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle catastrophe écologique, ou même sur l’existence de certaines d’entre elles que l’on espère garder dans les secrets de la planète et qui peuvent constituer autant de bombes à retardement.

 

  4- Pour une pédagogie de compréhension et de dénonciation des impasses

Face à cette fuite en avant doivent exister des limites nécessaires, voila donc une pédagogie des impasses.

  Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites ? (J. Ellul, Le Bluff technologique, Hachette, 1988)

Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la croissance  indéfinie et l’acceptation de bornes  multidimensionnelles. »

Cornelius Castoriadis en  appelait à  nous défaire des « fantasmes de l’expansion illimitée.» ( voir  C. Castoriadis, La Montée de l’insignifiance, les carrefours du labyrinthe (IV), Seuil, 1996 ;

Edgar Morin en appelle « à fédérer les voies de la réforme de l’éducation, de l’écologie, de la politique, de l’économie. Une utopie concrète à l’horizon de nos actions s’impose comme une urgence indispensable. » (La Voie.Pour l’avenir de l’humanité. Pluriel ?2016)

Voir également : A. Gorz, Écologica , Galilée, 2008 ;  S. Latouche, Survivre au développement, Mille et une nuits, 2004 ; et ceux plus haut cités, tous des défricheurs de la pensée.

On peut bien sûr constater  que ces auteurs à travers leurs critiques radicales du système productiviste se tournent aussi  vers des alternatives. Penser et mettre en œuvre ces alternatives voilà qui se rattache à de nouvelles politiques écologiquement et socialement responsables.

Telles sont ces responsabilités morales environnementales. Qu’en est-il des responsabilités politiques ?

 

 IV-Les responsabilités politiques et l’environnement

 

 On trouve évoqué souvent  tel ou tel type de responsabilité politique face à telle ou telle  politique environnementale, cela à différents niveaux géographiques. Mais vouloir prendre en compte un ensemble de théories et de pratiques politiques relatives à la responsabilité environnementale voilà qui en appelle à une globalité  nécessaire et pouvant être porteuse.

Ces choix politiques vont être les produits des problèmes des drames et des menaces écologiques, ainsi que des forces allant dans le sens du productivisme et des forces allant dans le sens de sociétés  viables.

 Nous partirons donc des fondements de ce qui est ou devrait  être une politique écologique responsable. (A).

 A partir de cela nous nous demanderons  quels rapports avec la nature doit avoir une telle politique ?  (B).

 Nous nous interrogerons sur ce que signifie la démocratie politique  au regard de  la responsabilité liée à la protection de l’environnement (C).

Enfin de façon plus large nous reverrons ensemble la panoplie  des sanctions politiques face à des décisions contestables, des politiques inacceptables  ou face à l’absence de politiques relatives à la protection de l’environnement ( D ).

 

 A-Les fondements d’une politique écologique responsable et les choix essentiels 

 

Il existe un concept majeur, celui limites au sein des activités humaines (1).

Existent aussi d’autres fondements de cette politique environnementale responsable (2).

 

 1- Les limites au sein des activités humaines : un concept   porteur de principes

 

Ce concept de limites ne se traduit-il pas par au moins quatre principes que l’on retrouve par exemple en droit international de l’environnement? (Voir notre ouvrage de DIE, éditions Ellipses, 2010).

De façon plus globale on retrouve les trois premiers principes dans la remarquable« Plate-forme pour un monde responsable et solidaire », publiée par le Monde diplomatique d’avril 1994, qui est à la fois « un état des lieux des dysfonctionnements de la planète et une mise en avant de principes d’action pour garantir un avenir digne au genre humain », plate-forme portée par la Fondation pour le progrès de l’homme, plate-forme qui devrait être symboliquement affichée sur beaucoup de portes de beaucoup d’universités dans le monde,   étudiée et débattue  dans de nombreux cours.

Le quatrième principe est en gestation, ce principe de non régression est porté en particulier par l’UICN, le vice-président de la commission juridique, Michel Prieur, est l’inspirateur de ce principe.

 -Le principe de précaution selon lequel les sociétés humaines ne doivent mettre en œuvre de nouveaux projets, produits et techniques, comportant des risques graves ou irréversibles, qu’une fois acquise la capacité de maitriser ou d’éliminer  ces risques pour le présent et le futur. Certains pensent que le principe de précaution est moins radical que celui de responsabilité. En réalité il  peut  empêcher une action  pouvant  porter atteinte aux générations futures. 

 -Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à bruler moins d’énergie, à maitriser leurs besoins pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité, de décroissance. Andre Gorz écrivait : «  Il est impossible d’éviter la catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les logiques qui y conduisent depuis cent cinquante ans. »

  -Enfin le principe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des modes de production et de consommation sans prélèvements, sans déchets et sans rejets susceptibles de porter atteinte à l’environnement. D’où l’existence de ces luttes pour développer des technologies propres, des énergies renouvelables et pour consacrer des éléments de l’environnement, comme par exemple l’eau, comme biens publics mondiaux (BPM) ou comme  éléments du patrimoine commun de l’humanité(PCH).

  -Sauvegarde signifie aussi que lorsqu’une avancée décisive, sur un point de protection importante, a été acquise, un verrou juridique doit être alors posé. Un exemple significatif est celui du Protocole de Madrid sur l’Antarctique (1991) qui interdit les recherches minérales pour cinquante ans. On ne doit pas revenir en arrière dans la protection.  C’est ce que l’on nomme le principe de non régression. La nécessité vitale de réduire les atteintes à l’environnement ne peut que contribuer à convaincre les législateurs, les juges et la société civile d’agir en vue de renforcer la protection des acquis environnementaux au moyen de la consécration de ce principe de non régression. ( Voir sous la direction de Michel Prieur et Gonzalo Sozzo, « La non régression en droit de l’environnement », Bruylant , 2012).

 Avec ce choix vital  existent aussi les choix essentiels de la protection.

 

 2- Les autres fondements d’une politique écologique responsable.

 

Nous distinguerons le choix global et les autres choix essentiels.

a- Le choix essentiel global : universalité et environnement, même combat

Selon le sens commun il est très fréquent d’entendre dire  que « si tous les chinois ont une voiture, écologiquement ce sera catastrophique », il est assez courant d’entendre répondre « pourquoi les chinois ne pourraient-ils pas se développer comme on a pu le faire ? »

Et, presque toujours, on s’arrête là, beaucoup de citoyen(ne)s et  d’élu(e)s ne continuent pas leur raisonnement. En fait ils n’ont pas conscience que le raisonnement tenu est partiel, ou  consciemment, ils ne veulent pas en avoir un autre.

 Si l’on tient à partager un raisonnement global, pour mieux entrer dans la question ou mieux choisir ou infirmer ou confirmer son choix, on pourrait alors raisonner ainsi :

Soit on renonce à l’universalité et on affirme que si les pays en développement vont vers le même niveau de vie que celui des pays développés ce sera le chaos écologique pour tous.  En le disant ou sans le dire, avec regrets ou sans regrets, on justifie  on renforce des inégalités donc des violences structurelles. Cette attitude n’est-elle pas celle d’une violence d’oppression en  imposant sa loi ?

Soit on renonce à la protection de l’environnement et on affirme que les pays en développement ont le droit de se développer comme ils l’entendent. En le disant ou sans le dire, avec ou sans regrets, on justifie on renforce le productivisme et ses ravages environnementaux. Cette attitude n’est-elle pas celle d’une violence de soumission en faisant taire des valeurs que l’on pense importantes ?

Soit on met en avant à la fois l’universalité et la protection de l’environnement,  on affirme que tous les pays et tous les peuples ont droit au développement et en même temps on remet en cause au Nord de la planète mais aussi au Sud quand il existe le productivisme. Universalité et environnement, dans un même combat, doivent se tenir embrassés. Cette attitude n’est-elle pas porteuse d’une véritable paix, celle de la recherche ensemble de solutions justes et écologiques ?

 b- Les autres  choix essentiels

Rappelons symboliquement ce choix essentiel « penser globalement agir localement » (formule de René Dubos en 1972 à la Conférence de Stockholm).Au moins sept choix ne peuvent-ils pas être considérés comme essentiels ?

-Face au libre-échange tout puissant donner de plus en plus la priorité à la protection environnementale, sanitaire, sociale, culturelle, par exemple dans des dispositions spécifiques des traités de commerce, par exemple dans l’application stricte des limites posées par le droit international de l’environnement au commerce international des espèces  et de certaines substancesAu nom de quoi le commerce international serait-il supérieur à la santé et à l’environnement ?

-Face à la société de marché  donner de plus en plus de place à une « économie plurielle » composée d’économie sociale et solidaire, de services publics, de juste échange, de dons, d’échanges de savoirs, de commerce équitable…

-Face à une division internationale  du travail fondée sur des dominations, construire un échange international reposant sur une autonomie créatrice de chaque peuple…

-Face au court terme omniprésent répondre aux urgences et construire le long terme…Autrement dit il faut répondre et aux fins de mois et aux fins du monde.

-Face à la domination sur la nature mettre en œuvre en particulier une protection du patrimoine mondial  de l’humanité…

-Face à la compétition omniprésente construire des coopérations, des solidarités…Nous voilà fraternisés par des périls communs,  ce sont des  côtes à côtes qui doivent voir le jour et se multiplier.

-Face à cette coupure entre l’écologique et le social il faut tisser des liens entre l’écologique et le social, c’est ce qui est fait par exemple à travers l’expression et le mouvement « justice climatique », par exemple à travers des pratiques autour du « consommer moins, répartir mieux », le « consommer moins » vise les 20% des habitants de la planète qui consomment environ 80% des richesses mondiales, tisser ces liens entre l’écologique et le  social par exemple à travers des écotaxes levées avec justice, par exemple à travers des emplois qui devront devenir massifs, emplois liés à la protection de l’environnement : villes, villages, quartiers et constructions écologiques, isolations, matériaux écologiques, énergies renouvelables, modes de production, de consommation et de transports écologiques, remises en état de régions profondément dégradées, préservation du patrimoine mondial naturel et culturel, éducation à l’environnement de la maternelle à l’université…

 

 B-Les fondements d’une politique écologique responsable et le choix des rapports avec la nature   

 Nous envisagerons tour à tour

La conception  dominante  de la nature : l’anthropocentrisme (1)

La conception résistante de la nature : l’éco centrisme (2)

A partir de ces deux conceptions  de la nature n’y-t-il pas  un choix à faire, celui du patrimoine commun de l’humanité, à étendre, à radicaliser ?

Le choix d’une  conception d’une nature patrimoine commun de l’humanité :  l’anthropo-éco-centrisme (3)

 ( Sur ces conceptions voir par exemple bien sûr l’ouvrage de François Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 1995.

Voir aussi article de Serge Gutwirth, « Trente ans de théorie du droit de l’environnement : concepts et opinions. »  Environnement et Société, 26, 2001, 5 à 17.)

 

1-   La conception  dominante  de la nature : l’anthropocentrisme

Quel est l’essentiel de cette conception ?  La nature est un objet au service des êtres humains. L’homme est tout-puissant par rapport au non-humain, il doit se comporter en « maitre et possesseur de la nature », l’homme exerce, par le droit de propriété, un pouvoir absolu sur la nature qui est un objet de droit.

Quelles sont les critiques  faites  à cette conception ?Certes des textes ont limité ce caractère absolu du droit de propriété sur la nature, mais peu à peu le marché a réduit  les éléments de l’environnement à des marchandises. La nature, au service des besoins et des intérêts de l’homme, est entrée dans la marchandisation du monde.

 

 2- La conception résistante de la nature : l’éco centrisme

Ayant vu le jour dans des civilisations très anciennes, en particulier amérindiennes, cette conception recommence à se développer depuis quelques décennies jusqu’à ces dernières années, par exemple  un chapitre de la constitution de l’Equateur est consacré aux droits de la nature, une loi des droits de la Terre Mère a été adoptée en Bolivie en 2010. La Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre-Mère a adopté en 2010, à Cochabamba en Bolivie, une déclaration finale dans laquelle  est affirmé que «  la Terre-Mère doit être reconnue  comme source de vie, comme un être vivant, avec lequel nous avons une relation indivisible, interdépendante, complémentaire et spirituelle.»

 Quel est l’essentiel de cette conception ? La nature est un sujet, elle a une valeur intrinsèque, en elle-même, indépendamment de toute utilité pour les êtres humains. L’homme  fait partie d’un ensemble, le vivant. La nature est sujet de droit, elle doit être défendue.

Quelles sont les critiques faites à cette conception ? Quatre critiques existent. Cette conception empêche de faire la différence entre l’humain et le non humain, on ne peut pas savoir ce que la nature veut, à force d’étendre le droit à tout on le dévalorise, le retour à la nature a quelque chose de dangereux parce qu’on remet en cause l’homme.

 

 3- Le choix d’une  conception d’une nature patrimoine commun de l’humanité :  l’anthropo-éco-centrisme

 

a-   Cette synthèse ne doit pas être inconsistante, simpliste, elle doit dépasser la contradiction des deux visions précédentes pour contribuer à une véritable protection mondiale de l’environnement.

Quel est l’essentiel de cette conception ? La  nature est un donné et un construit pour les êtres humains (anthropocentrisme) et pour elle-même (éco centrisme). La nature n’est pas objet ni sujet de droit, elle est projet de droit.

 Cette synthèse va prendre le « meilleur » de chaque ensemble de théories et de  pratiques en les transformant les unes par les autres.

De l’anthropocentrisme  on garde les humains et on remet en cause la marchandisation, la société du marché, pas seulement en la contrôlant mais en la remettant à sa place, en lui fixant des limites.

De l’éco centrisme on garde l’ensemble du vivant et on met de côté l’effacement de la différence entre l’humain et le non humain, cela en mettant en avant les responsabilités des êtres humains vis-à-vis de l’ensemble du vivant (humanité, faune, flore).

 

 

b-  Ainsi le patrimoine commun de l’humanité(PCH) reposera sur un anthropo-éco-centrisme, sur le fait que, pour l’exprimer simplement, la Terre dépend  des êtres humains et que les êtres humains  dépendent de la Terre.

 Ce PCH doit être démocratique, juste, écologique et pacifique. Ce sera une gestion synonyme de partage entre pays, entre peuples, entre générations présentes et futures, sans oublier le respect du PCH créé par les générations passées. Ce patrimoine se transmet pour les générations futures, et pour le vivant (faune, flore).

 Ce PCH reposera sur une gestion synonyme de limites établies au nom des responsabilités des êtres humains et du respect des êtres vivants. (Voir Hans Jonas, Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. (de 1979, paru en France en 1991, Flammarion.)

 Le PCH prend et prendra différentes formes, outre les quatre qui suivent on peut en imaginer et en construire d’autres, on devra les articuler les unes aux autres pour renforcer la protection générale. A long terme ce devrait être là un contre-mécanisme très important contre le productivisme, il n’aura ni des logiques d’intérêts nationaux, ni des logiques de primauté du profit et d’une fuite en avant autodestructrice.

Le PCH au sens propre aujourd’hui  est celui d’éléments qui  appartiennent  juridiquement  à l’humanité. Il s’agit des fonds marins (« la Zone ») (Convention sur le droit de la mer du 10-12-1982, article 136), de la Lune et des autres corps célestes (Accord du 5-12-1979, article 11), du génome humain (Déclaration du 11-11-1997, article 1er).

Le PCH au sens large est celui d’éléments constitués par des espaces internationalisés qui doivent être  explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique (Traité du 27-1-1967, article 1er§1), de l’Antarctique (Traité du 1-12-1959, préambule).

Le PCH au sens plus large est celui d’éléments constitués par certains biens naturels et culturels ou mixtes, qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.  (Conclue dans le cadre de l’UNESCO, c’est la Convention sur le patrimoine mondial, 16-11-1972).

On peut légitimement soutenir qu’il faudrait rajouter ici une quatrième série d’éléments :

Le PCH au sens très large comprendrait les ressources biologiques ,que les Etats ont certes le droit souverain d’exploiter (article 3 de la Convention sur la diversité biologique du 5-6-1992), mais les Etats seraient contrôlés (interdictions possibles) par une autorité internationale, gardienne de ce patrimoine naturel mondial, par exemple la future Organisation mondiale de l’environnement(OME),celle-ci interviendrait alors au nom de la nature et au nom des générations futures(protocole à la Convention sur la biodiversité, et compétence à prévoir pour l’OME).

 

c-  Cet intérêt commun de l’humanité est lié aussi à des biens communs. 

Ils sont qualifiés d’ « indispensables pour la vie collective des individus et des peuples » par le projet de « déclaration universelle du bien commun de l’humanité » (Forum mondial des alternatives, 2012), il est affirmé qu’il s’agit « de l’alimentation, de l’habitat, de la santé, de l’éducation et des communications matérielles et immatérielles. »

Il faut donc « garantir l’accès aux biens communs et à une protection sociale universelle ». Cette déclaration conçoit plus globalement le « Bien commun de l’humanité comme possibilité, capacité et responsabilité de produire et de reproduire la vie de la planète et l´existence physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde.»

Ces théories et ces pratiques , encore en gestation, celle de Patrimoine commun de l’humanité, celle de Biens communs, au-delà de leurs différences(conceptions de la propriété et de la responsabilité, des acteurs les mettant en œuvre, de leur étendue, de leur gestion…), ont probablement un point commun : mettre en avant des éléments qui, en dépassant le quadrillage étatique, en mettant des limites à la marchandisation du monde, en étant pensés sur le long terme, voudraient contribuer à préserver ce que l’humanité et la nature peuvent avoir d’essentiel.

(Voir Jessica Makowiak et Simon Jolivet (dir.),  Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ?, Limoges : Presses universitaires de Limoges, 2017.. Voir en particulier notre article évoqué ci-dessus relatif à «La  Déclaration universelle du bien commun de l’humanité. »

 

 d-  Quelles sont les critiques faites à cette conception ?

 La critique est double : c’est celle très réactive des souverainetés étatiques qui verront dans cette entreprise une forme de dépossession,

c’est celle du productivisme qui ne peut accepter de remettre en cause des logiques d’exploitation sans limites de la Terre.

 

 Que penser de ces critiques ?

Face  aux souverainetés irréductibles, une solidarité mondiale doit avoir le droit du dernier mot, cette avancée sera d’autant plus nécessaire que la débâcle écologique s’aggravera.

 Face au productivisme, condamnable et condamné,  un système  viable pour l’ensemble du vivant (humain, et non humain) doit voir le jour.

 

 

 C-  La démocratie politique et la responsabilité environnementale    

 

 

 Nous partirons de l’affirmation selon laquelle écologie et démocratie doivent marcher côte à côte refusant leur dissociation (1).

 Puis nous rappellerons le processus de responsabilité constitutionnelle mis en place par des Etats comme par exemple la France (2).

Enfin nous rappellerons ce que devrait être une véritable démocratie au regard de sa représentativité (3, 4, 5et de son caractère participatif ( 6, 7).

Même si les politiques environnementales n’ont pas le monopole de la nécessité d’améliorer la démocratie représentative et de mettre en place des processus participatifs il n’en reste pas moins qu’elles peuvent être ici un des domaines d’avant-garde  de la démocratie.

 

1- Une politique responsable écologiquement doit être déterminée démocratiquement

 

D’abord constatons que tous les régimes politiques sont oligarchiques c’est-à-dire entre les mains de personnes plus ou moins nombreuses, mais toutes les oligarchies ne sont pas de même nature. Les unes n’ont pas de concurrence, elles sont soit celles du parti unique soit celles de l’armée, ce sont des dictatures. Les autres sont en concurrence officielle à travers des élections libres, ce sont des démocraties. C’est le critère de base, d’autres critères  sont eux aussi essentiels, celui par exemple bien sûr des droits de l’homme.

Ensuite certains pourraient être tentés de dire que, pour instaurer une politique environnementale, il ne faut pas hésiter à s’éloigner de la démocratie pour l’imposer si nécessaire. Certains souhaiteraient même des sortes de « khmers verts » ce qui est totalement inacceptable.

Evidemment un argument terrible peut arriver ! Que préférez-vous : un régime autoritaire qui empêchera une catastrophe écologique majeure ou une démocratie qui ne pourrait  pas l’empêcher ? Evidemment on peut répondre une démocratie qui l’empêcherait mais…on ne demande pas aux victimes et à leurs proches. Pas plus d’ailleurs qu’on ne demande aux victimes du régime autoritaire.

Mais réaffirmons, par principe,  que la construction d’une politique écologique doit se faire dans la démocratie.

Et réaffirmons  aussi, par efficacité, qu’elle aura d’autant plus de chances d’être et vraiment environnementale et véritablement mise en œuvre  si elle  est  portée par le plus grand nombre possible de citoyen(ne)s.

 

Toutes les deux, démocratie et écologie, doivent  s’interpeller, se compléter, se soutenir, s’incliner l’une vers l’autre.

 

 

2-Une politique de responsabilité politique est mise en œuvre dans certains pays  à travers  des moyens d’action entre l’exécutif et le législatif. 

 

Dans les régimes de séparation souple des pouvoirs la collaboration se fait le plus souvent ainsi :

Le moyen d’action essentiel  du législatif sur l’exécutif c’est la mise en jeu de la responsabilité collégiale du gouvernement à l’initiative des parlementaires Le gouvernement est contraint de démissionner lorsqu’une motion de censure est adoptée.

Les moyens d’action de l’exécutif sur le législatif s’appellent la dissolution par le chef de l’Etat de la chambre élue au suffrage universel, la responsabilité engagée par le gouvernement devant le parlement  à travers la question de confiance, enfin beaucoup plus fréquente  que les deux procédures évoquées, l’exécutif dispose du droit d’entrée et de parole au Parlement ainsi que l’initiative législative et budgétaire.

 

 3-  Une politique responsable écologiquement doit se conduire dans une démocratie dont la représentation doit s’améliorer. 

« Nous continuons à prendre des vessies pour des lanternes et le système représentatif pour la démocratie. Ce n’est qu’un leurre puisqu’une classe de professionnels de la politique en profite pour confisquer la souveraineté du peuple. Ce tour de passe-passe sera rendu impossible par l’autogestion. »

Ce jugement de Jacques Julliard (« Contre la politique professionnelle », Seuil, 1977) n’en appelle-t-il pas à une dé professionnalisation de la politique à travers des moyens d’améliorer la démocratie représentative et à une mise en route vers la démocratie participative ?

L’énumération indicative de moyens  spécifiques tendant à améliorer la représentativité du personnel politique :

 Une plus grande ouverture de la politique aux femmes dans les institutions, les grandes écoles, les partis politiques, les grands corps de l’Etat…Quelles mesures ?

Quotas pour des élections, parité, autres mesures…Un rajeunissement de la classe politique : limites du nombre de mandats, mise en place du mandat unique, raccourcissements de mandats, pratiques de conseils municipaux de jeunes…

Le fait que ce sont les jeunes qui vont être en première ligne des bouleversements environnementaux plaide en faveur d’un droit de vote à quatorze, quinze ou seize ans. Mais ici et là les résistances seront nombreuses, le droit comparé peut être précieux pour y voir plus clair.

Une lutte contre les inégalités dans l’accès à la vie publique et dans les conditions d’exercice des mandats : droit à la formation, droit à la réintégration dans l’entreprise, harmonisation des indemnités, limites des indemnités que l’on peut percevoir…

Une « mixité sociale » dans les candidatures aux élections…

Une ouverture des cabinets ministériels à différents profils…

Enfin la  remise en cause, partielle ou radicale, du cumul des  mandats. Il faut limiter des mandats dans le temps et l’espace. Là aussi le droit comparé sera précieux.

 Mais l’argument principal de part et d’autre est simple :

 les uns affirment que le cumul permet aux fonctions de se  renforcer,

les autres affirment que le cumul est une forme d’atteinte à la démocratie.

 Dans une perspective générale la démocratie en appelle aux partages des pouvoirs, des avoirs, des savoirs .

Le choix est donc clair : c’est celui des remises en cause des cumuls.

 

 

 4-  L’énumération indicative de moyens  spécifiques tendant à améliorer le système électoral

 

Ce sont les problèmes du financement des campagnes électorales et du patrimoine des élus (transparence avant et à la fin du mandat), certains pays les encadrent par des lois.

Ce sont les lois électorales : avantages et inconvénients de chaque système, ainsi le système proportionnel est plus respectueux de la diversité d’opinions politiques du corps électoral, il peut cependant déboucher sur des alliances fragiles pour trouver des majorités. Certains proposent dans tel et tel pays, par exemple en France,  l’introduction de la proportionnelle, en tout  ou partie (« une dose de ») dans le mode de scrutin législatif.

 

5- L’énumération indicative de moyens généraux tendant à améliorer la représentativité du personnel politique. 

Comment à travers les médias lutter contre « l’Etat spectacle », le « paraitre » (« Gouverner c’est paraitre ») et favoriser de véritables débats contradictoires ?

Que proposent les partis politiques quant aux contenus de leurs programmes ? Y a-t-il par exemple  des propositions alternatives pour faire face  au chômage en liens avec les emplois créés pour la protection de l’environnement?

 

 6- Des obstacles à surmonter pour avancer dans la démocratie participative en particulier dans le domaine environnemental

Problème démographique : comment créer une démocratie participative dans des pays très peuplés, dans de grandes villes ?

Problème politique : comment faire porter la concertation et le contrôle sur les choix fondamentaux  de société, par exemple les choix énergétiques ?

Problème technocratique : ne faut-il pas que les représentants politiques gardent le pouvoir de décision et ne recueillent des experts que des avis consultatifs ?

Problème social : comment faire durer une démocratie participative alors que le corps social bouge dans l’espace et dans le temps ?

Problème d’information : comment consacrer, quand çà n’est pas le cas, et élargir quand il existe, le droit à l’information ? La Convention d’Aarhus de 1998 est un modèle dans le domaine de l’environnement. On peut souhaiter aussi la création d’une institution indépendante mettant à la disposition des citoyens les données des administrations, réfléchir davantage, à partir du droit comparé entre les Etats, sur les données non accessibles au public.

 

 

7- Des moyens à mettre en œuvre pour avancer dans la démocratie participative en particulier dans le domaine environnemental.  

 

Il faut ici développer le droit comparé en ce domaine, le référendum d’initiative citoyen(ne)s  est un exemple et pour les procédures et pour le contenu et pour la portée qui l’accompagnent.

Les assemblées de citoyen(ne)s, les conférences de citoyens ou conférences  de consensus, les forums de discussion, les panels de citoyen(ne)s, les conseils de quartier, les budgets participatifs, les enquêtes publiques,et d’autres moyens politiques et juridiques existent ou peuvent voir le jour, le droit comparé avec d’autres pays  sera précieux là aussi. Ce sont autant de procédures à créer et développer en matière environnementale.

Si l’expérience de la Suisse est connue pour les référendums, celle du Danemark l’est moins pour les conférences de consensus qui existent depuis 1987.

Dans la trajectoire de ces pratiques danoises, pour la première fois à un niveau international important, a vu le jour le premier Forum des citoyens le 26 septembre 2009 dans 38 pays. Des citoyen(ne)s, choisi(e)s à partir d’un panel représentatif, placé(e)s dans les conditions d’un véritable débat, ont proposé des recommandations sur une question, celle des changements climatiques.

 Renforcer  la souveraineté directe du peuple n’est pas évident quant aux moyens, c’est pourtant nécessaire. Appliquer la démocratie participative à l’élaboration des lois, à l’application des politiques parait encore plus difficile qu’à la gestion des collectivités territoriales, gestion  elle aussi pourtant primordiale.

 

 

D- La panoplie des sanctions politiques face à la débâcle écologique   

 

Quelle est la panoplie  des sanctions politiques face 

soit à des décisions environnementales   contestables,

soit à des politiques environnementales  inacceptables, 

soit en l’absence   de politiques environnementales ?

 

 Nous avions dit ,  plusieurs fois dans les grands amphis de droit ou les petites salles de master de droit de l’environnement , aux étudiants à partir de 1986 (juste après le drame Tchernobyl) que, si les logiques de destructions de l’environnement continuaient ainsi, des mégapoles et de grandes villes seraient désertées dans une cinquantaine d’années (2036) en particulier devant un air devenu irrespirable et  sous le poids des ordures ne pouvant plus être évacuées.

De même aujourd’hui en 2020 nous pensons que des gouvernements seront renversés et des chefs d’Etat personnellement mis en cause face aux apocalypses écologiques en route dans ces mêmes périodes où la plupart des voyants de l’humanité seront passés au rouge, c’est-à-dire à partir d’environ 2030. Des populations exigeront parfois  un retour  en arrière de mise en cause de responsabilités pour d’anciens  dirigeants  encore en vie qui  seront  alors jugés.

 

Aujourd’hui on peut distinguer les sanctions institutionnelles (1)

 et les autres sanctions qui peuvent prendre des formes très variables (2).

 1-Les sanctions politiques institutionnelles

Les sanctions politiques institutionnelles s’appellent les élections, le renversement par le parlement, le  référendum, le procès.

 

a- Les élections, un moyen de sanction politique

Elles permettent de ne pas garder des équipes gouvernementales et des chefs d’Etat considérés comme  ayant échoué économiquement, socialement et désormais écologiquement.

Les nouvelles élections peuvent permettre de prendre donc aussi en compte les projets de politique environnementale des candidats.

b-La mise en cause de la responsabilité par le parlement

Le moyen d’action essentiel  du législatif sur l’exécutif c’est la mise en jeu de la responsabilité collégiale du gouvernement à l’initiative des parlementaires Le gouvernement est contraint de démissionner lorsqu’une motion de censure est adoptée.

Le moyen d’action de l’exécutif sur le législatif s’appellent la responsabilité engagée par le gouvernement devant le parlement  à travers la question de confiance,

Il y a aussi des pays où le parlement peut  être remis en cause ainsi  par le droit de dissolution de la Chambre des députés par le chef de l’Etat français.

 

c- Le référendum  ,  un moyen de sanction politique

Il faut ici développer le droit comparé en ce domaine, le référendum d’initiative citoyen(ne)s  est un exemple et pour les procédures et pour le contenu et pour la portée qui l’accompagnent.

On peut aussi articuler le référendum fondé sur une initiative co- partagée, une initiative populaire avec un certain nombre de citoyens  et une initiative parlementaire  avec un certain nombre d’élus.

Pour ce qui est du contenu on peut introduire, si çà n’est pas le cas, le domaine environnemental qui doit être entendu au sens large, ainsi par exemple la politique énergétique qui doit être prise en compte.

 

 

d- L’intervention du juge, un moyen de mise en jeu de la responsabilité.

Les procès intentés par des ONG et des citoyens contre des Etats pour inexécution de leurs engagements nationaux et internationaux sont une voie ouverte en particulier par rapport aux changements climatiques.

Au sens propre c’est un moyen situé sur le terrain juridique, d’où son examen dans la Vème partie. Mais nous voulions d’ores et déjà le souligner dans ce développement, il fait aussi partie indirectement de cette panoplie de sanctions politiques.

 

 2- Les autres types de sanctions politiques

 

a- Des associations et des ONG  porteuses de multiples résistances

Outre les moyens juridiques dont elles disposent les ONG ont surtout un rôle de pression sur le pouvoir politique et d’autres acteurs tels que des entreprises.

Elles ont aussi un rôle de proposition d’alternatives environnementales.

Certaines ONG utilisent des moyens non-violents avec parfois une désobéissance civile radicale, ainsi «  Extinction Rebellion. »

 

b-Des jeunes dans des résistances face à l’inaction climatique

La grève étudiante pour le climat et la grève scolaire pour le climat devient un mouvement international.

 On quitte son université, son lycée, son collège un jour par semaine pour participer à des manifestations en faveur d’actions contre le réchauffement climatique.

Il s’agit d’une forme de conscientisation et de ceux et celles qui y participent et d’une forme de pression sur des autorités.

 

c- Des moyens non-violents de plus en plus nombreux dans les résistances.

 

 L’histoire de la non-violence, en partie méconnue, révèle l’efficacité de ces méthodes d’action qui, comme le disait Jacques de Bollardière , «  mobilisent par delà le mépris, la violence et la haine. »

 (Voir à ce sujet la revue opérationnelle « Non-violence Actualité », et la  remarquable revue « Alternatives non-violentes », directeur F Vaillant, ainsi que les travaux, eux aussi remarquables,  de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits-IRNC, créé par F. Marchand , JM Muller, C Mellon, J Sémelin, C Delorme.)

Ces moyens reposent sur un cadre non-violent c’est-à-dire un respect de la dignité  humaine, une exigence de justice, une combativité positive (et non une agressivité)  face au conflit. (J Sémelin, La non-violence expliquée à mes filles, Seuil, 2000..

Cette méthode de règlement des conflits refuse la violence d’oppression dans laquelle on impose sa loi, elle refuse la violence de soumission dans laquelle on renonce à ce que l’on pense être essentiel. On cherche ensemble, dans le respect des personnes et la confrontation, des solutions justes.

(JM Muller, Lexique de la non-violence, ANV,1998). Jacques Sémelin insiste sur « trois principes majeurs : l’affirmation de l’identité du sujet résistant (…), la non coopération collective(…), la médiatisation du conflit c’est à dire susciter la constitution de « tiers » qui appuient sa cause. » (Jacques Sémelin, « Du combat non-violent » dans l’ouvrage « Résister. Le prix du refus », sous la direction de Gérald Cahen, éditions Autrement, Série Morales n°15,1994)

-La non-violence n’a pas le monopole de certains des moyens qui suivent, par exemple les grèves et les pétitions ;

 Ces moyens, énumérés à titre indicatif, font partie des pratiques essentielles de l’action non-violente. Il s’agit , de façon non exhaustive, de la non-coopération, la  désobéissance civile (Alain Refalo, Les sources historiques de la désobéissance civile, colloque Lyon  2006), l’obstruction non-violente, l’objection de conscience, la grève de la faim, la grève, le sit in (s’asseoir sur la voie publique en particulier des places), le boycott, le refus de l’impôt sur les armements, les pétitions…(JM Muller, Stratégie de l’action non-violente, Seuil,1981).

Ces actions non-violentes de désobéissance civile sont et seront de plus en plus mises en œuvre  pour soutenir la défense de l’environnement.

 

d-Des mouvements, laboratoires de résistance , dans le social et l’écologique

 

 On retrouve ici  une fois de plus l’importance de la désobéissance civile.

 (voir par exemple  Albert Ogien et Sandra Laugier, respectivement sociologue et philosophe, « Pourquoi désobéir en démocratie? »(2010)  et « Le Principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique. »(2014).)

A partir du mouvement des occupations de places en 2011 et « dans des formes plus souterraines et  invisibles d’action et de relations entre les personnes » les auteurs pensent qu’une sorte de « démocratie sauvage »voit le jour.

Il  n’y a pas de leader, de programme, d’objectif de prise de pouvoir mais une « créativité politique de ces organisations collectives  fondées sur  les principes de solidarité, de gratuité, d’autonomie ou qui instaurent des modes de vie en rupture avec le productivisme, la hiérarchie » (…),

Dans ces lieux « le politique vivant parait avoir largué les amarres avec la politique institutionnelle. » 

Ces mouvements ne sont pas à sous-estimer, ce sont  des laboratoires de résistances, ce sont des formes de démocratie qui contribuent à des expressions des citoyen(ne)s et qui les amènent à créer  des  lieux d’autres possibles.

 

d-Les mondes médiatiques et  la protection de l’environnement

Chaines de télévision et réseaux sociaux sont présents par rapport à l’environnement.

Il arrive souvent que  ces deux séries de moyens reproduisent le système productiviste en insistant sur les manifestations de la dégradation de l’environnement et en faisant silence sur les véritables causes de la débâcle écologique et les alternatives nécessaires.

 Quant à la publicité elle incite souvent  les téléspectateurs à plonger encore plus dans les sociétés de consommation.

 

Il arrive cependant que certaines chaines de télévision et des réseaux sociaux avancent des analyses intéressantes et annoncent telle et telle action.

La pression sur le pouvoir politique peut alors être importante d’autant que des journalistes d’investigation peuvent faire un remarquable travail de mises à jour de scandales écologiques qui sans leurs interventions. resteraient sous un linceul de silences et de complicités.

 

Tels sont les éléments des responsabilités politiques dans leurs rapports à l’environnement.

 Que peut-on dire des responsabilités juridiques et de l’environnement ? (V)

 (Deux indications bibliographiques importantes :

« Refonder la démocratie », dossier  avec les articles de Roger Sue, Pierre Calame, Jacques Testart, Patrick Viveret, Jean Zin, Miguel Benasayag, Philippe Merlant, Joêl Roman, Revue  « Transversales« , n°2, 2ème trimestre 2002.

 « Pour une 6e République écologique », sous la direction de Dominique Bourg avec les contributions de Julien Bétaille, Loïc Blondiaux,  Marie-Anne Cohendet, Jean-Michel Fourniau, Bastien François, Philippe Marzolf, Yves Sintomer ,  éditions Odile Jacob,2011.)

 

 

  V-Les responsabilités juridiques et l’environnement

 

 On trouve de nombreux écrits relatifs aux aspects juridiques des responsabilités environnementales. Ils sont le plus souvent consacrés à telle ou telle affaire ou  à tout un domaine de responsabilité. Des synthèses existent dans des manuels spécialisés. Mais vouloir  prendre en compte en une synthèse le  droit interne et le droit international, le droit civil et  le droit pénal en matière de responsabilité environnementale voilà qui en appelle à une  globalité certes trop rapide  mais   pourtant nécessaire et pouvant être porteuse.

Nous envisagerons ainsi  tour à tour un panorama des formes de la responsabilité environnementale (A)

puis la responsabilité en droit international de l’environnement (B).

 

 A-Les formes de la responsabilité juridique environnementale 

 

Jacques Ricot écrit : « La responsabilité  est comme un grand livre de compte qu’il faut organiser. C’est la fonction du Droit de s’y efforcer même si cette discipline n’a pas le monopole de cette notion ». (  Remarques philosophiques sur la responsabilité, RGD 2003,33 p: 293 à 303 . )

 

Deux grandes distinctions existent

La responsabilité pénale et la responsabilité civile, puis le droit interne et le droit international.

Partons des grands caractères du droit de la responsabilité environnementale (1)

 

Puis  nous soulignerons quatre aspects de cette responsabilité environnementale   que propose un auteur (2)

 

Nous évoquerons enfin  un aspect encourageant  en  droit de l’environnement, celui des procès faits contre des Etats pour qu’ils respectent leurs engagements environnementaux (3).

 

 

 (Pour ce qui est du droit interne et européen  nous renvoyons à l’ouvrage   de Michel Prieur avec la collaboration  de Julien Bétaille , Hubert Delzangles , Marie-Anne Cohendet , Jessica Makowiak , Pascale Steichen, Droit de l’environnement, Dalloz,7ème édition,2016

Voir  aussi  l’ouvrage de Raphael Romi,  Droit interne et européen de l’environnement, LGDJ, précis Domat, 3ème édition ,2017.)

 

 

1- Quelques remarques relatives au droit de la responsabilité environnementale

 

a-   Historiquement cette responsabilité voit le jour surtout à partir de 1970 il y a donc 50 ans. En 1992 elle est un des points forts de la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement.

Dans l’Union européenne en avril 2004 est adoptée une directive relative aux dommages affectant les espèces et habitats naturels protégés, les eaux et les sols, elle est transposée en droit français dans la loi du 1er août 2008 sur la prévention et la réparation de certains dommages causés à l’environnement.

 

 

b-  Les fonctions de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale.

 

La  fonction de la responsabilité civile est celle de la réparation qui doit être faite aux victimes.

 

Il n’est pas question ici de sanction pénale, on est dans le domaine des dommages et intérêts, ce qui n’empêchera pas le droit pénal de se déployer mais dans un autre procès.

La fonction de la responsabilité pénale est l’obligation faite à une personne reconnue coupable par un tribunal de répondre d’une infraction délictueuse commise ou dont elle est complice, et de subir la sanction pénale prévue par les textes.

 

 

 

c- Les fondements de la responsabilité.

 

La faute et le risque sont les deux fondements du fait générateur de la responsabilité.

Un  fondement essentiel de la responsabilité environnementale est le principe pollueur-payeur selon lequel celui qui provoque une atteinte à l’environnement doit réparer les dommages qu’il a causés.

Un autre fondement qui est devenu de plus en plus important est la responsabilité sans faute, pour risque. Pourtant le fait que cette assurance pour risque s’étende et le fait que la victime ait été considérée comme de plus en plus importante ont amené le droit pénal à rechercher dans un autre procès  la sanction contre l’auteur du dommage. 

 

 

 

d- Les auteurs des dommages et les obstacles dans l’application du droit.

 Les auteurs des dommages peuvent être des individus, des entreprises,  des collectivités territoriales, l’Etat, des établissements publics, des associations…

Les activités  concernées sont celles de l’ensemble des activités humaines en particulier les domaines économiques, sociaux, environnementaux.

 Les obstacles dans l’application sont essentiellement

 la détermination des auteurs du dommage qui peuvent être nombreux à travers des sources de pollutions difficiles à déterminer,

la difficulté pour quantifier et évaluer les dommages ;

la prise en compte ,  des dommages écologiques , au-delà donc des réparations classiques,

la non solvabilité des auteurs des dommages.

 

e-  La  conception extensive de la responsabilité dans le temps

 

Les questions posées par le long terme de la responsabilité environnementale :

Elles sont au moins au nombre de trois séries  qui ressemblent à un certain puits  juridique sans fond  par rapport aux des générations futures et au vivant. 

 

Sur une période de plusieurs décennies ou de beaucoup  plus, de très nombreux actes personnels et collectifs participent à la production de tel ou tel dommage. Comment les prendre en compte en termes de responsabilité ? Qui sanctionner lorsque le dommage viendra donc d’un grand nombre d’auteurs depuis les plus petits (des personnes) jusqu’aux plus puissants (des Etats, des firmes multinationales, des banques…)

 

Comment évaluer des dommages à venir atteignant des générations futures ? Autrement dit comment sanctionner une action dont les effets dommageables  sont  lointains dans le temps ?

Peut-on  condamner, pénalement et/ou civilement, des personnes disparues depuis longtemps ?

 

(Pour aller plus loin en particulier sur ces derniers points  Voir l’article de Jacques Ricot, . (2003). Remarques philosophiques sur la responsabilité. Revue générale de droit, 33 (2), 293–303.) Nous donnons  ici des éléments de sa  conclusion :

(…) Il faudra trouver la juste mesure entre la fuite devant les conséquences (sinon c’est malhonnête) et l’inflation d’une responsabilité infinie (sinon l’action est impossible à circonscrire.).

 

 

2-  Les quatre aspects de la responsabilité environnementale

 

François Ost, dans un article « La responsabilité, fil d’Ariane du droit de l’environnement » (.Droit et Société, Année 1995/ 30-31/ pp.281-378), fait la  synthèse suivante de ce travail :

« (…) À condition d’être repensée, l’institution de la responsabilité pourrait constituer le fil d’Ariane de ce labyrinthe, ainsi que le fondement éthique sur lequel le fonder. L’article dégage non moins de quatre aspects de la responsabilité qu’il s’agira d’articuler de façon dialectique :

  la responsabilité-sanction de la faute, civile ou pénale, qui satisfait une exigence éthique, mais s’avère difficile à mettre en œuvre ;

  la responsabilité-couverture du risque qui, indépendamment de l’hypothèse de la faute, vise à dédommager la victime du préjudice et s’accompagne de systèmes de mutualisation des risques ;

  la responsabilité-prévention qui est au fondement de quelques-unes des solutions les plus originales du droit de l’environnement, telles les législations sur les études d’incidences et le principe de précaution qui les prolonge ;

  la responsabilité-participation qui vise à assurer l’implication de tous dans la gestion et le contrôle des milieux naturels ; dans cette perspective, la reconnaissance de droits procéduraux d’information, de concertation et de recours aux individus et à leurs associations fait l’objet d’un examen particulier. L’auteur soutient la thèse que seule l’articulation de ces quatre dimensions de la responsabilité sera en mesure d’assurer la sauvegarde souhaitée du milieu. »

Sanction, couverture du risque, prévention, participation constituent donc les formes juridiques   de la responsabilité environnementale.

 

 

3- Les procès contre des Etats pour qu’ils respectent leurs engagements

Cette pratique est encourageante pour contribuer à la protection de l’environnement.

 

a-Des  recours contre des Etats par rapport au réchauffement climatique.

 

 Aux Pays-Bas, la justice avait été saisie par l’ONG Urgenda, elle a condamné en 2015 le gouvernement néerlandais, à revoir ses engagements sur les émissions de gaz à effet de serre et à respecter l’objectif de moins 25% d’ici 2020 , le  jugement a été confirmé en appel en 2018.

En France en  mars 2019, les associations Notre Affaire à tous, la Fondation pour la nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France ont déposé un recours de plein contentieux au tribunal administratif de Paris, contre l’Etat français. Leur objectif est d’obtenir une obligation d’agir du gouvernement face au réchauffement climatique. Elles estiment que l’Etat n’a pas respecté ses engagements environnementaux à l’échelle nationale et internationale  mettant ainsi en péril les droits fondamentaux des citoyens.

En France, deux procédures judiciaires ont été entamée en 2018 contre l’Etat, pour dénoncer son inaction climatique et le contraindre à prendre des mesures plus ambitieuses pour répondre à l’urgence. Oxfam France a été à l’origine de l’une d’entre elles, l’Affaire du Siècle, avec 3 autres organisations : Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme.

La seconde a été entamée quelques semaines avant, par la commune de Grande-Synthe et son maire de l’époque, Damien Carême.

Une première décision du Conseil d’Etat dans l’affaire de Grande-Synthe, survenue le 19 novembre 2020, marque un tournant en matière de justice climatique. Le Conseil d’Etat considère que les objectifs fixés dans les lois obligent l’Etat à les respecter.  Le Conseil d’Etat, dans sa décision, déclare : « si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40% d’ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés et [que] le décret du 21 avril 2020 a reporté l’essentiel des efforts de réduction après 2020».

Le Conseil d’Etat a donné 3 mois à l’Etat français pour démontrer que les actions mises en œuvre aujourd’hui permettent bien de tenir l’objectif fixé de diminuer de 40% les émissions de gaz à effet de serre de la France d’ici à 2030, comparé à ses émissions de 1990.

Une action contre cinq Etats a été intentée par seize  jeunes, âgés de 8 à 17 ans, venus de douze pays. Les plaignants visent les pays pollueurs suivants : la France, l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil et la Turquie. Ils dénoncent l’inaction des dirigeants comme constituant une atteinte à « la Convention internationale  sur les droits de l’enfant » de 1989 dans laquelle les Etats parties s’engagent en particulier à protéger le droit à la vie et à la santé  des enfants. Un protocole permet aux enfants d’exercer un recours devant le Comité des droits de l’enfant  de cette convention qui  fera seulement des recommandations (donc non contraignantes) aux Etats . On pourrait s’étonner que les Etats-Unis et la Chine, plus gros pollueurs de la planète, ne soient pas visés par la plainte mais le premier n’est pas partie à la convention et la seconde n’est pas partie au protocole.

Le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) avait, en mai 2017 à cette date, comptabilisé 884 actions judiciaires intentées à l’échelle mondiale, dont 654 aux États-Unis. Les 230 autres se répartissaient entre des actions en Australie (80 procédures), au Royaume-Uni (49 procédures), devant la Cour de justice européenne (40 procédures), en Nouvelle-Zélande (16 procédures) et en Espagne (13 procédures). 

 

b- Des recours contre des organisations régionales et internationales

 

Un recours est  engagé contre les institutions européennes devant la Cour de justice de l’Union européenne pour les insuffisances de leur politique climatique. Formé en mai 2018 il vise à faire annuler des dispositions fixant la politique climatique européenne pour la période 2021-2030. Les requérants veulent aussi engager la responsabilité de l’Union européenne pour les dommages  subis du fait des changements climatiques.

Il  est probable  que des recours contre des institutions financières et économiques internationales seront exercés dans la mesure par exemple  où certaines d’entre elles soutiennent par exemple des énergies fossiles.

Voilà  donc le droit international de l’environnement (DIE) au regard de la responsabilité.

 

 B- La responsabilité en droit international de l’environnement    

 

Nous  traiterons ici  du droit international de l’environnement (DIE)

à travers le principe de la responsabilité internationale environnementale (1),

 puis les conditions d’exercice de cette  responsabilité environnementale (2),

 la réparation des dommages environnementaux organisée par des conventions spécifiques (3),

 la réparation à partir des procès en droit international privé (4).

Nous soutiendrons enfin un droit prospectif engageant la responsabilité environnementale vis-à-vis des générations futures. (5)

 sans oublier un système possible de personnalité juridique, de représentation, de juridiction  relatifs à l’humanité et à la nature (6).

 Pour ces deux dernières séries de réflexions nous renvoyons aussi  aux deux articles de ce site intitulés 

« L’humanité » et « Les droits de l’humanité ».

 

(Nous renvoyons ici , pour une mise à jour, à la dernière édition de notre ouvrage en collaboration avec deux autres auteurs, Droit international de l’environnement, Jean-Marc Lavieille, Hubert Delzangles, Catherine Le Bris, Ellipses,4ème édition, 2018.

Nous renvoyons aussi à un  ouvrage de base celui de  Jean-Pierre Beurier ,  Droit international de l’environnement, Pedone, 4ème édition, 2010.)

 

 1-Le principe de la  responsabilité internationale environnementale

« Instrument au service d’une cause d’intérêt général le droit de l’environnement est en même temps manipulé au profit d’intérêts économiques à court terme .» Cette analyse de Michel Prieur ne correspond-elle pas souvent aux domaines considérés dans les développements qui suivent ?

 

 

Qu’en est-il d’une part du principe lui-même et de son fondement et d’autre part quelles sont les conditions d’exercice de cette responsabilité ?

 

 

 a- Le fondement de la responsabilité interétatique selon le DIP (droit international public)

 

 

 Quel est le projet de la CDI sur la responsabilité de l’État ?

 

La Commission du droit international (CDI) a adopté un projet de codification, ce texte est le fruit de plus de quarante ans de travaux (1969), il a été transmis à l’AG des Nations unies qui l’a recommandé aux Etats (Résolution du 12.12.2001).

Cette responsabilité est fondée sur un mécanisme qui offre la possibilité à un sujet de droit international (Etat, organisation internationale), victime d’un préjudice imputable à un autre sujet de droit international, d’obtenir des réparations. Ce texte reprend des dispositions qui représentent des coutumes internationales donc des obligations.

Quelles sont les conditions d’engagement de la responsabilité internationale ? Elles sont au nombre de deux.

 Il faut un fait internationalement illicite, ce peut être une action ou une omission, ce fait résulte de la violation d’une obligation. Le projet de la CDI prévoit les violations graves par l’Etat d’une obligation découlant de normes impératives du droit international général.

Il faut aussi un comportement attribuable à un sujet de droit international, il suffit que ce comportement soit attribuable à un des organes de l’Etat ou même à une personne privée exerçant des missions de puissance publique.

Les organisations internationales peuvent voir leur responsabilité engagée. Enfin  le projet de la CDI détermine des clauses exonératoires de responsabilité, par exemple la force majeure.

 

 Quels sont les effets de la responsabilité internationale déterminés par la CDI ?

 

L’obligation de réparation est une règle coutumière (Cour permanente de justice internationale, arrêt 13-9-1928, affaire de l’usine de Chorzow). L’article 31 du projet de la CDI affirme «  l’Etat responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite.»

 

 Il existe trois formes de réparation : le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis si cette restitution n’est pas matériellement impossible. Puis l’indemnisation qui devra couvrir tout le préjudice c’est-a-dire à la fois la perte éprouvée et le manque à gagner. Enfin la satisfaction à travers des excuses officielles, des sanctions contre l’agent public responsable.

 

  b- Le fondement de la responsabilité interétatique selon le DIE

 

  L’importance de la responsabilité sans faute en DIE

 

Le régime de la responsabilité pour faute n’est adapté que partiellement au domaine environnemental, c’est la responsabilité sans faute qui doit se développer. Le DIE va organiser cette responsabilité objective, sans faute, en canalisant la responsabilité sur un Etat, par exemple l’Etat qui procède ou fait procéder au lancement d’un objet spatial (Convention de Genève, 29.03.1972). Le DIP a d’ailleurs organisé des régimes particuliers de responsabilité objective

 canalisée   sur l’exploitant.

 

Comment a été faite  la reconnaissance du principe de responsabilité par le DIE ?

 

Cette reconnaissance est consacrée par des déclarations. Ainsi par exemple la Déclaration de Rio dans son principe 13 proclame «  Les Etats doivent élaborer une législation nationale concernant la responsabilité de la pollution et d’autres dommages à l’environnement et l’indemnisation de leurs victimes. Ils doivent aussi coopérer pour développer davantage le droit international concernant la responsabilité et l’indemnisation en cas d’effets néfastes de dommages causés à l’environnement dans des zones situées au-delà des limites de leur juridiction ».

 

Cette reconnaissance est consacrée aussi à travers des conventions. Ainsi la Convention sur le droit de la mer affirme que « les Etats sont responsables des pertes ou dommages qui leur sont imputables à la suite de mesures prises en application de la section 6 de la Convention, lorsque ces  mesures sont illicites ou vont au-delà de celles qui sont raisonnablement nécessaires par rapport aux renseignements disponibles. » Les Etats prévoient des voies de recours devant leurs tribunaux pour les actions en réparation de ces pertes ou  dommages , (article 232, Convention10.12.1982).

De même la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation prévoit une obligation de ne pas causer de dommages significatifs (article 7). Lorsqu’un dommage  significatif est néanmoins causé à un autre Etat du cours d’eau les Etats dont l’utilisation a causé ce dommage prennent les mesures appropriées en consultation avec l’Etat affecté  pour éliminer ou atténuer ce dommage et, le

cas échéant, discuter de la question de l’indemnisation  (article 7.2). A cela il faut ajouter des conventions relatives aux mers régionales (par exemple article 12 de la Convention de Barcelone sur la protection de la Mer Méditerranée).

 

 Cette reconnaissance est consacrée enfin par la jurisprudence environnementale internationale. Rappelons la sentence arbitrale du 11.03.1941dans laquelle le tribunal a considéré, d’après les principes du droit international , qu’aucun Etat n’a le droit d’user de son territoire ou d’en permettre l’usage de manière que des fumées provoquent un préjudice sur le territoire d’un autre Etat ou aux propriétés de personnes qui s’y trouvent s’il s’agit de conséquences sérieuses et si le préjudice est prouvé par des preuves claires et convaincantes (ONU, Recueil des sentences arbitrales, II, p. 1965).

 

  2-Les conditions d’exercice de la responsabilité internationale environnementale

 

 Elles posent des problèmes difficiles certes en DIP mais aussi en DIE.

 

 a- L’établissement du lien de causalité

 

Trois séries de problèmes peuvent se poser :

 l’un est relatif a la dimension temporelle. Une pollution peut avoir des effets à long ou à très long terme, ainsi par rapport à des maladies causées par des pollutions radioactives comment, lorsque des cancers apparaissent longtemps après, faire le lien avec l’acte incriminé et aussi avec les autres facteurs qui peuvent intervenir ?

L’autre série de problèmes concerne l’espace : s’agit-il bien de telle ou telle source qui peut être lointaine ou très lointaine qui a produit ce dommage ? Enfin  plusieurs sources de pollutions peuvent avoir créé un dommage, comment s’y retrouver ?

 b- Les identifications du pollueur et de la victime

 

 C’est ici l’un des problèmes les plus redoutables lorsque le nombre des pollueurs peut être élevé : comment identifier la responsabilité de chacun ? Le principe des responsabilités communes et différenciées peut aider à faire la part des choses.

On constate des résistances importantes des Etats à cette responsabilité interétatique, il y a eu un basculement, un transfert du DIP sur le droit international privé.

D’autre part l’identification de la victime peut être claire lorsqu’il s’agit d’une pollution transfrontière, ainsi l’Etat lésé peut demander réparation. Mais que se passe-t-il s’il s’agit d’un espace internationalisé (Antarctique, espace aérien international, haute mer) ou relié au patrimoine commun de l’humanité (Fonds marins…) ? La Convention du droit de la mer affirme qu’un Etat partie est responsable d’une violation des obligations de cette Convention qui provoquerait des dommages pour les Fonds marins (article 139), c’est l’Autorité des Fonds marins, c’est-à-dire l’ensemble des Etats parties a la Convention, qui pourrait estimer que l’Humanité en est victime et engager la responsabilité en son nom.

 

 3-La responsabilité organisée par des conventions spécifiques

 Les Etats ont conclu un certain nombre de conventions spécifiques qui organisent des systèmes de responsabilité. D’autre part les victimes peuvent se retrouver devant des juridictions de droit interne à travers le droit international privé.

Ces conventions  sont certainement destinées à devenir plus nombreuses. Quelles sont-elles à ce jour ?

 

a- Les conventions de responsabilité civile relatives au milieu marin

  Le système de réparation des dommages dus aux marées noires

 

La dramatique série de catastrophes maritimes qui depuis cinquante ans souille des côtes ( Torrey-Canyon 1967, Amoco-Cadiz 1978, Exxon Valdez 1989, Erika 1999, Prestige 2002…) a entrainé une mobilisation internationale qui a contribué à la conclusion de conventions et de protocoles.

 Quels ont été les effets de ces catastrophes sur la formation du droit ? Quel est le système mis en place ? Que peut-on en penser ?

  Les effets juridiques des marées noires sur la formation du droit

 La première grande marée noire, celle du Torrey-Canyon (mars 1967) est suivie de l’adoption des conventions de Bruxelles (1969-1971) qui sont le produit de rapports de forces entre les compagnies pétrolières et les armateurs. La marée noire de l’Amoco-Cadiz (mars 1978) est suivie d’un procès transatlantique qui dure plus de treize ans, l’ampleur des dommages commence à être prise en compte, on ajoute aux opérations de lutte et de nettoyage les frais de restauration du littoral, les dommages causés a l’environnement. Les plafonds du Fipol sont

dépassés.  La marée noire de l’Exxon-Valdez (mars 1989) en Alaska est suivie par l’adoption aux États-Unis d’une loi Oil Pollution Act (1990) : elle met en avant la prévention et la réparation.

La marée noire de l’Erika (décembre 1999) est suivie d’un renforcement de la législation internationale sur les pétroliers. Une nouvelle convention Marpol entre en vigueur le 01.09.2002 et vise l’élimination progressive d’ici 2015 de tous les pétroliers à simple coque pour le fioul lourd. La marée noire du Prestige (novembre 2002) fait encore crever le plafond de l’enveloppe disponible du Fipol. Un an après au sein de l’Organisation maritime internationale un accord

est conclu sur le bannissement des vieux pétroliers : retrait au plus tard en 2005 des pétroliers entrés en service avant 1982, et obligation de transporter sur des navires à double coque le pétrole lourd, le fioul, le bitume et le goudron.

 

 

 Le système de réparation mis en place face aux marées noires (Bruxelles 1969, 1992, 2003)

 

Ce système repose sur trois niveaux.

Le premier niveau est celui de la réparation des dommages de pollution par le propriétaire du navire.

 C’est la Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (Bruxelles, 1969). Elle est encore appelée Convention sur la responsabilité civile (CLC : civil viability convention). Ce texte a été modifié par un Protocole de 1992, dans le langage courant on parle de la Convention 1969/1992. Cette Convention fait peser la responsabilité du dommage par pollution sur le propriétaire du navire (et non pas sur l’exploitant), c’est-à-dire la personne au nom de laquelle le navire est immatriculé, en fait il s’agit de l’armateur. Ce choix du propriétaire a pour but de faciliter l’action des victimes. La responsabilité est très rigoureuse : le propriétaire du navire est de plein droit responsable des dommages de pollution. Il y a quelques clauses d’exonération : ainsi le dommage qui résulte d’un acte de guerre ou d’un phénomène naturel irrésistible et exceptionnel (typhon, raz-de-marée). Une tempête n’exonère pas le propriétaire. La faute d’un tiers par exemple celle de pirates qui attaquent un pétrolier exonère le propriétaire.

Enfin la responsabilité ne s’applique pas en cas de faute inexcusable du propriétaire, cette notion est interprétée de façon très restrictive puisqu’elle ne couvre pas la négligence de l’armateur. D’autre part cette réparation due par le propriétaire est limitée à un plafond de 108 millions d’euros pour les plus gros pétroliers. Les plafonds de responsabilité varient selon la jauge du navire. Dès que la cargaison dépasse 2000 tonnes le propriétaire doit avoir une assurance obligatoire.

Le deuxième niveau est celui de la garantie complémentaire prise en charge par le Fipol.

Celui-ci a été créé par la Convention de Bruxelles de 18.12.1971 portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures(Fipol). En 1992 ce régime a été modifié par un Protocole portant création d’un autre Fonds, le premier fonds de 1971 a cessé d’être en vigueur en 2002. On parle  aujourd’hui du FIPOL 1992 ou du Fonds de 1992. Il est financé, comme l’était celui de 1971, par une contribution sur les

  compagnies    pétrolières qui importent dans chaque Etat partie plus de 150 000 tonnes d’hydrocarbures par voie maritime et par an. Il y a  aujourd’hui 102 Etats membres du FIPOL qui a son siège à Londres. Le FIPOL 1992 intervient jusqu’à un plafond de 245 millions d’euros par sinistre. Il a pour mission de garantir aux victimes de pollution une indemnisation complémentaire à celle due par le propriétaire du navire, mais qui est elle aussi limitée. Le FIPOL doit sa garantie même en cas de phénomène naturel de force exceptionnelle et même en cas de faute intentionnelle d’un tiers, par contre il est exonéré de pollution résultant d’un acte de guerre. Le Fonds de 1992 s’applique quand le propriétaire du navire n’est pas responsable, quand il est insolvable avec son assureur, quand il est introuvable ou lorsque les dommages  dépassent la limite de responsabilité du propriétaire du navire. Enfin les indemnisations sont relatives aux mesures de sauvegarde, aux opérations de nettoyage, aux dommages aux biens, aux pertes dans les secteurs de la pêche, de l’aquaculture et du tourisme, enfin aux dommages à l’environnement limités au coût des mesures de remise en état raisonnables effectivement prises ou qui doivent être prises . Notons que dans un Etat membre du FIPOL quiconque a subi un dommage par pollution ou a fait des dépenses de nettoyage  peut formuler une demande auprès du FIPOL : il s’agit donc des particuliers, des entreprises, des collectivités locales, des associations ou de l’Etat.

Le troisième niveau est celui de l’intervention d’un Fonds complémentaire.

 Un Protocole de 2003 a créé un second Fonds international appelé FIPOL II. Il prend le relai du plafond de 1992 (245 millions d’euros par sinistre), il permet de mobiliser au maximum 900 millions d’euros. A ce jour il y a 21 Etats membres.

 

 

 Une critique du système de réparation mis en place par les marées noires

 

En premier lieu formulons une critique globale de ces systèmes.

 On est assez loin en effet d’un principe pollueur-payeur qui obligerait une réparation intégrale du préjudice sans limitation de montants. On ne peut parler de responsabilité véritable. En effet pour le propriétaire d’un navire (armateur) il suffit de contracter une assurance et pour le propriétaire de la cargaison (la compagnie pétrolière) il suffit de verser à un fonds une contribution fondée sur les hydrocarbures importés et donc, diront certains, payée au final par le consommateur. Corinne. Lepage écrit : « Ce système est un outil mis en place à la demande des pétroliers et destiné à ce que la responsabilité de ces derniers ne puisse jamais être mise en cause ». (Corinne Lepage,  Les faiblesses du droit international de  l’environnement, revue Pouvoirs, 2008, n° 127.) Quant au propriétaire du navire il constitue un fonds de garantie qui lui permet de limiter sa propre responsabilité.

 

En second lieu prenons acte des critiques souvent formulées à l’encontre du FIPOL.

 La première est relative aux plafonds qui ont été revus à la hausse mais qui devraient être encore plus élevés.

 La seconde critique est celle par exemple de collectifs anti-marées noires qui

  contestent  le rôle de juge et partie du FIPOL qui a la charge d’évaluer le montant du préjudice et de le financer.

En troisième lieu on se trouve encore devant l’obstacle qui consiste à ne pas prendre en compte le dommage écologique au sens d’une restauration des écosystèmes. On retrouve ici les réticences du FIPOL pour lequel les dommages à l’environnement se limitent  au coût des mesures de remise en état raisonnables  effectivement prises ou qui doivent être prises, mais lui aussi sera amené à évoluer a travers ses Etats membres. De même, on l’a vu en droit international privé, des juridictions commencent à ouvrir cette voie.

Ainsi cette question redoutable se présentera de plus en plus : comment prendre en compte et la lenteur de la restauration de certains écosystèmes et une responsabilité sans véritables limites dans le temps ? J. Ellul, H. Jonas, A. Gorz, E. Morin, et d’autres nous l’avaient dit : une société qui ne se donne plus de limites bascule vers des responsabilités sans limites par rapport au vivant, ainsi l’écologie est bien  à l’épreuve  du droit et le droit a l’épreuve de l’écologie.

 

 

 La responsabilité relative au transport par mer (Londres, 1996)

 

Il s’agit de la Convention internationale sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (Londres, 3.5.1996).

Le champ d’application de la Convention comprend le territoire de l’Etat, les eaux territoriales et la zone économique exclusive. Les produits visés sont principalement les hydrocarbures transportes en vrac, les autres substances liquides en vrac, les matières dangereuses, les gaz liquéfiés… La responsabilité est canalisée sur le propriétaire du navire sauf s’il prouve que le dommage résulte d’un acte de guerre, d’une insurrection, d’un phénomène irrésistible ou s’il prouve que c’est le fait d’un tiers ou d’une négligence de l’expéditeur. L’indemnisation est plafonnée selon le nombre de tonneaux des navires. Le propriétaire du navire doit prendre une assurance et si la personne n’a pas pu être indemnisée un Fonds international spécifique intervient. Existe aussi une convention relative à la responsabilité civile dans le domaine des transports maritimes de matières nucléaires (Bruxelles, 17.12.1971).

 

 

b- Les conventions de responsabilité civile relatives aux déchets dangereux

et  aux activités dangereuses

 

 

 Le Protocole de la Convention de Bâle (1999)

La Convention sur le contrôle des mouvements transfrontières des déchets dangereux et leur élimination (Bale, 22.03.1989) renvoyait à un protocole sur la responsabilité, il a été adopté lui aussi à Bâle le 10.12.1999, c’est un protocole sur la responsabilité et l’indemnisation pour ce type de dommages. Il repose sur une responsabilité objective sans faute, elle est canalisée sur le détenteur de déchets, c’est-a-dire la personne qui a en charge la substance dangereuse.

Cependant il y a un plafond d’indemnisation et des clauses d’exonération.

 

 La Convention de Lugano sur la responsabilité civile d’activités dangereuses (1993)

Dans le cadre du Conseil de l’Europe a été adoptée une Convention sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement (Lugano, 21.6.1993) qui canalise la responsabilité sur l’exploitant de l’activité dangereuse.

 Du point de vue d’abord du champ d’application de cette convention celui-ci est très large : il s’agit de l’ensemble des activités dangereuses pour l’environnement c’est-à-dire, la production, la manipulation, le stockage, l’utilisation ou le rejet portant sur des substances dangereuses (art. 2) ainsi que les opérations concernant les organismes génétiquement modifiés, et aussi l’exploitation d’une installation ou d’un site d’incinération, de traitement, de manipulation, de recyclage ou de stockage permanent de déchets, cela que ces activités viennent de personnes privées ou publiques étant entendu qu’elles doivent être effectuées a titre professionnel. Le terme de dommage est défini très largement, il vise les personnes, les biens, l’environnement. La Convention distingue les dommages  communs  aux personnes et aux biens d’une part et d’autre part les dommages résultant d’une altération de l’environnement.

 Du point de vue ensuite des exceptions à l’application de la Convention : en sont exclues les opérations de transport et les activités nucléaires (art. 4), cependant l’exclusion n’intervient que si les dommages résultent d’un accident nucléaire couvert par les Conventions de Paris ou de Vienne ou si cette responsabilité est réglée par une législation interne qui soit aussi favorable que la Convention de Lugano pour la réparation des dommages.

Du point de vue de la faiblesse principale de la Convention : les dispositions ne s’appliquent ni aux évènements survenus avant l’entrée en vigueur, ni aux dommages causés par des faits antérieurs même si ces faits se poursuivent, ni aux dommages provoqués dans un site ancien régulièrement fermé avant l’entrée en vigueur de la Convention (art. 5).

 Du point de vue du régime de la responsabilité : c’est une responsabilité objective puisque l’exploitant de l’activité dangereuse ou du site est responsable des dommages causés, ainsi l’exploitant d’un site contaminé ne pourra pas invoquer son absence de faute pour y échapper. Le propriétaire du site n’est pas responsable sauf s’il s’agit aussi de l’exploitant.

 Du point de vue de l’exonération de la responsabilité : on retrouve ici de façon classique les dommages se produisant à la suite d’un conflit armé, d’une catastrophe naturelle, du fait intentionnel d’un tiers, ou du commandement d’une autorité publique. Mais une autre exonération peut intervenir : s’il s’agit d’une pollution d’un niveau acceptable, eu égard aux circonstances locales pertinentes le dommage ne sera pas réparable. Voila une disposition critiquable qui peut contribuer à créer un certain flou dans l’application.

Du point de vue enfin de la mise en oeuvre de l’action : la victime du dommage a le droit de demander au tribunal que l’exploitant lui donne des informations (à quelques exceptions : la défense nationale, le secret des affaires…). Les associations de protection de l’environnement peuvent demander au tribunal d’ordonner une injonction pour interdire une activité dangereuse et illégale menaçant de causer des dommages sérieux à l’environnement.

Le texte prévoit d’autre part  la remise en état effective : toute mesure raisonnable visant à réhabiliter ou à restaurer les composantes endommagées ou détruites de l’environnement ou à introduire, si c’est raisonnable, l’équivalent de ces composantes dans l’environnement (art. 2.8).

 La responsabilité civile en matière d’énergie nucléaire (1960-1963)

 

La Convention de Paris (29.07.1960) sur la responsabilité civile dans le domaine nucléaire a été conclue par les Etats membres de l’OCDE. La Convention de Vienne (21.04.1963) sur la responsabilité civile en matière de dommage nucléaire est ouverte aux Etats membres des Nations unies. En cas de dommage la responsabilité est canalisée automatiquement sur l’exploitant. Il y a la aussi des clauses d’exonération.

Ce système de responsabilité objective sans faute organisé par ces conventions spécifiques correspond mieux à la protection de l’environnement, cela à deux conditions : d’une part que les clauses d’exonération ne soient pas trop nombreuses, d’autre part que les plafonds d’indemnisation soient suffisamment élevés.

 

 

 4-   L’indemnisation à partir des procès en droit international privé

Nous évoquerons d’abord quelques règles générales puis surtout la pratique internationale.

 a- Quelques règles générales relatives au droit international privé

  La juridiction compétente

 En droit international privé c’est la juridiction du domicile du défendeur qui est compétente, c’est-à-dire une juridiction de l’État du pollueur et non une juridiction de l’Etat de la victime.

Ajoutons à cela que s’applique le principe d’égalité d’accès et de traitement des non-résidents.

  La loi applicable à la demande d’indemnisation

 C’est le tribunal saisi qui la détermine. Il applique la loi la plus favorable à la victime, même s’il ne s’agit pas de la loi nationale mais de la loi étrangère. Le dernier obstacle n’est pas des moindres : il faudra que le jugement étranger soit exécuté.

 b- La pratique internationale de l’indemnisation

  La complexité de la chaîne des responsabilités

 On constate une grande difficulté pour établir les responsabilités qui se situent dans une chaîne complexe.

 Le propriétaire du navire qui peut être une personne ou une société ne peut faire naviguer son bien qu’après avoir obtenu un certificat de navigabilité d’un bureau international de contrôle. Chaque navire bat pavillon, un État souverain accorde le pavillon a un navire après inspection effectuée par son administration ou par une société  internationale de surveillance.

 L’affréteur est celui qui choisit le navire pour conduire une cargaison qui peut soit lui appartenir ou dont il peut se charger. Dans le cas du Prestige l’affréteur était un courtier en fuite insolvable. Dans le cas d’Erika il s’agissait de Total qui est bien sûr solvable. D’autre part le contrat de transport est conclu entre le courtier et le propriétaire du navire.

Le capitaine décide si son navire peut partir, c’est lui qui décide aussi de s’arrêter ou d’appeler les secours. Le capitaine est le salarié du propriétaire du navire, il est donc dépendant de l’armateur.

Le navire est certifié par une société de classification qui intervient a la demande d’un chargeur ou de l’Etat du pavillon ou plus rarement d’un assureur. Les compagnies pétrolières sont leurs inspecteurs.

 Les autorités portuaires peuvent retenir un navire si elles estiment qu’il est en mauvais état, dans l’Union européenne elles sont tenues d’inspecter au hasard le quart des navires. Les services de secours peuvent, a titre préventif, demander à un navire de changer de route lorsqu’il est jugé dangereux par rapport à des risques de pollution.

Bref, on comprend la difficulté pour établir la responsabilité de chaque intervenant dans cette chaine complexe et les procès difficiles et très longs qui s’en suivent.

  La réparation du dommage écologique : des résistances, des avancées

 On constate une résistance pour consacrer la réparation des dommages environnementaux.

En effet au-delà des opérations de nettoyage, de la réhabilitation du littoral et des ports, du préjudice à la réputation et à l’image des communes touchées, prend-on aussi en compte le dommage écologique ? Dans l’affaire de l’Amoco-Cadiz la juridiction des Etats-Unis (janvier 1988) a refusé d’indemniser la perte subie par la biomasse, cette perte n’étant basée que  sur des  spéculations .

Elle a considéré que les indemnités données aux pêcheurs suffisaient pour les dommages des écosystèmes. Seules les dépenses de réintroduction d’espèces sont remboursées.

On comprend dès lors l’espoir soulevé par l’indemnisation du dommage écologique dans l’affaire de l’Erika. En première instance le tribunal correctionnel de Paris (jugement du 16.01.2008) a conclu à la culpabilité conjointe de l’affréteur (Total), du propriétaire, du gestionnaire et de la société de classification. Tous sont accusés d’imprudence (Total), de négligence et même de fautes caractérisées. Aucun d’eux n’aurait dû faire naviguer un navire aussi vétuste et mal entretenu. Ils sont reconnus coupables de délits de pollution mais surtout le jugement ouvre une porte aux questions posées sur la possibilité d’indemniser non seulement les pertes économiques engendrées par une pollution mais aussi les pertes écologiques lesquelles ne sont pas prises en charge par le FIPOL. Le département du Morbihan en charge de la gestion d’espaces naturels endommagés et la Ligue pour la protection des oiseaux se voient attribuer des indemnités au titre du dommage écologique.

Le procès en appel de l’Erika a eu lieu en novembre 2009, la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 30 mars 2010, elle a confirmé et étendu le  préjudice  écologique.

On peut aussi imaginer ce que pourrait signifier comme difficultés la réparation d’un dommage écologique nucléaire : comment le chiffrer en termes d’atteinte aux écosystèmes à très long terme ? Le problème se pose en particulier pour les dommages liés aux essais nucléaires dont l’indemnisation fera probablement l’objet de rapports de forces et de recours dans les années à venir…

 5-Pour une responsabilité environnementale vis-à-vis des générations futures

 Nous partirons du contenu des droits de l’humanité (a)

et des devoirs de l’humanité (b).

Nous soutiendrons ensuite la consécration de crimes  contre  les générations futures (c) ,

 celle  de crimes contre l’environnement des générations futures. (d),

et enfin la consécration des crimes contre la paix des générations futures.(e).

 

 

a- Les droits communs et les droits spécifiques des générations de l’humanité.

 

Si l’on se base, en particulier mais pas  seulement , sur le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité » ( rédigé en 2015 à la demande du Président de la République, déposé par la France au secrétariat des Nations Unies, soutenu par de nombreux acteurs à tous les niveaux géographiques, pour l’instant non présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies ) on peut affirmer que :

L’ensemble des droits de l’humanité comprend  les droits communs des générations présentes et futures et  les droits spécifiques  des générations passées.

 Les droits communs des générations présentes et futures sont le droit la démocratie, le droit  à la justice, le droit à l’environnement, le droit à la paix. Ces générations ont droit à la consécration et à l’application de ces droits.

 Le droit à la démocratie pour les générations présentes et futures c’est le droit de déterminer leurs destins. Ces générations  bénéficient des droits-libertés des individus et des peuples qui les composent.

Le droit à la justice pour les générations présentes et futures c’est le droit d’avoir une vie digne répondant aux besoins essentiels. Ces générations  bénéficient des droits-égalités des individus et des peuples qui les composent.

Le droit à l’environnement pour les générations présentes et futures c’est le droit de vivre dans un espace qui  permette  la qualité de leur vie et de leur santé. Ces générations  bénéficient des droits-solidarités (droit à un environnement sain, droit au développement durable) des individus et des peuples qui les composent.

Le droit à la paix pour les générations présentes et futures c’est le droit à la sécurité et au désarmement. Ces générations  bénéficient  des droits-solidarités (droit à la paix) des individus et des peuples qui les composent.

  Les générations présentes et futures ont droit à la consécration et à l’application  de nouveaux droits dans l’avenir, droits qui devront être  déterminés démocratiquement.

 On peut ainsi soutenir l’avènement qui a commencé, d’une quatrième génération de droits (après les droits-libertés, les droits égalités, les droits-solidarités),  celle des droits de l’homme, des peuples et donc des générations présentes et futures, face à la puissance de la techno science, qu’il faut et faudra  remettre à sa place, ainsi par exemple par rapport  à des recherches scientifiques portant atteinte à la dignité humaine ou à l’intérêt commun de l’humanité , par rapport aussi  à l’accélération du système productiviste qui tend à porter atteinte  aux  « droits du temps humain »,par rapport demain aux pouvoirs  de robots… 

Les droits spécifiques des générations passées sont le  droit à la préservation, à la mise en valeur, à la transmission des patrimoines  culturels internationaux, continentaux, nationaux, locaux qu’elles ont laissés. Elles ont  en particulier  droit  à la création et à la préservation de lieux de mémoire contribuant  à aller dans le sens de la démocratie, de la justice, de l’environnement ou de la paix.  

 

 b- Les devoirs  par rapport aux droits de l’humanité.

 

 Il faut  rappeler que  pour chaque droit  existe  un  devoir correspondant  de l’appliquer. Le droit international de l’environnement fournit  des exemples de nombreuses faiblesses et de  quelques forces sur ce terrain qui nous intéresse ici.

 Ce devoir a une portée juridique variable. Par rapport aux Etats ces devoirs contenus dans une déclaration internationale sont incitatifs, juridiquement non contraignants comme d’ailleurs les droits énoncés. Par contre dans des conventions il s’agit d’engagements, d’obligations pour des Etats parties. Des conventions, par exemple celle sur les changements climatiques, mettent aussi  en avant le principe des « responsabilités communes mais  différenciées » (article3-1), il serait inéquitable de soumettre les pays en développement aux mêmes obligations environnementales que les pays développés.  

 D’autres acteurs peuvent être expressément visés par des déclarations. La Déclaration de Rio de 1992 en appelle plusieurs fois à «Tous les Etats et tous les peuples » qui ont « le devoir de coopérer », la Déclaration de Stockholm de 1972 en appelle à « l’homme » qui a « le devoir solennel de préserver et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. »D’autres acteurs peuvent être visés par des conventions internationales ou régionales spécifiques  de luttes contre des pollutions ou de conservation de la nature, puisque les  Etats parties vont  les appliquer  dans le droit national, ainsi c’est à partir d’une convention internationale (dont les faiblesses sont cependant graves) que des trafiquants de déchets dangereux peuvent être condamnés.

Mais peut-on parler  aussi des devoirs, ici  au sens d’obligation, des générations présentes envers les générations futures ? On retrouve dans la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (Bonn, 1979) un préambule qui met en avant le fait que « Chaque génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures et a la mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage soit fait avec prudence. » Il s’agit d’une convention à vocation universelle et, comme ses articles, son préambule a valeur obligatoire pour les Etats parties. Certes cette disposition peut-être reprise dans d’autres  déclarations (par exemple celle de Paris en décembre 2015 ) et dans des conventions à venir, il n’en reste pas moins qu’elle  ne pèse pas lourd devant la puissance du productivisme : le devoir, au sens d’obligation, s’il veut avoir quelques chances d’efficacité doit être sanctionné et les moyens d’exercer ces droits et de remplir ces devoirs doivent être précisés en particulier au regard des acteurs les plus puissants(firmes multinationales…).

 

 c- Pour la consécration de crimes  contre  les générations futures

 

(Sur les aspects juridiques de l’humanité voir la thèse de Catherine Le Bris, L’humanité saisie par le droit international public, (LGDJ, 2012.)

(Voir aussi sur la question du droit des générations futures la thèse d’Emilie Gaillard   « Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures .»  (.L.G.D.J, 2011),

 

Une des  idées fortes de cette seconde thèse  est celle d’un  « principe de non-discrimination temporelle : terreau  juridique pour penser les crimes contre les générations  futures ». Ce principe et celui de « dignité des générations futures » « insuffleraient   un nouvel élan qui pourrait se concrétiser par une défense judiciaire des générations futures. »

Nous pourrions  faire de même pour la démocratie et la justice mais nous évoquerons ici uniquement  l’environnement et la paix par rapport aux crimes contre les générations futures.

Il  est intéressant  de partir de la Cour pénale internationale (CPI) pour arriver ensuite à d’autres incriminations relatives à l’humanité dans le domaine de l’environnement et de la paix.

 Dans le préambule du Statut de Rome il est affirmé que les Etats parties sont « Déterminés, à ces fins et dans l’intérêt des générations présentes et futures, à créer une cour pénale internationale permanente et indépendante reliée au système des Nations Unies, ayant compétence à l’égard des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale, »

 Qu’en-est-il , dans le statut de la CPI (Cour pénale internationale) , du crime de guerre environnemental, et qu’en est-il du crime d’agression ?

En premier lieu certes les crimes contre l’environnement sont consacrés de façon spécifique. Il s’agit de l’article 8, paragraphe 2,b, IV du Statut de la CPI : « Constitue un crime de guerre le fait de lancer une attaque délibérée en sachant qu’elle causera incidemment des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu».

Mais, d’une part, ils sont donc consacrés comme crimes de guerre et non comme crimes écologiques, autrement dit dans l’état actuel du droit ces crimes ne sont qu’une forme de crime de guerre. D’autre part cette disposition ne peut être invoquée que dans le cadre des conflits armés internationaux et non pas des conflits internes. Enfin la preuve du caractère intentionnel est certainement difficile à établir, comme d’ailleurs celle de la violation du principe de proportionnalité. Ces dispositions sont donc limitées.

En second lieu, c’est le crime d’agression qui est pris en compte dans le Statut de la CPI. Il a été finalement  défini par l’Assemblée des États parties en 2010 pour la Conférence de révision du Statut de Rome, l’article  8 bis  a été ajouté au Statut . Son paragraphe 1 est le suivant« on entend par «crime d’agression» la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».

Selon le paragraphe 2 du même article 38 bis «Aux fins du paragraphe 1, on entend par «acte d’agression» l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies. Qu’il y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes d’agression au regard de la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 14décembre1974 :

« a) L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État ; b) Le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ; c) Le blocus des ports ou des côtes d’un État par les forces armées d’un autre État; d) L’attaque par les forces armées d’un État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d’un autre État ; e) L’emploi des forces armées d’un État qui se trouvent dans le territoire d’un autre État avec l’agrément de celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l’accord pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce territoire après l’échéance de l’accord pertinent ; f) Le fait pour un État de permettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, serve à la commission par cet autre État d’un acte d’agression contre un État tiers ; g) L’envoi par un État ou au nom d’un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées d’une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours substantiel à de tels actes.»

La CPI  est compétente pour juger un acte d’agression, si elle a été saisie par le Conseil de Sécurité, en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Le Procureur est autorisé à ouvrir une enquête de sa propre initiative ou à la demande d’un État Partie. Au préalable, il devra avoir obtenu l’autorisation de la Section préliminaire de la CPI. Mais  cet élargissement des compétences de la CPI au crime d’agression n’interviendra que  le 1er janvier 2017, lorsqu’ une décision sera prise par la majorité des États Parties, nécessaire  pour l’adoption d’amendements.

 Outre ces obstacles, la paix n’est pas prise dans son ensemble, une raison de plus pour ne pas passer à côté d’une protection plus large des générations futures. Nous quittons donc le Statut de la CPI et nous sommes dans le droit prospectif par rapport aux générations futures.

d-   Pour la consécration des crimes contre l’environnement des générations futures.

Pour aller plus loin sur le plan de la CPI  il s’agirait   de définir un nouveau crime international, le crime contre l’environnement, cela en période de conflit armé et, aussi, en période de paix. Ce dernier point est conforté par le fait que le crime de génocide se situe en période de guerre mais aussi  de paix. La liste des crimes internationaux sanctionnés par la CPI serait  alors celle des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, de crime de génocide, de crime d’agression, et donc seraient  pris aussi en compte  les crimes contre l’environnement. Cette avancée pourrait prendre la forme, par exemple, d’un article rajouté au  Statut de la CPI (Statut de Rome en 1998, entré en vigueur en 2002, en janvier 2015 le nombre d’Etats parties était de 123).

 Que pourrait-on proposer pour avancer dans la consécration des crimes contre l’environnement des générations futures ?

C’est un crime qui a très certainement une spécificité, celle d’effets environnementaux et sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le temps. Ainsi l’enfouissement non réversible des déchets radioactifs est un exemple impressionnant. Les personnes physiques et morales responsables pourraient être condamnées. On peut  imaginer aussi une condamnation symbolique morale des générations présentes pour non-assistance à  générations futures en danger. Tout cela reste à penser puis à préciser. Il  est déjà tard mais sans doute toujours temps.

 

e-  Pour la consécration des crimes contre la paix des générations futures.

 Comment consacrer  les crimes  contre la paix des générations futures ?  En élargissant le domaine de la paix qui est aussi celui du  droit à la sécurité et du droit au désarmement pour les générations futures. Ainsi les recherches, la mise au point, la fabrication, l’utilisation, le commerce des armes de destruction massive existantes (nucléaires, biologiques, chimiques) et à venir devraient être qualifiés de crime contre la paix des générations présentes, des générations futures  et du vivant.

C’est un crime qui, comme le précédent, a très certainement une spécificité, celle d’effets environnementaux et sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le temps. On détruit la sécurité, la  liberté de choix, la vie de générations futures.

 6-Des  systèmes possibles de personnalité juridique, de représentation, de juridiction  relatifs à l’humanité et à la nature.

Il s’agit donc de droit prospectif.

  L’humanité  devrait avoir la  personnalité juridique pour défendre ses droits. L’affirmer c’est primordial, elle a dans son ensemble des droits et des devoirs, on a vu aussi qu’ils se définissent par générations, les générations passées n’ont plus de devoirs mais elles ont des droits, ceux de l’entretien et de la mise en valeur de leurs patrimoines naturels et culturels. Les générations présentes  ont des droits et des devoirs, les générations futures ont et auront des droits et auront des devoirs. Cette complexité n’est que le reflet des générations  qui se succèdent dans le temps.

 La nature n’a-t-elle pas droit  à ce que soient respectés  son existence,  ses  fonctions, ses processus évolutifs ?  Si elle a des droits elle doit pouvoir les défendre. Il nous semble plus porteur que ce soit le vivant, c’est-à-dire l’espèce humaine, les animaux et les végétaux, qui puisse  être pris en compte et représenter l’ensemble de la nature. C’est au nom de la conscience du vivant que l’ensemble de la nature est défendu.

Le fait que l’humanité  et le vivant soient côte à côte n’est pas que symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe, ce qui n’empêche pas  leurs spécificités.

La représentation de l’une et de l’autre est une difficulté connue. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c’est-à-dire  ce qui existe (c’est déjà difficile) et aussi ce qui n’existe plus et ce qui n’existe pas encore ? Représenter une telle totalité dans le temps a ses limites. Nous avons déjà du mal à réaliser des découvertes de plus en plus lointaines de l’ existence  de générations passées, quant aux générations futures, notre descendance humaine, l’avenir seul parlera même si les prévisions les plus sombres existent, par exemple celle d’un scientifique australien  connu, Frank Fenner ,  qui déclarait en 2010: « Le destin de l’homme est déjà scellé, il est trop tard, dans moins de cent ans les sociétés humaines ne seront plus. » Il n’était pas le premier à le dire, ni les derniers ceux qui lui répondent que l’espoir restant est, entre autres, celui d’une « métamorphose de l’humanité » à travers des volontés massives de changements massifs.

Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question de la représentation. En effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds marins ? Les Etats ont répondu par un tour de passe passe. Humanité es-tu là ? Pas de réponse. Il est donc logique que nous, Autorité des fonds marins, nous décidions à la place de l’humanité irreprésentable puisque nous sommes Etats parties à la Convention sur le droit de la mer.

Lorsqu’un jour il sera question de représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée générale des Etats de l’Organisation mondiale de l’environnement(OME), si elle voit le jour et si c’est elle qui est déclarée compétente, suffise à le faire. Il sera souhaitable, au moins à titre consultatif ou au mieux participant à un vote complexe, qu’interviennent aussi des acteurs au sein de l’OME et/ou en dehors d’elle, que des imaginations citoyennes et  diverses disciplines peuvent commencer à penser. « L’utopie ou la mort » disait avec force René Dumont, l’utopie non pas celle des nuages mais celle qui prend les moyens de se réaliser.

L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au nom de l’humanité et du vivant,  engager un recours devant la justice mondiale, une juridiction spécifique  serait créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME). Tout cela sera le produit des rapports de forces et des pédagogies (?) des catastrophes, le produit aussi de la cohérence des juridictions internationales.

En attendant, sur le terrain, des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, qui de plus en plus nombreux en particulier sur la justice climatique, participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé à Quito en octobre 2012 , « le tribunal pour les crimes contre la nature et le futur de l’humanité »,des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont éthiques, morales, elles peuvent en préparer d’autres si des tribunaux nationaux, régionaux, internationaux finissent par être saisis.

 

 

 

Remarques  terminales de l’ensemble des cinq articles (ou des cinq parties)

 

 Nous ferons un récapitulatif des cinq parties de l’analyse (1),

 enfin   nous soulignerons quelques éléments prospectifs (2).

 1- Un récapitulatif des cinq parties de l’analyse

 -Dans une première partie

 

Nous sommes d’abord partis d’une synthèse des grands traits de la responsabilité, nous avons en particulier rencontré l’évolution de ce principe, plus précisément encore son extension dans l’espace et le temps.

Il a été constaté  ensuite que la responsabilité  environnementale avait une spécificité importante marquée surtout par une multitude d’interactions, par l’incertitude, par l’accélération  et  par  le long terme.

 

-Dans une seconde partie

 

Nous avons d’abord  essayé  de dresser une liste des responsabilités de la débâcle écologique dans le temps depuis l’anthropocène  jusqu’à nos jours. De nombreux acteurs ont été dénoncés surtout les plus puissants. Nous avons aussi raisonné en termes de générations. 

A été ensuite souligné un ensemble de critères de détermination des responsabilités. 

 

-Dans une troisième  partie

 

Nous avons examiné d’abord la responsabilité morale  dans un certain nombre de grandes philosophies avec en particulier les rapports entre la liberté  et la responsabilité et les rapports entre l’être humain et la nature.

Il a été  proposé ensuite une synthèse de la philosophie du « Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. » Elle veut penser une éthique du  futur.

 

-Dans une quatrième partie

 

Nous avons examiné d’abord la responsabilité politique sous l’angle global de la construction dune politique de protection environnementale.

Il a été ensuite récapitulé les données d’une démocratie représentative et participative nécessaire en particulier à  une politique environnementale. Nous avons enfin rappelé un ensemble de procédures pouvant mettre en cause cette responsabilité politique.

 

-Dans une cinquième partie

 

Nous avons d’abord rappelé le droit de la responsabilité environnementale en général, tant civile que pénale, et évoqué   droit interne et européen.

Il a été ensuite fait une synthèse de la responsabilité en  droit international de l’environnement en proposant de construire un droit des générations futures. 

 

 2-Continuer à  construire, encore et  toujours ,  la responsabilité

 -Construire, encore et toujours, la responsabilité dans  l’espace.

 

La faute, le risque doivent continuer à avancer dans leurs domaines ,

de même le fait de prendre en compte le vulnérable, le fragile.

Ainsi la responsabilité arrive dans l’ensemble du vivant.

Les acteurs du plus petit au plus grand sont appelés à cette construction.

 -Construire, encore et toujours, la responsabilité dans le temps.

 La prise en compte des générations  passées doit se développer au nom de la responsabilité par rapport à la  préservation  du patrimoine culturel qu’elles nous laissent. Cela aussi au nom de la fraternité transgénérationnelle.

 La prise en compte des générations futures doit se développer au nom de la responsabilité de consacrer et de préserver  leurs droits en particulier celui à  l’environnement et celui à la  paix. Cela aussi au nom de la fraternité transgénérationnelle.

 

Le principe de responsabilité et le principe de fraternité ne doivent-ils pas cheminer côte à côte ?

Ne doivent-ils pas s’interpeller, se compléter, s’appuyer l’un sur l’autre, et finalement s’incliner l’un vers l’autre?