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Cher visiteur, chère visiteuse de ce site : s’il y a un phénomène qui traverse une
partie ou une grande partie de nos vies personnelles et collectives c’est bien
celui là ! D’où l’importance d’essayer de le penser, dans le sillage de nombreux
auteurs et à partir de nos vécus.
Introduction
Partir de l’Univers en passant par la Terre pour arriver jusqu’aux mythes, n’estce
pas une façon de prendre conscience de l’ampleur gigantesque de ce
phénomène qu’est l’accélération ?
A- L’ampleur incommensurable de l’accélération dans le cosmos : vers
l’inconnu ?
1) L’Univers est dans une phase d’expansion accélérée. «Il y a donc en
permanence émergence d’espace-temps, ce qui conduit à un Univers au
renouvellement perpétuel. L’évolution de l’Univers semble s’opposer au
concept de mort. Même si on allait vers un Univers totalement vide qui ne
contiendrait plus rien… », voilà ce que pense Jean-Michel Alimi, directeur du
laboratoire des théories de l’Univers de l’Observatoire de Paris Meudon (revue
Science et Vie, septembre 2009.)
2) Pourtant on ne sait pas, aujourd’hui (en 2014), ce qui provoque
l’accélération de cette expansion. Les cosmologistes ont nommé cette cause
« énergie noire », mais, en ces débuts du XXIème siècle, nous ignorons sa
nature. Jean-Michel Alimi continue « Il est donc difficile d’affirmer que
l’expansion accélérée de l’Univers va se poursuivre éternellement. Les choses
pourraient finir par être très différentes », autrement dit : il existe une
incertitude sur le devenir immensément lointain de cette accélération de
l’Univers.
B-L’ampleur gigantesque de l’accélération sur notre Terre : une crise du
temps
Il y a, à la fois, un temps de crise et une crise du temps.
1) Le temps de crise est celui du système productiviste terricide (qui assassine
la Terre) et humanicide (qui assassine l’humanité) (ces deux mots « inventés »
ne mériteraient-ils pas d’être plus utilisés ?). Cette crise, dont les logiques de
fuite en avant commencent avec la colonisation(XVIème), se développe en
1945 avec le nucléaire, symbole d’une techno-science qui ne se donne plus de
limites, et cette crise devient peu à peu multidimensionnelle c’est-à-dire
politique, économique, sociale, écologique, culturelle cela depuis sept
décennies (1945-2015 bientôt), c’est la crise radicale de tout un système. Le
mot « crise » explose sur la planète après le premier choc pétrolier en
décembre 1973 et aussi après le début de la crise financière en juillet 2007.
2) C’est également une crise du temps qui se manifeste par une double
collision gigantesque : collision entre une planète finie, limitée et des activités
humaines se voulant infinies, à travers une croissance illimitée, et collision
entre les temps rapides de la techno-science et du marché et ceux, plus ou
moins lents, quelquefois très lents, des écosystèmes.
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C- Les mythes, les anticipations et l’accélération
1) Du point de vue des mythes ne sommes-nous pas ramenés et confrontés au
mythe grec de Chronos, ce dieu du Temps qui avait dévoré ses enfants pour
mieux assurer son pouvoir ? Chronos, par cet infanticide,d’une certaine façon
effaçait le futur. Aujourd’hui les générations présentes, en particulier à cause
de l’état de la biosphère, laissent-elles un peu, beaucoup ou très peu de
temps et de libertés aux générations futures ?
2) Du point de vue des anticipations nous ne citerons ici que » Le Meilleur des
mondes » d’Aldous Huxley en 1932 (Pocket, 2002), ouvrage dans lequel
l’auteur montre, entre autres, que le resserrement du temps est loin
d’apporter la sérénité. On est confronté au stress temporel, à la dictature de
l’urgence. En mémoire nous revient ce film dans lequel un individu était, par
accident, « sorti du temps » et se retrouvait au centre d’une place d’une
grande ville pendant quelques minutes! Il accélérait ses actes pour pouvoir à
chaque fois les rendre un peu plus nombreux et différents dans ce temps
compressé.
D-Quelques ouvrages importants relatifs à l’accélération
Nous retrouverons ces auteurs et d’autres que nous citerons dans les
réflexions qui suivent, il est cependant utile de resituer, dès le départ, les
pensées de quelques-uns d’entre eux.
1) Parmi les ouvrages qui font date quant à cette accélération, ceux d’abord de
Paul Virilio, urbaniste et philosophe, qui avance ses analyses inquiètes depuis
plus d’une quarantaine d’années, c’est l’un des plus grands penseurs de la
vitesse dans nos sociétés, ainsi par exemple «Vitesse et politique. » (Galilée,
1977), « Le Grand Accélérateur » (Galilée, 2010), il affirme en particulier que
« quand il n’y a plus de temps à partager il n’y a plus de démocratie possible ».
2) C’est aussi Jean Chesneaux, historien qui, dans « Habiter le temps », (Bayard,
1996) affirmait « Nous sommes à la fois obsédés du temps présent et orphelins
du temps à venir. Notre existence tend à se dissoudre en un zapping
permanent, nos sociétés sur-programmées sont bloquées dans l’immédiat,
notre devenir historique se brouille ».
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3) Le sociologue allemand Harmut Rosa, dans son ouvrage « Accélération. »(La
Découverte 2010) affirme qu’à l’accélération technique, et à celle des rythmes
de vie, s’ajoute une accélération sociale, il élabore une « critique sociale » de
cette « compression du présent ».
4) Enfin Nicole Aubert, sociologue et psychologue, dans « Culte de l’urgence.
La société malade du temps » (Flammarion 2003) dénonce, elle aussi, cette
dictature de l’urgence et met en avant un certain nombre de possibilités d’y
échapper.
5) Enfin Lamberto Maffei , neuroscientifique italien, dans « Hâte-toi
lentement »(FYP,2016) montre que la nature de notre cerveau n’est pas adaptée
à ce temps qui se réduit , »il faut redonner la priorité au temps du cerveau plutôt
qu’à celui des machines », il invite à une civilisation de la réflexion basée entre
autres sur le langage et l’écriture.
E-L’annonce du plan proposé
Pour essayer d’avoir une analyse globale, critique et créatrice, nous
envisagerons tour à tour l’histoire et les causes de l’accélération du système
international (I), les manifestations et les effets de ce phénomène (II), des
réponses pessimistes et des réponses volontaristes face à l’accélération du
système international (III).
Il faut cependant souligner qu’entre les causes, les manifestations et les effets,
les distinctions ne sont pas toujours évidentes, il n’y a pas de cloison étanche et
les interactions sont multiples, ce qui rend le phénomène d’autant plus
impressionnant.
I-L’histoire et les causes de l’accélération du système mondial
Quelle est l’histoire(A) et quelles sont les causes(B) de ce phénomène
gigantesque ?
A- Une idée de l’histoire de l’accélération du système mondial
Cette histoire se manifeste surtout par quatre évènements majeurs :
l’explosion démographique et l’urbanisation vertigineuse(1), l’accélération de
la techno-science et du marché mondial(2).
1) L’explosion démographique et l’urbanisation vertigineuse
a) Il a fallu 2 millions d’années pour arriver au premier milliard d’habitants en
1800, il a fallu seulement 210 ans pour avoir une population sept fois plus
élevée, sept milliards d’habitants en 2011.L’explosion continue, en 2050 il y
aurait en principe de l’ordre de 9 milliards d’habitants, elle ralentirait ensuite
puisqu’en 2100 il devrait y avoir (?) 10 à 11 milliards de terriens.
De façon peut-être plus parlante, chaque seconde en 2012 : 4,4 naissances, 1,8
décès, donc un accroissement de 2,6 ; chaque jour approximativement 380000
naissances, 156000 décès, donc un accroissement de 224000 personnes, (soit
l’équivalent de Limoges et de son agglomération, ou d’un peu moins que la ville
de Montpellier), chaque année à peu près 139 millions de naissances, 57
millions de décès, soit un accroissement de 82 millions de personnes de la
population mondiale.
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b) La situation mondiale de l’habitat est liée en particulier à cette explosion
démographique, le monde s’urbanise, multiplie les mégalopoles, se
bidonvillise, se fragilise.
Chacune de ces situations, à sa façon, est porteuse d’accélération du système
urbain, par exemple la rapidité des rythmes de vies dans les mégalopoles, dans
les grandes villes et, à un moindre degré, dans les villes moyennes.
2) L’accélération de la techno-science et du marché mondial
a) La techno-science se développe lentement entre 1780 et 1850. A partir de
1880 jusqu’à 1914 elle s’accélère avec l’arrivée de la radio et celle des voitures.
Elle va plus vite entre 1914 et 1945, enfin de 1945 à nos jours elle atteint une
rapidité incroyable avec l’explosion des médias et de l’informatique, sa
mondialisation est plus ou moins rapide selon les lieux.
Une réalité symbolise cette accélération : entre l’arrivée de la radio à la fin du
19ème et sa diffusion à 50 millions de personnes il y a eu 40 ans, par contre
entre l’arrivée de la connexion à internet et la connexion à 50 millions de
personnes il y a eu 4 ans ! D’autre part le nombre de terriens ayant un
téléphone portable serait de 75% en 2012.
L’exemple des transports est également des plus connus, il y a 150 ans il fallait
trois jours pour aller de Limoges à Paris, aujourd’hui 3 heures, il fallait quinze
jours pour aller de Limoges à Rio, aujourd’hui 7 heures.
b) Le marché mondial s’est accéléré. D’une part les firmes multinationales se
sont internationalisées à partir des années 1960, la production a été plus
rapidement disponible, la consommation a été portée très vite par la publicité,
une course aux quantités les a accompagnées.
Le marché a imposé sa rapidité, ainsi les « flux tendus » sont un des symboles
de cette accélération économique, de même la flexibilité, et dans l’espace et
dans le temps, qui est synonyme d’adaptation de l’être humain au marché
« Etre ou ne pas être flexible ! » nous dit souvent le marché.
La militarisation d’une partie de la science et de l’industrie participe à cette
accélération, les armes sont de plus en plus mobiles, rapides et puissantes.
D’autre part, après la fin de la convertibilité du dollar en or décidée par les
Etats-Unis le 15 août 1971(date capitale), la spéculation sur les monnaies est
devenue plus forte, il y a eu une montée du système bancaire et des marchés
boursiers, le domaine financier s’est séparé de l’économie avec des logiques
spécifiques de fructification des patrimoines, les spéculateurs ont voulu gagner
de plus en plus d’argent de plus en plus vite et, comble du comble, les marchés
financiers fonctionnent aujourd’hui à la seconde ou à la nanoseconde.
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Certains insistent désormais sur le fait que ces marchés « ne supportent pas le
temps démocratique qui ne va pas assez vite » (voir par exemple Patrick
Viveret, entretien Mediapart, du 19-11-2011.)Ainsi « 70% des transactions aux
Etats-Unis et 50% en Europe sont réalisés par des automates. »Lorsqu’on
affirme, selon l’expression consacrée, qu’il faut « rassurer les marchés », il
serait plus proche de la vérité de dire qu’il faut « rassurer ces automates ».On
retrouve bien sûr ici la réalité de la technique qui nous échappe et qui devient
autonome, réalité très présente en particulier dans l’oeuvre de Jacques Ellul
(voir par exemple « Le système technicien », Calmann-Lévy, 1977).
Telle est, très résumée, cette histoire de l’accélération, quelles en sont les
causes ?
B- Les causes de l’accélération du système mondial
Partons de la cause générale(1) pour aller vers des causes particulières(2).
1) Une cause générale: les logiques de la fuite en avant du système
productiviste
Le productivisme c’est un système qui apparait à la fin du Moyen Age (milieu
XVème siècle), qui se développe sous la révolution industrielle(milieu XVIIIème
en Angleterre et début XIXème en France) et qui se mondialise au XXème et au
début du XXIème siècle. Ce système repose sur des logiques profondes.
a) Ces logiques s’appellent la recherche effrénée du profit, la course à la
marchandisation du monde, la course à la mort sous la forme de certaines
productions d’armes conventionnelles et d’armes de destruction massive, la
croissance sacrosainte, la vitesse facteur de répartition de richesses, de
pouvoirs, de savoirs, la dictature du court terme, le vertige de la puissance, la
compétition élevée au rang « d’impératif naturel » de nos sociétés.
b) Cette fuite en avant est, aussi, celle d’une machine à gagner qui devient de
plus en plus une machine à exclure, elle fonctionne comme une lame
gigantesque mettant d’un côté ceux et celles dont les besoins fondamentaux
sont plus ou moins satisfaits et, de l’autre, ceux et celles, qui sont de très loin
les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.
2) Une énumération indicative des causes de l’accélération
a) Ces causes sont connues et nombreuses : la généralisation du règne de la
marchandise toujours à renouveler, une tendance à l’auto reproduction d’une
techno-science qui se dépasse continuellement, la circulation rapide
d’informations, de capitaux, de produits et de services, les déplacements de
plus en plus nombreux et rapides des êtres humains, la croissance de la
population en particulier dans les mégalopoles, l’empilement des bureaucraties
qui tendent à dessaisir les citoyen(ne)s, la prise de conscience de la fragilité du
système international, les discours sur la compétition.
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b) Parmi ces causes l’arrivée des technologies de l’information et de la
communication qui ont eu un grande influence. La vitesse de circulation de
l’information entraine une généralisation de l’instantanéité et de
l’immédiateté, c’est le culte de l’urgence qui domine sur les écrans. Ces
nouvelles technologies sont censées libérer du temps, en fait elles demandent
parfois voire souvent encore plus de temps et participent ainsi à l’accélération
générale.
II- Les manifestations et les effets de l’accélération du système
mondial
Nous envisagerons tour à tour les manifestations(A) puis les effets(B) du
phénomène. Nous constaterons d’ailleurs que les causes soulignées plus haut
et les manifestations se recoupent souvent, de même il n’est pas toujours
évident de distinguer les manifestations et les effets.
A- Les manifestations de l’accélération du système mondial
Partons d’une énumération indicative(1) pour mettre ensuite en avant
l’exemple très impressionnant de l’environnement(2).
1) Une multitude de manifestations de l’accélération du système
international
a) L’accélération technique : ainsi l’accélération des transports, par exemple la
Terre, affirment des scientifiques, semble 60 fois plus petite qu’avant la
révolution des transports, ainsi l’accélération des communications qui met en
avant une priorité et une célébration de l’immédiat.
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Ainsi des techniques qui brouillent les échelles du temps humain, certains
déchets nucléaires sont là pour un temps incommensurable, des voyages dans
l’espace seraient très longs et, à l’autre extrême, voilà le temps miniaturisé à
travers l’informatique, par exemple le temps des marchés financiers…
b) Une accélération des rythmes de vie : dans les villes, surtout les
mégalopoles, on court après le temps avec mille sollicitations et mille priorités,
les déplacements sont plus ou moins incessants, ils représentent une sorte
« d’obligation de mobilité. »
L’exemple des repas symbolise cette rapidité des rythmes de vie, ils sont pris
souvent en un quart d’heure, dans des fast food ou même en dehors de ces
restaurations rapides.
A cela il faut ajouter les « doubles journées »de nombreuses femmes,
accompagnées de multiples stress qui, après le travail, continuent à la maison
à travers l’éducation des enfants et les travaux ménagers.
c) Une accélération sociale et culturelle : on constate que l’on change plus
souvent qu’autrefois de conjoints, d’amis, de métiers, de logements…
C’est le règne d’une certaine précarité ou d’une précarité certaine selon les
situations, la flexibilité est, elle aussi, omniprésente. On se sent souvent
stressé, sous pression, menacé dans son travail.
Si on s’arrête de « courir » on peut alors basculer dans le chômage, dans la
précarité. Quant à l’exclusion c’est une forme du « degré zéro » de la
citoyenneté et de la temporalité, la capacité de se penser dans la durée ne
dépasse pas alors souvent quelques jours.
d) Une accélération politique. L’urgence est devenue une catégorie centrale du
politique, des élu(e)s et des citoyen(ne)s ont souvent « le nez sur l’urgence »au
détriment de politiques à long terme.
Dans cette accélération il faut souligner l’exemple de l’assistance humanitaire
dans laquelle on prend en compte les souffrances du moment, et c’est légitime,
mais il arrive aussi que l’on fasse silence sur les responsabilités passées et sur
les projets politiques pour changer les situations.
e) Une accélération juridique.Certains auteurs ont analysé en profondeur les
rapports entre le droit et le temps, ainsi au niveau général François Ost « Le temps du
droit »(O. Jacob,1999),ainsi au niveau d’une discipline juridique Monique Chemillier-
Gendreau, « Le rôle du temps dans la formation du droit international »( Pedone,1987),
Jessica Makowiak, « A quels temps se conjugue le droit de l’environnement ? »,
(Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, 2007, p. 263-295).Ces auteurs ont
contribué à penser entre autres l’accélération. De façon plus spécifique des séminaires
ont donné lieu à la publication d’un ouvrage sous la direction de Philippe Gérard,
François Ost, Michel van de Kerchove « L’accélération du temps juridique »
(Publications des Facultés universitaires Saint-Louis Bruxelles, 2000).
Nous ferons ici quatre remarques trop courtes, il faudrait les confirmer et les infirmer
en tout ou partie par rapport aux continents, aux pays, aux domaines d’activités, aux
sources de droit, aux disciplines juridiques…
En premier lieu jusqu’en 1945 le droit était souvent synonyme de temps plus ou moins
long, de loi « gravée dans le marbre »,de loi stable, d’une certaine sécurité juridique,
d’un judiciaire rattaché surtout au passé, d’un exécutif rattaché surtout au présent,
d’un législatif rattaché surtout au futur, tout cela avec plus ou moins de retards, de
blocages…
En second lieu à partir de 1945 et surtout à partir des années 1960 on passe à un droit
construit souvent sur des terrains argileux ou mouvants, le phénomène de l’accélération
juridique a eu pour causes, entre autres, la mondialisation du droit(multiplication des
traités…)et un droit de la mondialisation(commerce international…),la création et/ou le
développement des divers ordres juridiques(locaux, nationaux, régionaux,
international), l’accélération de la techno science, les crises et bouleversements
financiers ( des marchés mondiaux fonctionnant pour partie à la nanoseconde),
économiques, sociaux, culturels, écologiques, une arrivée du droit dans les mondes
médiatiques très liés, eux, à l’immédiateté …
En troisième lieu les manifestations juridiques principales de cette accélération
s’appellent une urgence prenant de plus en plus de place, une précipitation et une
improvisation de règles, une inflation de textes s’accumulant en peu de temps dans un
domaine donné, une rapidité d’adoptions, de modifications, d’abrogations de textes, une
arrivée des experts dans la formation du droit qui devient ici et là plus un cheminement
en liens avec des données scientifiques qu’une décision affirmée à un moment donné
voulant stabiliser en partie le futur…
En quatrième lieu parmi les questions posées qui nous semblent les plus vitales : si l’on
pense que le droit doit participer à une certaine maitrise du temps ,comment dans tel ou
tel domaine articuler stabilité, c’est-à-dire un minimum de durée, et changements, c’està-
dire des réponses à de nouvelles nécessités sanitaires, environnementales, sociales,
économiques,et avec quelles hiérarchies entre ces nécessités ? Si l’on pense que le droit
doit contribuer à faire face aux urgences la question du «faire face pour qui ? » n’est-elle
pas celle de la démocratie, ne faut-il pas distinguer par exemple entre l’urgence du profit
et celle de la protection de la nature ? Si l’on pense que le droit doit contribuer à
dégager des politiques à long terme le concept d’intérêt commun de l’humanité, lié à une
responsabilité intergénérationnelle, ne doit-il pas peu à peu être mis en avant, au-delà
des intérêts privés, des intérêts nationaux, des intérêts communs, par exemple dans une
consécration comme norme impérative de droit international général (jus cogens) ? Le
champ du droit international serait alors structuré, les autres ordres juridiques aux
différents niveaux géographiques auraient davantage de sens, le droit contribuerait à sa
mesure à retrouver la maitrise de ce temps qui nous échappe, temps emporté par le
marché et la techno science.
2-L’exemple de l’environnement : l’accélération, une machine infernale
a) L’accélération fonctionne ici comme une sorte de machine infernale qui
comprend quatre mécanismes : Le système international s’accélère dans son
ensemble, penser et faire accepter les réformes et les remises en cause
environnementales prend du temps, l’aggravation de la dégradation rend les
urgences omniprésentes, la mise en oeuvre des politiques environnementales
demande du temps… or le système international s’accélère.
Intellectuellement et affectivement cette « machine infernale » a quelque
chose de déstabilisant, elle signifie de façon impressionnante qu’il n’est pas sûr
que les générations futures aient beaucoup de temps devant elles pour
remonter la pente de la débâcle environnementale.
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b) Ajoutons à cela qu’en matière environnementale il y a de véritables bombes
à retardement, elles mettent du temps à se préparer mais elles peuvent soit
continuer sous la forme de pollutions diffuses soit exploser violemment et
basculer dans l’urgence, ainsi de véritables Tchernobyls sous-marins se
préparent, par exemple dans la mer de Kara qui borde l’Océan Arctique, et çà
n’est pas un cas isolé, le Pacifique et l’Atlantique ont eux-mêmes leurs menaces
et leurs drames en route.
c) Il existe un divorce très impressionnant dans ce domaine comme dans
d’autres : alors que la dégradation environnementale s’accélère et atteint ici et
là des seuils d’irréversibilité, il est fréquent de constater que des conférences
internationales décident … que l’on décidera plus tard, « A l’auberge de la
décision les gens dorment bien » dit un proverbe. Cela signifie que les solutions
devront être de plus en plus radicales et massives si l’on veut ralentir puis
remettre en cause la dégradation de l’environnement.
B- Les effets de l’accélération du système mondial
Ces effets s’exercent à l’encontre de l’ensemble de la société(1) et à l’encontre
des personnes(2).
1) Les effets de l’accélération sur l’ensemble de la société
a) L’accélération porte atteinte à la démocratie. En effet la vitesse a quelque
chose de contraire à la démocratie qui est synonyme de discussions, de temps
pris pour arriver à des compromis, à des partages des décisions. Or le temps
politique est court-circuité par le temps marchand, par le temps économique,
par la vitesse des transactions financières.
Il y a donc une sorte de « désynchronisation » entre le domaine politique et le
domaine économico-financier.
Dans un raccourci on peut également affirmer que les Parlements sont courtcircuités
par les exécutifs plus rapides qui, eux-mêmes, sont court-circuités par
les marchés financiers encore plus rapides.
Avec cette puissance et cette rapidité des marchés financiers Il y a aussi une
certaine désynchronisation entre l’économie réelle et l’économie virtuelle, cela
ne favorise probablement pas la clarté démocratique.
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b) L’accélération a aussi des effets sur le travail. Bien sûr on pense d’une
façon générale à la machine qui libère l’homme de multiples tâches pénibles ou
dangereuses. Mais le tableau est plus complexe.
Il y a un raccourcissement des temps d’intégration et de socialisation, il y a
également une flexibilité qui peut faire disparaitre des liens sociaux, qui peut
déstructurer du « collectif », sans oublier les effets certes sur les créations mais
aussi sur les suppressions d’emplois, et les effets de ces techniques sur
l’adaptation à de nouvelles conditions de travail porteuses de multiples
tensions.« J’aimais mon travail, mais je n’aime plus mes conditions de travail »
entend-t-on souvent dire, « on me demande de faire plus en moins de temps »
est une plainte omniprésente.
N’y a-t-il pas, en fait, souvent deux séries de situations? Des personnes
surchargées de travail (le rendement des actifs) et d’autres personnes exclues
du système d’accélération (les chômeurs, les retraités).
Les choses sont cependant encore une fois plus compliquées puisque les actifs
peuvent avoir une accélération qui est remise en cause (dépression, syndrome
d’épuisement professionnel), les chômeurs sont plus ou moins souvent pris
dans les stress de le recherche d’un emploi, les retraités ont parfois
l’impression qu’ils n’ont « jamais eu autant d’activités de leur vie » et que « çà
passe encore plus vite qu’avant. »
c) L’accélération contribue à l’accroissement des contrôles. L’accélération de
la révolution industrielle s’accompagne d’une multiplication des contrôles. Il y a
ainsi une inflation des fichiers de données personnelles parallèlement au
développement des réseaux de communications.
Certains voient là une menace de plus pour les libertés publiques et privées,
d’où la création, dans certains pays, d’organismes de protection des libertés
par rapport à l’informatique, organismes qui courent derrière de nouvelles
techniques pour essayer d’en contrôler les dérives.
d) L’accélération augmente le poids de l’urgence au détriment du long terme.
L’urgence devient omniprésente. C’est surtout parce que l’on ne s’est pas
occupé du long terme que l’on est noyé dans l’urgence. Il faudrait à la fois
répondre aux urgences et élaborer des politiques à long terme.
e) L’accélération contribue au développement des inégalités. Ainsi par
exemple le mode de déplacement détermine à chaque époque une partie de
l’organisation de la société, il contribue à répartir des richesses et des pouvoirs.
Dans la préhistoire les hommes ont des pouvoirs grâce à la chasse, ils se
déplacent plus vite que les femmes qui portent leurs bébés sur leurs dos ou
sont enceintes et se retrouvent… à la cueillette. Par la suite en Grèce on
constate que ceux qui font marcher les navires gouvernent la Cité, puis c’est la
chevalerie qui est une des bases de la féodalité, viennent ensuite les dynasties
ferroviaires cela sous la Révolution industrielle.
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Aujourd’hui c’est le transport électronique des informations qui contribue à
répartir des avoirs, des savoirs, des pouvoirs, on contrôle et on agit à distance.
Il existe ainsi une discrimination entre « les lents » qui n’ont pas accès à ces
moyens et « les rapides » qui les utilisent. Mais il est vrai également qu’il
existe une démocratisation de l’accès à cette forme de vitesse à travers
l’informatique de plus en plus présente.
De façon plus globale constatons que l’accès à la vitesse est très inégal dans
nos sociétés, ces inégalités peuvent être porteuses d’exclusions. Soulignons
ainsi un exemple frappant, celui des universités.
Une étude de la Banque mondiale (propos de Janil Salmi recueillis par Brigitte
Perucca, Le Monde 7 juillet 2009) évoque « le risque d’un enseignement à deux
vitesses dans les pays émergents », « la course à l’excellence nuit aux
universités ». Si l’on donne moins de moyens aux universités qui en ont
souvent déjà peu, au profit de deux ou trois universités d’excellence, on crée
alors deux vitesses dans ces formations, on aggrave des inégalités.
Et pourtant… les écoles scandinaves, qui n’ont aucune université de rang
mondial dans les classements internationaux, ont un enseignement
considéré comme l’un des meilleurs, voilà une sacrée remise en cause du
discours de la sacro-sainte compétition.
f) L’accélération et ses effets sur l’argent. Le dicton selon lequel « le temps
c’est de l’argent », signifie que l’on tient compte du temps dans le calcul
économique. On gagne du temps pour gagner de l’argent, quitte à licencier des
travailleurs pour augmenter le profit, ce dernier mécanisme est socialement
aussi connu que révoltant.
Une autre réalité complète le dicton : «… et l’argent c’est du temps ». L’argent
s’intègre au temps. Par exemple le chômage entraine un rapport différent au
temps, de même la retraite, mais ces utilisations de temps, en principe devenus
moins rapides( ?), sont liées en particulier aux moyens financiers, faibles ou
plus conséquents, qui les accompagnent.
g) L’accélération et ses effets sur les actualités. Nous sommes plus ou moins
noyés dans un fleuve constant de nouvelles, dans une information continue.
Par contre trop peu nombreuses sont des réflexions porteuses de sens, des
analyses des causes des évènements et, lorsque ces réflexions et ces analyses
existent, les lecteurs, les téléspectateurs, les internautes, faute de temps ou
trop fatigués, seront peut-être plus portés à les mettre de côté ou à en
décrocher assez vite.
La diffusion rapide des informations entraîne aussi des réactions de plus en
plus rapides et peut contribuer à une forme d’instabilité permanente
symbolisée par les « sujets télévisés » qui se succèdent à une cadence
accélérée, souvent sans transitions,et en mélangeant l’essentiel et le dérisoire.
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h) L’accélération contribue aux désynchronisations environnementales.On
épuise les ressources naturelles à un rythme plus élevé que la reproduction des
écosystèmes. Ainsi on déverse nos déchets à une vitesse trop élevée pour que
la nature les élimine , ainsi on aggrave et on accélère le réchauffement de la
planète et la nature absorbe de plus en plus difficilement une partie des gaz à
effet de serre.
i) La compétition et la vitesse marchent côte à côte. «La compétitivité est
élevée au rang d’impératif naturel de nos sociétés »écrit Riccardo Petrella.
« Chacun évoque la compétitivité de l’autre pour soumettre sa propre société
aux exigences de la machine économique »écrivait André Gorz .La compétition
nous fait perdre le sens du « vivre ensemble ». Riccardo Petrella dénonçait
« l’Evangile de la compétitivité. Malheur aux faibles et aux exclus. »(Le Monde
diplomatique, septembre 1991).
Ne peut-on pas observer comment chacun se situe théoriquement et
pratiquement par rapport à la compétition ?
Les uns pensent que la compétition est naturelle. Elle fait partie de la nature
humaine, elle existe depuis toujours et à tout jamais. Les personnes qui
pensent ainsi sont, de très loin, les plus nombreuses sur notre planète, cela
pour une raison simple : le système productiviste, dont c’est l’une des logiques
profondes, a colonisé les esprits. Il est très difficile de faire partager de
nouvelles idées tant l’esprit n’a plus la place de les accueillir et tant il faut de
nombreux moyens pour, dirait Serge Latouche, « décoloniser l’imaginaire.»
D’autres, au contraire, pensent que la compétition est le produit d’une histoire
dans un lieu donné à un moment donné. Elle peut donc être modifiée ou
remise en cause, par exemple par des solidarités, des coopérations, des projets
communs. Là aussi l’appel à l’imagination est majeur pour transformer le réel,
ouvrir des portes vers des alternatives.
Si l’on regarde l’échiquier politique on peut dire que les tenants du libéralisme
croient plus ou moins à la sacralisation de la compétition, elle est saine, elle est
bonne, il faut être parmi les gagnants.
Les tenants du socialisme croient plus ou moins à la gestion de la compétition,
il faut essayer d’en gommer les aspects les plus injustes, il faut la rendre moins
inhumaine.
Les tenants du nationalisme croient plus ou moins à la nationalisation de la
compétition, elle favorisera l’indépendance.
Enfin les tenants d’une société humainement viable voudraient remettre en
cause la compétition. Ce dernier point de vue consiste à affirmer que le choix
n’est pas entre la compétition ou la mort (si vous n’êtes pas compétitifs en tant
que personnes ou que collectivités, vous êtes morts nous répète le système
productiviste) mais le choix est entre la compétition ou la vie, c’est la
compétition qui est mortifère, elle est porteuse de logiques de mort, de
logiques terricides et humanicides.
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Or vitesse et compétition marchent côte à côte, comme deux mécanismes de
répartition des avoirs, des pouvoirs et des savoirs.
Le système productiviste de compétition est condamnable et condamné, ses
logiques destructrices en appellent à la construction d’un autre système fondé
sur le bien commun, sur l’intérêt commun de l’humanité, sur une reconquête
du temps.
j) L’ accélération contribue aussi à « l’administration des peurs ». La peur a
toujours existé à travers des formes variables, avec en arrière- fond la peur de
la mort.
Mais voilà la peur, depuis quelques décennies, encore plus organisée,
orchestrée, politisée. Paul Virilio analyse « L’Administration de la peur »
(Textuel,2010, livre d’entretien avec Bertrand Richard, commenté dans Le
Monde du 4-11-2010 par Nicolas Truong ). En effet ce monde du mouvement
permanent est aussi celui des communautarismes, du repli sur soi, autant
d’effets collatéraux d’un monde dans lequel on désigne des boucs-émissaires.
Devant « ce réel qui s’emballe » ne faudrait-il pas concrètement démonter les
mécanismes du bouc-émissaire (ce qu’a fait en particulier bien sûr René
Girard, La violence et le sacré, 1972), c’est-à-dire dénoncer ces faux remèdes
et apprivoiser nos peurs, par exemple dans un dialogue des différences ? Dans
le peu de temps (au mieux 8 à 10 décennies) qui est donné, à chacun chacune
de nous, de vivre sur Terre, n’avons-nous pas mieux à faire qu’à échanger des
terreurs ? Ne faut-il pas avant tout faire face, ensemble, aux périls communs,
c’est-à-dire aux mécanismes destructeurs mis en oeuvre par le productivisme ?
2) Les effets de l’accélération sur les personnes
Les vécus qui suivent nous les connaissons de façons variables dans nos vies.
a) Le sentiment d’être débordé. Devant une multitude de choses à accomplir
en un minimum de temps, le sentiment d’être débordé ne touche-t-il pas de
plus en plus de personnes ? Les deux petites phrases « je n’ai pas le temps » et
« je suis pressé(e) » sont probablement parmi les plus employées sur la
planète à la fin du XXème siècle et aux débuts du XXIème. L’urgence va ainsi
envahir nos vies sans nous laisser le temps de faire la différence entre d’une
part l’essentiel et d’autre part l’accessoire, le dérisoire.
Par exemple l’instantanéité du SMS, du mail et du portable contribue à une
sorte « d’obligation d’hyper activité.» » Ce qui est urgent passe avant ce qui
est important » , or « dans l’urgence il y a de l’important et du secondaire. »
Nicole Aubert évoque « l’urgence intérieure » (propos recueillis par Thierry
Brun, revue Politis, octobre-novembre 2010), « tant que mon agenda est plein
j’existe ».En fait, explique cette psychologue, une dictature du temps réel
s’installe dans de multiples vies.
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b) Les rencontres sont souvent plus rapides. Les liens sont plus nombreux, les
potentialités plus grandes, mais ces liens ne sont-ils pas plus volatiles, moins
solides ?
Les situations peuvent être pourtant compliquées. Ainsi un mémoire de
master accompagné dans un enseignement à distance aura en principe moins
de profondeur que trois rencontres d’une heure chacune, mais c’est une
possibilité donnée à des personnes qui, sans cela, ne pourraient pas avoir cette
chance, et puis on peut essayer de transformer une certaine « platitude de
l’écran »( ?) en une certaine profondeur humaine , certains sites voudraient
aller dans ce sens.
Ces liens sont aussi centrés surtout sur le présent. Le futur est incertain,
parfois, voire souvent, plus ou moins angoissant.
Quant au passé il est peu évoqué, l’histoire n’est plus toujours apprise, les
racines tendent à s’effacer à travers les changements de lieux souvent plus
nombreux qu’autrefois au cours d’une vie. Sont parlantes, par exemple, les
visites sur les tombes qui s’arrêtent souvent plus rapidement qu’autrefois, et
on est loin de toujours connaitre aujourd’hui où sont enterrés ses ancêtres sur
seulement deux générations.
c) Le présent est comprimé, compressé. Le présent devient plus instable et il
se raccourcit. Devient ainsi plus rapide l’usure des technologies, des pratiques,
des programmes politiques… Le monde change plus ou moins plusieurs fois en
une seule génération.
Le présent se raccourcissant, notre sentiment de réalité ne fait-il pas de
même ? Un étudiant disait, dans un raccourci impressionnant, « J’ai souvent
l’impression d’être revenu de tout avant d’avoir eu le temps d’aller quelque
part ! » C’est ce que l’on appelle la dictature de l’instant. Ainsi l’enseignant n’a
pas assez de temps pour apprendre aux étudiants, ainsi les médecins
voudraient avoir plus de temps pour s’occuper plus humainement de leurs
patients, la liste est longue des professionnels qui manquent de temps. Autre
exemple : au collège et au lycée certain(e)s se rappellent le temps où le 3ème
trimestre « comptait double », il fallait « s’accrocher » jusqu’au bout, par
contre aujourd’hui il n’est pas rare qu’un jugement quasi définitif tombe dès
la fin du 1er trimestre et que la pente soit dure à remonter dans un temps qui
semble…trop court.
d) Les rencontres du réel et du virtuel en situation d’accélération. Certains
affirment que se développent des risques de « déréalisation » de la société.
Des mélanges entre le réel et le virtuel peuvent parfois apparaitre à l’intérieur
d’une utilisation intensive des écrans. L’accélération peut y jouer un certain
rôle.
De même les avancées relatives à la réalisation de « casques de réalité
virtuelle »pourrait aller dans le sens de l’accélération.
Lorsque ces mélanges « réel-virtuel » existent, leurs effets peuvent et
pourront être variables selon les personnes , mais ces effets sont et seront liés
à tel ou tel contexte personnel ou plus collectif.
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e) Le temps « mange l’espace. » Paul Virilio écrit «çà n’est pas la fin de
l’histoire, c’est la fin de la géographie. »
En premier lieu avec l’accélération de la techno-science la planète se rétrécit,
dans le langage courant on dit que « le monde est à portée de mains », d’une
certaine façon on est quelquefois revenu d’un lieu après de simples visites
« hors sol » (reportages…)
Il y a même une sorte d’effacement de l’espace, ainsi les autoroutes font que
des automobilistes le plus souvent ne visitent pas le pays traversé, des
voyageurs voient à peine la grande ville où ils atterrissent et s’en vont tout de
suite dans leurs lieux de vacances.
En second lieu il y a un déclin des distances qui est très impressionnant. En
effet plus de la moitié de la population mondiale, nous dit-on, se trouve à
moins d’une heure d’une ville de plus de 50.000 habitants. Ce taux se situe à
85% dans le monde développé et à 35% dans les pays en développement.
f) L’augmentation du nombre d’actions « par unité de temps » et la réduction
de chaque « épisode de vie. »
Ces réalités on été mises en évidence en particulier par des sociologues et des
psychologues (ouvrages déjà cités, par exemple celui de Nicole Aubert « Culte
de l’urgence. La société malade du temps. », Flammarion, 2003).
En moyenne on entreprend beaucoup plus d’actions dans une journée qu’il y a
trente ou cinquante ans, par exemple on jongle avec ses instruments de
communication, on répond à des démarches administratives souvent plus
compliquées qu’autrefois, on rencontre plus de personnes mais plus
rapidement, on utilise aussi transports privés et publics, on est en liens
informatiques avec divers services, et encore souvent avec son travail une fois
revenu chez soi ou même en congés, informatique oblige .
Les éléments rythmant nos journées en moyenne tendent à se réduire, par
exemple les repas…bien que les durées soient variables selon les repas pris
chez soi ou à l’extérieur, seuls ou avec des amis …
On a tendance enfin à exécuter à la fois plusieurs activités, on peut être par
exemple « dévoré » par plusieurs écrans, ou devenir un accroc aux écrans
même pendant les vacances.
g) Un stress et une nervosité souvent présents. On rencontre en effet deux
séries de situations fréquentes.
D ’une part des personnes surchargées de travail qui peuvent entrer dans une
certaine nervosité parfois permanente, qui peuvent tomber malades en
dépression, maladie fréquente aujourd’hui, ou même aller jusqu’au suicide. On
court de plus en plus vite après ses activités de travail et pourtant la valeur
travail tend à se déprécier.
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D ’autre part, on rencontre des personnes au chômage qui sont dans une
forme de décélération forcée, souvent mal vécue.
h) La capacité de comprendre n’est-elle pas atteinte ? Dans un système de
plus en plus compliqué et rapide n’a-t-on pas moins de temps pour
comprendre en profondeur ce qui se passe ?
Ne faut-il pas trouver les moyens de prendre de la distance, de « se
déprendre » comme nous invitait à le faire Claude Lévi-Strauss dans la dernière
page de « Tristes Tropiques » (Terre Humaine, 1955) ? Mais cette possibilité,
dans le système actuel, n’est-elle pas un luxe pour beaucoup de personnes en
situation soit très difficile, soit de survie ?
De façon plus générale quelles sont les réponses face à ce phénomène
gigantesque de l’accélération ?
III- Des réponses pessimistes et volontaristes face à l’accélération
du système mondial
On connait la pensée d’Antonio Gramsci « Il faut avoir à la fois le pessimisme
de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ».Tels sont les deux points (A, B)
que nous envisagerons tour à tour, étant entendu que l’on peut croire à l’un ou
à l’autre, ou aux deux comme nous invitait à le faire cet auteur.
A- Des réponses du pessimisme de l’intelligence face à l’accélération du
système mondial
Certains insistent sur le fait que ce phénomène touche tous les secteurs de la
société, tous les aspects de l’existence, aucune personne aucune collectivité n’y
échappe. Il faut donc s’adapter (1) ou bien accepter la catastrophe (2).
1) L’adaptation à l’accélération du système international
a) Harmut Rosa affirme « il nous apprendre à devenir des surfeurs hasardeux,
chevauchant la vague de l’accélération, surfeurs sans but et sans direction, en
se tenant prêt à saisir la vague qui vient ».
b) Ainsi comme il faudra essayer de s’adapter aux terribles effets des
changements climatiques, il faudra s’adapter aussi aux multiples effets de
l’accélération du système international. On ne s’attaque pas aux causes, on
essaiera de survivre.
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2) La catastrophe programmée et l’accélération du système international.
a) L’hypothèse la plus probable est celle d’une « course effrénée à l’abîme qui
emportera un monde impuissant » affirme ainsi Harmut Rosa.Il ne croit pas à
un ralentissement général, fruit des mouvements slow , ces « oasis de
décélération » ont peu de poids par exemple face aux réseaux rapides que sont
Facebook, Twitter, Meetic …Et quel poids ont les « villes lentes » face aux
grandes villes toujours aussi tentaculaires et vertigineuses ?
Demain des régimes autoritaires pourraient-ils arrêter la vitesse ?
« Catastrophe ou barbarie » : les deux hypothèses sont synonymes de
malheurs.
b) Jean-Pierre Dupuy rappelle en particulier qu’il « ne reste que cinq minutes
pour sauver la planète », il se réfère à l’horloge de l’apocalypse créée à
Washington en 1947 par des chercheurs atomistes. Elle était à minuit moins
sept après le lancement des bombes atomiques en 1945, après la chute du
mur de Berlin en 1989 elle était à minuit moins dix sept, elle est aujourd’hui à
minuit moins cinq, autrement dit l’avancée vers les grandes catastrophes
s’accélèrerait. L’auteur se prononce « Pour un catastrophisme éclairé. Quand
l’impossible devient certain. » (Seuil, 2002), cela face au déni de la réalité qui
nous pousse à ne pas voir les solutions radicales pour empêcher les
catastrophes. Ce « catastrophisme éclairé » doit produire un bouleversement
de notre rapport au temps, » il faut se projeter dans un avenir quasi certain,
celui de la catastrophe, pour le modifier et sortir de notre paralysie « , faire
naitre les déterminations.
B- Des réponses volontaristes face à l’accélération du système mondial
Essayons d’être fidèles à la formule de Gramsci, « Il faut avoir à la fois le
pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ».
Le premier permet d’avoir les yeux et les esprits ouverts sur des logiques
profondes.
Le second permet d’avoir les mains, les esprits et les coeurs à l’ouvrage.
Et finalement d’essayer, avec nos forces et nos faiblesses, que pessimisme de
l’intelligence et optimisme de la volonté marchent côte à côte, s’interpellent,
se complètent, se soutiennent, s’inclinent l’un vers l’autre, deviennent un
couple de combat.
Il faut bien comprendre les objectifs des réponses volontaristes(1) avant
d’envisager des moyens d’essayer de faire face à cette accélération(2).
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1) Les objectifs des réponses volontaristes face à l’accélération
a) Trouver ou retrouver des besoins fondamentaux. Il s’agit de trouver ou de
retrouver le calme, la lenteur, la continuité. Concrètement cela peut signifier
de « savoir lâcher prise » à certains moments, de ne pas vouloir tout contrôler,
d’apprendre à désobéir à des sollicitations et des demandes dérisoires…
b)Fixer des limites au coeur des activités humaines. Jacques Ellul demandait
« Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne pas de limites ? ».
On peut à ce sujet donner deux exemples, le premier peu connu, le second un
peu plus connu.
Il s’agit d’abord des limites physiologiques de l’espèce humaine. Une équipe de
l’Institut de recherche biomédicale du sport (étude rapportée dans Le Monde
du 6 février 2008) affirme qu’en 2027 « les records du monde auront atteint
leurs limites », on ne pourra plus les dépasser.
Second exemple : la SNCF rêve de lancer ses TGV à 400Km/h mais, au-delà
d’un certain seuil, la grande vitesse peut se transformer en handicap sous
l’effet des contraintes environnementales, techniques et économiques, ainsi
« le train peut aller plus vite…il arrivera à la même heure »(article de Gilles
Bridier ,Le Monde 19 juillet 2008),cela à cause de ces contraintes et, d’autre
part, il est probable que l’on sera obligé de « diminuer la vitesse des trains pour
en faire circuler plus. » Tout cela sans oublier les accidents qui risquent d’être
de plus grande ampleur, voire plus fréquents, car qui dit très grande vitesse dit
matériels et voies « à toute épreuve ».
c) De façon plus globale déterminer les limites d’une société c’est le remettre à
leur place la techno-science et le marché mondial qui ont tendance à occuper
toute la place, à devenir des fins suprêmes et à transformer les êtres humains
en moyens. Les principes de précaution, de prévention, de réduction et de
suppression des modes de production, de consommation et de transport
écologiquement non viables sont au coeur de ce concept, celui de
détermination de limites ,concept décolonisateur de la pensée productiviste( cf
Jean-Marc Lavieille, Droit international de l’environnement, Ellipses,3ème
édition,2010,p153 à 156, avec aussi une bibliographie) .
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d) Prendre en compte des théories et des pratiques de décroissance, de
société post-croissance :
Une économie soutenable çà n’est pas un simple verdissement du capitalisme
financier, c’est une économie s’éloignant du culte de la croissance, s’attaquant
aux inégalités criantes dans les sociétés et entre sociétés du Nord et du Sud,
c’est une société qui désarme peu à peu le pouvoir financier.
Est vital le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en
avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur
surconsommation, leur mode de vie, à brûler moins d’énergie pour adopter des
pratiques de frugalité, de simplicité. Il s’agit d’aller, au Nord et au Sud de la
planète, vers des sociétés écologiquement viables qui mettront en avant une
relocalisation des activités, une redistribution des richesses à partir de fonds
internationaux issus des taxes sur les marchés financiers et les activités
polluantes.
Dans cette perspective une vie simple commence aussi sans doute par un
ralentissement du rythme frénétique de nos vies. « Sois lent d’esprit » écrivait
Montaigne, la lenteur aide à ouvrir le chemin de la sagesse, « la hâte détruit la
vie intérieure » disait Lanza del Vasto.
Jacques Robin écrivait dans « Changer d’ère » (Seuil, 1989) « Nous avons à
enrichir le temps libéré pour que celui-ci ne soit ni temps vide ni temps
marchand, mais créativité personnelle, convivialité sociale et curiosité toujours
en route ».
Différencier l’urgent de l’important. Dans nos vies professionnelles et privées,
on a tendance à donner la priorité à l’urgence. Ne faudrait-il pas donner la
priorité à l’essentiel ? En ce sens, concrètement, ne faudrait-il pas avoir l’art de
savoir remettre au lendemain le détail et le secondaire, cela s’appelle la
procrastination (Kathrin Passig et Sacha Lobo, « Demain c’est bien aussi »,
Anabet .)
Arriver à faire dialoguer passé, présent, avenir. L’individu se trouve projeté
dans l’ivresse d’une course où, pour vivre avec son temps, il doit plus ou moins
« abandonner la maîtrise de sa vie à la dictature de l’urgence, à
l’instrumentalisation de l’instant. » Jean Chesneaux (« Habiter le temps »,
ouvrage déjà cité, Bayard, 1996) affirme « que l’individu est plus ou moins
coupé de tout projet comme de tout héritage, il éprouve de plus en plus de
difficultés à se penser dans le temps ».
La question qui se pose est donc la suivante : « Comment renouer un dialogue
entre le passé comme expérience, le présent comme agissant et l’avenir
comme horizon de responsabilité ? ». Le temps citoyen(ne) doit affirmer sa
capacité autonome face au temps de l’Etat, face au temps du marché, face au
temps de la techno science. Mais à travers quels moyens ?
2) Des moyens à penser et à mettre en oeuvre face à l’accélération
a) Des mouvements de ralentissements de la vie quotidienne
Il s’agit de créer des sortes de lieux de décélération dans différents domaines :
villes, alimentation, éducation…
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Ainsi le réseau international des « villes lentes », né en Italie en 1999, a
aujourd’hui 140 villes de 24 pays qui adhèrent à une Charte, il s’agit de villes de
moins de 60.000 habitants, en Europe, en Australie, au Canada, aux Etats-
Unis…En France on trouve par exemple Segonzac en Charente (article du
Monde des 3 et 4 octobre 2010)… La gestion municipale est centrée sur la
qualité de la ville, sur « une vie qui est bonne », sur l’économie de proximité, le
respect des paysages. Concrètement ces villages et ces villes reposent sur des
rues piétonnes et cyclables, un retour du petit commerce, un marché de
producteurs locaux, des espaces verts, des équipements urbains adaptés aux
personnes âgées, aux enfants, aux handicapés…
Les réseaux de l’alimentation lente « slow food », pour contrer les « fast
food », reposent sur l’éducation au goût, le temps donné aux repas, la défense
de la biodiversité des cultures, ce réseau comprend de l’ordre de 1500
antennes locales dans 150 pays.
De façon plus globale on trouve le « Slow production » qui met en avant des
productions durables, le « Slow travel » qui veut des touristes prenant leur
temps pour rencontrer personnes et monuments, le « Slow parenting » qui est
un réseau de parents voulant prendre du temps pour leurs enfants…
De même on trouve le « débranchement régulier » (Unplay challenge) qui
éloigne un moment les accrocs de leurs écrans. La revue Politis titrait ainsi
« C’est l’heure du slow » (novembre-décembre 2011).Il est très probable que
ces mouvements vont apparaitre ou se développer dans de multiples domaines
et lieux de la planète. L’imagination ne doit-elle pas se déchainer pour
développer les théories et les pratiques de l’éloge de la lenteur ?
b) Des moyens de réintégrer le temps
Réintégrer le temps, dans nos pratiques quotidiennes, dans notre culture,
dans notre art de vivre, pourrait être mis en oeuvre à travers les moyens
suivants proposés à titre indicatif et qui sont parfois partiellement en route :
Un respect des droits des générations futures fondé sur les principes de
prévention, de précaution, et sur le principe de non-régression des acquis
environnementaux essentiels (voir « La non régression en droit de
l’environnement », sous la direction de Michel Prieur et Gonzalo Sozzo,
Bruylant, 2012),
Un respect du patrimoine mondial culturel des générations passées fondé ,
entre autres , sur l’attribution de fonds massifs pour leur entretien,
Une partie du temps qui serait libérée, grâce à un revenu universel d’existence
attribué à chaque être humain, accompagné de revenus d’activités,
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Une prise en compte des « droits du temps humain », évoqués par Jean
Chesneaux dans son ouvrage déjà cité « Habiter le temps », par exemple dans
une « charte mondiale » disait-il, donc juridiquement non contraignante,
incitative, puis un jour, pourrait-on ajouter, dans une convention
internationale,
Des déplacements repensés dans l’urbanisation à tous les niveaux
géographiques,
Une désacralisation de la vitesse, en particulier dans l’éducation de la
maternelle à l’université, et donc la désacralisation de la compétition,
La création d’une Fédération mondiale de l’ensemble des mouvements
contribuant à essayer de ralentir le système international, Fédération dotée
d’importants moyens…(voir sur ce site la rubrique »idées d’actions »)
A titre de » travaux pratiques » à l’échelle internationale nous proposons (sur
ce site à la rubrique « idées d’actions ») la création d’une Fédération mondiale
d’ONG agissant pour le ralentissement du système international
productiviste,une sorte d’internationale de la lenteur. Il ne s’agirait ici que de
traiter un élément du système international productiviste mais un élément
essentiel.
etc…etc… (prenez votre temps pour imaginer de nouveaux moyens personnels
et/ou collectifs. )
Remarques terminales
1) L’une des réponses symboliques les plus magnifiques face à l’accélération,
C’est celle du Petit Prince, d’Antoine de Saint Exupéry , faite à un marchand de
pilules qui apaisaient la soif.« C’est une grosse économie de temps dit le
marchand .Les experts ont fait des calculs .On épargne cinquante trois minutes
par semaine. On en fait ce qu’on veut.» « Moi, dit le Petit Prince, si j’avais
cinquante trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une
fontaine ».
Quel avertissement ! Quelle leçon ! Quelle philosophie de la vie !
Le Petit Prince nous appelle à marcher, à nous mettre debout.
Il nous demande de le faire en nous méfiant de la course, destructrice de la
vie intérieure.
Il nous invite enfin à rechercher de véritables fontaines, il précisera
lesquelles, celles de la responsabilité, celles de « l’apprivoisement » de
l’autre, finalement d’une certaine qualité de relations humaines.
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2) L’accélération et ses liens avec d’autres problématiques du temps.
a) L’accélération est liée à l’un de ses contraires, le temps libéré.
Paul Valéry écrivait magnifiquement « Je déplore la disparition du temps libre.
Nous perdons cette paix essentielle des profondeurs de l’être, cette absence
sans prix pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se
rafraichissent et se réconfortent, pendant laquelle l’être, en quelque sorte, se
lave du passé et du futur, des obligations suspendues et des attentes
embusquées. Point de pression mais une sorte de repos, une vacance
bienfaisante qui rend l’esprit à sa liberté propre. »
En ce sens on peut penser que diminuer la durée du temps d’un travail à
partager est impératif, en allant même plus loin, comme le proposait par
exemple André Gorz qui écrivait « il convient de trouver un nouvel équilibre
entre travail rémunéré et activités productives non rémunérées, découvrir
« l’abondance frugale », inventer une société plus détendue, plus conviviale,
plus libre. »(cf aussi de façon plus globale « L’abondance frugale. Pour une
nouvelle solidarité », Jean-Baptiste de Foucault, éditions Odile Jacob, 2010.)
b) L’accélération est liée à un autre de ses contraires : l’oisiveté.
Oser des moments de paresse et, comme Rousseau, « se laisser aller et dériver
lentement au gré de l’eau, plongé dans mille rêveries … » Le fameux « lâcher
prise » n’est-il pas important à la fois contre le stress et pour essayer, si
nécessaire, de mieux se situer ?
c) L’accélération ne doit pas empêcher ou gommer la diversité des tâches,
Elle ne doit pas tendre à une « uniformité uniformisante » selon l’expression
de Kostas Axelos. Une formule fameuse affirmait qu’il faut « laisser du temps
au temps », laisser mûrir les choses. « Il y a un temps pour tout » disait déjà
un passage de l’Ecclésiaste, « un temps pour planter, un temps pour arracher le
plant (…) »
d) L’accélération est en liens aussi avec la patience.
Les êtres humains doivent avoir le temps de mûrir, il faudrait être patient,
confiant devant les promesses des heureux murissements. Il faudrait aussi être
impatient pour les remises en cause des atteintes à la dignité.
Temps de la diversité et temps de la patience symbolisés par les saisons qui
sont autant de leçons, temps qui nous a donné une merveilleuse page de
littérature sous la plume de Charles de Gaulle : « la nature qui « chante au
printemps (…) », qui « proclame en été(…) », qui «soupire en automne(…) »,
qui gémit en hiver(…) », est-ce la « victoire de la mort ? »… « Non. (…)
Immobile au fond des ténèbres, je pressens le merveilleux retour de la
lumière et de la vie ».
e) Enfin comment pourrions-nous affirmer que l’accélération est totalement
négative ? Nous tomberions alors dans une sorte de conception totalisante.
Vive l’accélération lorsqu’elle sauve des vies ! Vive l’accélération lorsqu’elle
est porteuse de démocratie, de justice, de paix, de protection de
l’environnement ! Vive l’accélération lorsqu’elle nous fait rencontrer ceux et
celles que nous aimons ! Vive l’accélération lorsqu’elle fait retrouver la santé,
l’amour, l’amitié, la tendresse, la paix ! Oui, vive et que vive, alors,
l’accélération !
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3) L’accélération et les générations d’êtres humains.
Habiter le temps n’est-ce pas aussi le devoir de mémoire à l’égard des disparus
et le respect des promesses à l’égard des générations futures ?
François Ost écrit (dans Les clés du XXIè siècle, article intitulé « Générations
futures et patrimoine », Seuil et Unesco, 1999 ) : « Ce n’est que reliée à
d’autres que mon humanité s’affirme ». Cela signifie que, si nous prenons le
temps d’écouter et de réfléchir, nous entendons encore les pas de ceux et
celles qui nous précèdent et déjà les pas de ceux et celles qui vont nous suivre.
Ne sommes-nous pas d’autant plus vivants que nous portons un projet
d’humanité et qu’il nous porte ?
4)… Alors viendra le moment
Alors viendra le moment où, comme maillon de la chaine humaine,
après avoir eu la chance et la force de prendre le temps
de vivre, d’aimer, et de lutter,
nous pourrons, avec Pablo Neruda (Troisième livre des odes, ode à l’ âge,
Gallimard,1978), comme des veilleurs debout qui ont voulu faire confiance
à l’aurore, dire lentement, doucement, sereinement , pleinement :
« (…) Maintenant,
Temps, je t’enroule,
je te dépose dans ma boite sylvestre
et je m’en vais pêcher,
avec ta longue ligne,
les poissons de l’aurore. »
JML