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DES IDEES, DES MOYENS, DES VOLONTES
FACE AUX CATASTROPHES ECOLOGIQUES
Intervention faite à l’ouverture du colloque international sur « Les
catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit »,
Limoges, 11,12, et13 mars 2009.Les actes du colloque ,sous la direction
de Jean-Marc Lavieille,Julien Bétaille et Michel Prieur , sont publiés aux
éditions Bruylant, 2011. Ce texte a été en partie réécrit pour les lecteurs
du site.Les noms des auteurs cités ont été écrits en bleu , façon de dire
combien ils ont accompagné et accompagnent nos pensées et nos
coeurs.
« Les catastrophistes sont ceux qui ferment les yeux sur les causes
des catastrophes et non pas ceux qui essaient d’avertir, de critiquer,
de proposer » écrivait François Partant.
Pendant cette intervention seront cités beaucoup de penseurs qui se
trouveront
ainsi parmi nous, avec eux nous pouvons toujours cueillir le souffle du
monde.
INTRODUCTION
Nous voici côte à côte : pourquoi et face à quoi ?
Côte à côte pourquoi ?
D’abord parce que nous sommes, d’une certaine façon, accompagnés
par le
cortège invisible ou visible jusqu’à l’insoutenable d’une partie des
souffrances
humaines, de la première à la dernière victime des catastrophes
écologiques.
Ensuite parce que les générations présentes devraient être – on en est
souvent
loin – fraternisées par les périls communs.
Enfin et surtout peut-être parce que, ensemble, nous voudrions essayer
de
contribuer à penser l’avenir comme horizon de responsabilité, voilà déjà
que
nous pouvons entendre les pas de ceux et celles qui vont nous suivre…
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Côte à côte face à quoi ?
Face à ces moments et à ces lieux où des bouleversements
environnementaux
tournent au désastre, basculent dans le drame.
Nous analyserons certainement, entre autres, la place, les causes, les
arrivées,
les effets de ces catastrophes écologiques.
Leur place est de plus en plus impressionnante à travers leur nombre,
leur
ampleur, leur accélération, leurs enchaînements, leurs interactions, à
travers
aussi cette urgence qui devient, au détriment du long terme, une
catégorie centrale
en particulier des mondes politique et médiatique.
Leurs causes sont de plus en plus complexes : ici des causes naturelles,

des causes humaines, mais depuis que les activités humaines sont
devenues
une force physique perturbatrice de la biosphère, des causes naturelles
et
humaines qui s’enchevêtrent de plus en plus.
Leurs arrivées sont de plus en plus annoncées : certes il y en a qui sont
imprévues ou imprévisibles, mais beaucoup sont probables ou
hautement probables
ou certaines. Ces arrivées peuvent se préparer sur de longues ou de
courtes périodes, l’événement sera brutal et plus ou moins terrible.
Les effets de ces catastrophes écologiques sont dramatiques en euxmêmes
à
travers les victimes, les souffrances physiques et morales des
survivants, les ravages
des destructions matérielles, culturelles, environnementales. Ils sont
dramatiques
aussi en termes d’inégalités criantes entre personnes, peuples, régions,
pays, continents par rapport aux préventions, aux secours et aux
réparations.
Mais au-delà de ces catastrophes certains, depuis longtemps, ont pensé
que
c’était aussi un système que l’on pouvait qualifier de catastrophique
parce que,
pour une large part, antisocial, antidémocratique, anti pacifique et anti
écologique.
Ce système productiviste autodestructeur et totalisant est entré dans une
crise écologique radicale depuis « l’anthropocène » vers 1850 et très
certainement
en 1945 au moment où la techno science met en place des forces qui
dans le
temps et dans l’espace dépassent totalement le vivant. Le lendemain
d’Hiroshima
Jean-Paul Sartre écrit : « Nous savons désormais que chaque jour peut
être la veille de la fin des temps. » Jean Rostand devant des survivants
de l’horreur
nucléaire dira : « La science a fait de nous des dieux avant que nous
méritions
d’être des hommes. Désormais tous les espoirs sont permis à
l’homme…
même celui de disparaître. »
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Ainsi, alors que ce système dans ses logiques autodestructrices peut
rouler
vers le chaos, n’est-il pas vital de se demander quelles idées, quels
moyens, portés
par des volontés, contribuent et pourraient contribuer à créer des contre
logiques,
des contre-mécanismes pour éviter de produire certaines catastrophes
écologiques et atténuer les effets de celles que l’on ne peut empêcher.
Mais pour cela le temps n’est-il pas compté ?
Nous envisagerons tour à tour deux séries d’analyses, les unes relatives
aux
idées (I), les autres relatives aux moyens (II) face aux catastrophes
écologiques.
Les analyses relatives aux volontés seront bien sûr présentes dans les
deux parties proposées.
I- QUELLES IDÉES FACE AUX CATASTROPHES ÉCOLOGIQUES
?
Lorsque le sol se dérobe à travers des événements personnels et/ou
collectifs
il y a souvent trois types de réactions : soit on ferme les yeux et c’est la
fuite
en avant, soit on cherche une branche à laquelle se raccrocher et c’est
le remède
miracle, soit on se sent incapable de faire face et c’est la résignation.
N’en va-t-il
pas ainsi par rapport aux catastrophes écologiques ? Quelles idées
peuvent
contribuer à y faire face ?
A. Face à la fuite en avant : l’idée de limites. Pour une pédagogie
des impasses.

  1. Quelle est la situation dominante ?
    Le poids des modes de vie sur l’environnement, très inégal en particulier
    selon les pays, est devenu de plus en plus écrasant. Il s’inscrit dans des
    logiques
    de fuite en avant.
    Ces logiques s’appellent : la recherche effrénée du profit, la course à la
    marchandisation
    du monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions
    terricides et humanicides, la croissance sacro-sainte, la vitesse facteur
    de
    répartition de richesses et de pouvoirs, la dictature du court terme, le
    vertige
    de la puissance, la compétition élevée au rang d’impératif naturel de nos
    sociétés,
    l’accélération d’un système porteur d’une crise du temps.
    Et puis, à travers une explosion démographique mondiale qui continue,
    cette fuite en avant c’est aussi celle de la machine à gagner fonctionnant
    comme
    une lame qui met d’un côté ceux et celles dont les besoins
    fondamentaux sont
    plus ou moins satisfaits et, de l’autre, ceux et celles dont les besoins
    fondamentaux
    restent criants.
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    Dès lors, il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de
    nombreux dénis personnels et collectifs de la réalité : on pense que la
    catastrophe ne
    se produira pas ou qu’on y échappera.
    Il n’est pas étonnant, non plus, que cette fuite en avant s’accompagne de
    silences et de mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle
    catastrophe
    écologique, ou même sur l’existence de certaines d’entre elles que l’on
    espère
    garder dans les secrets de la planète et qui peuvent constituer autant de
    bombes
    à retardement.
  2. Que penser et que faire face à cette situation dominante ?
    Face à cette situation dominante, voilà des limites nécessaires, voilà
    donc une
    pédagogie des impasses. Jacques Ellul demandait avec force : « Qu’estce
    qu’une
    société qui ne se donne plus de limites ? » Ivan Illich insistait sur le fait
    que
    « la crise obligera l’homme à choisir entre la croissance indéfinie et
    l’acceptation
    de bornes multidimensionnelles ». Cornelius Castoriadis en appelait à
    « nous défaire des fantasmes de l’expansion illimitée ».
    Cette idée de limites ne se traduit-elle pas par au moins trois principes ?
    Le principe de précaution dont la violation peut déboucher sur une
    catastrophe
    écologique. « Les sociétés humaines ne doivent mettre en oeuvre de
    nouveaux
    projets, produits et techniques, qu’une fois acquise la capacité d’en
    maîtriser les risques présents et futurs. »
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    Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en
    avant des
    gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation,
    leurs
    modes de vie, à brûler moins d’énergie pour adopter, diraient par
    exemple des
    économistes « objecteurs de croissance », des pratiques de frugalité, de
    simplicité,
    de décroissance. André Gorz écrivait : « Il est impossible d’éviter la
    catastrophe
    climatique sans rompre radicalement avec les logiques qui y mènent
    depuis cent cinquante ans. »
    Le principe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des
    modes
    de production et de consommation « sans prélèvements, sans déchets
    et sans
    rejets susceptibles de porter atteinte à l’environnement. » D’où
    l’existence de ces
    luttes pour développer des technologies propres, des énergies
    renouvelables et
    pour consacrer des éléments de l’environnement (par exemple l’eau)
    comme
    biens publics mondiaux ou comme patrimoine commun de l’humanité.
    Ces
    deux notions ne peuvent-elles pas contribuer à construire une certaine
    harmonie
    ou simplement une certaine cohabitation entre solidarité, liberté et
    sécurité ?
    Ne doit-on pas relier l’environnement au patrimoine mondial de
    l’humanité même si cette notion a subi un coup d’arrêt dans la
    Convention sur
    la diversité biologique puisque les États sont souverains sur leurs
    ressources
    naturelles. Il est cependant hautement souhaitable et encore possible
    que le
    potentiel de cette notion se déploie dans les décennies à venir. René-
    Jean
    Dupuy affirmait : « L’humanité doit elle-même jouir de droits faute de
    quoi les
    hommes perdraient les leurs. » D’où cette idée, en particulier de certains
    internationalistes,
    de refonder le droit international public sur une norme impérative
    de droit international général (jus cogens) qui serait celle de l’intérêt
    commun de l’humanité (1).
    Ces trois principes ne doivent-ils pas cohabiter avec le principe
    d’universalité? Comment penser l’universalité par rapport à l’écologie ?
    L’alternative, qui
    est aussi liée aux catastrophes écologiques, devrait être clarifiée. On
    peut en
    effet être frappé par le fait que beaucoup de citoyens, d’élus, d’auteurs
    n’arrivent
    pas à se situer par rapport à cette question vitale qui exige une réponse
    cohérente à la fois en termes d’universalité et de type de société. Une
    formulation
    de cette réponse par rapport à l’universalité et à l’écologie peut être la
    suivante : soit on renonce à l’universalité parce que, dit-on, si les pays
    en développement
    vont vers le même niveau de vie que les pays développés ce sera le
    chaos écologique pour tous et on justifie, on renforce des inégalités donc
    des
    violences structurelles ; soit on affirme l’universalité et on remet en
    cause la
    fuite en avant pour construire au Sud et au Nord de la planète des
    sociétés écologiquement,
    socialement et pacifiquement viables pour tous.
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    B. Face au grand remède miracle : l’idée d’utopies créatrices. Pour
    une pédagogie des responsabilités
  3. Quelle est la situation dominante ?
    C’est souvent celle d’un appel à un remède miracle qui, croit-on,
    empêchera
    la catastrophe.
    Ainsi la grande conférence miracle : certes 2009 était et 2015 sera une
    étape cruciale pour
    le climat, mais un nouveau protocole ne résoudra pas tout.
    Ainsi la grande technique miracle qui va mettre « la Terre à l’ombre » et
    sauver
    l’humanité de la catastrophe finale. Certes un projet de géo-ingénierie
    peut
    être important s’il est conçu comme une solution avec d’autres, s’il ne
    désengage
    pas de l’essentiel que devraient être les politiques de réduction massive
    des gaz à effet de serre, si les effets collatéraux sont dérisoires ou
    secondaires et
    si le processus est décidé démocratiquement. Dans le cas contraire, une
    fois de
    plus, on se retrouve dans des logiques scientistes et productivistes.
    Ainsi le grand remède miracle de la répression ou de l’élimination de
    victimes émissaires,
    par exemple dans le cadre de politiques sécuritaires les déplacés
    environnementaux
    seront considérés comme des catégories dangereuses que certains
    proposeront de
    parquer sur des plates-formes amarrées loin des côtes ou à la dérive
    dans les
    océans.
    Ainsi le grand remède miracle de l’homme providentiel : l’administration
    Obama
    semble (sous réserve de confirmation et d’inventaire) en route vers une
    certaine politique environnementale mais, par exemple, le complexe
    scientifico-militaro-industriel des États-Unis ,grand prédateur de
    l’environnement et qui est à l’origine de nombreuses catastrophes
    écologiques, a probablement encore de beaux jours devant lui.
    Page 7
  4. Que penser et que faire face à cette situation dominante ?
    Face à cette situation dominante, voilà des utopies créatrices, voilà donc
    une
    pédagogie des responsabilités. « L’utopie ou la mort » avertissait
    RenéDumont,
    « le principe de responsabilité » théorisait Hans Jonas.
    Cette idée d’utopies créatrices ne se traduit-elle pas par au moins trois
    principes ?
    Le principe de responsabilités communes mais différenciées : ainsi par
    rapport aux
    préventions, aux secours, aux réparations liés aux catastrophes
    écologiques,
    tous les acteurs, à tous les niveaux géographiques, ont des chemins à
    parcourir,
    mais ces responsabilités ne doivent-elles pas être assumées à la
    mesure de
    leurs pouvoirs et de leurs richesses ?
    Le principe de solidarité : « Il faut qu’une conscience écologique de la
    solidarité
    se substitue à la culture de compétition qui régit les rapports mondiaux »
    nous rappelle Edgar Morin. Par exemple entre les États, entre des ONG
    du
    Nord et du Sud, des solidarités sont à organiser pour mettre en oeuvre
    des
    moyens avant, pendant et après la catastrophe.
    Le principe d’humanité, c’est-à-dire la possibilité pour chaque être
    humain de
    disposer de l’essentiel, d’être libre debout et solidaire, bref d’avoir une
    vie digne.
    En ce sens, il existe des situations écologiques catastrophiques, même
    si elles
    ne constituent pas des catastrophes écologiques se produisant à un
    moment
    donné. Ainsi, l’absence d’accès à l’eau potable et l’absence d’accès à
    des
    sanitaires sûrs sont, avec les maladies qui les accompagnent, deux
    grandes causes
    de mortalité sur la planète, ce qui se traduit par plusieurs millions de
    victimes
    chaque année. Que dire ? Sûrement avec Albert Camus : « Il n’y a
    d’humanisme
    que celui des hommes révoltés. » Que dire mais surtout que faire ?
    C. Face à la résignation : l’idée de déterminations. Pour une
    pédagogie des volontés
  5. Quelle est la situation dominante ?
    C’est souvent celle de la fatalité devant des catastrophes passées,
    présentes
    et à venir. Ce sont des chemins de bonnes intentions pavés de
    renoncements
    successifs. Volontés de personnes, de peuples, des générations
    présentes,
    d’États, d’organisations internationales et régionales, d’organisations non
    gouvernementales, d’entreprises, de collectivités locales… volontés
    étouffées,
    dépassées, essoufflées.
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    Des volontés sont ou peuvent être étouffées par au moins six séries de
    mécanismes.
    Volontés étouffées par une éducation à la soumission, elle s’exerce à
    travers
    l’apprentissage de la soumission à de multiples hiérarchies, l’intégration
    de la
    fatalité, la déresponsabilisation, le discours-vérité auquel on doit se
    soumettre.
    Volontés étouffées par une éducation à la compétition qui met en avant
    le
    peloton de tête, le droit du plus fort, le culte de la croissance, en fait on
    étouffe
    des volontés qui pourraient aller dans le sens de la coopération, de la
    solidarité
    et on oriente la volonté vers l’obsession de la puissance.
    Volontés étouffées par l’administration des peurs, laquelle repose sur
    l’idéologie sécuritaire, le repli identitaire plus ou moins exacerbé, la
    fabrication
    de l’image des adversaires et des ennemis.
    Volontés étouffées par la fuite en avant qui est synonyme d’absence de
    prise
    de conscience des caractères destructeurs du productivisme, de
    dictature de
    l’instant consacré « au toujours plus ».
    Volontés étouffées, de façon très variable selon les lieux, par des
    oppressions
    politiques, économiques, sociales, culturelles.
    Volontés étouffées par des pratiques de règlement violent des conflits :
    violence
    d’oppression par laquelle on dicte sa loi, violence de soumission par
    laquelle on exerce une violence contre soi-même.
    Des volontés sont ou peuvent être dépassées par au moins cinq séries
    de mécanismes.
    Volontés dépassées par la complexité et la technicité du réel. La
    complexité
    est liée à un grand nombre d’acteurs, à des interdépendances entre les
    activités,
    les niveaux géographiques, à une quantité impressionnante de données
    fournies
    par de nombreuses disciplines. Cette complexité est niée par le discours
    vérité,
    par le discours sur le grand remède miracle, par le discours en vase
    clos.
    La technicité du réel est liée à la technique planétaire qui se répand, de
    façon
    inégale, à travers d’énormes complexes scientifico-technico-industriels, à
    travers
    l’appel aux experts, cette technicité fait sentir son poids dans les
    processus
    de décision.
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    Volontés dépassées par la rapidité du système international liée à
    certaines
    technologies, à l’omniprésence du court terme, à la banalisation de la
    vitesse.
    Volontés dépassées par la puissance des intérêts productivistes qui se
    traduit
    par de multiples concentrations d’avoirs, de pouvoirs et de savoirs.
    Volontés dépassées par l’absence de moyens ou des moyens souvent
    dérisoires
    pour remettre en cause le productivisme que ce soit par rapport à la
    dégradation de l’environnement, aux injustices, aux violences ou aux
    aspects
    autoritaires du système international.
    Volontés dépassées par l’arrivée de catastrophes qui peuvent briser,
    pour
    un temps plus ou moins long, des volontés, catastrophes dont on est loin
    de
    toujours tirer la pédagogie. Ainsi, des pédagogies des catastrophes sont
    ou
    absentes ou réduites à des effets d’annonce, ou dérisoires, ou sans
    véritables
    moyens. Et puis, à l’auberge de la décision, certains décideurs dorment
    bien et
    d’autres partent parfois sans payer l’addition.
    Des volontés sont ou peuvent être essoufflées par au moins quatre
    séries de mécanismes.
    Volontés essoufflées par la force de récupération du système
    productiviste,
    ce système peut récupérer des expressions et surtout des pratiques qui
    se voulaient
    différentes ou qui étaient en rupture avec lui.
    Volontés essoufflées par des échecs personnels ou collectifs pour
    changer
    l’ordre dominant et se changer soi-même en tant qu’acteur personnel ou
    collectif
    lorsque c’est nécessaire.
    Volontés essoufflées par le sentiment d’une petite avancée locale mais
    d’un
    statu quo global ou bien réciproquement.
    Volontés essoufflées par une érosion, un épuisement des motivations
    qui
    poussaient à agir.
  6. Que penser et que faire face à cette situation dominante ?
    Voilà les déterminations de différents acteurs qui sont synonymes de
    volontés naissantes, résistantes et à la recherche de nouveaux souffles.
    Voilà
    donc une pédagogie des volontés.
    Face à ces volontés étouffées que sont ou que peuvent être des
    volontés naissantes ?
    Au moins six contre-mécanismes répondent aux logiques d’étouffement
    des volontés.
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    Volontés naissantes à travers l’éducation à la résistance, c’est-à-dire la
    formation
    à l’esprit critique, à l’autonomie, à la prise de conscience des
    responsabilités
    personnelles et collectives.
    Volontés naissantes à travers l’éducation à la solidarité, cela à tous les
    niveaux géographiques et d’abord avec les plus faibles dans chaque
    société.
    Volontés naissantes à travers la découverte et la mise en oeuvre du
    principe
    de non-discrimination fondé sur le respect des différences.
    Volontés naissantes à travers la prise de conscience des aspects
    terricides et
    humanicides du système productiviste.
    Volontés naissantes à travers la gestation de libérations politiques,
    économiques,
    sociales, culturelles.
    Volontés naissantes à travers l’apprentissage (de la maternelle à
    l’université)
    du règlement non violent des conflits dans le respect des personnes et la
    recherche de solutions justes.
    Face à ces volontés dépassées que sont ou que peuvent être des
    volontés résistantes ?
    Cinq séries de contre-mécanismes sont nécessaires.
    Volontés résistantes à travers l’apprivoisement de la complexité, le
    contrôle
    des techniques.
    Volontés résistantes à travers l’élaboration de politiques à long terme.
    Volontés résistantes à travers les regroupements et les actions en
    commun
    de divers acteurs, à travers aussi une autolimitation mise en oeuvre par
    la
    minorité des habitants de la planète en situation de surconsommation.
    Volontés résistantes à travers la capacité de propositions relatives aux
    moyens de remettre en cause, ici et là, le productivisme.
    Volontés résistantes à travers une pédagogie des catastrophes
    répondant non
    seulement aux urgences mais s’attaquant aussi aux causes de ces
    catastrophes.
    Face à ces volontés essoufflées que sont ou que peuvent être des
    volontés à la recherche
    de nouveaux souffles ?
    Quatre séries de contre-mécanismes sont nécessaires.
    Volontés à la recherche de nouveaux souffles à travers des actes et des
    politiques
    par rapport aux faiblesses et aux contradictions du système.
    Page 11
    Volontés à la recherche de nouveaux souffles qui consistent à essayer
    de
    tirer de véritables leçons des échecs pour déterminer, si nécessaire, de
    nouvelles
    stratégies et de nouveaux moyens.
    Volontés à la recherche de nouveaux souffles en ne surestimant pas,
    mais
    aussi en ne sous-estimant pas, les avancées « du local » et celles « du
    global »
    sans oublier leurs interpellations réciproques qui peuvent voir le jour tôt
    ou
    tard.
    Volontés à la recherche de nouveaux souffles en cherchant en soi et
    avec les
    autres des motivations pour « rallumer la flamme » si elle a tendance à
    s’éteindre.
    Cette idée de détermination ne se traduit-elle pas par au moins trois
    principes ?
    Le principe de citoyenneté : « apprendre à nous considérer et à
    considérer tous
    les êtres humains comme des membres à part entière de la
    communauté
    humaine mondiale. » Le droit à l’environnement est une des expressions
    de cette
    citoyenneté. Celle-ci est relative aussi à l’absence de discriminations par
    rapport
    à l’assistance écologique et aux réparations des dommages, à l’absence
    aussi de discriminations médiatiques. Combien de victimes restent sous
    des
    linceuls de silence et d’abandon !
    Les principes d’unité et de diversité : il s’agit de respecter et de
    construire cette
    unité qui nous appelle à vivre ensemble. « Un seul monde ou aucun,
    s’unir
    ou périr » disait Albert Einstein. En même temps cette diversité nous
    enrichit.
    En ce sens, lutter contre les catastrophes écologiques c’est aussi
    sauvegarder
    la diversité des ressources génétiques. « L’uniformité uniformisante »
    était
    pour Kostas Axelos l’une des plus grandes catastrophes dans laquelle
    le monde
    s’engouffrait.
    Enfin le principe de subsidiarité n’est-il pas « une forme d’organisation
    des
    volontés » consistant pour chaque collectivité à respecter les principes
    évoqués
    ici, à prendre des initiatives et à avoir des marges de manoeuvres quant
    aux
    moyens ? (2)
    Page 12
    II- QUELS MOYENS FACE AUX CATASTROPHES ÉCOLOGIQUES ?
    Face aux catastrophes écologiques, ne faut-il pas resituer les moyens
    dans
    le temps, c’est-à-dire à travers le court et le long terme ? Ne faut-il pas
    les resituer
    sur les trajectoires d’amont en aval de la dégradation et de la protection
    de l’environnement ? Ne faut-il pas aussi s’interroger sur les articulations
    entre ces différents moyens ? Et de façon globale et plus radicale, ne
    faut-il pas
    se demander quelle est et quelle devrait être la place de ces moyens par
    rapport
    aux finalités ?
    A. Face à des moyens souvent à court terme et en aval : des
    moyens à court et long terme, en aval et en amont
  7. Quelle est la situation dominante ?
    Les moyens à court terme et en aval sont certes essentiels. Il est
    primordial d’essayer
    d’épargner des vies, de soulager des souffrances immédiates. Ces
    logiques de
    l’urgence sont celles de l’assistance humanitaire et de l’assistance
    écologique.
    On agit à court terme, dans les minutes, les heures, les jours qui suivent
    la
    catastrophe. On agit en aval du drame sur les effets de la catastrophe.
    L’urgence cependant ne peut pas être un substitut des politiques à long
    terme. En
    effet cette catégorie de l’urgence a tendance à devenir une catégorie
    centrale du
    politique.
    C’est l’urgence alibi. On affirme que l’on doit se consacrer à l’urgence et
    qu’on n’a donc pas le temps de s’occuper du long terme. C’est là une
    erreur :
    moins on s’occupe du long terme plus on est noyé sous l’urgence.
    C’est aussi l’urgence substitut. On affirme qu’elle est une sorte de
    première
    étape d’une politique à long terme et en amont. C’est là une autre erreur
    : pour
    reconstruire du sens, il ne faut pas confondre l’urgence et une politique
    de
    prévention planifiée dans le temps.
    C’est enfin l’urgence dictature de l’instant. Jean Chesneaux affirmait :
    « Nous sommes à la fois obsédés du temps présent et orphelins du
    temps à
    venir ». On pourrait aussi ajouter trop oublieux du temps passé.
    Reconquérir
    le temps de façon personnelle et collective n’est-ce pas établir un
    dialogue
    entre un présent agissant, un passé comme expérience et un avenir
    comme
    horizon de responsabilité ? N’est-ce pas prendre en compte ces trois
    dimensions
    des moyens face aux catastrophes écologiques : recenser et tenir
    compte
    de certaines leçons du passé, soulager les souffrances immédiates du
    présent et
    agir sur les causes pour les réduire ou les faire disparaître dans l’avenir.
    Page 13
  8. Que penser et que faire face à cette situation dominante ?
    « Voir loin et clair » disait Théodore Monod. Quels sont donc à titre
    indicatif
    les moyens à court terme et à long terme, en aval et en amont, qu’il faut
    créer quand ils n’existent pas et développer quand ils existent ?
    Quels moyens à court et à long terme ?
    Des moyens à court terme : les prévisions à court terme (par exemple
    par
    rapport aux séismes majeurs qui menacent des mégapoles), les
    formations et
    les simulations de secours, l’organisation d’une assistance humanitaire
    et écologique
    locale, nationale, continentale, internationale qui soit massive, rapide,
    multiforme et puissamment financée. Quel écoeurement par exemple
    devant
    ces milliers d’hélicoptères disponibles dans le monde, alors que des
    victimes
    meurent sous un ciel désespérément vide. Merci à certaines
    souverainetés
    étatiques : le droit d’être secouru vous l’assassinez !
    Des moyens à long terme : certainement, en autres, les créations de
    fonds
    internationaux basés sur des écotaxes, la création aussi d’une
    Organisation
    mondiale de l’environnement dont deux des organes opérationnels
    s’appelleraient
    l’Agence mondiale d’assistance écologique et l’Organisation mondiale
    des déplacés environnementaux.
    Quels moyens en aval et en amont ?
    Des moyens en aval : entrer dans de véritables indemnisations des
    dommages
    écologiques, organiser massivement la restauration de régions
    profondément
    dégradées.
    Des moyens en amont : organiser et appliquer des plans de prévention,
    par
    exemple de risques technologiques, appliquer aussi le principe 8, le plus
    radical
    de la Déclaration de Rio de 1992, en continuant à le faire migrer, pour
    qu’il
    soit juridiquement contraignant, dans des conventions, des législations,
    des
    constitutions, principe consistant « à réduire et éliminer des modes de
    production
    et de consommation non viables ».
    Page 14
    La seconde partie du principe 8 est presque toujours passée sous
    silence, il
    est vrai que sa rédaction diplomatique n’a rien de radical : « Afin de
    parvenir à
    un développement durable et à une meilleure qualité de vie pour tous les
    peuples,
    les États devraient promouvoir des politiques démographiques
    appropriées ». On est loin de l’interpellation de Claude Lévi Strauss qui,
    avec
    d’autres, a toujours dénoncé « la furieuse explosion de notre espèce ».
    En une
    seule journée de 2013, l’accroissement de la population mondiale (c’està-
    dire la différence
    entre les naissances et les décès) est de l’ordre de 225 000 personnes.
    Est-ce
    que cela n’est pas une des logiques de l’aggravation des causes et des
    effets
    des catastrophes écologiques ?
    B. Face à des moyens souvent désarticulés : des moyens prenant
    en compte des interdépendances
  9. Quelle est la situation dominante ?
    De nombreuses désarticulations entre les disciplines. Ainsi, on isole
    souvent les
    domaines du savoir sans les associer, c’est la clôture des disciplines,
    c’est leur
    isolement. La globalité des problèmes est de plus en plus difficile à
    saisir, on
    perd le sens des ensembles. Imaginons tout le temps qui aurait été
    gagné si le
    Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat avait été
    créé
    bien avant 1988.
    De nombreuses désarticulations aux divers niveaux géographiques.
    Ainsi, pendant
    une catastrophe, en l’absence de coordination, chacun ignore plus ou
    moins ce
    que font les autres et l’assistance peut être confuse sous de multiples
    formes.
    L’organisation des secours internationaux ne respecte pas toujours le
    rôle
    prioritaire des autorités nationales et locales, des actions internationales
    nombreuses
    peuvent entraîner une coordination difficile, des secours internationaux
    peuvent avoir leurs actions entravées par des obstacles juridiques trop
    contraignants ou bien, à l’autre extrême, une absence de législation peut
    laisser
    des vides dans l’organisation des secours… Comment arriver à articuler
    les
    niveaux locaux, nationaux, continentaux et internationaux des opérations
    ?
    Page 15
    De nombreuses désarticulations entre les activités humaines. Par
    exemple, on ne
    prend que peu, ou mal, ou pas du tout en compte les liens entre la paix
    et
    l’environnement. Les atteintes à la paix sont porteuses d’atteintes à
    l’environnement
    à travers les armements qui sont consommateurs de matières premières
    et d’énergie, les conflits armés qui sont porteurs de drames écologiques,
    à
    travers les préparatifs de la guerre, les manipulations de
    l’environnement, les
    effets directs de ces conflits sur la nature. Il existe aussi des liens entre
    le
    domaine civil et le domaine militaire (pesticides et armes chimiques,
    nucléaire
    civil et armes nucléaires), ces liens souvent étroits ne favorisent pas la
    protection
    de l’environnement. Enfin, les budgets d’armement ne sont-ils pas une
    des causes de la pénurie des moyens pour sauver la planète ?
    D’autre part, les atteintes à l’environnement sont porteuses d’atteintes à
    la
    paix. Les causes environnementales existent pour certains conflits
    armés.
    Ainsi, des fleuves internationaux mal gérés du point de vue de
    l’environnement
    peuvent devenir autant de lieux de conflits entre États riverains.
  10. Que penser et que faire face à cette situation dominante ?
    Créer et développer des interdépendances entre les disciplines. La
    pensée écologisée
    permet et permettra de mieux comprendre en particulier les catastrophes
    écologiques.
    C’est par exemple le remarquable Groupe d’experts intergouvernemental
    sur l’évolution du climat.
    Créer et développer des interdépendances entre les niveaux
    géographiques. Ainsi, la
    XXXe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-
    Rouge a
    adopté en novembre 2007 des lignes directrices (juridiquement non
    contraignantes)
    relatives « à la facilitation et à la réglementation nationales des
    opérations
    internationales de secours », c’est un progrès, mais il faut encore et
    encore penser ces interdépendances.(3)
    Créer et développer des interdépendances entre les activités humaines.
    Par exemple,
    la nature a besoin de la paix. La guerre qui est, écrivait René Cassin, «
    la négation
    même de l’existence de l’homme » exerce une action destructrice sur
    l’environnement. Réciproquement, la paix a besoin d’une gestion juste,
    écologique,
    démocratique et pacifique de la nature.
    Page 16
    On pourrait aussi souligner les interdépendances entre le libre-échange
    et
    l’environnement : comment arriver un jour à subordonner le premier au
    second pour éviter certaines catastrophes écologiques et sanitaires ? Il
    est vrai
    qu’il s’agit ici de la puissance du marché mondial, ce qui nous renvoie
    aux rapports
    entre les moyens et les fins.
    C. Face aux confusions entre les moyens et les fins :des moyens au
    service des fins
  11. Quelle est la situation dominante ?
    Le système productiviste contribue aux confusions entre les moyens et
    les
    fins. Cela signifie que les fins, c’est-à-dire les acteurs humains en
    personnes, en
    peuples, en humanité, sont plus ou moins ramenés au rang de moyens,
    plus ou
    moins domestiqués comme consommateurs, expropriés comme
    producteurs,
    dépossédés comme citoyens, « marchandisés » comme êtres vivants…
    Cela signifie
    aussi que les moyens, en particulier la techno science et le marché
    mondial, ont
    tendance à se transformer en fins suprêmes.
  12. Que penser et que faire face à cette situation dominante ?
    « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence »
    écrivait
    Gandhi.(4)
    Du point de vue des fins : il s’agit de consacrer encore mieux et à tous
    les
    niveaux géographiques les libertés, les égalités, les solidarités. Il s’agit
    aussi de
    les faire respecter. Les fins ce sont des êtres humains et des peuples
    libres,
    debout et solidaires.
    Du point de vue des moyens : il s’agit de ramener à leur place la
    technoscience
    et le marché mondial.
    Ramener la techno science à sa place cela signifie non seulement
    orienter
    des recherches et des techniques contribuant à lutter contre des
    catastrophes
    écologiques, mais aussi créer et développer des verrous juridiques fixant
    des
    limites à la liberté de la recherche lorsqu’elle porte atteinte à l’intérêt
    commun
    de l’humanité. Ainsi, tabou des tabous, devraient être interdites les
    recherches
    sur les armes de destruction massive porteuses de catastrophes
    écologiques et
    sanitaires dans lesquelles les survivants envieraient les morts.
    Page 17
    Ramener le marché à sa place, cela signifie non seulement construire
    une
    économie plurielle dans laquelle le marché n’est que l’un des éléments,
    mais
    aussi créer et développer des verrous juridiques contribuant à limiter le
    marché,
    ainsi des interdictions de constructions nouvelles dans des zones à
    risques.
    Telles sont ces idées fortes : penser et mettre en oeuvre des limites au
    coeur des
    activités humaines à travers une pédagogie des impasses. Penser et
    mettre en
    oeuvre des utopies créatrices à travers une pédagogie des
    responsabilités. Penser
    et mettre en oeuvre des déterminations à travers une pédagogie des
    volontés.
    Ces trois pédagogies, celle des impasses, celle des responsabilités et
    celle des volontés
    forment ensemble ce que l’on peut appeler une véritable pédagogie des
    catastrophes.
    Tels sont ces moyens essentiels : à court et à long terme, en aval et en
    amont,
    prenant en compte des interdépendances entre disciplines, niveaux
    géographiques
    et activités humaines, des moyens véritablement au service des fins,
    c’est àdire
    des êtres humains.
    Portés par des volontés, ces idées et ces moyens peuvent fonctionner
    comme un couple porteur dont les deux éléments s’encouragent, se
    complètent,
    se limitent, s’inclinent l’un vers l’autre.
    Page 18
    REMARQUES TERMINALES
    Trois réflexions pour terminer, l’une sur le sens de l’abîme, l’autre sur le
    souffle d’une espérance possible et la dernière… sur le bord du chemin.
    Le sens de l’abîme.
    Certains d’entre nous, beaucoup peut-être, se retrouveront dans cette
    pensée très connue d’Antonio Gramsci : « Il faut avoir à la fois le
    pessimisme
    de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. »
    Oui, probablement, mais l’optimisme de la volonté il en faut beaucoup,
    non seulement parce qu’il réduit à la cuisson mais, surtout parce que
    le pessimisme de l’intelligence a une réserve redoutable. Il trouve de
    quoi
    s’alimenter dans l’accélération de ce système productiviste
    autodestructeur
    qui a quelque chose d’incontrôlable, un système, diraient même
    certains,
    devenu fou et dont nous ne serions plus que les fous d’un fou. En effet, il
    faut du
    temps, même si des événements tels que des crises ou de grandes
    crises
    peuvent accélérer des prises de conscience, des réformes, voire des
    remises
    en cause de théories et de pratiques, il faut du temps pour que ces
    idées et d’autres, ces moyens et d’autres, portés par des volontés aux
    différents
    niveaux géographiques, à travers des rapports de forces, voient le
    jour, grandissent et deviennent de véritables contre-logiques, contre
    mécanismes
    pour construire des sociétés viables.
    Et on peut avoir l’impression profonde de se trouver souvent, d’une
    part, devant la construction difficile de digues fragiles de la protection
    de l’environnement et de la lutte contre les catastrophes écologiques et,
    d’autre part, devant l’arrivée, sans cesse renouvelée, de puissants
    fleuves
    de la dégradation de l’environnement et de catastrophes écologiques
    passées, présentes et vraisemblablement surtout à venir.
    Page 19
    Le souffle d’une espérance possible.
    Voilà donc ces moments où il peut ne plus y avoir d’espoir et où, si on en
    trouve la force, il faut commencer à espérer.
    Ces moments existent, entre autres, au coeur de catastrophes
    écologiques.
    Voilà des survivants, une personne, une famille, la population d’un
    village,
    d’une ville, qui trouvent des forces au-delà de leurs forces et qui arrivent
    à se
    remettre debout. Pablo Neruda fait dire à tous les peuples qui sombrent
    dans
    les drames, à tous les peuples martyrs de notre Terre, dans un cri
    terrible :
    « Aucune agonie ne nous fera mourir ! »
    Ainsi, quand elles existent, les ténèbres ou l’obscurité de l’instant
    peuvent
    aussi être replacées sur les chemins de l’espérance qui accompagne les
    êtres humains
    et que porte l’humanité.
    L’espérance de l’humanité, ça n’est pas une illusion vaporeuse,
    fumeuse, ça
    n’est pas un lot de consolation distribué par les maîtres aux esclaves, ça
    n’est
    pas le camouflage d’un gigantesque cimetière des rêves trahis et des
    espoirs
    déçus.
    L’espérance de l’humanité, ce sont les vies de ceux et celles qui nous
    ont précédés à
    travers ces témoins d’humanité, connus et inconnus, luttant contre les
    forces
    de mort, c’est ce patrimoine culturel qu’ils nous laissent avec une
    immense
    chance, un immense bonheur de le découvrir et de le partager.
    L’espérance de l’humanité, ce sont les vies de générations présentes
    qui, si elles arrivent
    à mettre en oeuvre des moyens démocratiques, justes, pacifiques et
    écologiques
    porteront un projet d’humanité, qui les portera alors à son tour.
    L’espérance de l’humanité ce sont les vies de ceux et celles qui vont
    nous suivre et qui
    peuvent nous dire : notre confiance en vous, nous la risquons encore et
    encore.
    Essayez aussi, nous vous les prêtons, d’aimer le monde avec les yeux et
    les
    coeurs de ceux et celles qui ne sont pas encore nés, et puis n’oubliez
    pas
    de nous laisser des marges de manoeuvres pour devenir ce que nous
    voudrons être.
    Ainsi à travers le temps, les vies, nos vies, « anneau après anneau,
    maille après
    maille » finiront peut-être par accoucher de milliards de petits soleils (en
    tous
    les cas bien avant que notre Soleil ne s’éteigne).
    Page 20
    Une invitation à l’essentiel.
    S’il y a le sens de l’abîme,
    s’il y a le souffle d’une espérance possible, n’y a-t-il
    pas aussi, tout simplement, une invitation à l’essentiel, par exemple celle
    exprimée par un peuple au coeur d’une catastrophe écologique, à
    travers cette
    chanson du peuple inuit :
    « Et pourtant, pourtant : il y a une chose qui est grande
    C’est, dans la cabane, sur le bord du chemin,
    De voir venir le jour, le grand jour
    Et la lumière qui emplit le monde. »
    JML
    Notes
    (1) Monique Chemillier-Gendreau, Humanité et souverainetés, La
    Découverte, 1995. René-Jean Dupuy, La clôture du système
    international, PUF, 1989.
    (2) Fondation pour le progrès de l’homme, « Pour un monde solidaire et
    responsable », Le
    Monde diplomatique, avril 1994, pp. 16 et 17. Il s’agit d’une plate-forme
    remarquable sur les
    éléments de diagnostic, les principes communs, l’esquisse d’une
    stratégie d’action en particulier sur l’articulation des niveaux
    géographiques et sur des programmes mobilisateurs.
    J’ai souvent dit aux étudiants que ces deux pages devraient être
    affichées, discutées et méditées dans toutes les universités de la
    planète.
    (3)XXXe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant
    Rouge, novembre 2007, présentation des lignes directrices, Document
    de la Fédération internationale, 2008.
    (4)Jean-Marc Lavieille (sous la direction de…), Conventions de
    protection de l’environnement, Pulim, 1999, voir en particulier les
    rapports entre les moyens et les fins pp. 471 à 490.