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VIOLENCES : les classifications ( II )
L’intérêt de classer les violences est double :
d’une part il s’agit de prendre en compte la diversité des violences, de cerner l’ensemble des classifications donc de ne pas laisser échapper des catégories de violences,
d’autre part on peut avoir indirectement une idée de certaines causes et d’alternatives.
Une classification pourrait avoir pour qualités la clarté, la cohérence, la globalité, et aussi un caractère opérationnel, autrement dit une certaine utilité sur le terrain en pensant à des alternatives.
Nous partirons d’un panorama des classifications existantes (A),
nous mettrons ensuite en avant une classification proposée (B).
A- Violences et classifications existantes
Passons rapidement sur un critère qui ne résiste pas à l’analyse (1),
pour énumérer ensuite des classifications simples à souligner (2),
pour évoquer enfin des classifications liées à des critères qui se veulent plus élaborés (3).
1-Une classification des violences fondée sur un critère contestable
a ) Quelle est cette classification ?
Elle consiste à distinguer la légalité qui, par nature, serait pacifique et l’illégalité qui, par nature, serait violente. On affirme que la légalité est synonyme d’absence de violence et que l’illégalité est synonyme de violence.
- b) Pourquoi cette classification ne résiste-t-elle pas à l’analyse ?
Cette façon de raisonner est assez courante, elle repose pourtant sur une erreur, pourquoi ? Certes existent de nombreuses lois définissant et sanctionnant des violences mais la légalité elle-même peut être porteuse de violences, par exemple une loi injuste, c’est la violence de l’injustice.
2-Les classifications des violences fondées sur des critères relativement simples
Ces classifications sont nombreuses, elles ont leurs interdépendances et leurs recoupements.
a ) Une classification fondée sur les domaines des activités humaines
On distingue ainsi les violences politiques (répressions des opposants), militaires (opérations aériennes, navales, terrestres), sociales (discriminations), économiques (discriminations, exploitations sous diverses formes…)culturelles (répressions, sanctions financières)…Cette classification utile ne rend cependant pas compte des interdépendances entre ces domaines d’activités et ne distingue pas les violences personnelles et collectives.
b ) Une classification fondée sur les formes de violences
On distingue ainsi les violences physiques (meurtres, attentats, viols, sévices, tortures …) psychologiques (torture par isolement, harcèlement moral, chantage affectif, embrigadement…).Les violences, dans des proportions variables, sont la plupart du temps physiques et psychologiques, les interactions entre les deux sont nombreuses.
c ) Une classification fondée sur les acteurs des violences
On distingue alors les violences entre des personnes, entre des communautés, entre des Etats, entre un Etat et une guérilla, les violences de réseaux terroristes, celles de firmes multinationales…
Cette classification est intéressante, en particulier dans les processus de règlement des conflits.
d ) Une classification fondée sur les niveaux de destruction
On distingue alors les violences selon le nombre de victimes, selon aussi l’importance des destructions matérielles (infrastructures, entreprises…) et environnementales (eaux, sols, air, faune, flore…)
Une classification basée sur l’ampleur du conflit est essentielle.
e ) Les violences de destruction, de répression, de persécution
Jacques Sommet (« L’Acte de mémoire, 50 ans après la déportation », éditions ouvrières,1995) écrivait :
« Il y a trois niveaux de violence : les violences de destruction telles qu’elles apparaissent dans toutes les guerres, les violences de répression telles que celles d’un Etat totalitaire, les violences de persécution qui sont des violences sans fin puisque même la soumission de la victime n’y met pas de terme. »
Sur un aspect certes essentiel la classification est importante mais n’est pas assez globale.
f ) Une classification fondée sur les effets dans le temps par rapport aux victimes
On distingue les violences selon leurs effets personnels et/ou collectifs à court terme, à moyen terme, à long terme, cela sur les êtres humains, sur la nature, sur les biens.
C’est une classification qui a son intérêt quant à la prise en compte nécessaire des dommages dans le temps mais c’est une classification qui n’est pas assez globale.
g ) Une classification fondée sur les niveaux géographiques
Cette classification est assez globale et opérationnelle. Elle consiste à distinguer les violences locales, régionales, nationales, continentales, internationales. Elle correspond d’ailleurs aux ordres juridiques c’est-à-dire à l’état du droit dans un lieu donné.
Elle est cependant toute relative dans la mesure où beaucoup de violences sont interdépendantes géographiquement. D’autre part la classification ne donne pas une idée de la diversité des violences.
h ) Une classification fondée sur les violences naturelles et les violences humaines
On distingue les violences qui sont celles des forces de la nature (inondations, tempêtes, incendies, tsunamis, tremblements de terre…) et les violences qui ont pour origine les êtres humains (dans différents domaines, entre différents acteurs, à différents niveaux géographiques, avec des effets très variables).
En fait cette distinction est en partie arbitraire car les violences naturelles peuvent avoir aussi, pour une part variable, des causes humaines, par exemple des inondations. Même certains tremblements de terre peuvent avoir pour origine des activités humaines (des méthodes d’exploitation du gaz de schiste).
D’autre part la catégorie « violences humaines » est beaucoup trop large.
Retournons-nous donc vers des classifications qui se veulent plus élaborées.
3-Les classifications des violences fondées sur des critères plus élaborés
a ) Une classification fondée sur les violences visibles et les violences cachées
Les violences visibles sont des violences plus ou moins spectaculaires, souvent médiatisées.
Les violences cachées sont celles qui l’on peut découvrir dans des statistiques, dans des habitudes, dans un ordre établi, on va les trouver en interprétant des chiffres, en soulignant les effets de certaines habitudes, en découvrant le contenu de diverses dominations.
La distinction est intéressante mais relative, ainsi certaines guerres (violences visibles) sont recouvertes d’un linceul de silence, ainsi des statistiques (violences cachées) peuvent être illustrées par des reportages mettant en avant de multiples témoignages et souffrances sur le terrain.
- b) Une classification fondée sur les violences directes et les violences structurelles
Elle consiste à distinguer les violences physiques que l’on peut constater, violences faites aux victimes et les violences produites par des structures économiques, politiques, sociales, culturelles.
Jacques Sémelin (ouvrage cité en exergue de l’introduction) écrit « Il conviendrait au moins de distinguer la violence directe, celle du sang et des morts, et la violence structurelle, contenue dans les situations d’oppression et de misère que Johan Galtung nomme « la violence structurelle. » Il n’y a pas que les armes qui tuent : un système économique injuste, responsable par exemple de la faim dans le monde, est aussi dévastateur que des centaines de bombes. »
Ainsi, dans la pensée de Galtung (politologue norvégien, fondateur de l’irénologie , science de la paix)(voir par exemple Entretien dans « Alternatives non-violentes » n°34,1979), l’absence de violence directe correspond à la « paix négative. » Pour aller dans le sens d’une « paix positive » il faut remettre en cause les violences structurelles.
c ) Une classification fondée sur les rapports entre dominants et dominés
On distingue les violences institutionnelles, celles des structures économiques injustes et des structures politiques oppressives, les violences insurrectionnelles des opprimés, des sans-droits qui réagissent, les violences répressives qui répondent aux précédentes.
Cette classification est opérationnelle pour comprendre le déroulement de certaines violences alors que, dans le langage courant ou dans les médias, on présente souvent ces violences comme équivalentes. Cette classification reste cependant partielle, elle laisse de côté de nombreuses violences.
d ) Une classification fondée sur la puissance collective ou non des violences
On distingue alors les violences collectives, liées à un « enracinement » collectif, ainsi les guerres, et les violences personnelles, liées à un « enracinement » personnel, ainsi un harcèlement moral.
La question qui se pose est de savoir quels liens existent entre les deux, on raisonne alors sur les analyses des causes des violences.
e ) Une classification fondée sur les violences volontaires et involontaires.
Dans les violences l’élément intentionnel est essentiel.
Ainsi dans l’horreur du génocide est prise en compte la volonté de détruire. Ainsi dans l’homicide on distingue entre l’homicide volontaire et l’homicide involontaire (par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement).
Même si ce critère n’est pas assez global pour fonder l’ensemble d’une classification, il est évident qu’on devra le prendre en compte dans un ensemble de critères.
f ) Une classification fondée sur l’ampleur du conflit
Selon Johan Galtung existent quatre grands types de conflits. Le micro-conflit est un conflit au niveau intra-personnel ou interpersonnel. Le méso-conflit est un conflit intra sociétal (intra groupes, inter groupes). Le macro-conflit est celui qui se situe à l’échelle nationale et internationale, celle des Etats. Le méga-conflit est celui des relations entre les continents, des relations entre les civilisations et des relations entre ces deux ensembles.
Si la classification est relativement claire, elle laisse de côté nombre de violences et ne précise pas assez la diversité des violences.
g ) Une classification basée sur l’institutionnel, le révolutionnaire et le répressif
Helder Camara distinguait dans une classification très intéressante trois violences :
« Il y a trois sortes de violence.
La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
- h) Une classification fondée sur les grandes violences et les violences dites « banales »
C’est probablement une des classifications les plus intéressantes.
On distingue ainsi les grandes violences massives telles que les guerres, et les
autres violences qu’il ne faut pas banaliser mais qui sont souvent présentées comme telles, moins visibles, incorporées à la quotidienneté, telles que des humiliations.
Relativement globale et opérationnelle, cette classification ne couvre pourtant pas l’ensemble des violences. N’y-a-t-il pas d’autres types de violences qui ne se situent dans aucun de ces deux regroupements ? En complétant avec un troisième regroupement cette dernière classification et en la renforçant avec d’autres critères complémentaires, ne pourrait-on pas arriver à une proposition plus porteuse ?
B-Violences et classification proposée
Nous envisagerons les caractères de cette classification (1)
et son contenu (2).
1- Les caractères de la classification proposée relative aux violences
Quels sont les critères de ce choix ? Quels sont les regroupements proposés ? Quelles sont les forces de cette classification ?
a ) Quels sont les critères sur lesquels repose la classification proposée ?
Nous avons choisi essentiellement trois éléments sur lesquels repose cette classification: l’ampleur générale du processus , les moyens employés, les effets des violences.
Un quatrième élément apparait ici ou là à l’intérieur de chaque regroupement : le caractère volontaire ou non de la violence.
Par exemple dans les grandes violences il y a des exceptions, ainsi certaines violences liées à des catastrophes écologiques peuvent avoir des causes non volontaires. Existent aussi des analyses opposées par rapport à l’aspect volontaire de telle ou telle violence : la faim est-elle une violence involontaire ou un massacre organisé ?
Par exemple dans les atteintes à la personne humaine il y a des homicides volontaires et d’autres involontaires, certaines affaires montrent qu’il est parfois difficile d’établir la vérité.
Par exemple dans les violences dites « banales» le caractère volontaire peut-être clair à travers une conscience de vouloir faire du mal, de porter atteinte à la dignité humaine mais, dans d’autres situations, ainsi dans des « douces violences », la conscience de cette forme d’atteinte peut ne pas exister.
D’autres éléments apparaitront à titre secondaire : ainsi les responsabilités personnelles et collectives, cela au sens moral mais aussi juridique, par exemple la responsabilité des personnes morales par rapport aux atteintes à la personne humaine, ainsi aussi certains éléments des autres classifications qu’elles soient simples ou plus élaborées.
b ) Quels sont les trois grands regroupements de cette classification ?
-Les grandes violences, massives, terrifiantes, porteuses de mort :
Elles sont massives dans les victimes atteintes, cet aspect collectif est omniprésent.
Elles sont terrifiantes dans les moyens employés synonymes d’horreur.
Elles sont dramatiques et horribles dans leurs effets porteurs de morts et de terribles souffrances.
-Les atteintes à la personne humaine, aux biens, à la paix publique, à l’environnement :
Elles sont interpersonnelles, Elles sont terrifiantes ou sous formes de violences variables dans les moyens employés.
Elles sont dramatiques, à divers degrés, dans les effets porteurs de morts et de souffrances variables.
-Les autres violences qui ne doivent pas être banalisées :
Elles sont fréquentes.
Elles sont incorporées à des modes de fonctionnement et on ne les perçoit pas toujours comme des formes de violences.
Elles sont souvent porteuses de souffrances et ne doivent pas être banalisées.
c ) Quelles sont les forces de cette classification ?
Elle est globale, c’est-à-dire qu’elle prend en compte l’ensemble des violences, à ce titre c’est une classification rare. Par exemple elle n’oublie pas les violences économiques, écologiques, elle n’oublie pas non plus la course aux armements qui n’apparait pratiquement jamais dans les classifications.
Elle est cohérente puisque l’on passe des grandes violences à des violences moins massives pour arriver à des violences que l’on pense parfois banales mais qui ne le sont pas.
Elle a une troisième force : un certain caractère opérationnel par rapport aux manifestations des violences mais, également, par rapport à leurs causes et à leurs alternatives.
2- Le contenu de la classification proposée relative aux violences
- a) Les grandes violences : massives, terrifiantes, porteuses de nombreuses morts et de grandes souffrances
Pour établir cette énumération des grandes violences nous combinerons des types proches de grandes violences (guerres, massacres, épurations de masse), des aspects où le droit les qualifie (crimes internationaux), des aspects plus politiques (régimes politiques, terrorismes) des domaines de grandes violences (scientifique et industriel, économique, social, culturel, écologique).
Nous les regroupons sous dix formes :
– Les guerres, les massacres, les épurations de masse,
– Les crimes internationaux, (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crime de génocide, crime d’agression),
– Les crimes contre l’ environnement ,
– Les régimes totalitaires et les camps de l’horreur,
-Les régimes autoritaires,
– Les terrorismes,
– La course aux armements,
– Les grandes violences économiques et sociales,
– Les grandes violences culturelles,
– Les grandes violences écologiques. On notera que celles-ci peuvent constituer des atteintes aux droits des générations futures.(voir à ce sujet sur ce même blog nos articles relatifs au projet de Déclaration universelle des droits de l’humanité).
- b) Les atteintes aux personnes , aux biens, à la paix publique, à l’environnement
Le document utilisé sera celui très significatif d’un Etat, la France, définissant des crimes et délits, nous ferons ainsi à travers le code pénal un récapitulatif des atteintes portées aux personnes, aux biens, à la paix publique, puis à travers le code de l’environnement des atteintes portées à celui-ci. Ces atteintes ne sont-elles pas autant de formes de violence ?
Nous les regroupons sous onze formes :
-Les crimes contre l’humanité, qu’on retrouve donc en droit international et dans certains droits internes étatiques,
– Les atteintes à la vie de la personne,
– Les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne,
– La mise en danger de la personne,
– Les atteintes aux libertés de la personne,
– Les atteintes à la dignité de la personne humaine,
– Les atteintes à la personnalité ,
– Les atteintes aux mineurs et à la famille,
-Les atteintes contre les biens,
– Les crimes et délits contre la nation, l’Etat, la paix publique, la confiance publique, autres crimes et délits,
-Les atteintes à l’environnement.
c ) Les autres violences à ne pas banaliser
Jacques Sémelin écrit « Il y a aussi les violences « banales » dont nous sommes les témoins, les victimes… ou les acteurs. » Cette violence est plus ou moins intégrée à une partie de nos modes de vie, il arrive que nous n’en ayons pas conscience, contrairement aux violences spectaculaires.
Nous les regroupons sous onze formes :
-Les discriminations,
– Les violations des différences,
-Les violences d’oppressions,
-L’instrumentalisation des rapports humains,
-La marchandisation de rapports humains,
-Les effets de l’accélération du système international,
-Les harcèlements dans la vie quotidienne,
-Les incivilités
-Les violences médiatiques,
– Les douces violences,
-Les violences des casseurs d’horizons, terme proposé ici.
Remarques terminales
1- Les classifications des violences sont nombreuses, qu’elles soient simples ou qu’elles se veuillent plus élaborées.
Une des plus porteuses est certainement celle qui distingue les violences premières( dominations, injustices…),les violences secondes(révoltes, révolutions…) les violences troisièmes (répressions sous diverses formes).Et comme l’écrivait Helder Camara « Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. », en tous cas qui veut l’étouffer ou la tuer.
Nous avons proposé une classification globale qui puisse saisir l’ensemble des violences et qui ait aussi une certaine cohérence.
Nous avons ainsi distingué trois regroupements : les grandes violences (dix formes), les violences contre les personnes, les biens, la paix publique et l’environnement (onze formes), les autres violences à ne pas banaliser (onze formes).
2- A partir de la classification proposée nous arrivons ainsi à la question des contenus des violences ( VOIR III).