au trésor des souffles
Environnement III
Apocalypses écologiques: Une gigantesque reconversion financière: comment? (IV)
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Une gigantesque reconversion financière: comment? (IV)
Certains d’entre vous auront l’impression que l’auteur de cet article opère à grands coups de remises en cause , cette impression correspond à une impérieuse nécessité. On ne peut pas arrêter la débâcle écologique sans contre-mécanismes radicaux, qui soient certes respectueux des personnes mais qui créent de véritables alternatives.
Dans le cas contraire on aura beau mettre en avant de fausses victoires ou fermer les yeux sur les mécanismes d’autodestruction la machine infernale ne s’arrêtera pas.
Une idée forte est celle d’un ensemble de remises en cause , on ne peut mettre en œuvre une reconversion financière titanesque en laissant de côté de nombreux mécanismes qui l’en empêchent et sans repenser vraiment la protection de l’environnement et de la santé.
Au moins sept séries d’éléments peuvent être examinés :
Quelques éléments relatifs à la mise en œuvre de cette reconversion financière(A).
Des remises en cause qui doivent voir le jour pour « désarmer le pouvoir financier »(B).
De nouvelles ressources financières qui sont à créer (C).
Des acteurs vont continuer à prendre des initiatives face à l’arrivée massive des catastrophes écologiques(D).
Des moyens écologiques devront être massivement soutenus par la grande reconversion financière ( F).
Des moyens sanitaires devront être massivement soutenus par la grande reconversion financière(G).
A-Quelques éléments relatifs à la mise en œuvre de cette grande reconversion financière.
1-On retrouve la notion d’intérêt commun.
Qui va dégager « l’intérêt commun des Etats » ? Et à plus forte raison qui va dégager « l’intérêt commun de l’humanité » ?
On ne pourra échapper aux droits de l’humanité en particulier à ceux des générations futures , droits fondés ici sur la non-discrimination environnementale.(Voir nos articles sur le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité. »)
2-Certaines institutions internationales seront à créer.
D’une part le critère de la démocratie est essentiel , en particulier sous la forme de « un Etat, une voix. »
D’autre part il faudra probablement créer des institutions regroupant différents acteurs, certes des Etats mais aussi des ONG, des collectivités, d’autres encore cela pour une légitimité plus forte. Les processus de votations certes alors parfois compliqués, pourront cependant être porteurs.
Mais une des grandes difficultés est constituée par le fait qu’on ne saurait se lancer dans des créations s’étalant sur des décennies, elles doivent être opérationnelles le plus rapidement possible.
3-Enfin des processus de planification seront déterminants.
Il s’agira ici, on l’a compris , de détermination d’objectifs, de moyens et de suivis, cela à court, moyen et long termes. Ces processus seront déterminés par des institutions anciennes et nouvelles.
4-Les obstacles mis en avant par des « puissants » face au principe du partage et à sa mise en œuvre.
-Les « puissants » ont concentré des avoirs et des pouvoirs ,ils peuvent donc se trouver face au principe et aux pratiques du partage.
Des théories et des pratiques nous enseignent que les puissants, c’est-à-dire des personnes et des collectivités à tous les niveaux géographiques , qui ont concentré des avoirs, des pouvoirs et /ou des savoirs, ne partagent pratiquement jamais d’eux-mêmes.
Les puissants ne partagent que si des rapports de forces les obligent à le faire. Ces rapports de force peuvent se dérouler soit à travers un règlement pacifique soit à travers de multiples tensions et répressions soit à travers des conflits armés.
Il arrive que les puissants partagent exceptionnellement d’eux-mêmes s’ils arrivent à avoir une conscience particulièrement forte, vive, aigue de drames qui soit les atteignent soit les menacent soit menacent l’ensemble de l’humanité et du vivant. Il y a donc des rapports entre les catastrophes écologiques et les changements éventuels des dominants.
-Mais une reconversion radicale n’est-elle pas un obstacle idéologique face à la compétition ?
Remettre en cause les concentrations gigantesques des avoirs a fait souvent l’objet de refus immémoriaux, ainsi aujourd’hui par exemple des hausses d’ impôts sur les plus riches et sur des sociétés dans tel ou tel pays.
Un des arguments essentiels est le fait, dit-on, qu’il s’agit d’une atteinte à la compétition laquelle est un mécanisme puissant du système mondial.(Voir sur notre site et ce blog nos articles relatifs à « La compétition. »)
Ainsi le Président des Etats-Unis en 2021 a proposé un taux minimum d’imposition de 15% sur les profits des multinationales, l’accord a vite vu le jour au G7. Le taux est peu élevé. Mais, malgré cela , l’ONG Attac insiste à juste titre sur le fait que « la mobilisation citoyenne sera essentielle pour que le Président des Etats-Unis ne renonce pas aux hausses d’impôts sous la pression des lobbies. » (lignes d’attac 126).
B-Des remises en cause doivent voir le jour pour désarmer le pouvoir financier.
Rappel historique :
En 1972, juste après l’abandon de la convertibilité du dollar en or en août 1971, un économiste américain de l’Université de Yale , James Tobin (1918-2002), propose une taxe relative aux transactions financières spéculatives sur les marchés internationaux des devises. Elle aurait pour but de réduire la volatilité des cours et les risques de crise. Collectés par chaque Etat les fonds seraient reversés à un organisme international géré par le FMI. Cette taxe à l’origine ne concernait donc que le marché des changes.
En décembre 1997 au moment de la crise financière asiatique, Ignacio Ramonet, Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008 , écrit un article « Désarmer les marchés financiers », article qui devint fondateur. « La mondialisation du capital financier est en train de mettre les peuples en état d’insécurité généralisée. Elle contourne et rabaisse les nations et leurs Etats en tant que lieux pertinents de l’exercice de la démocratie et garants du bien commun. »(…) « La taxation des revenus financiers est une exigence démocratique minimale. » Il propose de créer une ONG , « Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens (Attac) » pour réclamer la mise en œuvre de cet « impôt mondial de solidarité. »
En juin 1998 est ainsi créée « l’Association pour la taxation internationale des transactions financières et pour l’action citoyenne » qui existe aujourd’hui dans 40 pays, cette ONG est fondée sur plus de mille groupes locaux. Des membres d’Attac sont à l’origine du premier Forum social mondial de Porto Alegre en 2001 et des forums sociaux européens. Attac est donc pleinement impliquée dans le mouvement altermondialiste.
Ces remises en cause sont vitales. Il s’agit de remettre radicalement en cause le capitalisme financier autrement dit les marchés financiers qui ont envahi les vies des peuples, qui sont favorisés par des Etats chargés de « rassurer » ces dieux souvent inquiets, qui ont vu aussi les banques centrales au service de la spéculation, par exemple en 2008 lors de la crise financière en inondant de liquidités des banques pour les sauver.
Ainsi au moins sept séries de remises en cause sont vitales.
Elles peuvent être bien sûr moins radicalisées que celles qui suivent.
Leur liste n’est pas exhaustive tant il est vrai que les finances ont de multiples liens.
1-Les remises en cause des paradis fiscaux.
Pourquoi ? Parce que ces zones légales cachent des illégalités, en particulier des évasions fiscales énormes et de l’argent sale issu de multiples trafics. Parce que de nombreux besoins vitaux sont criants et attendent de gigantesques sommes.
Un ancien président de la République français avait déclaré le 1er décembre 2009 « En six mois on a obtenu la fin des paradis fiscaux ! » Illusion, ignorance, erreur , mensonge ou un peu tout cela ? Il en faudrait beaucoup plus qu’un simple début de levée du secret bancaire pour faire chuter et disparaitre ces géants .
Par quels moyens remettre en cause véritablement en cause ces paradis fiscaux ?
– la disparition obligatoire, complète et définitive du secret bancaire dans tous les pays,
– l’obligation contrôlée, sans exceptions, pour les firmes multinationales de déclarer et de payer leurs impôts dans les lieux où elles exercent leurs activités,
– la suppression , mise en œuvre nationalement et internationalement, des évasions fiscales,
– des limites importantes et très encadrées relatives à « l’optimisation fiscale »,
– sans oublier l’ensemble des autres moyens c’est à dire les remises en cause des corruptions, les interdictions par rapport à la spéculation, l’encadrement des banques et de nouvelles ressources financières (précisées ci-dessous.).
2- Les remises en cause des corruptions .
Elles seront fondées sur
– un traité international et sur des lois encadrant les groupes de pression, allant entre autres dans le sens de la transparence,
– l’organisation d’un financement sur la transparence des partis politiques dans tous les pays,
– une protection collective renforcée de la liberté de la presse pour toute enquête sur les corruptions, ce qui pose aussi le problème de seuils à ne pas dépasser quant à la possession par de grands groupes, par exemple de journaux, de chaines de radio et de télévision…
-une remise en cause des filiales des banques dans les paradis fiscaux.
3-Deux interdictions par rapport à la spéculation
-une interdiction de la spéculation sur les produits agricoles,
-une interdiction des marchés opaques (de gré à gré, trading à haute fréquence…), et une interdiction des fonds qui spéculent avec l’argent des déposants.
4-Un encadrement des banques
– Une responsabilité sociale et environnementale des banques est créée ou développée, elle est civile et pénale,
– Une séparation générale et radicale est mise en place entre les activités de dépôts et les activités d’affaires (spéculation) pour les banques. Ainsi l’ensemble des opérations de spéculation (opérations pour compte propre, trading haute fréquence, financement de hedge funds…) devra se trouver dans des activités séparées, financées indépendamment des ressources de la banque et sacrifiées en cas de difficulté. Il serait totalement interdit d’utiliser les ressources des dépôts pour spéculer.
-La Banque centrale européenne devra contribuer directement aux investissements publics et privés pour la protection de l’environnement, de la santé et la protection sociale.
5-Un encadrement des firmes multinationales
La responsabilité des sociétés mères est mise en place
– contre les exactions commises par elles et par leurs filiales à l’étranger,
– c’est aussi la conclusion d’un traité et c’est l’adoption de lois contraignant les multinationales à respecter les droits de l’homme,
-la responsabilité environnementale , sanitaire et sociale des entreprises est créée et renforcée au niveau national et international.
6-Une remise en cause de certaines productions d’entreprises et de firmes multinationales
– Les productions doivent être écologiquement viables, socialement utiles, pacifiquement reconverties.
– Certaines productions du marché peuvent donc être considérées comme plus ou moins négatives pour les acteurs humains et le vivant. Ainsi seront nécessaires des reconversions par exemple des industries d’armements, des produits dangereux pour la santé humaine et/ou l’environnement .
-Un traité international, doté de puissants fonds, favorisera sur l’ensemble de la planète la création et le développement d’entreprises productrices d’énergies renouvelables.
7-Le commerce international perd sa toute-puissance, il est désormais subordonné
– à la primauté de la santé et de l’environnement, mais aussi du social et de la culture. Les normes et les pratiques du commerce international doivent être conformes à leurs protections.
– Ainsi sont dénoncées par exemple toutes les dispositions de traités permettant à des multinationales de s’opposer à des transitions énergétiques.
C- Les créations massives de « nouvelles ressources financières du XXIème siècle »
Les imaginations d’experts et de citoyen.ne.s sont ici et là en route pour penser les créations de nouvelles ressources dans la décennie qui vient. « Le désarmement financier » a commencé à être pensé il y a longtemps, ses auteurs étaient souvent dans le désert, les temps sont probablement en train de changer. Des débuts de réalisation voient le jour sous telle ou telle forme.
1-Les nouvelles ressources financières massives ont pour noms
– une taxation , importante et mondiale, des transactions financières. Cette taxation doit inclure les obligations, les actions, les devises et les produits dérivés. Une grande ONG comme Attac insiste sur ce point : « Il y a chaque année entre un million deux cent mille milliards et un million huit cent mille milliards de dollars de transactions financières, dont environ les trois quarts portent sur les produits dérivés échangés sur des marchés opaques. »Il est difficile d’imaginer dans la vie du système mondial des sommes aussi colossales.
– un impôt progressif et mondial sur les capitaux, en particulier un impôt pour les grandes fortunes,
– une taxation des fonds spéculatifs,
-des ressources issues des bénéfices des firmes multinationales,
-une taxation importante des géants du numérique,
-des ressources issues de la taxation des émissions de CO2 pour tous les transports internationaux, dans le langage courant une taxe carbone aux frontières,
– des capitaux provenant de la suppression complète et rapide des subventions des énergies fossiles,
–les transferts de dépenses militaires vers les dépenses prioritaires d’environnement et de santé, mais aussi de la protection sociale, de l’alimentation, du logement, de l’éducation et de la culture…
2- …Et toute nouvelle ressource allant dans le sens de « l’intérêt commun de l’humanité »
c’est-à-dire de la démocratie, la justice, la protection de l’environnement, la paix tout cela pour les générations passées ( protection de leur patrimoine culturel) , présentes et futures(non-discrimination environnementale).
D- Des acteurs vont continuer à prendre des initiatives financières face à l’arrivée massive des catastrophes écologiques.
Nous rappelons le schéma général de fonctionnement des acteurs(1).
Nous soulignerons les quatre séries d’acteurs qui paraissent pouvoir amplifier cette reconversion financière(2).
1-Le schéma général de mise en œuvre, déjà en route et à probablement à venir, par des acteurs de moyens pour un monde viable est et serait vraisemblablement le suivant :
– Des résistances et des pratiques alternatives de plus en plus nombreuses « à la base », par des personnes, des associations, des mouvements, des collectivités locales, d’autres acteurs de toutes sortes, cela sous les pressions et des catastrophes et des logiques d’un système en route vers l’humanicide et le terricide .
-Des discours et des remises en cause, d’importances très variables, aux « sommets » des différents niveaux géographiques, locaux, régionaux, nationaux, continentaux ,internationaux, cela sous les pressions et des catastrophes et de « la base »…
-Des fissures « au cœur » des mécanismes du système mondial, autrement dit dans l’intérêt commun de l’humanité la détermination de limites radicales et contrôlées des acteurs les plus puissants que sont les marchés financiers, le marché mondial, la techno science , cela sous les pressions et des catastrophes et de « la base » et des « sommets » et de l’intérieur de ce « cœur » des mécanismes su système mondial.
2—Quatre séries d’acteurs peuvent particulièrement amplifier la reconversion financière.
-« A la base »l’amplification importante puis gigantesque de la révolte et de la résistance des jeunes. Les « marches » peuvent passer de dizaines de millions à quelques centaines de millions, donc devenir gigantesques. Des jeunes en Chine ( Comment ?Avec quelles marges de manœuvres ? A la suite de catastrophes écologiques ?) et en Inde (massivement quand ?) sont deux des clefs de cette grande naissance d’immenses foules de jeunes, marches tenaces, résistantes, non-violentes.(Voir sur ce blog des synthèses de la non-violence dans nos articles sur « Les résistances. »)
-Des associations et des mouvements sociaux constituent ici aussi un puissant levier à travers entre autres des « fronts communs. » De même le soutien le plus large possible d’une partie des mondes médiatiques doit s’amplifier.
-Aux « sommets » des Etats, par exemple des « conférences générales et spécifiques de reconversion financière » devraient aller dans le sens de ce qui a commencé. La reconversion générale radicale du pouvoir financier serait planifiée vers les besoins écologiques , sociaux et pacifiques criants. Des conférences spécifiques accompagneraient les conférences générales, par exemple celles de la remise en cause de la course aux armements, ainsi un ou plusieurs Etats nucléaires pourraient rejoindre le Traité d’interdiction des armes nucléaires, ainsi les ventes d’armes seraient remises en cause.
-Enfin « dans le cœur du système » , c’est-à-dire le financier, l’économique et la techno science, des transformations encore dérisoires ont commencé, allant dans le sens de cette reconversion , encouragées par de nombreux acteurs .
E-Reconversion financière : quels facteurs favorables ?
Au moins quatre facteurs sont favorables à la mise en œuvre de ce bouleversement.
Certains acteurs sont plus ou moins ouverts à des résistances et des propositions(1).
Des Etats, certes encore lentement et dérisoirement , commencent à aller dans ce sens (2).
Une toute petite partie des mondes financiers, encore dérisoirement certes, commence à se remettre en cause et à être remise en cause (3).
Les générations présentes ont probablement encore des marges de manœuvres(4).
1-Certains acteurs sont plus ou moins ouverts à des résistances et des propositions.
a-L’espoir de suites porteuses réside donc, une fois de plus, dans l’ensemble des acteurs c’est-à-dire des Etats qui continueront à négocier, des collectivités territoriales, des entreprises, des ONG ,des citoyens, des peuples… qui amorceront des transitions énergétiques et, de façon plus globale, qui mettront en œuvre des moyens démocratiques, justes, pacifiques et écologiques…
b-Les Etats continueront à négocier dans les COP à venir et dans d’autres lieux de gouvernance .Le rôle des Etats peut être ici essentiel dans les temps à venir pour aller vers des réformes et mais surtout vers des remises en cause. Dans « le temps qui reste » les réformes , c’est une certitude, ne suffiront pas.
c -Bien sûr des collectivités territoriales, des entreprises et des acteurs de la société civile (ONG , citoyens, syndicats, mouvements sociaux) , bien sûr aussi des fondations engagées, qui amorceront la transition énergétique, qui lancent et lanceront diverses alternatives pouvant se rencontrer ici et là. Il ne faut pas sous-estimer également les juridictions qui , de plus en plus saisies en particulier par des associations et des citoyen.ne.s , demandent des comptes aux Etats quant à l’exécution de leurs obligations nationales et internationales.
d- Interviennent aussi scientifiques, journalistes spécialisés, juristes, économistes, sociologues, philosophes, diplomates, fonctionnaires internationaux, militants d’ ONG environnementales et beaucoup d’autres , cela pour analyser et proposer des remises en cause à travers ouvrages, articles, émissions, appels, tribunes et autres moyens d’expression….
e-Des marches de jeunes et de moins jeunes pour « Sauver le climat « se multiplient, des grèves par des élèves de leur enseignement, à partir de janvier 2019, voient le jour une fois par semaine dans certains pays. Si on atteignait des chiffres gigantesques de jeunes sur la planète , en révolte non-violente, résistante et constante, celle-ci pourrait avoir une influence importante entre autres sur une telle reconversion financière.
2-Des Etats, encore lentement et dérisoirement, commencent à aller dans ce sens.
a – Voilà quelques avancées de levées partielles des secrets bancaire et judiciaire, qui est un des contre-mécanismes des paradis fiscaux, mais on est encore très loin d’une véritable remise en cause que serait , entre autres, une transparence généralisée .
Les sommes abritées dans les paradis fiscaux en 2018, c’est à dire dans plus d’une soixantaine de pays et territoires, seraient de l’ordre de 20.000(?) à 40.000(?) milliards de dollars! C’est l’une des sommes les plus gigantesques que l’on puisse imaginer. Il est vrai que l’on est encore loin des 226.000 milliards de dollars (192.000 milliards d’euros) du total de la dette mondiale en 2018 , soit trois fois le PIB mondial…On notera l’imprécision massive , opacité oblige, des sommes cachées dans les paradis fiscaux.
b – Voilà également quelques timides tentatives de luttes contre l’évasion fiscale de grandes firmes multinationales, ainsi le G 20 en novembre 2015 a adopté un plan de l’OCDE en vue de pousser ces entreprises à déclarer leurs bénéfices pays par pays, de même la Commission de l’Union européenne est allée dans ce sens fin 2015 et début 2016 par exemple en critiquant des pays (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg…) qui sont accusés de soutenir de telles pratiques, mais on est cependant encore loin d’une véritable convention mondiale accompagnée de sanctions.
c -Voilà aussi en mars 2018 la Commission de l’UE qui propose de taxer de 3% les revenus des géants numériques, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), cela dans les pays de leurs utilisateurs, et au delà 200 groupes ayant un chiffre d’affaires annuel de plus de 750 millions d’euros et de plus de 50 millions d’euros dans l’Union européenne, cette taxe, rapporterait 5 milliards d’euros par an.
La France en 2019 commence à prélever une taxe sur les géants du numérique, c’est le début d’un long chemin légitime et légal consacré en avril 2019. Si la taxe précédente est à l’initiative de la France, l’Allemagne par contre semble se déclarer favorable à « un impôt minimum mondial sur les bénéfices des multinationales du numérique ». La proposition française, beaucoup plus cadrée, va donner lieu à un rapport de forces aux enjeux importants entre des Etats européens et les GAFA.
Les GAFA se retrouvent sous pression avec l’administration du nouveau président des Etats-Unis à partir de 2021, à cela s’ajoutent de multiples enquêtes et poursuites venant d’ Etats fédérés, du Congrès, du ministère de la justice et de l’autorité américaine de la concurrence.
d-Voilà ces rapports de forces également par rapport à des amendes, ainsi en juin 2017 (2,47 milliards d’euros) et juillet 2018(4,3 milliards d’euros) infligées par la Commission à Google pour abus de position dominante, ainsi pour la seconde amende l’abus concerne le système d’exploitation pour smartphones , Android. Google verse les amendes pour éviter d’énormes astreintes mais fait appel devant la Cour de justice de l’Union européenne. En février 2019 le géant bancaire suisse UBS a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris à une amende de 3,7 milliards d’euros pour démarchage bancaire illégal et pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Les premiers pas des uns et des autres sur ce chemin peuvent être prometteurs.
Les GAFA en 2019 pèsent en Bourse 3360 milliards de dollars et réalisent 600 milliards de chiffres d’affaires par an. Les amendes records imposées par l’UE ne vont pas assez loin selon certains auteurs , en particulier aux Etats-Unis, auteurs qui, ici et là, proposent parfois de démanteler, de « casser ces géants. »
e-Voilà certes les premières taxes sur les transactions financières(TTF) d’un certain nombre d’Etats encore très minoritaires (ainsi par exemple deux sur 27 dans l’Union européenne) mais on est encore loin d’une véritable TTF qui serait mondiale dans sa portée et radicale dans son assiette.
C’est très certainement un des grands espoirs de véritables alternatives mondiales, espoir porté par exemple par une ONG telle que ATTAC, qui contribuerait à construire un monde viable dans la mesure où des sommes gigantesques, dégagées par ces TTF, seraient consacrées à des besoins criants, en particulier sanitaires et environnementaux…En France elle a rapporté 1,7 milliard d’euros en 2020 soit un montant record depuis sa création en 2012.
Pour l’UE on croyait le projet enterré depuis 2016, mais en 2019 dix Etats tentaient de relancer le processus, en 2020 il ressurgit le Royaume-Uni n’étant plus dans l’UE . Les négociateurs du Parlement européen et la présidence du Conseil européen sont parvenus en novembre 2020 à un compromis sur le financement pluriannuel (2021-2027) de l’UE soit 16 milliards de plus consacrés à protéger les citoyens de la pandémie et issue pour une part d’une TTF. « Est-ce que l’Europe est au service des banquiers, des milliardaires et des traders ? Ou bien au service du bien commun, des hôpitaux et de l’emploi ? Il est temps de choisir » écrit Pierre Larrouturou, député européen, qui milite pour une taxe européenne sur les transactions financières qui à 0,1% rapporterait 50 à 60 milliards d’euros par an.
A ce jour en juillet 2021 la TTF existe dans 9 des pays du G20(Afrique du Sud,Argentine,Brésil,Chine,Etats-Unis,France,Inde,Italie,Royaume-Uni) mais les impositions sont faibles et sur les transactions en Bourse.
Ici et là certains plaident pour des taux plus élevés et des taxes plus larges c’est-à-dire sur les actions en Bourse, les obligations, les devises et les produits dérivés …
Le 8 juillet 2021 un collectif de 124 économistes et experts financiers dans une tribune au « Monde » demande au G20 de mettre en œuvre au plus vite des taxes sur les transactions financières « pour lutter contre la volatilité de l’économie et générer des investissements publics nécessaires de toute urgence, pour sauver des vies en renforçant les systèmes de soins de santé, et pour couvrir une partie des coûts causés par le réchauffement climatique. »
Ils affirment en conclusion « Il est temps que le marché le plus riche du monde soit enfin mis à contribution. » C’est un appel qui fait date.
f- Le G7 des ministres des finances le 5 juin 2021 a publié un communiqué commun, concrétisant leur accord sur une taxation mondiale des sociétés à hauteur de 15% « au moins ». Un accord plus approfondi verra le jour au G20 de juillet 2021.
C’est une avancée. Elle a cependant au moins deux faiblesses : les communiqués de ces instances n’obligent pas directement les Etats mais fixent des orientations, et le taux mis en avant est considéré par beaucoup comme trop faible en particulier par des économistes critiques et par des ONG.
Le 10 juillet 2021 les ministres des finances du G20 ont entériné l’accord de l’OCDE sur la réforme de la fiscalité des multinationales .Les précisions verront le jour en octobre 2021 à Washington.
On le voit des mouvements… de fond et de fonds… ont très probablement commencé, des Etats commencent à en appeler à des sommes très importantes ici et là, peut-être un jour (mais quand ?) à des capitaux gigantesques ?
La question qui se pose est celle de la lenteur de l’évolution de ces rapports de forces face à la rapidité de la débâcle écologique et des autres périls communs soulignés plus haut.
Ces contre-mécanismes sont prometteurs mais trop lents, trop faibles face aux mécanismes puissants et rapides de l’autodestruction environnementale, sanitaire et sociale.
3-Une petite partie des mondes financiers commence, encore dérisoirement, à aller en ce sens .
Le rôle de forces allant dans ce sens dans une toute petite partie des mondes financiers n’est probablement pas négligeable.
a-On trouve par exemple depuis une trentaine d’années des fonds qui se veulent éthiques et liées au développement durable, encore faut-il des mécanismes de contrôle des objectifs proclamés, mais ces objectifs et ces moyens peuvent être porteurs…
b-Quelques milliardaires, par exemple à travers des fondations, mettent une part, dérisoire par affichage ou plus importante , de leurs fortunes au service par exemple de luttes contre des maladies (tuberculose, sida…) et contre les changements climatiques.
c- Egalement une partie, certes encore très insuffisante, du monde financier se détache des énergies fossiles et se tourne vers les énergies renouvelables. Ce sont là des rapports de force entre banques, Etats et firmes multinationales. Ce serait un des points clefs de la grande reconversion.
d-De façon plus massive, même si tout reste à faire, la BCE en juillet 2021 met en avant des garanties de protection de l’environnement, cela alors que des banquiers centraux déclarent cette stratégie contraire à la « neutralité » que doit observer la BCE.
e-Lieu de décisions. Fonds souverains, gestionnaires d’actifs(Black Rock),fonds d’investissement (Carlyle).
f-On peut aussi penser à « l’objection de conscience collective » d’une petite partie des mondes financiers, Jean Rostand l’appelait de ses vœux dans les recherches scientifiques militaires et les industries d’armements..Peuvent-elles voir le jour dans les mondes financiers ? Comment ?
En résistant à des pratiques bancaires porteuses par exemple de soutiens aux énergies fossiles.
En proposant des mises à disposition de fonds vers les drames évoqués plus haut, ainsi ceux de la faim et de l’absence d’eau potable.
En libérant des imaginations et des courages pour penser et mettre en œuvre des ressources nouvelles conformes à un monde viable.
Il s’agit bien de formes de résistances.(Voir nos six articles « Résistances » sur ce blog et sur notre site.)
Evoquons simplement ici la graphie du verbe résister , elle est magnifiquement soulignée par un auteur qui écrit : « Il est des mots dont la graphie semble incarner mystérieusement le sens. Ainsi du beau verbe résister avec ses deux r, ses deux e, ses deux s qui entourent symétriquement son i, comme s’il s’agissait de le préserver, de le garder précieusement en vie .Car résister c’est d’abord cela : maintenir intacte la flamme fragile, éphémère de l’existence : tenir : survivre ». (« Résister. Le prix du refus », sous la direction de Gérald Cahen, Editions Autrement, Série Morales, 1994 ,4ème de couverture).
4- Les générations présentes ont, probablement, encore des marges de manœuvres.
a-Les marges de manœuvres se réduisent à travers les générations.
Nous avons reçu de trois générations passées ( 1850 à 1945 environ), un environnement pour une part atteint et faisant l’objet de destructions en marche sous les logiques du productivisme en route en fait depuis le XVème siècle et de l’anthropocène en route voilà donc plus de 170 ans à travers les explosions des énergies fossiles et de la démographie.
Nos trois générations présentes (1945 -2030 environ), ont produit un environnement pour une large part détruit et plongeant dans des apocalypses écologiques multiformes, en interactions et rapides, ainsi à travers le réchauffement climatique et les atteintes à la diversité biologique.
Les trois générations qui ont commencé à voir le jour et qui viennent (2030 à 2110 environ) se trouveront donc devant une question vitale : cette forme de « veille de fin des temps », faite en particulier de nombreuses catastrophes écologiques, peut-elle encore se transformer sinon en une forme d’aube d’humanité en tout cas en un monde viable ?
b-Ainsi on peut penser que les générations actuelles (1945-2030) ont encore des marges de manœuvres, les suivantes (2030-2110) vont très vraisemblablement en avoir beaucoup moins pour construire un monde viable.
La décennie qui vient (2020-2030) est donc encore celle d’une chance qu’il faut saisir pour passer de l’autodestruction à un monde viable.
Lorsque l’on affirme de plus en plus souvent que « la catastrophe climatique est en route » et que « l’on ne peut attendre » pour arrêter cette machine infernale , est-ce que l’arrivée d’un déclencheur de remises en cause en cascade ne serait pas cette reconversion financière , à partir de la création de puissantes ressources nouvelles allant vers les besoins criants ?
F- Des moyens écologiques seront massivement soutenus par la grande reconversion financière.
Qui veut la protection de l’environnement doit penser et mettre en œuvre des moyens écologiques. Chacun de ces moyens exige des sommes considérables prises , entre autres, sur les ressources nouvelles du XXIème siècle(Voir ci-dessus).
Supprimer enfin l’un des plus grands drames du monde, celui de l’absence d’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Ce seul exemple suffit à montrer la gigantesque reconversion financière vitale et possible : résoudre cette série de drames liés à l’eau en transférant pendant cinq ans de l’ordre de quatre cents milliards de dollars par an, ces 2000 milliards de dollars seront pris sur les nouvelles taxes des transactions financières et gérés par un fonds spécifique. Ils correspondront à une année de dépenses mondiales d’armements et à un grand nombre de vies sauvées de maladies liées à l’absence d’eau potable et à l’assainissement.
Mettre en œuvre des transitions énergétiques massives,
Réduire et éliminer les modes de production, de consommation et de transport écologiquement non viables ,
Lutter contre l’effondrement de la biodiversité,
Réparer les dégradations de régions dans le monde ,
Conclure de nouvelles conventions et s’emparer des principes de droit de l’environnement,
Créer massivement des emplois écologiques et relocaliser des activités,
Créer et développer des moyens juridiques et des moyens généraux de protection,
Ralentir l’explosion démographique…
(Voir mes articles sur ce blog intitulés « Quels moyens écologiques ? »)
Ces moyens doivent être liés à des moyens justes, démocratiques, pacifiques.(Voir aussi nos articles « Quels moyens pacifiques, démocratiques, justes ? ».)
G-Des moyens sanitaires seront massivement soutenus par la grande reconversion financière.
Qui veut la protection de la santé doit penser et mettre en œuvre des moyens sanitaires. Chacun de ces moyens exige des sommes considérables prises, entre autres, sur les ressources nouvelles du XXIème siècle.(Voir « C » développements ci-dessus)
Repenser la santé c’est créer et développer des politiques de prévention et des politiques d’urgences, cela à tous les niveaux géographiques.
Repenser la santé c’est organiser des systèmes médicaux en supprimant des inégalités, ainsi par exemple en repeuplant les déserts médicaux.
Repenser la santé c’est construire de nouveaux rapports Nord Sud en matière sanitaire, autrement dit soutenir massivement les pays du Sud dans les politiques de santé en termes de bâtiments, de personnels, de matériels. C’est en particulier organiser l’accès effectif et universel aux médicaments.
Repenser la santé c’est établir des liens entre les politiques sanitaires publiques et privées dans l’intérêt supérieur des malades…
Repenser la santé c’est établir du point de vue sanitaire de multiples liens entre l’environnement et la santé. Ainsi c’est organiser un système d’assistance sanitaire et écologique à tous les niveaux géographiques, système puissant, rapide, multiforme. Ainsi c’est remettre en cause la place de plus en plus dominante de l’homme dans la nature, place qui est à l’origine de déstabilisations et de destructions d’espèces animales et donc de pandémies.(Voir « La fabrique des pandémies. Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire »,Marie-Monique Robin, éditions La Découverte,2021).
Remarques terminales
Cette reconversion ne contribuerait-elle pas à l’hypothétique passage de ce monde autodestructeur à un monde viable ?
–Ce ne serait pas une utopie abstraite, détachée des conditions de sa réalisation. Nous croyons à l’utopie concrète , celle qui prend les moyens de se réaliser. Et de toute façon , écrivait René Dumont, le choix est on ne peut plus clair : c’est « L’utopie ou la mort »(titre de son ouvrage lumineux publié en 1973) .
–Ce ne serait pas « Le » grand remède miracle, il n’y en a pas. Ce serait un moyen parmi d’autres mais particulièrement important par le montant des sommes et leurs destinations multiples vers des besoins criants.
–Ce ne serait pas une forme d’atteinte aux autres contre-mécanismes face au productivisme autodestructeur mais, au contraire, pour eux un puissant soutien, un côte à côte avec ces autres nombreux moyens viables.
–Ce ne serait pas supposer la question résolue : certains pensent en effet qu’ on ne peut pas par les finances changer le système productiviste puisque ce sont elles qui représentent un des piliers de l’autodestruction. Il serait au contraire impératif de mettre fin à l’argent, point final. Nous pensons que l’un n’empêche pas l’autre, qu’on remettrait en partie en cause, par les destinations des fonds, le système mondial autodestructeur dans un de ses piliers centraux particulièrement puissant , le domaine financier. Ceci ne veut pas dire que l’on ferme les yeux sur la question des alternatives à l’argent, alternatives qui existent ici et là à une certaine échelle. La question reste entière puisque la réponse dépend des volontés, des moyens et des marges de manœuvres pour aller dans ce sens, mais les urgences vitales exigent que l’environnement et la santé aient des moyens financiers puissants et rapides pour être viables. .
Ainsi cette immense reconversion financière pourrait être un élément décisif ,
en répondant à des besoins environnementaux et sanitaires vitaux,
en favorisant des mobilisations dans l’ensemble des domaines,
en ouvrant de nouvelles portes vers de nouveaux espoirs pour l’humanité et pour le vivant.