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au trésor des souffles

Environnement

marchandisation de la nature

Introduction générale

Le contexte est clair : la marchandisation est liée au productivisme (1)

 et la marchandisation de la nature est une des formes de la marchandisation du monde (2). Dans ce contexte, est-ce que n’apparait pas une question centrale (3) ?

 Le contexte est clair : la marchandisation est liée au productivisme (1) et la marchandisation de la nature est une des formes de la marchandisation du monde (2). Dans ce contexte, est-ce que n’apparait pas une question centrale (3) ?

 

1) La marchandisation, une des logiques profondes  du productivisme.

 

  1. a) Le système productiviste est en route depuis la fin du Moyen Age (XVème siècle), il  se développe ensuite sous la révolution industrielle(en Angleterre au milieu du XVIIIème et en France au début du XIXème), il se mondialise au XXème  siècle et en ces débuts du XXIème siècle. Ce système  repose sur des logiques profondes.(Pour la notion de productivisme voir sur ce blog l’article intitulé « Productivisme : un système totalisant. »)
  2. b) Ces logiques profondes, ces  mécanismes s’appellent la recherche du profit, l’efficacité économique,  le culte de la croissance, la course aux quantités , la conquête ou la défense des parts de marchés, la domination sur la nature, la priorité du court terme, l’accélération, l’expropriation des élu(e)s et des citoyen(ne)s , la compétition,    et donc la marchandisation du monde.
  3. c) Cette dernière logique est particulièrement puissante. Tout ce que le marché voit  il a tendance à le  toucher puis  à le vendre ou  à  l’acheter. La marchandisation du monde  est  synonyme de  transformation, rapide et tentaculaire, de l’argent en toute chose et de toute chose en argent. Voilà de plus en plus d’activités  transformées en marchandises, d’êtres humains plus ou moins instrumentalisés au service du marché, d’éléments du vivant (animaux, végétaux) décimés, et d’éléments de l’environnement qui sont entrés dans le marché (eaux, sols, air…).Dans ce système « tout vaut tant », tout est plus ou moins à vendre ou à acheter.

 

2) La marchandisation de la nature , une des  formes  de la marchandisation du monde

 

 

  1. a) Les éléments de l’environnement sont-ils pris dans ce processus gigantesque de transformation de l’argent en toute chose et de toute chose en argent ? La nature est-elle un objet  dans cette marchandisation du monde ?Est-elle devenue une marchandise ?
  2. b)  Après tout, diront certains, «  tout vaut tant ».  Non, diront d’autres, «  tout n’est pas à vendre et à acheter ». On pourrait pour simplifier en rester à ces deux positions de principe, mais les choses ne sont-elles pas plus compliquées ?

Des théories et des pratiques ont effet  mis en avant une question devenue centrale et qui n’est pas neutre : faut-il donner un prix à la nature pour la protéger ?

 

3) Faut-il donner un prix à la nature pour la protéger ?

 

 

Voir  l’ article de Laurence Caramel, journal Le Monde,20-10-2010

Voir aussi Jean Gadrey et Aurore Lalucq, Faut-il donner un prix à la nature ?, Les petits matins/Institut Veblen,2015

 

  1. a) Une question est venue  compliquer les situations. En effet certains de se demander si le  fait d’évaluer la nature, de chiffrer ce que l’on va appeler des « services éco systémiques » ne  va pas aider à sa protection ? Doit-on donner un prix à la nature pour la sauver ? 
  2. b) Les convictions des tenants de la conservation de la nature ne sont-elles pas mises à rude épreuve ? Certes tout ne vaut pas tant mais, si on démontre sur le terrain que donner un prix à la nature peut contribuer à la sauver, après tout, alors, dans le sillage de Machiavel, la fin (la protection) ne  justifie-t-elle pas les moyens (des opérations de financiarisation de la nature.) ?

 Nous  pouvons cependant rappeler ici la réponse  radicale de Gandhi  à cette question des rapports entre les fins et les moyens. C’est l’anti Machiavel : « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence », ce qui signifie qu’aucun moyen n’est neutre par rapport aux finalités que l’on met en avant. Peut-on, en  la transformant en actifs financiers, en marchandises, protéger la nature ?

 

 

4) Nous proposerons une démarche qui se voudrait globale, critique et créatrice.

 

 

Dans un premier temps nous analyserons le puissant courant en faveur de la marchandisation de la nature(I),

dans un second temps nous essaierons de comprendre les mécanismes de cette marchandisation de la nature (II),

 dans un troisième temps nous proposerons une synthèse des arguments des défenseurs et des détracteurs de ce phénomène, réflexion fondamentale qui est souvent abordée de façon partielle, nous essaierons d’avoir le sens des ensembles (III),

 enfin dans un dernier temps nous nous demanderons quelles alternatives existent ou pourraient exister par rapport  à cette marchandisation (IV) ?

( On retrouve cet article dans  « La marchandisation de la nature », Jean-Marc Lavieille, in Mélanges en l’honneur de Soukaina Bouraoui, Mahfoud Ghezali et Ali Mékouar, « Hommage à un printemps environnemental »,PUF,2016.)

 

I-  Le  puissant courant de marchandisation de la nature

 

 

La  force de ce courant se manifeste du point de vue théorique(A)

 comme du point de vue pratique(B),

les idées qui plaident en sa faveur ne manquent pas  et, sur le terrain, on trouve un nombre important d’acteurs qui vont dans ce sens.

 

A- Les courants conceptuels de marchandisation de la nature

 

Un courant existe, il est très ancien, celui d’une nature conçue comme un objet(1),

aujourd’hui  on évoque souvent la nature correspondant à un ensemble de services(2)

 et  des rapports internationaux appuient cette vision que  certains  qualifieront  d’utilitariste(3).

 

1) Une certaine conception des rapports de l’homme  avec la nature

 

 Il y a trois conceptions relatives à ces rapports. Les deux premières sont loin de la marchandisation de la nature, nous intéresse surtout la troisième mais il est nécessaire de comprendre les trois.

  1. a) La première conception  est celle d’une nature conçue comme un sujet. C’est une perspective éco centrique, la Terre est un ensemble vivant, elle a une valeur en elle-même, indépendamment de toute utilité pour l’homme.
  2. b) La seconde conception est celle d’une nature conçue comme un projet. Elle est avant tout un patrimoine, c’est-à-dire qu’elle a une valeur intrinsèque (sujet) et  elle est aussi essentielle pour les êtres humains (objet) qui doivent transmettre ce patrimoine.
  3. c) La  troisième conception qualifie la nature d’objet au service des êtres C’est une perspective anthropocentrique. L’homme doit  régner  sur le monde. Le marché ramène la nature à une marchandise, on organise le droit de propriété. Cette logique remonte au moins à la fin du Moyen Age, puis au siècle des Lumières (1715-1789), elle est dominante ensuite avec le système productiviste.

(Sur la nature et le droit voir en particulier François Ost, La nature hors la loi, l’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 1995.

 Voir  aussi l’article de Serge Gutwirth, Trente ans de théorie du droit de l’environnement : concepts et opinions, Environnement et Société, 26,2001, p5à17, article mis en ligne.)

 

 De 1986 à nos jours, donc depuis une trentaine d’années, deux nouvelles notions apparaissent,  elles sont fondées  sur des données scientifiques.

 

2) Les notions de diversité biologique et de services  éco systémiques

 

  1. a) En effet, à la suite de recherches scientifiques puis  d’un important  colloque aux Etats-Unis en 1986, la communauté scientifique  internationale met en avant l’importance de la « diversité biologique», c’est-à-dire de la variabilité des organismes vivants de toute origine, diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. L’émergence de cette notion donnera le jour  en juin 1992 à la Convention sur la diversité biologique qui est censée protéger ces richesses génétiques, en réalité qui avalisera pour une large part la marchandisation du vivant déjà en route.

 

  1. b) A la fin des années 1990 des publications scientifiques mettent en avant  des bilans des éco systèmes  dans lesquels apparaissent  des « services » rendus à l’homme par la nature, services qui vont être chiffrés. Par exemple en 1997 est avancé le chiffre de 33000 milliards de dollars pour l’ensemble des services  liés à seule diversité biologique.

 

 On distingue ainsi, affirme-t-on, ces fonctions écologiques en trois grandes catégories de services : les éco services « d’approvisionnement » (la pêche, la chasse, l’agriculture…), les éco services de « régulation » (climats, cycle de l’eau, pollinisation…), les éco services « culturels » (aspects pédagogiques, esthétiques, récréatifs, spirituels  en liens avec la nature…).

 

3)  Des rapports  scientifiques  allant dans le sens de la marchandisation

 

Trois rapports dominent l’ensemble des  nombreuses   publications  qui apparaissent.

  1. a) En premier lieu « l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire » (Millennium  Ecosystem  Assessment), commandée par le Secrétaire général des Nations Unies. Elle est établie de 2001 à 2005 par près de 1500 experts d’une cinquantaine de pays. Ce rapport, coordonné par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), distingue en particulier « les services rendus, les services en péril, les services annulés. »

 

  1. b) En second lieu le rapport d’un économiste, Nicholas  Stern, a été publié en 2006 à la demande du gouvernement britannique. Il concerne l’économie du changement climatique, il  affirme que, si rien n’est fait dans les vingt ans à venir, donc d’ici 2025, la facture pour l’économie mondiale serait de l’ordre de 5500 milliards  de dollars, soit « l’équivalent des coûts cumulés des deux guerres mondiales ».

 

  1. c) En troisième lieu le rapport sous la direction d’un conseiller des Nations Unies sur l’économie verte, Pavan  Sukhdev, ancien banquier indien, a pour objectif de donner un prix à la nature. Ce rapport est établi de 2007 à 2010, il estime les bénéfices économiques globaux de la biodiversité et  les coûts engendrés par son érosion. Autrement dit : combien rapporte un écosystème s’il est bien géré ? Combien fait-il perdre s’il tend à disparaitre ? Par  exemple les auteurs du rapport affirment qu’un investissement de 45 milliards de dollars par an dans les aires protégées fournirait dix fois plus de valeur en « services ».Bref : les écosystèmes sont analysés comme des gisements de profits.

 Ce cadre conceptuel n’est-il pas lié à différentes pratiques ?

 

B- Les  courants pratiques de marchandisation de la nature

 

 Le marché mondial achète et vend(1), des conventions et des protocoles relatifs à la protection de l’environnement vont aussi  dans ce sens(2), quelquefois des jugements font de même(3), des acteurs découvrent et parfois se prononcent pour  cette financiarisation(4).

 

1) La puissance du marché mondial qui tend à  marchandiser d’autres domaines

 

  1. a) Différents domaines qui étaient souvent du ressort des services publics ont fait l’objet, pour une part plus ou moins importante, de nouveaux marchés mondiaux. Ainsi  l’éducation voit, depuis une quarantaine d’années, des offres privées  en matière de formations d’entreprises, d’enseignement secondaire et d’enseignement supérieur. Internet joue un rôle important dans la formation de ce marché. Ce marché mondial  de l’éducation, chiffré à 2000 milliards de dollars il y a quinze ans, serait( ?) en 2013 de l’ordre de  plus de 4000 milliards de dollars. Ainsi la santéfait, elle aussi, l’objet d’une marchandisation. Le seul marché mondial des médicaments, qui était de 200 milliards de dollars en 1990, serait ( ?) en 2013  de l’ordre de plus de  855 milliards de dollars.

 

  1. b) Le marché mondial  va donc chiffrer l’eau, les sols, les forêts, l’air, la faune et la flore, la biodiversité…et même la couche d’ozone. Il chiffre aussi de plus en plus les catastrophes écologiques et les risques écologiques.

 

c ) Un des exemples les plus gigantesques, présent et surtout à venir, est celui de la géo ingénierie climatique. Le GIEC, dans ses cinq rapports (1990,1995,2001,2007, 2013,la synthèse  en octobre 2014), a montré que des activités humaines porteuses de CO2 entrainaient un réchauffement climatique synonyme de problèmes, de drames et de menaces pour le vivant, d’où  la nécessité vitale de politiques de réduction des gaz à effet de serre.

 Parallèlement à cela, certains scientifiques et certains groupes industriels se sont donc lancés dans des recherches et des applications technologiques pour « mettre la Terre à l’ombre. » Il s’agit  de projets souvent gigantesques, annonçant devoir engager des centaines ou même parfois des milliers de milliards de dollars,  projets sur le moyen voire le très long terme, plusieurs décennies pour réaliser telle ou telle technologie. A titre indicatif : le lancement de millions de ballons de souffre rafraichissant l’atmosphère, la construction d’un miroir solaire géant, des injections de fer dans les océans pour fertiliser le plancton qui absorberait ainsi plus de gaz carbonique, la séquestration de ce gaz dans des gisements de pétrole épuisés et dans une partie du sous-sol des océans…la liste s’allonge de plus en plus .(Dans la IVème partie de cet article nous soulignerons ce que l’on  peut en penser.)

 

  2)  Des conventions  participant, dans des proportions variables,  à la  marchandisation de la nature

 

  1. a) La Convention sur la diversité biologique (5 juin 1992) constitue un pas de plus dans la marchandisation du vivant. Certes sont posées quelques obligations de conservation, mais les Etats ont accepté la logique du marché à travers une « utilisation durable et équitable »  des ressources génétiques. Les pays du Nord se voient confirmer le droit de breveter les plantes et les animaux, les pays du Sud espèrent pouvoir monnayer leurs ressources. La liberté du commerce et de l’industrie est considérée dans le productivisme comme plus importante que la protection de l’environnement qui est considérée surtout comme  un moyen d’assurer des profits.
  2. b) Le Protocole de Nagoya (29 octobre 2010), adopté à la 10ème Conférence des Parties au Japon, porte sur «  l’accès aux ressources et sur le partage des avantages(APA) tirés de la biodiversité ». Une « plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services éco systémiques(IPBES) » a été créée comme prévu, cela le 21 avril 2012, son secrétariat est à Bonn. Elle a pour fonction de faire une synthèse des connaissances et d’apporter au monde politique l’expertise scientifique pour décider.

 Un des enjeux est de savoir quels vont être ses liens avec le secteur privé, l’IPBES contribuera-t-elle  à promouvoir les intérêts de ce secteur au nom de la protection de la diversité biologique ? (voir par exemple « A Nagoya, le privé à l’affût du marché de la biodiversité, Michel Temman, Libération, 2-11-2010.)

 

  1. c) Les fonctionnements d’une partie de la Convention sur les changements climatiques (5 juin 1992) et du Protocole de Kyoto (11 décembre 1997) vont pour une part  dans le sens du marché. Les mécanismes de flexibilité, prévus pour être complémentaires des politiques de réduction c’est-à-dire pour les appuyer, ont pris de l’importance, qu’il s’agisse des échanges d’émissions ou qu’il s’agisse  des mécanismes de développement propre dans lesquels des spéculations sont présentes (par contre moins importante est à ce jour la mise en œuvre conjointe entre pays industrialisés). (Voir en ce sens notre ouvrage de « Droit international de l’environnement », éditions Ellipses,3èmeédition,  2010.)

 

  1. d) Dans une certaine mesure on pourrait aussi évoquer le Traité sur les ressources  phyto génétiques (développement des végétaux) (3 novembre 2001).Il repose, entre autres, sur un partage se voulant équitable des semences agricoles. Certes il crée  un système de conservation mais aussi d’échanges multilatéraux des semences entre les pays du Sud où se trouve l’essentiel de la biodiversité et ceux du Nord où se trouvent les semenciers, on se trouve ainsi  dans des rapports de forces que le droit tend à encadrer de façon équitable, « le droit c’est l’intermède des forces » disait Paul Valéry.

 

3) Certaines décisions de justice ne vont-elles pas aussi en partie dans ce sens ?

 

  1. a) Une partie de la  pratique contentieuse est ici celle de l’application du principe pollueur-payeur et de façon plus globale de l’indemnisation des dommages environnementaux. Aller vers la reconnaissance de l’évaluation du dommage écologique n’est-ce pas être amené à fixer un prix pour  tel ou tel élément de la nature ? Il s’agit alors  de la mise en œuvre du principe de responsabilité qui, diront certains, s’éloigne d’une marchandisation de la nature. Un processus de responsabilité est différent d’une financiarisation de la nature. Reconnaitre le dommage écologique est une avancée.
  2. b) Nous citerons un seul exemple, celui du  jugement en appel (31 mars 2010) de la marée noire de l’Erika qui confirme, pour la première fois en France, que les oiseaux des mers ont une valeur qui justifie que ceux qui luttent pour leur protection soient indemnisés, ainsi des associations. Ce privilège était réservé jusque là aux oiseaux d’élevage ou au gibier et l’indemnisation ne concernait que leurs propriétaires.

 

4)  Des acteurs  se  « convertissant » plus ou moins  à la financiarisation de la nature

 

(Voir  par exemple article « La nouvelle conquête de la finance »Thierry Brun, article dans Politis, 14 octobre 2010, dossier sur «Nature à vendre »)

  1. a) Des acteurs très différents  s’intéressent à ce phénomène de marchandisation, de financiarisation de la nature. Depuis les années 2000 des alliances se nouent  entre différents acteurs, par exemple entre des multinationales et des ONG, des stratégies s’organisent.

 

  1. b) On rencontre certes des entreprises qui regardent ce que peut changer pour elles la  prise en compte de ce  capital qu’est la nature.

 

  1. c) Des sociétés d’assurances organisent de plus en plus une prise en compte  financière des catastrophes. Aux colloques sur les catastrophes écologiques et le droit des représentants de sociétés d’assurances interviennent.

 

  1. d) On constate que des gouvernements   se déclarent favorables à ce nouveau « gisement comptable. » Des collectivités locales prennent également des initiatives. Voilà aussi les analyses de certaines organisations internationales, celles par exemple  de la Banque mondiale et de l’OCDE.

 

  1. e) D’autres acteurs semblent aussi aller dans ce sens, ainsi le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), catalyseur des actions environnementales  du système des Nations  Unies,   et également des ONG,  par exemple le Fonds mondial pour la nature. Ces acteurs  affirment qu’il faut mettre un prix sur les fonctions remplies par la nature, on pourra ainsi  mieux la protéger.

 

  1. f) On peut constater aussi que des sites scientifiques peuvent aller d’une certaine façon  parfois dans ce sens, ainsi, parmi d’autres, le site du CNRS qui,  par exemple en 2010,  contenait  des pages consacrées aux insectes ayant une fonction de pollinisation et qui  représentent 30% de la valeur de base alimentaire mondiale. La valeur de ce service, la contribution de ces insectes à la production agricole, serait de l’ordre de cent cinquante milliards de dollars chaque année.

Tel est ce courant, puissant et varié, de marchandisation de la nature.

 Quels  sont  les mécanismes en route ?

 

 

II-  Les mécanismes de marchandisation de la nature

 

 

 Ces mécanismes sont financiers, économiques et juridiques. De nombreux acteurs agissent dans ces domaines, d’autres acteurs résistent à tel ou tel mécanisme.

Pour mieux comprendre leur importance nous en ferons une synthèse  sous leurs  formes principales(A),

 puis nous examinerons le domaine de l’eau dont les situations sont souvent dramatiques sur la planète  et donc les enjeux  particulièrement vitaux(B).

 

A-   Les formes de marchandisation de la nature

 

Il y a aujourd’hui au moins cinq formes principales de marchandisation de la nature, d’autres apparaitront probablement dans les années à venir, les imaginations  économiques  juridiques et surtout financières sont à l’œuvre. Chaque forme peut comprendre plusieurs mécanismes.

 Auteur de ce blog j’ai conscience de ne pas être capable d’entrer véritablement dans de nombreux mécanismes qui me dépassent, le droit des brevets par exemple est considéré comme redoutable. Malgré cette faiblesse évidente,  nous savons aussi  que ce blog  se veut «  généraliste » et basé avant tout sur le sens des ensembles.

 

1) L’appropriation intellectuelle et commerciale

 

  1. a) Dans ce développement du concept de biodiversité on avalise la  quantification. La Convention sur la diversité biologique de 1992 et son Protocole de Nagoya de 2010 organisent l’accès et le partage  des bénéfices, c’est l’encadrement par la propriété intellectuelle  des ressources génétiques, le contrat  entre l’Etat fournisseur et l’Etat utilisateur repose sur des rapports de force et des intérêts commerciaux.

De façon beaucoup plus globale Monique Chemillier-Gendreau, dans  ce grand  ouvrage « Humanité et souverainetés » (éditions la  découverte, 1995), pose la question de savoir « Comment faire évoluer cette  » société  » internationale encore primitive, où les contrats (entre États ou entre firmes) ne connaissent l’armature d’aucune loi ? » Le contrat prend  acte du rapport de forces sans le modifier.

 

  1. b) Depuis des décennies  on a pris dans les forêts tropicales les gènes  de plantes et d’insectes, on a breveté de façon intensive. Des firmes, par exemple pharmaceutiques, alimentaires, cosmétiques, trouvent là des bénéfices importants ou énorme .Parallèlement on constate que se  développent  également des techniques de synthèse qui peuvent ici ou là servir de substituts, ces techniques sont de plus en plus nombreuses.  

 L’auteur de cet article  a un témoignage personnel à apporter sur ces rapports de forces. Son père, Roger Lavieille, fit sa thèse sur la stevia (Etude du Kaa Hê-é). Il  a démontré le premier son pouvoir sucrant 300 fois supérieur au sucre. Il a proposé à la Société internationale de chimie le nom de   »  stévioside.  » Avant cette thèse de 1932 des chercheurs allemands travaillaient sur ce pouvoir sucrant et avant eux un botaniste suisse,  Bertoni, et avant eux tous… des paraguayens, indiens guaranis, qui avaient constaté le pouvoir sucré de cette plante. Quelques mois après sa thèse, mon père reçut une offre téléphonique d’une société japonaise qui lui proposait une collaboration.  Il avait refusé en nous disant qu’il avait répondu «  La stevia appartient au Paraguay et au peuple paraguayen ». La stevia fait aujourd’hui l’objet de rapports de forces puissants avec de multiples intérêts.

Pure Circle, leader mondial de la production et de la commercialisation de produits à base de stevia, a reçu en août 2012 du Bureau américain des brevets et des marques un accord de brevet pour une nouvelle variété de stevia à haut rendement qu’il cultive dans plusieurs pays dont le Paraguay.

Bastien Beaufort (streetpress.com)(green washing. Témoignage, 20-1-2015) écrit :«( …)  Mais aujourd’hui, la stevia est en passe de représenter un chiffre d’affaires de 15 milliards de dollars. Soit près d’un tiers du marché global des édulcorants. Le Paraguay, son pays d’origine, avec ses 2.000 tonnes annuelles cultivées fait bien pâle figure sur les marchés internationaux de la petite plante verte. La stevia lui assure un revenu minuscule de 2 millions de dollars. Ceux qui la cultivent là-bas sont des petits producteurs. Ils travaillent la plante sur une superficie totale d’à peine 1.500 hectares. »

« Où sont donc passés les 90 pour cent de la production restante ? Cette stevia qui génère 15 milliards de dollars ? Pas au Paraguay, c’est sûr. La massification de la production de la plante s’opère en Chine et en Malaisie. Pour la mise sur le marché du Coca-Cola Life, la multinationale d’Altanta s’est alliée avec Cargill. Ce mastodonte de l’agro-alimentaire lui garantit l’approvisionnement d’un extrait d’une molécule de la stevia. Le produit est dorénavant breveté et appelé Truvia. »

« En face d’eux, dans une forme de guerre périphérique propre à un capitalisme post-moderne,   s’allient Pepsi-Co et Merisant pour vendre la marque PureVia.  Merisant fut longtemps propriété de Monsanto, qui détint durant les années 1980 le monopole de l’aspartame. Cet ingrédient utilisé dans les boissons light est aujourd’hui soupçonné d’être cancérigène. Depuis les années 1990 et sa tombée dans le domaine public, les grandes entreprises mondiales de la boisson se sont intéressées de près à la petite plante verte. Elle fait office de poule aux œufs d’or. »

Ainsi  des firmes géantes agro-alimentaires, à partir de brevets et d’OGM ,  ont fait main basse sur cette plante venue du Paraguay.

 

2) Les marchés de permis d’émission et le mécanisme de développement propre.

 

  1. a) En 1992 et en 1997, avec la Convention et le Protocole sur les changements climatiques, est mis en place et se développe le marché de permis d’émissions négociables. Si certains Etats n’émettent pas les quantités attribuées ou s’ils les réduisent plus rapidement que prévu, «  ce devrait être une chance  pour la lutte contre le réchauffement  et non pas un surplus que les plus rapaces peuvent consommer » (Monique Chemillier Gendreau , article sur «  La marchandisation de la survie planétaire,  dans le  Monde diplomatique, janvier 1998).Se développe  ainsi ce que certains qualifient  de véritable marché des permis de polluer.

 

  1. b) Ces logiques de rentabilité se retrouvent dans le mécanisme de développement propre. Les pays développés préfèrent investir,  par exemple en Chine, plutôt que de réduire leurs propres émissions, une  «  bulle spéculative » se forme autour des procédés économes en CO2 (voir Aurélien Bernier, Faut-il brûler le Protocole de Kyoto ?, Le Monde diplomatique, décembre 2007).

 

 

3 ) Les « restaurations » par  l’intervention de  « banques de compensation »

 

  1. a) L’objectif mis en avant est celui de la  réduction ou de l’arrêt  de la perte de la biodiversité. Quelqu’un qui, par exemple, détruit une zone humide  à cause du  passage d’une route, doit compenser cette destruction par la restauration d’un milieu équivalent. On détruit dans un lieu mais on doit alors compenser dans un autre lieu.

 

  1. b) Des banques de compensation proposent ainsi de restaurer des milieux naturels,  des « destructeurs » vont acheter de l’hectare pour « compenser » (voir article de Noelle Guillon, « Echangerais  steppe contre autoroute », Politis, 14 octobre 2010).Aux Etats-Unis ce procédé existe depuis une trentaine d’années, par exemple, explique l’article ci-dessus, une entreprise du bâtiment ouvre une banque pour vendre des crédits « habitat mouche », cela pour une espèce de mouche rare en Californie. Un promoteur local qui achète des «  habitats mouche » peut  alors construire.

Ainsi cette « mise en banque » de la nature amène tel ou tel État à exiger  de tel ou tel aménageur qu’il « compense » la destruction prévue par une restauration ou une  préservation de nature ailleurs. Reste à savoir ce que pensent les scientifiques  des mesures compensatoires…

 

  1. c) Détruire dans un lieu, compenser dans un autre n’est pas sans rappeler un phénomène beaucoup plus global. Martin Rémond-Gouilloud, il y a plus de vingt cinq ans, avait magistralement pensé une analyse et une critique, « Du droit de détruire. Essai sur le droit de l’environnement. »(éditions puf, 1989).Elle expliquait l’arrivée du droit de l’environnement en montrant , entre autres, qu’il devait faire face au  droit du propriétaire d’abuser de sa chose, faire face à la liberté d’entreprise qui impliquait qu’on pouvait polluer dans des limites dites « raisonnables », faire face à des pollutions  de plus en plus graves  et à des pollueurs qui  pensaient  plus rentable… de polluer que de prévenir la pollution , prévention  considérée comme trop lourde financièrement.

 

4) Les paiements pour services éco systémiques

 

Il y a ici deux séries de pratiques.

  1. a) La rémunération de ceux qui entretiennent des éco systèmes.

(Voir  Nature à vendre, Patrick Piro, Politis, 14 octobre 2010.Les perversions de l’économie verte, Patrick Piro , Politis,31 mai 2012.)Cet auteur explique ces mécanismes :

  Ainsi cet exemple donné dans l’article cité : au Costa Rica l’Etat rémunère les services rendus par la préservation des forêts. Les propriétaires reçoivent une somme, par hectare et par an, cela en répondant à trois services : séquestration du CO2, conservation  de la biodiversité, beauté des paysages. Les fonds viennent d’une taxe sur les carburants et aussi de crédits environnementaux achetés par les entreprises  qui bénéficient de ces services, du tourisme par exemple.  Ainsi, autre exemple donné dans l’article cité, en France en Camargue une filiale de la Caisse des dépôts a lancé un marché de la biodiversité pour créer un habitat respectueux d’espèces remarquables, c’est un marché pour des entrepreneurs qui, « en produisant de la steppe par de l’ingénierie biologique, compenseront des dommages causés par leurs activités. »

  Ajoutons qu’est mise en place, dans le cadre du droit international de l’environnement, une récompense financière pour les pays qui luttent contre la déforestation.(REDD, Reduction  Emissions from  Deforestation and Degradation ».En effet 20%des émissions de  gaz à effet de serre sont dues à la déforestation(chiffre avancé par exemple par Greenpeace), donc à travers des Conférences des Parties de la Convention et du Protocole sur les changements climatiques, on organise ce système à partir de  2010.

 

  1. b) La rémunération de ceux qui s’abstiennent de détruire ces éco systèmes

Le projet  Yasuni en Equateur s’inscrit dans ce cadre. Existe un  parc,  zone protégée depuis 1979, lieu de vie de communautés amérindiennes et refuge d’une biodiversité parmi les plus extraordinaires de la planète. Sous cette merveille se trouve  un gisement de pétrole qui représente 20%des réserves du pays. Le gouvernement a proposé de ne pas exploiter ce pétrole en échange d’une rente, un fonds a été créé en août 2010, les sommes des différents contributeurs seront investies dans le développement durable de l’Equateur.

Le projet a fait l’objet de critiques, par exemple c’est la demande d’énergie, disent certains, et non pas l’offre qu’il faut  diminuer. Il n’en reste pas moins  qu’écologistes et altermondialistes lui trouvent beaucoup de force, on peut en effet le considérer comme un projet en rupture du productivisme, autant que faire se peut, la meilleure preuve en est d’ailleurs que les pressions sont énormes pour exploiter ce pétrole et qu’il sera de plus en plus difficile d’y résister. L’Assemblée Nationale d’Equateur le 3 octobre 2013, malgré les protestations des écologistes et des groupes indigènes, a d’ailleurs entériné l’exploitation pétrolière de ce Parc National. Où était la communauté internationale des Etats pour soutenir  massivement  cette rupture plus que symbolique ?  Dramatiquement  absente.

 

 

5) Les « obligations catastrophes. »

Une obligation catastrophe (catastrophy bond) est émise par une compagnie d’assurance ou de réassurance (assurance..des sociétés d’assurance). Elle est à haut rendement sur quelques années. L’assureur transfert des risques à des tiers c’est à dire ici à des investisseurs, ses pertes seront ainsi moins importantes en cas de catastrophes.

Si la catastrophe prédéfinie survient, le détenteur de l’obligation perd les intérêts. Ces sommes  vont servir alors  à répondre financièrement à des catastrophes naturelles cela pour dédommager des victimes, pour reconstruire…

 Mais, si la catastrophe n’arrive pas, l’investisseur au bout de quelque temps va retrouver et son capital et des intérêts.

En 2013 dans le monde vingt neuf obligations de ce type ont été émises, elles représentaient un montant de 7,1 milliards de dollars.

D’une certaine façon on peut voir là  économiquement une autre forme de privatisation de la nature et aussi  une forme de loterie sur la survenance des catastrophes naturelles. On peut penser aussi que l’essentiel est d’agir en amont des catastrophes écologiques naturelles, catastrophes  liées souvent  à des causes humaines et naturelles,  lutter pour les empêcher et non spéculer sur leur arrivée. (Voir plus globalement  «  Les catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit,appels au droit »,sous la direction de Jean-Marc Lavieille, Julien Bétaille, Michel Prieur, éditions Bruylant,2011.)

 

 B- Le  marché,  forme globale  de marchandisation : l’exemple de l’eau

 

 1) L’ampleur du domaine pour la financiarisation.

 

  1. a) Le secteur de l’eau est gigantesque. Les enjeux sont vitaux pour les habitants de la planète et le vivant en général, les intérêts économiques et financiers sont  très importants, les situations conflictuelles sont nombreuses et variées. Les acteurs de l’eau sont nombreux, ainsi par exemple le Forum mondial de l’eau, qui se tient tous les trois ans, comprend chercheurs, gestionnaires publics, fonctionnaires d’organisations internationales, dirigeants d’entreprises privées, représentants d’ONG…
  2. b) Les choix liés à l’eau potable et aux services d’assainissement sont essentiellement les suivants : l’eau est-elle un bien commun de l’humanité ou une  marchandise, un marché à conquérir ? Le  droit à l’eau potable et à l’assainissement implique-t-il ou non l’obligation pour les pays développés de participer à cet accès à l’eau des pays en développement ? Comment agir contre les pollutions et la raréfaction de l’eau ? Comment créer une véritable diplomatie de l’eau ?  (Voir de Bernard Drobenko, « Le droit à l’eau: une urgence humanitaire », 2èmédition, Johanet, 2012).

 

2) Le domaine financier intéressé par la création d‘un marché de l’eau.

 

  1. a) En s’inspirant d’autres domaines, certains acteurs, ainsi  des firmes multinationales, imaginent la création d’une sorte de « bourse mondiale de l’eau » qui aurait pour fonction de réguler la demande en lui  attribuant un prix et pour autre fonction d’atténuer les manques d’eau.

 

  1. b)  Le futur marché de l’eau se rapprocherait ainsi de circuits financiers bien connus synonymes de spéculations, de produits financiers dérivés…

 

 Réflexion essentielle : qu’en est-il des arguments des défenseurs et des détracteurs de cette marchandisation  de la nature ?  

 

 

III-  Les arguments des défenseurs et des adversaires de la marchandisation de la nature

 

 

  Des théories  et des pratiques s’affrontent au niveau des principes (A)

 et au niveau des modalités (B) de la marchandisation de la nature.

 

 

A- Les arguments relatifs aux principes de la marchandisation de la nature

 

Quels sont les arguments des défenseurs(1) puis ceux des adversaires(2) de ce phénomène ?

 

 1) Les principes des défenseurs de la marchandisation de la nature

 

Deux arguments sont considérés comme essentiels :

 

  1. a) La nature mérite notre attention, pourquoi ? Parce qu’elle nous rend des services, elle appelle notre protection. Nous dépendons d’elle, il faut donc la sauver.

 

  1. b) Comment  donner enfin sa véritable place  à la nature ? Il faut la sortir de la marginalité, il faut arrêter l’épuisement de ses ressources en lui donnant une valeur. Sa prise en compte dépendra de cette valeur. Ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Il faut donc donner un prix aux  services éco systémiques que la nature rend gratuitement et instaurer des droits de propriété.

 

 

2) Les principes des  adversaires  de la marchandisation de la nature

 

Les deux arguments précédents ont deux réponses :

 

  1. a) La nature a une valeur intrinsèque en elle-même,  indépendamment de toute utilité pour l’homme et elle est essentielle pour les êtres humains.Chaque élément a ses spécificités mais les deux sont interdépendants, la nature est à la fois sujet et objet de droit, autrement dit projet de droit, c’est un patrimoine qu’il faut transmettre.

 

  1. b) Dire que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur est une des bases du productivisme! En fait il y a des choses et des éléments naturels qui n’ont pas de prix et pourtant une valeur inestimable.

 Et puis il peut y avoir dans la nature des éléments non utiles aux humains et qui ont pourtant une valeur en eux-mêmes.

 

A ces arguments s’en ajoutent deux autres :

  1. c) Donner un prix aux constituants  du  vivant, évaluer les services qu’ils nous rendent n’est-ce pas les considérer comme des objets étrangers à notre espèce humaine ? Le patrimoine mondial montre au contraire qu’on doit protèger la nature et pour elle-même et pour nous.

 

  1. d)  La protection de la nature «  n’est pas négociable »,lui appliquer la logique marchande n’est-ce pas la tuer peu à peu ? De  même la protection de l’humanité est un impératif vital. Bref : on ne peut pas confier la nature et l’humanité au marché. (Voir l’article  déjà cité de Monique Chemillier Gendreau : La marchandisation de la survie planétaire, Monde diplomatique de janvier 1998).

A ces arguments relatifs aux principes s’en ajoutent d’autres relatifs aux mécanismes d’application.

 

 

B-Les arguments relatifs aux  mécanismes  d’application de la marchandisation de la nature

 

 

Les désaccords s’expriment  quant  à l’économie verte qui fait  l’objet de louanges et de solution globale par les uns, mais est qualifiée par les autres de mirage, de fausse solution. Les désaccords  s’expriment également  quant aux inégalités et quant à tel ou tel mécanisme.

 

1) Les  mécanismes d’application et les  défenseurs de la marchandisation de la nature

 

 

  1. a) L’économie verte et ses vertus

 

On affirme qu’elle crée et va créer  de nouvelles sources de profit pour protéger les écosystèmes. (Voir, par exemple, Vers une économie verte, vision du PNUE,2011,www.unep.org /greeneconomy.

 L’économie verte, face à la raréfaction d’énergies  fossiles (pétrole, gaz) et de matières premières (fer, argent…), veut séparer la croissance économique …de la consommation de ressources. Comment ? En produisant plus de valeur sans accroitre les énergies et les matières premières. On va donc mettre en avant les  progrès technologiques et les capitaux. Il faut investir dans les secteurs du carbone, de l’eau, de la biodiversité, des forêts, de l’agriculture…C’est d’ailleurs une des propositions du PNUE.

 

  1. b) Des mécanismes de marchandisation contribuent à la justice

 

Ainsi des agriculteurs du Sud  par exemple seront rémunérés pour des pratiques agricoles peu utilisatrices de CO2, et rémunérés  pour la préservation de la  biodiversité.

 

  1. c)  L’ensemble de ces mécanismes  aurait  un aspect  éducatif  porteur

 

On affirme en effet que  donner une valeur à la nature aurait quelque chose de pédagogique,

 On la regarde autrement parce que l’on sait  qu’elle est porteuse de nos intérêts.

 

 

2) Les mécanismes d’application et les adversaires de la marchandisation de la nature

 

 

  1. a) Les critiques de l’économie verte  

 

On considère que c’est  une mutation du productivisme  qui transforme la nature en objet économique,  cela  pour de nouveaux profits sous couvert de protéger les écosystèmes.  (Pour  une vision critique voir : La nature n’a pas de prix. Les méprises de l’économie verte. Les liens qui libèrent, 2012, Geneviève  Azam.  Nature à vendre, Patrick Piro, Politis, 14 octobre 2010.Les perversions de l’économie verte, Patrick Piro, Politis , 31 mai 2012.Voir aussi   nogreeneconomy.org ). La sacro-sainte croissance demeure, on fait silence sur les déséquilibres Nord Sud, sur la surconsommation, sur un marché sans limites… L’intérêt général des Etats, a plus forte raison l’intérêt commun de l’humanité ne peuvent pas être dégagés, il s’agit d’intérêts nationaux,  et  surtout d’intérêts particuliers,  à court terme, de firmes géantes et de groupes financiers  se disputant les marchés de la nature. Des mécanismes profitent aux dominants, ils se trouvent souvent entre les mains de ceux qui ont concentré des avoirs, des pouvoirs, des savoirs.

L’économie verte est peu évoquée dans la déclaration finale  de Rio de 2012, les pays émergents et les pays en développement n’en voulaient pas. Le concept « d’ économie verte » a explosé ces dernières années, il a cependant battu en retraite dans la déclaration finale de Rio de juin 2012, ce qui lui est consacré est dérisoire. Les pays émergents,  et de façon plus globale les pays en développement, ne voulaient guère le mettre en avant, ils y voyaient une mise en cause de leur droit au développement sous couvert de protection environnementale et une façon pour les pays du Nord de vendre des  technologies qui iraient dans ce sens.

 (Voir   «  L’avenir que nous voulons », IIIème partie, L’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la pauvreté, p11 à 15, Déclaration finale de la Conférence de Rio, doc.ONU,A/ CONF.216/L.I).Voir aussi « L’économie verte déraille à Rio+20 »,article de Gilles Van Kote, Le Monde,20 juin 2012)

 

 

  1. b) Les critiques de certains  mécanismes  injustes

 

 Les paiements  dans certains mécanismes se feront surtout du Nord vers le Sud, on dédommagera des peuples autochtones du manque à gagner à ne pas détruire une ressource.(Virginie Maris, article « Un risque d’impérialisme », Politis,14 octobre 2010,et ouvrage de cet auteur, Philosophie de la biodiversité, éditions Buchet-Chastel), On fait de certains peuples « des gestionnaires de la biodiversité », on les dédommagera pour cela .On crée un marché des droits à détruire le vivant que pourront acheter des riches, cela  en payant par compensation les pauvres pour qu’ils protègent leurs propres ressources biologiques, c’est une division du travail déterminée par un rapport de forces.

 

  1. c) Les critiques particulières à tel ou tel mécanisme

 

La compensation n’est-elle pas une permission de destruction ? Ne va-t-elle pas devenir une « licence de destruction » de la diversité biologique ? Elle  va servir à accepter  des projets qui n’auraient pas pu être mis en place à cause de leurs impacts écologiques. Des espaces continueront à être détruits, mais pour les banques de restauration ce sera rentable. Dans un lieu une entreprise détruit des espèces de la faune, elle va se racheter dans un autre lieu en plantant des arbres. Mais deux mécanismes de destruction sont toujours là : ce qui était unique a été volontairement détruit  et, « en fin de compte », au total, la biodiversité continue à perdre sa richesse.

 Le mécanisme de rémunération pour services rendus dans l’absence d’une déforestation n’est pas évident  quant à des effets négatifs pouvant apparaitre. Ainsi par exemple une gestion de la propriété que ne connaissent pas des populations autochtones.

 Le mécanisme de vente de crédits carbone montre que les émissions n’ont pas été réduites et que des pollueurs ont joué sur ce marché (prix de la tonne de carbone 1,26 euros entre 2005 et 2007, puis 20 euros entre 2008 et 2012).

Ces logiques de rentabilité se retrouvent dans le mécanisme de développement propre. Les pays développés préfèrent investir,  par exemple en Chine, plutôt que de réduire leurs propres émissions, une  «  bulle spéculative » se forme autour des procédés économes en CO2 (voir Aurélien Bernier, article déjà cité, Faut-il brûler le Protocole de Kyoto ?, Le Monde diplomatique, décembre 2007).

 

 

IV- Quelles alternatives à la marchandisation de la nature ?

 

 

Nous distinguerons des alternatives juridiques(A)

 et des alternatives générales(B), cela bien sûr à titre indicatif pour le présent et pour l’avenir.

 

 

A- Des  alternatives juridiques face à la marchandisation de la nature

 

Il faut renforcer la consécration et l’application du droit existant lorsqu’il tend à la protéger(1) et créer de nouvelles règles de protection(2).

L’imagination politique et l’imagination  juridique doivent répondre présentes.

 

1) Renforcer l’application du droit  protecteur existant

 

  1. a) Dans la panoplie des  principes  de droit de l’environnement

 

  Il s’agit d’appliquer particulièrement ceux de précaution, de prévention,

 et aussi celui « de réduction et de suppression des modes de production, de consommation, de transports  non viables » (principe 8 de la Déclaration de Rio de juin 1992).Malheureusement nous ne sommes que dans une déclaration incitative mais ce dernier principe est l’un des plus radicaux. Des législations nationales, régionales  le reprennent partiellement, il faut continuer à lutter pour leur consécration et leur application.

 

  1. b) Ces principes doivent faire l’objet de règlementations à tous les niveaux géographiques, il s’agit avant tout d’agir en amont et d’empêcher de nouvelles dégradations. Le rôle des juges nationaux, régionaux et internationaux dans leur application reste un élément essentiel, bien sûr les rôles aussi, certes différents mais essentiels, des ONG, des associations, des réseaux, des citoyen(ne)s.

 

 

2) Créer des verrous  juridiques, crans d’arrêt de la marchandisation de la nature

 

Sont vitaux au moins trois types de crans d’arrêt face à la marchandisation :

 

  1. a) Une consécration des  biens communs. Au lieu de considérer que, seule, la propriété privée  peut les protéger, on peut penser qu’il faudrait les consacrer comme éléments du patrimoine commun de l’humanité ,avant tout il s’agirait de l’eau,  et, probablement dans un second temps, souverainetés étatiques obligent, des forêts…Il faudrait penser ce rattachement au patrimoine commun de l’humanité en termes de protection environnementale vitale et en tirer les conséquences , par exemple dans une convention internationale sur le droit à l’eau et à l’assainissement.

 

  1. b) Une consécration de certains droits attribués à la nature. Il s’agirait de droits attribués à la nature et opposables aux destructeurs du vivant. On sortirait de l’anthropocentrisme omniprésent, on accepterait ainsi que la future Organisation mondiale de l’environnement ( OME ),créée enfin un jour, pourrait représenter la nature. Là aussi il faudrait penser le processus (cf cette idée dans l’ouvrage de Jean-Pierre Beurier,  DIE, Pedone, 4ème édition, 2010 p 557.)(Voir aussi sur ce blog les articles sur l’humanité.)

 

  1. c) La consécration  consolidée du principe de non régression serait porteuse, on ne peut pas remettre en cause des acquis environnementaux essentiels. Ce  principe verra le jour au nom des droits des générations futures (voir ouvrage sous la direction de Michel Prieur et Gonzalo Sozzo, Le principe de non régression en droit de l’environnement, Bruylant , 2012.Voir aussi colloque sur ce concept en droit comparé, actes à paraitre 2015, Limoges 15 et 16 septembre 2013).

 

 

B- Les alternatives  générales face à la mondialisation de la nature

 

 

1) Un concept à promouvoir : la détermination de  limites au cœur des activités humaines

 

  1. a) C’est ici la mise en avant du concept de détermination de limites au cœur des activités humaines. Il s’agit entre  autres  de l’autolimitation des privilégiés de notre monde, et  également du respect des écosystèmes des autres êtres vivants. (  sur ce concept, voir DIE, J. M Lavieille, Ellipses, 3ème édition, 2010,p 153 à156.Voir l’article de Jean-Jacques  Gouguet « Développement durable et décroissance. Deux paradigmes incommensurables, in   Mélanges Michel Prieur, Pour un droit commun de l’environnement, Dalloz,2007, p123à 147.Voir aussi Jacques Ellul, Le bluff technologique, Hachette,1988.Serge Latouche,  voir par exemple « Survivre au développement », Mille et une nuits,2004, et un article « Pour une société de décroissance »,Le Monde diplomatique, novembre 2003 .)

 

  1. b) L’exemple des limites à déterminer par rapport à la géo-ingénierie est particulièrement significatif, de ce point de vue il sera important aussi de voir   ce qu’en pense le GIEC et  en général et de tel ou tel projet en particulier.

 Ces technologies, déjà évoquées dans la première partie de cet article, comme une des manifestations de la puissance du marché mondial, censées permettre de   « mettre la Terre à l’ombre », devraient avoir au moins trois séries de limites.

D’abord ne pas les considérer comme « le » grand remède miracle face au réchauffement climatique mais comme un remède parmi d’autres, plus ou moins important selon les cas. Concrètement cela signifie politiquement pédagogiquement et  financièrement le présenter ainsi, et surtout surtout surtout (oui c’est écrit trois fois)ne pas se désengager des politiques de réduction des gaz à effet de serre.

Ensuite les décider démocratiquement, en toute justice et à des fins pacifiques. Concrètement cela signifie que doivent en décider tous des Etats, que cela profite à l’ensemble des peuples et que leur utilisation pacifique soit contrôlée.

Enfin éviter les dégâts collatéraux que ceux-ci soient majeurs ou importants. Concrètement cela signifie l’application du principe de précaution, l’application d’interdictions  éventuelles d’appliquer telle ou telle technique, l’engagement de  processus de responsabilités, et une occasion de plus de consacrer la notion de crimes environnementaux.

Cet exemple montre bien qu’une société doit se donner des limites. Remettre à leurs places la techno science et le marché est vital pour que le vivant(humains,animaux,végétaux) ait encore sa place.

 

 

2) Se  situer  par rapport  à la question du prix  de la vie

 

  1. a) Lorsque l’on affirme que « la vie a un prix » cela signifie qu’on peut déterminer un prix à partir de différents critères. La marchandisation de la nature se veut proche de cette conception.

 

  1. b) Lorsque  l’on affirme « la vie n’a pas de prix » cela peut avoir deux sens opposés. Premier sens :On   veut dire que la vie est insignifiante par rapport à des intérêts économiques, financiers et stratégiques. La marchandisation  de la nature peut se retrouver, partiellement ou massivement,  sur la pente de cette  conception.

 

  1. c) Lorsque l’on affirme que «  la vie n’a pas de prix », second sens ,  cela peut vouloir dire que tout n’est pas chiffrable,que la vie est au-delà de tout prix, qu’elle est inestimable. La marchandisation de la nature parait bien éloignée  de cette conception.

 

 N’est-ce pas pourtant  cette conception d’une  vie considérée comme inestimable qu’il faut continuer et contribuer à promouvoir ?

 

(Voir sur ce site voir  « La vie a-t-elle un prix ? » dans « Articles tous azimuts »)

 

 

Remarques terminales

 

 

1) Le mouvement de marchandisation de la nature est puissant. Des firmes multinationales, les marchés financiers sont côte à côte et tendent à contrôler ces mécanismes. Des Etats, certaines ONG et d’autres acteurs sont là aussi pour y participer. 

 

2) Ce mouvement  n’ a pas réduit, à ce jour,  les  risques environnementaux et la pénurie des ressources,  et cela contrairement à ce que croyaient certains.

 Comment pourrait-il  d’ailleurs le faire avec les mêmes dominants du productivisme et les mêmes logiques du productivisme, avant tout la primauté du profit ?

 

3) Sans doute serait-il erroné et injuste de rejeter tous les  mécanismes.

  Autant on peut vivement critiquer un pollueur rapace achetant des droits de polluer aux plus pauvres,    autant  le refus d’utiliser une réserve de pétrole pour sauver une biodiversité nous semble porteur.

 

 Il faudrait donc passer en revue tous les mécanismes,ce qui se fait ici ou là, et porter un jugement sur chacun  d’eux  à partir d’au moins  quatre  critères :

 Quelle démocratie dans ce mécanisme ?

Quelle paix dans ce mécanisme ?

 Quelle justice dans ce mécanisme ?

Quels effets environnementaux  bénéfiques  à court  terme, à moyen terme et à  long terme ?

 

 

4) Il est très important de replacer la marchandisation de la nature dans le cadre de la course au profit.

 

 On comprend alors mieux les enjeux pour le productivisme et ses logiques. De façon plus globale le productivisme met ici en œuvre au moins quatre stratégies pour préserver  ses taux de profit.

 

  1. a) La première voie utilisée par le productivisme est une exploitation tous azimuts de ressources « déjà trouvées » dans la nature.

  Autrement dit il s’agit d’exploiter le plus possible les ressources existantes, c’est la course aux quantités des gisements en route ou en bout de course.

 Ce que le productivisme a emballé  il l’achète et  il le vend  jusqu’à extinction des stocks.

 

 

  1. b) La seconde voie utilisée par le productivisme est une exploitation tous azimuts de ressources « à  trouver » dans la nature.

 Autrement dit il s’agit d’en découvrir de nouvelles, ainsi le gaz de schiste(avec de puissantes pressions de la course en avant des consommations d’énergie, d’industriels qui multiplient rapidement  les forages par des moyens écologiquement inacceptables avec sous-estimation des effets écologiques dans les eaux, le sol, le sous-sol ), les richesses minérales aux pôles et d’abord en Arctique, mais aussi des recherches de  nappes phréatiques, des « terres rares », de gisements de pétrole offshore 

Ce que le productivisme découvre  il le touche, il l’emballe, puis il le vend et l’achète.

 

 

  1. c) La troisième voie utilisée par le productivisme est un marché tous azimuts des  « services »de la nature.

Autrement  dit on met en place  des services que l’on va échanger avec le plus de  profit possible. Ce processus  fait dire à des économistes critiques (ainsi Jean Gadrey , «  Adieu à la croissance », éditions Alternatives économiques,2010) que «  le capital financier veut découper  la nature en services monnayables, puis en  marchés dérivés pour qu’on puisse spéculer sur ces cours nouveaux ».

 Ce que le productivisme, en affirmant faire œuvre de protection, déclare « services » il va le découper et le monnayer. 

 

 

  1. d) La quatrième  voie utilisée par le productivisme est une « artificialisation » tous azimuts de la

Autrement dit des entreprises, surtout des firmes multinationales, se sont lancées dans les productions d’organismes génétiquement modifiés, de biotechnologies, de nanotechnologies,  d’utilisations de plantes en carburants, de nouveaux marchés rentables liés au bio mimétisme de la nature, et de plus en plus de projets de géo-ingénierie climatique…

Ce que le productivisme commence à voir  il va   essayer de le modifier, de le transformer, puis il le vend et l’achète.

 Ainsi à grande allure sous de multiples formes  la pente est prise  : TOUT  VAUT  TANT.

 

 

 

5)  Ne faut-il pas au contraire faire d’autres choix ?

 Comment ? A travers les rapports de forces et à travers  les pédagogies des catastrophes, elles aussi synonymes de luttes .

 

  1. a)  Les eaux,  les sols,  l’air, la faune, la flore,  tous les éléments de l’environnement ne doivent  pas être  considérés avant tout comme des  marchandises.

 

Ce sont des biens communs  intergénérationnels et qui ont une valeur en eux-mêmes, une valeur inestimable. On reconnait ici la synthèse de la nature objet de droit et sujet de droit, autrement dit  de  la nature projet de droit, c’est la conception   anthropo-éco-centrique de la nature.

 

  1. b) La nature doit-elle être

 synonyme d’un monde  de profit, de marché, de court terme ?

 Ou bien la nature doit-elle être

 synonyme d’un monde  de  partage, de solidarité, de souveraineté alimentaire, « de frugalité  conviviale »?

 

 

 6) Pour conclure nous  rappellerons  trois  avertissements symboliques : 

Le rappel de la  légende du roi Midas:

Bacchus consentit à donner au roi Midas ce qu’il demandait : changer en or tout ce qu’il toucherait. Au début le roi fut ébloui, mais ses aliments se changèrent eux aussi en or et, sur le point de mourir de soif et de faim,  Midias  supplie Bacchus  de lui retirer ce don. Bacchus lui dit alors d’aller se plonger dans le fleuve Pactole qui, depuis ce jour, contient du  sable d’or.(Pour l’histoire détaillée voir P.Commelin,Mythologie grecque et romaine, Pocket,1994)

 « Il ne possédait pas l’or mais l’or le possédait » écrivait… Jean de La Fontaine. 

« Les spéculateurs rendent la terre chauve et nue » écrivait David Henry Thoreau.

 

7)  Le dernier mot sera celui de l’exhortation finale, à la fois désespérée et pleine d’espoir, du chef indien Seattle en 1854, dans son magnifique discours de résistance :

 « Enseignez à vos enfants ce que nous avons toujours enseigné  aux nôtres : la Terre est notre mère. Et tout ce qui arrive à la Terre arrive aux fils  de la Terre. »