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De 1945 à nos jours(fin 2018), pendant 73 ans, il y a eu deux séries de
mouvements : certes des avancées démocratiques(A), mais aussi des
piétinements et des régressions de la démocratie(B), enfin quels sont les défis
principaux rencontrés par la démocratie aujourd’hui (C)?
A Des avancées démocratiques
Des avancées essentielles ont vu le jour(1) et la démocratie électorale a
progressé (2).
1-Des événements démocratiques majeurs.
Ces sept dernières décennies la démocratisation de la vie politique a été celle
d’avancées majeures, décisives, gigantesques.
Ont vu le jour de nombreuses indépendances puisque la décolonisation a été
massive de 1945 à 1975.
Ensuite le système concentrationnaire soviétique du Goulag disparait à l’arrivée
de Gorbatchev au pouvoir en 1985, la Déclaration des droits et libertés de
l’individu en 1991 marque symboliquement la fin du Goulag.
Puis ont été successivement emportées des dictatures en Europe, en Amérique
latine et certains régimes autoritaires en Asie et en Afrique.
D’autre part le régime raciste de l’apartheid a disparu en Afrique de Sud en
1994.
Les révolutions des peuples de l’Est en 1989 ont fait imploser les régimes
politiques fondés sur le parti unique, le ciment totalitaire de ce parti unique a
volé en éclats en particulier dans l’empire soviétique qui a implosé en quinze
Etats, de même dans l’ensemble des pays de l’Est.
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A partir de 2011 « le Printemps arabe » a remis en cause des dictatures et
rencontre des obstacles sur les routes de la démocratie.
Les forums des « altermondialistes » à partir de 2001 (en particulier à Porto
Alegre) et les manifestations des « indignés »à partir de 2011 (en particulier en
Espagne) ne témoignent-ils pas de la crise du système international, d’une
vitalité de contestation, d’une capacité de proposition ?
Enfin les panoplies institutionnelles et juridiques pour la protection des droits de
l’homme, de la femme et de l’enfant, se sont multipliées à travers les différents
rôles de juridictions, d’ONG, de militant(e)s, de médias, de réseaux…
2-La démocratie électorale a globalement progressé.
Beaucoup de pays sont passés de régimes autoritaires, fondés sur le parti unique
et/ou l’armée, à un système basé sur des élections libres.
Celles-ci sont loin d’être évidentes à travers des périodes de transition. Pourtant
il est impressionnant d’observer que des oppositions arrivent, ici ou là, à revoir
ou voir le jour et à s’organiser.
Il est encourageant de voir les électeurs venir ainsi en masse voter en ces jours
symboliques d’une liberté retrouvée ou découverte. « Le droit de voter » et « le
devoir électoral » sont alors vécus comme une chance à saisir par des jeunes, et
vécus avec une grande émotion par des personnes âgées qui attendaient ce
moment parfois depuis plusieurs décennies.
Mais s’il y a eu et s’il y a des avancées, il y a eu et il y a également des
piétinements et des régressions de la démocratie.
B- Des piétinements et des régressions de la démocratie.
Quelle est la situation globale(1) et quelles sont les difficultés particulières (2) ?
1-La situation globale des régimes autoritaires
Une cinquantaine de pays sur près de 200 dans le monde, soit le quart des Etats,
est toujours dépourvue de systèmes démocratiques.
Si l’on raisonne en nombre d’habitants il y a déjà 1,4 habitant sur 7,4 dans le
monde qui, avec la seule Chine(1,4), est en régime autoritaire fondé sur le parti
unique (83 millions d’adhérents dans ce pays en 2013).
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2-L’énumération des difficultés rencontrées par rapport à la démocratie
Des pays qui arrivent à des élections libres replongent parfois dans la guerre ou
la dictature.
De nouveaux régimes démocratiques restent fragiles avec une tradition souvent
autoritaire de cercles dirigeants. Répressions de journalistes, emprisonnement
d’opposants,camps de rééducation sont loin de la démocratie.
Le choix des citoyen(ne)s est quelquefois détourné par le biais de manipulations
médiatiques et du financement des campagnes électorales qui témoignent de la
puissance de l’argent.
Les luttes contre l’opacité et pour la transparence de la vie politique sont
difficiles.
La démocratie est souvent plongée dans une surmédiatisation qui peut mettre en
avant le futile et l’émotionnel , au détriment de l’essentiel,de l’important,et de la
réflexion,
Les mondes médiatiques,dans des proportions certes variables , ont tendance à
donner une part trop importante au « paraitre »,cela se fait au détriment de
véritables problèmes drames et menaces, et au détriment de véritables débats
contradictoires.(Voir plus globalement « Gouverner c’est paraitre » : réflexions
sur la communication politique. », Jean-Marie Cotteret, Puf, 1991)
Dans les processus électoraux il arrive que des fraudes soient marginales mais
quelquefois massives.
Il arrive aussi que des résultats soient contestés, d’où des recours, voire parfois
des violences, ou même des conflits armés.
Dans la lutte contre le terrorisme, il arrive que des lois et des pratiques portent
atteinte aux droits de l’homme, par exemple autour du « délit de faciès ».
Dans des élections il n’est pas rare que l’abstention soit élevée, elle témoigne,
selon les personnes et les situations du pays, soit d’un désintérêt soit d’une
désillusion.
Dans un certain nombre de pays, même démocratiques, il arrive qu’une partie
de la population soit victime d’exclusions, de discriminations…
On constate dans un certain nombre de pays (Etats-Unis,en Europe, en
Amérique du Sud) une certaine montée de nationalismes et de populismes.
La nouvelle présidence des Etats-Unis depuis janvier 2017 s’inscrit ainsi dans
un certain nationalisme comme d’ailleurs celles du président russe (4ème
mandat 2018-2024) et du président turc.Ce dernier a mis en oeuvre une
répression organisée massivement en Turquie.
Les nationalismes ne sont porteurs ni de paix ni de démocratie, pourquoi ? A
l’extérieur ils ont tendance à fabriquer l’image de l’ennemi, »le nationalisme
c’est la guerre » dit-on souvent.A l’intérieur les nationalismes peuvent désigner
des boucs émissaires,ils peuvent-si çà n’était déjà fait- donner priorité absolue
aux dépenses d’armements au détriment d’autres dépenses essentielles,enfin
« le complexe militaro-industriel » devient plus important , un Etat dans l’Etat
expliquait Eisenhower avant de quitter la présidence,il aurait pu parler plutôt du
complexe scientifico-militaro- industriel qui a tendance à échapper à ses
producteurs (voir mes deux ouvrages « Construire la paix »,éditions la chronique
sociale, 1988).
On constate aussi une montée, plus ou moins importante selon les pays,
de populismes par exemple au pouvoir en Pologne,en Hongrie,en Autriche,en
Italie,et sous la forme d’un parti politique par exemple en France… Ainsi des
extrêmes droites vont même jusqu’à conquérir le pouvoir, comme au Brésil fin
2018.On peut distinguer, d’une part ,des populismes protestataires, tournés
vers la dénonciation de la confiscation du pouvoir par des élites et vers la
dénonciation de la corruption et, d’autre part, des populismes identitaires
tournées vers la dénonciation d’une mondialisation destructrice d’identités et
d’une immigration jugée inquiétante ou inacceptable.Dans des proportions
variables des populismes rassemblent souvent ces deux dimensions, la
protestataire et l’identitaire.
Quels sont donc les plus grands défis rencontrés par la démocratie début 2019 ?
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C- Cinq grands défis rencontrés par la démocratie en ces débuts de XXIème
siècle
A ce jour ces défis peuvent probablement se ramener à cinq.Il faut, pour les
souligner et pour mettre en avant aussi des contre-mécanismes, raisonner par
rapport à l’ensemble des niveaux géographiques, démocraties
locales,nationales,continentales,et aussi par rapport à la démocratie
internationale(voir également sur « les avancées » les deux dernières parties,4 et
5, de ces développements sur la démocratie.)
1-Le premier défi est celui des injustices.
Elles sont matrices de la plupart des violences. Des situations de pauvreté,de
misère, de chômage,d’exploitations,de dominations… provoquent tôt ou tard
déceptions, colères, désespoirs.
Une démocratie représentative et participative doit être porteuse de
démocratie économique,fiscale,sociale,environnementale et
réciproquement. La démocratie est ainsi un ensemble de luttes perpétuelles
contre les injustices.
Lorsqu’en démocratie les injustices se multiplient et s’aggravent
apparaissent alors souvent des protestations,des colères,parfois des révoltes,
et à un certain degré des insurrections,voire des révolutions qui mettent
alors en cause la légitimité d’un régime.
Ces événements sont soit non-violents(voir nos cinq articles sur les
violences) soit violents soit utilisent les deux séries de moyens.
Ils font l’objet de répressions variables en intensité et durabilité.Mais les
violences premières,matrices,mères,celles qui produisent les autres ce sont
les injustices.(voir nos cinq articles sur les violences).
Ces résistances aux injustices peuvent donner le jour à plus de justice,de
démocratie,d’écologie,de paix.Elles peuvent aussi s’orienter vers de
nouvelles injustices,vers des autoritarismes,vers des mesures anti
environnementales,vers de nouvelles violences à la recherche de boucs
émissaires et de nationalismes…
La démocratie est un effort perpétuel des gouvernés contre les abus du
pouvoir,elle en appelle aux partages des avoirs,des pouvoirs et des savoirs.
Seuls les moyens justes,démocratiques,écologiques,pacifiques sont porteurs
de justice,de démocratie,d’environnement,de paix. »La fin est dans les
moyens comme l’arbre est dans la semence. »(Gandhi).
2-Le second défi est celui du dessaisissement, pour une large part, des
citoyen(ne)s et des élu(e)s par les acteurs financiers, économiques et techno
scientifiques
Certains pensent que la mondialisation économique et financière ainsi que les
complexes de la techno science ont « pris la place des conducteurs » qu’étaient
en particulier les Etats dominants.
Ainsi on accuse la dictature anti politique des marchés,la régression de la
démocratie a pour cause l’absorption du politique par l’économique et le
financier.
Ainsi on accuse la dictature de la techno science, par exemple le discours
d’adieu du Président des Etats-Unis, Dwight D. Eisenhower le 17 janvier 1961,
constitue un avertissement par rapport à l’un de ces complexes les plus
puissants, le « complexe militaro-industriel » (il aurait pu dire « scientificomilitaro-
industriel »). «Le risque potentiel d’une augmentation de ce pouvoir
mal placé existe et existera» prévient-il dans ce discours trop peu connu.
D’un côté une techno science qui se veut sans limites,de l’autre une démocratie
symbole de sociétés qui veulent se donner des limites lesquelles se ramènent
finalement au respect de la dignité humaine.
On peut aussi raisonner sur les circuits des volontés.Il y a probablement au
moins quatre schémas.
Soit on pense et on agit dans le sens de systèmes centralisés dans lesquels les
volontés vont du haut vers le bas,la démocratie est peu présente ou absente.
Soit on se prononce et on agit dans le sens d’un va et vient entre le haut et le
bas,en corrections réciproques,reste à savoir comment se déroulent ces
rapports de forces et ce qu’ils produisent.
Soit on pense et on agit du bas vers le haut,on veut faire remonter des micro
expériences,des actions à la base,on veut faire émerger des autogestions.
Soit on veut aller dans le sens de volontés qui partant de la base vont plutôt se
diffuser qu’entreprendre une ascension,c’est un schéma proche d’une
démocratie participative.
Sur le terrain les circuits peuvent être compliqués puisque plusieurs
schémas,par exemple dans un pays donné, peuvent fonctionner ensemble avec
des ampleurs et des conflits variables.
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3-Le troisième défi est celui de la crise de la légitimité et de la
confiance.
Que dit à ce sujet un historien qui a beaucoup écrit sur la démocratie, Pierre
Rosanvallon? « Aujourd’hui, la légitimité du politique s’est effondrée. La
démocratie s’est réduite à un processus d’autorisation. Les élections donnent un
permis de gouverner. Mais c’est un permis à points. On voit bien que cela ne
fonctionne pas. La démocratie doit aussi se définir comme une façon
permanente de négocier, discuter et argumenter avec la société. »
Dans cet entretien (voir journal Le Bien Public,4-1-2014) cet auteur poursuit »
le deuxième élément, encore plus important, est la destruction de la confiance.
Une société dans laquelle il y a une perte de la connaissance d’autrui produit
mécaniquement de la défiance, du rejet. Nous sommes à ce stade de la société,
dans lequel l’érosion de la légitimité et de la confiance est lourde de violence
potentielle. L’état de la société me semble préoccupant, et j’ai pensé qu’il fallait
réagir. » Pour contribuer à lutter contre ces deux érosions cet auteur propose
« de donner la parole aux invisibles ». (voir site raconterlavie.fr)
4-Le quatrième défi est celui de la corruption.
Celle-ci s’est étendue avec l’internationalisation de l’économie,la puissance de
la financiarisation liée à des sommes souvent gigantesques, une véritable fièvre
de l’argent facile peut devenir contagieuse.
Ce cancer de la corruption a tendance à atteindre de nombreux domaines à
travers différents mécanismes : des entreprises peuvent être liées à des mafias,
des appels d’offres peuvent être contournés, des subventions peuvent avoir des
contrôles insuffisants, des profits issus des narcotiques peuvent acheter des
politiques, des ventes d’armes, fondées sur des contrats colossaux, attisent les
tentations avec un secret défense obstacle à l’établissement de la vérité.
Cette corruption on peut la trouver aussi dans le financement de la vie politique
qui soit est dérégulé et laisse la place à des intérêts privés qui peuvent aller
contre l’intérêt général, soit est encadré par des lois qui ont beaucoup de
difficultés à établir transparences, responsabilités, sanctions, lois parfois voire
souvent contournées,la justice entre alors en scène avec de grandes difficultés à
surmonter pour l’établissement de la vérité.
Les effets de la corruption sont désastreux : la morale est piétinée,une partie de
la vie politique est gangrénée, des citoyens se détournent du vote ou cherchent
des boucs émissaires, d’autres sont ruinés,le coût économique de la corruption
peut être lourd.
Les luttes contre la corruption sont celles de différents acteurs, en particulier des
juges dans différents Etats, des institutions des conventions(Convention contre
la corruption du 31 octobre 2003,Convention contre la criminalité transnationale
organisée du 15 novembre 2000) et des ONG,parmi lesquelles Transparency
International (voir transparency-france.org).De façon plus radicale(en amont) et
globale c’est le désarmement du pouvoir financier par les remises en cause des
paradis fiscaux,par les taxations des transactions de change etc…
5-Enfin, cinquième défi, qui apparait de façon inquiétante, la démocratie a
besoin de temps or le système productiviste s’accélère.
L’accélération porte atteinte à la démocratie. En effet la vitesse a quelque
chose de contraire à la démocratie qui est synonyme de discussions, de temps
pris pour arriver à des compromis, à des partages des décisions. Or le temps
politique est court-circuité par le temps marchand, par le temps économique,
par la vitesse des transactions financières.
Il y a donc une sorte de « désynchronisation » entre le domaine politique et le
domaine économico-financier.
Dans un raccourci on peut également affirmer que les Parlements sont courtcircuités
par les exécutifs plus rapides qui, eux-mêmes, sont court-circuités par
les marchés financiers encore plus rapides.
Certains insistent désormais sur le fait que ces marchés « ne supportent pas le
temps démocratique qui ne va pas assez vite » (voir par exemple Patrick
Viveret, entretien Mediapart, du 19-11-2011.)Ainsi « 70% des transactions aux
Etats-Unis et 50% en Europe sont réalisés par des automates. »Lorsqu’on
affirme, selon l’expression consacrée, qu’il faut « rassurer les marchés », il
serait plus proche de la vérité de dire qu’il faut « rassurer ces automates ».On
retrouve bien sûr ici la réalité de la technique qui nous échappe et qui devient
autonome, réalité très présente en particulier dans l’oeuvre de Jacques Ellul
(voir par exemple « Le système technicien », Calmann-Lévy, 1977).
N’est-ce pas une autre forme d’atteinte à la démocratie ? Comment (re)trouver
un temps citoyen(ne), comment arriver à reconquérir le temps, à « habiter le
temps »(voir l’ouvrage de Jean Chesneaux ,Habiter le temps, Bayard ,1996), le
passé comme expérience, le présent comme action et l’avenir comme « horizon
de responsabilité » ?
(Voir sur ce site l’article intitulé « L’accélération du système international.»,
article dans lequel sont analysés des contre-mécanismes qui existent et d’autres
qui devraient voir le jour.)
Remarque terminale
On peut ainsi se demander à travers quels moyens avancer dans la démocratie
représentative et participative ?
JML