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au trésor des souffles

Environnement II

nucléaire

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Nucléaire : résistances et alternatives au nucléaire ( IV )

Dans les trois premiers développements nous partirons du « sens des ensembles » évoqué  dans le premier article, vertu qui semble faire défaut aux nucléocrates. Dans les deux derniers développements nous synthétiserons  les alternatives au nucléaire civil et militaire, sans oublier de faire une petite synthèse  d’un des moyens d’action  pour résister au nucléaire, la non-violence.

 

Nous proposons donc d’envisager tour à tour cinq points :

 

 Le sens de la limite, un  cran d’arrêt face à  l’autodestruction. (A)

 Les  limites des activités humaines, un concept porteur de principes.(B)

  Les consécrations vitales des « crimes contre les générations futures » et de « l’interdiction des recherches contraires à  l’intérêt commun de l’humanité. »(C)

  Les alternatives au nucléaire civil et militaire.(D)

  Les résistances non-violentes, un des moyens de lutter contre le nucléaire.(E) 

                                                                     

 

  • Le sens de la limite, un cran d’arrêt face à    l’autodestruction .

 

 1-On le sait ou on va le découvrir,  des philosophes, des économistes, des sociologues, des anthropologues et d’autres auteurs ont analysé depuis longtemps  de façon radicale le système qu’ils qualifient selon les cas de capitaliste, de  néo libéral, de  techno scientiste,  de productiviste ou d’anthropocène , système  qui a étendu son emprise sur la Terre. Chaque auteur le fait dans la cadre de sa pensée générale  et en insistant sur tel et tel élément  mais ce point commun est bien là.

Nombreux ont été ces auteurs, ainsi  Claude Levi Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy Debord , Bernard Charbonneau, Edgar Morin, Herbert Marcuse, André Gorz, Cornelius Castoriadis , François Partant, René Dumont, Théodore Monod, Jean Rostand, Kostas Axelos,  Paul Virilio, Serge Latouche…d’autres encore. Nombreux sont aussi les citoyen(ne)s qui personnellement et collectivement (associations, mouvements…) partagent ces analyses.

  Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites ?

 Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la croissance  indéfinie et l’acceptation de bornes  multidimensionnelles. »

 Cornelius Castoriadis en  appelait à  nous défaire des « fantasmes de l’expansion illimitée.»

Toute l’œuvre, splendide, pionnière, gigantesque et porteuse, d’Edgar Morin nous le redit sans cesse sous de multiples formes.

 

2-Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits et leurs actions :

 d’une part  le système productiviste est lancé dans une course en avant autodestructrice, il faut donc être en rupture globale avec ce système,

 d’autre  part une croissance illimitée sur une planète limitée nous amène vers une gigantesque collision entre l’environnement et les activités humaines.

 Il faut donc « retrouver le sens de la limite »(expression de l’introduction de l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection Frankenstein,2013).

 

 

B- Les  limites des activités humaines, un concept porteur de principes.

 

1-Dans la ville de Pripyat, près de Tchernobyl, une statue en bronze devant le cinéma représentait Prométhée levant les bras au ciel pour prendre le feu des dieux. Il était dans la toute-puissance.

Après le drame du 26 avril  1986 la statue du Titan  a été enlevée de la ville fantôme et placée devant la centrale nucléaire  pour rendre hommage aux « liquidateurs. » (Voir  « Prométhée à Tchernobyl » , François Flahault, Le Monde diplomatique, septembre 2009.)

 

2- C’est donc la dénonciation de la fuite en avant , c’est également l’élaboration d’un concept porteur de principes. Ce concept ne condamne-t-il pas  indirectement le nucléaire ?

Ce concept de limites ne se traduit-il pas par au moins quatre principes que l’on retrouve par exemple en droit international de l’environnement(DIE) ? (Voir notre ouvrage de DIE, éditions Ellipses, quatre  éditions de 2010 à 2018).

De façon plus globale on retrouve les trois premiers principes dans la remarquable « Plate-forme pour un monde responsable et solidaire », publiée par le Monde diplomatique d’avril 1994, qui est à la fois « un état des lieux des dysfonctionnements de la planète et une mise en avant de principes d’action pour garantir un avenir digne au genre humain », plate-forme portée par la « Fondation pour le progrès de l’homme », plate-forme qui devrait être symboliquement affichée, même presque trente ans après sa parution,  sur beaucoup de portes  d’universités et de lycées dans le monde,   étudiée et débattue  dans de nombreux cours.

Le quatrième principe a vu le jour dans des textes de plus en plus nombreux, c’est le principe de non-régression.

 

3- Le principe de précaution selon lequel les sociétés humaines ne doivent mettre en œuvre de nouveaux projets, produits et techniques, comportant des risques graves ou irréversibles, qu’une fois acquise la capacité de maitriser ou d’éliminer  ces risques pour le présent et le futur. La précaution veut répondre à des risques graves ou irréversibles,  mal connus  ou inconnus, alors que la  prévention est une réponse face à des risques connus.

 

  4-Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à brûler moins d’énergie, à maitriser leurs besoins pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité, de décroissance. André Gorz écrivait : «  Il est impossible d’éviter la catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les logiques qui y conduisent depuis cent cinquante ans. »

 

 5 – Le principe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des modes de production et de consommation sans prélèvements, sans déchets et sans rejets susceptibles de porter atteinte à l’environnement. D’où l’existence de ces luttes pour développer des technologies propres, des énergies renouvelables et pour consacrer des éléments de l’environnement, comme par exemple l’eau, comme biens publics mondiaux (BPM) ou comme  éléments du patrimoine commun de l’humanité(PCH).

 

  6- Enfin le principe de non-régression. Sauvegarde signifie aussi que lorsqu’une avancée décisive, sur un point de protection importante, a été acquise, un verrou juridique doit être alors posé. Un exemple significatif est celui du Protocole de Madrid sur l’Antarctique (1991)  qui interdit les recherches minérales pour cinquante ans. On ne doit pas revenir en arrière dans la protection.  C’est donc ce que l’on nomme le principe de non- régression. La nécessité vitale de réduire les atteintes à l’environnement ne peut que contribuer à convaincre les législateurs, les juges et la société civile d’agir en vue de renforcer la protection des acquis environnementaux au moyen de la consécration de ce principe de non- régression. ( Michel Prieur est l’inspirateur de ce principe. Voir par exemple sous sa direction   et celle de Gonzalo Sozzo, « La non-régression en droit de l’environnement », Bruylant , 2012).

 

7-On peut ajouter que  le concept de limites au cœur des activités humaines se rattache à  des théories et des pratiques de décroissance et de post-croissance à travers une économie  soutenable (s’éloignant du culte de la croissance, s’attaquant aux inégalités criantes à tous les niveaux géographiques, et désarmant le pouvoir financier ainsi que… la course aux armements), à travers le principe de modération évoqué ci-dessus. Essentielles sont aussi des relocalisations d’activités, des circuits courts, des richesses redistribuées.

Essentielle également cette ennemi redoutable : la compétition, remise en cause par  des coopérations,  des solidarités , par la consécration de biens communs (eau, forêts…),par celle du renforcement du patrimoine commun de l’humanité, par l’appartenance   à notre commune humanité , par… des périls communs qui devraient nous fraterniser.(Voir nos articles « Sommes-nous fraternisés par les périls communs ? » sur le blog de Mediapart et sur notre site « au trésor des souffles ».)

 

 C-Les consécrations vitales des « crimes contre les générations futures » et de « l’interdiction des recherches contraires à  l’intérêt commun de l’humanité. »

 

 1-Dans la future « Déclaration universelle  des droits de l’humanité » (Voir nos articles  spécifiques), qui a été  écrite par une équipe française en 2015 et  qui sera un jour peut-être enfin consacrée par les Nations Unies, la notion, englobant l’environnement et la paix, de «  crime contre les générations futures » pourra voir  le jour. L’enfouissement irréversible de déchets radioactifs devrait en faire partie, d’autres pratiques anti écologiques gravissimes aussi. .

(Sur l’humanité voir la thèse remarquable de Catherine Le Bris « L’humanité saisie par le droit international public », LGDJ, 2012).

(Voir aussi « Droit international de l’environnement », Jean-Marc Lavieille, Hubert Delzangles, Catherine Le Bris, éditions Ellipses,4ème édition,2018).

 

 2-De même dans un traité devront être interdites les recherches sur les armes de destruction massive, (nucléaires, biologiques, chimiques), comme portant atteinte à l’intérêt commun de l’humanité. Le jour de cette consécration  sera l’une des plus importantes avancées de l’humanité, si elle y arrive.

 (Voir « Les recherches scientifiques sur les armes de destruction massive : des lacunes du droit positif à une criminalisation par le droit prospectif », intervention au colloque international du RDST, mars 2011 à Paris, Jean-Marc Lavieille, Julien Bétaille, Simon Jolivet, Damien Roets, in « Droit, sciences et techniques : quelles responsabilités ? » Editions LexisNexis, 2011).

 

  D- Les alternatives au nucléaire civil et militaire.

Face au  tableau inquiétant  de la relance du nucléaire appelé au secours du réchauffement climatique, les bonnes nouvelles cependant  ne manquent pas(1).Quant aux stratégies pour sortir du nucléaire civil elles  sont devenues de plus en plus structurées et porteuses (2). Enfin pour le  nucléaire militaire il n’est pas exclu que, comme sa théorie n’a plus de fondements et que la prolifération s’aggrave, un pays doté d’armes nucléaires  franchisse un  pas historique, celui de l’adhésion au Traité d’interdiction.(3)

 

2-Sortir du nucléaire civil.

a- Au moins trois éléments porteurs.

Beaucoup de pays programment l’abandon du nucléaire.

 Dans l’Union européenne en décembre 2021, quels sont des pays qui ont programmé la sortie ? La Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la Suède, le Luxembourg, l’Autriche. Quels sont les pays sans nucléaire ?  Le Portugal, la Grèce, l’Italie, la Norvège,  le Danemark . Gardent le nucléaire : la France, les  Pays-Bas, la Finlande, la République Tchèque, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovénie, et donc ,désormais hors de l’ UE, le Royaume-Uni.

On  retrouve cette division par rapport à la taxonomie de l’UE permettant d’avoir des financements si l’énergie est classée renouvelable. La France  et six pays de l’Est le réclament, par contre l’Allemagne ainsi que quatre autres pays y sont opposés soutenant, à juste titre,  que le nucléaire n’est pas une énergie verte, les déchets en témoignent pour les générations présentes et futures.

D’autres pays maintiennent ou développent le nucléaire tels que la Chine, la Russie, les Etats-Unis, l’Inde, la Corée du Sud, l’Iran…

 

 -Les associations qui agissent contre le nucléaire sont nombreuses et importantes.

  Leurs dimensions internationales d’ONG permettent en particulier d’organiser des  «  fronts communs » massifs. Une des plus importantes est le « Réseau Sortir du nucléaire »qui existe depuis 1997, c’est une fédération de 895 associations(!) et de 62486 personnes qui ont signé la Charte. Parmi ces associations citons, bien sûr, Greenpeace, les Amis de la Terre, le réseau Action Climat, France Nature environnement, Heinrich-Boll , Wise Amsterdam et d’autres qui ont déclaré par exemple que « le nucléaire est une fausse solution pour le climat. »

Par rapport au nucléaire militaire l’ICAN (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires) avec 60 organisations partenaires a reçu le prix Nobel de la paix en 2017pour ses actions de sensibilisation sur les conséquences humanitaires et environnementales  de toute utilisation d’armes nucléaires et pour sa contribution à l’adoption du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.

-Le prix de plus en plus compétitif des énergies renouvelables.

En 2020 les parts d’électricité en France étaient  pour le nucléaire de 71,6% , pour les énergies renouvelables de 18%,et pour les énergies fossiles de 10,4%.

Si l’on se base pour 2020 sur les  données fournies par le Réseau de transport d’électricité(RTE) en mégawatt-heure(MWH)/ :

En ce qui concerne le nucléaire le coût moyen du nucléaire pour les centrales déjà construites est de 49,50 euros, pour les centrales en cours de construction (EPR) il serait entre 70 et 90 voire 120 euros.

En ce qui concerne les énergies renouvelables pour le solaire photovoltaïque 121,50 euros le MWH, pour l’énergie éolienne terrestre 82, maritime 180, pour l’hydraulique 15 à 20 euros. De 2010 à 2021 les prix ont été divisés par exemple  par quatre pour le solaire, il est ainsi de 80 euros sur les bâtiments.

 

b-Une sortie du nucléaire civil en France est possible.

 

Le remplacement du nucléaire par le renouvelable se ferait essentiellement à travers quatre opérations planifiées :

-La création d’une enveloppe financière accompagnant les trois séries d’opérations de reconversions, elle pourrait être basée au départ sur les 100 milliards qui devaient servir au « grand carénage » pour le prolongement des centrales nucléaires.

– Le développement massif et planifié des économies  d’électricité, entre autres à travers la rénovation énergétique des bâtiments.

-Le développement massif et planifié  des énergies renouvelables, avec  leurs coûts de plus en plus compétitifs et leurs multiples avantages écologiques.

-La fermeture massive et planifiée des réacteurs nucléaires  selon leur âge, avec leurs démantèlements, les reconversions d’emplois…

 

 

3-Sortir du nucléaire militaire.

Cette sortie suppose au moins deux éléments : d’abord que la  France adhère au traité d’interdiction des armes nucléaires(a), ensuite qu’une défense alternative soit enfin pensée sur le plan national et international (b).

 

a-L’adhésion au Traité d’interdiction des armes nucléaires et ses effets.

-Le Traité a été adopté le 7 juillet 2017 par 122 Etats (les deux tiers de L’AG des Nations Unies), il est entré en vigueur le 22 janvier 2021, fin décembre 2021 il y a  86 Etats signataires et 59 Etats parties l’ayant ratifié. Deux articles sont essentiels, le 1 et le 6.

 

-L’article premier essentiel définit les interdictions :
« 1. Chaque État Partie s’engage à ne jamais, en aucune circonstance :
(a) Mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer,
acquérir de quelque autre manière, posséder ou stocker des armes
nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires;
(b) Transférer à qui que ce soit, ni directement ni indirectement,
des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires, ou le
contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs;
(c) Accepter, ni directement ni indirectement, le transfert
d’armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ou du
contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs;
(d) Employer ni menacer d’employer des armes nucléaires ou
d’autres dispositifs explosifs nucléaires;
(e) Aider, encourager ou inciter quiconque, de quelque manière
que ce soit, à se livrer à une activité interdite à un État Partie par le
présent Traité;
(f) Demander ou recevoir de l’aide de quiconque, de quelque
manière que ce soit, pour se livrer à une activité interdite à un État
Partie par le présent Traité;
(g) Autoriser l’implantation, l’installation ou le déploiement
d’armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires sur son
territoire ou en tout lieu placé sous sa juridiction ou son contrôle. »

 

-L’article 6 est relatif à l’assistance aux victimes et à la remise en état de
l’environnement :
« 1. Chaque État Partie fournit de manière suffisante aux personnes
relevant de sa juridiction qui sont touchées par l’utilisation ou la mise
à l’essai d’armes nucléaires, conformément au droit international
humanitaire et au droit international des droits de l’homme applicables,
une assistance prenant en considération l’âge et le sexe, sans
discrimination , y compris des soins médicaux, une réadaptation et un
soutien psychologique, ainsi qu’une insertion sociale et économique.
2. Chaque État Partie, s’agissant des zones sous sa juridiction ou
son contrôle contaminées par suite d’activités liées à la mise à l’essai
ou à l’utilisation d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs
nucléaires, prend les mesures nécessaires et appropriées en vue de la
remise en état de l’environnement des zones ainsi contaminées.
3. Les obligations visées aux paragraphes 1 et 2 sont sans préjudice
des devoirs et obligations qui incombent à tout autre État au titre du
droit international ou d’accords bilatéraux. »

 

-Deux commentaires critiques sur les Etats dotés d’armes nucléaires :

Jean-Marie Collin, expert sur le désarmement nucléaire et co-porte-parole de ICAN France :
écrit « La France est à contre courant de l’histoire. Non seulement elle a pratiqué la politique de la chaise vide durant toute ces années de négociations à l’ONU, mais en plus elle a exercé
une pression sur des États contre l’instauration d’une norme qui soutient le droit
humanitaire et va renforcer la sécurité internationale ».
 « Nous sommes devant un vide terrible de prise de conscience des parlementaires sur les
enjeux liés au désarmement nucléaire. C’est extrêmement regrettable de voir, que le
budget atomique passe la barre des 5 milliards d’euros sans aucun débat de fond. Rien sur
l’impact de l’arrivée du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires sur les années à venir,
aucune interrogation sur cette politique de dissuasion nucléaire et une absence de réflexion
sur la nécessité, à l’heure du « Jour d’après », d’engager une politique de sécurité humaine
ou les enjeux sécuritaires, sanitaires et environnementaux sont croisées et non pas opposés. »

Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, co-porte-parole de ICAN France écrit ; « (…)  Ceux qui pensent que le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires n’aura aucun impact sur la France ne tiennent aucun compte de la réalité du monde de ce XXIe siècle et de ses interdépendances. Les effets de l’entrée en vigueur du TIAN vont être politiques,
diplomatiques, juridiques, stratégiques, éthique et financiers. Déjà d’importantes institutions
financières se refusent à investir dans le secteur de l’armement nucléaire suite à l’adoption
du traité par l’ONU… Le déni d’ouvrir le débat sur la dissuasion nucléaire ne peut que
renforcer l’instabilité et l’insécurité. »

-Il est vrai que les décideurs des Etats dotés d’armes nucléaires sont, pour l’instant,   incapables  d’avoir le courage politique de signer et de ratifier le Traité d’interdiction des armes nucléaires de 2017 .   Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies le 3 janvier 2022 se sont contentés d’affirmer  qu’il faut « prévenir la guerre nucléaire qui ne peut être gagnée » alors que l’on sait que l’élimination des armes nucléaires est le seul moyen de garantir qu’elles ne seront jamais utilisées.

-Rappelons que la « Commission internationale indépendante sur l’élimination des armes nucléaires » (novembre 1995 à Canberra en Australie, rapport d’août 1996) avait affirmé que « les armes nucléaires ont perdu leur justification ». « Elles augmentent l’insécurité générale et continuent de représenter un danger pour l’humanité.»

Une  recommandation de l’étude sur les déchets nucléaires militaires ,étude  citée plus haut, affirme « La France devrait aussi engager une réflexion pour considérer les stocks actuels de matières fissiles(25 tonnes d’uranium hautement enrichi et 6 tonnes de plutonium) ainsi que les 290 ogives nucléaires comme de futurs déchets des armes nucléaires », tout cela pour commencer à aller  vers la signature du Traité d’interdiction des armes nucléaires du 7 juillet 2017 entré en vigueur le 22 janvier 2021.

– Deux hypothèses sont possibles : un seul Etat doté d’armes nucléaires fait ce  choix ,  plusieurs Etats font ce choix. Les neuf Etats qui ont des armes nucléaires devraient tous  en décider ainsi. On devine , dans cette perspective de désarmement nucléaire, que les stockages de déchets nucléaires deviendront encore plus massifs mais ce serait alors pour aller dans le sens de la paix.

 

b-Une alternative de défense nationale et internationale.

-Des « alternatives de défense » pourront contribuer à des remises en cause du nucléaire militaire. Ainsi  « La dissuasion civile » constitue un véritable projet d’une défense alternative. ( Voir ouvrage remarquable « La dissuasion civile »,Christian Mellon, Jean-Marie Muller, Jacques Sémelin ,publié par la  Fondation pour les Etudes de Défense Nationale en 1985(Voir aussi la  revue « Alternatives non-violentes. »).(Voir enfin  nos deux ouvrages « Construire la paix », éditions la Chronique sociale, 1988.)

-La création  d’une sécurité collective internationale. 

Elle pourrait être  fondée sur des forces d’interposition non armées, organisées par continent, envoyées à titre  préventif, par un  Conseil de sécurité renouvelé  ,forces  comme tiers-pacifiants  ,des forces nationales légèrement  armées, utilisées par un pays en  cas de légitime défense, et à titre exceptionnel  au niveau mondial   une force  d’intervention internationalisée lourdement  armée , envoyée, à titre de sanctions contre un ou plusieurs  Etat(s) agresseur(s) ou un Etat agressant tout ou partie de sa  population, ou contre tout autre agresseur,  par un  nouveau Conseil de sécurité des Nations Unies.

-De même au niveau national et de façon complémentaire  un Etat pourrait organiser aussi   une résistance non-violente de la population préparée à l’avance

  Les organisations militaires régionales et sous-régionales  seraient toutes dissoutes. Chaque pays serait doté d’un  ministère du désarmement. (Voir nos articles « Quels moyens pacifiques ? »

Les luttes anti nucléaires, comme celles contre les changements climatiques, se sont souvent faites, se font et se feront probablement,  ici et là, à travers la non-violence.

 

E-Les résistances non-violentes, un des moyens d’agir  contre le nucléaire.

 

La non-violence est pour une part encore méconnue.

   1 Il est  clair que les résistances  contre le nucléaire devront être plus globales que les seules actions non-violentes. Ce sont et ce seront celles de l’ensemble des sociétés civiles (citoyen(ne)s, associations, réseaux, fronts communs,…), d’ Etats (voir dans l’Union européenne les remises en cause de certains pays comme l’Allemagne) ,  d’organisations régionales et d’autres acteurs, par exemple des collectivités territoriales, des juridictions à tous les niveaux géographiques, des administrations, des entreprises.

. 2--Il s’agit de résister en pensant et en mettant en œuvre des moyens conformes aux fins que l’on met en avant. Si l’on veut  la démocratie il faut des moyens démocratiques, si l’on veut la justice il faut des moyens justes, si l’on veut la paix il faut des moyens pacifiques, si l’on veut la protection de l’environnement il faut des moyens écologiques.

3-Face aux théories et aux pratiques dominantes, voire écrasantes à travers l’histoire, qui correspondent à la pensée de Machiavel « Qui veut la fin veut les moyens », il faut résister en se fondant sur cette pensée radicale et lumineuse de Gandhi : « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » ( Voir « Tous les hommes sont frères », Folio essais, Gallimard). (Voir aussi nos articles « Les moyens et les fins » sur ce blog de Mediapart et sur notre site « au trésor des souffles »)

Autrement dit aucun moyen n’est neutre, si l’on veut lutter pour la paix on ne peut que résister avec des moyens pacifiques, la course aux armements est un des moyens opposés à la paix parce qu’elle ne fait qu’accroitre l’insécurité, les guerres, les injustices et la dégradation mondiale de l’environnement.

4- L’histoire de la non-violence, en partie méconnue, révèle l’efficacité de ces méthodes d’action qui, comme le disait Jacques de Bollardière , «  mobilisent par delà le mépris, la violence et la haine. »(Voir à ce sujet la revue opérationnelle « Non-violence Actualité », et la  remarquable revue « Alternatives non-violentes », directeur François Vaillant, ainsi que les travaux, eux aussi remarquables,  de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits-IRNC, créé par François Marchand , Jean-Marie Muller, Christian Mellon, Jacques Sémelin , Christian Delorme.)

5-Ces moyens reposent sur un cadre non-violent c’est-à-dire un respect de la dignité  humaine, une exigence de justice, une combativité positive (et non une agressivité)  face au conflit.

 6-Cette méthode de règlement des conflits refuse la violence d’oppression dans laquelle on impose sa loi, et  elle refuse aussi la violence de soumission dans laquelle on renonce à ce que l’on pense être essentiel.

On cherche ensemble, dans le respect des personnes et la confrontation, des solutions justes. (Jean-Marie Muller, Lexique de la non-violence, ANV,1998). Jacques Sémelin insiste sur « trois principes majeurs : l’affirmation de l’identité du sujet résistant (…), la non coopération collective(…), la médiatisation du conflit c’est à dire susciter la constitution de « tiers » qui appuient sa cause. » (Jacques Sémelin, « Du combat non-violent » dans l’ouvrage « Résister. Le prix du refus », sous la direction de Gérald Cahen, éditions Autrement, Série Morales n°15,1994)

7-La non-violence n’a pas le monopole de certains des moyens qui suivent. Ces moyens, énumérés à titre indicatif, font partie des pratiques essentielles de l’action non-violente. Il s’agit , de façon non exhaustive, de la non-coopération, la  désobéissance civile (Alain Refalo, Les sources historiques de la désobéissance civile, colloque Lyon  2006), l’obstruction non-violente, l’objection de conscience, la grève de la faim, la grève, le sit in (s’asseoir sur la voie publique en particulier sur des places), le boycott, le refus de l’impôt sur les armements, les pétitions…(Jean-Marie Muller, « Stratégie de l’action non-violente », Seuil,1981). Les non-violents ont  aussi des pratiques d’éducation à la paix. 

8-Dans cette perspective ne pensons pas que sera toujours dérisoire ce que Jean Rostand appelait  de ses  vœux : « l’objection collective scientifique » face à  ce que certains qualifieront d’inacceptable. Des scientifiques sont entrés (personnellement et/ou collectivement) et entreront demain en résistance, au grand jour ou plus discrètement.

9 -Ils ont vécu ou vivront, et d’autres avec eux, ce que nous pourrions appeler le retournement de la question du risque. Au lieu de se demander « Qu’est-ce que je risque si je fais cela, si je vais au milieu de tel ou tel conflit ? » ils se demandent « Qu’est- ce que les autres risquent si je ne le  fais pas, si je n’y vais pas » ?  On peut  alors « tomber   en solidarité.»

De façon plus générale d’ailleurs ce retournement se pose dans des rapports entre le risque et la prudence. « C’est dans l’incertitude et le risque qu’il faut assumer nos actes » écrit Simone de Beauvoir.

 

10 A propos de la non-violence constatons avec force qu’ une partie de plus en plus importante des jeunes générations, dans le sillage de multiples formes de résistance non-violentes locales  et  des deux immenses résistances non-violentes, celles de la marche du sel en 1930 en Inde et celle des populations de l’Est en 1989,ont commencé des marches de résistances non-violentes , demain  probablement gigantesques, dans les luttes pour des politiques  radicales face aux retombées cataclysmiques du réchauffement climatique. Elles ne sont pas « le » remède miracle, elles peuvent être cependant  de puissants leviers pour soulever les montagnes, avec aussi d’autres moyens.

 

 Remarques terminales

Ainsi doit peu à peu voir le jour dans les vies des peuples, des générations présentes et futures,  ce concept, porteur de principes  et de multiples remises en cause, le concept de LIMITES  AU  CŒUR DES  ACTIVITES  HUMAINES.

 Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites?

 N’est-ce pas la question des questions que pose le nucléaire et que  nous devons impérativement  lui poser?

Le nucléaire n’est-il pas   un des éléments qui nous fait perdre le sens de la limite ?

Sa force, dans le temps et l’espace, n’est-elle pas en même temps sa folie ?

  N’est-il pas  un des reflets de ce productivisme autodestructeur ?

Mais il y a des « fous » porteurs de sagesse, porteurs d’une utopie créatrice qui prend les moyens de se réaliser, ceux et celles qui ne désespèrent pas d’un monde viable et qui, en personnes, en associations  et en peuples, le disent  dans leurs vies, à travers des moyens conformes aux finalités de démocratie, de justice, d’environnement et de paix.

 Oui, ainsi que l’écrivait Gandhi dans une formule  radicale et lumineuse  :  « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence.»

 

 Gandhi, dans l’ouvrage posthume réunissant ses écrits  « Tous les hommes sont frères » (première parution en 1969, puis folio essais , Gallimard,1990, p.147) affirme   :

«  On entend dire « les moyens, après tout, ne sont que des moyens ». Moi je vous dirai plutôt : « tout, en définitive, est dans les moyens. La fin vaut ce que valent les moyens. Il n’existe aucune cloison entre les deux catégories » (…) Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens (…) Les moyens sont comme le grain et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence. Ceux qui, au contraire, s’abaissent à employer n’importe quel moyen pour arracher une victoire ou qui se permettent d’exploiter d’autres peuples ou d’autres personnes plus faibles, ceux-là non seulement se dégradent eux-mêmes, mais aussi toute l’humanité. »