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L’Argument des arguments antinucléaires
Quand je suis revenu de la manifestation contre la centrale nucléaire de Creys
Malville, le 31juiIlet 1977, comme d’autres j’ai su que ma façon de voir le
monde ne serait plus tout à fait la même.
J’ai démissionné de toutes mes fonctions au parti socialiste puis de ce parti luimême,
envoyant une lettre argumentée contre le nucléaire civil et militaire à la
« Gueule ouverte » et « Combat non-violent » qui l’avaient publiée(22-9-1977).
Contrairement au Programme commun de 1972, le PS s’était peu à peu rallié à
la force de frappe ce qui était, pour certains d’entre nous, inacceptable.
J’ai, depuis ce jour de 1977, toujours « eu sur moi » la photo d’un enfant
survivant d’Hiroshima, sous- titrée par un poème poignant d’un japonais qui
s’est suicidé quelque temps après. Bien au-delà du nucléaire, cette photo est là
pour symboliser les souffrances d’un enfant sur deux,ainsi encore fin 2013,
dans le monde, « en situation de détresse et/ou de danger » (pauvreté, maladies,
guerres…) dans ce système productiviste terricide et humanicide, condamnable
et condamné.
J’ai surtout peu à peu compris pourquoi j’étais devenu, intellectuellement,
viscéralement contre le nucléaire. Je l’ai écrit dans de nombreux articles,
ouvrages, et dit dans de nombreuses interventions sur la paix, sur le droit du
désarmement, sur le droit international de l’environnement, sur les relations
internationales.
Les quelques lignes qui suivent sont essentielles pour souligner « l’Argument
des arguments » antinucléaires. Il est trop peu évoqué, ne mérite- t-il pas d’être
plus connu et médité ?
Les systèmes nucléocrates essaient souvent de poser sur les arguments
antinucléaires un linceul de silence, ou bien alors ils les « renvoient dans les
cordes » en invoquant des réflexes » irrationnels et passionnels. » Passionnels?
Heureusement qu’il reste un minimum de passion pour en appeler à la lucidité.
Irrationnels? Il est au contraire rationnel de refuser cette forme de « course à la
mort » qui a sa spécificité. Les systèmes nucléocrates, qui ont des logiques
plongées dans la course en avant, en tirent de temps en temps une certaine
pédagogie : « revoyons de très près la sécurité de nos parcs nucléaires, et
exportons nos technologies nucléaires les meilleures »…
Pourtant une véritable pédagogie de la catastrophe consisterait à comprendre
que le nucléaire ne mérite pas seulement une condamnation radicale(c’est à dire
une sortie rapide ), mais qu’il exige des alternatives massives, à développer
quand elles existent et à créer quand elles n’existent pas, et qu’il appelle aussi à
des économies massives d’énergie.
Toutes les raisons de le refuser quand il n’est pas encore là et de sortir
rapidement du nucléaire quand il est là, ont un point commun.
Les accidents nucléaires, les déchets nucléaires, la prolifération entre le
nucléaire civil et militaire, la difficulté du droit à l’information, les gigantesques
sommes passées, présentes et à venir englouties dans ce type d’énergie et dans
ce moyen de défense ont un point commun, il saute aux yeux pourvu qu’on les
ouvre :
Il s’agit de mécanismes qui ont des effets sanitaires, environnementaux,
économiques, sociaux… QUI TENDENT A ETRE SANS LIMITES DANS
L’ESPACE ET DANS LE TEMPS.
Après les drames, à court moyen et long termes, de la population ukrainienne
(accident nucléaire de Tchernobyl du 26 avril 1986) et celui de la population
japonaise (accident nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011), on doit avoir en
mémoire le titre d’un petit livre sur les hibakushas, survivants des bombes
atomiques : »Guerre nucléaire guerre sans fin« .
On peut ainsi affirmer que, parmi d’autres exemples, si les centrales nucléaires
se multiplient, les lieux évacués pour des périodes plus ou moins longues à la
suite d’accidents se multiplieront aussi, ce sont des logiques profondes.
On peut aussi affirmer que les pollutions radioactives dans le milieu marin
(accidents de centrales nucléaires près des côtes, sous-marins nucléaires
accidentés, fuites de futs par érosion et pression de l’eau …) ont des logiques
destructrices et catastrophiques à très long terme sur ce milieu marin.
Ainsi les systèmes nucléocrates ne veulent pas et/ou n’arrivent pas à voir leur
folie. Kostas Axelos aurait peut-être dit qu’ils deviennent (et nous avec?) » les
fous d’un système devenu fou. » Ils sont, en le sachant ou sans le savoir, une
des avant-gardes d’une société qui a tendance à ne plus se donner de limites.
Jean Rostand, dans « Pensées d’un biologiste « (Stock, 1978), écrivait : « La
science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des
hommes ».
Dans le sillage de Jacques Ellul et de beaucoup d’autres , au nom des victimes
directes du nucléaire, générations futures comprises, et de ses victimes indirectes
en pensant aux sommes gigantesques qu’il a englouties en capturant, pour le
nucléaire militaire, ce qui aurait pu aller vers des besoins criants, il faudra que
ceux et celles qui vont nous suivre arrivent, à travers les rapports de force(et
d’autres catastrophes?) à remonter en amont de l’amont et par exemple à
interdire, en les incriminant, enfin un jour ,les recherches scientifiques sur les
armes de destruction massive dont celles relatives au nucléaire, on les
déclarerait contraires à l’intérêt commun de l’humanité.
Dans cette perspective ne pensons pas que sera toujours dérisoire ce que Jean
Rostand appelait de ses voeux : « l’objection collective scientifique » face à ce
que certains qualifieront d’inacceptable. Il est cependant clair que les résistances
devront être plus globales, ce sont et ce seront celles de l’ensemble des sociétés
civiles, des Etats, et d’autres acteurs, par exemple des collectivités territoriales.
Ainsi doit peu à peu voir le jour dans les vies des peuples, ce concept,
porteur de principes (précaution, prévention…), le concept de LIMITES
AU COEUR DES ACTIVITES HUMAINES.
Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites? N’est-ce pas la
question des questions que pose le nucléaire et que nous devons lui poser?
Article suivant exprimé sous forme de synthèse :
« Sans limites… »
Les raisons de refuser le nucléaire ou d’en « sortir rapidement » ont un point
commun : accidents, déchets nucléaires, prolifération entre le nucléaire civil et
militaire, sommes englouties gigantesques, difficultés d’appliquer un droit à
l’information… peuvent avoir des effets sanitaires, environnementaux,
économiques, sociaux, sans limites et dans l’espace et dans le temps.
Au moment du drame présent et de ses effets à venir (Fukushima, mars 2011) du
peuple japonais, on peut avoir en mémoire le titre d’un petit ouvrage sur le sort
des hibakushas, survivants des bombes atomiques, « guerre atomique, guerre
sans fin« . Ainsi, dans les décennies à venir, les lieux évacués pour des périodes
plus ou moins longues seront probablement de plus en plus nombreux, sauf si de
puissants contre-mécanismes se développent face aux logiques terricides et
humanicides du système productiviste.
Le nucléaire n’est-il pas un des symboles d’une société qui ne se donne plus de
limites?
Jean Rostand, dans « Mémoires d’un biologiste », écrivait : « la science a fait de
nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes. »
Un concept, porteur de principes (précaution, prévention…) et porteur de
remises en cause, dans le sillage de Jacques Ellul et de beaucoup d’autres, ne
doit-il pas voir le jour, celui de limites au coeur des activités humaines?
JML
(Sur ce dernier concept voir l’ouvrage de l’auteur de ce site, JML, Droit
international de l’environnement, Ellipses, 3ème édition ,2010)