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au trésor des souffles

monde: son état, ses devenirs

l’accélération

Cher visiteur, chère visiteuse de ce site  : s’il y a  un phénomène qui traverse une partie ou une grande partie de nos vies personnelles et collectives c’est bien celui là ! D’où l’importance d’essayer de le penser, dans le sillage de nombreux auteurs et à partir de différents vécus.

 

Introduction

Partir de l’Univers(1) en passant par la Terre(2) pour arriver jusqu’aux  mythes(3), n’est-ce pas  une façon de prendre conscience de l’ampleur gigantesque de ce phénomène qu’est l’accélération ?

 Puis, juste avant de proposer une démarche en trois temps(6), nous n’oublierons pas de souligner quelques ouvrages clefs(4) puis  de souligner ce que l’on entend par « système mondial.»(5)

 

1- L’ampleur incommensurable de l’accélération dans le cosmos : vers l’inconnu ?

 

  1. a) L’Univers est dans une phase d’expansion accélérée. «Il y a donc  en permanence émergence d’espace-temps, ce qui conduit à un Univers au renouvellement perpétuel. L’évolution de l’Univers  semble s’opposer au concept de mort. Même si on allait vers un Univers totalement vide qui ne contiendrait plus rien… », voilà ce que pense Jean-Michel Alimi, directeur du laboratoire des théories de l’Univers de l’Observatoire de Paris Meudon (revue Science et Vie, septembre 2009.)
  2. b) Pourtant on ne sait pas, aujourd’hui en 2015, ce quiprovoque l’accélération de  cette expansion. Les cosmologistes ont nommé cette cause « énergie noire », mais, en ces débuts du XXIème siècle, nous ignorons  sa nature. Jean-Michel Alimi continue « Il est donc difficile d’affirmer que l’expansion accélérée de l’Univers va se poursuivre éternellement. Les choses pourraient finir par être très différentes », autrement dit : il existe une incertitude sur le devenir immensément lointain de cette accélération  de l’Univers.

 

2-L’ampleur gigantesque de l’accélération sur notre Terre : une crise du temps

 

Il y a, à la fois, un temps de crise et une crise du temps.

  1. a) Le temps de crise est celui du système productiviste terricide (qui assassine la Terre) et humanicide (qui assassine l’humanité) (ces deux mots «  inventés » ne  mériteraient-ils pas d’être plus utilisés ?). Cette crise, dont  les logiques de fuite en avant commencent avec la colonisation(XVIème), se développe en 1945 avec le nucléaire, symbole d’une techno-science qui ne se donne plus de limites, et cette crise devient peu à peu multidimensionnelle c’est-à-dire politique, économique, sociale, écologique, culturelle cela depuis sept décennies (1945-2015 ), c’est la crise radicale de tout un système. Le mot « crise » explose sur la planète après le premier choc pétrolier en décembre 1973 et aussi  après le début de la crise financière en juillet  2007.
  2. b) C’est également une crise du temps qui se manifeste par une double collision gigantesque :

 collision entre une planète finie, limitée et des activités humaines se voulant infinies, à travers une croissance se voulant illimitée,

  collision entre les temps rapides de la techno-science et du marché et ceux, plus ou moins lents,  quelquefois très lents, des écosystèmes.

 

3- Les mythes, les anticipations et l’accélération

 

  1. a) Du point de vue des mythes ne sommes-nous pas ramenés et confrontés au mythe grec de Chronos, ce dieu du Temps qui avait dévoré ses enfants pour mieux assurer son pouvoir ? Chronos,  par cet infanticide, d’une certaine façon  effaçait  le futur.  Aujourd’hui  les générations présentes, en particulier à cause de l’état de la biosphère, laissent-elles  un peu, beaucoup ou  très peu de temps  et de libertés aux générations futures ?
  2. b) Du point de vue des anticipations nous ne citerons ici que  » Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley en 1932 (par exemple Pocket, 2002), ouvrage dans lequel  l’auteur montre, entre autres, que le resserrement du temps est loin d’apporter la sérénité. On est confronté au stress temporel, à la dictature de l’urgence.

En mémoire nous revient ce film court-métrage  dans lequel un individu était, par  accident, « sorti du temps » et se retrouvait au centre d’une immense place d’une grande ville pendant quelques  minutes ! Il accélérait ses actes pour pouvoir à chaque fois les rendre un peu plus nombreux et différents dans ce temps compressé.

 

4-Quelques ouvrages importants relatifs à l’accélération

Nous retrouverons ces auteurs et d’autres que nous citerons  dans les réflexions qui suivent, il est cependant utile de resituer, dès le départ, les pensées de quelques-uns d’entre eux.

  1. a) Parmi les ouvrages qui font date quant à  cette accélération, ceux d’abord de Paul Virilio, urbaniste et philosophe, qui avance ses analyses inquiètes depuis plus d’une quarantaine d’années, c’est l’un des plus grands penseurs de la vitesse dans nos sociétés, ainsi par exemple  «Vitesse et politique. » (Galilée, 1977), « Le Grand Accélérateur » (Galilée, 2010), il affirme en particulier que « quand il n’y a plus de temps à partager il n’y a plus de démocratie possible ».
  2. b) C’est aussi Jean Chesneaux, historien qui, dans « Habiter le temps », (Bayard, 1996) affirmait « Nous sommes à la fois obsédés du temps présent et orphelins du temps à venir. Notre existence tend à se dissoudre en un zapping permanent, nos sociétés sur-programmées sont bloquées dans l’immédiat, notre devenir historique se brouille ».
  3. c) Le sociologue allemand Harmut Rosa, dans son ouvrage « Accélération. »(La Découverte 2010) affirme qu’à l’accélération technique, et à celle des  rythmes de vie, s’ajoute une accélération sociale, il élabore une « critique sociale » de cette « compression du présent ».
  4. d)  Nicole Aubert, sociologue et psychologue, dans  « Culte de l’urgence. La société malade du temps » (Flammarion 2003) dénonce, elle aussi, cette dictature de l’urgence  et  met en avant un certain nombre de possibilités d’y échapper.
  5. e) Enfin  Lamberto Maffei , neuroscientifique italien, dans « Hâte-toi lentement »(FYP,2016) montre que la nature de notre cerveau n’est pas adaptée à ce temps qui se réduit , »il faut redonner la priorité au temps du cerveau plutôt qu’à celui des machines », il invite à une civilisation de la réflexion   basée entre autres sur le langage et l’écriture. 

 

5- Par « système mondial » nous entendons  l’ensemble des acteurs, des lieux, des activités du monde contemporain de 1945 à nos jours. Ce sont surtout la  mondialisation et le productivisme qui caractérisent ce système mondial.

 

  1. a) La mondialisation (voir l’article précédent sur ce site) se manifeste sous différentes formes.  La mondialisation financière, fondée  sur la recherche du profit,  se manifeste surtout par la puissance des marchés financiers, des marchés boursiers et des banques.  La mondialisation économique fondée sur le libre-échange,  se manifeste  surtout par la puissance des firmes géantes. La mondialisation techno scientifique, fondée sur un développement continuel des recherches et des technologies,  se manifeste surtout par les réseaux scientifiques et la publicité des  technologies toujours à renouveler. La mondialisation culturelle, fondée sur les productions et les créations culturelles, reflets  d’une uniformité très forte et de diversités plus ou moins nombreuses, se manifeste surtout par la puissance des grands groupes médiatiques. La mondialisation juridique, se traduit par une mondialisation du droit, par exemple correspondant  à un grand nombre de traités bilatéraux, sous-régionaux, régionaux et internationaux,  elle se manifeste aussi par un droit de la mondialisation, par exemple le  droit de l’Organisation mondiale du commerce. La mondialisation idéologique se traduit en particulier sous la forme de ce que l’on appelle  la « pensée unique »   produite par le libéralisme économique qui met en avant la compétition, le culte de la croissance, la toute-puissance de l’économie sur la politique. On pourrait ajouter à cela d’autres  formes de mondialisation, quelquefois importantes pour changer des situations, par exemple les manifestations non-violentes sur les places de villes, des formes de mondialisation  quelquefois originales, par exemple une certaine mondialisation de l’humour.

 b)Le  système productiviste (voir l’article précédent sur ce site) repose sur des logiques profondes qui s’appellent la recherche du profit, l’efficacité économique, le culte de la croissance, la course aux quantités, la conquête de parts de  marchés, la domination sur la nature, la marchandisation du monde, l’expropriation des élu(e)s et des citoyen(ne)s, le court terme, la compétition et donc  l’accélération qui fait l’objet de cette réflexion. Ce système mondial va des plus petits acteurs, donc de « nos vies personnelles », jusqu’aux plus puissants (grands Etats, grandes villes, techno science, mondes médiatiques, firmes multinationales…) qui, de différentes façons, participent à « nos vies collectives.»

 

6-L’annonce du plan proposé

 Pour essayer d’avoir une analyse globale, critique et créatrice, nous envisagerons tour à tour l’histoire et les causes de l’accélération du système mondial (I),

les manifestations et les effets de ce phénomène (II),

des réponses pessimistes et des réponses  volontaristes face à l’accélération du système mondial (III).

 

Il faut cependant souligner qu’entre les causes, les manifestations et les  effets, les distinctions ne sont pas toujours évidentes, il n’y a pas de cloison étanche et les interactions sont multiples, ce qui rend le phénomène d’autant plus impressionnant.

 

 

I- L’histoire et les causes de l’accélération du système mondial

 

 

Quelle est l’histoire (A)

 et quelles sont les causes (B) de ce phénomène gigantesque ?

 

 

A- Une idée de l’histoire de l’accélération du système mondial

 

 

Cette histoire se manifeste surtout par quatre évènements majeurs : l’explosion démographique et l’urbanisation vertigineuse(1),  l’accélération de la techno-science et du marché mondial(2).

 

1)  L’explosion démographique et  l’urbanisation vertigineuse

 L’explosion démographique est un phénomène qui continue depuis 1800

 a)Il a fallu 2 millions d’années pour arriver au premier milliard d’habitants en 1800, il a fallu seulement 210 ans pour avoir une population sept fois plus élevée, sept milliards d’habitants en 2011.

 

  1. b) Aujourd’hui fin 2020 l’explosion démographique est toujours impressionnante

L’explosion continue, en janvier 2019  il y avait 7,63 milliards d’habitants, Chaque année à peu près 139 millions de naissances, 57 millions de décès, soit un accroissement de 82 millions de personnes de la population mondiale.

Chaque jour approximativement 380.000 naissances, 156.000 décès, donc un accroissement de 224.000 personnes, (soit l’équivalent de Limoges et de son agglomération)

De façon peut-être plus parlante, chaque seconde en 2019 : 4,4 naissances, 1,8 décès, donc un accroissement de 2,6 . 

 

 

b)La situation mondiale de l’habitat est liée en particulier à cette explosion démographique, le monde s’urbanise, multiplie les mégalopoles, se bidonvillise, se fragilise.

 Chacune de ces  situations, à sa façon, est porteuse d’accélération du système urbain, par exemple la rapidité des rythmes de vies dans les mégalopoles, dans les grandes villes et, à un moindre degré, dans les villes moyennes.

 

 

2) L’accélération de la techno-science et  du marché mondial

 

 

  1. a) La techno-science se développe lentement entre 1780 et 1850. A partir de 1880 jusqu’à 1914 elle s’accélère avec l’arrivée de la radio et celle des voitures. Elle va plus vite entre 1914 et 1945, enfin de 1945 à nos jours elle atteint une rapidité incroyable avec l’explosion des médias et de l’informatique,  sa mondialisation est plus ou moins  rapide selon les lieux.

  Une  réalité symbolise cette accélération : entre l’arrivée de la radio à la fin du 19ème et sa diffusion à 50 millions de personnes il y a eu 40 ans, par contre entre l’arrivée de la connexion à internet et la connexion à 50 millions de personnes il y a eu 4 ans ! D’autre part le nombre de terriens ayant un téléphone portable était de  l’ordre de 75% en 2012.

 L’exemple des transports est également des plus connus : il y a 150 ans il fallait  trois jours pour aller de Limoges à Paris, aujourd’hui 3 heures, il fallait quinze jours pour aller de Limoges à Rio, aujourd’hui 7 heures.

 

  1. b) Le marché mondial s’est accéléré. D’une part les firmes multinationales se sont internationalisées à partir des années 1960, la production a été plus rapidement disponible, la consommation a été portée très vite par la publicité, une course aux quantités les  a accompagnées.

 Le marché a imposé sa rapidité, ainsi les « flux tendus » sont un des symboles de cette accélération économique, de même la flexibilité, et dans l’espace et dans le temps, qui est synonyme d’adaptation de l’être humain au marché « Etre ou ne pas être flexible ! » nous dit souvent le marché.

La militarisation d’une partie de la science et de l’industrie participe à cette accélération, les armes sont de plus en plus mobiles, rapides et puissantes.

D’autre part, après la fin de la convertibilité du dollar en or décidée par les Etats-Unis le 15 août 1971(date capitale), la spéculation sur les monnaies est devenue plus forte, il y a eu une montée du système bancaire  et des marchés boursiers, le domaine financier s’est plus ou moins séparé de l’économie avec des logiques spécifiques de fructification des patrimoines, les spéculateurs ont voulu gagner de plus en plus d’argent de plus en plus vite et, comble du comble, les marchés financiers fonctionnent aujourd’hui à la seconde ou à la nanoseconde.

 Certains insistent sur le fait que ces marchés « ne supportent pas le temps démocratique qui ne va pas assez vite » (voir par exemple Patrick Viveret, entretien Mediapart, du 19-11-2011.)Ainsi « 70% des transactions aux Etats-Unis et 50%  en Europe sont réalisés par des automates. »Lorsqu’on affirme, selon l’expression consacrée, qu’il faut « rassurer les marchés », il serait plus proche de la vérité de dire qu’il faut « rassurer ces automates ».On retrouve bien sûr ici la réalité  de la technique qui nous échappe et qui devient autonome, réalité très  présente en particulier dans l’œuvre de  Jacques Ellul (voir par exemple « Le système technicien », Calmann-Lévy, 1977).

Telle est, très résumée, cette histoire de l’accélération, quelles en sont les causes ?

 

 B- Les causes de l’accélération du système mondial

 

Partons  de la cause générale(1) pour aller vers des causes particulières(2).

 

1) Une cause générale: les logiques de la fuite en avant  du système productiviste

 

 Le productivisme c’est un système qui apparait à la fin du Moyen Age (milieu XVème siècle), qui se développe sous la révolution industrielle (milieu XVIIIème en Angleterre et début XIXème en France)  et qui se mondialise au XXème et au début du XXIème siècle. Ce système repose sur des logiques profondes.

  1. a) Ces logiques s’appellent la recherche effrénée du profit, la course à la marchandisation du monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions d’armes conventionnelles et d’armes de destruction massive, la croissance sacrosainte, la vitesse facteur de répartition de richesses, de pouvoirs, de savoirs, la dictature du court terme, le vertige de la puissance, la compétition élevée au rang « d’impératif naturel »  de nos sociétés.
  2. b) Cette fuite en avant est, aussi, celle d’une machine à gagner qui devient de plus en plus  une machine à exclure, elle fonctionne comme une lame gigantesque mettant d’un côté ceux et celles dont les besoins fondamentaux sont plus ou moins satisfaits et, de l’autre, ceux et celles, qui sont de très loin les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.

 

2) Une énumération indicative des causes de l’accélération

 

  1. a) Ces causes sont connues et nombreuses : la généralisation du règne de la marchandise toujours à renouveler, une tendance à l’auto reproduction d’une techno-science qui se dépasse continuellement, la circulation rapide d’informations, de capitaux, de produits et de services, les déplacements de plus en plus nombreux et rapides des êtres humains, la croissance de la population en particulier dans les mégalopoles, l’empilement des bureaucraties qui tendent à dessaisir les citoyen(ne)s, la prise de conscience de la fragilité du système international, les discours sur la compétition.

 

  1. b) Parmi ces causes l’arrivée des technologies del’information et de  la communication qui ont eu un grande influence. La vitesse de circulation de l’information entraine une généralisation de l’instantanéité et de l’immédiateté, c’est le culte de l’urgence qui domine sur les écrans. Ces nouvelles technologies sont censées libérer du temps, en fait elles  demandent parfois voire souvent encore plus de temps et participent ainsi à l’accélération générale.

 

 II- Les manifestations et les effets de l’accélération du système mondial

 

Nous envisagerons tour à tour les manifestations(A)

 puis les effets(B) du phénomène.

 

 Nous constaterons d’ailleurs que les causes soulignées plus haut et les manifestations se recoupent souvent, de même il n’est pas toujours évident de distinguer les manifestations et les effets. Encore une fois ces confusions lorsqu’elles existent montrent  , si besoin était, les aspects diffus et envahissants de ce phénomène gigantesque.

 

 

A- Les manifestations de l’accélération du système mondial

 

Partons d’une énumération indicative(1) pour mettre ensuite en avant l’exemple très impressionnant de l’environnement(2).

 

 1) Une multitude de manifestations de l’accélération du système mondial

 

  1. a) Une accélération technique : ainsi l’accélération des transports, par exemple la Terre, affirment des scientifiques, semble  60 fois plus petite qu’avant la révolution des transports, ainsi l’accélération des communications qui met en avant une priorité et une célébration de l’immédiat.

 Ainsi des techniques qui brouillent les échelles du temps humain, certains déchets nucléaires sont là pour un temps incommensurable, des voyages dans l’espace seraient très longs et, à l’autre extrême, voilà le temps miniaturisé à travers l’informatique, par exemple le temps des marchés financiers…

 

  1. b) Une accélération des rythmes de vie : dans les villes, surtout les mégalopoles, et dans une mesure  variable dans d’autres villes, on court après le temps avec mille sollicitations et mille priorités, les déplacements sont plus ou moins  incessants, ils représentent une sorte « d’obligation de mobilité. »

 L’exemple des repas symbolise cette rapidité des rythmes de vie, ils sont pris  souvent en  un quart d’heure, dans des fast  food ou même en dehors de ces restaurations rapides.

 A cela il faut ajouter les « doubles journées » de nombreuses femmes, accompagnées de multiples  stress qui, après le travail, continuent à la maison   à travers l’éducation des enfants et  les travaux ménagers.

 

  1. c) Une accélération sociale et culturelle :  on constate que « l’on change », plus souvent qu’autrefois, de conjoints, d’amis, de métiers, de logements…

 C’est le règne d’une certaine précarité ou d’une précarité certaine selon les situations, la flexibilité est, elle aussi, omniprésente. On se sent souvent stressé, sous pression, menacé dans son travail. Si on s’arrête de   « courir » on peut alors basculer dans le chômage, dans la précarité.

 Quant à l’exclusion c’est une forme du « degré zéro » de la citoyenneté et de la temporalité, la capacité de se penser dans la durée ne dépasse pas alors  le plus souvent quelques jours.

 

  1. d) Une accélération politique. L’urgence est devenue une catégorie centrale du politique, des élu(e)s et des citoyen(ne)s ont souvent « le nez sur l’urgence »au détriment de politiques à long terme.

 Dans cette accélération il faut souligner l’exemple de l’assistance humanitaire dans laquelle on prend en compte les souffrances du moment, et c’est légitime, mais il arrive aussi que l’on fasse silence sur les responsabilités passées et sur les projets politiques pour changer les situations.

  1. e) Une accélération juridique. Certains auteurs ont analysé en profondeur les rapports entre le droit et le temps, ainsi au niveau général François Ost « Le temps du droit »(Odile Jacob,1999),

ainsi au niveau d’une discipline juridique Monique Chemillier-Gendreau, « Le rôle du temps dans la formation du droit international »( Pedone,1987), Jessica Makowiak, « A quels temps se conjugue le droit de l’environnement ? », (Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, 2007, p. 263-295).Ces auteurs ont contribué à penser entre autres l’accélération.

De façon plus spécifique des séminaires ont donné lieu à la publication d’un ouvrage sous la direction de Philippe Gérard, François Ost, Michel van de Kerchove « L’accélération du temps juridique » (Publications des Facultés universitaires Saint-Louis Bruxelles, 2000).

Nous ferons ici quatre remarques trop courtes, il faudrait les confirmer et les infirmer en tout ou partie par rapport aux continents, aux pays, aux domaines d’activités, aux sources de droit, aux disciplines juridiques…

 

En premier lieu jusqu’en 1945 le droit était souvent synonyme de temps plus ou moins long, de loi « gravée dans le marbre »,de loi stable, d’une certaine sécurité juridique, d’un judiciaire rattaché surtout au passé, d’un exécutif rattaché surtout au présent, d’un législatif rattaché surtout au futur, tout cela avec plus ou moins de retards, de blocages…

 

En second lieu à partir de 1945 et surtout à partir des années 1960 on passe à un droit construit souvent sur des terrains argileux ou mouvants, le phénomène de l’accélération juridique a eu pour causes, entre autres, la mondialisation du droit(multiplication des traités…)et un droit de la mondialisation(commerce international…),la création et/ou le développement des divers ordres juridiques(locaux, nationaux, régionaux, international), l’accélération de la techno science, les crises et bouleversements financiers ( des marchés mondiaux fonctionnant pour partie à la nanoseconde), économiques, sociaux, culturels, écologiques, une arrivée du droit dans les mondes médiatiques très liés, eux, à l’immédiateté …

En troisième lieu les manifestations juridiques principales de cette accélération s’appellent une urgence prenant de plus en plus de place, une précipitation et une improvisation de règles, une inflation de textes s’accumulant en peu de temps dans un domaine donné, une rapidité d’adoptions, de modifications, d’abrogations de textes, une arrivée des experts dans la formation du droit qui devient ici et là plus un cheminement en liens avec des données scientifiques qu’une décision affirmée à un moment donné voulant stabiliser en partie le futur…(sur ce point voir l’article de Monique Chemillier-Gendreau, « La création de « normes » par les institutions des conventions » in Conventions de protection de l’environnement, sous la direction de l’auteur de ce blog, éditions Pulim, 1999).

 

En quatrième lieu parmi les questions posées qui nous semblent les plus vitales : si l’on pense que le droit doit participer à une certaine maitrise du  temps, comment dans tel ou tel domaine articuler stabilité, c’est-à-dire un minimum de durée, et changements, c’est-à-dire des réponses à de nouvelles nécessités sanitaires, environnementales, sociales, économiques, et avec quelles hiérarchies entre ces nécessités ? Si l’on pense que le droit doit contribuer à faire face aux urgences la question du «faire face pour qui ? » n’est-elle pas celle de la démocratie, ne faut-il pas distinguer par exemple entre l’urgence du profit et celle de la protection de la nature ? Si l’on pense que le droit doit contribuer à dégager des politiques à long terme le concept d’intérêt commun de l’humanité, lié à une responsabilité intergénérationnelle, ne doit-il pas peu à peu être mis en avant, au-delà des intérêts privés, des intérêts nationaux, des intérêts communs, par exemple dans une consécration comme norme impérative de droit international général (jus cogens) ? Le champ du droit international serait alors structuré, les autres ordres juridiques aux différents niveaux géographiques auraient davantage de sens, le droit contribuerait, à sa mesure, à retrouver la maitrise de ce temps qui nous échappe, temps emporté par le marché et la techno science.

 

 

2-L’exemple de l’environnement : l’accélération, une machine infernale

 

 

  1. a) L’accélération fonctionne ici comme une sorte de machine infernale qui comprend quatre mécanismes :

 Le système international s’accélère dans son ensemble,

 Penser et  faire accepter les réformes et les remises en cause environnementales prend du temps,

 l’aggravation de la dégradation rend les urgences omniprésentes,

 la mise en œuvre des politiques environnementales demande du temps…

or le système international s’accélère.

Intellectuellement et affectivement cette « machine infernale » a quelque chose de déstabilisant, elle signifie de façon impressionnante qu’il n’est pas sûr que les générations futures  aient beaucoup de temps devant elles pour remonter la pente de la débâcle environnementale.

 

  1. b) Ajoutons à cela qu’en matière environnementale il y a de véritables bombes à retardement, elles mettent du temps à se préparer mais elles peuvent soit continuer sous la forme de  pollutions diffuses soit  exploser violemment et basculer dans l’urgence, ainsi de véritables Tchernobyls sous-marins  se préparent, par exemple dans la mer de Kara qui borde l’Océan Arctique, et çà n’est pas un cas isolé, le Pacifique et l’Atlantique ont eux-mêmes leurs menaces et leurs drames en route.

 

  1. c) Il existe un divorce très impressionnant dans ce domaine comme dans d’autres : alors que la dégradation environnementale s’accélère  et atteint ici et là des seuils d’irréversibilité, il est fréquent de constater que des conférences internationales décident … que l’on décidera plus tard, « A l’auberge de la décision les gens dorment bien » dit un proverbe.

 Cela signifie que plus l’on attend plus  les solutions devront être de plus en plus radicales et massives si l’on veut ralentir puis remettre en cause la dégradation de l’environnement.

Rappelons, exemple hurlant , que c’est en 1972 à la Conférence de Stockholm qu’est évoqué pour la première fois au niveau de tous les Etats le danger du réchauffement climatique, qu’il faut attendre 1992 pour voir une convention, 1997 pour qu’arrive son protocole, 2005 pour qu’il entre en vigueur, 2015 pour un nouvel accord qui entrerait en vigueur en 2016(miracle de rapidité),

soit au total 44 ans  pour faire les premiers pas !

 Merci les forces des mécanismes du productivisme, les Etats vous remercient !

Merci les Etats, les peuples vous remercient !

Merci les générations présentes, les générations futures vous remercient !

 

 

B- Les effets de l’accélération du système mondial

 

Ces effets s’exercent à l’encontre de l’ensemble de la société(1) et à l’encontre des personnes(2).

 

 

1) Les effets  de l’accélération sur l’ensemble de la société

 

 

  1. a) L’accélération porte atteinte à la démocratie. En effet la vitesse a quelque chose de contraire à la démocratie qui est synonyme  de discussions, de  temps pris pour arriver à des compromis, à des partages des décisions. Or le temps politique est court-circuité par le temps marchand, par le temps économique, par la vitesse des transactions financières. Paul Virilio  affirme en particulier que « quand il n’y a plus de temps à partager il n’y a plus de démocratie possible ».

Il y a donc une  sorte de « désynchronisation » entre le domaine politique et le domaine  économico-financier.

 Dans un raccourci trop rapide (lui aussi…)on peut également affirmer que les Parlements sont court-circuités par les exécutifs plus rapides qui, eux-mêmes, sont court-circuités par les marchés financiers encore plus rapides.

Avec cette puissance et cette rapidité des marchés financiers Il y a aussi une  certaine désynchronisation entre l’économie réelle et l’économie virtuelle, cela ne favorise probablement  pas la clarté démocratique.

 

  1. b) L’accélération a  aussi des effets sur le travail. Bien sûr on pense d’une façon générale à la machine qui libère l’homme de multiples tâches pénibles ou dangereuses. Mais le tableau est plus complexe.

 Il y a un raccourcissement des temps d’intégration et de socialisation, il y a également une flexibilité qui peut faire disparaitre des liens sociaux, qui peut déstructurer du « collectif », sans oublier les effets certes sur les créations mais aussi sur les suppressions d’emplois, et les effets de ces techniques sur l’adaptation à de nouvelles conditions de travail porteuses de multiples tensions.« J’aimais  mon travail, mais je n’aime plus mes conditions de travail » entend-t-on souvent dire, « on me demande de faire plus en moins de temps » est une plainte omniprésente.

 N’y a-t-il  pas, en fait, souvent  deux séries de situations? Des personnes surchargées de travail (le rendement des actifs) et d’autres personnes exclues du système d’accélération (les chômeurs, les retraités).

Les choses sont cependant encore une fois plus compliquées puisque les actifs peuvent avoir une accélération qui est remise en cause (dépression,  syndrome d’épuisement professionnel), les chômeurs sont plus ou moins souvent pris dans les stress de la recherche d’un emploi, certains retraités ont parfois l’impression qu’ils n’ont « jamais eu autant d’activités de leur vie » et que « çà passe encore plus vite qu’avant. »

 

 

  1. c) L’accélération contribue à l’accroissement des contrôles. L’accélération de la révolution industrielle s’accompagne d’une multiplication des contrôles. Il y a ainsi une inflation des fichiers de données personnelles parallèlement au développement des réseaux de communications.

 Certains voient  là une menace de plus pour les libertés publiques et privées, d’où la création, dans certains pays, d’organismes de protection des libertés par rapport à  l’informatique, organismes qui courent derrière de nouvelles techniques pour essayer d’en contrôler les dérives. Le juge doit ici devenir ou rester un garant des libertés, cela d’autant plus que des technologies deviennent de plus en plus intrusives et ne devraient être utilisées que sous conditions et  sous contrôles.

 

  1. d) L’accélération augmente le poids de l’urgence au détriment du long terme. L’urgence devient omniprésente. C’est surtout parce que l’on ne s’est pas occupé du long terme que l’on est noyé dans l’urgence. Il faudrait à la fois répondre aux urgences et élaborer des politiques à long terme.

 

  1. e) L’accélération  contribue au développement des inégalités. Ainsi par exemple le mode  de déplacement détermine à chaque époque une partie de l’organisation de la société, il contribue à répartir des richesses et des pouvoirs.

Une des hypothèses  de l’apparition de l’une des causes de la domination des hommes, de « l’infini servage de la femme », est la suivante : dans la préhistoire les hommes ont des pouvoirs grâce à la chasse, ils se déplacent plus vite que les femmes qui portent leurs bébés sur leurs dos ou sont enceintes et se retrouvent… à la cueillette !

 Par la suite en Grèce on constate que ceux qui font marcher les navires gouvernent la Cité, puis c’est la chevalerie qui est une des bases de la féodalité, viennent ensuite les dynasties ferroviaires cela sous la Révolution industrielle.

 Aujourd’hui c’est le transport électronique des informations qui contribue à répartir  des avoirs, des savoirs, des pouvoirs, on contrôle et on agit à distance. Il existe ainsi une discrimination entre « les  lents » qui n’ont pas accès à ces moyens  et « les rapides » qui les  utilisent.  Mais   il est  vrai également qu’il existe une  démocratisation de l’accès à cette forme de  vitesse à travers  l’informatique de plus en plus présente.

 De façon plus globale constatons que l’accès à la vitesse est très inégal dans nos sociétés, ces inégalités peuvent être  porteuses d’exclusions. Soulignons ainsi un exemple frappant, celui des universités.

 Une  étude de la Banque mondiale (propos de Janil Salmi recueillis par Brigitte Perucca, Le Monde 7 juillet 2009) évoque « le risque d’un enseignement à deux vitesses dans les pays émergents », «  la course à l’excellence nuit aux universités ». Si l’on donne moins de moyens aux universités qui en ont souvent déjà peu, au profit de deux ou trois universités d’excellence, on crée alors deux vitesses dans ces formations, on aggrave des inégalités.

 Et pourtant… les écoles scandinaves, qui n’ont aucune université de rang mondial dans les  classements internationaux, ont un  enseignement   considéré comme l’un des meilleurs, voilà une sacrée remise en cause  du discours de la sacro-sainte compétition, « sainte compétition protégez-nous » dit-on, alors que c’est elle qui porte des logiques mortifères.

 

  1. f) L’accélération et  ses  effets  sur l’argent. Le dicton selon lequel « le temps c’est de l’argent », signifie que l’on tient compte du  temps dans le calcul économique. On gagne du temps pour gagner de l’argent, quitte à licencier  des travailleurs pour augmenter le profit, ce dernier mécanisme est socialement aussi connu que révoltant.

 Une autre réalité complète le dicton : «… et  l’argent c’est du temps ». L’argent  s’intègre au  temps. Par exemple le chômage  entraine un rapport différent au temps, de même la retraite, mais ces utilisations de temps, en principe devenus moins rapides( ?), sont liées en particulier aux moyens financiers, faibles ou plus conséquents, qui les accompagnent.

 

  1. g) L’accélération et ses effets sur les actualités. Nous sommes plus ou moins noyés dans un fleuve constant de nouvelles, dans une information continue.

 Par contre trop peu nombreuses sont des réflexions porteuses de sens, des analyses des causes des évènements et, lorsque ces réflexions et ces analyses  existent, les lecteurs, les téléspectateurs, les internautes, faute de temps ou trop fatigués, seront peut-être  plus portés à  les mettre de côté ou à en  décrocher assez vite.

La diffusion rapide des informations entraîne aussi des réactions de plus en plus rapides et peut contribuer  à une forme d’instabilité permanente symbolisée par les « sujets télévisés » qui se succèdent à une cadence accélérée,  souvent sans transitions, et en mélangeant l’essentiel et le dérisoire.

 

  1. h) L’accélération contribue aux « désynchronisations environnementales ». On épuise les ressources naturelles à un rythme plus élevé que la reproduction des écosystèmes. Ainsi on aggrave et on accélère le réchauffement de la planète et la nature absorbe de plus en plus difficilement une partie des gaz à effet de serre. Ainsi on déverse nos déchets à une vitesse trop élevée pour que la nature les élimine, il n’est pas besoin d’aller relire ces romans de science-fiction où les humains étouffent puis disparaissent  peu à peu sous leurs déchets, la réalité, ici et là, de façons dramatiques, a dépassé la fiction.

 

  1. i) La compétition et la vitesse marchent côte à côte. «La compétitivité est  élevée au rang d’impératif naturel de nos sociétés »écrit Riccardo Petrella. « Chacun évoque la compétitivité de l’autre pour soumettre sa propre société aux exigences de la machine économique » écrivait André Gorz .La compétition nous fait perdre le sens du « vivre ensemble ». Riccardo  Petrella  dénonçait « l’Evangile de la compétitivité. Malheur aux faibles et aux exclus. »(Le Monde diplomatique, septembre 1991).

Ne peut-on pas observer comment chacun se situe théoriquement et pratiquement par rapport à la compétition ?

 Les uns pensent que la compétition est naturelle. Elle fait partie de la nature humaine, elle existe depuis toujours et à tout jamais. Les personnes qui pensent ainsi sont, de très loin, les plus nombreuses sur notre planète, cela pour une raison simple : le système productiviste, dont c’est l’une des logiques profondes, a colonisé les esprits. Il est très difficile de faire partager de nouvelles idées tant l’esprit n’a plus la place de les accueillir et tant il faut de nombreux  moyens pour, dirait Serge Latouche,  « décoloniser l’imaginaire.»

 D’autres, au contraire, pensent que la compétition est le produit d’une histoire dans un lieu donné à un moment donné. Elle peut donc être modifiée ou remise en cause, par exemple par des solidarités, des coopérations, des projets communs. Là aussi l’appel à l’imagination est majeur pour transformer le réel, ouvrir des portes vers des alternatives.

 Si  l’on regarde l’échiquier politique on peut dire que les tenants du libéralisme croient plus ou moins à la sacralisation de la compétition, elle est saine, elle est bonne, il faut être parmi les gagnants.

 Les tenants du socialisme croient plus ou moins à la gestion de la compétition, il faut essayer d’en gommer les aspects les plus injustes, il faut la rendre moins inhumaine.

 Les tenants du nationalisme croient plus ou moins à la nationalisation de la compétition, elle favorisera l’indépendance, la protection aux frontières.

Enfin les tenants d’une société humainement viable voudraient remettre en cause la compétition. Ce dernier point de vue consiste à affirmer que le choix n’est pas entre la compétition ou la mort (« si vous n’êtes pas compétitifs en tant que personnes ou que collectivités, vous êtes morts » nous répète le système productiviste) mais le choix est entre la compétition ou la vie, c’est la compétition qui est mortifère, elle est porteuse de logiques de mort, de logiques terricides et humanicides.

 Or vitesse et compétition marchent côte à côte, comme deux mécanismes de répartition des avoirs, des pouvoirs et des savoirs.

Le système productiviste de compétition est condamnable et condamné, ses logiques destructrices en appellent à la construction d’un autre système fondé sur le bien commun, sur l’intérêt commun de l’humanité, sur une reconquête du temps.

 

  1. j)  L’ accélération contribue aussi  à « l’administration des peurs ». La peur a toujours existé à travers des formes variables, avec  en arrière- fond  la peur de la mort.

Mais voilà la peur, depuis quelques décennies, encore plus organisée, orchestrée, politisée. Paul Virilio analyse « L’Administration de la peur » (Textuel,2010, livre d’entretien avec Bertrand Richard, commenté dans  Le Monde du 4-11-2010 par Nicolas Truong ). En effet ce monde du mouvement permanent est aussi celui des communautarismes, du repli sur soi, autant d’effets collatéraux d’un monde dans lequel on désigne des boucs-émissaires.

Devant « ce réel qui s’emballe » ne faudrait-il pas concrètement démonter les mécanismes  du bouc-émissaire (ce qu’a fait en particulier bien sûr René Girard, La violence et le sacré, 1972),  c’est-à-dire dénoncer ces faux remèdes et apprivoiser nos peurs, par exemple dans un dialogue des différences ?Apprivoiser les différences de l’autre ne demande-t-il pas du temps, de la patience ?

 Dans le peu de temps (au mieux 6 à 10 décennies) qui est donné, à chacun chacune de nous, de vivre  sur  Terre, n’avons-nous pas mieux à faire qu’à échanger des terreurs ? Ne faut-il pas, avant tout, faire face, ensemble, aux périls communs, c’est-à-dire aux mécanismes destructeurs mis en œuvre par le productivisme ?

Les fabrications des peurs des autres ne sont-elles pas doublement dramatiques? D’abord , et avant tout, par les souffrances qu’elles produisent,

et , aussi, on est  souvent très  loin d’y penser, par le temps perdu, les forces perdues, les énergies perdues, les faiblesses perdues, les réconciliations  perdues , les solidarités perdues qui auraient été si précieuses, si vitales  pour faire face aux périls communs qui, eux, ne …perdent pas de temps .

 Périls communs qui s’appellent débâcle écologique, armes de destruction massive, inégalités criantes, sans oublier la  techno science et le marché mondial qui doivent être remis à leurs places…

Pauvre citadelle qui fabrique dérisoirement des ennemis intérieurs et extérieurs alors que s’accélère entre autres le réchauffement qui peut l’emporter.

 

 

2) Les effets de l’accélération  sur les personnes

 

 

 Les vécus qui suivent nous les connaissons de façons variables dans nos vies.

Je témoigne, comme peuvent le faire chacun chacune de nous sur des pages entières, d’accélérations vécues sous trois formes :

premier exemple, j’ai connu l’époque où le troisième trimestre dans l’enseignement  secondaire « comptait double », les notes avaient deux fois plus de poids que celles d’un trimestre ordinaire, on se battait et on espérait jusqu’au bout « passer dans la classe supérieure », puis j’ai vu arriver une période où il n’était pas rare que dès le mois de décembre le sort du collégien ou du lycéen  soit scellé.

Autre exemple : lorsque j’étais étudiant nous disions de temps à autre « les gens âgés trouvent que le temps passe vite »,mais nous disions très rarement »çà passe vite »,or j’ai entendu  peu à peu à partir des années 1970, en enseignant et en dehors de l’enseignement , de plus en plus d’étudiants puis de lycéens puis de collégiens dire « Je suis pressé », « je suis à la bourre », « c’est tendu », «  çà passe vite », peut-être même, mais je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu, un enfant  au berceau qui disait « on a pas le temps , y ’a  le feu au lac, magnez-vous ! ».

Dernier exemple : lorsque j’ai commencé à enseigner je trouvais assez facilement des « plages » de deux ou trois heures de lectures sans interruptions, puis peu à peu le même temps a été plus difficile à trouver en une fois, coupé par des activités, des déplacements, des communications…

 

  1. a) Le sentiment d’être débordé. Devant une multitude de choses à accomplir en un minimum de temps, le sentiment d’être débordé ne touche-t-il pas de plus en plus de personnes ? Les trois petites phrases « je n’ai pas le temps »,« je suis pressé(e) », « dépêche-toi » sont probablement parmi les plus utilisées  sur la planète à la fin du XXème siècle et aux débuts du XXIème.  L’urgence  va ainsi envahir tout ou partie de  nos vies sans nous laisser le temps de faire la différence entre d’une part l’essentiel et  d’autre part l’accessoire, le dérisoire.

 Par exemple l’instantanéité du SMS, du mail et du portable contribue à une sorte « d’obligation d’hyper activité » écrit Nicole Aubert . Ce qui est urgent passe avant ce qui est important », or « dans l’urgence il y a de l’important et du secondaire. » Nicole Aubert évoque  « l’urgence intérieure » (propos recueillis par Thierry Brun, revue Politis, octobre-novembre 2010), « tant que mon agenda est plein j’existe ». En fait, explique cette psychologue, une « dictature du temps réel » s’installe dans de multiples vies.

 

  1. b) Les rencontres sont souvent  plus rapides. Les liens sont plus nombreux, les potentialités  plus grandes, mais  ces liens  ne sont-ils pas plus volatiles, moins solides ?

 Les situations peuvent être pourtant compliquées. Ainsi un mémoire de master accompagné dans un enseignement à distance aura en principe moins de profondeur que trois rencontres d’une heure chacune, mais c’est une possibilité donnée à des personnes qui, sans cela, ne pourraient pas avoir cette chance, et puis on peut essayer de transformer une certaine « platitude de l’écran »( ?) en une certaine  profondeur humaine, certains sites voudraient aller dans ce sens.

 Ces liens sont aussi centrés surtout sur le présent. Le futur est incertain, parfois, voire souvent, plus ou moins  angoissant.

Quant au  passé  il est peu évoqué, l’histoire n’est plus toujours apprise, les racines tendent à s’effacer à travers les changements de lieux souvent plus nombreux qu’autrefois au cours d’une vie. Sont parlantes, par exemple, les visites  sur les tombes qui s’arrêtent dans le temps, parfois voire souvent,  plus rapidement qu’autrefois.Egalement on est loin de toujours connaitre aujourd’hui où sont enterrés ses  ancêtres sur seulement deux générations, les causes en sont multiples, l’accélération est l’une d’entre elles.

 

  1. c) Le présent est comprimé, compressé.  Le présent devient plus instable et il se raccourcit. Devient ainsi plus rapide  l’usure des technologies, des pratiques, des programmes politiques… Le monde change plus ou moins plusieurs fois en une seule génération.

Le présent se  raccourcissant, notre sentiment de réalité ne fait-il pas de même ? Un  étudiant  disait, dans un raccourci impressionnant, « J’ai souvent l’impression d’être revenu de tout avant d’avoir eu le temps d’aller quelque part ! » C’est ce que l’on appelle la dictature de l’instant. Ainsi l’enseignant n’a pas assez de temps pour apprendre aux étudiants, ainsi les médecins voudraient avoir plus de temps pour s’occuper plus humainement de leurs patients, la liste est longue des professionnels qui manquent de temps.

 

  1. d) Les rencontres du réel et du virtuel en situation d’accélération. Certains affirment que se développent des risques de « déréalisation » de la société.

 Des mélanges entre le réel et le virtuel peuvent parfois apparaitre à l’intérieur d’une utilisation intensive des écrans. L’accélération peut y jouer un certain rôle.

De même les avancées relatives à la réalisation de « casques de réalité virtuelle »  pourraient aller dans le sens de l’accélération.

Lorsque ces mélanges « réel-virtuel » existent, leurs  effets peuvent et pourront  être variables selon les personnes, mais ces effets sont et seront  liés  à tel ou tel contexte personnel et plus collectif.

 

  1. e) Le temps « mange l’espace. » Paul  Virilio  écrit «çà n’est pas la fin de  l’histoire, c’est la fin de la géographie. »

 En premier lieu avec l’accélération de la techno-science la planète se rétrécit, dans le langage courant on dit que « le monde est à portée de mains », d’une certaine façon on est quelquefois revenu d’un lieu après de simples visites « hors sol » (reportages…)

Il y a même une sorte d’effacement de l’espace, ainsi les autoroutes font que des automobilistes le plus souvent  ne visitent pas le pays traversé, des voyageurs  voient à peine la grande ville où ils atterrissent et s’en vont tout de suite dans leurs lieux de vacances.

En second lieu il y a un déclin des distances qui saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre. En effet plus de la moitié de la population mondiale, nous dit-on, se trouve à moins d’une heure d’une ville de plus de 50.000 habitants. Ce taux se situe à 85% dans le monde développé et  à 35% dans les pays en développement. Cette donnée est probablement l’une des plus essentielles, des plus structurelles de l’accélération.

 

  1. f) L’augmentation du nombre d’actions « par unité de temps » et la réduction de chaque « épisode de vie. »

Ces réalités on été mises en évidence en particulier par des sociologues et des psychologues (ouvrages déjà cités, par exemple celui de Nicole Aubert « Culte de l’urgence. La société malade du temps. », Flammarion, 2003).

 En moyenne on entreprend beaucoup plus d’actions dans une journée qu’il y a trente ou  cinquante ans, par exemple on passe d’un instrument  de communication à un autre , on répond à des démarches administratives souvent plus compliquées qu’autrefois, on rencontre plus de personnes mais plus rapidement, on utilise aussi transports privés et publics, on est en liens informatiques avec  divers services, et cela  encore souvent on se retrouve avec son travail une fois revenu chez soi ou même en congés, informatique oblige .

Les éléments rythmant  nos journées en moyenne tendent à se réduire, par exemple les repas…bien que les durées soient variables selon les repas pris chez soi ou à l’extérieur, seuls ou avec des amis …

 On a tendance enfin à exécuter à la fois plusieurs activités, on peut être par exemple « dévoré » par plusieurs écrans, ou devenir un accroc aux écrans …même pendant les vacances.

 

  1. g) Un stress et une nervosité souvent présents. On rencontre en effet deux séries de situations fréquentes.

D’une part, on rencontre des personnes au chômage qui sont dans une forme de « décélération forcée », parfois voire souvent mal vécue.

 D’autre part on rencontre des personnes surchargées de travail qui peuvent entrer dans une certaine nervosité parfois permanente, qui peuvent tomber malades en dépression, maladie fréquente aujourd’hui, le «  burn out », ou même aller jusqu’au suicide.

On court de plus en plus vite après ses activités de travail  et, pourtant , la valeur travail  tend à se déprécier à cause surtout de l’importance prise par le chômage et des conditions de travail qui, dans de nombreux lieux, se détériorent sous l’effet entre autres d’une productivité plus exigeante voire épuisante.

 

 

  1. h) La capacité de comprendre n’est-elle pas atteinte ? Dans un système de plus en plus compliqué et rapide n’a-t-on pas moins de temps pour comprendre en profondeur ce qui se passe ?

 

  1. i) L’accélération peut   effacer la diversité des tâches. Ne contribue-t-elle pas  à une «  uniformité uniformisante » selon l’expression de Kostas Axelos ? Une formule fameuse affirmait  qu’il  faut «  laisser du temps au temps », laisser mûrir les choses. «  Il y a un temps pour tout » disait déjà un passage de l’Ecclésiaste, « un temps pour planter, un temps pour arracher le plant (…) »

 Si l’on passe sans arrêt et de plus en plus vite à différentes tâches, n’a-t-on pas plus de difficultés à faire des différences par exemple entre l’essentiel, l’important, le secondaire, le détail, le dérisoire ?

 

 

De façon plus générale, et sous forme de synthèse, quelles sont les réponses face à ce phénomène gigantesque de l’accélération ?

Pour y répondre nous prendrons notre temps, pour ne pas nous retrouver comme cette enseignante qui poussait le comique en expliquant sans rire des comédies qu’elle était seule à trouver drôles.

 

 

 III-  Des réponses pessimistes et volontaristes face à l’accélération du système mondial

 

On connait la pensée d’Antonio Gramsci 

« Il faut avoir à la fois le pessimisme de l’intelligence(A), 

et l’optimisme de la volonté (B) ».

 

Tels sont les deux points que nous envisagerons tour à tour, étant entendu que l’on peut croire à l’un ou à l’autre, ou  aux deux et à agir en ce sens  comme nous invitait à le faire cet auteur .Les deux développements sont volontairement déséquilibrés au profit de la seconde partie, l’optimisme de la volonté il en faut beaucoup, il réduit à la cuisson.

 Etre fidèles à cette pensée de Gramsci, pourquoi?

Le pessimisme de l’intelligence permet d’avoir les yeux,  les esprits et les coeurs ouverts  sur  des logiques profondes.

 L’optimisme de la volonté permet d’avoir les mains,  les cœurs et les esprits  à l’ouvrage.

 Et finalement , avec nos forces et nos faiblesses, essayer de faire en sorte  que pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté marchent côte à côte, s’interpellent, se complètent, se soutiennent, s’inclinent l’un vers l’autre, deviennent un couple de combat.

 

 A- Des réponses du pessimisme de l’intelligence face à l’accélération du système mondial

 

Certains insistent sur le fait que ce phénomène touche tous les secteurs de la société, tous les aspects de l’existence, aucune personne aucune collectivité n’y échappe. Il faut donc s’adapter (1) ou bien  accepter la catastrophe (2).

 

 

1) L’adaptation à l’accélération du système mondial

 

 

  1. a) Harmut Rosa affirme « il nous apprendre à devenir des surfeurs hasardeux, chevauchant la vague de l’accélération, surfeurs sans but et sans direction, en se tenant prêt à saisir la vague qui vient ».( « Accélération. »,La Découverte 2010.)

 

  1. b) Ainsi comme il faudra essayer de s’adapter aux terribles effets des changements climatiques, il faudra s’adapter aussi aux multiples effets de l’accélération du système international. On ne s’attaque pas aux causes, on essaiera de survivre. Je m’adapte, tu t’adaptes, il s’adapte…mot d’ordre pour tenir la tête hors de l’eau, malheurs aux faibles noyés dans les tourbillons.

 

 

2) La catastrophe programmée et l’accélération du système mondial

 

 

  1. a) L’hypothèse la plus probable est celle d’une « course effrénée à l’abîme qui emportera un monde impuissant » affirme ainsi Harmut Rosa.Il ne croit pas à un ralentissement général, fruit des mouvements  slow , ces « oasis de décélération » ont peu de poids par exemple face aux réseaux rapides que sont Facebook, Twitter, Meetic …Et quel poids ont les « villes lentes »  face aux grandes villes de plus en plus  vertigineuses ?

Nous pouvons souligner un signe très parlant de cette accélération : le fait que la grande ville ne se repose plus, les nuits continuent à vive allure de multiples activités aux rythmes rapides.

Demain des régimes autoritaires pourraient-ils arrêter par la force différents types de vitesses ? « Catastrophe ou barbarie » : les deux hypothèses sont synonymes de malheurs.

 

  1. b) Jean-Pierre Dupuy rappelle en particulier qu’il « ne reste que cinq minutes pour sauver la planète », il se réfère à l’horloge de l’apocalypse créée  à Washington en 1947 par des chercheurs atomistes. Elle était à minuit moins sept  après le lancement des bombes atomiques en 1945, après la chute du mur de Berlin en 1989 elle était à minuit moins dix sept, elle est aujourd’hui à minuit moins cinq, autrement dit l’avancée vers les grandes catastrophes s’accélèrerait.

 L’auteur se prononce « Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible devient certain. » (Seuil, 2002), cela face au déni de la réalité qui nous pousse à ne pas voir les solutions radicales pour empêcher les catastrophes. Ce « catastrophisme éclairé » doit produire un bouleversement de notre rapport au temps,  «  il faut se projeter dans un avenir quasi certain, celui de la catastrophe, pour le modifier et sortir de notre paralysie », pour faire naitre  des déterminations. La transition est faite, cet auteur en appelle au volontarisme.

 

 

B- Des réponses volontaristes face à l’accélération du système mondial

 

 

 

Il faut bien comprendre les objectifs des réponses volontaristes(1) avant d’envisager des moyens d’essayer de faire face à  cette accélération(2).

 

1) Les objectifs  des réponses volontaristes face à l’accélération du système mondial

 

 Quels objectifs peut-on mettre en avant ?

Renouer avec des besoins fondamentaux(a),

 fixer des limites  au cœur des activités humaines(b),

  prendre en compte des théories et des pratiques de décroissance, de société post-croissance(c),

 construire un  temps libéré (d),

 faire dialoguer passé, présent, avenir  (e).

 

 

  1. a) Trouver ou retrouver des « besoins »( ?) fondamentaux : se  déprendre, patienter

 

 Trouver ou  retrouver le « lâcher prise », se  déprendre :

Le fameux «  lâcher prise » est souvent considéré comme un sorte de remède contre le stress, c’est une vue utile mais partielle alors qu’il peut s’agir également d’une forme de philosophie de la vie, contribuant à renouer avec le calme, la lenteur, contribuant à mieux se situer.

 Ne faut-il pas trouver les moyens de prendre de la distance, de « se déprendre » comme nous invitait à le faire Claude Lévi-Strauss dans la dernière page de « Tristes Tropiques » (Terre Humaine, 1955) ?  Concrètement cela peut signifier « savoir lâcher prise » à certains moments, ne pas vouloir tout contrôler, apprendre à désobéir à des sollicitations et à des demandes  dérisoires.

Se déprendre c’est également arriver à différencier l’urgent de l’important.Dans nos vies professionnelles et privées, on a tendance à donner la priorité à l’urgence. Ne faudrait-il pas donner la priorité à l’essentiel ? En ce sens, concrètement, ne faudrait-il pas avoir l’art de savoir remettre au lendemain le détail et le secondaire, cela s’appelle  la procrastination (Kathrin Passig et Sacha Lobo, « Demain c’est bien aussi », Anabet .)

 Concrètement cela peut signifier   oser des moments de paresse et, comme Rousseau, « se laisser aller et dériver lentement au gré de l’eau,  plongé dans mille rêveries…» Théodore Monod avait été marqué par son père qui lui disait « mon fils, nous sommes possédés par nos possessions », dans le lâcher prise il y a cette idée de se sentir plus libres.

 Il y a une vingtaine d’années je me rappelle un journal( ?) qui avait titré « Nos élites sont fatiguées ! ». Une enquête sur de jeunes diplômés de grandes écoles concluait qu’une de leurs premières aspirations était  d’« avoir du temps ». On retrouve ici ce besoin de « souffler », de « se poser » pour échapper un moment à une compétition intense. Dans cette perspective une vie simple commence aussi sans doute par un ralentissement du rythme frénétique de nos vies. « Sois lent d’esprit » écrivait Montaigne,  la lenteur aide à  ouvrir le chemin de la sagesse, « la hâte détruit la vie intérieure » disait Lanza del Vasto.

 Mais cette possibilité,  dans le système actuel, n’est-elle pas un luxe pour beaucoup de personnes en situation  soit  très  difficile, soit de  survie ?

 

Trouver ou retrouver  la patience :

 Les êtres humains doivent avoir le temps de mûrir, il faudrait être patient,  confiant devant les promesses des heureux murissements. Or le productivisme est tourné vers le court terme, vers la dictature de l’instant, le « tout tout de suite ». (Certes il faut être oh combien impatient pour remettre en cause les atteintes à la dignité humaine !)

 Les temps humains et ceux du vivant sont-ils plus proches de ceux des marchés financiers, de la seconde ou de la nanoseconde, ou bien de ceux des saisons de la nature, comme tour à tour  l’enfant, l’adolescent, l’adulte, le vieillard ?

Temps de la diversité et temps de la patience symbolisés par  les saisons qui sont autant de leçons, temps  qui nous a donné une des pages les plus belles  de la littérature sous la plume de Charles de Gaulle ,page dont les seuls débuts  des passages faisant parler la nature sont déjà des merveilles : « la nature qui « chante au printemps (…) », qui « proclame en été(…) », qui «soupire en automne(…) », qui gémit en hiver(…) », est-ce la « victoire de la mort ? »… « Non. (…) Immobile au fond des ténèbres, je pressens le merveilleux retour de la lumière et de la vie ». 

 

 

  1. b) Fixer des limites  au cœur des activités humaines :

 

 Jacques Ellul  demandait « Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne pas de limites ? ».

De façon plus globale déterminer les limites d’une société c’est  remettre à leur place la techno-science et le marché mondial qui ont tendance à occuper toute la place,  à devenir des fins suprêmes et à transformer les êtres humains en moyens. Les principes de précaution, de prévention, de réduction et de suppression des modes de production, de consommation et de transport écologiquement non viables sont au cœur de ce concept, celui de détermination de limites ,concept décolonisateur de la pensée productiviste ( cf auteur de ce blog , Droit international de l’environnement, Ellipses,3èmeédition,2010,p153 à 156, avec aussi une bibliographie) .

 

 A propos de limites on peut à ce sujet donner deux exemples, le premier peu connu, le second un peu plus connu.

 Il s’agit d’abord des limites physiologiques de l’espèce humaine. Une équipe de l’Institut de recherche biomédicale du sport (étude rapportée dans Le Monde du 6 février 2008) affirme qu’en 2027 « les records du monde auront atteint leurs limites », on ne pourra plus les dépasser.

Second exemple : la SNCF rêve de lancer  ses TGV à 400Km/h mais, au-delà d’un certain seuil, la grande vitesse peut se transformer en handicap sous l’effet des contraintes environnementales, techniques et économiques, ainsi « le train peut aller plus vite…il arrivera à la même heure »(article de Gilles Bridier ,Le Monde 19 juillet 2008),cela  à cause de ces contraintes et, d’autre part, il est probable que l’on sera obligé de « diminuer la vitesse des trains pour en faire circuler plus. » Tout cela sans oublier les accidents qui risquent d’être de plus grande ampleur, voire plus fréquents(?), car qui dit très grande vitesse dit matériels  et voies « à toute   épreuve ».

 

 

  1. c) Prendre en compte des théories et des pratiques de décroissance, de société post-croissance :

 

 Une économie soutenable çà n’est pas un simple verdissement du capitalisme financier, c’est une économie s’éloignant  du culte de la croissance, s’attaquant aux inégalités criantes dans les sociétés et entre sociétés du Nord et du Sud, c’est une société qui désarme peu à peu  le pouvoir financier.

 Est vital le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à brûler moins d’énergie pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité. Il s’agit d’aller,  au Nord et au Sud de la planète,  vers des sociétés écologiquement viables qui mettront en avant une relocalisation des activités, une redistribution des richesses à partir de fonds internationaux issus des taxes sur les marchés financiers et les activités polluantes.

On ne peut pas faire impasse sur les remises en cause de la compétition.Les coopérations et les solidarités doivent y faire face.« Il faut qu’une conscience écologique de la solidarité se substitue à la culture de compétition qui régit les rapports mondiaux ». (Edgar Morin)

 

  1. d) Construire un  temps libéré :

 

 Jacques Robin écrivait dans « Changer d’ère » (Seuil, 1989) « Nous avons à enrichir le temps libéré pour que celui-ci ne soit ni temps vide ni temps marchand, mais créativité personnelle, convivialité sociale et curiosité toujours en route ».

 En ce sens on peut penser que diminuer la durée du temps d’un travail à partager est impératif, en allant même plus loin, comme le proposait par exemple André Gorz qui écrivait « il convient de trouver un nouvel équilibre entre travail rémunéré et activités productives non rémunérées, découvrir « l’abondance frugale », inventer une société plus détendue, plus conviviale, plus libre. »(cf aussi de façon plus globale «  L’abondance  frugale. Pour une nouvelle solidarité », Jean-Baptiste de Foucault, éditions Odile Jacob, 2010.)

 Paul Valéry écrivait magnifiquement « Je déplore la disparition du temps libre. Nous perdons cette paix essentielle des profondeurs de l’être, cette absence sans prix pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se rafraichissent et se réconfortent, pendant laquelle l’être, en quelque sorte, se lave du passé et du futur, des obligations suspendues et des attentes embusquées. Point de pression mais une sorte de repos, une vacance bienfaisante qui rend l’esprit à sa liberté propre. »

 

  1. d) Faire dialoguer passé, présent, avenir :

 

 L’individu se trouve projeté dans l’ivresse d’une course où, pour vivre avec son temps, il doit plus ou moins « abandonner la maîtrise de sa vie à la dictature de l’urgence, à l’instrumentalisation de l’instant. » Jean Chesneaux (« Habiter le temps », ouvrage déjà cité, Bayard, 1996) affirme  « que l’individu est plus ou moins coupé de tout projet comme de tout héritage, il éprouve de plus en plus de difficultés à se penser dans le temps ».

La question qui se pose est donc la suivante : « Comment renouer un dialogue entre le passé comme expérience, le présent comme agissant et l’avenir comme horizon de responsabilité ? ». Le temps citoyen(ne) doit affirmer, insistait Jean Chesneaux, sa capacité autonome face au temps de l’Etat, face au temps  du marché, et nous ajouterons, face au temps  de la techno science. Mais à travers quels moyens ?

 

  2) Des moyens à penser et à mettre en œuvre face à l’accélération

 

 A titre indicatif :

des mouvements de ralentissements de la vie quotidienne (a),

de nombreux autres moyens de réintégrer le temps(b).

 

  1. a) Des mouvements de ralentissements de la vie quotidienne

 

 Il s’agit de créer des sortes de lieux  de décélération dans des domaines de plus en plus nombreux : villes, alimentation, éducation…

Ainsi le réseau international des « villes lentes », né en Italie en 1999, a aujourd’hui 140 villes de 24 pays qui adhèrent à une Charte, il s’agit de villes de moins de 60.000 habitants, en Europe, en Australie, au Canada, aux Etats-Unis…En France on trouve par exemple Segonzac en Charente (article du Monde des 3 et 4 octobre 2010)… La gestion municipale est centrée sur la qualité de la ville, sur « une vie qui est bonne », sur l’économie de proximité, le respect des paysages. Concrètement ces villages et ces villes reposent sur des rues piétonnes et cyclables, un retour du petit commerce, un marché de producteurs locaux, des espaces verts, des équipements urbains adaptés aux personnes âgées, aux enfants, aux handicapés…

 Les réseaux de l’alimentation lente « slow food », pour contrer les « fast food », reposent sur l’éducation au goût, le temps donné aux repas, la défense de la biodiversité des cultures, ce réseau comprend de l’ordre de 1500 antennes locales dans 150 pays.

De façon plus globale on trouve le « Slow production » qui met en avant des productions durables, le « Slow travel » qui veut des touristes  prenant  leur temps pour rencontrer personnes et monuments, le « Slow parenting » qui est un réseau de parents  voulant prendre du temps pour leurs enfants…

De même on trouve le « débranchement régulier » (Unplay challenge) qui  éloigne un moment les accrocs de leurs écrans. La revue Politis titrait ainsi « C’est l’heure du slow » (novembre-décembre 2011).

Il est très probable que ces mouvements vont apparaitre ou se développer dans de multiples domaines et lieux de la planète. L’imagination ne doit-elle pas se déchainer pour développer les théories et les pratiques de l’éloge de la lenteur ?

 

 

  1. b) Des moyens de réintégrer le temps

 

 Réintégrer le temps, dans nos pratiques quotidiennes, dans notre culture,  dans nos vies, pourrait être mis en œuvre à travers les moyens suivants  proposés à titre indicatif et qui sont parfois partiellement en route :

 

Un respect des droits des générations futures fondé sur les principes de prévention, de précaution, et sur le principe de non-régression des acquis environnementaux essentiels (voir « La non régression en droit de l’environnement », sous la direction de Michel Prieur et Gonzalo Sozzo, Bruylant, 2012),

Un respect du patrimoine mondial culturel des générations passées fondé, entre  autres ,  sur l’attribution de fonds massifs pour leur entretien,

Une partie du temps qui serait libérée, grâce à  un revenu universel d’existence attribué à chaque être humain, accompagné de revenus d’activités,

Une prise en compte des «  droits du temps humain », évoqués par Jean Chesneaux  dans son ouvrage souvent cité « Habiter le temps », par exemple dans une « charte mondiale » disait-il, donc juridiquement non contraignante, incitative, puis un jour, pourrait-on ajouter, dans une convention internationale,

Des déplacements repensés dans l’urbanisation à tous les niveaux géographiques, des pratiques vont ici et là dans ce sens, de façons modérées ou plus radicales,

Une désacralisation de la vitesse, en particulier dans l’éducation de la maternelle à l’université, et donc une désacralisation  de la compétition,

La création d’une Fédération mondiale  de l’ensemble des  mouvements contribuant à essayer de ralentir le système international, Fédération  dotée d’importants moyens, à notre connaissance elle n’existe pas à ce jour en  avril 2015… A titre de « travaux pratiques » à l’échelle internationale nous proposons  la création d’une Fédération mondiale d’ONG agissant pour le ralentissement du système international productiviste, une sorte d’internationale de la lenteur. Il ne s’agirait ici que de traiter un élément du système international productiviste mais un élément essentiel.

 

 

Quatre remarques terminales

 

 1- Est-il nécessaire de le souligner ? Comment pourrions-nous affirmer que l’accélération est totalement négative ? Nous tomberions alors  dans une sorte de conception totalisante.

 

Vive  l’accélération lorsqu’elle sauve des vies ! Vive l’accélération lorsqu’elle est porteuse de démocratie, de justice, de paix, de protection de l’environnement ! Vive l’accélération lorsqu’elle nous fait rencontrer  ceux et celles que nous aimons ! Vive l’accélération lorsqu’elle fait retrouver  la santé, l’amour, l’amitié, la tendresse, la paix ! Oui, vive et que vive, alors, l’accélération !

 Mais les choses ne sont pas si simples. Une simple  précision à travers un seul exemple : l’accélération d’un accord radical sur les réductions des émissions de gaz à effet de serre est une heureuse accélération mais, en amont, c’est la fuite en avant du productivisme dans les énergies fossiles qui produit  ces problèmes, ces drames ,  ces menaces écologiques et leur accélération .Une heureuse accélération en aval(quand elle existe) est produise ici en amont par une accélération malheureuse.

 

2- L’une des réponses symboliques les plus magnifiques face à l’accélération

 

 C’est celle du Petit Prince, d’Antoine de Saint Exupéry , faite à un marchand de pilules qui apaisaient la soif.« C’est une grosse économie de temps dit le marchand .Les experts ont fait des calculs .On épargne cinquante trois minutes par semaine. On en fait ce qu’on veut.» « Moi, dit le Petit Prince, si j’avais cinquante trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine ».

  Quel avertissement !  Quelle leçon !  Quelle philosophie de  vie !

 Le Petit Prince nous appelle à marcher, à nous mettre debout.

Il nous  demande de le faire en  nous méfiant  de la course,  destructrice de la vie   intérieure.

Il nous invite enfin à rechercher de véritables fontaines, il précisera  lesquelles,

celles de la responsabilité,

celles  de « l’apprivoisement » de l’autre,

 finalement  celles  d’une certaine qualité de relations humaines

et celles des luttes contre les destructions du vivant.

 

 

3)  L’accélération et les générations d’êtres humains.

 

«  Habiter le temps » n’est-ce pas aussi le devoir de mémoire à l’égard des disparus et le respect des promesses à l’égard des générations futures ?

 François Ost écrit avec force (dans Les clés du XXIè siècle, article intitulé « Générations futures et patrimoine », Seuil et Unesco, 1999 ) : « Ce n’est que reliée à d’autres que mon humanité s’affirme ». Cela signifie que, si nous prenons le temps d’écouter et de réfléchir, nous entendons encore les pas de ceux et celles qui  nous précèdent et déjà les pas de ceux et celles qui vont nous suivre. Ne sommes-nous pas d’autant plus vivants que nous portons un projet d’humanité et qu’il nous porte ?

 

 

4-  Alors  viendra le moment …

Alors viendra le moment où, comme maillon de la chaine humaine,

 après   avoir eu la chance et la force  de prendre le temps

 de  vivre, d’aimer,  de lutter,

  nous pourrons dire   avec Pablo Neruda (Troisième livre des odes, ode à l’ âge,  Gallimard,1978),  comme   des veilleurs  debout qui ont voulu faire  confiance

 à l’aurore    :

    « (…) Maintenant,

   Temps, je t’enroule,

   je   te dépose dans ma boite sylvestre

   et   je m’en vais  pêcher,

   avec   ta  longue ligne,

   les   poissons de l’aurore. »