au trésor des souffles
Fins et moyens
rapports dans un monde viable
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III-Les fins et les moyens : pour de nouveaux rapports dans un autre système viable
Nous examinerons les fondements de nouveaux rapports entre les fins et les moyens dans un autre système se voulant viable.
Il s’agit de partir du principe selon lequel aucun moyen n’est neutre (A)
puis de penser la remise des moyens à leur place, la technoscience (B) ,
le marché mondial (C),
les marchés financiers (D)
enfin il s’agit de respecter les fins, c’est-à-dire les droits de l’homme et ceux des peuples (E)
sans oublier ceux aussi de l’humanité (F).
A- Aucun moyen n’est neutre par rapport aux fins
1-Cette question des rapports entre les moyens et les fins a été pensée bien sûr en particulier par des philosophes.
Nous n’en citerons ici que deux, Kant et Jonas.
Ainsi Emmanuel Kant dans ce passage célèbre :
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre,
(Fondation de la métaphysique des mœurs(1785) traduction par A. Renault, Flammarion, 1994, p.108).
Plus proche de nous dans le temps Hans Jonas dans ce passage connu:
« Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » (Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, 1979, p30).
Ainsi la dignité humaine chez le premier, la responsabilité chez le second sont au cœur de leurs philosophies.
Mais la philosophie n’est pas la seule à interroger ces rapports. De façon globale les activités humaines, dans les théories comme dans les pratiques, ont été et sont présentes au cœur de cette question, comment ?
2-On peut ainsi penser que la légitimité d’une cause n’implique pas la légitimité de tous les moyens pour la faire triompher.
S’il était oh combien légitime de lutter contre le totalitarisme nazi, certains, dont nous sommes, penseront qu’il n’était pas légitime d’envoyer les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (avec d’ailleurs pour objectif de montrer sa puissance face à l’Union soviétique).
C’est d’ailleurs ce qui condamne le terrorisme que ce soit celui de réseau ou celui d’Etat. Le terrorisme peut mettre en avant une cause illégitime, par exemple la disparition d’une race, ou une cause légitime, par exemple la lutte contre une occupation armée étrangère, les moyens de terreur employés contre les personnes peuvent être considérés à juste titre comme illégitimes.
3- Cette série de théories et de pratiques selon laquelle la fin ne justifie pas tous les moyens est, à ce jour(décembre 2020) , minoritaire dans le monde, mais depuis plus d’une une trentaine d’années (1989,révolutions à l’Est)elle prend de plus en plus une certaine ampleur.
Elle consiste à affirmer qu’aucun moyen n’est neutre et en lui-même et par rapport à la société qui va en sortir.
La force qu’elle représente se retrouve par exemple à travers des révolutions non-violentes fondées sur des résistances actives, des désobéissances massives. Deux des exemples les plus connus sont ceux, contre l’empire britannique, de l’indépendance de l’Inde et, contre le régime soviétique, des révolutions à l’Est.
C’est certainement sous l’influence des problèmes, des menaces et des drames environnementaux que l’on a été amené à protester contre de nombreux moyens, en particulier énergétiques, et qu’on en propose de nouveaux qui se veulent respectueux de la nature. On a alors conscience de ces liens entre les fins et les moyens et on va souvent utiliser des résistances et des désobéissances qui, elles aussi ,ne seront pas neutres. Les manifestations de jeunes face à la faiblesse ou l’irresponsabilité de politiques étatiques contre le réchauffement climatique s’inscrit dans ce cadre des résistantes non-violentes.
4-On peut donc penser qu’aucun moyen n’est neutre par rapport aux objectifs proclamés.
Gandhi, dans l’ouvrage posthume réunissant ses écrits « Tous les hommes sont frères » (première parution en 1969, puis folio essais , Gallimard,1990, p.147) affirme de façon radicale et lumineuse :
« On entend dire « les moyens, après tout, ne sont que des moyens ». Moi je vous dirai plutôt : « tout, en définitive, est dans les moyens. La fin vaut ce que valent les moyens. Il n’existe aucune cloison entre les deux catégories » (…) Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens (…) Les moyens sont comme le grain et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence. Ceux qui, au contraire, s’abaissent à employer n’importe quel moyen pour arracher une victoire ou qui se permettent d’exploiter d’autres peuples ou d’autres personnes plus faibles, ceux-là non seulement se dégradent eux-mêmes, mais aussi toute l’humanité. Qui pourrait donc se réjouir de voir l’homme ainsi bafoué ? »
5-Un témoignage personnel de l’auteur de ce blog.
Lorsqu’en septembre 1972, alors que je commençais à enseigner les relations internationales et le droit international public, je me suis aussi plongé dans des lectures tiers-mondistes et non-violentes. C’est alors que j’ai découvert cette pensée de Gandhi : « Les fins sont dans les moyens comme l’arbre est dans la semence ».
Je crois que c’est elle qui a contribué à bouleverser ma vie, en quelques années tout s’est enchainé : luttes pour la démocratie (contre la dictature au Chili ), pour la justice (contre la misère dans un voyage associatif au Bangladesh), pour le désarmement (contre les ventes d’armes au salon du Bourget), pour l’environnement ( contre le réacteur nucléaire de Malville). Dans mes cours, interventions et écrits je n’ai cessé de partager cette question, celle des rapports entre les moyens et les fins.
6-La complexité de certains rapports entre les moyens et les fins
Il y a deux types d’abus possibles, les uns sur les moyens, les autres sur les fins. Il y a ensuite une situation évoquée par exemple par un non-violent célèbre. Sans oublier la complexité des marges de manœuvres des acteurs et celle des choix liés au temps.
a-Un moyen ou une fin que l’on pensait acceptable se révèle inacceptable
.Au niveau des moyens : par exemple un embargo l’on pensait juste finit par porter atteinte aux droits des plus faibles. Par exemple une loi de protection de l’environnement peut être injuste en portant atteinte aux plus démunis. D’ou par exemple la nécessité souvent soulignée de conjuguer écologie et justice.
Au niveau d’une fin : par exemple une organisation qui était censée protéger des enfants peut avoir demandé une aide qui , en fait, participe à un trafic d’enfants.
b-Des moyens acceptables pour des fins inacceptables…
Martin Luther King écrivait dans « Révolution non-violente », (éditions Payot, 1965) « Ces dernières années j’ai constamment insisté sur le fait que les moyens que nous utilisons doivent être aussi purs que les buts que nous voulons atteindre. J’ai tenté de démontrer qu’il ne fallait pas utiliser des moyens immoraux pour atteindre des buts moraux. Mais aujourd’hui j’affirme qu’il serait encore plus faux d’utiliser des moyens moraux pour atteindre un but immoral. Vous voulez l’ordre dans la rue, vous êtes contre les manifestations non-violentes que nous organisons , tout cela pour « la paix publique » dites-vous mais celle-ci n’est pas morale.» Ce qui est immorale c’est une violence structurelle selon laquelle les noirs n’ont pas les mêmes droits que les blancs.
c-Complexité aussi des marges de manœuvres des différents acteurs
Le productivisme a les moyens de réduire les marges de manœuvres d’acteurs qui en appellent aux résistances actives..
Parmi ces moyens citons des répressions sur des ONG et des militants. Par rapport à des Etats qui en appellent aux luttes contre des injustices internationales existent également au moins trois moyens de réduire leurs marges de manœuvres : d’une part des augmentations bilatérales ou internationales de taxes douanières, d’autre part une réduction de l’aide internationale ou bilatérale, enfin l’augmentation de la charge de la dette qui est une forme de mise sous tutelle des économies.
d-Complexité des choix liés au temps
Moins on tient compte du long terme plus on peut se retrouver dans des situations d’urgence avec des choix plus limités. Plus on attend pour résister plus c’est difficile de le faire. Des chemins de bonnes intentions sont parfois pavés de renoncements successifs.
Remettre à leur place les moyens, respecter les fins ; telles sont les deux séries de remises en cause vitales, cela signifie une techno-science et un marché au service des êtres humains et non le contraire.
B- La remise à sa place de la techno science
1-Comme on s’en remet au marché on s’en remet souvent aussi à la techno-science.
Les recherches et les technologies aux différents niveaux géographiques, à travers des phénomènes de concentrations et de groupes dominants (firmes multinationales, laboratoires) ont tendance à s’auto reproduire parfois, voire souvent, indépendamment des véritables besoins des êtres humains.
2- La techno-science ne tend-t-elle pas à échapper de plus en plus aux acteurs humains ?
Après les phases de mécanisation, de motorisation, d’automatisation est venue celle de la cybernétisation c’est-à-dire de mécanismes de régulation des machines et des êtres vivants. La cybernétisation des technologies avancées n’amène-t-elle pas à enlever des possibilités d’appréciation et de décision à ceux qui sont censés les contrôler ?
Dès lors une question vitale est la suivante : les acteurs humains doivent-ils, veulent-ils, peuvent-ils mettre en œuvre un véritable contrôle de la techno-science à tous les niveaux géographiques ?
3- Nous citerons au moins six séries de contrôles urgents, cruciaux, décisifs
la recherche scientifique militaire sur les armes de destruction massive, les graves problèmes drames et menaces posés par les déchets radioactifs et donc par l’énergie nucléaire, les pollutions de l’air causées entre autres par des moyens de transports écologiquement non viables, la marchandisation de la faune et de la flore , l’exclusion du travail par la technique (une des grandes causes du chômage), et déjà le déploiement ici ou là, hors encadrement juridique rigoureux ,de manipulations du génome, des nanotechnologies et de certains projets de géo-ingénierie…Nous pourrions prolonger la liste.
La gravité des menaces, la complexité des défis, les souffrances causées par divers drames exigent une techno-science ramenée au rang de moyen au service des êtres humains.
4-Il y a ainsi au moins deux grands axes pour mettre en œuvre un contrôle de la techno-science ou, de façon plus radicale, pour la remettre à sa place.
Le premier axe se situe en termes de priorités c’est-à-dire que les efforts de recherches et de nouvelles technologies doivent être orientés en fonction des priorités liées à l’intérêt commun de l’humanité, les activités de la techno-science doivent s’inscrire dans des contrats à tous les niveaux géographiques, contrats mettant en avant ces priorités et décidés par des processus démocratiques.
Le second axe se situe en termes d’interdictions : la sacro-sainte liberté de la recherche scientifique doit être remise en cause quand elle menace la dignité des personnes ou l’intérêt commun de l’humanité.
5- La remise à sa place du transhumanisme
Jusque vers 1950 le transhumanisme était de la science-fiction sous forme de livres et de films. Depuis presque 70 ans c’est une puissante réalité en marche à travers des moyens et des théories qui posent de multiples questions et demandent des réponses globales et précises.
Quatre éléments peuvent contribuer à y voir plus clair.
a-1er élément : le transhumanisme est d’abord un ensemble gigantesque de moyens scientifiques et techniques ayant pour fonction l’amélioration illimitée des facultés humaines.
Cet ensemble se développe sous quatre formes.1ère forme : celle des transformations d’un corps plus performant (courir plus vite, avoir plus de force, augmenter sa mémoire, restaurer certaines fonctions chez des malades et des handicapés, augmenter l’espérance de vie, se faire conserver dans le froid(la cryonie) pour réapparaitre plus tard…),2èmeforme : celle des transformations psychiques et émotionnelles (ainsi des nanorobots dans le cerveau peuvent stimuler diverses zones, par exemple créer, pourquoi pas, une sorte de félicité perpétuelle),3ème forme : celle de la vie avec les robots (par exemple devenus compagnons domestiques, assistants médicaux, partenaires sexuels),4èmeforme : celle de la robotisation de l’humain (on crée des êtres hybrides, autrement dit des hommes-machines composés d’organes et de gènes biologiques et non biologiques synthétiques, des cyborgs, organismes cybernétiques de commande et d’information issus de la rencontre de multiples disciplines, et demain peut venir aussi un téléchargement de l’esprit dans un substrat non biologique).
Ces moyens se déploient à travers ce qui est appelée « la grande convergence » de quatre domaines dits NBIC ,les nanotechnologies avec des puces intégrées, les biotechnologies avec des clonages, des interventions sur l’embryon, des modifications d’ADN, les technologies de l’information et les sciences cognitives avec l’intelligence artificielle capable de simuler l’intelligence humaine. Il y a ainsi des interconnexions entre l’infiniment petit, la fabrication du vivant, les machines pensantes et l’étude du cerveau humain. Les nanotechnologies manipulent les atomes, les biotechnologies s’appliquent aux gènes, l’informatique s’appuie sur la quantité d’information transmise par un message et les sciences cognitives s’exercent à partir des neurones biologiques. Aux intersections se trouvent ainsi la nano-bio-médecine, la nano-bio-informatique…
b- 2nd élément : le transhumanisme c’est aussi un ensemble de théories.
L’humanisme, en se fondant sur des textes antiques, s’était épanoui au XVIème siècle sous la forme d’un mouvement philosophique, culturel et artistique qui mettait en avant la primauté de l’homme et des valeurs humaines.
Au XVIIIème le siècle des Lumières avait valorisé l’action de l’être humain, sa capacité à connaitre, à agir sur lui et sur le monde.
Mais à la fin du XIXème et au début du XXème des théories antihumanistes apparaissent ,ce sont celles du darwinisme social qui affirme que la lutte pour la vie correspond à l’état naturel des sociétés et celles de l’eugénisme pour lequel la perfectibilité est réduite à un projet biologique et médical qui a pour but de sélectionner les plus forts et d’éliminer les plus faibles, suivront en ce domaine les pratiques épouvantables des nazis.
Aldous Huxley en 1932 , dans le roman génial d’anticipation « Le meilleur des mondes », dénonçait radicalement la manipulation de l’homme par l’homme. A l’opposé en 1941 son frère, Julian Huxley, biologiste, dans son ouvrage « L’homme cet être unique », se déclarait partisan de l’eugénisme comme moyen d’amélioration de la population humaine.
Après la Seconde guerre mondiale la techno science se développe à une allure vertigineuse et en 1957 dans un texte fondateur, « Nouvelles bouteilles pour un nouveau vin », ce biologiste propose le mot transhumanisme qui signifie selon lui que « l’homme reste l’homme mais se transcende par la réalisation de nouvelles possibilités de et pour sa nature. », ce transhumanisme a pour « devoir cosmique » la « promotion du bien-être des générations à venir pour l’avancement de notre espèce .»
A partir des années 1980-90 des philosophes, des ingénieurs liés parfois aux armées, et aussi des start-ups, des firmes multinationales, en particulier en Californie dans la Silicon Valley, deviennent transhumanistes. Google soutient ce mouvement et par exemple crée en 2013 une société de biotechnologies, Calico, dont le projet est de « Tuer la mort ».
Les transhumanistes pensent que nous sommes limités par la souffrance, la maladie, le handicap, le vieillissement, la mort , mais que la techno science peut tout changer, elle peut repousser, de façon illimitée, ces « insuffisances» . « La grande convergence» aboutira à « la singularité technologique » c’est-à-dire à une entité supérieure à l’homo sapiens, qui sera omnisciente, omnipotente, omniprésente et, comme des dieux, ces hommes-machines pourront atteindre le ciel, au sens propre d’ailleurs puisque certains pensent que des intelligences artificielles peupleront des galaxies en se déplaçant à la vitesse de la lumière…
c- 3ème élément : existent au moins deux séries de questions posées par le transhumanisme ,
les unes relatives à son contexte, les autres à son contenu. Nous ne ferons qu’en souligner quelques unes à titre indicatif.
Le contexte n’est pas neutre.
Est-ce que ces complexes techno-scientifiques ne sont pas liés à l’ultra libéralisme, à un homme « augmenté » adapté à des perspectives de performance, de croissance, de compétition, de productivité illimitées ?
S’en remet-on à l’économie de marché pour décider des innovations ?
S’en remet-on à l’intelligence artificielle, à son éventuelle utilisation guerrière ?
Qu’en est-il de l’usage privé de ces données et de leur marchandisation ?
Est-ce que le transhumanisme ne renforce pas les inégalités en créant un nouveau prolétariat de pauvres non « augmentés », devenant une sous-espèce au service d’une nouvelle oligarchie ?
Enfin quels silences criants par rapport aux défis de l’humanité, ceux de la justice, de la démocratie, de la paix, de l’environnement ! Que serait ainsi un homme-machine dans une apocalypse écologique, serait-il plus heureux qu’un « non implanté » à son service ?
Le contenu du transhumanisme est aussi en questions.
Les transhumanistes s’intéressent-ils à l’humanité de l’homme ou bien à son seul changement technique ?
S’intéressent-ils à l’identité profonde, aux émotions authentiques, aux vertus porteuses de changements, aux solidarités à construire ou bien exclusivement au toujours plus ?
Veulent-ils un homme conçu comme une fin ou bien comme un moyen ?
Quelle humanité voulons-nous : celle de sociétés sans limites, sans finitudes, sociétés qui ne retiennent plus leurs puissances, celle de générations irresponsables ou bien une humanité déterminant des limites au sein des activités humaines ?
Voulons-nous être des Icares brûlés par les soleils du pouvoir et de l’argent ou bien des Daphnis fraternels et respectueux du vivant ?
d- 4ème élément. Ces questions appellent des réponses à la fois globales et précises.
Si l’on met de coté le scientisme et l’anti scientisme, on se prononce alors pour une critique à l’intérieur de la techno science en distinguant, autant que faire se peut, les recherches et les techniques positives ou, au contraire, néfastes pour les êtres humains et le vivant. On ne peut pas confier le vivant à « l’autonomie » de la techno science et du marché, lucidement analysée en particulier par Jacques Ellul.
Cette critique peut se faire de façon modérée en espérant réguler le transhumanisme, par exemple en fixant des priorités financières entre des projets, ou bien sous la forme de la mise en œuvre du principe de précaution.
Elle peut aussi se faire de façon plus radicale par de véritables remises en cause sous la forme de certaines interdictions de projets, interdictions mondiales, privées et publiques, contrôlées et sanctionnées.
Ainsi par exemple à ce jour le clonage reproductif de l’être humain devrait être interdit mondialement et radicalement.
Le critère serait donc celui de recherches et de techniques déclarées contraires à l’intérêt commun de l’humanité, c’est-à-dire portant une atteinte grave et irréversible à la paix, la démocratie, la justice ou l’environnement.
On veut alors non seulement garder un contrôle sur la techno science
mais confier à un organe, agissant au nom de l’humanité,
un droit et un devoir
de remise en cause de recherches et de techniques inhumaines.
C- La remise à sa place d’un autre moyen gigantesque : le marché mondial
- Face à l’économisme triomphant, à la recherche du profit, à la société dumarché qui a tendance à occuper toute la place
un certain nombre d’auteurs, d’organisations non gouvernementales (ONG), de citoyen(ne)s, et d’autres acteurs proposent ou contribuent à mettre en œuvre ici ou là une « économie plurielle ».Face au libre-échange généralisé, face aux logiques de guerre économique et de compétition, il s’agit de remettre le marché à sa place et de créer ou de développer des logiques de coopération.
2- Il y a ainsi au moins quatre grands axes pour mettre en œuvre ce contrôle du marché ou, de façon plus radicale, pour remettre le marché à sa place.
Il est nécessaire de subordonner le libre-échange à ce qui deviendrait la primauté de la protection de l’environnement et de la santé.
Il est nécessaire que soient créés ou se développent des éléments de « l’économie plurielle » c’est à dire des formes d’économie solidaire et sociale, des entreprises coopératives, des services publics, des systèmes d’échanges locaux (à travers des associations dont les membres échangent des biens et des services, hors du marché),des pratiques de commerce équitable et des mécanismes de juste-échange, des pratiques d’économie collaborative en matière de transports(covoiturage)de logements( colocation) de nourriture, d’éducation…
Le troisième axe consiste à « désarmer le pouvoir financier » en adoptant entre autres une taxe massive sur les transactions financières et en remettant en cause les paradis fiscaux, les trois contre-mécanismes à créer sont connus mais les rapports de force sont à renverser, c’est un combat gigantesque mais vital.
Le quatrième axe est constitué par le fait que certaines productions du marché sont, par nature, plus ou moins nuisibles aux acteurs humains. Dans l’économie plurielle, les reconversions – par exemple des industries d’armements – contribuent à l’avènement d’un monde responsable et solidaire, reconversions socialement et écologiquement porteuses.
D- Les tentatives de contrôles et de remises en cause des marchés financiers
Rappelons la nature et la puissance de ces marchés financiers (1), récapitulons quelques mécanismes pour tenter non seulement de les contrôler mais pour aller dans le sens de leurs remises en cause (2).
1-La nature et la puissance de ces marchés financiers
Ces marchés financiers comprennent six classes d’actifs : le marché actions, le marché obligataire, le marché monétaire, le marché des dérivés, le marché des changes, le marché des matières premières.
Deux chiffres symboliques de cette force : en avril 2016 les transactions quotidiennes(!) sur le marché des changes étaient de 5100 milliards de dollars, pour l’année 2017 le gestionnaire américain d’actifs BlackRock gérait 6000 milliards de dollars et réalisait un bénéfice de 3,7 milliards.
A titre de comparaisons le chiffre d’affaires annuel en 2017 des dix premières entreprises du monde allait de 200 à 500 milliards de dollars, le PIB en 2017 était pour 139 Etats inférieur à 10 milliards de dollars dont 30 inférieur à 3 , alors que le PIB des Etats-Unis était de 19362 et celui de la France( cinquième dans la liste des 193 Etats) de 2574, le budget bi annuel des Nations Unies pour 2018-2019 est de 5,4 milliards de dollars, ce sont là quelques rapports de forces financiers qui en disent longs sur cette partie de la vie internationale.
2-Une liste indicative de quelques tentatives de contrôle ou de remise en cause
Le « désarmement du pouvoir financier » a toujours de grandes difficultés à se mettre en route. Les Etats à ce jour ( juin 2019) n’ont pas encore les volontés massives et radicales de faire face aux nouveaux conducteurs de la planète, les marchés financiers, de plus en plus puissants depuis 1971 ( la fin de la convertibilité du dollar en or précipite la spéculation internationale sur les monnaies et amplifie la puissance des bourses, des banques et des marchés financiers).
Voilà certes quelques avancées de levées partielles des secrets bancaire et judiciaire, qui est un des contre-mécanismes des paradis fiscaux, mais on est encore très loin d’une véritable remise en cause que serait une transparence généralisée .Les sommes abritées dans les paradis fiscaux en 2018,c’est à dire dans plus d’une soixantaine de pays et territoires(?), seraient de l’ordre de 15.000(?) à 40.000(?) milliards de dollars!!! C’est l’une des sommes les plus gigantesques que l’on puisse imaginer. Il est vrai que l’on est encore loin des 226.000 milliards de dollars(192.000 milliards d’euros) du total de la dette mondiale, soit trois fois le PIB mondial…On notera l’imprécision, opacité oblige, des sommes cachées dans les paradis fiscaux.
Voilà certes quelques timides tentatives de luttes contre l’évasion fiscale de grandes firmes multinationales, ainsi le G 20 en novembre 2015 a adopté un plan de l’OCDE en vue de pousser ces entreprises à déclarer leurs bénéfices pays par pays, de même la Commission de l’Union européenne va dans ce sens fin 2015 et début 2016 par exemple en critiquant des pays (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg…) qui sont accusés de soutenir de telles pratiques, mais on est encore loin d’une véritable convention mondiale accompagnée de sanctions.
En mars 2018 la Commission de l’UE propose de taxer de 3% les revenus des géants numériques, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), cela dans les pays de leurs utilisateurs, et au delà 200 groupes ayant un chiffre d’affaires annuel de plus de 750 millions d’euros et de plus de 50 millions d’euros dans l’Union européenne, cette taxe, rapporterait 5 milliards d’euros par an. La France en 2019 commence à prélever une taxe sur les géants du numérique, c’est le début d’un long chemin légitime et légal consacré en avril 2019.
Si la taxe précédente est à l’initiative de la France, l’Allemagne par contre semble se déclarer favorable à « un impôt minimum mondial sur les bénéfices des multinationales du numérique ». La proposition française beaucoup plus cadrée va donner lieu à un rapport de forces gigantesque aux enjeux importants entre des Etats européens et les GAFA.
Ce rapport de forces on le voit déjà au niveau d’amendes en juin 2017 (2,47 milliards d’euros) et juillet 2018(4,3 milliards d’euros) infligées par la Commission à Google pour abus de position dominante, ainsi pour la seconde amende l’abus concerne le système d’exploitation pour smartphones , Android. Google verse les amendes pour éviter d’énormes astreintes mais fait appel devant la Cour de justice de l’Union européenne. En février 2019 le géant bancaire suisse UBS a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris à une amende de 3,7 milliards d’euros pour démarchage bancaire illégal et pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Les premiers pas des uns et des autres sur ce chemin peuvent être prometteurs.
Voilà certes les premières taxes sur les transactions financières(TTF) d’un certain nombre d’Etats encore très minoritaires (ainsi par exemple à ce jour deux sur 28 dans l’Union européenne) mais on est encore loin d’une véritable TTF qui serait mondiale dans sa portée et radicale dans son assiette. C’est très certainement un des grands espoirs de véritables alternatives mondiales, espoir porté par exemple par une ONG telle que ATTAC, qui contribuerait à construire une communauté mondiale humainement viable dans la mesure où des sommes gigantesques, dégagées par ces TTF, seraient consacrées à des besoins criants, en particulier sanitaires et environnementaux…
Certains auteurs proposent « une utopie utile »qui encore au-delà des remèdes partiels et des marchés financiers . « L’outil idéal serait un impôt mondial et progressif sur le capital accompagné d’une très grande transparence financière internationale. Une telle institution permettrait d’éviter une spirale inégalitaire sans fin et de réguler efficacement l’inquiétante dynamique de la concentration mondiale des patrimoines. » (Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Editions du Seuil, 2013, p.835
En tous les cas, ne l’oublions pas, si les liens entre des Etats, des firmes multinationales et les marchés financiers contribuent à transformer l’ensemble en géants , ne s’agit-il pas, aussi, de géants aux pieds d’argile dans la mesure où, en fin de compte, des logiques terricides et humanicides sont à l’œuvre ?
E- Le respect des fins : des êtres humains et des peuples libres, debout, solidaires
1-Il s’agit de consacrer, encore mieux et à tous les niveaux géographiques, les trois générations de droits humains
les droits civils et politiques (libertés), les droits économiques sociaux et culturels (égalités), le droit à l’environnement, le droit au développement et le droit à la paix (solidarités).Les droits de l’homme s’appuient sur les droits des peuples et réciproquement.
2-Il s’agit de préparer la consécration d’une quatrième génération de droits, ceux des personnes par rapport à la techno science,
par exemple l’interdiction de recherches sur les armes de destruction massive comme portant atteinte à la dignité humaine, par exemple les droits des personnes par rapport aux robots…Cette quatrième génération a commencé à voir le jour dans le domaine de la biologie, par exemple à travers la Déclaration ( texte donc non contraignant) universelle sur le génome humain et les droits de l’homme(11-11-1997)
- Il s’agit bien sûr, aussi et surtout, de mettre en œuvre ces générations de droits, de les faire vivre.
Résister c’est dire non à l’inacceptable, à toutes les formes d’atteintes à la dignité humaine.
Les rôles des juges, des ONG, des réseaux, des citoyen(ne)s, certes différents, sont ici essentiels. Ainsi le droit à l’environnement est indirectement appliqué par de plus en plus de tribunaux qui obligent des Etats à respecter leurs engagements internationaux de mise en œuvre de politiques contre les émissions de gaz à effet de serre.
F-Le respect des fins : une nouvelle prise en compte, celle de l’humanité.
1-Voici l’arrivée dramatiquement trop lente de l’humanité dans l’ensemble des droits.
Les droits de l’homme et les droits des peuples doivent s’appuyer sur ceux de l’humanité et réciproquement.(voir si besoin sur ce blog de nombreux articles écrits sur l’humanité)
L’humanité deviendra une forme de garantie (encore faible) de la survie de tous. Un juriste, René Jean Dupuy, écrivait : « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative. Accéder à l’Humanité‚ suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi, l’humanité doit, elle-même, jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »
2- Quelle est la situation du droit international en vigueur ?
L’humanité est entrée dans le droit international public par la porte du drame puis celle de la possession.
D’abord les crimes contre l’humanité. Après les crimes nazis le Tribunal militaire international de Nuremberg a consacré dans le droit positif cette définition reprise et développée par l’article 7 paragraphe 1 du Statut de 1998 de la Cour pénale internationale. «On entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile, et suivent onze crimes contre l’humanité (extermination, réduction en esclavage, déportation, la 11ème qualification est celle des « Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
Voilà ensuite, toujours en droit international public, le patrimoine commun de l’humanité (PCH) qui est consacré en droit positif. Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins, de la Lune , des autres corps célestes, et du génome humain .Beaucoup d’auteurs s’arrêtent là et n’ont pas une vue d’ensemble d’autres formes qui se rattachent au PCH. En effet le PCH au sens large comprend aussi des éléments constitués par des espaces internationalisés qui doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique et de l’Antarctique. Vient ensuite le PCH au sens plus large, c’est la Convention sur le Patrimoine mondial conclue dans le cadre de l’UNESCO, patrimoine constitué par certains biens naturels (à ce jour 197) et culturels(802) ou mixtes (32), qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.
Avec les crimes contre l’humanité et le PCH il faut ajouter le droit humanitaire qui repose surtout sur les quatre conventions de Genève de 1949, par exemple celle sur la protection des populations civiles pendant les conflits armés. L’humanité est là puisque l’on fait référence à tout le genre humain sans discrimination.
Il faut ajouter enfin le droit international de l’environnement dans lequel les générations présentes et futures sont souvent consacrées dans des déclarations et des conventions internationales ou régionales.
3- L’arrivée des droits et des devoirs relatifs à l’humanité
En premier lieu dans quels textes trouve-t-on ces droits ?
Dans des conventions mais elles sont rares, ainsi par exemple dans la Convention de Bonn de 1979 sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, un préambule affirme que « Chaque génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures et a la mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage soit fait avec prudence. »
Existent également quelques déclarations comme celle de Stockholm de 1972 sur l’environnement qui en appelle à « l’homme » et à son « devoir solennel de préserver et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures »,la Déclaration de l’UNESCO de 1997 sur « les responsabilités des générations présentes envers les générations futures », de façon globale le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité » de décembre 2015 (écriture à laquelle j’ai eu la joie de participer) et qui sera peut-être un jour modifiée et adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies .
En deuxième lieu quel est le contenu des droits et des devoirs, qui sont donc en gestation, et que l’on trouve dans cette dernière déclaration ? Le droit à la non-discrimination générationnelle qui exige que les activités ou mesures entreprises par les générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction excessive des ressources et des choix pour les générations futures. Et puis suivent quatre autres droits : à la démocratie, à la justice, à l’environnement, à la paix. Quant aux devoirs les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité. Elles sont aussi garantes des ressources écologiques et du patrimoine commun. Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver les équilibres climatiques, et élaborer un statut international des déplacés environnementaux. Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation de la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. Les Etats et les acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme dans leurs décisions.
4- Quel droit en gestation imaginer et adopter ?
D’abord l’humanité ne devrait-elle pas avoir la personnalité juridique pour défendre ses droits ? Le fait aussi que l’humanité et le vivant soient côte à côte dans cette défense serait symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe.
Ensuite la représentation est une difficulté connue, on est dans le droit prospectif, dans l’imagination juridique. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c’est-à-dire les humains qui existent (c’est déjà difficile) et aussi ceux qui n’existent plus et ceux qui n’existent pas encore ? Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question de la représentation. En effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds marins ? Les Etats ont répondu par un tour de passe passe. Humanité es-tu là ? Pas de réponse. Il est donc logique que nous, Etats à travers l’Autorité des fonds marins, nous décidions à la place de l’humanité irreprésentable. Lorsqu’un jour il sera question de représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée générale des Etats de la future Organisation mondiale de l’environnement(OME), suffise à le faire. Il sera souhaitable qu’interviennent aussi des acteurs autres que les Etats, par exemple des ONG, des gardiens de l’humanité…Votre imagination juridique fera le reste.
Enfin quelles juridictions ? L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au nom de l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale, une juridiction spécifique sera peut-être créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME).
En attendant cela des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, en particulier sur la justice climatique, qui participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé en Equateur en octobre 2012 , un « tribunal pour les crimes contre la nature et contre le futur de l’humanité », des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont éthiques, morales.
Enfin des ONG et des citoyens, par exemple aux Pays-Bas en 2015, ont fait condamner par un tribunal cet Etat qui ne respectait pas ses engagements de réduction de gaz à effet de serre, cela au nom des générations présentes et futures. D’autres condamnations sont en route ou voient le jour dans d’autres pays dont la France (Conseil d’Etat, novembre 2020)
Ce moyen juridique est en route pour trouver les moyens de condamner des complexes industriels pour absence de remise en cause d’émissions de gaz à effet de serre.
Demain se dérouleront sans doute les premières attaques juridiques de paradis fiscaux allant dans le même sens.
Mais qu’en est-il plus généralement des moyens et des fins dans ce système productiviste mondial humanicide et terricide et de ceux qui vont et devraient aller dans le sens d’une communauté mondiale viable ?