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IV
LES RESPONSABILITES POLITIQUES
ET L’ENVIRONNEMENT
On trouve évoque souvent tel ou tel type de responsabilité politique face à telle
ou telle politique environnementale, cela à différents niveaux géographiques.
Mais vouloir prendre en compte un ensemble de théories et de pratiques
politiques relatives à la responsabilité environnementale voilà qui en appelle à
une globalité nécessaire et pouvant être porteuse.
Ces choix politiques vont être les produits des problèmes des drames et des
menaces écologiques, ainsi que des forces allant dans le sens du productivisme
et des forces allant dans le sens de sociétés viables.
Nous partirons donc des fondements de ce qui est ou devrait être une politique
écologique responsable. (A).
A partir de cela nous nous demanderons quels rapports avec la nature doit avoir
une telle politique ? (B).
Nous nous interrogerons sur ce que signifie la démocratie politique au regard
de la responsabilité liée à la protection de l’environnement (C).
Enfin de façon plus large nous reverrons ensemble la panoplie des sanctions
politiques face à des décisions contestables, des politiques inacceptables ou face
à l’absence de politiques relatives à la protection de l’environnement (D).
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A-LES FONDEMENTS D’UNE POLITIQUE ECOLOGIQUE RESPONSABLE ET
LES CHOIX ESSENTIELS
Il existe un concept majeur, celui limites au sein des activités humaines (1).
Existent aussi d’autres fondements de cette politique environnementale
responsable (2).
1- Les limites au sein des activités humaines : un concept porteur de
principes.
Ce concept de limites ne se traduit-il pas par au moins quatre principes que l’on
retrouve par exemple en droit international de l’environnement? (Voir notre
ouvrage de DIE, éditions Ellipses, 2010).
De façon plus globale on retrouve les trois premiers principes dans la
remarquable« Plate-forme pour un monde responsable et solidaire », publiée
par le Monde diplomatique d’avril 1994, qui est à la fois « un état des lieux
des dysfonctionnements de la planète et une mise en avant de principes d’action
pour garantir un avenir digne au genre humain », plate-forme portée par la
Fondation pour le progrès de l’homme, plate-forme qui devrait être
symboliquement affichée sur beaucoup de portes de beaucoup d’universités dans
le monde, étudiée et débattue dans de nombreux cours.
Le quatrième principe est en gestation, ce principe de non régression est porté en
particulier par l’UICN, le vice-président de la commission juridique, Michel
Prieur, est l’inspirateur de ce principe.
-Le principe de précaution selon lequel les sociétés humaines ne doivent mettre
en oeuvre de nouveaux projets, produits et techniques, comportant des risques
graves ou irréversibles, qu’une fois acquise la capacité de maitriser ou
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d’éliminer ces risques pour le présent et le futur. Certains pensent que le
principe de précaution est moins radical que celui de responsabilité. En réalité il
peut empêcher une action pouvant porter atteinte aux générations futures.
-Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des
gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode
de vie, à bruler moins d’énergie, à maitriser leurs besoins pour adopter des
pratiques de frugalité, de simplicité, de décroissance. Andre Gorz écrivait : « Il
est impossible d’éviter la catastrophe climatique sans rompre radicalement avec
les logiques qui y conduisent depuis cent cinquante ans. »
-Enfin le principe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des
modes de production et de consommation sans prélèvements, sans déchets et
sans rejets susceptibles de porter atteinte à l’environnement. D’où l’existence de
ces luttes pour développer des technologies propres, des énergies renouvelables
et pour consacrer des éléments de l’environnement, comme par exemple l’eau,
comme biens publics mondiaux (BPM) ou comme éléments du patrimoine
commun de l’humanité(PCH).
-Sauvegarde signifie aussi que lorsqu’une avancée décisive, sur un point de
protection importante, a été acquise, un verrou juridique doit être alors posé. Un
exemple significatif est celui du Protocole de Madrid sur l’Antarctique (1991)
qui interdit les recherches minérales pour cinquante ans. On ne doit pas revenir
en arrière dans la protection. C’est ce que l’on nomme le principe de non
régression. La nécessité vitale de réduire les atteintes à l’environnement ne peut
que contribuer à convaincre les législateurs, les juges et la société civile d’agir
en vue de renforcer la protection des acquis environnementaux au moyen de la
consécration de ce principe de non régression. ( Voir sous la direction de Michel
Prieur et Gonzalo Sozzo, « La non régression en droit de l’environnement »,
Bruylant , 2012).
Avec ce choix vital existent aussi les choix essentiels de la protection.
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2- Les autres fondements d’une politique écologique responsable.
Nous distinguerons le choix global et les autres choix essentiels.
a- Le choix essentiel global : universalité et environnement, même combat
Selon le sens commun il est très fréquent d’entendre dire que « si tous les
chinois ont une voiture, écologiquement ce sera catastrophique », il est assez
courant d’entendre répondre « pourquoi les chinois ne pourraient-ils pas se
développer comme on a pu le faire ? »
Et, presque toujours, on s’arrête là, beaucoup de citoyen(ne)s et d’élu(e)s ne
continuent pas leur raisonnement. En fait ils n’ont pas conscience que le
raisonnement tenu est partiel, ou consciemment, ils ne veulent pas en avoir un
autre.
Si l’on tient à partager un raisonnement global, pour mieux entrer dans la
question ou mieux choisir ou infirmer ou confirmer son choix, on pourrait alors
raisonner ainsi :
Soit on renonce à l’universalité et on affirme que si les pays en développement
vont vers le même niveau de vie que celui des pays développés ce sera le chaos
écologique pour tous. En le disant ou sans le dire, avec regrets ou sans regrets,
on justifie on renforce des inégalités donc des violences structurelles. Cette
attitude n’est-elle pas celle d’une violence d’oppression en imposant sa loi ?
Soit on renonce à la protection de l’environnement et on affirme que les pays
en développement ont le droit de se développer comme ils l’entendent. En le
disant ou sans le dire, avec ou sans regrets, on justifie on renforce le
productivisme et ses ravages environnementaux. Cette attitude n’est-elle pas
celle d’une violence de soumission en faisant taire des valeurs que l’on pense
importantes ?
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Soit on met en avant à la fois l’universalité et la protection de
l’environnement, on affirme que tous les pays et tous les peuples ont droit au
développement et en même temps on remet en cause au Nord de la planète mais
aussi au Sud quand il existe le productivisme. Universalité et environnement,
dans un même combat, doivent se tenir embrassés. Cette attitude n’est-elle pas
porteuse d’une véritable paix, celle de la recherche ensemble de solutions justes
et écologiques ?
b- Les autres choix essentiels
Rappelons symboliquement ce choix essentiel « penser globalement agir
localement » (formule de René Dubos en 1972 à la Conférence de
Stockholm).Au moins sept choix ne peuvent-ils pas être considérés comme
essentiels ?
-Face au libre-échange tout puissant donner de plus en plus la priorité à la
protection environnementale, sanitaire, sociale, culturelle, par exemple dans
des dispositions spécifiques des traités de commerce, par exemple dans
l’application stricte des limites posées par le droit international de
l’environnement au commerce international des espèces et de certaines
substances…Au nom de quoi le commerce international serait-il supérieur à la
santé et à l’environnement ?
-Face à la société de marché donner de plus en plus de place à une
« économie plurielle » composée d’économie sociale et solidaire, de services
publics, de juste échange, de dons, d’échanges de savoirs, de commerce
équitable…
-Face à une division internationale du travail fondée sur des
dominations, construire un échange international reposant sur une
autonomie créatrice de chaque peuple…
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-Face au court terme omniprésent répondre aux urgences et construire le long
terme…Autrement dit il faut répondre et aux fins de mois et aux fins du
monde.
-Face à la domination sur la nature mettre en oeuvre en particulier
une protection du patrimoine mondial de l’humanité…
-Face à la compétition omniprésente construire des coopérations, des
solidarités…Nous voilà fraternisés par des périls communs, ce sont des côtes à
côtes qui doivent voir le jour et se multiplier.
-Face à cette coupure entre l’écologique et le social il faut tisser des liens entre
l’écologique et le social, c’est ce qui est fait par exemple à travers l’expression
et le mouvement « justice climatique », par exemple à travers des pratiques
autour du « consommer moins, répartir mieux », le « consommer moins » vise
les 20% des habitants de la planète qui consomment environ 80% des richesses
mondiales, tisser ces liens entre l’écologique et le social par exemple à travers
des écotaxes levées avec justice, par exemple à travers des emplois qui
devront devenir massifs, emplois liés à la protection de
l’environnement : villes, villages, quartiers et constructions écologiques,
isolations, matériaux écologiques, énergies renouvelables, modes de production,
de consommation et de transports écologiques, remises en état de régions
profondément dégradées, préservation du patrimoine mondial naturel et culturel,
éducation à l’environnement de la maternelle à l’université…
B-LES FONDEMENTS D’UNE POLITIQUE ECOLOGIQUE RESPONSABLE ET LE
CHOIX DES RAPPORTS AVEC LA NATURE
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Nous envisagerons tour à tour
La conception dominante de la nature : l’anthropocentrisme (1)
La conception résistante de la nature : l’éco centrisme (2)
A partir de ces deux conceptions de la nature n’y-t-il pas un choix à faire, celui
du patrimoine commun de l’humanité, à étendre, à radicaliser ?
Le choix d’une conception d’une nature patrimoine commun de
l’humanité : l’anthropo-éco-centrisme (3)
( Sur ces conceptions voir par exemple bien sûr l’ouvrage de François Ost, La
nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 1995.
Voir aussi article de Serge Gutwirth, « Trente ans de théorie du droit de
l’environnement : concepts et opinions. » Environnement et Société, 26, 2001, 5
à 17.)
1- La conception dominante de la nature : l’anthropocentrisme
Quel est l’essentiel de cette conception ? La nature est un objet au service
des êtres humains. L’homme est tout-puissant par rapport au non-humain, il doit
se comporter en « maitre et possesseur de la nature », l’homme exerce, par le
droit de propriété, un pouvoir absolu sur la nature qui est un objet de droit.
Quelles sont les critiques faites à cette conception ?Certes des textes ont
limité ce caractère absolu du droit de propriété sur la nature, mais peu à peu le
marché a réduit les éléments de l’environnement à des marchandises. La
nature, au service des besoins et des intérêts de l’homme, est entrée dans la
marchandisation du monde.
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2- La conception résistante de la nature : l’éco centrisme
Ayant vu le jour dans des civilisations très anciennes, en particulier
amérindiennes, cette conception recommence à se développer depuis quelques
décennies jusqu’à ces dernières années, par exemple un chapitre de la
constitution de l’Equateur est consacré aux droits de la nature, une loi des droits
de la Terre Mère a été adoptée en Bolivie en 2010. La Conférence mondiale des
peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre-Mère a adopté en
2010, à Cochabamba en Bolivie, une déclaration finale dans laquelle est affirmé
que « la Terre-Mère doit être reconnue comme source de vie, comme un être
vivant, avec lequel nous avons une relation indivisible, interdépendante,
complémentaire et spirituelle.»
Quel est l’essentiel de cette conception ? La nature est un sujet, elle a une
valeur intrinsèque, en elle-même, indépendamment de toute utilité pour les êtres
humains. L’homme fait partie d’un ensemble, le vivant. La nature est sujet de
droit, elle doit être défendue.
Quelles sont les critiques faites à cette conception ? Quatre critiques
existent. Cette conception empêche de faire la différence entre l’humain et le
non humain, on ne peut pas savoir ce que la nature veut, à force d’étendre le
droit à tout on le dévalorise, le retour à la nature a quelque chose de dangereux
parce qu’on remet en cause l’homme.
3- Le choix d’une conception d’une nature patrimoine commun de
l’humanité : l’anthropo-éco-centrisme
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a- Cette synthèse ne doit pas être inconsistante, simpliste, elle doit dépasser la
contradiction des deux visions précédentes pour contribuer à une véritable
protection mondiale de l’environnement.
Quel est l’essentiel de cette conception ? La nature est un donné et un
construit pour les êtres humains (anthropocentrisme) et pour elle-même (éco
centrisme). La nature n’est pas objet ni sujet de droit, elle est projet de droit.
Cette synthèse va prendre le « meilleur » de chaque ensemble de théories et de
pratiques en les transformant les unes par les autres.
De l’anthropocentrisme on garde les humains et on remet en cause la
marchandisation, la société du marché, pas seulement en la contrôlant mais
en la remettant à sa place, en lui fixant des limites.
De l’éco centrisme on garde l’ensemble du vivant et on met de côté
l’effacement de la différence entre l’humain et le non humain, cela en
mettant en avant les responsabilités des êtres humains vis-à-vis de
l’ensemble du vivant (humanité, faune, flore).
b- Ainsi le patrimoine commun de l’humanité(PCH) reposera sur un
anthropo-éco-centrisme, sur le fait que, pour l’exprimer simplement, la Terre
dépend des êtres humains et que les êtres humains dépendent de la Terre.
Ce PCH doit être démocratique, juste, écologique et pacifique. Ce sera une
gestion synonyme de partage entre pays, entre peuples, entre générations
présentes et futures, sans oublier le respect du PCH créé par les générations
passées. Ce patrimoine se transmet pour les générations futures, et pour le
vivant (faune, flore).
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Ce PCH reposera sur une gestion synonyme de limites établies au nom des
responsabilités des êtres humains et du respect des êtres vivants. (Voir Hans
Jonas, Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation
technologique. (de 1979, paru en France en 1991, Flammarion.)
Le PCH prend et prendra différentes formes, outre les quatre qui suivent on
peut en imaginer et en construire d’autres, on devra les articuler les unes aux
autres pour renforcer la protection générale. A long terme ce devrait être là un
contre-mécanisme très important contre le productivisme, il n’aura ni des
logiques d’intérêts nationaux, ni des logiques de primauté du profit et d’une
fuite en avant autodestructrice.
Le PCH au sens propre aujourd’hui est celui d’éléments qui appartiennent
juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins (« la Zone »)
(Convention sur le droit de la mer du 10-12-1982, article 136), de la Lune et des
autres corps célestes (Accord du 5-12-1979, article 11), du génome humain
(Déclaration du 11-11-1997, article 1er).
Le PCH au sens large est celui d’éléments constitués par des espaces
internationalisés qui doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de
l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique (Traité du 27-1-1967,
article 1er§1), de l’Antarctique (Traité du 1-12-1959, préambule).
Le PCH au sens plus large est celui d’éléments constitués par certains biens
naturels et culturels ou mixtes, qui restent sous les souverainetés étatiques, mais
qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils
présentent un intérêt exceptionnel. (Conclue dans le cadre de l’UNESCO, c’est
la Convention sur le patrimoine mondial, 16-11-1972).
On peut légitimement soutenir qu’il faudrait rajouter ici une quatrième série
d’éléments :
Le PCH au sens très large comprendrait les ressources biologiques ,que les
Etats ont certes le droit souverain d’exploiter (article 3 de la Convention sur la
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diversité biologique du 5-6-1992), mais les Etats seraient contrôlés
(interdictions possibles) par une autorité internationale, gardienne de ce
patrimoine naturel mondial, par exemple la future Organisation mondiale de
l’environnement(OME),celle-ci interviendrait alors au nom de la nature et au
nom des générations futures(protocole à la Convention sur la biodiversité, et
compétence à prévoir pour l’OME).
c- Cet intérêt commun de l’humanité est lié aussi à des biens communs.
Ils sont qualifiés d’ « indispensables pour la vie collective des individus et
des peuples » par le projet de « déclaration universelle du bien commun de
l’humanité » (Forum mondial des alternatives, 2012), il est affirmé qu’il s’agit «
de l’alimentation, de l’habitat, de la santé, de l’éducation et des communications
matérielles et immatérielles. »
Il faut donc « garantir l’accès aux biens communs et à une protection
sociale universelle ». Cette déclaration conçoit plus globalement le « Bien
commun de l’humanité comme possibilité, capacité et responsabilité de produire
et de reproduire la vie de la planète et l´existence physique, culturelle et
spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde.»
Ces théories et ces pratiques , encore en gestation, celle de Patrimoine commun
de l’humanité, celle de Biens communs, au-delà de leurs
différences(conceptions de la propriété et de la responsabilité, des acteurs les
mettant en oeuvre, de leur étendue, de leur gestion…), ont probablement un
point commun : mettre en avant des éléments qui, en dépassant le
quadrillage étatique, en mettant des limites à la marchandisation du monde,
en étant pensés sur le long terme, voudraient contribuer à préserver ce que
l’humanité et la nature peuvent avoir d’essentiel.
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(Voir Jessica Makowiak et Simon Jolivet (dir.), Les biens communs
environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ?, Limoges : Presses
universitaires de Limoges, 2017.. Voir en particulier notre article évoqué cidessus
relatif à «La Déclaration universelle du bien commun de l’humanité. »
d- Quelles sont les critiques faites à cette conception ?
La critique est double : c’est celle très réactive des souverainetés étatiques
qui verront dans cette entreprise une forme de dépossession,
c’est celle du productivisme qui ne peut accepter de remettre en cause des
logiques d’exploitation sans limites de la Terre.
Que penser de ces critiques ?
Face aux souverainetés irréductibles, une solidarité mondiale doit avoir le
droit du dernier mot, cette avancée sera d’autant plus nécessaire que la débâcle
écologique s’aggravera.
Face au productivisme, condamnable et condamné, un système viable pour
l’ensemble du vivant (humain, et non humain) doit voir le jour.
C- LA DEMOCRATIE POLITIQUE ET LA RESPONSABILITE
ENVIRONNEMENTALE
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Nous partirons de l’affirmation selon laquelle écologie et démocratie doivent
marcher côte à côte refusant leur dissociation (1).
Puis nous rappellerons le processus de responsabilité constitutionnelle mis en
place par des Etats comme par exemple la France (2).
Enfin nous rappellerons ce que devrait être une véritable démocratie au
regard de sa représentativité (3, 4, 5) et de son caractère participatif ( 6, 7).
Même si les politiques environnementales n’ont pas le monopole de la
nécessité d’améliorer la démocratie représentative et de mettre en place des
processus participatifs il n’en reste pas moins qu’elles peuvent être ici un des
domaines d’avant-garde de la démocratie.
1- Une politique responsable écologiquement doit être déterminée
démocratiquement.
D’abord constatons que tous les régimes politiques sont oligarchiques c’est-àdire
entre les mains de personnes plus ou moins nombreuses, mais toutes les
oligarchies ne sont pas de même nature. Les unes n’ont pas de concurrence, elles
sont soit celles du parti unique soit celles de l’armée, ce sont des dictatures. Les
autres sont en concurrence officielle à travers des élections libres, ce sont des
démocraties. C’est le critère de base, d’autres critères sont eux aussi essentiels,
celui par exemple bien sûr des droits de l’homme.
Ensuite certains pourraient être tentés de dire que, pour instaurer une politique
environnementale, il ne faut pas hésiter à s’éloigner de la démocratie pour
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l’imposer si nécessaire. Certains souhaiteraient même des sortes de « khmers
verts » ce qui est totalement inacceptable.
Evidemment un argument terrible peut arriver ! Que préférez-vous : un régime
autoritaire qui empêchera une catastrophe écologique majeure ou une
démocratie qui ne pourrait pas l’empêcher ? Evidemment on peut répondre une
démocratie qui l’empêcherait mais…on ne demande pas aux victimes et à leurs
proches. Pas plus d’ailleurs qu’on ne demande aux victimes du régime
autoritaire.
Mais réaffirmons, par principe, que la construction d’une politique
écologique doit se faire dans la démocratie.
Et réaffirmons aussi, par efficacité, qu’elle aura d’autant plus de chances
d’être et vraiment environnementale et véritablement mise en oeuvre si elle
est portée par le plus grand nombre possible de citoyen(ne)s.
Toutes les deux, démocratie et écologie, doivent s’interpeller, se compléter,
se soutenir, s’incliner l’une vers l’autre.
2-Une politique de responsabilité politique est mise en oeuvre dans certains
pays à travers des moyens d’action entre l’exécutif et le législatif.
Dans les régimes de séparation souple des pouvoirs la collaboration se fait le
plus souvent ainsi :
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Le moyen d’action essentiel du législatif sur l’exécutif c’est la mise en jeu de
la responsabilité collégiale du gouvernement à l’initiative des
parlementaires Le gouvernement est contraint de démissionner lorsqu’une
motion de censure est adoptée.
Les moyens d’action de l’exécutif sur le législatif s’appellent la dissolution par
le chef de l’Etat de la chambre élue au suffrage universel, la responsabilité
engagée par le gouvernement devant le parlement à travers la question de
confiance, enfin beaucoup plus fréquente que les deux procédures évoquées,
l’exécutif dispose du droit d’entrée et de parole au Parlement ainsi que
l’initiative législative et budgétaire.
3- Une politique responsable écologiquement doit se conduire dans une
démocratie dont la représentation doit s’améliorer.
« Nous continuons à prendre des vessies pour des lanternes et le système
représentatif pour la démocratie. Ce n’est qu’un leurre puisqu’une classe de
professionnels de la politique en profite pour confisquer la souveraineté du
peuple. Ce tour de passe-passe sera rendu impossible par l’autogestion. »
Ce jugement de Jacques Julliard (« Contre la politique professionnelle », Seuil,
1977) n’en appelle-t-il pas à une dé professionnalisation de la politique à travers
des moyens d’améliorer la démocratie représentative et à une mise en route vers
la démocratie participative ?
L’énumération indicative de moyens spécifiques tendant à améliorer la
représentativité du personnel politique :
Une plus grande ouverture de la politique aux femmes dans les institutions, les
grandes écoles, les partis politiques, les grands corps de l’Etat…Quelles
mesures ?
Quotas pour des élections, parité, autres mesures…Un rajeunissement de la
classe politique : limites du nombre de mandats, mise en place du mandat
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unique, raccourcissements de mandats, pratiques de conseils municipaux de
jeunes…
Le fait que ce sont les jeunes qui vont être en première ligne des
bouleversements environnementaux plaide en faveur d’un droit de vote à
quatorze, quinze ou seize ans. Mais ici et là les résistances seront nombreuses,
le droit comparé peut être précieux pour y voir plus clair.
Une lutte contre les inégalités dans l’accès à la vie publique et dans les
conditions d’exercice des mandats : droit à la formation, droit à la
réintégration dans l’entreprise, harmonisation des indemnités, limites des
indemnités que l’on peut percevoir…
Une « mixité sociale » dans les candidatures aux élections…
Une ouverture des cabinets ministériels à différents profils…
Enfin la remise en cause, partielle ou radicale, du cumul des mandats. Il
faut limiter des mandats dans le temps et l’espace. Là aussi le droit comparé sera
précieux.
Mais l’argument principal de part et d’autre est simple :
les uns affirment que le cumul permet aux fonctions de se renforcer,
les autres affirment que le cumul est une forme d’atteinte à la démocratie.
Dans une perspective générale la démocratie en appelle aux partages des
pouvoirs, des avoirs, des savoirs .
Le choix est donc clair : c’est celui des remises en cause des cumuls.
4- L’énumération indicative de moyens spécifiques tendant à améliorer le
système électoral.
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Ce sont les problèmes du financement des campagnes électorales et du
patrimoine des élus (transparence avant et à la fin du mandat), certains pays les
encadrent par des lois.
Ce sont les lois électorales : avantages et inconvénients de chaque système,
ainsi le système proportionnel est plus respectueux de la diversité d’opinions
politiques du corps électoral, il peut cependant déboucher sur des alliances
fragiles pour trouver des majorités. Certains proposent dans tel et tel pays, par
exemple en France, l’introduction de la proportionnelle, en tout ou partie
(« une dose de ») dans le mode de scrutin législatif.
5- L’énumération indicative de moyens généraux tendant à améliorer la
représentativité du personnel politique.
Comment à travers les médias lutter contre « l’Etat spectacle », le « paraitre »
(« Gouverner c’est paraitre ») et favoriser de véritables débats
contradictoires ?
Que proposent les partis politiques quant aux contenus de leurs programmes ? Y
a-t-il par exemple des propositions alternatives pour faire face au chômage en
liens avec les emplois créés pour la protection de l’environnement?
6- Des obstacles à surmonter pour avancer dans la démocratie
participative en particulier dans le domaine environnemental
Problème démographique : comment créer une démocratie participative dans
des pays très peuplés, dans de grandes villes ?
Problème politique : comment faire porter la concertation et le contrôle sur les
choix fondamentaux de société, par exemple les choix énergétiques ?
Problème technocratique : ne faut-il pas que les représentants politiques
gardent le pouvoir de décision et ne recueillent des experts que des avis
consultatifs ?
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Problème social : comment faire durer une démocratie participative alors que le
corps social bouge dans l’espace et dans le temps ?
Problème d’information : comment consacrer, quand çà n’est pas le cas, et
élargir quand il existe, le droit à l’information ? La Convention d’Aarhus de
1998 est un modèle dans le domaine de l’environnement. On peut souhaiter
aussi la création d’une institution indépendante mettant à la disposition des
citoyens les données des administrations, réfléchir davantage, à partir du droit
comparé entre les Etats, sur les données non accessibles au public.
7- Des moyens à mettre en oeuvre pour avancer dans la démocratie
participative en particulier dans le domaine environnemental.
Il faut ici développer le droit comparé en ce domaine, le référendum
d’initiative citoyen(ne)s est un exemple et pour les procédures et pour le
contenu et pour la portée qui l’accompagnent.
Les assemblées de citoyen(ne)s, les conférences de citoyens ou conférences
de consensus, les forums de discussion, les panels de citoyen(ne)s, les
conseils de quartier, les budgets participatifs, les enquêtes publiques,et
d’autres moyens politiques et juridiques existent ou peuvent voir le jour, le
droit comparé avec d’autres pays sera précieux là aussi. Ce sont autant de
procédures à créer et développer en matière environnementale.
Si l’expérience de la Suisse est connue pour les référendums, celle du
Danemark l’est moins pour les conférences de consensus qui existent depuis
1987.
Dans la trajectoire de ces pratiques danoises, pour la première fois à un niveau
international important, a vu le jour le premier Forum des citoyens le 26
septembre 2009 dans 38 pays. Des citoyen(ne)s, choisi(e)s à partir d’un panel
représentatif, placé(e)s dans les conditions d’un véritable débat, ont proposé des
recommandations sur une question, celle des changements climatiques.
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Renforcer la souveraineté directe du peuple n’est pas évident quant aux
moyens, c’est pourtant nécessaire. Appliquer la démocratie participative à
l’élaboration des lois, à l’application des politiques parait encore plus difficile
qu’à la gestion des collectivités territoriales, gestion elle aussi pourtant
primordiale.
D- LA PANOPLIE DES SANCTIONS POLITIQUES FACE A LA
DEBACLE ECOLOGIQUE
Quelle est la panoplie des sanctions politiques face
soit à des décisions environnementales contestables,
soit à des politiques environnementales inacceptables,
soit en l’absence de politiques environnementales ?
Nous avions dit , plusieurs fois dans les grands amphis de droit ou les petites
salles de master de droit de l’environnement , aux étudiants à partir de 1986
(juste après le drame Tchernobyl) que, si les logiques de destructions de
l’environnement continuaient ainsi, des mégapoles et de grandes villes seraient
désertées dans une cinquantaine d’années (2036) en particulier devant un air
devenu irrespirable et sous le poids des ordures ne pouvant plus être évacuées.
De même aujourd’hui en 2019 nous pensons que des gouvernements seront
renversés et des chefs d’Etat personnellement mis en cause face aux
apocalypses écologiques en route dans ces mêmes périodes où la plupart des
voyants de l’humanité seront passés au rouge, c’est-à-dire à partir
d’environ 2030. Des populations exigeront parfois un retour en arrière de
mise en cause de responsabilités pour d’anciens dirigeants encore en vie
qui seront alors jugés.
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Aujourd’hui on peut distinguer les sanctions institutionnelles (1)
et les autres sanctions qui peuvent prendre des formes très variables (2).
1-Les sanctions politiques institutionnelles
Les sanctions politiques institutionnelles s’appellent les élections, le
renversement par le parlement, le référendum, le procès.
a- Les élections, un moyen de sanction politique
Elles permettent de ne pas garder des équipes gouvernementales et des chefs
d’Etat considérés comme ayant échoué économiquement, socialement et
désormais écologiquement.
Les nouvelles élections peuvent permettre de prendre donc aussi en compte les
projets de politique environnementale des candidats.
b-La mise en cause de la responsabilité par le parlement
Le moyen d’action essentiel du législatif sur l’exécutif c’est la mise en jeu de la
responsabilité collégiale du gouvernement à l’initiative des parlementaires Le
gouvernement est contraint de démissionner lorsqu’une motion de censure est
adoptée.
Le moyen d’action de l’exécutif sur le législatif s’appellent la responsabilité
engagée par le gouvernement devant le parlement à travers la question de
confiance,
Il y a aussi des pays où le parlement peut être remis en cause ainsi par le droit
de dissolution de la Chambre des députés par le chef de l’Etat français.
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c- Le référendum , un moyen de sanction politique
Il faut ici développer le droit comparé en ce domaine, le référendum d’initiative
citoyen(ne)s est un exemple et pour les procédures et pour le contenu et pour la
portée qui l’accompagnent.
On peut aussi articuler le référendum fondé sur une initiative co- partagée, une
initiative populaire avec un certain nombre de citoyens et une initiative
parlementaire avec un certain nombre d’élus.
Pour ce qui est du contenu on peut introduire, si çà n’est pas le cas, le
domaine environnemental qui doit être entendu au sens large, ainsi par
exemple la politique énergétique qui doit être prise en compte.
d- L’intervention du juge, un moyen de mise en jeu de la responsabilité.
Les procès intentés par des ONG et des citoyens contre des Etats pour
inexécution de leurs engagements nationaux et internationaux sont une voie
ouverte en particulier par rapport aux changements climatiques.
Au sens propre c’est un moyen situé sur le terrain juridique, d’où son examen
dans la Vème partie. Mais nous voulions d’ores et déjà le souligner dans ce
développement, il fait aussi partie indirectement de cette panoplie de sanctions
politiques.
2- Les autres types de sanctions politiques
a- Des associations et des ONG porteuses de multiples résistances
22
Outre les moyens juridiques dont elles disposent les ONG ont surtout un rôle de
pression sur le pouvoir politique et d’autres acteurs tels que des entreprises.
Elles ont aussi un rôle de proposition d’alternatives environnementales.
Certaines ONG utilisent des moyens non-violents avec parfois une
désobéissance civile radicale, ainsi « Extinction Rebellion. »
b-Des jeunes dans des résistances face à l’inaction climatique
La grève étudiante pour le climat et la grève scolaire pour le climat devient un
mouvement international.
On quitte son université, son lycée, son collège un jour par semaine pour
participer à des manifestations en faveur d’actions contre le réchauffement
climatique.
Il s’agit d’une forme de conscientisation et de ceux et celles qui y participent et
d’une forme de pression sur des autorités.
c- Des moyens non-violents de plus en plus nombreux dans les résistances.
L’histoire de la non-violence, en partie méconnue, révèle l’efficacité de ces
méthodes d’action qui, comme le disait Jacques de Bollardière , « mobilisent
par delà le mépris, la violence et la haine. »
(Voir à ce sujet la revue opérationnelle « Non-violence Actualité », et la
remarquable revue « Alternatives non-violentes », directeur F Vaillant, ainsi que
les travaux, eux aussi remarquables, de l’Institut de recherche sur la résolution
non-violente des conflits-IRNC, créé par F. Marchand , JM Muller, C Mellon, J
Sémelin, C Delorme.)
Ces moyens reposent sur un cadre non-violent c’est-à-dire un respect de la
dignité humaine, une exigence de justice, une combativité positive (et non
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une agressivité) face au conflit. (J Sémelin, La non-violence expliquée à mes
filles, Seuil, 2000..
Cette méthode de règlement des conflits refuse la violence d’oppression dans
laquelle on impose sa loi, elle refuse la violence de soumission dans laquelle on
renonce à ce que l’on pense être essentiel. On cherche ensemble, dans le
respect des personnes et la confrontation, des solutions justes.
(JM Muller, Lexique de la non-violence, ANV,1998). Jacques Sémelin insiste
sur « trois principes majeurs : l’affirmation de l’identité du sujet résistant (…), la
non coopération collective(…), la médiatisation du conflit c’est à dire susciter la
constitution de « tiers » qui appuient sa cause. » (Jacques Sémelin, « Du combat
non-violent » dans l’ouvrage « Résister. Le prix du refus », sous la direction de
Gérald Cahen, éditions Autrement, Série Morales n°15,1994)
-La non-violence n’a pas le monopole de certains des moyens qui suivent,
par exemple les grèves et les pétitions ;
Ces moyens, énumérés à titre indicatif, font partie des pratiques
essentielles de l’action non-violente. Il s’agit , de façon non exhaustive, de la
non-coopération, la désobéissance civile (Alain Refalo, Les sources
historiques de la désobéissance civile, colloque Lyon 2006), l’obstruction nonviolente,
l’objection de conscience, la grève de la faim, la grève, le sit in
(s’asseoir sur la voie publique en particulier des places), le boycott, le refus de
l’impôt sur les armements, les pétitions…(JM Muller, Stratégie de l’action
non-violente, Seuil,1981).
Ces actions non-violentes de désobéissance civile sont et seront de plus en plus
mises en oeuvre pour soutenir la défense de l’environnement.
d-Des mouvements, laboratoires de résistance , dans le social et l’écologique
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On retrouve ici une fois de plus l’importance de la désobéissance civile.
(voir par exemple Albert Ogien et Sandra Laugier, respectivement sociologue
et philosophe, « Pourquoi désobéir en démocratie? »(2010) et « Le Principe
démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique. »(2014).)
A partir du mouvement des occupations de places en 2011 et « dans des formes
plus souterraines et invisibles d’action et de relations entre les personnes » les
auteurs pensent qu’une sorte de « démocratie sauvage »voit le jour.
Il n’y a pas de leader, de programme, d’objectif de prise de pouvoir mais
une « créativité politique de ces organisations collectives fondées sur les
principes de solidarité, de gratuité, d’autonomie ou qui instaurent des
modes de vie en rupture avec le productivisme, la hiérarchie » (…),
Dans ces lieux « le politique vivant parait avoir largué les amarres avec
la politique institutionnelle. »
Ces mouvements ne sont pas à sous-estimer, ce sont des laboratoires de
résistances, ce sont des formes de démocratie qui contribuent à des expressions
des citoyen(ne)s et qui les amènent à créer des lieux d’autres possibles.
d-Les mondes médiatiques et la protection de l’environnement
Chaines de télévision et réseaux sociaux sont présents par rapport à
l’environnement.
Il arrive souvent que ces deux séries de moyens reproduisent le système
productiviste en insistant sur les manifestations de la dégradation de
l’environnement et en faisant silence sur les véritables causes de la débâcle
écologique et les alternatives nécessaires.
Quant à la publicité elle incite souvent les téléspectateurs à plonger encore
plus dans les sociétés de consommation.
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Il arrive cependant que certaines chaines de télévision et des réseaux
sociaux avancent des analyses intéressantes et annoncent telle et telle action.
La pression sur le pouvoir politique peut alors être importante d’autant que
des journalistes d’investigation peuvent faire un remarquable travail de
mises à jour de scandales écologiques qui sans leurs interventions. resteraient
sous un linceul de silences et de complicités.
Tels sont les éléments des responsabilités politiques dans leurs rapports à
l’environnement.
Que peut-on dire des responsabilités juridiques et de l’environnement ? (V)
(Deux indications bibliographiques importantes :
« Refonder la démocratie », dossier avec les articles de Roger Sue, Pierre
Calame, Jacques Testart, Patrick Viveret, Jean Zin, Miguel Benasayag, Philippe
Merlant, Joêl Roman, Revue « Transversales« , n°2, 2ème trimestre 2002.
« Pour une 6e République écologique », sous la direction de Dominique Bourg
avec les contributions de Julien Bétaille, Loïc Blondiaux, Marie-Anne
Cohendet, Jean-Michel Fourniau, Bastien François, Philippe Marzolf, Yves
Sintomer , éditions Odile Jacob,2011.)