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Accord de Paris sur le climat : pour une analyse globale
« Il y a cinq façons d’entrer dans l’Accord de Paris, cinq logiques différentes :
diplomatique, participation de la société civile, juridique, scientifique, économique. »8
Citation de Michel Prieur qui présidait cette table ronde dans laquelle il intervenait avec Jean-
Jacques Gouguet , Catherine Le Bris, et l’auteur de ce blog ce 15-1-2016 à la Faculté de droit
et des sciences économiques de Limoges.
Trois remarques dans cette introduction : un moment clef, deux symboles, une analyse.
Un moment clef : devant les délégués des 196 parties (195 Etats et l’Union européenne ), ce
12 décembre 2015 à 19h32,à la tribune officielle du Parc des expositions à Paris-Le Bourget,
à la fin de cette 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques, le Président de la COP21 (le ministre français des Affaires
étrangères) déclare dans un seul souffle « je regarde la salle (pendant une seconde puis il
regarde son texte), je vois que la réaction est positive, je n’entends pas d’objection,
l’Accord de Paris sur le climat(coup de marteau sur la table) est accepté. » Suivent alors
applaudissements, mains élevées qui se tiennent et embrassades chaleureuses . Puis les
délégués auront la parole pour exprimer leur satisfaction et leur engagement.
A 19h52 celui du Nicaragua ose émettre l’objection tant redoutée, « nous ne pouvons pas
accompagner ce consensus », malaise, coup de froid ou de chaud dans l’assemblée des
délégués, l’objection est ignorée, mise de côté, les interventions continuent .
Deux symboles : les embrassades renvoient d’abord bien sûr à un premier symbole,celui
d’une grande victoire, d’un immense soulagement et d’une grande joied’avoir fait « un
pas » considéré par certains comme « vital ».
Mais, peu évident à percevoir un second symbole, qui n’était pas là pour la première ni la
dernière fois, celui d’un désastre écologique présent et à venir, celui d’embrassades à
bord d’une sorte de Titanic. Des militants écologistes, qui avaient tenu une immense
banderole symbolisant les lignes rouges à ne pas dépasser pour une planète juste et vivable,
faisaient d’ailleurs dans le jardin public du Champ-de-Mars une minute de silence en
hommage aux victimes passées présentes et futures des changements climatiques.
Quant à l’analyse juridique proposée ici de « l’Accord de Paris » (appellation officielle),
c’est celle d’un enseignant-chercheur de droit international de l’environnement, cette
analyse se voudrait globale, critique et créatrice. Ajoutons surtout qu’elle prendra en compte
des rapports de forces,(Etats, autres puissances, et sociétécivile), Paul Valéry disait « le
droit c’est l’intermède des forces ») et qu’elle prendra en compte des données scientifiques,
économiques (lesquelles ?) incorporées un peu, beaucoup ou pas du tout, selon les cas ,dans
cet Accord.
Nous envisagerons tour à tour quatre parties : les clarifications de la portée juridique de
l’Accord, les raisons pour lesquelles certains pensent qu’il s’agit d’un succès historique,
l’accord critiqué comme reflet d’une accumulation de puissances et d’impuissances, enfin les
suites de l’Accord et des changements climatiques.
1ère partie Les clarifications relatives à la portée juridique de l’Accord de Paris.
Il y a ici de nombreuses erreurs à dissiper.
1er point La distinction entre la décision de la COP et l’Accord proprement dit.
Les négociations ont donc débouché sur un document final qui comprend deux supports
juridiques dont la répartition des dispositions n’est pas neutre.
D’abord la décision de la Conférence des parties soit 140 paragraphes sur 22 pages, cette
décision pose plusieurs questions. Pourquoi ces dispositions sont-elles là et non pas dans
l’Accord ? Parce que des questions étaient trop techniques, des engagements étaient à court
terme, parce que surtout telle ou telle question était trop sensible, le processus d’adoption
était plus simple, (c’est le consensus sans signature et sans ratification), et la portée juridique
n’est pas la même que celle de l’Accord. Quelle est la portée juridique de cette décision de
la COP ? Elle est beaucoup moins contraignante que l’Accord et plus contraignante qu’une
simple déclaration, elle a des effets sur le comportement des Etats et même elle est invocable
devant des juridictions nationales. Quel est ici le contenu de cette décision ? Elle fait l’objet
de cinq regroupements : l’adoption de l’Accord, les contributions des Etats, les actions
améliorées avant 2020, la mise en oeuvre de l’Accord, les questions administratives et
budgétaires.
Ensuite le second support juridique c’est l’Accord de Paris qui comprend 29 articles sur 17
pages. Il s’agit d’un traité international conforme à la Convention de Vienne sur le droit des
traités. Cet Accord est pris en application de la décision de la COP dès le paragraphe 1 et il
figure en annexe de la décision de la COP. Quel est son contenu ?Après un préambule d’une
quinzaine de considérants, font tour à tour l’objet de dispositions : l’objectif de l’Accord ,les
contributions des Etats, les puits et les réservoirs de gaz à effet de serre, l’atténuation,
l’adaptation, les pertes et dommages, les ressources financières, le transfert de technologies, le
renforcement des capacités des pays en développement, l’éducation, le cadre de transparence,
le mécanisme de mise en oeuvre, le rôle des institutions de la Convention, l’entrée en vigueur
et, à souligner, à l’article 27 l’impossibilité de faire une réserve, à l’article 28 la possibilité
pour un Etat partie de se retirer de l’Accord trois ans après son entrée en vigueur.
2ème point Le caractère contraignant de l’Accord.
On pourrait paraphraser Coluche : « J’ai demandé à un juriste si cet Accord était obligatoire
ou pas, à la fin de sa réponse je ne comprenais plus la question que j’avais posée ».Pourtant la
réponse est simple « oui sans aucun doute mais… » et le mais dans cet Accord pèse lourd.
Oui un traité est juridiquement contraignant pour les Etats qui le signent puis qui y
adhèrent selon leurs instruments juridiques internes. Il doit être exécuté de bonne foi par les
parties comme l’y oblige la Convention sur le droit des traités. L’accord sera ainsi ouvert à la
signature au siège des Nations Unies (du 22 avril 2016 au 21 avril 2017). Il entrera en
vigueur après sa ratification par au moins 55 Etats signataires représentant au moins 55 % des
émissions mondiales de gaz à effet de serre. Des Etats peuvent l’appliquer de façon anticipée
avant son entrée en vigueur comme cela arrive parfois en droit international de
l’environnement. La COP22, prochaine session de la Conférence des parties, se tiendra au
Maroc, à Marrakech en novembre 2016. Un « groupe de travail spécial » est chargé des
travaux préparatoires de cette prochaine étape.
Mais il faut souligner deux éléments complémentaires, d’abord le préambule d’un traité
a simplement, si nécessaire, une valeur interprétative, ensuite les annexes qui accompagnent
le traité sont, par contre, parties intégrantes de celui-ci et, là, véritable catastrophe juridique et
écologique, les contributions volontaires des Etats, relatives aux objectifs de réduction de
leurs émissions, sont absentes de la fin de l’Accord, la COP demande simplement à son
secrétariat de continuer à les publier. C’est un recul par rapport au rôle que jouait l’Annexe B
du Protocole de Kyoto.
3ème point Le caractère souple de nombreuses dispositions réduit la force
d’applicabilité de l’Accord.
Beaucoup de dispositions donnent des marges de manoeuvres importantes aux Etats, ce sont
ici et là des sortes de déclarations d’intention, cette « souplesse » a certes permis le
consensus, parce que, sans elle, des Etats n’auraient pas adopté le texte, mais elle a fait
perdre de sa force d’applicabilité à l’Accord. Ici et là c’est unaccord à la carte.
Un exemple c’est celui de la formulation au conditionnel présent du verbe devoir,(dans les
décisions de la COP c’est la même chose, quarante sur 140 sont au conditionnel), on le
trouve dès le départ dans le préambule de l’Accord, il est écrit « lorsqu’elles prennent des
mesures face à ces changements climatiques les Parties devraient (et non pas doivent)
respecter leurs obligations concernant les droits de l’homme ». C’est ce verbe devoir à
l’indicatif du présent qui a affolé les négociateurs des Etats-Unis et qui a failli faire échouer la
COP 21.
Dans un article de la version finale de l’Accord portant sur l’engagement des pays
développés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, il était écrit que « les pays
développés doivent continuer à être en première ligne pour mener à bien des plans nationaux
de réduction d’émissions de gaz à effet de serre ». Le terme doivent (shall)(obligation de
résultats) a été changé en devraient (should). Pourquoi ? Ce verbe à l’indicatif présent
pouvait entrainer une nouvelle législation aux Etats-Unis. Le traité aurait dû alors obtenir
l’aval du Sénat américain, très difficile ou impossible avec la majorité républicaine, et le
président de la COP21 a évoqué ce qu’il a appelé, (avec, comme on voudra, une assurance
élégante ou un toupet historique ou un tour de passe-passe discutable), « des clarifications sur
des corrections purement matérielles. » Ce conditionnel « devraient » est l’un des plus vieux
serpents de mer des conventions de droit international de l’environnement.
4ème point Les mécanismes de suivi de l’Accord.
C’est un des points sur lesquels l’erreur est la plus fréquente.
Le fait que l’Accord ne prévoit pas de mécanisme de sanction (là aussi c’est un recul par
rapport au Protocole de Kyoto certes loin d’être toujours efficace puisqu’ un Etat qui courait
le risque de pénalités de 14 milliards de dollars(le Canada) s’est retiré du Protocole) , cette
absence de sanctions ne signifie pas que l’Accord n’est pascontraignant. Le droit
existe de multiples façons aussi en l’absence de sanction.Mais cette absence peut faire
perdre de la force d’applicabilité au traité.
Cependant l’Accord prévoit un mécanisme pour faciliter sa mise en oeuvre et promouvoir
le respect de ses dispositions. Ce mécanisme de suivi repose sur un comité d’experts qui
fonctionnera, est-il précisé, de manière « non accusatoire et non punitive. »Il sera important,
lorsqu’il établira son règlement, de savoir par exemple si les ONG pourront ou non le saisir.
La transparence et la vérification vont « renforcer la confiance mutuelle », le processus mis
en place est celui d’une d’évaluation, d’une comptabilisation, d’une vérification des résultats
et des politiques et des fonds versés et de leur utilisation. Chaque pays « fournit
régulièrement » des informations sur ses émissions, sur leur absorption par les puits de
carbone et sur la réalisation de son plan national, par contre chaque pays « devrait
communiquer » des informations sur les effets des changements et sur l’adaptation à ces
changements.
Ces clarifications juridiques terminées, demandons-nous pourquoi l’Accord a été et est
qualifié par certains « d’historique? »
2ème partie Les raisons pour lesquelles certains pensent qu’il s’agit d’un succès
historique
Passons sur des bénéfices politiques éventuels de personnalités, de délégations étatiques et
d’autres acteurs. Ces raisons sont principalement au nombre de quatre :
La 1ère raison est d’ordre psychologique : l’échec a été évité.
Il ne faut pas sous-évaluer ce facteur qui a pesé lourd. Les responsables de la COP21 avaient
depuis au moins une année la hantise permanente, exacerbée dans les derniers jours, heures,
minutes, de retomber, de replonger, de s’embourber, de se faire piéger, de disparaitre dans un
échec comme celui de la Conférence de Copenhague six ans auparavant en décembre
2009, celle-ci laissait le souvenir d’un véritable traumatisme. En effet en 2007 la 13ème
Conférence des parties à Bali avait prévu un accord dans les deux ans pour remplacer le
Protocole de Kyoto (de 1997, entré en vigueur en 2005) dont la première étape se terminait en

  1. Ainsi à la 15ème Conférence des parties de Copenhague, alors qu’après dix jours de
    négociation entre les 192 délégués aucun progrès significatif n’avait pu être enregistré , les
    discussions directes entre les chefs d’Etat et de gouvernement, arrivés quelques jours avant la
    fin du sommet, avaient permis d’arracher un accord politique de dernière minute. Présenté
    par 26 pays (industrialisés et émergents), mais négocié à huit clos entre les États-Unis, la
    Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, cet accord politique non contraignant n’a pas été
    formellement signé à la Conférence par les 166 autres Etats parties à la Convention de 1992.
    Lors de la dernière séance plénière de Copenhague, ces pays ont simplement « pris note » de
    son existence, donc en particulier de la nécessité de limiter le réchauffement d’ici 2050 à
    2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle. Ajoutons à cela que les ONG les derniers
    jours avaient été scandaleusement mises à l’écart.
    Rien de tel à Paris. Une organisation remarquable, avec 38000 badges remis dont 19000
    aux délégués nationaux, 8000 aux observateurs, 2800 aux représentants des medias, 200
    manifestations parallèles officielles (dont 3 organisées par le CIDCE),
    et surtout, une préparation, elle aussi remarquable, en amont. Depuis une année la
    France, pays d’accueil de la Conférence, à travers le Président de la République et ses
    envoyés, le Ministre des affaires étrangères, celui aussi de l’écologie et les équipes
    interministérielles, mais également des membres du Secrétariat de la Convention ont parcouru
    la planète , les réunions interétatiques ont été nombreuses, les unes formelles, la dernière ,
    celle de Bonn fin octobre, arrivait à un texte de 55 pages avec encore beaucoup d’options, les
    autres informelles, la dernière à Paris début novembre réunissait 60 Etats, également les
    rencontres de haut niveau avec la Chine et les Etats-Unis.
    Enfin des méthodes de travail pendant la Conférence ont joué un rôle important, elles
    reposaient en particulier sur le rôle de ministres facilitateurs et surtout sur une
    pratique venant d’Afrique du Sud qui présidait le « G77 » qui regroupant en fait 134pays en
    développement et pays émergents dont la Chine et l’Inde. Cette méthode de négociation,
    « l’Indaba », avait déjà été utilisée à la Conférence de Durban en 2011.Elle a consisté, en
    particulier la nuit du 10 décembre 2015, à se retrouver dans des réunions en cercles réduits
    de « format Indaba » qui permettaient à chacun de s’exprimer et d’aboutir à des compromis.
    A cela s’ajoutent bien sûr les innombrables réunions et manifestations de la société
    civile c’est-à-dire des ONG, des scientifiques, des entreprises, des populations autochtones,
    des syndicats, des mouvements sociaux… Sans oublier les initiatives des collectivités
    territoriales, le rôle des mondes médiatiques, et les mobilisations de lycéens et d’étudiants .
    La 2ème raison est d’ordre politique : à l’ouverture de la Conférence la présence des
    chefs d’Etat et de gouvernement a été porteuse.
    Avant de laisser la place au groupe de travail technique de la première semaine puis aux
    négociations politiques au niveau ministériel de la seconde semaine, il fallait un élan
    politique, c’est celui des 150 chefs d’Etat et de gouvernement qui ont répondu présents à
    l’invitation de la France le jour de l’ouverture de la COP21 ce 30 novembre 2015 . Dans
    certaines Conférences des parties ils arrivaient à la fin, l’idée de les faire participer dès le
    début a été porteuse. Ils se sont exprimés tour à tour en montrant leurs engagements face aux
    changements climatiques.
    Ce succès diplomatique sera rappelé par les uns et les autres pendant les douze jours
    qui suivent. Négociateurs, nous sommes responsables moralement devant nos représentants
    au plus niveau, nous ne pouvons pas les décevoir, nous concrétiserons leurs engagements
    politiques solennels.
    La 3ème raison est d’ordre politico-juridique : un accord universel a été adopté.
    La COP 21 est arrivée à ce que l’ensemble des Etats participe au processus deréduction
    des gaz à effet de serre, c’est la première fois.C’est une avancée essentielle préparée aussi
    par des COP précédentes, par les pressions de la société civile et par les scientfiques analysant
    les avancées de la débâcle écologique.
    Certes l’universalité était déjà là dans la Convention de 1992 mais non dans les
    engagements de réductions de gaz à effet de serre, et en 1997 le protocole de Kyoto n’engage
    dans ces réductions que certains Etats.
    On s’est mis d’accord pour maintenir un cadre international et multilatéral d’une certaine
    « gouvernance du climat ».Il y a eu, commente Michel Prieur, « au moins un consensus
    collectif pour faire quelque chose, de la part des pays développés mais aussi en
    développement et émergents. »
    Le 4ème point de ce succès historique est d’ordre global et prospectif : cet accord est un
    pas qui va permettre d’en préparer d’autres.
    Beaucoup de commentateurs de l’Accord affirment certes que ce texte est imparfait, même
    insuffisant mais un chemin commence par « un pas », c’est un texte catalyseur, c’est « une
    dynamique vertueuse,un élan » qui contribuent à déclencher une « révolution climatique »,
    « le glas des énergies fossiles a sonné. »
    L’Accord permet de mettre en route tout un potentiel, preuve en est qu’un peloton de tête
    des Etats(une centaine) vont vouloir s’engager plus vite que les autres(High ambition
    coalition), preuve en est que la COP21 a vu des avancées d’acteurs non étatiques, preuve en
    est que les pressions des opinions publiques réduiront l’écart entre l’Accord et les remises en
    cause nécessaires.
    Après ce traité certes tout reste à faire, l’avenir confirmera ou non qu’il était historique,
    mais nous sommes sur la bonne voie. A l’Elysée le conseiller spécial de protection de la
    planète dira « Tout çà n’est pas le début de la fin mais la fin du début. »
    La transition est faite, on aurait pu également presque (tout n’est pas sombre) citer Samuel
    Beckett (dans « Fin de partie ») « La fin est dans le commencement, et cependant on
    continue. »
    Ne faut-il pas en effet aller plus loin, oser regarder deux autres vérités qui sautent aux
    yeux pourvu qu’on les ouvre, celle d’un texte qui n’est pas à la hauteur des enjeux (ce
    sera la 3ème partie) et celle d’une situation particulière et plus globale qui est une
    véritable machine infernale, la bombe climatique n’est pas désamorcée (ce sera la 4ème
    partie).
    3ème partie -L’Accord de Paris sur le climat est le reflet d’une accumulation de
    puissances et d’ impuissances.
    Parmi les puissances celles des puissances pétrolières, charbonnières et gazières, des pays
    dominants, des puissances de financiarisation du marché mondial, des logiques
    productivistes(voir sur ce blog les billets relatifs au productivisme)..
    Parmi les impuissances : celles des absences de chiffres, de dates, celles des imprécisions,
    celles de l’omniprésence des marges de manoeuvres des Etats Parties, et puis celles des
    silences criants, scandaleux. Finalement voilà l’impuissance des Etats à s’attaquer aux causes
    des changements climatiques. En ce sens l’Accord de Paris peut faire l’objet d’au moins
    quatre critiques gravissimes qui seront ici résumées.
    1ère critique L’Accord de Paris, sans fixer une stratégie de pourcentages et d’étapes,
    avalise pour une (large ?) part le réchauffement climatique.
    Certes un objectif ambitieux est mis en avant, il prévoit de « contenir le réchauffement
    « nettement en dessous de 2°C » par rapport aux niveaux préindustriels et de « poursuivre
    l’action menée pour limiter l’élévation à 1,5°C. » Mais ce volontarisme est gravement
    affaibli par l’absence d’objectifs chiffrés à long terme.
    -Les contributions volontaires nationales sont avalisées. Or le secrétariat de la Convention
    dans un rapport de synthèse affirme que le pire a été évité, (entre 4° et 5° ou au-delà) mais
    qu’elles conduisent à un réchauffement d’au moins trois degrés.
    -Le pic des émissions mondiales de gaz à effet de serre est visé « dès que possible.» On
    appréciera l’indétermination.
    – Quant à l’équilibre entre les émissions d’origine anthropique et les absorptions par les
    puits de carbone on s’efforcera d’y parvenir au cours de la deuxième moitié du siècle. Dans
    les décennies qui viennent on avalise ainsi le stockage et la séquestration du carbone, la
    compensation carbone, la géo ingénierie.
    -Enfin les révisions à la hausse sont encore retardées à 2025 après un rendez-vous en 2018,
    un premier bilan mondial des contributions nationales sera fait en 2023.Une coalition d’Etats
    envisage une première révision avant 2020. Des inventaires sont prévus tous les 5 ans, mais
    la mise en oeuvre des révisions à la hausse restent dépendante des volontés des États.
    On est très loin de ce qu’a martelé avec une gravité extrême le GIEC,
    il fallait impérativement des points de passage à 2030,2050,
    il fallait impérativement s’engager à faire chuter les émissions mondiales de 40 à 70%
    d’ici 2050 pour éviter un emballement climatique incontrôlable.
    2ème critique L’Accord de Paris, sans engagements précis, ne détermine pas
    de moyens financiers pérennes et massifs.
    Certes l’ensemble des pays en développement et les pays émergents pourront participer
    à ces efforts de l’aide, ils sont « invités à fournir ou à continuer de fournir ce type
    d’appui à titre volontaire », et non pas seulement les pays développés qui, eux, « fournissent
    des ressources financières aux pays en développement aux fins tant de l’atténuation que de
    l’adaptation dans la continuité de leurs obligations au titre de la Convention de 1992. »
    Certes les 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros)(qui sont par exemple seulement
    l’équivalent de 25 jours de dépenses militaires mondiales) , cent promis depuis six ans par
    les pays développés pour aider,chaque année à partir de 2020, les pays en développement à
    faire face aux conséquences des changements climatiques,sont considérés comme un
    « niveau plancher » à partir duquel un nouvel objectif chiffré collectif devra être fixé avant
    2025 mais sans engagement pour la suite.
    -Pourtant ce plancher de financement n’est pas dans l’Accord, il se trouve dans une des
    décisions de la COP donc sans force contraignante et faisant l’objet de nouveaux arbitrages
    futurs.
    -Ces financements ne sont pas qualifiés « d’additionnels » à l’aide au développement,
    c’est une porte ouverte à des Etats développés qui requalifieront en « financement climat »,
    l’aide déjà apportée.
    -Ajoutons qu’on se trouve dans un schéma de grande complexité économique et écologique,
    par rapport à la répartition des efforts financiers entre l’atténuation et l’adaptation.
    L’Accord de Paris n’est pas clair là-dessus. En schématisant on peut dire que plus le
    réchauffement s’aggrave plus on a besoin de fonds pour l’adaptation, mais s’il y a moins de
    fonds pour l’atténuation le réchauffement s’aggrave. Cette complexité pourrait être pour une
    large part résolue si les moyens financiers étaient sans commune mesure avec ceux
    programmés qui restent dérisoires par rapport aux besoins qui s’annoncent et par rapport à de
    nouvelles ressources financières gigantesques qui sont pensées par certains économistes
    (Jean-Jacques Gouguet par exemple) mais ne sont pas mises en oeuvre.
    3ème critique L’accord de Paris, sans remises en cause des responsabilités, persiste dans
    des formes d’injustice climatique.
    Ce consensus pour trouver un accord entre les Etats est la preuve, affirment certains, qu’il y
    eu un compromis porté la justice climatique c’est à dire par la reconnaissance que les pays
    développés et les pays en développement ont du principe consacré à nouveau par l’Accord
    (principe déjà présent dans la Convention de 1992 et dans le Protocole de 1997)des
    responsabilités communes mais différenciées dans le changement climatique et que leurs
    capacités respectives à y faire face sont inégales.
    – Mais sont renvoyés dans le préambule (ce qui est mieux que rien mais qui n’est pas assez
    contraignant) les impératifs d’une transition juste, le respect des droits de l’homme, des droits
    des peuples autochtones, l’équité entre les générations. Vous avez dit justice ?
    – En plus de cela il y a, dirait Aragon, un « silence qui a le poids des larmes », celuisur les
    déplacés environnementaux et sur leurs droits. Quelle honte, quelle tristesse, quelle fuite
    devant les responsabilités ! On sait qu’ils sont et seront surtout dans les pays du Sud. Voilà
    qui en dit long sur ce qui constitue déjà, aux yeux de certains, de nouvelles classes
    dangereuses en voie d’explosion dans les décennies à venir. Au moins aurait-on pu avoir le
    courage minimal d’annoncer la nécessité d’une réunion internationale spécifique. Vous avez
    dit justice ?
    -Aucun mécanisme clairement défini pour faciliter le transfert des technologies, pour
    supprimer des barrières à l’accès, barrières liées aux droits de propriété intellectuelle. Vous
    avez dit justice ?
    -Egalement certes les parties qui reconnaissent la nécessité d’éviter et de réduire au minimum
    les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques et d’y remédier
    mais la décision de la COP précise que « l’Accord ne peut donner lieu ni servir de fondement
    à aucune responsabilité ni indemnisation. » Les pays développés refusent de devoir
    indemniser les pays en développement pour les dommages climatiques. Vous avez dit
    justice ?
    -Enfin l’absence aussi d’un tribunal international sur la justice climatique, même si on
    peut estimer très positif le fait que des associations saisissent des tribunaux nationaux pour
    poursuivre l’Etat considérant qu’il ne faisait pas assez pour lutter contre le réchauffement
    climatique. Vive la justice climatique !
    4ème critique L’accord de Paris, par de nombreux silences, n’arrive pas à rompre avec
    le système productiviste.
    « La vérité d’un homme c’est d’abord ce qu’il cache » disait Malraux.
    La vérité de cet accord c’est aussi ce qu’il cache.
    Il ne cache pas tout, certains éléments, comme la référence à la croissance économique, sont
    comme ces diables qu’on enfonce dans une boite et qui ressortent toujours. Sainte croissance
    protégez-nous !
    Ne pas se demander seulement ce qui est écrit mais aussi ce qui ne l’est pas…
    Ainsi de nombreux silences sont là :
    -l’absence ( provisoire en principe puisque l’OACI et l’OMM doivent intervenir par la
    suite) de prise en compte des secteurs de l’aviation et du transport maritime,
    -l’absence de prise en compte des gaz à effet de serre liés aux activités militaires,un
    remarquable colloque à Paris (« Armées, guerres et environnement ») parallèle à la COP21, a
    insisté sur ce point,
    -certes l’absence de référence dans l’Accord aux énergies renouvelables qui ne sont
    mentionnées que dans le préambule de la décision par rapport aux pays en développement,
    -le silence révélateur d’un puissant non-dit sur le nucléaire, autre élément de grande discorde
    en particulier entre d’une part certains Etats, le complexe de la nucléocratie et d’autre part une
    grande partie des ONG ,
    -mais aussi deux grands silences révélateurs l’un sur l’absence d’interdictions
    auxsubventions accordées aux énergies fossiles,
    -l’autre, particulièrement gravissime, sur le prix du carbone (même si une allusion est faite à
    la tarification du carbone à la fin de la décision de la COP dans une rubrique consacrées aux
    entités non parties à l’accord),certains pensent que c’était un contre mécanisme essentiel
    contribuant puissamment à laisser des énergies fossiles dans le sol,
    -…mais aussi le silence sur les liens à établir entre la taxation des transactions de change et
    le fonds d’adaptation,
    – mais aussi le silence sur la consécration d’un nouveau principe selon lequel le commerce
    international doit être conforme aux conditions sanitaires et environnementales,
    – mais aussi un grand silence sur les espèces vivantes, même si la biodiversité est évoquée
    dans le préambule de l’Accord, il fallait l’affirmer clairement : les changements climatiques
    mettent en péril l’humanité et l’ensemble du vivant,
    -Enfin un autre silence, celui relatif à l’explosion démographique, chaque jour l’excédent de
    la population mondiale (224000 personnes) est l’équivalent de la communauté
    d’agglomération Limoges Métropole, cette explosion démographique que, par exemple,
    Claude Levi Strauss … ou René Dumont, ne séparaient pas de la crise écologique.
    On trouve une façon quasi automatique de répondre aux raisons de ces silences nombreux et
    omniprésents : d’autres conférences, climatiques ou non, » traiteront de ces questions, l’ordre
    du jour était déjà assez chargé comme cela .
    En fait ces silences témoignent de désaccords profonds,de reflets de multiples puissances
    et impuissances,de cette machine infernale du renvoi à plus tard,de l’incapacité de se
    hisser au niveau de l’intérêt commun de l’humanité.Et çà n’est pas parce que l’on est
    noyé dans l’ urgence qu’on ne peut pas prendre en compte le long terme,c’est surtout
    parce qu’on a pas pris en compte le long terme que l’on est noyé dans l’urgence.
    Il aurait fallu, au minimum, prendre acte de ces ou de certaines de ces questions à résoudre
    dans le préambule de l’Accord, et /ou annoncer le principe de conférences spécifiques pour
    avancer par rapport à tel ou tel drame, par exemple celui des déplacés
    environnementaux.Il est déjà tard mais toujours temps que quelques Etats lancent ce
    processus,ce serait là une autre « dynamique vertueuse » et vitale.
    4ème et dernière partie Face à l’accélération des changements climatiques deux machines
    infernales continuent
    1- Le rappel scientifique alarmant de l’accélération.
    Ne revenons pas sur le dernier rapport du GIEC très connu mais rappelons deux autres
    sources.
    Le rapport sur « l’avenir de l’environnement mondial » GEO 5 du PNUE, en 2012,
    affirme que « plusieurs seuils critiques aux niveaux mondial, régional et local sont sur le
    point d’être atteints ou ont été dépassés. »
    Les deux études, intellectuellement et affectivement terribles,( publiées dans la Revue
    Nature et rapportées dans Le Monde le 7-6-2012 ,article de Stéphane Foucart « La biosphère
    mondiale à la veille d’une crise « irréversible » » ) études cosignées chacune par une
    vingtaine de chercheurs de différentes disciplines, chercheurs travaillant dans une quinzaine
    d’institutions scientifiques qui tirent non pas une sonnette d’alarme mais qui sonnent presque
    un glas apocalyptique : «La biosphère est à la veille d’un basculement abrupte et
    irréversible »(…)voilà « l’imminence d’ici à quelques générations d’une transition
    brutale vers un état de la biosphère inconnu depuis l’émergence d’homo sapiens c’est-àdire
    200.000 ans. »
    C’est ainsi… Pourtant deux mécanismes sont toujours là, l’un spécifique, l’autre plus global.
    2- Le mécanisme infernal des reports de nombreuses décisions des conférences
    climatiques.
    Sans remonter à l’avertissement du scientifique suédois Arrhénius en 1896,rappelons que
    c’est en 1972 à la Conférence de Stockholm qu’est évoqué pour la première fois au niveau de
    l’ensemble les Etats le danger du réchauffement climatique, qu’il faut attendre 1992 pour voir
    une convention, 1997 pour qu’arrive son protocole, 2005 pour qu’il entre en vigueur, 2015
    pour un nouvel accord qui entrera en vigueur en 2016,soit au total 44 ans (1972-2016) pour
    faire les « premiers pas » ! Certes un chemin de mille pas commence par quelques pas, mais
    quel est le temps qui reste pour construire cet intérêt commun de l’humanité ?
    On a donc, souvent, décidé … qu’on déciderait plus tard. On retrouve cette tendance
    lourde dans la plupart des conférences climatiques précédentes.« A l’auberge de la décision
    les gens dorment bien »dit un proverbe. Les délégations étaient certes réveillées, en
    surmontant parfois des intérêts nationaux, en dégageant parfois des intérêts communs,
    ce qui n’était pas rien, mais lorsque l’intérêt commun del’humanité les appelle
    pourquoi ne répondent-elles pas ?
    C’est ici ou jamais qu’il fallait et qu’il faut traduire en actes cette citation magnifique,
    terrible et appelant aux remises en cause, citation de Montesquieu : « Si je savais quelque
    chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je
    savais quelque chose qui fût utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à
    l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable àl’Europe ou
    bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un
    crime. »
    On ne peut remettre en cause le productivisme terricide et humanicide que par des
    contre mécanismes massifs et radicaux, où sont-ils ?
    Leur absence est d’autant plus cruelle que, de façon globale, existent trois mécanismes.
    3-Les mécanismes de la machine infernale de la débâcle écologique,
    Ils sont là, tous les trois :
    -Le système mondial s’accélère dans son ensemble,
    -L’aggravation de la dégradation environnementale rend les urgences omniprésentes,
    l’urgence devient une « catégorie centrale » du politique, elle fait d’ailleurs corps avec le
    court terme qui constitue une des logiques profondes du productivisme
    – Penser et mettre en oeuvre les réformes et les remises en cause environnementales
    demande du temps (introduction du long terme, complexité des interactions,
    enchevêtrement des ordres juridiques, inertie de systèmes économiques, obstacles financiers,
    institutionnels, éducatifs, psychologiques et juridiques des mises en oeuvre de textes , actions
    trop tardives, difficultés des remises en cause personnelles et collectives enfin, par-dessus
    tout, puissance des logiques productivistes)
    – …or le système mondial s’accélère. Alors …
    4- Viennent-ils au monde ces contre mécanismes puissants qui seront les produits de l’
    ensemble des acteurs(dont les Etats) … et les produits aussi des
    catastrophes écologiques?
    L’espoir de la suite de ce que certains considèrent comme un « premier pas », réside donc,
    encore une fois, encore une fois, encore une fois, dans l’ensemble des acteurs :
    –les Etats qui continueront à négocier dans les COP à venir et dans d’autres lieux de
    gouvernance face par exemple à l’OMC.
    -Egalement, certains le pensent, une partie du monde financier qui pourrait se détacher des
    énergies fossiles et se tourner vers les énergies renouvelables.
    -Et bien sûr des collectivités territoriales, des entreprises, et les acteurs de la société
    civile (ONG , citoyens, syndicats, mouvements sociaux) qui amorceront la transition
    énergétique, qui lancent et lanceront diverses alternatives qui pourront se rencontrer ici et là.
    C’était la première fois dans l’histoire du Limousin qu’un mouvement associatif Alternatiba
    les 12 et 13 septembre 2015 avait réuni autant de participants…
    Les espoirs que certains placent dans les Etats se réduisent comme peau de chagrin, ils
    peuvent et ils doivent certes continuer à négocier, pense-t-on, mais c’est à la société civile de
    bouger et de faire bouger.
    – Donc les Etats, d’autres acteurs à tous les niveaux géographiques et puis,
    malheureusement, les catastrophes écologiques, diffuses ou violentes, qui peuvent entrainer
    des mécontentements de populations, des pressions sur les gouvernements, encore faudra-t-il
    en arriver aux remises en cause nécessaires.
    La véritable pédagogie des catastrophes écologiques n’est pas évidente, elle suppose que l’on
    s’attaque non seulement à leurs manifestations mais aux aussi à leurs causes. D’autre part,
    pour paraphraser Jean Rostand à propos des armes nucléaires, la survenance de catastrophes
    écologiques de plus en plus gigantesques pourrait finir par avoir pour effet…qu’il n’y aurait
    plus grand monde pour en tirer des leçons.
    ( Voir «Les catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit », sous la
    direction de Jean-Marc Lavieille, Julien Bétaille et Michel Prieur , sont publiés aux éditions
    Bruylant, 2011, ils comprennent trente quatre communications .Voir aussi « Les changements
    environnementaux globaux et les droits de l’homme », sous la direction de Christel Cournil et
    de Catherine Fabregoule, Bruylant, 2012.)
    Deux remarques terminales : l’une relative à un point d’interrogation, l’autre relative à une
    forme d’espérance :
    Un point d’interrogation :
    les réformes et les remises en cause pour démonter cette machine infernale doivent
    être tellement titanesques qu’il n’est pas sûr que nos générations et les prochaines
    aient beaucoup de temps devant elles pour éviter, si c’est encore possible, de plus en
    plus d’irréversibilités.
    Une forme d’espérance :
    Albert Camus écrivait (la seconde partie de la citation est très dure) « J’ai toujours pensé
    que si l’homme qui espérait dans la condition humaine était un fou,celui qui désespérait de la
    condition humaine était un lâche. »
    Ainsi, si nous voulions aller dans ce sens, peut-être pourrions-nous ajouter l’espoir, ou bien
    plus l’espérance, que continuent à agir et que viennent au monde de plus en plus de
    « fous » qui contribuent et contribueront à penser et à mettre en oeuvre des moyens
    démocratiques, justes, écologiques et pacifiques.
    Jean-Marc Lavieille
    Ancien responsable du master de droit international et comparé de l’environnement,
    Auteur du « Droit international de l’environnement », éditions Ellipses ,
    Intervenant à la COP21, aux colloques internationaux du Centre international de droit
    comparé de l’environnement, sur « Les déplacés environnementaux » et sur « Les droits de
    l’humanité »