au trésor des souffles
humanité
le projet de déclaration universelle des droits de l’humanité
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Ce document comprend ici :
-Le texte de ce projet de DUDHu remis à l’Elysée le 25 septembre 2015
-Les références des documents de base sur ce projet de DUDHu
-Le commentaire de l’auteur de ce site qui était dans l’équipe qui a écrit le texte
-Le texte du Centre international de Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE) adopté le 28 avril 2015 à Limoges, cinq mois avant le projet remis à l’Elysée .
-Le commentaire de l’auteur de ce site qui était aussi dans l’équipe qui a écrit ce texte .
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Le texte du projet de DUDHu de 2015
PRÉAMBULE
1 – Rappelant que l’humanité et la nature sont en péril et qu’en particulier les effets néfastes des changements climatiques, l’accélération de la perte de la biodiversité, la dégradation des terres et des océans, constituent autant de violations des droits fondamentaux des êtres humains et une menace vitale pour les générations présentes et futures,
2 – Constatant que l’extrême gravité de la situation, qui est un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, impose la reconnaissance de nouveaux principes et de nouveaux droits et devoirs,
3 – Rappelant son attachement aux principes et droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, y compris à l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’aux buts et principes de la Charte des Nations Unies,
4 – Rappelant la Déclaration sur l’environnement de Stockholm de 1972, la Charte mondiale de la nature de New York de 1982, la Déclaration sur l’environnement et le développement de Rio de 1992, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies « Déclaration du millénaire » de 2000 et « L’avenir que nous voulons » de 2012,
5 – Rappelant que ce même péril est reconnu par les acteurs de la société civile, en particulier les réseaux de personnes, d’organisations, d’institutions, de villes dans la Charte de la Terre de 2000,
6 – Rappelant que l’humanité, qui inclut tous les individus et organisations humaines, comprend à la fois les générations passées, présentes et futures, et que la continuité de l’humanité repose sur ce lien intergénérationnel,
7 – Réaffirmant que la Terre, foyer de l’humanité, constitue un tout marqué par l’interdépendance et que l’existence et l’avenir de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel,
8 – Convaincus que les droits fondamentaux des êtres humains et les devoirs de sauvegarder la nature sont intrinsèquement interdépendants, et convaincus de l’importance essentielle de la conservation du bon état de l’environnement et de l’amélioration de sa qualité,
9 – Considérant la responsabilité particulière des générations présentes, en particulier des Etats qui ont la responsabilité première en la matière, mais aussi des peuples, des organisations intergouvernementales, des entreprises, notamment des sociétés multinationales, des organisations non gouvernementales, des autorités locales et des individus,
10 – Considérant que cette responsabilité particulière constitue des devoirs à l’égard de l’humanité, et que ces devoirs, comme ces droits, doivent être mis en œuvre à travers des moyens justes, démocratiques, écologiques et pacifiques,
11 – Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à l’humanité et à ses membres constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,
12 – Proclame les principes, les droits et les devoirs qui suivent et adopte la présente déclaration :
LES PRINCIPES
Article 1 :Le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité, intragénérationnelles et intergénérationnelles, exige de la famille humaine et notamment des Etats d’œuvrer, de manière commune et différenciée, à la sauvegarde et à la préservation de l’humanité et de la terre.
Article 2 :Le principe de dignité de l’humanité et de ses membres implique la satisfaction de leurs besoins fondamentaux ainsi que la protection de leurs droits intangibles. Chaque génération garantit le respect de ce principe dans le temps.
Article 3 :Le principe de continuité de l’existence de l’humanité garantit la sauvegarde et la préservation de l’humanité et de la terre, à travers des activités humaines prudentes et respectueuses de la nature, notamment du vivant, humain et non humain, mettant tout en œuvre pour prévenir toutes les conséquences transgénérationnelles graves ou irréversibles.
Article 4 :Le principe de non-discrimination à raison de l’appartenance à une génération préserve l’humanité, en particulier les générations futures et exige que les activités ou mesures entreprises par les générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction excessive des ressources et des choix pour les générations futures.
LES DROITS DE L ’HUMANITÉ
Article 5 : L’humanité, comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable.
Article 6 :L’humanité a droit à un développement responsable, équitable, solidaire et durable.
Article 7 : L’humanité a droit à la protection du patrimoine commun et de son patrimoine naturel et culturel, matériel et immatériel.
Article 8 :L’humanité a droit à la préservation des biens communs, en particulier l’air, l’eau et le sol, et à l’accès universel et effectif aux ressources vitales. Les générations futures ont droit à leur transmission.
Article 9 : L’humanité a droit à la paix, en particulier au règlement pacifique des différends, et à la sécurité humaine, sur les plans environnemental, alimentaire, sanitaire, économique et politique. Ce droit vise, notamment, à préserver les générations successives du fléau de la guerre.
Article 10 : L’humanité a droit au libre choix de déterminer son destin. Ce droit s’exerce par la prise en compte du long terme, et notamment des rythmes inhérents à l’humanité et à la nature, dans les choix collectifs.
LES DEVOIRS A L’EGARD DE L ’HUMANITÉ
Article 11 : Les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité, comme celui de l’ensemble des espèces vivantes. Le respect des droits de l’humanité et de l’homme, qui sont indissociables, s’appliquent à l’égard des générations successives.
Article 12 : Les générations présentes, garantes des ressources, des équilibres écologiques, du patrimoine commun et du patrimoine naturel, culturel, matériel et immatériel, ont le devoir de faire en sorte que ce legs soit préservé et qu’il en soit fait usage avec prudence, responsabilité et équité.
Article 13 : Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver l’atmosphère et les équilibres climatiques et de faire en sorte de prévenir autant que possible les déplacements de personnes liés à des facteurs environnementaux et, à défaut, de secourir les personnes concernées et de les protéger.
Article 14 :Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation et la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. A cette fin, elles doivent, en particulier, assurer un accès et une utilisation des ressources biologiques et génétiques respectant la dignité humaine, les savoirs traditionnels et le maintien de la biodiversité.
Article 15 :Les Etats et les autres sujets et acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme et de promouvoir un développement humain et durable. Celui-ci ainsi que les principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration doivent faire l’objet d’actions d’enseignements, d’éducation et de mise en œuvre.
Article 16 : Les Etats ont le devoir d’assurer l’effectivité des principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration, y compris en organisant des mécanismes permettant d’en assurer le respect
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-Les références de sept documents de base que l’on peut consulter sur la DUDHu
-Le rapport Lepage , « La Déclaration universelle des droits de l’humanité. », Lepage Corinne et Equipe de rédaction, Déclaration universelle des droits de l’humanité, rapport à l’attention de Monsieur le Président de la République, 133 pages annexes comprises, publié à la documentation française :
-« La Déclaration universelle des droits de l’humanité : commentaire article par article », sous la direction de Christian Huglo et Fabrice Picod, préface de Corinne Lepage, Bruxelles, Bruylant, 2018
-« Droits de l’humanité », La Semaine Juridique – Édition Générale -n° 50, 7 décembre 2015 entretien avec Corinne Le page
– « Remise de la Déclaration des droits de l’humanité : quelle place pour la protection de l’environnement ? », Delzangles Hubert , Actu Environnement, 8 décembre 2015, disponible en ligne ;
– « Le rapport Lepage sur les droits de l’humanité et le concept d’humanité indivisible. » Une analyse juridique critique de Philippe Weckel, in Sentinelle. Article disponible en ligne : sentinelle-droit-international ,22/10/2015 « Face aux droits de la personne que vaudraient ces droits de l’espèce humaine, en tant qu’espèce vivante, attribués à une entité abstraite et globale, l’humanité ? Au demeurant un catalogue des droits et devoirs suscite intuitivement l’hostilité des spécialistes des droits de l’homme ».
-« Le devoir des générations présentes envers les générations futures en matière de patrimoine et d’équilibre écologique (article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’humanité) » Catherine Le Bris , in La Déclaration universelle des droits de l’humanité : commentaire article par article, sous la direction de Christian Huglo et Fabrice Picod, préface de Corinne Lepage, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 97 à 102.
-« Le projet de déclaration universelle des droits de l’humanité de 2015 : implications et perspectives juridiques » Catherine Le Bris, La Revue des Droits de l’Homme ,10/2016,
Résumé de l’article de Catherine Le Bris :
« Le 25 septembre 2015, le projet de Déclaration universelle des droits de l’humanité a été remis par Madame Corinne Lepage et son équipe au Président François Hollande. Quel est l’apport de ce projet de déclaration ? Qu’est-ce qu’un droit de l’humanité ? Et ces nouveaux droits sont-ils utiles ? Cet article vise à répondre à ces questions en définissant les droits de l’humanité, en les distinguant des droits de l’homme et en les mettant en perspective avec les devoirs à l’égard de l’humanité (également reconnus dans le projet de Déclaration). Cette étude s’intéresse aussi aux implications institutionnelles de cette Déclaration : une représentation de l’humanité est-elle nécessaire pour permettre l’exercice de ces droits ? Qui peut parler au nom de l’humanité ? »
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-Le commentaire de l’auteur de ce site qui était dans l’équipe qui a écrit le texte
En exergue une pensée de René Jean Dupuy « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative, accéder à l’humanité suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi l’humanité doit elle-même jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs.»(René Jean Dupuy)
Dans cette introduction nous soulignerons le contexte global de l’adoption de la
Déclaration universelle des droits de l’humanité (DUDH 2015).
La Déclaration arrive à un moment important :
-Ecologiquement c’est la suite depuis 160 ans de l’anthropocène, période où l’humanité et le système qui l’accompagne, le productivisme, sont devenus une véritable « force géologique » qui aboutit à une dégradation mondiale de l’environnement, dégradation dont on prend peu à peu conscience de l’ampleur, des formes multiples, des interactions et de l’accélération vertigineuse.
-Ethiquement c’est la conséquence du fait, comme l’écrivait Claude Levi Strauss, que « l’humanité est devenue sa pire et propre ennemie et celle de l’ensemble du vivant, c’est de cela, ajoutait-il, qu’il faut la convaincre si nous espérons pouvoir la sauver ».Oui les générations futures risquent d’être objets et non sujets de leurs vies à cause de générations qui n’auront pas su prendre leurs responsabilités. Nous voilà en quelque sorte aurait dit Jean Rostand « fraternisés par les périls communs ».Doit donc voir le jour une éthique de la responsabilité et de la solidarité intra et intergénérationnelles, une éthique du respect de cette Terre foyer de l’humanité.
-Politiquement c’est la 21ème Conférence de la Convention sur les changements climatiques, moment où les engagements seront, au pire, dérisoires, au mieux, importants mais, sans crainte de se tromper , ne seront pas aussi radicaux qu’il le faudrait parce que, certes, les volontés politiques, malgré des avancées, ne sont pas assez au rendez-vous mais, avant tout, surtout, parce que le politique tend à être dépassé par un marché mondial, une financiarisation et une techno science qui sont lancées sur des trajectoires d’autoreproduction aux tendances plus ou moins illimitées. Moment impressionnant d’accumulation de puissances et d’impuissances.
-Juridiquement l’humanité se situe à un moment qui se manifeste sous trois formes.
D’abord dans une filiation, celle des droits de l’homme issus des déclarations française de 1789 et universelle de 1948.Elle arrive ainsi dans une histoire, celle des droits humains.
Ensuite l’humanité est à resituer juridiquement dans l’ensemble du monde vivant, humain et non humain. La Terre, foyer de l’humanité, est le foyer du vivant c’est-à-dire aussi des animaux et des végétaux.
Enfin l’humanité a déjà rencontré le droit international public depuis le droit de la mer avec Grotius dès le XVIIème siècle, et au moins les sept dernières décennies à travers les crimes contre l’humanité, le droit humanitaire, le patrimoine commun de l’humanité, le droit international de l’environnement qui s’adresse aux générations présentes et futures, droit qui qualifie de « préoccupation commune de l’humanité » les changements climatiques et l’effondrement de la diversité biologique.
Ainsi l’humanité a rendez-vous à nouveau avec le droit. Après les droits de l’homme ,de la femme et de l’enfant, après les droits des peuples et ceux des Etats, voilà une étape nouvelle, celle de la consécration des droits de l’humanité dont cette Déclaration est un des éléments. La chargée de mission de la Déclaration l’affirme clairement « Il faut franchir un cap nouveau dans le temps et dans l’espace.»
-Moment important enfin globalement : à ces périls écologiques s’ajoutent des injustices criantes, des violences aux formes multiples, des autoritarismes nombreux. Edgar Morin écrit : « Une multiplicité de crises sont ainsi enchevêtrées dans la grande crise de l’humanité, qui n’arrive pas à devenir l’humanité. »
Tel est ce moment pendant lequel cette Déclaration voit le jour.
Nous envisagerons tour à tour six parties : le processus d’élaboration (1ère partie),
les qualités recherchées (2ème partie),
les choix (3ème partie),
le contenu (4ème partie),
la portée (5ème partie),
des réponses aux critiques à l’encontre de la Déclaration (6ème partie).
Si l’on préfère une lecture plus courte on peut lire essentiellement la 3ème partie(Les choix) .
Ière partie- Le processus d’élaboration de la DUDH 2015
Trois points soulignés ici : les origines, le groupe de travail, la méthodologie.
1er point Les origines de la Déclaration
Quel est l’historique de l’arrivée de la Déclaration ?
-Lors de la Conférence environnementale de novembre 2014 le Président de la République française rappelle que la France avait accueilli les Nations Unies le 10 décembre 1948 au Palais de Chaillot pour adopter la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il affirme « Après les droits de la personne nous allons poser les droits de l’humanité(…) ».
– Lors de ses vœux de nouvel an le 31 décembre 2014 il déclare « La France a été capable, il y a 70 ans, de réunir une grande conférence pour les droits universels de l’homme. Maintenant, nous devons entraîner le monde pour qu’il puisse adopter à son tour une déclaration pour les droits de l’humanité pour préserver la planète. »
– Le 4 juin 2015 dans une lettre de mission le Président confie à Corinne Lepage la mission de « faire le point sur les différentes initiatives menées au niveau national et international et de formuler des recommandations lors de la COP21 ».Il est précisé que la missionnée « pourra s’appuyer sur les personnalités et les réseaux qui vous paraissent les plus utiles, dont le réseau des anciens ministres de l’environnement que vous animez ».
Corinne Lepage est avocate spécialisée en droit de l’environnement (Cabinet Huglo-Lepage), fondatrice et présidente du parti écologiste Cap 21, elle a été députée européenne, professeur entre autres à l’Institut d’études politiques de Paris (chaire du développement durable) et ministre de l’environnement de 1995 à 1997.
-Un groupe de travail d’une quinzaine de personnes (professeurs de droit, chercheuse du CNRS, avocats, membre du Conseil d’Etat, représentants du monde associatif…) est chargé de préparer un texte qui est envoyé au Président de la République et au Ministre des Affaires étrangères et du développement international le 7 août 2015.
-Le texte final et le rapport qui l’accompagne ont été remis à l’Elysée au Président le 25 septembre. Le « lancement » de la Déclaration a eu lieu le 2 novembre au Conseil économique, social et environnemental.
2nd point- Le groupe de travail de la Déclaration
Il a été composé par Corinne Lepage, ce « comité de rédaction » comprenait quatorze personnes (dont la liste des biographies rapides est consultable sur le site de la Documentation française p55 du rapport de 133 pages)
Les articles publiés étaient variables quant à l’énumération de cette composition, il s’agissait selon leurs auteurs de « spécialistes de droit international public et de droit de l’environnement, du climat, d’un représentant de l’association des anciens ministres de l’environnement, de représentants d’ONG » ou bien de « spécialistes de droit public, représentants d’ong environnementales et anciens ministres de l’environnement ». Selon le communiqué du lancement de la DUDH du 2-11-2015, il s’agissait de « juristes, responsables politiques indépendants et personnalités morales ».
Le fonctionnement du groupe a fait, dès le départ, l’objet d’une répartition de fait du travail : sept personnes ont écrit directement la Déclaration, deux enseignants de droit public, une de droit privé, une chercheuse du CNRS, deux avocats dont la chef de mission ancienne ministre, et un conseiller d’Etat, donc sept juristes.
Les autres membres de la mission ont écrit indirectement la déclaration soit en envoyant des points de vue, soit en encourageant les sept, soit en proposant des documents au cours de l’écriture, soit une annexe dans le rapport, soit en travaillant en aval pour faire connaître la Déclaration, soit en assurant le secrétariat de la mission (laquelle n’avait d’ailleurs aucun budget.)
Pour un texte encore plus porteur, mais ceci demandait quelques mois de plus et nous devions impérativement remettre le rapport avant la COP21, il aurait fallu ensuite quelques séminaires où seraient intervenus par exemple philosophes, sociologues, économistes … et aussi d’autres internationalistes, environnementalistes et juristes des droits de l’homme.
3èmepoint- La méthodologie d’écriture de la Déclaration
Il fallait écrire la Déclaration et le rapport (133 pages, annexes comprises) qui l’accompagnait. Les travaux ont duré trois mois, du 22 juin 2015, date de la première réunion, au 25 septembre, date de la remise du rapport à l’Elysée. De nombreux moyens ont servi de supports .
Les réunions chez la chargée de mission, fructueuses mais au nombre de deux seulement, une semaine « d’immersion » aurait facilité les choses, certains d’entre nous y ont pensé mais trop tard.
Les nombreuses réunions-conférences-téléphoniques demandaient ponctualité, écoute et synthèse. Enfin les très nombreux mails avec souvent de longues pièces-jointes, les récapitulatifs par pièces jointes annotées et amendées, le partage des fichiers en ligne, les coups de téléphone sur des points précis demandaient une attention soutenue.
Les coordinations n’étaient pas évidentes, des retours en arrière et des oublis de rajouts pouvaient être parfois déstabilisants, mais les volontés de construire un texte solide étaient toujours au rendez-vous, ce qui a été une des chances de ce groupe.
La méthodologie enfin a été compliquée par un élément : le Ministère des Affaires étrangères (MAE) a été amené à donner son avis sur notre texte. Ainsi s’ajoutèrent deux réunions avec la Direction des affaires juridiques du MAE.L’arrivée d’un autre acteur dans une méthodologie, alors que le texte était pratiquement bouclé, n’était pas évidente, mais finalement elle a pu fonctionner.
IIème partie- Les qualités recherchées dans la DUDH 2015
Trois points proposés : la Déclaration se veut porteuse, claire , cohérente, et également acceptable par les Etats.
1er point-Une Déclaration se voulant porteuse
Il s’agit de contribuer à penser, à faire connaitre et indirectement à mettre en œuvre les droits de l’humanité. Le texte doit contribuer, certes à sa mesure et avec ses limites internes et externes,
à éclairer le présent
et il doit contribuer à faire naitre de nouvelles espérances fondées sur de nouveaux moyens.
2ème point-Une Déclaration se voulant claire et cohérente
Traduire la complexité est un des éléments de la pédagogie, la déclaration a vocation à être lue par des personnes de différents âges et pays, il faut que la clarté soit omniprésente.
La cohérence, elle aussi, est compliquée, elle est pourtant majeure : cohérence entre les principes, entre les principes les droits et les devoirs, entre les droits et les devoirs, entre les responsabilités des différents acteurs…
Cohérence entre les fins et les moyens, c’est ici l’alinéa 10 du préambule qui nous parait central mais passe et passera le plus souvent inaperçu du lecteur.
3ème point-Une Déclaration se voulant acceptable par les Etats
Il fallait faire un choix global.
La Déclaration est très certainement acceptable par les Etats, pourquoi ?
Parce que les souverainetés étatiques ne sont pas fondamentalement remises en cause. Contrairement, par exemple, à plusieurs principes de la Déclaration du Centre international de droit comparé (avril 2015, voir à la fin de ce site.) dont les auteurs savaient que le texte ne pouvait pas être adopté par les Etats.
Pour autant il ne s’agissait pas de « se coucher » devant les volontés étatiques mais d’aller le plus loin possible en appelant à des réformes et des remises en cause.
Ainsi le texte n’est pas « tiède », il est précurseur sur de nombreux points que nous soulignerons au fur et à mesure. Il représente donc une forme d’engagement des Etats et de l’ensemble des acteurs pour contribuer à ouvrir des routes vers l’avenir.
Ainsi le texte est accompagné d’un autre document soulignant diverses « alternatives ». Certaines peuvent être acceptées par les Etats, d’autres dans la situation mondiale actuelle, n’ont aujourd’hui aucune chance de l’être, selon les cas soit parce que certains Etats s’y opposeraient, soit parce que l’ensemble des Etats n’en voudrait pas. Cependant elles participent à l’utopie créatrice, non pas celle des nuages mais celle qui prend les moyens de se réaliser et qui propose des moyens conformes aux fins mises en avant, des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques. Il fallait contribuer à montrer ici et là d’autres chemins plus radicaux auxquels, certains le pensent, il faudra arriver tôt ou tard pour protéger le vivant, humain et non humain.
Mais il faut aller plus loin : Une question qui se pose est celle de savoir à qui profite et profitera l’effacement des Etats? Les souverainetés étatiques sont déjà limitées par le marché mondial, la financiarisation, la technoscience,par aussi les Etats puissants par rapport aux autres Etats.
Cette question des limites des souverainetés étatiques est donc posée pour les décennies à venir aussi sous cette forme , celle de limites fixées au nom de l’humanité.
Certains pensent ainsi que le droit international public à long terme serait amené à s’effacer devant ce qui deviendrait un « droit de l’humanité. » Nous n’en sommes pas là mais nous reviendrons sur cette interrogation dans la sixième partie.
IIIème partie- Les choix de la DUDHu 2015
Ces choix sont liés à la lettre de mission du Président (4juin 2015, voir « Les origines »ci-dessus), ce sont aussi bien sûr ceux du groupe de travail sur deux points essentiels mais aussi sur d’autres points importants.
1er point- Les choix liés à la lettre de mission de la Déclaration
-« Nous allons poser les droits de l’humanité, c’est-à-dire le droit pour tous les habitants de la Terre à vivre dans un monde dont le futur n’est pas compromis par le présent. »
Dans cette phrase clef de la lettre de mission sont précisés deux éléments juridiques et l’élément central.
– Premier élément juridique : « poser les droits » est une expression équivalente à « consacrer des droits », il s’agit donc de faire entrer les droits de l’humanité dans le droit positif c’est-à-dire dans le droit en vigueur dont la déclaration va faire partie même si sa valeur est simplement incitative. C’est humainement, juridiquement, politiquement, écologiquement… un évènement important.
-Second élément juridique : la lettre de mission ne souligne pas le « droit de vivre » mais le « droit à vivre ».On distingue, on le sait, les « droits de »,droits de la première génération(droits-libertés c’est-à-dire les droits civils et politiques),les « droits à »,droits de la seconde génération(droits-égalités c’est à dire les droits économiques, sociaux et culturels) et les droits de solidarités, de la troisième génération(droit au développement, à la paix, à l’environnement).
Dans la lettre de mission l’appel aux droits des trois générations est clair : « le droit pour tous les habitants à vivre » en appelle aux droits-égalités, « …dont le futur n’est pas compromis »en appelle aux droits-libertés, « habitants de la Terre », « irresponsabilité du présent » en appelle aux droits-solidarités. La nouveauté est grande : l’ensemble des droits doit voir le jour pour l’humanité. Ainsi la déclaration doit se vouloir globale du point de vue des droits et donc des devoirs.
-Troisième élément, l’élément central et global : « (…) le droit pour tous les habitants de la Terre à vivre dans un monde dont le futur n’est pas compromis par le présent. »
La mission est claire : poser des droits et des devoirs qui contribuent à construire un horizon de responsabilité. « Le présent » est représenté par qui ? Par les générations vivantes et l’ensemble des acteurs à tous les niveaux de responsabilités, tous sont appelés à construire « un futur qui n’est pas compromis », un futur…celui des générations futures.
Sans aucun doute possible : le principe de responsabilité doit être au cœur de la Déclaration universelle des droits de l’humanité. C’est autour de la responsabilité que vont s’articuler les droits de l’humanité et les devoirs correspondant à ces droits, le terme « devoirs », présent dans nombre de déclarations internationales, n’a pas seulement une signification morale mais renvoie au domaine juridique. La Déclaration contribue à fonder cette responsabilité des générations présentes, et celle-ci contribue à fonder la Déclaration.
2èmepoint-Les trois choix essentiels de la Déclaration relatifs aux droits et aux devoirs, à l’humanité et à la nature
En ce qui concerne les droits et les devoirs
La Déclaration part du socle général, celui des principes, pour consacrer ensuite les droits et les devoirs, marquant bien la volonté que les uns s’appuient sur les autres.
Pourquoi droits et devoirs ?
Lorsque les droits ne sont pas accompagnés de devoirs certains critiquent cette faiblesse
ou même cette « absence » des responsabilités.
Lorsque les devoirs ne sont pas accompagnés de droits certains critiquent cette primauté ou même cette « domination » des libertés.
En fait …et en droit…, en particulier dans cette Déclaration, les deux sont spécifiques et
complémentaires, ils s’interpellent, se renforcent et finalement s’inclinent les uns vers les
autres.
En ce qui concerne l’humanité
Dans le sixième point du préambule elle est définie par trois éléments : elle inclut les individus et les organisations humaines, elle comprend les générations passées, présentes et futures, enfin sa continuité repose sur le lien intergénérationnel.
L’humanité dispose de six droits et existent six devoirs vis-à-vis d’elle.
La Déclaration n’est pas allée jusqu’à lui attribuer la personnalité juridique, cette possibilité fait partie des « alternatives » recensées dans le rapport général remis à l’Elysée.
La Déclaration distingue l’humanité en tant qu’un tout, et en tant que parties d’un tout.
En tant qu’un tout c’est bien elle qui bénéficie des quatre principes, elle bénéficie également des six droits en tant que telle.
En tant que parties d’un tout les générations sont souvent évoquées.
Ainsi en ce qui concerne les principes la responsabilité, l’équité et la solidarité elles renvoient à « l’intra et l’intergénérationnelles. » La dignité renvoie à « chaque génération » qui en garantit le respect. Les principes de continuité et de non-discrimination concernent « en particulier les générations futures. »
Ainsi en ce qui concerne les devoirs les quatre premiers sont à destination « des générations présentes », alors que les deux derniers sont à destination des Etats. Les générations futures n’ont pas de devoirs collectifs lesquels sont uniquement dans la Déclaration ceux des générations présentes.
En ce qui concerne la nature
En premier lieu il fallait situer la Déclaration parmi les trois conceptions relatives aux rapports entre les êtres humains et la nature.
-La première conception qualifie la nature d’objet au service des êtres humains. C’est une perspective anthropocentrique. L’homme doit régner sur le monde. Le marché ramène la nature à une marchandise, on organise le droit de propriété. Cette logique remonte au moins à la fin du Moyen Age, puis au siècle des Lumières , elle est dominante ensuite avec le système productiviste.
– La seconde conception est celle d’une nature conçue comme un sujet. C’est une perspective éco centrique, la Terre est un ensemble vivant, elle a une valeur en elle-même, indépendamment de toute utilité pour l’homme. Cette conception, très ancienne en particulier dans des civilisations d’Amérique, a repris de l’ampleur ces dernières décennies, devant la destruction de la nature, cela sous la forme de déclarations internationales et de consécration dans des constitutions.
-Nous avons choisi une synthèse sous la forme d’une troisième conception, éco anthropo centrique, celle d’une nature conçue comme un projet. Elle est avant tout un patrimoine, c’est-à-dire qu’elle a une valeur intrinsèque (sujet) et elle est, aussi, essentielle pour les êtres humains (objet) qui doivent transmettre ce patrimoine. La Déclaration évoque donc un certain nombre de droits de la nature, elle va pas jusqu’à lui donner la personnalité juridique mais certains penseront (voir « alternatives » possibles) sans doute à une Organisation mondiale de l’environnement qui pourrait un jour la représenter et à une Cour mondiale de l’environnement ou à un tribunal pénal international de l’environnement.
En second lieu il fallait donner une présence importante de la nature dans la Déclaration, cela sous différentes formes dans le préambule comme dans le dispositif.
-Dans le préambule l’expression « milieu naturel » est employée une fois, le mot « nature » est employé deux fois (en péril, la sauvegarder), le mot « Terre » est employé deux fois (Charte de la Terre, la Terre foyer de l’humanité).
-Dans deux principes sur quatre (responsabilité, continuité) il est fait référence « à la sauvegarde et à la préservation de l’humanité et de la terre »
-Dans les articles relatifs aux droits il est affirmé que « L’humanité comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable. »Cet article 5 est un des plus importants par rapport au vivant, humain et non humain, non humain c’est-à-dire animaux et végétaux.
Dans les droits il est question de la nature sous les formes du « patrimoine naturel », et aussi des « biens communs » puisque sont qualifiés ainsi « l’air, l’eau et le sol. »
Enfin, faisant preuve d’une grande nouveauté l’article 10 met en avant « (…) la prise en compte du long terme, et notamment des rythmes inhérents à l’humanité et à la nature, dans les choix collectifs. »
-Dans les articles relatifs aux devoirs à l’égard de l’humanité il est affirmé que « les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité comme celui de l’ensemble des espèces vivantes» et qu’elles ont le devoir « d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation et la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. »
3ème point-Les quatre autres choix de la Déclaration
Au moins quatre autres choix ont inspiré et orienté la Déclaration.
La présence de l’équité et de la justice dans la Déclaration : équité entre les générations (article 1), entre hommes et femmes (égalité voir point 3 du préambule), accès universel et effectif aux biens communs(article 8), responsabilités communes mais différenciées des Etats(à l’intérieur de l’article 1)usage prudent ,responsable et équitable des ressources, des équilibres écologiques, du patrimoine commun(article 12).
La prise en compte du long terme aux articles3 (prévenir les conséquences transgénérationnelles graves ou irréversibles des activités humaines),10(la prise en compte du long terme dans le libre choix de déterminer son destin),et 15(Les Etats et les autres sujets et acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme. Donc la Déclaration, à sa façon et à sa mesure, contribue à remettre en cause un des mécanismes les plus puissants et les plus destructeurs du productivisme : la priorité et la dictature du court terme.
La présence d’une certaine critique et donc de certaines limites par rapport au productivisme à travers un appel à des activités prudentes et respectueuses de la nature (article 3),sans réduire de façon excessive les ressources et les choix des générations futures(article 4), un appel à un usage prudent, responsable et équitable des ressources ,des équilibres écologiques, du patrimoine commun(article12),un appel à un progrès scientifique et technique orienté vers la préservation et la santé du vivant(article 14).Ajoutons à cela l’adéquation entre les fins proclamées et les moyens pour aller dans ce sens (point 10 du préambule), le productivisme en est souvent très loin, ainsi par exemple il proclame des fins pacifiques et prend des moyens de mettre en œuvre la guerre.
La prise en compte des diversités. La globalité et l’universalité ne signifient pas l’uniformité et l’absence de pluralité. Ce respect des différences rejoint la définition de l’humanité qui est caractérisée à la fois par notre commune humanité, autrement l’unité de l’espèce humaine et les diversités de l’humanité .Cette unité et ces diversités sont des réalités à protéger.
Ces diversités s’expriment en particulier ici par la diversité des espèces vivantes, par le maintien de la biodiversité, par les différentes formes du patrimoine, par le respect des savoirs traditionnels et par exemple ( article 1) par le fait que les Etats, pour appliquer le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité, doivent « œuvrer de manière commune et différenciée » à la sauvegarde et à la préservation de l’humanité et de la terre.
Tels sont les choix de la Déclaration, quel est son contenu article par article ?
4ème partie- Le contenu de la DUDH 2015
Le titre « Déclaration universelle des droits de l’humanité » s’est dégagé assez rapidement, à partir de la « lettre de mission », à partir aussi bien sûr de la filiation avec la DUDH de 1948, à partir de la nécessité et de la volonté de la chargée de mission et du groupe de travail d’établir un texte global quant à son contenu et à vocation mondiale quant à sa portée.
Nous envisagerons tour à tour le préambule, les principes, les droits et les devoirs.
1er point Le contenu du préambule de la Déclaration
Une remarque préalable
Il comprend 12 points ce qui est ni trop court ni trop long pour un Préambule. Le groupe de travail avait d’abord cité beaucoup d’autres textes, quelques conventions (et non pas des déclarations) relatives aux droits de l’homme, aux droits des peuples et relatives aussi à la protection de l’environnement.
Dans un second temps il a été décidé de s’en tenir à des textes dont la nature juridique est semblable à une déclaration, textes d’origines interétatiques et un texte symbolique de ceux de la société civile.
Le préambule a perdu volontairement en exhaustivité mais a gagné en simplicité, en essayant de s’en tenir à l’essentiel, il est aussi proportionné au reste du texte.
-Les deux premiers points(1,2) sont relatifs au « péril »
« 1 Rappelant que l’humanité et la nature sont en péril et qu’en particulier les effets néfastes des changements climatiques, l’accélération de la perte de la biodiversité, la dégradation des terres et des océans, constituent autant de violations des droits fondamentaux des êtres humains et une menace vitale pour les générations présentes et futures,
2 Constatant que l’extrême gravité de la situation, qui est un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, impose la reconnaissance de nouveaux principes et de nouveaux droits et devoirs, »
C’est de lui que l’on part, péril pour l’humanité, péril pour la nature. Ce péril est constitué par un ensemble de problèmes, de drames et de menaces dont quelques uns, et non des moindres, sont cités. La dégradation écologique est l’un de ces périls, et dans cette dégradation les changements climatiques constituent, avec une grande ampleur, un ensemble de drames présents et de menaces futures.
En bref l’essentiel : c’est cette « extrême gravité de la situation » qui « impose », le mot est fort et bien choisi, la reconnaissance de nouveaux principes, droits et devoirs.
-Les trois points suivants (3,4,5) énumèrent des textes internationaux
« 3 Rappelant son attachement aux principes et droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, y compris à l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’aux buts et principes de la Charte des Nations Unies,
4 Rappelant la Déclaration sur l’environnement de Stockholm de 1972, la Charte mondiale de la nature de New York de 1982, la Déclaration sur l’environnement et le développement de Rio de 1992, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies « Déclaration du millénaire » de 2000 et « L’avenir que nous voulons » de 2012,
5 Rappelant que ce même péril est reconnu par les acteurs de la société civile, en particulier les réseaux de personnes, d’organisations, d’institutions, de villes dans la Charte de la Terre de 2000, »
Ainsi le point 3 se rattache à la DUDH de 1948, la filiation avec les droits de l’homme est claire, fondamentale. Il se rattache aussi à la Charte des Nations Unies, seule convention citée au milieu de ces déclarations.
Le point 4 est celui de la référence aux trois grandes déclarations environnementales, à cela s’ajoutent deux déclarations beaucoup plus larges relatives à l’environnemental, l’économique, le social, le sanitaire…
Le point 5 est celui de la seule déclaration de la société civile citée se voulant représentative de personnes, d’institutions, d’organisations, de villes, il s’agit de la « Charte de la Terre.»
En bref l’essentiel : la Déclaration prend pour références une diversité des acteurs et une étendue des domaines considérés, avec en particulier l’environnemental considéré comme vital.
-Le sixième point(6) définit l’humanité
« 6 Rappelant quel’humanité, qui inclut tous les individus et organisations humaines, comprend à la fois les générations passées, présentes et futures, et que la continuité de l’humanité repose sur ce lien intergénérationnel, »
Elle est définie à partir de trois séries d’éléments : l’humanité comprend à la fois les générations passées, présentes et futures, elle inclut tous les individus des individus et les organisations humaines, enfin la continuité de l’humanité repose sur ce lien intergénérationnel.
Cette définition implique deux significations : d’une part l’humanité a quelque chose d’indivisible, c’est un tout, d’autre part elle est composée d’éléments, les générations.
Auront-elles des droits et des devoirs ? Pour les générations présentes il n’y a pas de problèmes sur le principe de leur consécration. Mais qu’en est-il pour celles qui n’existent plus et pour celles qui n’existent pas encore ?
Ajoutons à cela qu’on peut se demander si l’expression « groupes humains » n’aurait pas été préférable à celle d’« organisations humaines » ?
En bref l’essentiel : l’humanité est considérée à la fois comme un tout et aussi dans ses différentes parties, les générations.
-Les deux points qui suivent (7,8) insistent sur les interdépendances
« 7 Réaffirmant que la Terre, foyer de l’humanité, constitue un tout marqué par l’interdépendance et que l’existence et l’avenir de l’humanité sont indissociablesde son milieu naturel,
8 Convaincusque les droits fondamentaux des êtres humains et les devoirs de sauvegarder la nature sont intrinsèquement interdépendants, et convaincus de l’importance essentielle de la conservation du bon état de l’environnement et de l’amélioration de sa qualité, »
Globalement d’abord : « la Terre, foyer de l’humanité, constitue un tout marqué par l’interdépendance », on reconnait une formule remarquable du préambule de la Déclaration de Rio de juin 1992.La formule selon laquelle « l’existence et l’avenir de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » est particulièrement forte, elle rappelle la définition de l’environnement donnée par la CIJ dans son avis de 1996 sur les armes nucléaires « (…) l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et de leur santé, y compris pour les générations à venir »
Plus précis sur les interdépendances est le 8ème point : entre « les droits fondamentaux des êtres humains et les devoirs de sauvegarder la nature » les interdépendances sont « intrinsèques », le terme est bien choisi. Sont visés , de façon classique, la conservation du bon état de l’environnement et, de façon plus porteuse, « l’amélioration de sa qualité ».
Et c’est le rôle du droit, nous rappelle en particulier Mireille Delmas Marty, »d’organiser les interdépendances ».
En bref l’essentiel : les « périls » et les « interdépendances »sont deux mots clefs du préambule. A notre sens d’autres interdépendances auraient dû être soulignées, comme par exemple celles énumérées dans la Déclaration du CIDCE(Voir sur ce blog le « billet » précédent).
-Les points suivants (9 et 10) sont relatifs à la responsabilité et aux rapports entre les fins et les moyens.
« 9 Considérant la responsabilité particulière des générations présentes, en particulier des Etats qui ont la responsabilité première en la matière, mais aussi des peuples, des organisations intergouvernementales, des entreprises, notamment des sociétés multinationales, des organisations non gouvernementales, des autorités locales et des individus,
10 Considérant que cette responsabilité particulière constitue des devoirs à l’égard de l’humanité, et que ces devoirs, comme ces droits, doivent être mis en œuvre à travers des moyens justes, démocratiques, écologiques et pacifiques, »
Les générations présentes, affirme le 9ème point, ont une responsabilité « particulière », les Etats ont « la responsabilité première ». Ont aussi une responsabilité tous les autres acteurs aux différents niveaux géographiques c’est-à-dire peuples, organisations intergouvernementales, entreprises notamment des sociétés multinationales, ong, autorités locales, individus. On le voit tous les acteurs à tous les niveaux géographiques sont concernés.
Le point 10 du préambule fait œuvre radicalement nouvelle. La plupart des lecteurs de la Déclaration n’auront pas leur attention attirée par ce passage. On peut penser qu’il s’agit ici d’une grande nouveauté, elle évoque les moyens en les qualifiant, ils devront être démocratiques, justes, écologiques, pacifiques.
L’auteur de ce site tenait absolument à cette référence aux moyens qui sont essentiels. Les autres rédacteurs l’ont fort bien compris, il leur en est vivement reconnaissant.
A ce jour, décembre 2015, et… fin novembre 2020, on ne trouve aucun texte international consacrant de façon aussi claire, aussi porteuse, aussi décisive ces liens entre les fins et les moyens.
Concrètement cela signifie par exemple que le droit à la paix de l’humanité ne peut se construire que sur des moyens pacifiques, le droit à la justice de l’humanité ne peut se construire que sur des moyens justes, le droit à la démocratie de l’humanité ne peut se construire que sur des moyens démocratiques, le droit à l’environnement de l’humanité ne peut se construire que sur des moyens écologiques.
On est proche de cette pensée extraordinaire de Gandhi « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » Doivent voir le jour des effets porteurs dans le temps d’une telle pensée, cela si l’on s’en empare, aux niveaux, entre autres, des responsabilités éthiques, politiques et juridiques, cela à tous les niveaux géographiques.
En bref l’essentiel : une responsabilité d’abord des générations présentes et des Etats mais, aussi, de tous les autres acteurs, et des moyens correspondant aux finalités proclamées (démocratie, justice, environnement, paix).
Le point 11 et dernier du préambule met en avant la dignité inhérente à l’humanité.
11 Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à l’humanité et à ses membres constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,
On reconnait ici le lien fait avec le premier considérant du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Considérantque la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »
En bref l’essentiel : c’est une tentative de synthèse qui se ramène, là encore, à des formes d’interdépendances qui auraient pu sans doute avoir leur raison d’être plus tôt dans le préambule.
12 Proclame les principes, les droits et les devoirs qui suivent et adopte la présente déclaration :
Ce dernier point du préambule est classique, on espère simplement que celle qui « proclamera » sera peut-être l’AG des Nations Unies de 2016 ( ?)…
2nd point Les principes de la Déclaration
Deux remarques préalables :
Le classement ne faisait aucun doute : la responsabilité devait arriver en premier.
Après les autres principes pouvaient arriver tour à tour à partir de différentes logiques, mais le principe premier devait non pas couronner l’édifice mais en être la poutre maitresse.
Des nouveautés sont bien présentes par rapport à chaque principe,
D’abord le fait qu’il s’agit de principes rapportés à l’humanité, insistons sur ce point, il ne s’agit pas de droits individuels mais de droits collectifs.
Ensuite le fait que le premier principe fait œuvre de regroupements.
Enfin les deux derniers principes sont pour une large part nouveaux.
-Article 1 : Le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité
« Article 1 :
Le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité, intragénérationnelles et intergénérationnelles, exige de la famille humaine et notamment des Etats d’œuvrer, de manière commune et différenciée, à la sauvegarde et à la préservation de l’humanité et de la terre. »
Ce principe a pour originalité et force de regrouper trois principes en un, cela signifie une responsabilité équitable et solidaire, une équité responsable et solidaire, une solidarité responsable et équitable.
Dans aucun texte international on ne trouve à ce jour une telle volonté de montrer que ces trois aspects sont complémentaires, s’interpellent, s’encouragent, et finalement s’inclinent l’un vers l’autre.
Autre force du principe, celle d’une double série de réalités et d’exigences : la responsabilité l’équité la solidarité sont qualifiées « d’intra générationnelles » ce qui vise les solidarités internes aux générations, elles sont aussi qualifiées « d’inter générationnelles » ce qui vise l’existence de ces principes entre les générations. « L’intra » et « l’inter » se complètent et se renforcent.
Dernier point fort et non des moindres : la mise en œuvre de ce principe doit se faire « de manière commune et différenciée », on reconnait là le principe des responsabilités communes mais différenciées, inscrit dans la Convention sur les changements climatiques, dans le Protocole de Kyoto, principe au cœur de la COP 21 et, de façon plus générale, au cœur des rapports Nord-Sud.
-Article 2 : Le principe de dignité de l’humanité
« Article 2 :
Le principe de dignité de l’humanité et de ses membres implique la satisfaction de leurs besoins fondamentaux ainsi que la protection de leurs droits intangibles.Chaque génération garantit le respect de ce principe dans le temps. »
Ce principe regroupe deux ensembles de violations de la dignité humaine :
d’une part les droits intangibles violés portant atteinte à cette dignité, à ce que certains appellent « l’ irréductible humain »,
d’autre part les besoins fondamentaux non satisfaits portent eux aussi atteinte à cette dignité, il s’agit bien sûr de l’alimentation, du logement, des soins, de l’énergie, de l’éducation… autrement dit en leur absence voilà des conditions de vie intolérables.
On appréciera la globalité du principe au regard en particulier de ceux qui sont dans des régimes autoritaires ou en guerre, et dans des pays pauvres.
Cette dignité est celle de l’humanité, « chaque génération » doit garantir le respect de ce principe, une fois encore voilà une responsabilité particulière, une responsabilité collective, celle de chaque génération, cela au sens éthique.
Si l’on veut aussi parler de responsabilité juridique (pénale ?) au moins trois questions restent entières : de qui, devant qui et sous quelles formes ? La Déclaration n’est pas allée plus loin puisque l’humanité n’a pas de personnalité juridique dans ce texte mais la logique du texte en appelle à une responsabilité globale.
-Article 3 Le principe de continuité de l’existence de l’humanité
« Article 3 :
Le principe de continuité de l’existence de l’humanité garantit la sauvegarde et la préservation de l’humanité et de la terre, à travers des activités humaines prudentes et respectueuses de la nature, notamment du vivant, humain et non humain, mettant tout en œuvre pour prévenir toutes les conséquences transgénérationnelles graves ou irréversibles. »
Le principe de pérennité de l’humanité est nouveau, il a ici une force celle d’être en relations avec des limites posées au système productiviste humanicide et terricide.
La continuité de l’existence de l’humanité exige en effet que des limites soient fixées aux activités humaines. La reconnaissance de ces limites conduit à mettre en œuvre « des activités humaines prudentes et respectueuses de la nature, notamment du vivant, humain et non humain », autrement dit des hommes, des animaux et des végétaux. On remarque aussi que le texte va plus loin puisqu’il cite l’ensemble de la nature, autrement dit le vivant et le non vivant.
On remarque à la fin de l’article une référence explicite au principe de précaution, prudence signifie ici prévenir les effets transgénérationnels inconnus ou mal connus « graves ou irréversibles.»(contrairement au principe de prévention qui va s’appliquer face à des effets connus).
-Article 4 : Le principe de non-discrimination temporelle
« Article 4 :
Le principe de non-discrimination à raison de l’appartenance à une génération préserve l’humanité, en particulier les générations futures et exige que les activités ou mesures entreprises par les générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction excessive des ressources et des choix pour les générations futures. »
Le principe de non-discrimination temporelle est consacré pour la première fois dans une déclaration internationale relativement à l’humanité.
Ce principe signifie que les activités des générations présentes ne doivent pas réduire de façon « excessive » « les ressources et les choix » des générations futures, il se rapporte en particulier à la dégradation écologique, mais renvoie aussi à l’ensemble des choix fondamentaux.
On retrouve globalement ici les luttes contre les inégalités et plus particulièrement la justice écologique et plus spécifiquement encore la justice climatique.
En paraphrasant Montesquieu on pourrait dire que toute génération qui a du pouvoir est portée à en abuser, il faut donc que chaque génération vivante permette aux générations suivantes d’exercer leurs droits. Ainsi les générations futures ne feront pas l’objet de discriminations par rapport aux précédentes et elles garderont des marges de manœuvres.
3ème point -Les droits de l’humanité dans la Déclaration
Quatre remarques préalables
D’abord curieusement c’est le passage de la Déclaration qui s’énonce le plus simplement, les six droits semblent couler de source ou presque, comme bien préparés par les droits des personnes et des peuples. Il fallait en faire une synthèse sans oublier l’essentiel, il fallait aussi aller plus loin dans le temps : les courts, moyens et, surtout, les longs termes marquent ces droits, voilà encore cet « horizon de responsabilité. »
Ensuite ces droits appartiennent à qui ? A l’humanité en tant que telle, en tant que tout, et aussi aux générations présentes et, autre force de la Déclaration, aux générations futures qui ont donc des droits collectifs posés en particulier par l’ article 8 (transmission des biens communs).
N’aurait-il pas été original et surtout porteur (une forme de respect…direct ?) de donner aussi des droits …aux générations passées ? Après tout celles qui « ne sont plus » se trouvent privées de droits alors que celles qui « ne sont pas encore » en ont déjà. L’idée était celle du droit qu’elles auraient eu de protéger le patrimoine culturel qu’elles nous ont laissé. On aurait pu imaginer par exemple un gardien des générations passées parlant en leur nom. Mais il est vrai que le principal est que ce patrimoine soit protégé et transmis, même si c’est au nom du devoir des générations présentes.
Ensuite encore nous avons évoqué, dans les choix de la Déclaration, les liens du droit à l’environnement de l’humanité avec celui des espèces vivantes, nous y reviendrons dans l’article 5.
Enfin on appréciera la nouveauté remarquable de l’article 10 ci-dessous, témoignant d’une prospective juridique réussie.
-Article 5 L’humanité, comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit à l’environnement
« Article 5 :
L’humanité, comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable. »
Un « environnement sain » est une disposition classique désormais contenue par exemple dans un certain nombre de constitutions. Un environnement « écologiquement soutenable »est une expression relativement radicale et porteuse.
Voir l’humanité et les espèces vivantes côte à côte, porteuses de droits, est rare mais plus que symbolique.
Notons qu’une lecture de l’article permet de dire que les espèces vivantes ont ce droit à l’environnement en quelque sorte dans le sillage de celui de l’humanité, mais la réciproque n’existe-t-elle pas elle aussi ? Le point 7 du préambule affirmait d’ailleurs « l’existence et l’avenir de l’humanité sont indissociablesde son milieu naturel.»
Article 6 :L’humanité a droit à un développement responsable(…)
« Article 6 :
L’humanité a droit à un développement responsable, équitable, solidaire et durable. »
Visiblement les rédacteurs ont voulu éviter la référence au simple « développement durable » en le qualifiant, en le précisant : il doit être responsable, équitable et solidaire.
On retrouve le principe 1 mis en avant dans la Déclaration et rapporté ici au développement. C’est là une cohérence très forte et pédagogiquement facile à intégrer.
L’humanité a droit à un développement encadré par ces quatre qualificatifs.
-Article 7L’humanité a droit à la protection du patrimoine commun
« Article 7 :
L’humanité a droit à la protection du patrimoine commun et de son patrimoine naturel et culturel, matériel et immatériel. »
L’humanité a droit à la protection du patrimoine : celui-ci est qualifié sous ses différentes formes. Il s’agit du patrimoine commun de l’humanité (Fonds marins, lune et corps célestes, génome humain) et du patrimoine culturel et naturel mondial (biens protégés par la Convention de l’UNESCO 1972, et par celle du patrimoine culturel immatériel de 2003) ,
Une des questions qui se pose ici est la suivante : des droits pour des générations qui existent voilà qui coule de source, des droits pour des générations qui n’existent pas encore voilà qui est un choix de la Déclaration. Par contre n’a pas été fait le choix de donner des droits aux générations passées, ceux relatifs à la protection du patrimoine qu’elles nous ont laissé, a été simplement mentionnée l’obligation pour les générations présentes de protéger ce patrimoine de l’humanité. C’est la seconde fois que nous le signalons parce que même si juridiquement çà ne serait pas évident mais pas impossible, éthiquement et pédagogiquement c’était une idée forte.
Article 8 : L’humanité a droit à la préservation des biens communs
« Article 8
L’humanité a droit à la préservation des biens communs, en particulier l’air, l’eau et le sol, et à l’accès universel et effectif aux ressources vitales. Les générations futures ont droit à leur transmission. »
Les « biens communs », voilà est un concept qui se développe dans les pensées économiques et juridiques, les voilà de façon très larges par exemple dans la « Déclaration universelle du bien commun de l’humanité » à l’initiative en 2012 du Forum mondial des alternatives …
Dans cet article 8 ils ne sont précisés qu’au sens environnemental (air, eau, sol) et de façon limitée ( Qu’en est-il du climat ? Du paysage ?).
D’autre part il est regrettable que, même à titre indicatif, les « ressources vitales » ne soient pas précisées. On appréciera par contre les qualificatifs dont elles sont l’objet, elles doivent avoir un «accès universel et effectif ».
-Article 9 :L’humanité a droit à la paix
« Article 9 :
L’humanité a droit à la paix, en particulier au règlement pacifique des différends, et à la sécurité humaine, sur les plans environnemental, alimentaire, sanitaire, économique et politique. Ce droit vise, notamment, à préserver les générations successives du fléau de la guerre.
Cet article est à notre sens très vivement critiquable.
On peut considérer que l’article 9 comprend une partie gravement coupable de faiblesse et, certes , une autre partie pouvant être éventuellement porteuse.
En premier lieu quelles sont les faiblesses gravissimes de cet article ?
Il n’évoque que deux formes classiques déjà consacrées… par la Charte des Nations Unies, le « règlement pacifique des différends » et la dénonciation du « fléau de la guerre ». On ne peut pas dire que l’imagination juridique ait fait preuve ici d’une grande audace !
Il n’est par exemple même pas question du « désarmement » ! Ce terme n’est pourtant pas révolutionnaire dans les langages diplomatique et juridique, il aurait même été loin de l’expression « désarmement général et complet » de résolutions de l’AG des Nations Unies, et encore plus loin aussi d’autres déclarations condamnant toutes les armes de destruction massive.
Mais le ministère des affaires étrangères français, à travers ses responsables des affaires juridiques, malgré notre insistance, n’a absolument pas voulu voir figurer ce terme.( ? )
La France préfère vendre des armes et produire des armements plutôt que de se remettre en cause pour un véritable désarmement qu’elle souhaite bien sûr…mais si les autres Etats commencent.
Le comité de rédaction n’a pas accepté une disposition, proposée par une minorité du groupe, d’un article très peu connu de la Charte des Nations Unies et qui est pourtant radical, l’article 26 «(…) favoriser l’établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde (…)».
Finalement il aurait été simple et clair d’ajouter «L’humanité a droit à la paix, en particulier (…) à une recherche, une économie et une éducation porteuses de paix. »
L’avenir amènera sans aucun doute les pays du Sud à remanier l’article en soulignant « le désarmement général et complet. » L’AG des Nations Unies a déjà adopté une déclaration en ce sens, le 30 juin 1978 dans la première session extraordinaire sur le désarmement.
En second lieu quel est l’élément probablement plus ou moins porteur de l’article ? La sécurité humaine. Elle fait son apparition dans une définition intéressante par sa globalité (environnementale, alimentaire, sanitaire, économique et politique…).
Pour la « sécurité environnementale » on sait qu’elle peut-être analysée de deux façons, l’une par certains stratèges politiques et militaires qui verront, prenons cet exemple, dans les migrations climatiques une forme d’insécurité internationale, les déplacés environnementaux sont même perçus parfois comme de « nouvelles classes dangereuses » d’après-demain qui menaceront des Etats, on peut alors verser dans l’idéologie sécuritaire qui consiste ici à fabriquer l’image de nouveaux ennemis.
Une autre analyse, par exemple celle d’ONG et d’organisations internationales, consiste à se demander comment organiser des solidarités internationales pour l’accueil interne et international de ces personnes, on raisonne alors moins en termes de sécurité étatique qu’en termes de sécurité humaine.
Par la « sécurité alimentaire, sanitaire, économique » on rejoint en particulier des luttes contre les inégalités, l’injustice est une des plus grandes causes de multiples violences. La sécurité alimentaire en appelle à la disparition en particulier du drame de la faim pour les générations présentes et futures.
Par la « sécurité politique » on entend une certaine stabilité des régimes politiques, protégeant et des coups d’Etat et de conflits armés à travers les guerres civiles, et pour aller plus loin une démocratie porteuse de sécurité entre autres dans le respect des diversités.
Il est à espérer par rapport à cet article 9
ou que « la sécurité humaine » soit une expression porteuse pour l’humanité( ?)
ou surtout que cet article soit modifié par les Nations Unies dans le sens proposé ci-dessus .
-Article 10 :L’humanité a droit au libre choix de déterminer son destin…
« Article 10 :
L’humanité a droit au libre choix de déterminer son destin. Ce droit s’exerce par la prise en compte du long terme, et notamment des rythmes inhérents à l’humanité et à la nature, dans les choix collectifs. »
L’humanité a droit au libre choix de déterminer son destin : cela signifie qu’individus, groupes humains et, bien entendu, générations présentes et futures doivent se trouver dans les conditions pour remplir ce libre choix, des conditions démocratiques, justes, écologiques et pacifiques.
La « prise en compte du long terme » qui doit intervenir dans ces choix est un des nombreux points forts de la Déclaration, cette exigence est consacrée deux fois de façon autonome, ainsi donc également dans l’article 15.Elle est une forme de rupture dans la dictature du court terme. On affirme souvent que l’on a pas le temps de s’occuper du long terme parce que l’on est noyé dans l’urgence, mais c’est en fait parce que l’on ne s’est pas occupé du long terme que l’on est noyé dans l’urgence devenue une catégorie centrale du politique. La Déclaration affirme qu’il faut répondre aux urgences et élaborer des politiques à long terme.
L’humanité et la nature ont droit au respect de leurs rythmes : c’est un des articles les plus novateurs, les plus annonciateurs, les plus accompagnateurs de nombreuses initiatives à venir.
Il s’agit de respecter les temps humains qui sont différents entre les êtres humains, et surtout qui ne sont pas les temps de la techno science, des marchés financiers, du marché mondial.
Il s’agit aussi de respecter les temps des écosystèmes, par exemple ceux de leur reconstitution.
Il faut que les générations présentes et futures aient les moyens de « re habiter » le temps, de faire face à cette accélération du système mondial. Cet article contribue à ouvrir des voies du futur : charte des droits du temps humain, oasis de décélération, internationale de la lenteur…(voir sur ce blog le long « billet », produit de nombreuses interventions : « L’accélération du système mondial. »
4ème point – Les devoirs à l’égard de l’humanité dans la Déclaration
Deux remarques préalables :
Les six devoirs paraissent plus compliqués à exprimer que les droits, il fallait pourtant que la clarté et la cohérence soient au rendez-vous.
On pourra peut-être avoir parfois une impression de répétitions entre certains articles, pourtant si on les parcourt attentivement il ne s’agit que du reflet de la complexité des articulations entre les devoirs, entre les droits, entre les droits et les devoirs.
La Déclaration n’est pas constituée par des éléments indépendants les uns des autres mais bien plutôt par des éléments qui s’interpellent, se complètent, et finalement, nous l’avons répété , qui s’inclinent les uns vers les autres.
Enfin on est frappé bien sûr par le fait que les quatre premiers devoirs s’adressent aux générations présentes et les deux derniers aux Etats.
-Article 11 Les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité
« Article 11 :
Les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité, comme celui de l’ensemble des espèces vivantes. Le respect des droits de l’humanité et de l’homme, qui sont indissociables, s’appliquent à l’égard des générations successives. »
Cet article rappelle le respect général de tous les droits qui précèdent, cela tant à l’égard de l’humanité que des espèces vivantes, une fois encore on en appelle aux générations présentes.
D’une certaine façon en affirmant que ce respect s’applique « aux générations successives » on déclare que c’est un devoir pour chacune d’elle, d’abord pour les vivantes, mais pour celles qui viendront ? Indirectement c’est affirmé, certains penseront pourtant que les générations futures ne peuvent avoir des devoirs…
-Article 12 Les générations présentes, garantes des ressources, ont le devoir de faire en sorte que ce legs soit préservé.
« Article 12 :
Les générations présentes, garantes des ressources, des équilibres écologiques, du patrimoine commun et du patrimoine naturel, culturel, matériel et immatériel, ont le devoir de faire en sorte que ce legs soit préservé et qu’il en soit fait usage avec prudence, responsabilité et équité. »
Les générations présentes sont garantes des ressources, des équilibres écologiques, du patrimoine : le devoir est bien précisé, elles doivent le transmettre (legs), le préserver et en user « avec prudence, responsabilité et équité .»
On reconnait ici la prévention et la précaution, on reconnait aussi les responsabilités, et les partages synonymes de justice internationale.
-Article 13 Les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver l’atmosphère et les équilibres climatiques
« Article 13 :
Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver l’atmosphère et les équilibres climatiques et de faire en sorte de prévenir autant que possible les déplacements de personnes liés à des facteurs environnementaux et, à défaut, de secourir les personnes concernées et de les protéger. »
Tout mettre en œuvre pour préserver l’atmosphère et les équilibres climatiques : voilà un devoir des générations présentes. L’expression est forte : « tout mettre en œuvre ».Trop probablement : comment par exemple accepter une dictature pour appliquer des textes environnementaux ? Protection de l’environnement et démocratie doivent au contraire se tenir embrassés.
Par rapport aux déplacés environnementaux les générations présentes ont trois devoirs : prévenir, autant que possible, ces déplacements, ensuite secourir ces déplacés, enfin les protéger.
Une partie des rédacteurs voulait aller plus loin et inscrire le devoir d’élaborer un statut international de leurs droits. D’autres ont fait valoir que les Etats n’étaient pas prêts à l’accepter et que, pour l’instant, on ne pouvait aller plus loin.
On se consolera en se disant que le terme « protection » a tout un potentiel qui devrait, à travers des luttes, peu à peu voir le jour.
-Article 14 Orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation et la santé de l’espèce et des autres espèces
« Article 14 :
Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation et la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. A cette fin, elles doivent, en particulier, assurer un accès et une utilisation des ressources biologiques et génétiques respectant la dignité humaine, les savoirs traditionnels et le maintien de la biodiversité. »
Les générations présentes ont un devoir, celui d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation et la santé de l’espèce humaine et des autres espèces : l’entreprise est aussi immense que vitale.
Il s’agit que ces recherches et ces techniques respectent la dignité humaine, mais aussi les savoirs traditionnels et le maintien de la biodiversité. Ces deux derniers éléments sont ajoutés à la dignité humaine, il était important qu’ils le soient. C’est un devoir pour les générations présentes de donner des limites à la techno science.
On observera que l’appel au respect des diversités ,ici présent, est un autre des nombreux points forts de la Déclaration.
-Article 15 Le devoir d’intégrer le long terme et de promouvoir un développement humain et durable.
« Article 15 :
Les Etats et les autres sujets et acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme et de promouvoir un développement humain et durable. Celui-ci ainsi que les principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration doivent faire l’objet d’actions d’enseignements, d’éducation et de mise en œuvre. »
Une double avancée existe ici : d’abord l’intégration du long terme dans les politiques de développement humain et durable, cela par les Etats et les autres acteurs publics et privés, ce peut être ici et là une révolution si cette intégration se fait réellement.
Ensuite, autre avancée : doivent voir le jour et se développer les programmes d’enseignements et les pratiques relatifs à cette Déclaration. On trouve là aussi des interdépendances qui se mettent et se mettront en place : enseignements et pratiques des droits de l’humanité, de l’homme, des peuples et de la nature.
-Article 16 Les Etats ont le devoir d’assurer l’effectivité de la Déclaration.
« Article 16 :
Les Etats ont le devoir d’assurer l’effectivité des principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration, y compris en organisant des mécanismes permettant d’en assurer le respect. »
Les Etats ont le devoir d’assurer l’effectivité de ces principes, droits et devoirs.
Le principe d’effectivité est consacré ici de façon autonome, c’est aux Etats de l’assurer, ce qui ne veut pas dire que l’ensemble des acteurs, chacun à sa mesure et dans ses compétences, ne participe pas indirectement à cette effectivité.
La Déclaration en appelle à la mise en route de mécanismes d’application, autrement dit , entre autres , d’un système de sanctions des violations de ces principes, droits et devoirs. On peut donc imaginer et soutenir des initiatives de créations d’institutions et de consécration de sanctions allant dans le sens de cette effectivité.
On remarquera que le dernier mot de la Déclaration est « respect », ce qui est symbolique si le dernier mot, comme on le dit quelquefois, est le bon. (voir sur ce site « Le dernier mot est-il le bon ? »)
5ème partie La portée de la DUDH 2015
Quelle est sa portée juridique ? Quelles sont ses portées idéologique et pédagogique ?
1er point- Une portée juridique a minima ou a maxima ?
La première hypothèse est celle d’une portée juridique a minima.
Elle serait regrettable mais elle est malheureusement possible. La Déclaration n’irait pas vers une procédure d’adoption par les Nations Unies. Le secrétaire général des Nations Unies garde le projet de texte donné par la France.
Concrètement le projet ne serait pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée générale dans les années qui viennent. Pour telle ou telle raison, interne et /ou internationale, la France n’aurait pas demandé cette inscription. Resterait alors une adoption éventuelle par telle ou telle autre organisation internationale( ?), par exemple l’UNESCO, ou à partir de tel ou tel autre pays qui le demanderait(?).
Dans l’hypothèse où la DUDH 2015 resterait dans la forme actuelle, juridiquement elle n’aurait pas de portée juridique nationale et internationale, c’est une déclaration dans le cadre d’une mission demandée par la Présidence de la République.
Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas contribuer à inspirer un texte à venir, et qu’elle n’ait pas de portée idéologique et pédagogique mais beaucoup moins forte qu’un texte internationalement consacré.
La seconde hypothèse est celle d’une portée juridique a maxima.
Le rapport de la mission Lepage est porté par la France et/ou d’autres Etats à l’AG des Nations Unies , il est discuté, amendé et adopté, il devient donc juridiquement une déclaration internationale interétatique.
Cette hypothèse peut être celle d’un réveil du texte qui sommeillait.
-Contrairement aux conventions qui sont obligatoires pour les Etats parties, les déclarations sont juridiquement non contraignantes (par exemple celles de Stockholm1972, de Rio de 1992, la Charte mondiale de la nature de 1982(ce terme est trompeur. La Charte des Nations Unies, elle, est contraignante).
-Cependant des principes de droit international de l’environnement et divers droits et devoirs contenus dans des déclarations peuvent changer de portée juridique et devenir obligatoires dans deux hypothèses :
soit lorsque, en se répétant dans des déclarations, ils finissent par devenir des coutumes internationales, par exemple l’obligation de tout Etat d’éviter les dommages causés à l’environnement au-delà des frontières nationales,
soit lorsqu’un principe migre dans une convention, une constitution, une loi, ou un texte de type Union européenne (directive ou règlement),un des exemples les plus connus est celui du principe de précaution qui a ses origines en particulier en droit international de l’environnement.
– Enfin il ne faut pas oublier que des déclarations ( solennelles) et des recommandations(plus courantes) peuvent préparer des conventions.
La patience est quelquefois « la promesse d’un fruit mûr ». La Déclaration des droits de l’enfant(1959) contribuait à préparer la Convention de 1989, donc trente ans plus tard. Il en est de même en droit international de l’environnement : dans le droit de l’homme à l’environnement, proclamé dans la Déclaration de Stockholm de 1972, il y a en gestation la Convention d’Aarhus qui viendra en 1998.
-C’est donc une erreur de regarder parfois avec un certain mépris les déclarations, elles peuvent contribuer à préparer la suite, même s’il n’en reste pas moins que l’on voudrait plus rapidement des mécanismes de protection face à la puissance et à la rapidité de la dégradation mondiale de l’environnement.
2ème point Une portée idéologique et pédagogique pouvant être créatrice
Ajoutons qu’une déclaration peut avoir une portée idéologique, ainsi des organisations non gouvernementales peuvent l’évoquer pour appuyer et préparer des changements. Le projet peut-être adopté et soutenu par divers acteurs comme des villes, des régions, des ONG …
Une déclaration peut inspirer ou soutenir des militant(e)s qui s’en réclameront (ainsi autrefois les accords d’Helsinki qui n’étaient pas juridiquement contraignants étaient invoqués par des dissidents de pays de l’Est).
Enfin la portée pédagogique d’une déclaration peut être remarquable cela d’autant plus que de nombreux acteurs de la société civile s’en empareront.
Sa lecture peut et doit s’adapter bien sûr entre autres à différents âges …Ainsi avec des jeunes, débats, jeux, chants, musique … autour des droits de l’humanité, peuvent, comme des éducateurs et des enseignants savent le faire pour les droits de l’homme, la paix, l’environnement, contribué à irriguer des visages, des intelligences, à faire naitre des déterminations, à allumer des feux.
6ème partie-Des réflexions relatives aux critiques à l’encontre de la Déclaration
Remarques préalables
1-Le fait d’examiner ces critiques ne doit pas laisser croire que la DUDH 2015 n’ait pas fait l’objet d’approbations, de remerciements, de soutiens nombreux. En témoignent par exemple des articles dans des journaux et revues, la liste du comité de soutien et la journée du 2 novembre au Conseil économique, social et environnemental.
2-Est-il besoin de préciser que ces réponses proposées n’engagent pas la chargée de mission et n’engagent pas le groupe de travail. En effet nous avions discuté de certaines critiques possibles pendant l’élaboration de la Déclaration, mais ces discussions ici n’ont pas été revues, corrigées, amendées. D’autre part certaines critiques, arrivées après la publication de la Déclaration, n’ont pas été discutées par le groupe.
3- Nous répondrons en tant que juriste mais nous ferons appel aussi à quelques autres disciplines, ainsi les relations internationales et , dans les limites de nos compétences la philosophie. Etant entendu que, comme le groupe de travail, nous donnerons une part consistante à la prospective juridique.
4-Ces critiques peuvent être examinées en trois regroupements : l’existence de la Déclaration, les conceptions de la nature et celles de l’humanité qui y sont exprimées.
5-Certaines critiques appellent des réponses assez simples, celles relatives à l’existence de la Déclaration. D’autres sont plus compliquées, celle des rapports entre les êtres humains et la nature. D’autres entrent dans la complexité, celle relatives à l’humanité. Edgar Morin écrit « Penser c’est dialoguer avec la complexité ».
6-Dans nos bagages nous n’oublierons pas bien sûr l’humilité dans la pensée : « Plus le savoir progresse plus il comprend pourquoi il ne peut aboutir. Chaque fois que nous avons le sentiment d’avoir fait un certain progrès dans la connaissance nous voyons qu’il suscite d’autres problèmes et que le progrès suivant sera encore plus difficile. En avançant la connaissance se persuade de son infirmité. »(Claude Levi Strauss)
7- Il ne s’agit pas ici d’un discours vérité ce qui n’empêchera pas d’exprimer des convictions, éventuellement et heureusement aussi quelques colères.
8- Enfin autant certaines critiques sont injustifiées, autant d’autres contiennent des parts de vérités, des éléments porteurs, ou des pistes d’avenir, il ne faut pas passer à côté. Et pour cette Déclaration, et pour des évolutions juridiques de textes à venir. Et finalement importantes sont les questions qui pourront nous faire avancer.
Faute de temps nous nous en tiendrons , malheureusement, à une simple énumération .
1er point Simple énumération des critiques relatives à l’existence même de la Déclaration
Une inutilité de la Déclaration
Une inefficacité de la Déclaration
Un texte qui ne fait que s’ajouter à d’autres symboliques
Un texte philosophique, poétique qui restera impuissant
Un texte non opérationnel à court terme
Un texte qui ne peut arrêter massacres et injustices
Une opération de diversion organisée par le pouvoir
Une fuite des réalités présentes dans des opérations de communication
Une prétentieuse manie française de pondre des textes fondateurs
Une France qui donne des leçons de morale mais qui n’est pas exemplaire
2ème point Simple énumération des critiques relatives à la nature dans la Déclaration
-La nature est une notion imprécise
-Il n’est pas pertinent d’introduire l’idéologie de la nature dans une telle déclaration
-La nature est un objet de droit
-Les espèces non humaines ne peuvent être comparées à l’espèce humaine
-La nature ne peut avoir la personnalité juridique
-Le droit international de l’environnement est anthropocentrique
-Le vivant non humain n’a pas la place qu’il mérite, il ne fait que de la figuration
-La Terre-Mère n’est pas reconnue
-La nature n’est pas reconnue comme véritable sujet de droit
-L’humanité ne permet pas de prendre en compte tous les intérêts de la nature
3ème point Simple énumération des critiques relatives à l’humanité dans la Déclaration
-L’humanité n’existe pas
-L’humanité est une fiction juridique
-Ce qui n’existe pas encore ne peut avoir de droits
-L’humanité n’est pas sujet de droit
-L’humanité ne peut avoir la personnalité juridique
-La mise en œuvre concrète des droits de l’humanité est impossible
-Un catalogue de droits et de devoirs est discutable
-Les droits de l’humanité entreront en conflit avec d’autres droits
-Les souverainetés étatiques seront limitées par l’humanité
-Le tout indivisible (humanité) doit être supérieur aux parties(les générations)
-La notion de génération est imprécise
-La notion de bien commun est imprécise
-La notion de ressources vitale est imprécise
-La notion de besoins fondamentaux est imprécis
Quatre remarques terminales :
1-Un récapitulatif des faiblesses et des forces de la Déclaration
Faiblesses par rapport à sa portée ?
Sa portée juridique est pour l’instant ,et pour un moment probablement , incertaine,
sa portée globale n’est pas assez opérationnelle à court terme.
Faiblesses par rapport à son contenu ?
A notre sens elle ne va pas assez loin dans la remise en cause du productivisme,
Et elle ne va pas assez loin dans sa capacité de propositions.
Forces par rapport à sa portée ?
Elle a une portée juridique qui peut être symboliquement importante si des acteurs s’en emparent. Et bien sûr effectivement importante si les Etats finissent par la consacrer.
Elle a une portée globale qui est en marche idéologiquement en appelant aux débats, en posant des repères, pédagogiquement en entrant peu à peu dans des enseignements, des éducations, des pratiques.
Forces par rapport à son contenu ?
Elle comprend des remises en cause du productivisme qui sont loin d’être négligeables et peuvent contribuer à en préparer d’autres.
Elle comprend des nouveautés juridiques importantes et en elles-mêmes et qui contribuent à en préparer d’autres.
2- Le rôle de la DUDH 2015 :
La « Déclaration universelle des droits de l’humanité », cela bien sûr avec des limites internes et externes, peut représenter une étape importante en contribuant à faire connaitre, à penser et, à sa mesure, à mettre en œuvre les principes, les droits et les devoirs de l’humanité.
Comme la Déclaration de 1948 celle de 2015 n’a pas seulement pour vocation d’être affichée sur des murs, placée dans des bibliothèques et prise en compte par des mondes médiatiques, n’a pas seulement pour vocation d’être dans les cœurs et les esprits, elle a surtout pour vocation, à travers des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, de contribuer à accompagner générations présentes et futures sur leurs routes d’humanité.
3-Les rapports droits de l’homme et droits de l’humanité
René Jean Dupuy écrit « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative, accéder à l’humanité suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi l’humanité doit elle-même jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »
D’où cette question : droits de l’homme, droits des peuples, droits de l’humanité et aussi droits de la nature,
ne doivent-ils pas s’appuyer les uns sur les autres,
s’apprivoiser, se compléter, s’interpellerles uns par les autres
et finalement s’incliner les uns vers les autres ?
4-L’espérance de l’humanité
Dernière remarque relative à ce que n’est pas l’humanité et à ce qu’elle est.
L’humanité n’est pas une illusion fumeuse, une incantation magique, une représentation impossible, une nébuleuse floue, une étoile inaccessible, l’occasion d’un exercice de trémolos dans la voix, une fiction juridique, ou un gadget pour idéaliste.
L’humanité n’est pas une refuge à l’abri du présent, un aveu d’impuissance pour affronter le réel, une fuite des responsabilités, une forme d’appel à la bonne conscience, un mythe d’une communauté unanime, un immense cortège ne distinguant plus les bourreaux et les victimes, un souci de luxe des fins du monde loin des prises à la gorge des fins de mois, un lot de consolation distribué par les maitres aux esclaves ou le camouflage d’un gigantesque cimetière des rêves trahis et des espoirs déçus.
L’humanité c’est à la fois et tour à tour un héritage, un présent, une promesse. L’humanité s’incarne à travers le temps et les lieux.
Ce sont les vies de ceux et celles qui nous ont précédésà travers ces témoins d’humanité, connus et inconnus, luttant contre les forces de mort, c’est ce patrimoine culturel qu’ils nous laissent avec une immense chance , un grand bonheur de le découvrir, de le partager, de le transmettre.
Ce sont les vies de ceux et celles qui sont présents , ces générations vivantes qui, si elles arrivent à penser et à mettre en œuvre des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, porteront un projet d’humanité, alors, oui , il les portera à son tour.
Ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et qui peuvent nous dire : notre confiance en vous nous la risquons à nouveau. Essayez d’aimer le monde avec les cœurs et les esprits, nous vous les prêtons, de ceux et celles qui vont arriver et puis laissez nous la liberté de devenir ce que nous voudrons être.
Pour résister à l’intolérable et construire un monde démocratique juste, écologique et pacifique, le souffle de ceux et celles qui nous ont précédés et celui de ceux et celles qui vont nous suivre peuvent contribuer à nous porter,
mais c’est notre souffle, celui des vivants que l’on attend.Et c’est notre souffle qui nous attend.
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Un autre texte, celui du CIDCE
La Déclaration des droits de l’humanité relatifs à la préservation de la planète
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Texte préparé par le Centre International de Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE) et adopté le 28 avril 2015 à Limoges dans la perspective de la COP21 .
La 21ème Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, réunie à Paris en décembre 2015,
– Considérant que l’humanité et la nature sont en péril, ainsi que le reconnaissent et appellent à y faire face les États en particulier dans la Déclaration de Stockholm de 1972, la Charte mondiale de la nature de 1982, la Déclaration de Rio de 1992, la Charte de la Terre de 2000 et le Document final « l’avenir que nous voulons » de Rio 2012,
– Considérant que reconnaissent ce même péril, les Peuples dans la Déclaration de Cochabamba de 2010, les ONG dans la Déclaration universelle du bien commun de l’humanité de 2012 à Rio et les juristes de l’environnement en particulier dans l’appel de la 3ème réunion mondiale en 2011 à Limoges,
– Considérant que le changement climatique constitue une mise en danger pour la survie de l’humanité et de la nature comme l’ont fait valoir les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC),
–Considérant que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel,
– Convaincus que les droits de l’homme, les droits des peuples, les droits de l’humanité et les droits de la nature sont interdépendants,
– Convaincus que les droits de l’humanité constituent une forme de garantie des autres droits et que le droit de l’humanité à un environnement sain et équilibré est indissociable des autres droits de l’humanité notamment à la vie, à la dignité, à la liberté, à l’égalité, à la démocratie, à la paix et à la justice. De tels droits doivent s’appuyer les uns sur les autres,
– Convaincus que le droit à la dignité humaine répondant aux besoins essentiels de l’homme est lié au droit à l’environnement et à la justice climatique,
– Convaincus que l’humanité repose sur l’unité de l’espèce humaine et sur ses diversités,
– Convaincus que le droit de l’humanité à l’environnement doit être équitable, démocratique, juste et pacifique,
– Rappelant l’entrée de l’humanité dans l’ère de l’anthropocène et sa responsabilité pour faire face aux causes et aux conséquences des changements climatiques,
– Rappelant que « la Terre, foyer de l’humanité, constitue un tout marqué par l’interdépendance » (Préambule de la Déclaration de Rio de 1992),
– Rappelant que « les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité toute entière », (Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques),
– Rappelant que l’humanité est constituée par l’ensemble des générations passées, présentes et à venir, qu’elle forme un tout composé de générations qui ont leurs spécificités,
– Rappelant que la nature est constituée par les êtres humains, les animaux, les végétaux et le reste de l’écosphère,
– Rappelant que le concept d’humanité fait partie intégrante du droit international public (crimes contre l’humanité, patrimoine commun de l’humanité, patrimoine mondial de l’humanité, droit humanitaire…),
– Rappelant que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être » et qu’il a « le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures » (Principe 1 de la Déclaration de Stockholm de 1972),
– Appelant avec l’ensemble des États participants à la Conférence aux responsabilités de tous les acteurs publics et privés, aux niveaux locaux, nationaux, continentaux, internationaux, pour penser et mettre en œuvre, de façon solidaire, équitable et effective, les réformes et les remises en cause répondant au droit de l’humanité et de la nature à un environnement sain et équilibré,
Proclame ce qui suit :
Principe 1
L’intérêt commun de l’humanité et de la nature exige que des limites soient fixées aux activités humaines. La reconnaissance de ces limites conduit à mettre en œuvre notamment les principes de sobriété, de coopération et d’internalisation des coûts écologiques.
Principe 2
Sont déclarés primordiaux les principes de solidarité et de responsabilitétrans générationnelle et intra générationnelle. Il appartient à l’humanité de les créer, de les maintenir et de les développer.
Principe 3
Le principe de non régression des acquis environnementaux, que doivent respecter les acteurs publics et privés, bénéficie aux générations présentes et futures, il est la condition d’un développement durable.
Principe 4
Chaque génération humaine est garante des ressources de la terre pour les générations futures et pour la nature. Elle a le devoir de faire en sorte que ce legs soit préservé et qu’il en soit fait usage avec prudence. Les générations futures ont droit à la non-discrimination environnementale.
Principe 5
L’humanité et la nature ont droit à la conservation, à la protection et au rétablissement de la santé et de l’intégrité des écosystèmes.
Principe 6
L’humanité a droit au respect, à la protection et à la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel. Ce patrimoine, hérité des générations passées, doit être transmis par les générations présentes aux générations futures.
Principe 7
En tant que bien commun à sauvegarder, le climat doit être stabilisé. L’adaptation aux changements climatiques exige une répartition équitable et juste des charges, des conséquences, des responsabilités et des mesures sauvegardant les droits des plus vulnérables. La mise en œuvre du principe des responsabilités communes mais différenciées fait partie de cette justice climatique.
Principe 8
Le statut de patrimoine commun de l’humanité doit être étendu et bénéficier des moyens de sa protection.
Principe 9
Les biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples, des générations présentes et futures, notamment l’eau, l’air, le sol, le paysage, l’alimentation, l’habitat, la santé, l’énergie, l’éducation, la culture doivent être de qualité et faire l’objet d’un accès universel et effectif.
Principe 10
Les moyens de la mise en œuvre du droit de l’humanité et de la nature à l’environnement consistent notamment dans :
– les réductions et les suppressions des modes de production, de consommation, de transport écologiquement non viables,
– la mise en œuvre effective des programmes des droits à l’eau potable, à l’assainissement, à l’autonomie alimentaire et à la lutte contre l’extrême pauvreté,
– la revitalisation des régions profondément dégradées,
– une transition énergétique s’appuyant sur le développement par priorité des énergies renouvelables, respectueuses de l’environnement, les économies massives d’énergie, une sortie rapide du nucléaire et de l’utilisation des énergies fossiles,
– la criminalisation des atteintes aux droits à l’environnement, y compris l’écocide notamment par une modification du statut de la CPI, et par la création de parquets et de tribunaux régionaux.
Principe 11
La mise en œuvre du droit de l’humanité et de la nature à l’environnement requiert la conclusion des accords vitaux de réductions massives et radicales des gaz à effet de serre ainsi que la conclusion de nouvelles conventions universelles : création d’une Organisation mondiale de l’environnement (OME) ; création d’une Cour mondiale de l’environnement ; création d’une Organisation mondiale et régionale d’assistance écologique ; convention portant statut protecteur des déplacés environnementaux ; convention de protection des sols ; convention de protection des forêts ; convention contre lespollutionstelluriques…
Principe 12
L’humanité et la nature ont droit au respect de leurs rythmes et doivent avoir les moyens de faire face à l’accélération du système mondial.
Principe 13
Aucune recherche concernant le génome humain, ni aucune de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la génétique et de la médecine, ne doit porter atteinte au respect des droits des générations présentes et futures.
Principe 14
Les recherches, la mise au point, la fabrication, l’utilisation, le commerce des armes de destruction massive existantes (nucléaires, biologiques, chimiques) et de celles à venir, sont contraires au droit de l’humanité et de la nature à l’environnement, parce que sans limites quant à leurs effets environnementaux et sanitaires dans le temps.
Principe 15
L’irréversibilité de l’enfouissement des déchets radioactifs est contraire au droit de l’humanité et de la nature à l’environnement parce que sans limites quant à ses effets environnementaux et sanitaires dans le temps.
Principe 16
Constituent des crimes écologiques contre les générations présentes, les générations futures et la nature, les violations des principes 6, 13, 14 et 15.
Principe 17
L’humanité et la nature ont la personnalité juridique. Elles peuvent agir conjointementpour défendre solidairement leur droit à l’environnement. À cet effet, l’Organisation mondiale de l’environnement (OME) représentera l’humanité et la nature.
Principe 18
En liens étroits avec les droits à la vie, à la dignité, à la liberté, à l’égalité, à la démocratie, à la paix et à la justice, le droit de l’humanité à l’environnement comme celui des personnes, des peuples et de la nature doivent faire l’objet d’enseignements, d’éducations et de pratiques dans l’ensemble des États.
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Intervention de Jean-Marc Lavieille le 5/12/2015 à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales au colloque international des juristes dans le cadre de la COP 21.
Analyse, par l’un de ses auteurs, du texte préparé par le Centre International de Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE),adopté le 28 avril 2015 à Limoges soit cinq mois avant la remise à l’Elysée de la Déclaration de la mission Lepage, le 25 septembre 2015.
En exergue une pensée de René Jean Dupuy « La fonction utopique entretient l’humanité dans sa vocation à créer. Cet acharnement à rêver d’elle-même, au delà de sa condition présente, exprime sa conviction d’un droit à la survie. »
Dans cette introduction nous donnerons une idée du processus d’élaboration de cette « Déclaration des droits de l’humanité relatifs à la préservation de la planète. »
Quelle en a été l’origine ? Après les vœux du Président de la République qui envisageaient la présentation d’une telle déclaration au moment de la COP 21, le président du Centre international de droit comparé de l’environnement(CIDCE), Michel Prieur, lançait début février 2015 le projet d’écriture d’un texte qui devrait, espérait-il, contribuer à inspirer la Déclaration officielle portée par la France aux Nations Unies, celle-ci écrite par la mission Lepage commence le 22 juin 2015 et se termine le 25 septembre 2015.
Quel a été le groupe de travail ? Formé de vingt volontaires du CIDCE, ayant l’habitude de travailler ensemble dans le cadre du laboratoire de droit de l’environnement, le CRIDEAU, il se compose d’universitaires environnementalistes mais aussi de juristes des droits de l’homme, de publicistes mais aussi de privatistes, d’internationalistes mais aussi de juristes de droit interne, enfin d’une chercheuse du CNRS, d’un ancien haut fonctionnaire d’une organisation internationale, d’un sociologue du droit et d’un économiste.
Quelle a été la méthodologie? Est établi un premier inventaire des déclarations et des conventions ainsi que de textes de la société civile évoquant l’humanité, est écrit ensuite un avant-projet par un membre du groupe, puis en mars par demies journées nous déterminons nos points d’accords en particulier sur les rapports homme-nature, les principes de base, les crimes écologiques, les institutions et nous travaillons le pré projet qui , sur écran, est projeté devant nous. Entre chaque séance chacun propose des amendements inscrits en marge qui sont ensuite débattus. Cette méthodologie est accompagnée d’un point régulier sur l’avancement de l’écriture qui est fait pour tous par la chargée de mission du CIDCE, la Déclaration est adoptée le 28 avril 2015.
Quel a été le point fort du fonctionnement ? La liberté des participants c’est à dire essentiellement d’universitaires dans la cadre d’une ONG, le CIDCE, ces rédacteurs n’étaient pas limités par les souverainetés étatiques, la techno science ou le marché mondial.
Quel a été le point faible du fonctionnement ? Certainement le manque de temps, le texte devait être terminé rapidement, nous avons regretté de ne pouvoir le faire retravailler en aval par d’autres personnes à travers des séminaires comme c’était le cas pour le projet de convention sur les déplacés environnementaux que nous avions construit sur une année entière et dont la méthodologie était remarquable.
Dans cette intervention trois parties proposées : l’adoption, le contenu et la portée de cette Déclaration.
Ière partie- L’adoption de la Déclaration des droits de l’humanité (CIDCE,28 avril 2015)
Elle arrive à un moment important qui va impliquer des choix.
Ier point -Une adoption de la Déclaration arrivant à un moment important
Ecologiquement, éthiquement, politiquement, juridiquement :
-Ecologiquement c’est la suite depuis 160 ans de l’anthropocène, période où l’humanité et le système qui l’accompagne, le productivisme, sont devenus une véritable « force géologique » qui aboutit à une dégradation mondiale de l’environnement, dégradation dont on prend peu à peu conscience de l’ampleur, des formes multiples, des interactions et de l’accélération vertigineuse.(voir sur ce blog les deux billets « Environnement : les manifestations et les causes de la dégradation mondiale de l’environnement. »
-Ethiquement c’est la conséquence du fait, comme l’écrivait Claude Levi Strauss, que « l’humanité est devenue sa pire et propre ennemie et celle de l’ensemble du vivant, c’est de cela, ajoutait-il, qu’il faut la convaincre si nous espérons pouvoir la sauver ».Oui les générations futures risquent d’être objets et non sujets de leurs vies à cause de générations qui n’auront pas su prendre leurs responsabilités. Nous voilà en quelque sorte aurait dit Jean Rostand « fraternisés par les périls communs ».Doit donc voir le jour,dans le sillage en particulier de Hans Jonas, une éthique de la responsabilité et de la solidarité intra et intergénérationnelles, une éthique du respect de cette Terre foyer de l’humanité.
-Politiquement c’est la 21ème Conférence de la Convention sur les changements climatiques, avec le rôle de la France comme pays d’accueil de l’accord qui devrait engager l’ensemble des Etats, moment diplomatique important, moment charnière où les engagements seront au pire dérisoires au mieux importants mais malheureusement ne seront pas radicaux parce que les volontés politiques ne sont toujours pas au rendez-vous et que le politique est dépassé par un marché mondial et une techno science qui se veulent sans limites. Aux périls écologiques s’ajoutent les injustices criantes, les violences aux formes multiples, les autoritarismes nombreux . Moment impressionnant d’une accumulation de puissances et d’impuissances.
-Juridiquement l’humanité a déjà rencontré le droit international public depuis les sept dernières décennies, à travers les crimes contre l’humanité, le droit humanitaire, le patrimoine commun de l’humanité, le droit international de l’environnement qui s’adresse aux générations présentes et futures, droit qui qualifie de « préoccupation commune de l’humanité » les changements climatiques et l’effondrement de la diversité biologique. L’humanité a ainsi rendez-vous à nouveau avec le droit, après les droits de l’homme de la femme et de l’enfant, après les droits des peuples et ceux des Etats, voilà une étape nouvelle, celle de la consécration des droits de l’humanité dont cette Déclaration est un des éléments.
2nd point- Une adoption de la Déclaration impliquant des choix essentiels
choix par rapport à l’humanité, à la nature et au productivisme.
-Par rapport à l’humanité, celle-ci est reconnue comme un tout, ainsi par exemple elle a droit à l’environnement. Elle est reconnue également dans ses éléments, ainsi par exemple les générations futures ont droit à la non-discrimination environnementale. Il est à noter que le groupe de travail , au regret d’une minorité de ses membres, n’a finalement pas reconnu de droits spécifiques aux générations passées mais simplement un devoir pour les générations présentes de transmettre le patrimoine culturel et naturel « hérité des générations passées. » Certains regretteront que ceux qui n’existent plus ne puissent pas avoir de droits alors que ceux qui n’existent pas encore peuvent en avoir.
-Choix par rapport à la nature : la Déclaration conçoit la nature comme un projet de droit autour du patrimoine, nature qui a une valeur liée aux êtres humains, une nature objet de droit, et une valeur en elle-même, une nature sujet de droit, c’est donc une conception de synthèse anthropo-ethno- centrique qui a été choisie par la Déclaration.
-Choix par rapport au productivisme, en effet dans la mesure où l’on pense qu’il s’agit d’un système humanicide et terricide il faut contribuer à lui donner des limites, beaucoup de principes devront aller dans ce sens.
-Choix enfin par rapport au titre de la Déclaration : nous avions trouvé quatre titres différents mais beaucoup plus juridiques, nous avons choisi le plus proche du vœu du discours présidentiel (d’où l’expression « préservation de la planète ») en espérant ainsi que ce projet aurait plus de chances d’être examiné par l’équipe de rédaction du texte de la mission officielle.
2ndpartie- Le contenu de la Déclaration des droits de l’humanité (CIDCE28 avril 2015)
Après l’adoption, un mot du contenu qui repose sur un préambule de synthèse et un dispositif à la hauteur des enjeux.
1er point- Un préambule de synthèse
Au total dix sept alinéas avec deux mots clefs, « périls et interdépendances. »
Les périls pour l’humanité et pour la nature sont rappelés dans les trois premiers alinéas à travers une énumération de déclarations des Etats, des peuples, d’ ONG, de juristes, de scientifiques .
Les interdépendances sont mises en avant dans les neuf alinéas qui suivent, ainsi par exemple entre l’humanité et son milieu naturel, entre les droits de l’homme, des peuples, de l’humanité, de la nature, entre l’unité de l’espèce humaine et ses diversités, finalement comme le proclame la Déclaration de Rio de 1992, voilà cette « Terre foyer d’humanité constituant un tout marqué par l’interdépendance », et c’est le rôle du droit nous rappelle en particulier Mireille Delmas Marty « d’organiser les interdépendances ».
Les autres alinéas du préambule sont relatifs aux définitions de l »humanité et de la nature,à l’arrivée de l’humanité dans le droit international public, au rappel du droit de l’homme à l’environnement et à son devoir de le protéger et de l’améliorer pour les générations présentes et futures,et enfin le préambule se termine par un appel à tous les acteurs publics et privés à tous les niveaux géographiques et dans le temps,cela pour mettre en oeuvre,de façon solidaire,équitable et effective, les réformes et les remises en cause répondant à ce droit de l’humanité. Ensuite qu’en est-il du dispositif de la Déclaration?
2nd point- Un dispositif à la hauteur des enjeux
Les dix huit principes frappent par leur cohérence, une certaine radicalité et des nouveautés tout cela à travers les éléments suivants :
Premier élément : l’orientation générale selon laquelle tout repose sur le concept de limites fixées aux activités humaines. « Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites? »demandait Jacques Ellul. Sont liés à ce concept le principe de sobriété, (opposé à la course aux quantités, à la recherche du profit), le principe de coopération (opposé à la compétition), le principe d’internationalisation des coûts écologiques (opposé à la marchandisation de la nature), la non régression des acquis environnementaux (opposée à la domination sur la nature, au culte de la croissance), et un principe complètement nouveau, le respect des rythmes de l’humanité et de la nature (opposé à l’accélération, à la priorité du court terme).
Deuxième élément : le dispositif définit le droit à l’environnement : chaque génération a le devoir de préserver les ressources de la Terre et d’en user avec prudence, un nouveau droit des générations futures est consacré, celui de la non discrimination environnementale. D’autre part le principe 5 est essentiel dans sa globalité : « L’humanité et la nature ont droit à la conservation, à la protection et au rétablissement de la santé et de l’intégrité des écosystèmes. »
Troisième élément : voilà l’humanité avec son patrimoine culturel et naturel à respecter, mettre en valeur et transmettre, avec le patrimoine commun de l’humanité à protéger et étendre, et avec les biens communs, indispensables aux générations présentes et futures, pris au sens très large c’est à dire environnementaux (eau, air, sol, paysage),matériels (alimentation, habitat, santé, énergie), et culturels (éducation et culture).Le climat est, lui aussi ,considéré comme un bien commun qui doit être régi par la justice climatique dont fait partie le principe des responsabilités communes mais différenciées.
Quatrième élément existe cette nouveauté importante : une liste des principaux moyens économiques, écologiques, institutionnels, juridiques pour mettre en œuvre ce droit de l’humanité et de la nature à l’environnement, liste précise, radicale et porteuse.Autrement dit pour contribuer à passer d’un système productiviste humanicide et terricide à une communauté mondiale humainement viable.
Cinquième élément : sont consacrés quatre séries de crimes écologiques contre les générations présentes et futures et la nature : l’enfouissement irréversible des déchets radioactifs, les armes de destruction massive présentes et futures y compris les recherches sur de telles armes, l’un et l’autre crime sont qualifiés ainsi parce « sans limites quant à leurs effets environnementaux et sanitaires dans le temps »,cette condamnation radicale est aujourd’hui refusée par un certain nombre d’Etats et d’autres acteurs. Sont aussi qualifiés de crimes écologiques les recherches et les applications biologiques, génétiques, médicales qui porteraient atteinte au respect des droits des générations présentes et futures, ainsi que la violation du patrimoine culturel et naturel hérité des générations passées.
Sixième élément la personnalité juridique est attribuée à l’humanité et la nature qui peuvent agir conjointement pour défendre leur droit à l’environnement, elles seront représentées par l’Organisation mondiale de l’environnement.
Dernier élément : la Déclaration affirme que le droit de l’humanité à l’environnement, comme ceux des personnes, des peuples et de la nature, doit faire l’objet d’enseignements et de pratiques dans l’ensemble des Etats.
Troisième partie – La portée de la Déclaration des droits de l’humanité du CIDCE
La portée juridique est pratiquement absente, la portée idéologique peut être créatrice.
1er point- L’absence de portée juridique directe de la Déclaration
Les déclarations inter étatiques ont un sort juridique plus heureux que celles de la société civile, certaines de leurs dispositions peuvent migrer dans des conventions, des constitutions, des lois, d’autres dispositions en se répétant peuvent devenir des coutumes internationales, et puis certaines déclarations contribuent à préparer bien à l’avance des conventions .
Rien de tout cela pour les déclarations internationales de la société civile, sinon indirectement dans la mesure où une ou plusieurs dispositions peuvent être reprises par une déclaration inter étatique voire par un texte juridiquement contraignant et avoir alors une vie dans un nouvel espace juridique.
Ainsi la Déclaration universelle des droits de l’humanité, préparée à la demande du Président de la République par la chargée de mission et son équipe de rédaction , est proche de quelques dispositions de celle que nous commentons et si la DUDH 2015 devenait inter étatique à la suite d’une adoption par l’AG des Nations Unies on pourrait dire qu’il y a eu une certaine influence de la société civile qui s’est traduite juridiquement mais toujours indirectement.
Le rapport sur la DUDH de septembre 2015 remis à l’Elysée reprend d’ailleurs, non pas elle-même mais dans une partie intitulée « alternatives », les dispositions les plus radicales de la Déclaration du CIDCE en particulier les crimes écologiques, et cette Déclaration a été mise dans les documents annexes de ce rapport.
2ndpoint- Une portée idéologique créatrice de la Déclaration ou la force de la prospective.
Une déclaration internationale de la société civile peut constituer un vivier idéologique dont pourront s’inspirer différents acteurs, encore faut-il que le contenu repose sur une prospective solide qui évite deux écueils :
Le premier danger est de manquer de souffle, d’être étouffé par l’impératif du réalisme, de laisser la place aux experts de rétrécissements d’horizons,aux casseurs d’horizons et finalement de ne pas être à la hauteur des défis, de se résigner devant les rapports de force alors que ceux ci peuvent changer, alors qu’à chaque instant le réel contient plus de possibles que l’on ne croit, alors que, comme le disait Paul Valéry, « Le droit c’est l’intermède des forces ».
L’autre danger de la prospective est de s’échapper dans une utopie abstraite détachée des conditions de sa réalisation. Au contraire l’utopie concrète, créatrice est vitale, c’est celle qui pense les moyens de se réaliser, des moyens conformes aux finalités que l’on met en avant, l’anti Machiavel , Gandhi, affirmait « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » Ainsi le moment de la véritable prospective c’est le moment non pas d’une simple prolongation du passé et du présent mais le moment d’une véritable rupture.« Eclore est une fracture, naitre est un effort. »écrivait Shakespeare.
Trois remarques terminales.
L’une relative à la force de cette Déclaration, l’autre relative aux rapports entre les droits de l’homme et les droits de l’humanité, la dernière relative à l’humanité elle-même.
Première remarque terminale : Cette Déclaration pourrait avoir une force très grande dans la mesure où sa mise en œuvre contribuerait à passer d’un système productiviste humanicide et terricide à une communauté mondiale humainement viable.
Dans ce temps où puissances et impuissances s’accumulent, cette Déclaration propose très concrètement de dépasser les intérêts particuliers et les intérêts nationaux, de dégager des intérêts communs, mais d’aller plus loin en construisant l’intérêt commun de l’humanité.
Deuxième remarque terminale :Cette Déclaration pose bien la question des rapports droits de l’homme -droits de l’humanité. René Jean Dupuy écrit « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative, accéder à l’humanité suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi l’humanité doit elle-même jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »
Terminons simplement par cette question :
droits de l’homme, droits des peuples, droits de l’humanité ne doivent-ils pas
s’appuyer les uns sur les autres, s’apprivoiser, se compléter, s’interpeller les uns par les autres, et finalement s’incliner les uns vers les autres ?