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III
LES RESPONSABILITES MORALES
ET L’ ENVIRONNEMENT
INTRODUCTION GENERALE AUX TROIS FORMES DE RESPONSABILITES PAR
RAPPORT A L’ENVIRONNEMENT ( III,IV,V )
1- Trois grandes formes de responsabilités existent .
Il s’agit des responsabilités morales, politiques, juridiques.
Quand on parle de responsabilité philosophique, ou de responsabilité éthique ou
devant sa conscience on se trouve dans des formes de responsabilités morales.
Quand on parle de responsabilité devant le peuple, devant le parlement, de
responsabilité du pouvoir politique et de tel ou tel acteur politique par rapport à
l’environnement et à d’autres domaines on se trouve dans des formes de
responsabilités politiques.
Quand on parle de responsabilité pénale, civile, administrative, de responsabilité
en droit interne, européen ou international on se trouve dans des formes de
responsabilités juridiques.
2- Ces trois formes de responsabilités sont autonomes, elles ont chacune
leur champ d’application.
La morale et le droit ont chacun leur domaine. Le juge applique des règles
juridiques, il n’est pas en fonction pour appliquer des lois morales.
On constate aussi que toutes les fautes morales ne sont pas sanctionnées par des
règles pénales.
Quant à la responsabilité politique elle n’implique pas la responsabilité pénale
que ce soit en amont ou en aval de sa mise en jeu. Un gouvernement peut être
renversé pour une raison autre que, par exemple, une mise en cause dans des
affaires de corruption.
3- Ces trois formes de responsabilité ont de multiples rapports entre elles.
Les trois formes de responsabilités ont certes leur autonomie mais une cloison
étanche ne sépare pas ces trois grands domaines.
Ainsi lorsqu’on parle de la responsabilité morale certains évoqueront un
fondement éthique du droit.
Ainsi lorsque l’on parle de la faute pénale on est souvent renvoyé à une faute
morale.
Ainsi lorsque l’on parle de responsabilités politiques on pense à la conscience
devant l’opinion publique et aussi à d’éventuelles possibilités de poursuite
judiciaire.
Ainsi les évolutions de l’une peuvent jouer sur les évolutions de l’autre. Ce qui
n’était pas pris en compte par le droit pénal peut l’être un jour sous l’effet de
l’évolution de la société.
Il arrive aussi que la responsabilité politique précède l’opinion publique,
l’exemple de l’abolition de la peine de mort en France est resté célèbre.
Ces responsabilités morales, politiques et juridiques ne restent pas inertes mais
elles évoluent ou sont même bouleversées, par exemple sous l’effet des atteintes
à l’environnement.
La responsabilité morale, donc la conscience morale, sous l’effet des
problèmes, drames et menaces écologiques, va alors faire bouger la
responsabilité juridique et introduire de nouvelles infractions passibles de
sanctions.
A propos des rapports entre l’éthique et le droit Jacques Ricot écrit « Telle est
me semble-t-il la vocation des juristes : introduire la mesure du droit dans la
démesure de l’éthique.  » ( Remarques philosophiques sur la responsabilité,
RGD 2003,33 p: 293 à 303 )
Nous envisagerons tout à tour les responsabilités morales, politiques et
juridiques environnementales.
INTRODUCTION AUX « RESPONSABILITES MORALES ET L’ENVIRONNEMENT »(
III )
1- Rappelons à partir de quelques citations les différences entre la morale et
l’éthique.
On distingue la morale fondée sur des devoirs que l’on veut respecter et
l’éthique fondée sur des actions que l’on estime bonnes, justes.Proposons
quelques réflexions d’auteurs sur cette distinction :
Un sociologue, Michel Maffesoli : « La morale est une, universelle, applicable
à tous et à chacun, surplombante et généralisable. La morale est
jacobine, l’éthique, quant à elle, jaillit du bas, elle est locale et spontanée, elle
sert de ciment ; momentanée, elle est irruptive et imprévisible. L’éthique de
l’instant ! »
Un médecin, Jacques Robin : « La morale juge l’action des hommes et des
sociétés à l’aune d’un système de valeurs transcendantes. L’éthique jauge les
conduites des hommes et des sociétés. C’est une attitude questionnante et
non normative (…). L’éthique ne prétend à aucune vérité absolue et en ce sens
elle est amorale. »
« Nous refusons la démarche qui utilise l’éthique comme un pion avancé de la
morale, comme une tête chercheuse qui rabattrait les conduites sur un système
de valeurs (…).La pratique d’une éthique autonome et critique laisse à la
conscience de chacun de décider pour lui soit de ses choix moraux, soit de sa
position sans morale. »
Une juriste, Madeleine Grawitz : « L’éthique est un ensemble de normes
acceptées par le groupe social, non écrites et seulement sanctionnées par la
réprobation sociale. La morale est un ensemble de normes acceptées et
sanctionnées par une société déterminée. »
Jacques Beauchard : « De la faillite des systèmes, des moralismes, des autorités
sédentaires surgit l’impératif de l’immédiat : d’un acte éthique qui prend essor
dans l’éphémère, le provisoire, la succession des ruptures intégrées par
l’être en mouvement…
D’où vient l’usage renouvelé d’un mot que l’on croyait vieilli? S’agit-il d’une
mode lancée par le prince ou s’agit-il d’une pratique discrète qui n’avait jamais
cessé ? Faut-il voir là une échappée de l’action sur le discours, une façon de
noyer les problèmes ? Les licenciements, l’échec des jeunes, le sida et le
racisme, les manipulations génétiques ne se prêtent-ils pas à l’édification des
morales guides des partis et du législateur ? Ou bien, à l’écart de cette
exploitation, l’individu serait-il mu par quelque impératif du seul ressort de
sa conscience ? »
Nous utiliserons ici le terme de morale, nous renverrons cependant souvent à
l’éthique comme le font aujourd’hui de nombreux auteurs. Autrement dit… nous
utiliserons les deux termes.
2- Quelle est la démarche proposée ici pour analyser les responsabilités
morales au regard de l’environnement ?
Certes on trouve des écrits relatifs à telle ou telle philosophie en rapport direct
avec la responsabilité écologique.
Mais vouloir prendre en compte des philosophies dans lesquelles la
responsabilité à un certain rôle voilà qui peut nous aider aussi.
Nous proposons d’envisager tour à tour :
Les responsabilités selon des philosophes de l’Antiquité à nos jours (A)
Une philosophie du « Principe responsabilité : une éthique pour la
civilisation technologique » (B)
Les responsabilités selon des auteurs contemporains très critiques du
système productiviste (C)
Avant cela proposons quelques éléments bibliographiques :
Voir l’ouvrage « La responsabilité. La condition de notre humanité. » Numéro
dirigé par Monette Vacquin , Editions Autrement, Série Morales n°14, janvier
1994, en particulier l’article de André Sénik, « Déterminisme et liberté :
l’interminable débat ? »
Sous la direction d’Éric Gagnon et de Francine Saillant , « De la responsabilité :
Ethique et politique », Liber,2016
Voir l’article de Jacques Ricot, Revue générale de droit, « Remarques
philosophiques sur la responsabilité », numéro2, 2003.
Voir l’article de Jimmy Bonnilla, Marie Alix Cordevant et Esteve Freixia I
Baqué, « Critique d’une philosophie de la responsabilité », Cahiers de
Psychologie politique, numéro 4
Voir l’article de Eirick Prairat , « La responsabilité » ,Le Télémaque, 2012/2,
n°42, pages 19 à 34.
Voir sur Hans Jonas l’article de Jean Greisch, » L’amour du monde et le
principe responsabilité », dans l’ouvrage précité « La responsabilité. », Editions
Autrement ,. Série Morales n°14, janvier 1994
Sur Levinas voir l’article de Mylène Baum-Bothol, « Après vous ,
Monsieur » dans l’ouvrage pré cité « La responsabilité », Editions Autrement.
A- LES RESPONSABILITES SELON LES PHILOSOPHES
DEL’ANTIQUITE A NOS JOURS
Nous soulignerons simplement ici quelques idées importantes relatives à nos
rapports avec la nature mais surtout relatives à la liberté, à la
responsabilité.
1- Pour ce qui est de nos rapports avec la nature
soit l’environnement n’est pas présent dans ces oeuvres mais tel ou tel
élément peut nous interroger sur lui, ainsi la question de savoir si nous
avons un libre arbitre ou si nous sommes déterminés,
soit l’environnement est évoqué directement sous la forme de nos rapports
avec la nature, on retrouve ici la responsabilité.
Donc ces philosophies peuvent éclairer divers aspects et préparer le terrain à
d’autres qui rencontreront l’environnement plus directement en particulier bien
sûr lorsque la débâcle écologique apparaitra et se déchainera de 1850 à nos
jours.
2- Pour ce qui est de la liberté et de la responsabilité
Pour les plus nombreux la liberté existe. Et la responsabilité repose sur la
liberté.
Pour d’autres le déterminisme est omniprésent, la liberté et la responsabilité
sont faibles ou n’existent pas.
Pour d’autres enfin on est responsable avant d’être libre. « Je dois
démesurément à l’autre c’est à dire à mon frère.»
3-Nous avons conscience que résumer une oeuvre ou même un ouvrage de
ces pensées complexes et gigantesques a quelque chose non seulement de
réducteur mais aussi d’incertain voire d’injuste.
Pourtant dans le cadre de cette volonté de synthèse nous pensons que ces
très petits résumés peuvent souligner quelques idées fortes pour mieux
situer ces pensées par rapport aux questions abordées et donc contribuer à
nous éclairer. Certains passages significatifs seront cités, là aussi avec à la
fois un certain arbitraire mais un éclairage de lignes souvent lumineuses.
Partons de l’Antiquité jusqu’au XIXè (1)
pour arriver au XXè siècle (2).
Les auteurs choisis sont essentiellement des philosophes mais aussi des
auteurs d’autres disciplines (sociologie, économie, histoire…)
1- Les responsabilités selon des philosophes de l’Antiquité au XIXème.
Aristote (-367 à -347) (Ethique à Nicomaque) est l’un des auteurs à l’origine
de la responsabilité. Celle-ci va avoir pour fonction de réparer une injustice,
elle repose sur le libre arbitre où l’individu est libre et sur la volonté qui est à
l’opposé de la contrainte.
Thomas d’Aquin (1224-1274) (La Somme théologique) pense qu’il y a un lien
entre libre arbitre, responsabilité juridique (fondée sur le droit naturel) et
responsabilité morale (fondée sur la loi naturelle qui a pour origine la loi divine)
Il faut prendre en compte l’influence des facteurs de la société sur le libre
arbitre.
Michel de Montaigne (1533-1592) (Les Essais ) dans le courant humaniste
met en avant l’esprit critique et l’amour de la connaissance. Il défend la liberté
et la responsabilité individuelles.
Etienne de La Boétie (1530-1563) (Discours de la servitude volontaire) met en
avant l’idée selon laquelle les sujets ont le droit et le devoir de juger le Prince et
il existe une responsabilité du peuple dans le maintien du tyran au pouvoir.
Si l’on ne soutient plus les dictateurs leurs pouvoirs s’effondrent. « Si on ne
donne rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent
nus et défaits, ils ne sont plus rien, sinon que, comme la racine, n’ayant plus
d’aliment, la branche devient sèche et morte. » Il faut donc retirer son appui au
tyran : « Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. Je ne veux pas que
vous le poussiez ou l’ébranliez mais seulement que vous ne le souteniez plus et
vous le verrez comme un grand colosse à qui se dérobe sa base, de son poids
même, fondre en bas et se rompre. » Ainsi il y a bien sûr la capacité de violence
des régimes autoritaires mais il y a aussi et surtout la capacité de soumission des
opprimés qui sont prisonniers de leurs peurs. Cet auteur de ce grand ouvrage
est l’un des inspirateurs des théories et des pratiques de la non-violence qui
ont vu le jour par la suite et qui répondent présentes aux responsabilités
individuelles et collectives mises en oeuvre souvent dans le cadre de la
protection de l’environnement.
René Descartes (1596-1650) (Les Méditations métaphysiques) affirmait que
tout repose sur la raison, les erreurs sont des mauvais usages de la raison. La
responsabilité repose sur le libre arbitre et sur la volonté.
Descartes est aussi un des défenseurs d’une possession de la nature : « […]
connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux
et de tous les autres corps qui nous environnent […] nous les pourrions
employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et
ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est
pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient
qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les
commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de
la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres
biens de cette vie […].»(Discours de la méthode, 1637, 6e partie, classique
Larousse)
Dénonçant ce déferlement de violence de l’homme contre le vivant, Claude
Lévi-Strauss écrira beaucoup plus tard en 1973:
« On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne
souverain ; on a cru effacer ainsi son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il
est d’abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a
donné le champ libre à tous les abus […]. » (Anthropologie structurale, Plon,
1973, p. 53)
Blaise Pascal (1623-1662) (Pensées). La conscience nous libère de notre
condition finie, elle fonde la dignité humaine, elle est source de liberté par le
pouvoir qu’elle nous donne sur la nature. Avec la conscience apparait la loi
morale et ses interdits. Si j’agis consciemment je suis responsable de ce que je
fais.
Baruch Spinoza (1632-1677) ( Ethique) répond à Descartes que le libre arbitre
n’existe pas. Notre raison et notre volonté sont déterminées par les lois qui
commandent la nature. Dès lors dans ce déterminisme le principe de
responsabilité des individus, lui non plus, n’existe pas.
L’accès à une certaine liberté repose sur la connaissance rationnelle qui permet
d’éclairer l’être humain sur les « enchaînements de causes » des phénomènes
du monde.
. Charles-Louis de Secondat de Montesquieu (1689-1755) (Pensées diverses).
Nous ne proposons pas ici ses théories célèbres sur la séparation des pouvoirs
mais uniquement cette pensée forte de citoyen du monde qu’il était : « Si je
savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille,
je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille,
et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais
quelque chose d’utile à ma patrie et préjudiciable à l’Europe, ou bien qui
fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais
comme un crime. « 
Dit autrement : le village, la ville, la région c’est mon terroir, le pays c’est ma
patrie, le continent c’est ma matrie, la planète c’est mon foyer d’humanité. Entre
ces différents territoires, ces lieux de vie il est essentiel de construire des
harmonies fondées sur quelques principes autour du respect de l’humain et du
vivant.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) (Discours sur l’origine de l’inégalité
parmi les hommes ) . L’homme est capable du meilleur comme du pire, d’où
sa responsabilité particulière vis-à-vis des autres et de la nature.
L’opposition entre Voltaire et Rousseau par rapport au tremblement de terre de
Lisbonne de 1755 est significative. Alors que Voltaire met en avant le caractère
naturel de cette catastrophe, Rousseau dénonce la responsabilité
humaine « Convenez que la nature n’avait point rassemblé là 20.000 maisons de
six à sept étages et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés
plus également et plus légèrement logés le dégât eût été beaucoup moindre et
peut-être nul » (Lettre sur la providence, 18 août 1756).
Comme on peut l’observer en 2000, soit 244 ans plus tard, le représentant
(Salvano Briceno) de « la décennie internationale des Nations unies (1990-2000)
ne nous dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « c’est la vulnérabilité sociale
et humaine qui transforme un phénomène naturel en catastrophe. » (Julien
Bétaille préface du colloque international sur « Les catastrophes écologiques et
le droit : échecs du droit, appels au droit, » sous la direction de Jean-Marc
Lavieille, Julien Bétaille et Michel Prieur, éditions Bruylant, 2012.)
Emmanuel Kant (1724-1804) (Critique de la raison pratique) (Fondements de
la métaphysique des moeurs). L’homme appartient au règne de la nature
donc ses actions sont déterminées et il appartient aussi au monde de la
raison et de la volonté, or la liberté de la volonté est autonome, elle est sa
propre loi.
La raison pratique c’est la faculté de se représenter la loi morale.
« Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté
humaine un impératif catégorique, il faut qu’il soit tel que, par la représentation
de ce qui, étant une fin en soi, est nécessairement une fin pour tout homme, il
constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir
de loi pratique universelle. Voici le fondement de ce principe : la nature
raisonnable existe comme fin en soi. L’homme se représente nécessairement
ainsi sa propre existence ; c’est donc en ce sens un principe subjectif d’actions
humaines.
Mais tout autre être raisonnable se présente également ainsi son existence, en
conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi ; c’est donc en
même temps un principe objectif dont doivent pouvoir être déduites, comme
d’un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L’impératif sera
donc celui-ci :
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne
que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin,
et jamais simplement comme un moyen. »
La dignité humaine est donc une valeur absolue et universelle.
Karl Marx (1818-1883) (L’idéologie allemande). Le passage est connu « çà
n’est pas la conscience qui détermine l’existence, c’est l’existence qui
détermine la conscience ; dans le premier cas on part de l’individu vivant (luimême)
; dans le second cas on part des individus vivants réels et on considère la
conscience comme leur conscience.»
La dénonciation du capitalisme est centrale dans sa pensée, mais ne se fonde
donc pas sur des règles morales, ce qui ne veut pas dire que certains auteurs ne
voient pas dans les écrits de Marx une normativité éthique fondée en particulier
sur la valeur de la justice.
Enfin Marx pense que les contradictions du capitalisme peuvent porter
atteinte à la nature mais il n’est pas question de remettre en cause la
science et de la technique qui sont en elles-mêmes porteuses de progrès.
D’autres affirmeront par la suite que la techno science peut contribuer certes à
des libérations (par exemple de maladies) mais peut être porteuse aussi
d’aliénations (ainsi par exemple les recherches et les productions d’armes de
destruction massive).
Friedrich Nietzsche (1844-1900) (Généalogie de la morale.) (Crépuscule des
idoles) Contrairement par exemple à Pascal , qui croyait que la conscience nous
libère de notre condition finie, Nietzsche pense que la conscience est une ruse
théologique qui nous écrase. Il critique la responsabilité morale. La société
par le dressage impose le devoir, et c’est l’aptitude à répondre de soi
(définition classique de la responsabilité) qui fonde la morale laquelle se
traduit par l’assujettissement, on a inventé la faute pour punir.
Le « Crépuscule des idoles » affirme que l’une des erreurs est celle du libre
arbitre.
« Il ne nous reste aujourd’hui plus aucune espèce de compassion avec l’idée du
“libre arbitre” : nous savons trop bien ce que c’est le tour de force théologique le
plus mal famé qu’il y ait, pour rendre l’humanité “responsable”, à la façon des
théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l’humanité dépendante des
théologiens… Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à
vouloir rendre responsable.
Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de
punir et de juger qui est à l’oeuvre. On a dégagé le devenir de son innocence
lorsque l’on ramène un état de fait quelconque à la volonté, à des intentions, à
des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement
inventée à fin de punir, c’est-à-dire avec l’intention de trouver coupable. Toute
l’ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n’existe que par le fait que
ses inventeurs, les prêtres, chefs des communautés anciennes, voulurent se créer
le droit d’infliger une peine – ou plutôt qu’ils voulurent créer ce droit pour
Dieu… Les hommes ont été considérés comme “libres” pour pouvoir être
jugés et punis, -pour pouvoir être coupables : par conséquent toute action
devait être regardée comme voulue, l’origine de toute action comme se trouvant
dans la conscience. »
La liberté repose sur l’idée de spontanéité : la conscience sous des
impératifs moraux ne fait qu’étouffer cette spontanéité.
2- Les responsabilités selon des auteurs du XXème.
Max Weber (1864-1920) (Le savant et le politique)
« Toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes
totalement différentes et irréductiblement opposées : l’éthique de la
responsabilité ou l’éthique de la conviction […]. »
Ainsi il y a une opposition entre l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de
conviction qui veut respecter des principes et l’attitude de celui qui agit
selonl’éthique de responsabilité qui veut voir avant tout les effets de nos
actes.
Ainsi le politique est un homme d’action qui se positionne à partir de ses
valeurs alors que le savant veut démontrer la vérité à partir des faits
scientifiquement reconnus, Ainsi d’un côté l’action, d’un autre côté la recherche,
L’éthique de conviction correspond à celui qui obéit à des valeurs sans se
préoccuper de leur mise en oeuvre, on évoquerait aujourd’hui par exemple des
valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité.
L’éthique de responsabilité correspond au fait de se demander comment
on doit répondre à telle ou telle situation, on se demanderait aujourd’hui par
exemple créer les conditions d’une fraternité transgénérationnelle permettant en
particulier aux générations futures de vivre dans un monde viable.
Si l’opposition est considérée par beaucoup comme radicale, certains par la
suite évoqueront ces deux éthiques conçues comme complémentaires, on veut
alors viser le respect de valeurs et les effets de leur mise en oeuvre.
Sigmund Freud (1856-1939) (L’Avenir d’une illusion) (Malaise dans la
civilisation).La découverte de l’inconscient remet en question la maitrise su
sujet sur lui-même tant du point de vue de ses pensées que de ses actes. Nos
désirs sont commandés par des pulsions inconscientes et involontaires. « Le
moi n’est plus maitre dans sa maison. »Mais alors suis-je responsable de mes
actes si je ne suis plus libre ?
L’inconscience ne peut servir de prétexte pour fuir ses responsabilités. Freud
pense d’ailleurs que chacun est responsable de parvenir à un maximum de
conscience, « là où le ça était, je dois advenir ». Cette conquête de la conscience
sur l’inconscient devient un devoir vis-à-vis de soi-même.
A cela ajoutons deux remarques.
D’abord le code pénal limite la responsabilité des personnes atteintes par un
trouble psychique. Ainsi il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état
de démence au temps de l’action.
Ensuite la position de Freud a été critiquée par différents auteurs, par exemple
le psychanalyste Lacan pensait qu’en dehors des maladies mentales « De notre
position de sujet nous sommes toujours responsable. » Par exemple le
philosophe Alain qualifiait la position de Freud d’erreur mais aussi de faute
parce qu’elle débouche sur la fatalité, or l’inconscient nous laisse des choix.
Hannah Arendt (1906-1975) (Rapport sur la banalité du mal) (La
responsabilité collective) (Les origines du totalitarisme).Cette politologue
affirme que le processus d’obéissance est fondamental dans le totalitarisme,
même le haut-fonctionnaire est préoccupé d’obéir aux ordres, « je n’ai fait
qu’obéir aux ordres » diront de nombreux dignitaires nazis pour leur défense.
Le procureur du Tribunal de Nuremberg répondra en disant magnifiquement et
tragiquement : « Vient un moment où il faut désobéir aux ordres et obéir à sa
conscience ».On est au coeur d’une des questions relatives à la responsabilité.
Comment voit-elle la responsabilité collective ?
« Il existe une responsabilité pour des choses que nous n’avons pas
commises, mais dont on peut néanmoins être tenu pour responsable. Mais
être ou se sentir coupable pour des choses qui se sont produites sans que nous y
prenions une part active, est impossible. C’est là un point important qui mérite
d’être clairement et vigoureusement souligné à un moment où tant de bons
libéraux blancs avouent leurs sentiments de culpabilité face au problème noir.
[…]
Chaque gouvernement assume la responsabilité des actes et des méfaits de ses
prédécesseurs, et chaque nation assume la responsabilité des actes et des méfaits
du passé. […] En ce sens on nous tient toujours pour responsable des péchés de
nos pères, de même que nous récoltons les lauriers dus à leur mérite, mais nous
ne sommes évidemment pas coupables de leurs forfaits, ni moralement ni
juridiquement, pas plus que nous ne pouvons imputer leurs actions à nos propres
mérites. […]
Nous ne pouvons échapper à cette responsabilité politique et purement collective
qu’en quittant la communauté, et puisqu’aucun individu ne peut vivre sans
appartenir à une communauté quelconque, cela signifierait simplement passer
d’une communauté à l’autre et donc une sorte de responsabilité à une autre.
[…] Cette responsabilité d’actes que nous n’avons pas commis, cette façon
d’endosser les conséquences d’actes dont nous sommes entièrement
innocents, est le prix à payer parce que nous ne vivons pas seuls, mais
parmi d’autres hommes, et que la faculté d’agir, qui est après tout la faculté
politique par excellence, ne peut s’accomplir que dans l’une des
nombreuses et diverses formes de la communauté humaine. » ( La
responsabilité collective in Ontologie et Politique, édit. Tierce, 1989, pp. 175 à
184.)
Raymond Aron (1905-1983) (Introduction à la philosophie de l’histoire)
Responsabilité morale, responsabilité juridique, responsabilité historique
comportent une partie commune : l’établissement des causes. La différence
fondamentale concerne l’ordre des causes : le moraliste vise les intentions,
l’historien les actes, le juriste confronte intentions et actes, et les mesure aux
concepts juridiques.
Au regard de l’historien en tant que telles la guerre et la révolution sont des faits,
d’une fréquence variable selon les siècles, observés dans toutes les cultures et
toutes les époques.
Jean-Paul Sartre (1905-1980) (l’existentialisme est un humanisme) (Situations
III)
La liberté se réalise dans l’engagement qui permet la rupture, mais cet
engagement n’engage pas que moi :
« L’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être (…) l’homme est
responsable de ce qu’il est. Ainsi, la première démarche de l’existentialisme est
de mettre tout homme en possession de ce qu’il est et de faire reposer sur lui la
responsabilité totale de son existence. Et quand nous disons que l’homme est
responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable
de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes (…).
« Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun
d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant,
il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes qui, en créant
l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme
tel que nous estimons qu’il doit être. (…) Ainsi, notre responsabilité est
beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage
l’humanité toute entière. (…) Ainsi je suis responsable pour moi-même et
pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis; en me
choisissant, je choisis l’homme. »
Quant à l’inconscient il sert parfois d’excuse mais il n’est pas recevable. « On ne
fait pas toujours ce que l’on veut, mais on est toujours responsable de ce
que l’on fait ».Pour Sartre au contraire, l’inconscient sert parfois d’excuse, de
l’ordre de la mauvaise foi, mais n’est jamais une excuse recevable.
Jean-Paul Sartre après 1945 écrit : « Quand nous disons que l’homme est
responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable
de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes. »(…)
« Il fallait bien qu’un jour l’humanité fût mise en possession de sa mort. »
« Cette bombe qui peut tuer cent mille hommes d’un coup et qui demain, en
tuera deux millions nous met tout à coup face à nos responsabilités. A la
prochaine la Terre peut sauter, cette fin absurde laisserait en suspend pour
toujours les problèmes qui font depuis dix mille ans nos soucis. Ainsi au
moment où finit cette guerre, la boucle est bouclée, en chacun de nous
l’humanité découvre sa mort possible, assume sa vie et sa mort. »
Simone de Beauvoir (1908-1986) (Le Deuxième Sexe) met en avant la
responsabilité de l’écrivain engagé. Elle analyse les phénomènes de domination
des hommes.
Les femmes mais aussi les hommes sont placés devant leurs responsabilités
dans l’émancipation des femmes sur « les chemins de la liberté »
Albert Camus (1913-1960) (L’homme révolté). « L’homme n’est pas
entièrement coupable, il n’a pas commencé l’histoire ; ni tout à fait
innocent puisqu’il la continue. »
La révolte qui nait à l’intérieur de l’absurde donne à l’homme la possibilité
d’assumer la responsabilité de ses actes et du monde qui l’entoure. « Je me
révolte donc nous sommes . » « La vertu de l’homme est de se maintenir en
face de tout ce qui le nie. »
Dans ses engagements il dénonce le totalitarisme de l’Union soviétique, la
colonisation. Il dénoncera « les marchands de mort » que sont à ses yeux les
fabricants d’armes.
Dans l’éditorial du journal Combat le 8 août 1945, deux jours après le
lancement de la bombe atomique sur Hiroshima, il écrit (…) Nous nous
résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son
dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou
moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des
conquêtes scientifiques.(…)Devant les perspectives terrifiantes qui
s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul
combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui
doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir
définitivement entre l’enfer et la raison. « 
Paul Ricoeur (1913-2005) (Soi-même comme un autre) (Le concept de
responsabilité: Essai d’analyse sémantique). Il distingue la morale fondée sur des
normes, des obligations, et l’éthique fondée sur des actions estimées
bonnes. L’éthique est au centre de la vie « avec et pour l’autre »,
c’est « l’aveu partagé de la fragilité et finalement de la mortalité ».
Juridiquement on doit réparer une faute ou subir une sanction à la suite d’une
action, mais se développe aussi la responsabilité sans faute, la responsabilité
pour autrui.Chacun serait responsable d’autres personnes dont il a la charge ou
la garde en raison de leur vulnérabilité. L’homme est responsable
du vulnérable, du fragile, du faible . L’éthique médicale particulièrement est
liée à la sollicitude, à la spontanéité bienveillante. « L’estime de l’autre comme
soi-même correspond à l’estime de soi-même comme un autre. « 
Emmanuel Lévinas (1906-1995) (Totalité et infini) (Soi-même comme un
autre). Il distingue l’éthique c’est-à-dire « ce qui est estimé bon » de la morale
« qui s’impose comme obligation. »
.Il s’agit de dire « l’humain de l’homme » donc de proposer une éthique de
l’éthique. Rencontrer l’autre c’est avoir une idée de l’infini La responsabilité
pose la primauté d’autrui, la figure d’autrui est synonyme de fragilité, elle
en appelle à ma sollicitude, elle fonde ma liberté. Dès que son visage apparait
il m’oblige, cette responsabilité s’impose à moi.
L’éthique n’est pas la recherche du perfectionnement personnel mais
la responsabilité à l’égard d’autrui. Autrui c’est d’abord un visage, il exige
sollicitude, l’homme doit accepter d’être « le gardien de son frère. »La question
essentielle est « Qu’as-tu fait de ton frère? ».La réponse doit être donnée dans le
face à face et aussi dans la cité des citoyens.
Levinas emprunte aux Frères Karamazov de Dostoïevski la « devise » : « Nous
sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les
autres. ». « Vous connaissez , écrit-il, cette phrase de Dostoïevski : « Nous
sommes tous responsables de tout devant tous et moi plus que tous les autres. ».
Non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne, à cause des
fautes que j’aurais commises, mais parce que je suis responsable d’une
responsabilité totale, qui répond de tous les autres et de tout chez les autres,
même de leur responsabilité.»
« Le principe responsabilité » de Hans Jonas en 1979 marque la pensée
environnementale,cet ouvrage contribue à fonder une « éthique pour la
civilisation technologique ».
B- UN PRINCIPE RESPONSABILITE POUR UNE CIVILISATION
TECHNOLOGIQUE
Il s’agit donc de la pensée de Hans Jonas (1903-1993) ( « Le Principe
responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique ». Parution
allemande en 1979, traduction française chez Flammarion, Champs, 1990 ). Et
avec une traduction et une présentation de Jean Greisch , aux éditions Le Cerf,
1990.)
Voir aussi sur Hans Jonas l’article de Jean Greisch, » L’amour du monde et le
principe responsabilité », dans l’ouvrage précité « La responsabilité. », Editions
Autrement ,. Série Morales n°14, janvier 1994
Cette philosophie s’exprime en quelques idées essentielles.
1- La civilisation technologique menace l’humanité, une éthique nouvelle
doit voir le jour.
Jean Rostand écrivait « Tous les espoirs sont permis à l’homme même celui de
disparaitre ». Jonas pense que doit être détruite toute technologie qui comporte
le risque de détruire l’humanité .C’est l’humanité qui est l’objet de la
responsabilité.
« Nulle éthique antérieure n’avait à prendre en considération la condition
globale de la vie humaine et l’avenir lointain et l’existence de l’espèce ellemême
[…]. Personne n’était tenu responsable pour les effets ultérieurs non
voulus de son acte bien intentionné, bien réfléchi, et bien exécuté. […] Tout cela
s’est transformé de manière décisive. La technique moderne a introduit des
actions d’un ordre de grandeur tellement nouveau, avec des objets
tellement inédits, et des conséquences tellement inédites, que le cadre de
l’éthique antérieure ne peut plus les contenir. »
2-La peur doit pousser à agir, la responsabilité est le principe vital .
Hans Jonas insiste sur la peur qui favorise la responsabilité. Non pas la peur
paralysante mais celle qui pousse à agir. On mesure et on connait les risques, la
peur devient alors une force.
La responsabilité est une vertu mais c’est surtout un principe. C’est le
fondement d’une nouvelle conception éthique .
Le problème le plus crucial pour la civilisation technologique, c’est de savoir
comment agir sans compromettre « la permanence d’une vie authentiquement
humaine sur terre. »
« Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour
la possibilité future d’une telle vie »
3- La responsabilité nous engage vis-à-vis de tout homme, de tout lointain
dans le temps et également de l’ensemble de l’environnement .
La responsabilité n’intéresse plus aujourd’hui le seul prochain immédiat, mais
tout prochain et même tout objet : elle embrasse « l’environnement », entendu
comme la totalité de ce qui est.
On retrouve ce point commun avec d’autres philosophies qui est relatif à la
fragilité, la vulnérabilité. Autrui me regarde, il m’assigne à responsabilité.
L’humanité est fragile, vulnérable, nous sommes responsables de son futur.
« Le fait que depuis peu la responsabilité s’étende au-delà jusque à l’état de la
biosphère et de la survie future de l’espèce humaine, est simplement donné avec
l’extension du pouvoir sur ces choses, qui est en premier lieu un pouvoir de
destruction. Le pouvoir et le danger dévoilent une obligation qui, par la
solidarité avec le reste, une solidarité soustraite au choix, s’étend de l’être propre
à l’être en général, sans même un consentement particulier. »
Notre responsabilité est engagée vis à vie des générations passées, présentes,
futures et par rapport à l’ensemble du vivant.
La philosophie de Hans Jonas est proche, globalement ou sur certains points, de
celles de certains auteurs que nous allons maintenant évoquer… et
réciproquement leurs pensées sont souvent proches, globalement ou sur certains
points , de celle de l’auteur du « Principe responsabilité.»
C- LES RESPONSABILITES SELON DES AUTEURS
CONTEMPORAINS QUI REMETTENT EN CAUSE LE SYSTEME
PRODUCTIVISTE
Nous constatons que des philosophes, des économistes, des sociologues, des
anthropologues et d’autres auteurs analysent de façon radicale le système qu’ils
qualifient selon les cas de capitaliste, de néo libéral, de technoscientiste, ou de
productiviste, système qui a étendu son emprise sur la Terre.
Chaque auteur le fait dans la cadre de sa pensée générale et en insistant sur tel
et tel élément mais ce point commun saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre.
Nombreux ont été ces auteurs, parmi beaucoup d’autres : Claude Levi
Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy Debord , Bernard Charbonneau,
Edgar Morin, Herbert Marcuse, André Gorz, Cornelius Castoriadis ,
François Partant, René Dumont, Théodore Monod, Jean Rostand, Kostas
Axelos, Paul Virilio, Serge Latouche…
1- Un choix vital face au système mondial : la détermination de limites des
activités humaines
Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits :
d’une part le système productiviste est lancé dans une course en avant
autodestructrice, il faut donc être en rupture globale avec ce système,
d’autre part une croissance illimitée sur une planète limitée nous amène vers
une gigantesque collision entre l’environnement et les activités humaines, il
faut donc « retrouver le sens de la limite » (expression de l’introduction de
l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection
Frankenstein,2013).
2- Les logiques autodestructrices de la fuite en avant
Ces logiques s’appellent : la recherche effrénée du profit, la course à la
marchandisation du monde, la course à la mort sous la forme de certaines
productions humanicides et terricides, la croissance sacro-sainte, la vitesse
facteur de répartition de richesses et de pouvoirs, la dictature du court terme, le
vertige de la puissance, la compétition élevée au rang d’impératif naturel de nos
sociétés, l’accélération d’un système porteur d’une crise du temps.
Et puis, à travers une explosion démographique mondiale qui continue, cette
fuite en avant est aussi celle d’une machine à gagner fonctionnant comme une
lame qui met d’un côté ceux et celles dont les besoins fondamentaux sont plus
ou moins satisfaits et de l’autre ceux et celles, de très loin les plus nombreux,
dont les besoins fondamentaux restent criants.
3- Les dénis, les mensonges et les silences accompagnant cette fuite en
avant
Il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de nombreux dénis
personnels et collectifs de la réalité : on pense que la catastrophe ne se produira
pas ou qu’on y échappera. (Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé,
Le Seuil, 2002.)
Il n’est pas étonnant non plus que cette fuite en avant s’accompagne de silences
et de mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle catastrophe
écologique, ou même sur l’existence de certaines d’entre elles que l’on espère
garder dans les secrets de la planète et qui peuvent constituer autant de bombes à
retardement.
4- Pour une pédagogie de compréhension et de dénonciation des impasses
Face à cette fuite en avant doivent exister des limites nécessaires, voila donc une
pédagogie des impasses.
Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne
plus de limites ? (J. Ellul, Le Bluff technologique, Hachette, 1988)
Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la
croissance indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. »
Cornelius Castoriadis en appelait à nous défaire des « fantasmes de l’expansion
illimitée.» ( voir C. Castoriadis, La Montée de l’insignifiance, les carrefours du
labyrinthe (IV), Seuil, 1996 ;
Edgar Morin en appelle « à fédérer les voies de la réforme de l’éducation, de
l’écologie, de la politique, de l’économie. Une utopie concrète à l’horizon de
nos actions s’impose comme une urgence indispensable. » (La Voie.Pour
l’avenir de l’humanité. Pluriel ?2016)
Voir également : A. Gorz, Écologica , Galilée, 2008 ; S. Latouche, Survivre au
développement, Mille et une nuits, 2004 ; et ceux plus haut cités, tous des
défricheurs de la pensée.
On peut bien sûr constater que ces auteurs à travers leurs critiques radicales du
système productiviste se tournent aussi vers des alternatives. Penser et mettre en
oeuvre ces alternatives voilà qui se rattache à de nouvelles politiques
écologiquement et socialement responsables.
Telles sont ces responsabilités morales environnementales. Qu’en est-il des
responsabilités politiques ? (IV)