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La marchandisation de la nature
Remarques introductives
1) La marchandisation, une des logiques profondes du productivisme.
a) Le système productiviste est en route depuis la fin du Moyen Age (XVème
siècle), il se développe ensuite sous la révolution industrielle(en Angleterre au
milieu du XVIIIème et en France au début du XIXème), il se mondialise au
XXème siècle et en ces débuts du XXIème siècle. Ce système repose sur des
logiques profondes.
b) Ces mécanismes s’appellent la recherche du profit, la course aux quantités, la
fructification des patrimoines financiers, la domination sur la nature, la
compétition tous azimuts, l’accélération générale du système, la
marchandisation du monde.
c) Cette dernière logique est particulièrement puissante. Tout ce que le marché
voit il a tendance à le toucher puis à le vendre ou à l’acheter.
d) Le concept « d’ économie verte » a explosé ces dernières années, il a
cependant battu en retraite dans la déclaration finale de Rio de juin 2012, ce qui
lui est consacré est dérisoire. Les pays émergents, et de façon plus globale les
pays en développement, ne voulaient guère le mettre en avant, ils y voyaient une
mise en cause de leur droit au développement sous couvert de protection
environnementale et une façon pour les pays du Nord de vendre des
technologies qui iraient dans ce sens. Faisant l’objet de louanges et de solution
globale par les uns, il est qualifié par les autres de mirage, de fausse solution.
2) La marchandisation de la nature , une des formes de la
marchandisation du monde
a) Les éléments de l’environnement sont-ils pris dans ce processus gigantesque
de transformation de l’argent en toute chose et de toute chose en argent ? La
nature est-elle un objet dans cette marchandisation du monde ?Est-elle devenue
une marchandise ?
b) Après tout, diront certains, « tout vaut tant ». Non, diront d’autres, « tout
n’est pas à vendre et à acheter ». On pourrait pour simplifier en rester à ces deux
positions de principe, mais les choses ne sont-elles pas plus compliquées ?
3) Faut-il donner un prix à la nature pour la protéger ?
a) Une question est venue compliquer les situations. En effet certains de se
demander si le fait d’évaluer la nature, de chiffrer ce que l’on va appeler des
« services éco systémiques » ne va pas aider à sa protection ? Doit-on donner un
prix à la nature pour la sauver ?
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b) Les convictions des tenants de la conservation de la nature ne sont-elles pas
mises à rude épreuve ? Certes tout ne vaut pas tant mais, si on démontre sur le
terrain que donner un prix à la nature peut contribuer à la sauver, après tout,
alors, la fin (la protection) ne justifie-t-elle pas les moyens (des opérations de
financiarisation de la nature.) ?
Nous pouvons cependant rappeler ici la réponse radicale de Gandhi à cette
question des rapports entre les fins et les moyens. C’est l’anti Machiavel : « La
fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence », ce qui signifie
qu’aucun moyen n’est neutre par rapport aux finalités que l’on met en avant.
Peut-on, la transformant en actifs financiers, en marchandise, protéger la
nature ?
4) Nous proposerons une démarche qui se voudrait globale, critique et
créatrice.
Dans un premier temps nous analyserons le puissant courant en faveur de la
marchandisation de la nature(I), dans un second temps les mécanismes de cette
marchandisation de la nature(II), dans un troisième temps nous proposerons une
synthèse des arguments des défenseurs et des détracteurs de ce phénomène(III),
enfin dans un dernier temps nous nous demanderons quelles alternatives existent
ou pourraient exister face à cette marchandisation(IV) ?
I- Le puissant courant de marchandisation de la nature
La force de ce courant se manifeste du point de vue théorique(A) comme du
point de vue pratique(B), les idées qui plaident en sa faveur ne manquent pas et,
sur le terrain, on trouve un nombre important d’acteurs qui vont dans ce sens.
A- Les courants conceptuels de marchandisation de la nature
Un courant existe, il est très ancien, celui d’une nature conçue comme un
objet(1), mais aujourd’hui on parle plus d’un ensemble de services(2), des
rapports internationaux appuient cette vision utilitariste(3).
1) Une certaine conception des rapports de l’homme avec la nature
Il y a trois conceptions relatives à ces rapports. Les deux premières sont loin de
la marchandisation de la nature, nous intéresse surtout la troisième mais il est
nécessaire de comprendre les trois.
a) La première est celle d’une nature conçue comme un sujet. C’est une
perspective éco centrique, la Terre est un ensemble vivant, elle a une valeur en
elle-même, indépendamment de toute utilité pour l’homme.
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b) La seconde conception est celle d’une nature conçue comme un projet. Elle
est avant tout un patrimoine, c’est-à-dire qu’elle a une valeur intrinsèque (sujet)
et elle est aussi essentielle pour les êtres humains (objet) qui doivent transmettre
ce patrimoine.
c) La troisième conception qualifie la nature d’objet au service des êtres
humains. C’est une perspective anthropocentrique. L’homme doit régner sur le
monde. Le marché ramène la nature à une marchandise, on organise le droit de
propriété. Cette logique remonte au moins à la fin du Moyen Age, puis au siècle
des Lumières (1715-1789), elle est dominante ensuite avec le système
productiviste.
(Sur la nature et le droit voir en particulier François Ost, La nature hors la loi,
l’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 1995. Voir aussi l’article de
Serge Gutwirth, Trente ans de théorie du droit de l’environnement : concepts et
opinions, Environnement et Société, 26,2001, p5à17, article mis en ligne.)
De 1986 à nos jours, donc depuis une trentaine d’années, deux nouvelles
notions apparaissent, elles sont fondées sur des données scientifiques.
2) Les notions de diversité biologique et de services éco systémiques
a) En effet, à la suite de recherches scientifiques puis d’un important colloque
aux Etats-Unis en 1986, la communauté scientifique internationale met en avant
l’importance de la « diversité biologique », c’est-à-dire la variabilité des
organismes vivants de toute origine, diversité au sein des espèces et entre
espèces ainsi que celle des écosystèmes. L’émergence de cette notion donnera le
jour en juin 1992 à la Convention sur la diversité biologique qui est censée
protéger ces richesses génétiques, en réalité qui avalisera pour une large part la
marchandisation du vivant déjà en route.
b) A la fin des années 1990 des publications scientifiques mettent en avant des
bilans des éco systèmes dans lesquels apparaissent des « services » rendus à
l’homme par la nature, services qui vont être chiffrés. Par exemple en 1997 est
avancé le chiffre de 33000 milliards de dollars pour l’ensemble des services liés
à seule diversité biologique.
On distingue ainsi, affirme-t-on, ces fonctions écologiques en trois grandes
catégories de services : les éco services « d’approvisionnement » (la pêche, la
chasse, l’agriculture…), les éco services de « régulation » (climats, cycle de
l’eau, pollinisation…), les éco services « culturels » (aspects pédagogiques,
esthétiques, récréatifs, spirituels en liens avec la nature…)
3) Des rapports allant dans le sens de la marchandisation
Trois rapports dominent l’ensemble des nombreuses publications qui
apparaissent.
a) En premier lieu « l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire »
(Millennium Ecosystem Assessment), commandée par le Secrétaire général des
Nations Unies.Elle est établie de 2001 à 2005 par près de 1500 experts d’une
cinquantaine de pays. Ce rapport, coordonné par le PNUE, distingue en
particulier « les services rendus, les services en péril, les services annulés. »
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b) En second lieu le rapport d’un économiste, Nicholas Stern, a été publié en
2006 à la demande du gouvernement britannique. Il concerne l’économie du
changement climatique, il affirme que, si rien n’est fait dans les vingt ans à
venir, donc d’ici 2025, la facture pour l’économie mondiale serait de l’ordre de
5500 milliards de dollars, soit « l’équivalent des coûts cumulés des deux
guerres mondiales ».
c) En troisième lieu le rapport sous la direction d’un conseiller des Nations
Unies sur l’économie verte, Pavan Sukhdev, ancien banquier indien, a pour
objectif de donner un prix à la nature. Ce rapport est établi de 2007 à 2010, il
estime les bénéfices économiques globaux de la biodiversité et les coûts
engendrés par son érosion. Autrement dit : combien rapporte un écosystème s’il
est bien géré ? Combien fait-il perdre s’il dépérit ? Par exemple les auteurs du
rapport affirment qu’un investissement de 45 milliards de dollars par an dans les
aires protégées fournirait dix fois plus de valeur en « services ».Bref : les
écosystèmes sont des gisements de profits.
Ce cadre conceptuel est lié à différentes pratiques.
B- Les courants pratiques de marchandisation de la nature
Le marché mondial achète et vend(1), des conventions et des protocoles vont
aussi dans ce sens(2), quelquefois des jugements font de même(3), des acteurs
se convertissent à cette financiarisation(4).
1) La puissance du marché mondial
a) Différents domaines qui étaient du ressort des services publics ont fait l’objet,
pour une part plus ou moins importante, de nouveaux marchés mondiaux. Ainsi
l’éducation voit, depuis une quarantaine d’années, des offres privées en matière
de formations d’entreprises, d’enseignement secondaire et d’enseignement
supérieur. Internet joue un rôle important dans la formation de ce marché. Ce
marché mondial de l’éducation, chiffré à 2000 milliards de dollars il y a quinze
ans, serait aujourd’hui de l’ordre de plus de 4000 milliards de dollars. Ainsi la
santé fait, elle aussi, l’objet d’une marchandisation. Le seul marché mondial des
médicaments, qui était de 200 milliards de dollars en 1990, serait aujourd’hui
de l’ordre de 855 milliards de dollars.
b) Le marché mondial va donc chiffrer l’eau, les sols, les forêts, l’air, la faune et
la flore, la biodiversité…et même la couche d’ozone.
c) Un des exemples les plus gigantesques, présent et surtout à venir, est celui de
la géo ingénierie climatique. Le GIEC, dans ses quatre
rapports(1990,1995,2001,2007,et le cinquième (1er volume en septembre
2013,(la synthèse sera en octobre 2014), a montré que des activités humaines
porteuses de CO2 entrainaient un réchauffement climatique synonyme de
problèmes, de drames et de menaces pour le vivant, d’où la nécessité vitale de
politiques de réduction des gaz à effet de serre.
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Parallèlement à cela, certains scientifiques et certains groupes industriels se sont
lancés dans des recherches et des applications technologiques pour « mettre la
Terre à l’ombre. » Il s’agit de projets souvent gigantesques, engageant des
centaines ou même parfois des milliers de milliards de dollars, projets sur le
moyen voire le très long terme, plusieurs décennies pour réaliser telle ou telle
technologie. A titre indicatif : le lancement de millions de ballons de souffre
rafraichissant l’atmosphère, la construction d’un miroir solaire géant, des
injections de fer dans les océans pour fertiliser le plancton qui absorberait ainsi
plus de gaz carbonique, la séquestration de ce gaz dans des gisements de pétrole
épuisés et dans une partie du sous-sol des océans…la liste sans aucun doute va
s’allonger.(Dans la IVème partie de cet article nous soulignerons ce que l’on
peut en penser.)
2) Des conventions participant à la marchandisation de la nature
a) La Convention sur la diversité biologique (5 juin 1992) constitue un pas de
plus dans la marchandisation du vivant. Certes il y a quelques obligations de
conservation, mais les Etats ont accepté la logique du marché à travers une
« utilisation durable et équitable » des ressources génétiques. Les pays du Nord
se voient confirmer le droit de breveter les plantes et les animaux, les pays du
Sud espèrent pouvoir monnayer leurs ressources.La liberté du commerce et de
l’industrie est considérée dans le productivisme comme plus importante que la
protection de l’environnement qui est un moyen d’assurer des profits.
b) Le Protocole de Nagoya (29 octobre 2010), adopté à la 10è C.P au Japon,
porte sur « l’accès aux ressources et sur le partage des avantages(APA) tirés de
la biodiversité ». Une « plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et
les services éco systémiques(IPBES) » a été créée comme prévu, cela le 21 avril
2012, son secrétariat est à Bonn. Elle a pour fonction de faire une synthèse des
connaissances et d’apporter au monde politique l’expertise scientifique pour
décider.
Un des enjeux est de savoir quels vont être ses liens avec le secteur privé,
l’IPBES contribuera-t-elle à promouvoir les intérêts de ce secteur au nom de la
protection de la diversité biologique ? (voir par exemple « A Nagoya, le privé à
l’affût du marché de la biodiversité, Michel Temman, Libération,2-11-2010.
c) Les fonctionnements d’une partie de la Convention sur les changements
climatiques (5 juin 1992) et du Protocole de Kyoto (11 décembre 1997) vont
pour une part dans le sens du marché. Les mécanismes de flexibilité, prévus
pour être complémentaires des politiques de réduction c’est-à-dire pour les
appuyer, ont pris de l’importance, qu’il s’agisse des échanges d’émissions ou
qu’il s’agisse des mécanismes de développement propre (par contre moins
importante est à ce jour la mise en oeuvre conjointe entre pays industrialisés).
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c) Le Traité sur les ressources phyto génétiques(développement des végétaux)
(3 novembre 2001) repose, entre autres, sur un partage se voulant équitable des
semences agricoles. Il crée un système de conservation mais aussi d’échanges
multilatéraux des semences entre les pays du Sud où se trouve l’essentiel de la
biodiversité et ceux du Nord où se trouvent les semenciers, on est donc bien
dans des rapports de force que le droit tend à encadrer.
3) Certaines décisions de justice ne vont-elles pas aussi dans ce sens ?
a) La pratique contentieuse est ici celle de l’application du principe pollueurpayeur
et de façon plus globale de l’indemnisation des dommages
environnementaux. Aller vers la reconnaissance de l’évaluation du dommage
écologique n’est-ce pas être amené à fixer un prix à tel ou tel élément de la
nature ? Il s’agit alors de la mise en oeuvre du principe de responsabilité qui,
diront certains, s’éloigne d’une marchandisation de la nature. Un processus de
responsabilité est différent d’une financiarisation de la nature. Reconnaitre le
dommage écologique est une avancée.
b) Nous citerons un seul exemple, celui du jugement en appel (31 mars 2010)
de la marée noire de l’Erika qui confirme, pour la première fois en France, que
les oiseaux des mers ont une valeur qui justifie que ceux qui luttent pour leur
protection soient indemnisés, ainsi des associations. Ce privilège était réservé
jusque là aux oiseaux d’élevage ou au gibier et l’indemnisation ne concernait
que leurs propriétaires.
4) Des acteurs se convertissant à la financiarisation de la nature
(Voir par exemple article « La nouvelle conquête de la finance »Thierry Brun,
article dans Politis, 14 octobre 2010, dossier sur «Nature à vendre »)
a) Des acteurs très différents se convertissent à ce phénomène de
marchandisation, de financiarisation de la nature. Depuis les années 2000 des
alliances se multiplient entre différents acteurs, par exemple entre des
multinationales et des ONG, des stratégies s’organisent.
b) On rencontre certes des entreprises qui regardent ce que peut changer pour
elles la prise en compte de ce capital qu’est la nature.
c) Des sociétés d’assurances organisent une prise en compte financière des
catastrophes .
d) On trouve des gouvernements qui se déclarent favorables à ce nouveau
gisement comptable. Des collectivités locales prennent également des initiatives.
Voilà aussi les analyses de certaines organisations internationales, celles par
exemple bien sûr de la Banque mondiale et de l’OCDE.
e) Mais il y a plus étonnant : le PNUE, catalyseur des actions
environnementales du système des Nations Unies, et des ONG, par exemple
le Fonds mondial pour la nature, affirment qu’il faut mettre un prix sur les
fonctions remplies par la nature, on pourra mieux la protéger.
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f) On peut constater aussi que des sites scientifiques vont dans ce sens, ainsi
parmi d’autres, le site du CNRS qui, par exemple en 2010, contenait des pages
consacrées aux insectes ayant une fonction de pollinisation, ils représentent
30% de la valeur de base alimentaire mondiale. La valeur de ce service, la
contribution de ces insectes à la production agricole, serait de l’ordre de cent
cinquante milliards de dollars chaque année.
Tel est ce courant, puissant et varié, de marchandisation de la nature. Quelles
sont les mécanismes en route ?
II- Les mécanismes de marchandisation de la nature
Pour mieux comprendre leur importance nous en ferons une synthèse sous
leurs formes principales(A), puis nous examinerons le domaine de l’eau dont
les enjeux sont particulièrement vitaux(B).
A- Les formes de marchandisation de la nature
Il y a aujourd’hui cinq formes principales de marchandisation de la nature,
d’autres apparaitront certainement dans les années à venir, l’imagination
économique et juridique est à l’oeuvre. Chaque forme peut comprendre
plusieurs mécanismes.
1) L’appropriation intellectuelle et commerciale
a) Dans ce développement du concept de biodiversité on avalise la
quantification. La Convention de 1992 et son Protocole de Nagoya de 2010
organisent l’accès et le partage des bénéfices, c’est l’encadrement par la
propriété intellectuelle des ressources génétiques, le contrat entre l’Etat
fournisseur et l’Etat utilisateur repose sur des rapports de force et des intérêts
commerciaux.
b) On trouve dans les forêts tropicales les gènes de plantes et d’insectes, on a
beaucoup breveté. Des firmes pharmaceutiques trouvent là des bénéfices mais,
parallèlement, se développent également des techniques de synthèse qui
peuvent ici ou là servir de substituts, ces techniques sont de plus en plus
nombreuses.
2) Les marchés de permis d’émission et le mécanisme de développement
propre.
a) En 1992 et en 1997, avec la Convention et le Protocole sur les changements
climatiques, est mis en place et se développe le marché de permis d’émissions
négociables. Si certains Etats n’émettent pas les quantités attribuées ou s’ils les
réduisent plus rapidement que prévu, « ce devrait être une chance pour la lutte
contre le réchauffement et non pas un surplus que les plus rapaces peuvent
consommer » (Monique Chemillier Gendreau , La marchandisation de la survie
planétaire, Monde diplomatique, janvier 1998).Se développe ainsi ce que
certains qualifient de marché des permis de polluer.
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b) Ces logiques de rentabilité se retrouvent dans le mécanisme de
développement propre. Les pays développés préfèrent investir, par exemple en
Chine, plutôt que de réduire leurs propres émissions, une « bulle spéculative »
se forme autour des procédés économes en CO2 (voir Aurélien Bernier, Faut-il
brûler le Protocole de Kyoto ?, Le Monde diplomatique, décembre 2007).
3 ) Les restaurations par l’intervention de banques de compensation
a) L’objectif mis en avant est celui de la réduction ou de l’arrêt de la perte de la
biodiversité. Quelqu’un qui, par exemple, détruit une zone humide à cause du
passage d’une route, doit compenser cette destruction par la restauration d’un
milieu équivalent. On détruit dans un lieu mais on doit alors compenser dans un
autre lieu.
b) Des banques de compensation proposent de restaurer des milieux naturels,
ainsi des « destructeurs » vont acheter de l’hectare pour « compenser » (voir
article de Noelle Guillon, « Echangerais steppe contre autoroute », Politis, 14
octobre 2010).Aux Etats-Unis ce procédé existe depuis une trentaine d’années,
par exemple une entreprise du bâtiment ouvre une banque pour vendre des
crédits « habitat mouche », cela pour une espèce de mouche rare en Californie.
Un promoteur local qui achète des « habitats mouche » peut alors construire.
4) Les paiements pour services éco systémiques
Il y a ici deux séries de pratiques.
a) La rémunération de ceux qui entretiennent des éco systèmes.
(Voir Nature à vendre, Patrick Piro, Politis, 14 octobre 2010.Les perversions de
l’économie verte, Patrick Piro , Politis,31 mai 2012.)Cet auteur explique ces
mécanismes :
Ainsi, exemple donné dans l’article cité, au Costa Rica l’Etat rémunère les
services rendus par la préservation des forêts. Les propriétaires reçoivent une
somme, par hectare et par an, en répondant à trois services : séquestration du
CO2, conservation de la biodiversité, beauté des paysages. Les fonds viennent
d’une taxe sur les carburants et aussi de crédits environnementaux achetés par
les entreprises qui bénéficient de ces services, du tourisme par exemple.
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Ainsi, autre exemple donné dans l’article cité, en France en Camargue une
filiale de la Caisse des dépôts a lancé un marché de la biodiversité pour créer un
habitat respectueux d’espèces remarquables, c’est un marché pour des
entrepreneurs qui, en produisant de la steppe par de l’ingénierie biologique,
compenseront des dommages causés par leurs activités.
Ajoutons qu’est mise en place une récompense financière pour les pays qui
luttent contre la déforestation.(REDD, Reduction Emissions from
Deforestation and Degradation ».En effet 20%des émissions de gaz à effet de
serre sont dues à la déforestation(chiffre avancé par exemple par Greenpeace),
donc à travers des Conférences des Parties de la Convention et du Protocole sur
les changements climatiques, on organise ce système à partir de 2010.
b) La rémunération de ceux qui s’abstiennent de détruire ces éco systèmes
Le projet Yasuni en Equateur s’inscrit dans ce cadre. Existe un parc, zone
protégée depuis 1979, lieu de vie de communautés amérindiennes et refuge
d’une biodiversité parmi les plus extraordinaires de la planète. Sous cette
merveille se trouve un gisement de pétrole qui représente 20%des réserves du
pays. Le gouvernement a proposé de ne pas exploiter ce pétrole en échange
d’une rente, un fonds a été créé en août 2010, les sommes des différents
contributeurs seront investies dans le développement durable de l’Equateur.
(voir www.yasuni-itt.gov.ec ).
Le projet a fait l’objet de critiques, par exemple c’est la demande d’énergie,
disent certains, et non pas l’offre qu’il faut diminuer. Il n’en reste pas moins
qu’écologistes et altermondialistes lui trouvent beaucoup de force, on peut en
effet le considérer comme un projet en rupture du productivisme, autant que
faire se peut, la meilleure preuve en est d’ailleurs que les pressions sont énormes
pour exploiter ce pétrole et qu’il sera de plus en plus difficile d’y
résister.L’Assemblée Nationale d’Equateur le 3 octobre 2013, malgré les
protestations des écologistes et des groupes indigènes,a d’ailleurs entériné
l’exploitation pétrolière de ce Parc National. Où était la communauté
internationale pour soutenir cette rupture plus que symbolique ?
Dramatiquement absente.
5) Les obligations catastrophes.
Une obligation catastrophe (catastrophy bond) est émise par une compagnie
d’assurance ou de réassurance. Elle est à haut rendement sur quelques
années.L’assureur transfert des risques à des tiers c’est à dire ici à des
investisseurs, ses pertes seront ainsi moins importantes en cas de catastrophes.
Si la catastrophe prédéfinie survient, le détenteur de l’obligation perd les
intérêts.Ces sommes vont servir alors à répondre financièrement à des
catastrophes naturelles cela pour dédommager des victimes, pour reconstruire…
Mais, si la catastrophe n’arrive pas, l’investisseur au bout de quelque temps va
retrouver et son capital et des intérêts.
En 2013 dans le monde vingt neuf obligations de ce type ont été émises,elles
représentaient un montant de 7,1 milliards de dollars.
D’une certaine façon on peut voir là économiquement une autre forme de
privatisation de la nature et aussi une forme de loterie sur la survenance des
catastrophes naturelles.
B- Le marché, forme globale de marchandisation : l’exemple de l’eau
1) L’ampleur du domaine pour la financiarisation.
a) Le secteur de l’eau est gigantesque. Les enjeux sont vitaux pour les habitants
de la planète et le vivant en général, les intérêts économiques et financiers sont
très importants, les situations conflictuelles sont nombreuses et variées. Les
acteurs de l’eau sont nombreux, ainsi par exemple le Forum mondial de l’eau,
qui se tient tous les trois ans, comprend chercheurs, gestionnaires publics,
fonctionnaires d’organisations internationales, dirigeants d’entreprises privées,
représentants d’ONG…
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b) Les choix liés à l’eau potable et aux services d’assainissement sont
essentiellement les suivants : l’eau est-elle un bien commun de l’humanité ou
une marchandise, un marché à conquérir ? Le droit à l’eau potable et à
l’assainissement implique-t-il ou non l’obligation pour les pays développés de
participer à cet accès à l’eau des pays en développement ? Comment agir contre
les pollutions et la raréfaction de l’eau ? Comment créer une véritable
diplomatie de l’eau ? (voir de Bernard Drobenko, Le droit à l’eau: une urgence
humanitaire, 2èmédition, Johanet, 2012).
2) Le domaine financier intéressé par la création d‘un marché de l’eau.
a) En s’inspirant d’autres domaines, certains acteurs, ainsi des firmes
multinationales, imaginent la création d’une sorte de « bourse mondiale de
l’eau » qui aurait pour fonction de réguler la demande en lui attribuant un prix
et pour autre fonction d’atténuer les manques d’eau.
b) Le futur marché de l’eau se rapprocherait de circuits financiers bien connus
synonymes de spéculations, de produits financiers dérivés…
Qu’en est-il des arguments des défenseurs et des détracteurs de cette
marchandisation de la nature ?
III- Les arguments des défenseurs et des adversaires de la marchandisation
de la nature
Le débat se situe au niveau des principes(A) et au niveau des modalités(B) de la
marchandisation de la nature.
A- Les arguments relatifs aux principes de la marchandisation de la nature
Quels sont les arguments des défenseurs(1) puis ceux des adversaires(2) de ce
phénomène ?
1) Les principes des défenseurs de la marchandisation de la nature
a) La nature mérite notre attention, pourquoi ? Parce qu’elle nous rend des
services, elle appelle notre protection. Nous dépendons d’elle, il faut donc la
sauver.
b) Comment donner enfin sa véritable place à la nature ? Il faut la sortir de la
marginalité, il faut arrêter l’épuisement de ses ressources en lui donnant une
valeur. Sa prise en compte dépendra de cette valeur. Ce qui n’a pas de prix n’a
pas de valeur. Il faut donc donner un prix aux services éco systémiques que la
nature rend gratuitement et instaurer des droits de propriété.
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c) Quel sera le moyen de la sauver ? L’économie doit prendre en compte
l’environnement, elle doit devenir verte. « L’économie verte » sera alors sera
synonyme de croissance, d’équité, tout en réduisant la pénurie de ressources et
les risques environnementaux.
2) Les principes des adversaires de la marchandisation de la nature
a) Dire que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur est une des bases du
productivisme, en fait il y a des choses et des éléments naturels qui n’ont pas de
prix et pourtant une valeur inestimable. Et puis il peut y avoir dans la nature des
éléments non utiles aux humains et qui ont pourtant une valeur en eux-mêmes.
b) Donner un prix aux constituants du vivant, évaluer les services qu’ils nous
rendent n’est-ce pas les considérer comme des objets étrangers à notre espèce
humaine ?
c) La nature a une valeur intrinsèque en elle-même, indépendamment de toute
utilité pour l’homme et elle est essentielle pour les êtres humains .Chaque
élément a ses spécificités mais les deux sont interdépendants, la nature est à la
fois sujet et objet de droit, autrement dit projet de droit, c’est un patrimoine qu’il
faut transmettre.
d) La protection de la nature « n’est pas négociable », lui appliquer la logique
marchande n’est-ce pas la tuer peu à peu ? De même la protection de l’humanité
est un impératif vital. On ne peut pas confier la nature et l’humanité au marché,
fut-il vert. (Voir l’article déjà cité de Monique Chemillier Gendreau du Monde
diplomatique de janvier 1998)
B-Les arguments relatifs aux mécanismes d’application de la
marchandisation de la nature
1) Les mécanismes d’application et les défenseurs de la marchandisation
de la nature
a) L’économie verte crée et va créer de nouvelles sources de profit pour
protéger les écosystèmes. (Voir, par exemple, Vers une économie verte, vision
du PNUE,2011,www.unep.org /greeneconomy.
b) Par rapport à ce qu’elle devait être au départ, elle est peu évoquée dans la
déclaration de Rio2012, les pays émergents et les pays en développement n’en
voulaient pas. (Voir « L’avenir que nous voulons », IIIème partie, L’économie
verte dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la
pauvreté, p11 à 15, Déclaration finale de la Conférence de Rio, doc.ONU,A/
CONF.216/L.I).Voir aussi « L’économie verte déraille à Rio+20 »,article de
Gilles Van Kote, Le Monde,20 juin 2012)
c) L’économie verte, face à la raréfaction d’énergies fossiles (pétrole, gaz) et de
matières premières (fer, argent…), veut séparer la croissance économique …de
la consommation de ressources. Comment ? En produisant plus de valeur sans
accroitre les énergies et les matières premières. On va donc mettre en avant les
progrès technologiques et les capitaux. Il faut investir dans les secteurs du
carbone, de l’eau, de la biodiversité, des forêts, de l’agriculture…C’est d’ailleurs
une des propositions du PNUE.
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d) Les agriculteurs du Sud par exemple seront rémunérés pour des pratiques
agricoles peu utilisatrices de CO2, et rémunérés pour la préservation de la
biodiversité.
e)On affirme, enfin que donner une valeur à la nature aurait quelque chose de
pédagogique, on la regarde autrement parce que l’on sait qu’elle est porteuse de
nos intérêts.
2) Les mécanismes d’application et les adversaires de la marchandisation de
la nature
a) L’économie verte est une mutation du productivisme qui transforme la nature
en objet économique, cela pour de nouveaux profits sous couvert de protéger
les écosystèmes. (Pour une vision critique voir : La nature n’a pas de prix. Les
méprises de l’économie verte. Les liens qui libèrent, 2012, Geneviève Azam.
Nature à vendre, Patrick Piro, Politis, 14 octobre 2010.Les perversions de
l’économie verte, Patrick Piro, Politis , 31 mai 2012.Voir aussi
nogreeneconomy.org )
b) La sacro-sainte croissance demeure, on fait silence sur les déséquilibres Nord
Sud, sur la surconsommation, sur un marché sans limites…
c) Des mécanismes profitant aux dominants. Ces mécanismes se trouvent
souvent entre les mains de ceux qui ont concentré des avoirs, des pouvoirs, des
savoirs.
d) L’intérêt général des Etats, a plus forte raison l’intérêt commun de l’humanité
ne peuvent pas être dégagés, il s’agit d’intérêts nationaux, et surtout d’intérêts
particuliers, à court terme, de firmes géantes et de groupes financiers se
disputant les marchés de la nature.
e) Des mécanismes injustes. Les paiements se feront surtout du Nord vers le
Sud, on dédommagera des peuples autochtones du manque à gagner à ne pas
détruire une ressource.(Virginie Maris, article « Un risque d’impérialisme »,
Politis,14 octobre 2010,et ouvrage de cet auteur, Philosophie de la biodiversité,
éditions Buchet-Chastel), On fait de certains peuples « des gestionnaires de la
biodiversité », on les dédommagera pour cela .On crée un marché des droits à
détruire le vivant que pourront acheter des riches, cela en payant par
compensation les pauvres pour qu’ils protègent leurs propres ressources
biologiques, c’est une division du travail déterminée par un rapport de forces.
f) La compensation n’est-elle pas une permission de destruction ? Ne va-t-elle
pas devenir une « licence de destruction » de la diversité biologique ? Elle va
servir à accepter des projets qui n’auraient pas pu être mis en place à cause de
leurs impacts écologiques. Des espaces continueront à être détruits, mais pour
les banques de restauration ce sera rentable. Dans un lieu une entreprise détruit
des espèces de la faune, elle va se racheter dans un autre lieu en plantant des
arbres. Mais deux mécanismes de destruction sont toujours là : ce qui était
unique a été volontairement détruit et, « en fin de compte », au total, la
biodiversité continue à perdre sa richesse.
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g) Le mécanisme de rémunération pour services rendus dans l’absence d’une
déforestation n’est pas évident quant à des effets négatifs pouvant apparaitre.
Ainsi par exemple une gestion de la propriété que ne connaissent pas des
populations autochtones.
h) Le mécanisme de vente de crédits carbone montre que les émissions n’ont pas
été réduites et que des pollueurs ont joué sur ce marché (prix de la tonne de
carbone 1,26 euros entre 2005 et 2007, puis 20 euros entre 2008 et 2012).
Telle est la situation, y-a-t-il des contre logiques ?
IV- Quelles alternatives à la marchandisation de la nature ?
Nous distinguerons des alternatives juridiques(A) et des alternatives
générales(B), cela bien sûr à titre indicatif pour le présent et pour l’avenir.
A- Des alternatives juridiques face à la marchandisation de la nature
Il faut renforcer la consécration et l’application du droit existant(1) et créer de
nouvelles règles(2).L’imagination politique et l’imagination juridique doivent
répondre présentes.
1) Renforcer l’application du droit protecteur existant
a) Dans la panoplie des principes de droit de l’environnement il s’agit d’
appliquer particulièrement ceux de précaution, de prévention, et aussi celui de
réduction et de suppression des modes de production, de consommation, de
transports écologiquement non viables(principe 8 de la Déclaration de Rio de
juin 1992).
b) Ces principes doivent faire l’objet de règlementations à tous les niveaux
géographiques, il s’agit avant tout d’agir en amont et d’empêcher de nouvelles
dégradations. Le rôle des juges nationaux, régionaux et internationaux dans leur
application reste un élément essentiel.
2) Créer des verrous juridiques, crans d’arrêt de la marchandisation de la
nature.
Sont vitaux au moins trois types de crans d’arrêt face à la marchandisation.
a) Une consécration des biens communs. Au lieu de considérer que, seule, la
propriété privée peut les protéger, on peut penser qu’il faudrait les consacrer
comme éléments du patrimoine commun de l’humanité ,avant tout il s’agirait de
l’eau, et, probablement dans un second temps, souverainetés étatiques obligent,
des forêts…Il faudrait penser ce rattachement au patrimoine commun de
l’humanité en termes de protection environnementale vitale et en tirer les
conséquences , par exemple dans une convention internationale sur l’eau.
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b) Une consécration de certains droits attribués à la nature. Il s’agirait de droits
attribués à la nature et opposables aux destructeurs du vivant. On sortirait de
l’anthropocentrisme omniprésent, on accepterait ainsi que la future Organisation
mondiale de l’environnement ( OME ),créée enfin un jour, pourrait représenter
la nature. Là aussi il faudrait penser le processus (cf cette idée dans l’ouvrage de
Jean-Pierre Beurier, DIE, Pedone, 4ème édition, 2010 p 557.)
c) La consécration consolidée du principe de non régression serait porteuse, on
ne peut pas remettre en cause des acquis environnementaux essentiels. Ce
principe verra le jour au nom des droits des générations futures (voir ouvrage
sous la dir.de Michel Prieur, Le principe de non régression en droit de
l’environnement, Bruylant , 2012.Voir aussi colloque sur ce concept en droit
comparé, actes à paraitre 2014, Limoges 15 et 16 septembre 2013).
B- Les alternatives générales
1) Un concept à promouvoir : la détermination de limites au coeur des
activités humaines
a) C’est ici la mise en avant du concept de détermination de limites au coeur
des activités humaines. Il s’agit entre autres de l’autolimitation des privilégiés
de notre monde, et également du respect des écosystèmes des autres êtres
vivants. ( sur ce concept, voir DIE, J. M Lavieille, Ellipses, 3ème édition, 2010,p
153 à156.Voir l’article de Jean-Jacques Gouguet « Développement durable et
décroissance. Deux paradigmes incommensurables, in Mélanges Michel Prieur,
Pour un droit commun de l’environnement, Dalloz,2007, p123à 147.Voir aussi
Jacques Ellul, Le bluff technologique, Hachette,1988.Serge Latouche, voir par
exemple « Survivre au développement », Mille et une nuits,2004, et un article
« Pour une société de décroissance »,Le Monde diplomatique, novembre 2003 .)
b) L’exemple des limites à déterminer par rapport à la géo-ingénierie est
particulièrement significatif, de ce point de vue il sera important aussi de voir
ce qu’en pense le GIEC et en général et de tel ou tel projet en particulier.
Ces technologies, déjà évoquées dans la première partie de cet article, comme
une des manifestations de la puissance du marché mondial, censées permettre de
« mettre la Terre à l’ombre », devraient avoir au moins trois séries de limites.
D’abord ne pas les considérer comme « le » grand remède miracle face au
réchauffement climatique mais comme un remède parmi d’autres, plus ou moins
important selon les cas. Concrètement cela signifie politiquement
pédagogiquement et financièrement le présenter ainsi, et surtout ne pas se
désengager des politiques de réduction des gaz à effet de serre.
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Ensuite les décider démocratiquement, en toute justice et à des fins pacifiques.
Concrètement cela signifie que doivent en décider tous des Etats, que cela
profite à l’ensemble des peuples et que leur utilisation pacifique soit contrôlée.
Enfin éviter les dégâts collatéraux que ceux-ci soient majeurs ou importants.
Concrètement cela signifie l’application du principe de précaution, l’application
d’interdictions éventuelles d’appliquer telle ou telle technique, l’engagement
de processus de responsabilités, et une occasion de plus de consacrer la notion
de crimes environnementaux.
Cet exemple montre bien qu’une société doit se donner des limites. Remettre à
leurs places la techno science et le marché est vital pour que le vivant ait encore
sa place.
2) Se situer par rapport à la question du prix de la vie
a) Lorsque l’on affirme que « la vie a un prix » cela signifie qu’on peut
déterminer un prix à partir de différents critères. La marchandisation de la nature
se veut proche de cette conception.
b) Lorsque l’on affirme « la vie n’a pas de prix » cela peut avoir deux sens
opposés. On veut dire que la vie est insignifiante par rapport à des intérêts
économiques, financiers et stratégiques. La marchandisation de la nature peut se
retrouver, partiellement ou massivement, sur la pente de cette conception.
c) Lorsque l’on affirme que « la vie n’a pas de prix » cela peut vouloir dire que
tout n’est pas chiffrable, que la vie est au-delà de tout prix, qu’elle est
inestimable. La marchandisation de la nature parait bien éloignée de cette
conception.
N’est-ce pas pourtant cette conception d’une vie considérée comme
inestimable qu’il faut continuer et contribuer à promouvoir ?
(Voir « La vie a-t-elle un prix ? », sur ce site à la rubrique « Sujets tous
azimuts. »)
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Remarques terminales
1) Le mouvement de marchandisation de la nature est puissant. Des firmes
multinationales, les marchés financiers sont côte à côte et tendent à contrôler ces
mécanismes. Des Etats, certaines ONG et d’autres acteurs sont là aussi pour y
participer.
2) Ce mouvement n’ a pas réduit, à ce jour, les risques environnementaux
et la pénurie des ressources, et cela contrairement à ce que croyaient certains.
Comment pourrait-il d’ailleurs le faire avec les mêmes dominants du
productivisme et les mêmes logiques du productivisme, avant tout la primauté
du profit ?
3) Sans doute serait-il erroné et injuste de rejeter tous les mécanismes.
Autant on peut vivement critiquer un pollueur rapace achetant des droits de
polluer aux plus pauvres, autant le refus d’utiliser une réserve de pétrole pour
sauver une biodiversité nous semble porteur.
Il faudrait donc passer en revue tous les mécanismes et porter un jugement
sur chacun d’eux à partir de trois critères :
Quelle démocratie dans ce mécanisme ?
Quelle justice dans ce mécanisme ?
Quels effets environnementaux bénéfiques à court terme, à moyen terme
et à long terme ?
4) Il est important de replacer la marchandisation de la nature dans le
cadre de la course au profit. De façon plus globale le productivisme met en
oeuvre au moins quatre stratégies pour préserver ses taux de profit.
a) La première voie utilisée par le productivisme est une exploitation tous
azimuts de ressources déjà trouvées dans la nature, autrement dit il s’agit
d’exploiter le plus possible les ressources existantes, c’est la course aux
quantités des gisements en route ou en bout de course. Ce que le productivisme
a emballé il l’achète et il le vend jusqu’à extinction des stocks.
b) La seconde voie utilisée par le productivisme est une exploitation tous
azimuts de ressources à trouver de la nature , il s’agit d’en découvrir de
nouvelles, ainsi le gaz de schiste(avec de puissantes pressions de la course en
avant des consommations d’énergie, d’industriels qui multiplient rapidement les
forages par des moyens écologiquement inacceptables avec sous-estimation des
effets écologiques dans les eaux, le sol, le sous-sol ), les richesses minérales aux
pôles et d’abord en Arctique, mais aussi des recherches de nappes phréatiques,
des terres rares, de gisements de pétrole offshore …Ce que le productivisme
découvre il le touche, il l’emballe, puis il le vend et l’achète.
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b) La troisième voie utilisée par le productivisme est un marché tous azimuts
des services de la nature, autrement dit on met en place des services que l’on
va échanger avec le plus de profit possible. Ce processus fait dire à des
économistes critiques (ainsi Jean Gadrey , « Adieu à la croissance », éditions
Alternatives économiques,2010) que « le capital financier veut découper la
nature en services monnayables, puis en marchés dérivés pour qu’on puisse
spéculer sur ces cours nouveaux ». Ce que le productivisme, en affirmant faire
oeuvre de protection, déclare « services » il va le découper et le monnayer.
c) La quatrième voie utilisée par le productivisme est une artificialisation tous
azimuts de la nature, autrement dit des entreprises, surtout des firmes
multinationales, se sont lancées dans les productions d’ organismes
génétiquement modifiés, de biotechnologies, de nanotechnologies, d’utilisations
de plantes en carburants, de nouveaux marchés rentables liés au bio mimétisme
de la nature, et de plus en plus de projets de géo-ingénierie climatique…Ce que
le productivisme commence à voir il va essayer de le modifier, de le
transformer, puis il le vend et l’achète.
Ainsi la pente est prise à grande allure sous de multiples formes : tout vaut tant.
5) Ne faut-il pas au contraire faire d’autres choix ?
a) Les eaux, les sols, l’air, la faune, la flore, tous les éléments de
l’environnement ne doivent pas être considérés avant tout comme des
marchandises.
Ce sont des biens communs intergénérationnels et qui ont une valeur en
eux-mêmes, une valeur inestimable. On reconnait ici la synthèse de la nature
objet de droit et sujet de droit, autrement dit de la nature projet de droit, c’est la
conception anthropo-éco-centrique de la nature.
b) La nature doit-elle être synonyme d’un monde de profit, de marché, de
court terme ?
Ou bien la nature doit-elle être synonyme d’un monde de partage, de
solidarité, de souveraineté alimentaire, « de frugalité conviviale »?
6) Pour conclure nous rappellerons deux avertissements symboliques :
« Il ne possédait pas l’or mais l’or le possédait »écrivait Jean de La Fontaine.
« Les spéculateurs rendent la terre chauve et nue »écrivait David Henry
Thoreau.
7) Le dernier mot sera celui de l’exhortation finale, à la fois désespérée et
pleine d’espoir, du chef indien Seattle en 1854, dans son magnifique
discours de résistance :
« Enseignez à vos enfants ce que nous avons toujours enseigné aux nôtres : la
Terre est notre mère. Et tout ce qui arrive à la Terre arrive aux fils et aux filles
de la Terre. »
JML