Introduction
Deux bouleversements en liens avec les générations futures
Il y a près de cinquante ans, quand je commençais l’enseignement et la recherche, les
générations futures étaient perçues le plus souvent comme une nébuleuse lointaine et
c’étaient surtout des personnes âgées qui parlaient de fuite rapide du temps.
Deux bouleversements très impressionnants se sont produits ensemble, j’ai commencé à les
prendre en compte il y a quarante ans au début du cours que j’assurais en droit international
de l’environnement : une perception de plus en plus rapprochée des générations futures,
une accélération de l’ensemble du système mondial. En ce premier avril on peut entendre
un nouveau-né qui chante : « Attention ! / Nous voilà/ çà passe vite !/ ».
Si l’on veut essayer d’avoir une vision globale, critique et prospective des générations
futures ne faut-il pas nous interroger sur nos rapports avec elles (I) ?
Ne faut-il pas se demander si une vision de la fraternité trans générationnelle ne peut
pas être porteuse, laquelle et comment ? (II)
Générations futures : nos rapports avec elles ( I )
Est-ce que, face aux générations futures, quatre questions au moins ne nous sont pas posées :
A- Que répondre à diverses formes d’indifférences par rapport aux générations
futures ?
B-Comment les générations futures peuvent-elles être menacées par notre dictature du
court terme et certains effets incommensurablement longs du productivisme ?
C-Quels sont les liens entre, d’une part, les générations futures, passées, présentes et,
d’autre part, l’espérance de l’humanité ?
D-Quel peut être notre souffle, quel peut être mon souffle dans cette chaine des
générations ?
A- Que répondre à diverses formes d’indifférences par rapport aux
générations futures ?
« Après nous le déluge ! »,
« Je n’en ai rien à faire, occupons-nous des vivants ! »,
« Pourquoi épiloguer sur ce qui n’existe pas ? »
« Elles devront faire face comme nous l’avons fait, c’est leur affaire. »
« Il y a ceux et celles qui doivent s’occuper de leurs fins de mois, il y a ceux et celles qui
ont le temps et le luxe de pouvoir s’occuper de fins du monde!».
Un humoriste se demandait : « Pourquoi faudrait-il que je me préoccupe des générations
futures ? Ont-elles une seule fois fait quelque chose pour moi ? »
Indifférences dans les pensées et les actes dont nous pouvons être les témoins ou les
acteurs…
Que répondre ?
1- Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les générations
passées se sont intéressées à vous ?
Est-ce qu’elles ont contribué à inspirer, préparer, construire tel ou tel aspect de vos vies ?
De quelles libérations, de quelles chances, et /ou de quelles difficultés, de quelles
aliénations ont-elles été porteuses ?
2-Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les générations
présentes s’intéressent à vous ?
Est-ce qu’elles contribuent dans vos vies à des solidarités, des coopérations porteuses de
fraternité, de bien-être et /ou, au contraire, à des compétitions, des fuites en avant, des formes
de mépris porteuses de difficultés, de souffrances ?
3-Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les générations
futures s’intéresseront à vous ?
Serez-vous encore, pour quelque temps, sur les lèvres et dans les coeurs des vivants? Mais,
surtout, l’avenir de vos petits-enfants aura-t-il dépendu en partie de vous, sous quelles
formes ?
Ne pas faire aux générations futures ce que l’on ne voudrait pas qu’elles nous fassent.
Devons-nous (éthique), voulons-nous (volontés politiques), pouvons-nous (marges de
manoeuvres) faire en sorte qu’elles soient sujets de leurs propres vies et non objets des
vies de générations qui n’auront pas su être aux rendez-vous de leurs
responsabilités personnelles et collectives?
4- A vrai dire le système productiviste ne s’ intéresse guère aux générations futures, dans
ses logiques terricides et humanicides il ne laisse que peu de temps et de moyens à la plupart
des personnes pour y réfléchir, pour « habiter le temps » comme l’écrivait Jean Chesneaux .
Comment arriver, noyés dans les difficultés ou les drames du présent, dépassés par
l’accumulation des problèmes et l’accélération du temps, comment arriver à établir des
ponts, des liens entre « le passé comme expérience, le présent comme agissant et l’avenir
comme horizon de responsabilité »?
B- Comment les générations futures peuvent-elles être menacées par notre
dictature du court terme et par certains effets incommensurablement longs du
productivisme ?
1-La priorité du court terme est synonyme de dictature de l’instant
Elle se fait au détriment d’élaboration de politiques à long terme qui soit ne sont pas
pensées en termes de sociétés humainement viables, soit ne sont pas mises en oeuvre et
disparaissent dans les urgences fautes de moyens et de volontés.
On nous affirme que l’on ne peut pas s’occuper du long terme parce que nous sommes noyés
dans les urgences, c’est là un mensonge et/ou une erreur : c’est pour une large part parce
que nous n’avons pas construit de politiques à long terme que nous sommes noyés dans
les urgences.
Il faut donc et répondre aux urgences et construire des politiques à long terme, ainsi par
exemple des créations massives d’emplois dans l’environnement peuvent pour une part venir
des luttes contre les changements climatiques, 2019 a ainsi de multiples liens avec 2100.
Dans un raccourci parlant, faisant parfois l’objet de slogans, nous pourrions affirmer ce
que nous disions dans le cours de « grands problèmes politiques contemporains » il y a
quarante quatre ans : « il faut répondre et aux fins de mois et aux fins du monde. », le
productivisme et ses ravages à court et long termes était déjà là.
2- Certains mécanismes ont des conséquences bien au-delà du long terme, sur des
échelles de temps incommensurablement longues.
Dans cette course au profit, dans ce système le marché et la techno science tendent à
occuper toute la place.
–C’est ici qu’est posée la question de la consécration des crimes contre le droit à
l’environnement des générations futures.
Ainsi lorsqu’il y a une irréversibilité de l’enfouissement des déchets radioactifs on peut
affirmer que cette pratique est contraire au droit de l’humanité à l’environnement. C’est un
crime qui a très certainement une spécificité, celle d’effets environnementaux et
sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le temps.
Des personnes physiques et morales responsables pourraient être condamnées. On pourrait
imaginer aussi une condamnation symbolique morale des générations présentes pour nonassistance
à générations futures en danger. Tout cela reste à penser puis à préciser. Il est déjà
tard mais sans doute encore temps.
-C’est ici qu’est posée aussi la question de la consécration des crimes contre le droit à la
paix des générations futures.
En élargissant le domaine de la paix qui est aussi celui du droit à la sécurité et du droit au
désarmement pour les générations futures. Ainsi les recherches (qui ne sont à ce jour, avril
2019, jamais interdites par les traités internationaux, exceptionnellement dans un traité sousrégional),
la mise au point, la fabrication, l’utilisation, le commerce des armes de destruction
massive existantes (nucléaires, biologiques, chimiques) et à venir devraient être qualifiés de
crime contre la paix des générations présentes, des générations futures et du vivant.
C’est un crime qui, comme le précédent, a très certainement une spécificité, celle d’effets
environnementaux et sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le temps. On
détruit la sécurité, la liberté de choix, la vie de générations futures.( Voir : Les recherches
scientifiques sur les armes de destruction massive : des lacunes du droit positif à une
criminalisation par le droit prospectif, intervention au colloque international du « Réseau
droit, sciences et techniques »(RDST), mars 2011 à Paris, J. Bétaille, S.Jolivet,J.M.Lavieille,
D.Roets, in Droit, sciences et techniques :quelles responsabilités ? Editions LexisNexis,
2011.)
–C’est ici qu’est posée également la question du respect des générations futures par rapport
non pas aux recherches sur le génome humain qui peuvent être oh combien porteuses, mais
sur certaines dérives de recherches qui porteraient atteinte à la dignité des générations
futures. L’article 10 de la Déclaration universelle sur le génome humain du 11 novembre
1997 est le suivant « Aucune recherche concernant le génome humain, ni aucune de ses
applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la génétique et de la
médecine, ne devrait prévaloir sur le respect des droits de l’homme, des libertés
fondamentales et de la dignité humaine des individus ou, le cas échéant, de groupes
d’individus. » Il convient donc de partir de cette base dans un texte consacré aux droits des
générations futures, ainsi « Aucune recherche concernant le génome humain, ni aucune
de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la génétique et de
la médecine, ne doit porter atteinte au respect des droits des générations présentes et
futures. »
(Pour d’autres exemples voir par exemple le site « generations-futures.fr » qui porte entre
autres sur les pesticides.)
C-Quels sont les liens entre les générations futures , passées , présentes et
l’espérance de l’humanité ?
1- Ce que n’est pas l’espérance de l’humanité
L’espérance de l’humanité n’est pas une illusion fumeuse, une incantation magique, une
représentation impossible, une nébuleuse floue, une étoile inaccessible, l’occasion d’un
exercice de trémolos dans la voix ou un gadget pour idéaliste …
Elle n’est pas non plus un refuge à l’abri du présent, une fuite des responsabilités, un mythe
d’une communauté unanime, une forme d’appel à la bonne conscience, un immense cortège
ne distinguant plus les responsables et les victimes, un souci de luxe de fins du monde loin
des fins de mois, un lot de consolation distribué par les maitres aux esclaves ou le
camouflage d’un gigantesque cimetière des rêves trahis et des espoirs déçus…
2-L’espérance de l’humanité n’est-elle pas celle des vies passées, présentes, futures ?
L’espérance de l’humanité pour des croyants c’est celle d’un dieu qui n’abandonne pas les
êtres humains, qui les aime et les appelle à aimer. Il y a aussi une autre façon de la concevoir
et de la vivre, soit complémentaire soit exclusive de la précédente.
On peut affirmer alors que l’humanité s’incarne à travers les temps et les
lieux.L’humanité est à la fois et tour à tour un héritage, un temps présent, une
promesse.Ainsi l’espérance de l’humanité
-ce sont les vies de ceux et celles qui nous ont précédés à travers ces témoins d’humanité,
connus et inconnus, luttant contre des forces de mort, c’est ce patrimoine culturel qu’ils nous
laissent avec une immense chance, un grand bonheur de le découvrir et de le partager,
-ce sont les vies de ceux et celles qui sont présents aujourd’hui, ces générations vivantes
qui, si elles arrivent à penser et à mettre en oeuvre des moyens démocratiques, justes,
écologiques et pacifiques, porteront un projet d’humanité, alors, oui, il les portera à son tour,
-ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et qui peuvent nous dire : notre
confiance en vous nous la risquons à nouveau. Essayez, nous vous les prêtons, d’aimer le
monde avec les coeurs et les esprits de ceux et celles qui vont arriver, et puis laissez-nous la
liberté de devenir ce que nous voudrons être.
Pablo Neruda fait dire à tous les peuples martyrs « Aucune agonie ne nous fera mourir. » Cri
de grande douleur, de résistance et d’espoir fou ! La douleur peut nous casser, la fraternité
peut, encore et encore, contribuer à nous mettre debout. Ainsi, tant que dureront les êtres
humains, l’espérance de l’humanité n’est-elle pas inépuisable ?
D- Quel peut être notre souffle, quel peut être mon souffle dans cette chaine des
générations ?
Nous entendons encore les pas de ceux et celles qui viennent de nous quitter, nous entendons
déjà les pas de ceux et celles qui vont nous suivre.
1- Ne sommes-nous pas comme les maillons d’une gigantesque chaine ?
Générations présentes nous voilà responsables de la transmission du patrimoine
commun de l’humanité. Cet immense héritage est à la fois un donné et un projet. Ce
patrimoine commun et ces biens communs passent par nous, ils devraient nous porter au-delà
de nous-mêmes.
L’humanité s’incarne à travers le temps, elle peut contribuer à nous transformer
personnellement et collectivement, cela à travers des remises en cause de rapports de forces
et à travers des pédagogies de catastrophes.
Pour résister à l’intolérable et pour construire un monde démocratique, juste,
écologique, pacifique, le souffle de ceux et celles qui nous ont précédés et celui de ceux et
celles qui vont nous suivre peuvent contribuer à nous porter, mais c’est notre souffle,
celui des vivants que l’on attend. Et c’est notre souffle qui nous attend.
2- Et mon souffle dans cette chaine ?
Et mon humanité ? Ne sera-t-elle pas d’autant plus vivante que la voilà partie
prenante (« un sac pour recevoir ») et donnante (« un sac pour donner ») dans la chaine
des générations ?
Ne peut-elle pas contribuer à me transformer ? Plus nous portons un projet d’humanité plus
il peut nous porter à son tour.
Serons-nous, personnellement et collectivement, indifférents, tièdes, somnolents,
désenchantés, résignés
ou voulons-nous devenir des veilleurs debout ?
Lorsque, dans nos vies personnelles et/ou collectives, existent la grisaille, les brouillards,
les ombres, l’obscurité ou les ténèbres de certains instants présents, ne pouvons-nous pas
essayer, autant que faire se peut ( ?!…), de les resituer dans la perspective de l’espérance de
l’humanité ? Difficile à exprimer, mais encore beaucoup plus difficile – ou parfois
impossible- à vivre, et pourtant ce peut être une force et une chance que celle d’entrer dans
cette espérance de l’humanité.
Crier chanter embrasser partager l’espoir …
Quel espoir ? Celui de nos remises en cause, personnelles et collectives qui donneraient
plus de marges de manoeuvres surtout aux générations encore jeunes, et à celles qui naitront
dans les quelques décennies à venir : ne seront-elles pas aux avant-postes de tous les défis?
Quel espoir ? Celui que ces générations futures puissent connaitre la fraternité, l’amitié,
l’amour qui brisent des solitudes, changent des destins et qualifient des vies.
Générations futures : pour une fraternité transgénérationnelle (II)
En exergue une pensée d’Emile Zola : « ( …) Le rêve final sera de ramener tous les
peuples à l’universelle fraternité, de les sauver tous le plus possible de la commune
douleur, de les noyer tous dans une commune tendresse. »
Dans cette introduction nous voudrions partager une conviction, un questionnement, une
complexité.
Une conviction selon laquelle cette fraternité traversant les générations n’est pas une
illusion, autrement dit une nébuleuse floue, une étoile inaccessible, un gadget pour idéaliste.
Cette fraternité traversant les générations n’est pas non plus une fuite, autrement dit un
refuge à l’abri du présent, un mythe d’une communauté unanime, un lot de consolation
distribué par les maitres aux esclaves.
La fraternité transgénérationnelle pose question : existe-elle et, si oui, est-elle comme
l’humanité, incarnée à travers les temps et les lieux ?Est-elle un héritage, un présent et une
promesse ? Mais les contraires de cette fraternité ne sont-ils pas de terribles réalités
? Bernard Clavel écrivait « Je ne vois pas comment la fraternité peut se développer sous des
cieux où la justice est faussée par la soif de richesse, l’appétit de gloire ou l’ivresse du
pouvoir.»
Situations multiples, nous sommes bien, comme l’appelle Edgar Morin, dans « le défi de
la complexité ». Ne faut-il pas essayer de rechercher le sens des ensembles ?
Nous proposerons ainsi trois séries de réflexions. Nous analyserons d’abord la fraternité
transgénérationnelle au regard du politique. N’est-elle pas une valeur pour le politique
qu’elle peut contribuer à inspirer? (A)
Nous analyserons ensuite la fraternité trans générationnelle aux regards de l’éthique.N’estelle
pas un devoir moral pour l’éthique qu’elle peut contribuer à questionner ?(B)
Nous examinerons enfin la fraternité trans générationnelle au regard du juridique.N’est-elle
pas un principe pour le juridique qu’elle peut contribuer à organiser? (C)
A- Le politique et la fraternité transgénérationnelle.
Cette fraternité n’est pas hors sol, elle se situe depuis au moins le XVème siècle dans le
système productiviste. Quel est le cadre et quels sont les domaines dans lesquels elle se
manifeste ? Quels sont les obstacles qu’elle rencontre ?
1- le cadre général constitué par le transgénérationnel lui-même.
-Si l’on part de quelques données relatives aux générations :
Les sens du mot génération sont nombreux : pour le démographe c’est la totalité des
individus nés une même année, pour le généalogiste c’est l’ensemble des personnes classées
selon une relation de filiation, pour le sociologue ce sont des personnes d’un âge proche qui
ont des vécus historiques communs, pour l’historien c’est la durée de renouvellement des
personnes, ce sera le sens choisi ici. Par rapport à sa durée une génération humaine
correspond au cycle de renouvellement d’une population adulte, soit environ 30 ans.
Le nombre de générations (d’après nos calculs aussi harassants qu’ incertains ) serait de
l’ordre de 6700 à 8000 sur 200.000 ans, date d’apparition de l’homo sapiens.
Quant aux générations présentes elles sont au nombre de quatre. Les générations à
venir seraient au minimum de zéro (le lendemain de l’horreur nucléaire d’Hiroshima Jean-
Paul Sartre écrit « nous savons désormais que chaque jour peut-être la veille de la fin des
temps »), ou de quatre d’ici 2100 (puisqu’existent quelques hypothèses scientifiques d’une
humanité ne dépassant pas le siècle), ou alors d’un nombre indéterminé de générations après
2100.
-Que peut-on dire ensuite du préfixe trans ? Il signifie au-delà, il exprime l’idée d’une
traversée. L’inter générationnel est relatif aux générations différentes qui se rencontrent dans
une même vie, le trans générationnel est relatif aux générations qui se succèdent.
L’inter et le trans générationnels existent dans les transmissions familiales. C’est par
exemple le domaine de la psycho généalogie. La transmission intergénérationnelle est plus
observable, puisque les quatre générations peuvent être en contact, la transmission
transgénérationnelle à distance, est plus floue, plus porteuse d’inconnues. Ces transmissions
peuvent nous alourdir, celles par exemple de traumatismes, et/ou au contraire nous aider à
grandir.
Le transgénérationnel existe aussi au regard de l’épigénétique, et de l’inné et de
l’acquis. En démontrant que des facteurs environnementaux peuvent influencer l’expression
des gènes, l’épigénétique a pour une part changé la façon dont les scientifiques comprennent
l’héritage génétique. On démontre ce qu’une anthropologue américaine, en 1950 dans «
Moeurs et sexualité en Océanie », avait constaté : sur un même territoire les enfants souvent
proches des bras de quelqu’un seront moins agressifs que ceux d’autres tribus qui n’ont pas
ces pratiques.
2- les domaines de la fraternité transgénérationnelle
Les fraternités ont, entre autres, pour noms solidarités, coopérations, concordes, soutiens,
compassions, dialogues, réconciliations, dignités… Les antifraternités ont, entre autres, pour
noms hostilités, fabrications de boucs émissaires, cruautés, racismes, fanatismes, haines…
Une simple énumération de manifestations des unes et des autres nous montre un
gigantesque contenu.
-D’abord en ce qui concerne les générations passées
Par rapport à la démocratie voilà des antifraternités antidémocratiques extrêmes tels que
les totalitarismes et les génocides porteurs encore aujourd’hui de traumatismes personnels et
collectifs. Voilà au contraire des fraternités démocratiques qui ont été mises en oeuvre,
telles que des luttes pour le suffrage universel, pour des libérations des femmes dont
bénéficient les générations présentes.
Par rapport à la justice voilà des antifraternités injustes : l’esclavage, la colonisation, le
système mondial productiviste avec ses injustices criantes, voilà des fraternités justes :
l’abolition de l’esclavage, la décolonisation, les luttes pour la construction d’un système
remettant en cause les injustices à tous les niveaux géographiques.
Par rapport à la paix voilà des antifraternités violentes, destructrices de patrimoines
culturels , des fausses paix déjà enceintes d’une autre guerre , des théories et des pratiques en
appelant aux peurs et aux haines , à la course aux armements, à une mondialisation injuste et
irresponsable. Par rapport à la paix voilà des fraternités pacifiques à travers des patrimoines
culturels qui invitent au vivre-ensemble, de véritables traités de paix ou d’amitié porteurs de
réconciliations, de cultures et de religions ouvertes au dialogue, de politiques tournées vers
un mondialisation solidaire et responsable.
Par rapport à l’environnement voilà des anti fraternités destructrices de
l’environnement : certaines activités humaines depuis l’anthropocène, environ huit
générations, entrainant des changements climatiques et un effondrement de la diversité
biologique, voilà des fraternités protectrices de l’environnement : des luttes contre les
changements climatiques, des luttes pour la sauvegarde de la diversité biologique.
-En ce qui concerne les générations futures :
Sont-elles impliquées par la fraternité transgénérationnelle ? Elles peuvent être
menacées par certains effets incommensurablement longs du productivisme des
générations présentes. Certains effets environnementaux et sanitaires (voire même
financiers) ont tendance à être sans limites dans l’espace et le temps. On détruit la liberté de
choix des générations futures en lançant des mécanismes dont il n’est pas prouvé
qu’elles pourront les maitriser.
On est loin d’indiens iroquois qui, par transmission orale depuis le XIIème siècle et par
une Grande loi de paix de 1720, prenaient des décisions « en tenant compte du bien-être
jusqu’à la septième génération. » Théodore Monod disait «Il faut voir loin et clair ».
3- les obstacles rencontrés par la fraternité transgénérationnelle
– Le court terme du productivisme constitue un obstacle majeur
Le court terme est synonyme de dictature de l’instant au détriment d’élaborations de
politiques à long terme. Pour paraphraser Montesquieu, toute génération qui a du pouvoir
n’est-elle pas tentée d’en abuser ? Noyés dans des difficultés ou des drames du présent on ne
peut anticiper. Le court terme est lié aussi à deux autres logiques du productivisme.
D’une part la recherche du profit, synonyme de fructification rapide de patrimoines
financiers avec des opérateurs qui ont des logiques spécifiques dans lesquelles la fraternité
est absente.
D’autre part la marchandisation du monde, synonyme de transformation de l’argent en
toute chose et de toute chose en argent. Voilà de plus en plus d’activités et d’éléments de
l’environnement transformés en marchandises, d’êtres humains plus ou moins
instrumentalisés au service du marché et loin de la fraternité.
-Qu’en est-il du long terme dans la fraternité transgénérationnelle ?
Il implique une acceptation de se situer dans le temps. Lorsque Hans Jonas écrit « agis de
telle sorte que tes actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement
humaine sur terre » il y a bien l’idée que nos remises en cause présentes peuvent être
porteuses d’une fraternité dont nous ne verrons pas les effets.
La fraternité du long terme n’appelle-t-elle pas aussi à essayer de changer notre rapport
à la mort ?
L’idée de consentir à quelque chose qui nous précède et qui va nous succéder n’est-ce pas
une façon d’accepter sa propre finitude ? Est-ce que cette forme de fraternité ne nous invite
pas à essayer de changer également notre rapport à la paix, au pouvoir, à la violence ?
Nous ne disons pas aux générations futures « votre mort c’est notre vie. Ta mort c’est ma
vie » qui est le cri de la guerre, mais nous leur disons « Votre vie c’est notre vie. Ta vie c’est
ma vie. »
-Les autres obstacles rencontrés par la fraternité transgénérationnelle
L’obstacle de la compétition, loin de la coopération.
« Etre ou ne pas être compétitif » nous dit le système mondial, si vous n’êtes pas compétitif
(pays, région, ville, entreprise, université, personne) vous êtes dans les perdants, vous êtes
morts. Riccardo Petrella écrit « La logique de la compétitivité est élevée au rang d’impératif
naturel de la société ».Autrement dit l’autre est perçu comme concurrent, adversaire, ou
ennemi, çà n’est pas un frère et cela qu’il soit vivant ou à venir. Mais alors, question
importante, la compétition est-elle naturelle (plus ou moins indépassable) ou est-elle
un produit de l’histoire(plus ou moins modifiable) ?Finalement ceux et celles qui pensent
qu’elle est historique, qu’il y a des compétitions liées aux périodes et aux sociétés, que le
productivisme pousse à une compétition omniprésente, affirment que les solidarités, les
coopérations, les biens communs, les « vivre ensemble », constitutifs des fraternités,
peuvent se développer ou voir le jour. La culture de compétition et d’agressivité ne doit-elle
pas être remise en cause par une conscience pacifique, juste, écologique de la fraternité ?
-Autre obstacle, celui de l’accélération.
Quelle est sa réalité ? Elle est omniprésente dans le productivisme à travers, par exemple,
une techno science en mouvement perpétuel, une circulation rapide des capitaux,
marchandises, services, informations, personnes, accélération qui a de multiples effets sur les
sociétés et les individus. Quels sont ses effets sur la fraternité ? La fraternité , comme la
démocratie, ne demande-elle pas du temps ? Jean Chesneaux écrivait « Notre existence se
dissout dans un zapping permanent ; nos sociétés sur programmées sont bloquées dans
l’immédiat ; notre devenir historique se brouille (…) ». Oui, dès lors comment renouer, dans
le respect de la durée, un dialogue entre le présent agissant, le passé comme expérience,
l’avenir comme horizon de fraternités et de responsabilités ? Tel est ce regard porté sur cette
valeur politique d’attention aux autres dans le temps qu’est la fraternité transgénérationnelle.
B-L’éthique et la fraternité transgénérationnelle
1- les fondements éthiques de la fraternité transgénérationnelle
Quels sont les fondements et quelles sont les expressions éthiques de cette fraternité ?
– C’est l’appartenance à la famille humaine qui est le fondement éthique essentiel de la
fraternité transgénérationnelle. Or la famille humaine est synonyme de plusieurs réalités
qui ont des effets sur cette fraternité.
D’abord l’explosion démographique. Le nombre de personnes ayant vécu sur Terre
serait de l’ordre de 100 milliards, il y avait sept milliards d’habitants en 2011, il y aurait en
principe en 2050 de l’ordre de 9 milliards, l’explosion ralentirait ensuite puisqu’en 2100 il
devrait y avoir 10 à 11 milliards de terriens. Chaque jour 224000 personnes, en excédent de
population, sont acteurs ou témoins des fraternités et de leurs contraires. Ainsi une question
souvent abordée, en particulier par Claude Levi Strauss, est celle des rapports entre quantités
et qualités, elle interpelle la fraternité. Par exemple n’est-il pas et ne sera-t-il pas plus
difficile, et sous quelles formes, de fraterniser dans des mégapoles de plus en plus
gigantesques?
La famille humaine est synonyme aussi d’unité et de diversités. Il s’agit de rechercher
l’unité de l’espèce humaine. « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » disait Einstein. La
fraternité transgénérationnelle ne fait-elle pas de nous des frères et des soeurs en humanité
laquelle serait une forme de Mère ? Il s’agit également de respecter les diversités. Nous
sommes ici dans des pratiques quotidiennes de fraternités et d’anti fraternités
transgénérationnelles. Ne pas éliminer les différences, ne pas les exacerber, ne pas les effacer
mais les respecter. Loin des dominations, des ghettos, des assimilations, la fraternité
correspond à un regard d’intégration, d’ouverture, elle reconnait des similitudes et des
différences entre les personnes, les peuples, les générations.
La famille humaine est synonyme également de lieux interdépendants où vont se vivre
des fraternités dans le temps. Le vivre ensemble se déroule dans nos villages, nos villes, nos
régions qui sont nos terroirs, dans nos pays qui sont nos patries, dans nos continents qui sont
nos matries , sur notre Terre qui est notre foyer de l’humanité. Ces territoires nous aident à
construire nos identités, à nous structurer. Mais ils ne doivent pas se refermer, devenir des
fractures de l’humain, des administrations de peurs de l’autre, des fabriques de l’ennemi. Ils
doivent se découvrir, s’interpeller, se compléter, s’incliner les uns vers les autres. Voilà
Montesquieu citoyen du monde: « Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille mais
qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma
patrie et à l’Europe mais préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un
crime. »Les lieux de vie, comme les générations, sont donc marqués par les interdépendances,
n’est-ce pas un devoir moral de les construire dans la fraternité ?
-Outre la famille humaine, quels sont les autres fondements éthiques de la fraternité
transgénérationnelle ?
Ne sommes-nous pas fraternisés par le commun, en particulier les périls les fragilités et
les projets communs ?
Etre frères n’est-ce pas se rassembler contre des périls communs. Ils s’appellent et
s’appelleront très certainement débâcle écologique, armes de destruction massive, inégalités
criantes, toute-puissance de la techno science et des marchés financiers. C’est être frères
contre les périls communs eux-mêmes, c’est l’attitude non violente fondée sur le respect des
personnes et les dénonciations les remises en cause de mécanismes antifraternels.
D’autre part ce sont aussi les douleurs de la vie(la fraternité de la douleur) qui peuvent nous
relier en étant à l’écoute des fragilités, celles des autres et les nôtres. Vont dans ce sens des
religions, des cultures, des oeuvres d’art, qui nous disent « çà n’est pas un fardeau que tu
portes c’est ton frère. » Enfants en détresse sur notre terre : un sur deux aujourd’hui et
combien demain ?
Et puis ne sommes-nous pas aussi fraternisés par les projets communs ? Etre frères c’est se
rassembler à travers le temps pour préserver le bien commun et pour construire du commun
c’est à dire relier, dans l’espace et dans le temps, le proche et le lointain ? Ces projets
ne sont-ils pas témoignages de fraternités d’espérance s’ils répondent aux urgences et s’ils
construisent des politiques à long terme ?
2- les expressions éthiques de la fraternité transgénérationnelle ?
-Les acteurs aux responsabilités très variables sont nombreux : Etats, organisations
internationales, collectivités territoriales, entreprises, ONG, peuples, personnes…et
d’autres acteurs à venir.
-Nous préférons insister ici sur les générations, témoins de ce que sont ces fraternités
transgénérationnelles. Ce sont les vies de ceux et celles qui nous ont précédés à travers ces
témoins d’humanité luttant contre des forces de mort, c’est ce patrimoine culturel qu’ils nous
laissent avec un grand bonheur de le découvrir, de le partager et de le transmettre. Ce sont les
vies de ceux et celles qui sont présents aujourd’hui, ces générations vivantes qui, si elles
arrivent à penser et à mettre en oeuvre des moyens fraternels porteront un projet d’humanité,
alors, oui, il les portera à son tour. Ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et
qui peuvent nous dire : essayez, nous vous les prêtons, d’aimer le monde avec les coeurs et les
esprits de ceux et celles qui vont arriver, et puis laissez-nous la liberté de devenir ce que nous
voudrons être.
-Quels sont, au regard de l’éthique, les moyens et les fins de cette fraternité
transgénérationnelle ?
D’un point de vue général on peut affirmer que la mondialisation productiviste contribue à
la confusion entre les fins et les moyens. Les fins, c’est-à-dire les acteurs humains en
personnes, en peuples, et en humanité, sont plus ou moins ramenés aux rangs de moyens. Les
moyens, c’est-à-dire surtout la techno science et le marché, deviennent des fins suprêmes et
tendent à occuper toute la place.
La fraternité, au sens éthique, en appelle à une cohérence entre les moyens et les
fins. Les fins doivent être respectées, les moyens doivent être remis à leur place. Dans une
formule radicale, restée à ce jour inégalée, Gandhi, dans cet ouvrage posthume « Tous les
hommes sont frères », écrivait « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la
semence». Cette cohérence signifie que si l’on veut construire des fraternités
transgénérationnelles il faut des moyens fraternels, c’est-à-dire démocratiques, justes,
écologiques et pacifiques. Après le politique et l’éthique…voilà le juridique.
C- Le juridique et la fraternité transgénérationnelle
–On peut se féliciter que le Conseil constitutionnel ait reconnu dans une décision du 6
juillet 2018 « la valeur constitutionnelle du principe de fraternité », cela au même titre
que celui de liberté et que celui d’égalité. Désormais sa jurisprudence pourra y faire
référence. C’est une avancée de principe très importante, d’autres développements s’y
rattacheront dans l’avenir.
Comme on l’a affirmé dans l’affaire en question (« délit de solidarité »), ce principe
« crée ainsi une protection des actes de solidarité ».
Il est désormais acquis que chacun a « la liberté d’aider autrui, dans un but
humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national
».
Dans cette logique, la fraternité transgénérationnelle , étant l’ une des formes de la fraternité,
sera-t-elle mieux consacrée aussi dans des textes nationaux et internationaux ? En tous les
cas on peut d’ores et déjà s’interroger sur son contenu et sa mise en oeuvre.
1- le contenu de ce principe juridique
-La spécificité de ce principe repose probablement sur la non-discrimination
transgénérationnelle, inscrite dans le projet français de 2015 de la « Déclaration universelle
des droits de l’humanité » qui sommeille dans un tiroir du Secrétariat des Nations
Unies : « Les générations présentes ne devraient entreprendre aucune activité ni prendre
aucune mesure qui auraient pour effet de provoquer ou de perpétuer une forme de
discrimination pour les générations futures », cela au sens bien sûr des Pactes internationaux
des droits de l’homme de 1966, mais aussi au sens des droits-solidarités en particulier du
droit à la paix et du droit à l’environnement.
Cette spécificité du principe repose ensuite sur la protection de l’environnement et de la
santé.
D’abord environnement et santé, y compris pour les générations futures, sont liés comme
l’affirme la CIJ en 1997.
Ensuite comme l’exigent quelques conventions, « chaque génération humaine a le devoir de
faire en sorte que le legs des ressources de la terre soit préservé et qu’il en soit fait usage avec
prudence ».
Enfin, plus globalement, l’impératif de la protection de l’environnement repose sur la vie de
l’humanité et de l’ensemble du vivant, donc, comme l’affirmait Charles Gonthier, « sur la
fraternité dans ses dimensions universelle et temporelle. »
–Non seulement ce principe a une certaine spécificité mais ses interdépendances existent
avec d’autres principes qui , eux aussi, se transgénérationnalisent.
Ainsi le principe des responsabilités des générations présentes envers les générations futures,
consacré dans la Déclaration de l’UNESCO de 1997,le principe de solidarité par exemple
sous la forme de l’assistance écologique qui est un devoir de la communauté internationale
consacré par la Déclaration de Rio de 1992 , le principe de non régression selon lequel la
protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante , le
principe de dignité de l’humanité qui implique la satisfaction des besoins fondamentaux ainsi
que la protection des droits intangibles.
A cela s’ajoute la proximité du principe de fraternité transgénérationnelle avec un
concept transgénérationnel qui exige que des limites soient fixées aux activités
humaines,« Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites? » demandait Jacques
Ellul, concept qui est à base d’ autolimitation et de contrainte, concept sur lequel se greffent
les principes de précaution, de coopération et d’autres à venir. Voilà pour le contenu, quelle
est la mise en oeuvre de ce principe juridique?
2– la mise en oeuvre de ce principe juridique.
On se situe ici pour une large part dans le droit prospectif.
-Cette mise en oeuvre doit se traduire par des interdictions à consacrer et par des
biens communs à protéger.
Quelles interdictions ? Constitueraient des crimes écologiques contre les générations
présentes et futures et contre le vivant, des mécanismes ayant des effets sanitaires et
environnementaux sans limites dans l’espace et dans le temps, ainsi les recherches sur
les armes de destruction massive, ainsi l’enfouissement irréversible des déchets radioactifs.
Quels biens communs à protéger ? Respecter la biosphère (maison commune
de l’humanité et du vivant) et le patrimoine commun de l’humanité, organiser un accès
universel et effectif aux biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples,
des générations présentes et futures.
– Evoquons à travers des fonctions essentielles, une simple énumération de
quelques institutions, existantes ou nouvelles à créer, porteuses de fraternité
transgénérationnelle.
Fonctions de vigilance et d’anticipation, par exemple des gardiens et des Conseils pour les
générations futures, des Assemblées législatives du long terme.
Fonctions de représentation, par exemple l’humanité aurait la personnalité juridique ,
l’Organisation mondiale de l’environnement qui verrait le jour pourrait alors la représenter .
Fonctions de sanction, par exemple des tribunaux nationaux, c’est le début d’un processus
important condamnant des Etats à respecter leurs engagements de réduction des gaz à effet de
serre, par exemple le tribunal déjà créé en 2012 « des crimes contre la nature et contre le
futur de l’humanité », la création aussi un jour d’une Cour mondiale de l’environnement.
Conclusion relative a la fraternité transgénérationnelle
1/ La fraternité est-elle transgénérationnelle ?
Ethiquement il faut qu’elle le soit, c’est un devoir moral.
Politiquement il faut lui donner sa place, c’est une valeur essentielle.
Juridiquement il faut la construire, c’est un principe porteur.
2/ L’esprit de fraternité
Englobant cet ensemble le voilà, « l’esprit de fraternité », consacré par la Déclaration
universelle des droits de l’homme dans l’article premier : « Tous les êtres humains naissent
libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir
les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Esprit de fraternité porté par « les êtres humains doués de raison et de conscience ». Il doit
souffler sur notre terre à travers les temps, par rapport aux générations passées, dans le
respect du patrimoine mondial, par rapport aux générations présentes et futures dans la
construction d’une communauté mondiale humainement viable. Il doit faire, de tous envers
tous, des tisseurs et des passeurs de fraternités.
Remarques terminales relatives aux générations futures
Tour à tour voilà un petit conte, une pratique facile à mettre en oeuvre, une proposition plus
compliquée et certes critiquable , enfin surtout une réflexion vitale sur les générations .
1- Pour terminer proposons un petit conte.
Un élève demandait « Quand peut-on être sûr que la nuit finit et que le jour commence ? »Le
maitre répondit «La nuit s’achève et le jour se lève lorsque l’on peut voir dans le visage de
chaque être humain celui d’un frère et d’une soeur. Alors l’aube apparait, une aube
d’humanité. »
2-Proposons aussi une idée relative à une pratique enseignante (possible aussi dans
d’autres lieux) : l’applaudissement les générations futures.
C’est là une expérience que nous avons souvent partagée avec des étudiant(e)s en droit
international de l’environnement à la fin du cours. Nous applaudissions les générations
futures. L’hommage était à la fois dérisoire et symbolique. Il peut être vécu dans d’autres
cours et même adapté à différents âges.
Les participants qui le voulaient se levaient, se tournaient vers le tableau sur lequel était
inscrit un « Vive et que vivent les générations futures ! », ils applaudissaient. Instants
dérisoires face à ceux et celles qui n’existent pas encore, instants symboliques comme si, à
travers le temps, nous voulions leur donner du courage et accueillir celui que ces générations
pouvaient nous transmettre …
3-Proposer un premier référendum mondial pour les générations futures ?
Les arguments contre ce référendum ne manquent pas.
Ce serait un référendum insultant pour les générations présentes parce que vécu comme une
forme de fuite devant les problèmes, les menaces et les drames présents et une dépense
plus ou moins coûteuse, finalement de l’énergie, du temps et de l’argent perdus.
Ce serait aussi un référendum dérisoire pour les générations futures dans la mesure où son
apport serait quasiment nul et son contenu serait celui d’une promesse plus ou moins
mensongère.
Ajoutons à cela qu’un tel référendum serait impossible à mettre en oeuvre avec une
organisation trop compliquée et une représentativité douteuse.
Pourtant les arguments en faveur de ce référendum existent également.
Ce serait un référendum porteur pour les générations présentes, il contribuerait à une forme
d’ancrage plus solide dans l’humanité et à un appel à la responsabilité.
Ce référendum serait porteur également pour les générations futures, voilà une forme de
promesse à tenir, une responsabilité à venir aussi pour ces générations futures vis-à-vis des
suivantes.
Ce référendum serait possible à mettre en oeuvre dans une organisation faisable comme dans
une représentativité réelle.
Le contenu de ce référendum suppose des qualités à penser, des questions essentielles à
déterminer, des formulations possibles, des supports à recenser.
Donner le jour au premier référendum pour les générations futures suppose
le cheminement de cette idée à travers des acteurs aux différents niveaux géographiques,
des moyens à mettre en oeuvre pour son avancée, des processus de décision pour le réaliser.
Avant de le mettre de côté pourquoi ne pas essayer de penser les différents effets d’un
tel référendum ?
4- Une dernière remarque terminale vitale, celle des trois fois trois générations…
La situation, en cette fin des 2/10èmes du XXIème siècle, est celle d’une vérité qui saute aux
yeux pourvu qu’on les ouvre. « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. »
écrivait René Char dans une citation souvent reprise.
–Nous avons reçu de trois générations passées ( 1850 à 1945 environ), un
environnement pour une part atteint et faisant l’objet de destructions en marche sous les
logiques du productivisme (en route en fait depuis le XVème siècle) et de l’anthropocène
en route voilà près de 170 ans à travers les explosions des énergies fossiles et de la
démographie.
-Nos trois générations présentes (1945 -2030 environ),… et en voie de disparition, ont
produit un environnement pour une large part détruit et plongeant dans des
apocalypses écologiques multiformes, massives, en interactions et rapides, en particulier
à travers le réchauffement climatique et les atteintes à la diversité biologique.
-Les trois générations qui ont commencé à voir le jour et qui viennent (2030 à 2110
environ) se trouvent donc devant une question vitale : cette veille de fin des temps peutelle
encore, à travers quelles volontés et quels moyens, se transformer en aube
d’humanité ?