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POUR UNE VERITABLE ASSISTANCE ÉCOLOGIQUE
INTRODUCTION
Lorsque l’on parle d’assistance écologique plusieurs réalités peuvent venir à
l’esprit, elles sont relatives aux souffrances, aux urgences, aux déplacés
environnementaux, aux catastrophes écologiques.
-Souffrancesdes sinistrés, ainsi le tsunami du 26 décembre 2004, sur le littoral
de l’Océan Indien, a causé la mort de près de 300.000 personnes, il y a eu plus
de 500.000 blessés, les dégâts matériels ont été gigantesques. Ces souffrances
sont accompagnées, selon les catastrophes, de linceuls de silence ou de fortes
médiatisations, d’indifférences ou de solidarités. Pour ce drame de 2004 la
médiatisation a été intense et prolongée, les solidarités ont été nombreuses et
massives.
–Urgences : l’assistance écologique demeure inscrite dans les logiques de
l’urgence, on veut répondre à des souffrances immédiates, on ne se trouve pas
dans l’élaboration de politiques à long terme. Ainsi pour ce même tsunami la
mobilisation massive a été synonyme d’aide humanitaire, d’aides financières et
de nombreuses actions de solidarité.
-Déplacés environnementaux : il existe des liens entre ces personnes, ces
familles, ces populations et l’assistance écologique qui, lorsqu’elle est mise en
oeuvre, peut contribuer selon les situations à aider des sinistrés à rester sur
place ou à se déplacer à l’intérieur du pays ou à partir dans un autre État ,ainsi ce
même tsunami en Asie du Sud- Est a entrainé le déplacement d’au moins 5
millions de personnes (note 1).
-Enfin les catastrophes écologiques : elles peuvent être appréhendées ici de
deux façons(note 2).
a)Au sens général il s’agit de ces moments et de ces lieux où des
bouleversements tournent au désastre, basculent dans le drame.
Leur place est de plus en plus impressionnante à travers leur nombre, leur
ampleur, leur accélération, leurs enchaînements, leurs interactions, à travers
aussi cette urgence qui devient, au détriment du long terme (alors qu’il faut agir
aux deux niveaux), un élément central en particulier des mondes médiatiques et
politiques.
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Leurs causes sont de plus en plus complexes, ici des causes naturelles, là des
causes humaines mais, depuis que certaines activités humaines sont devenues
une force physique perturbatrice de la biosphère, voilà des causes naturelles et
humaines qui s’enchevêtrent de plus en plus, par exemple des inondations dans
des zones qui auraient dû être inconstructibles, par exemple, certains
tremblements de terre qui seraient causés par la fracture hydraulique
d’exploitation du gaz de schiste.
Les effets des catastrophes écologiques sont dramatiques à travers les victimes,
les souffrances physiques et morales des survivants, les destructions matérielles,
environnementales, sociales, culturelles, les effets aussi en termes d’inégalités
criantes entre personnes, peuples, régions, pays, continents, par rapport aux
préventions, aux secours et aux réparations.
Au delà de ces catastrophes certains pensent que c’est tout un système que l’on
peut qualifier de « catastrophique » tant il est vrai que le productivisme est
porteur de mécanismes terricides et humanicides (3).
b) Au sens juridique la catastrophe est parfois définie par des textes nationaux,
nous nous en tiendrons aux définitions données au niveau international par
quatre textes de nature juridique différente.
Dans le cadre de « la Stratégie internationale de prévention des catastrophes » la
définition est la suivante : « une perturbation grave du fonctionnement d’une
communauté ou d’une société causant des dommages généralisés à la vie
humaine, aux biens, à l’économie ou à l’environnement auxquels la
communauté ou société affectée n’est pas en mesure de faire face par ses
propres moyens. »
Dans le cadre de la Conférence mondiale sur la prévention de catastrophes, en
janvier 2005 à Hyogo au Japon, le Cadre d’action adopté pour 2005-2015
affirme qu’il s’applique « aux catastrophes provoquées par des aléas d’origine
naturelle ou imputables à des aléas ou risques environnementaux connexes ». Il
envisage « la gestion de risques de catastrophes dans une perspective globale,
prenant en considération tous les aléas et leurs interactions, qui peuvent avoir de
lourdes conséquences pour les systèmes sociaux, économiques, culturels et
environnementaux. »
Dans le cadre de la Convention de Tampère, du 18 juin 1998, sur « la mise à
disposition de ressources de télécommunications pour l’atténuation des effets
des catastrophes et pour les opérations de secours en cas de catastrophe »,
l’article 1.6 dispose : « On entend par catastrophe une grave perturbation du
fonctionnement d’une société causant une menace réelle et généralisée à la vie
ou à la santé humaine, aux biens ou à l’environnement, que la cause en soit un
accident, un phénomène naturel ou une activité humaine et qu’il s’agisse d’un
évènement soudain ou du résultat de processus complexes se déroulant sur une
longue période. »
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Dans le cadre de la Commission du droit international(CDI) l’article 2 du
projet de 2009 relatif à « la protection des personnes en cas de catastrophe »
avance la définition suivante : « On entend par catastrophe une perturbation
grave du fonctionnement de la société, à l’exclusion d’un conflit armé, causant
des pertes en vies humaines, matérielles, ou environnementales importantes et
généralisées.»(4).
Dans cette définition les conflits armés sont mis de côté dans la mesure où ils
font l’objet d’un droit spécifique. Les causes sont passées sous silence. Le risque
de dommage ne suffit pas, il faut des pertes effectives. On constate que la
qualification essentielle est celle de « perturbation grave du fonctionnement de
la société », donc n’est pas évoquée la capacité d’une société de faire face ou
non à cet événement, ce qui compte c’est un grave dysfonctionnement qui se
produit.
La définition proposée par la Convention de Tampère semble la plus
opérationnelle non seulement par sa globalité (causes et effets) mais aussi parce
qu’elle ne met pas de côté les conflits armés, il y a en effet des catastrophes
écologiques pendant les conflits armés et, surtout, la protection de
l’environnement pendant les guerres civiles et inter étatiques est
dramatiquement insuffisante.
Michel Prieur écrit « Les catastrophes écologiques sont d’abord des catastrophes
humaines qui affectent également l’environnement. Les effets brutaux ou
immédiats et les effets insidieux ou à long terme affectent à la fois l’homme et
l’environnement, confirmant tragiquement que l’homme et l’environnement sont
inséparables (Déclaration de Rio) ou indissociables (préambule de la Charte de
l’environnement du 1er mars 2005). »(5)
Ces réalités soulignées, on peut constater que l’assistance écologique renvoie
à de multiples questions :
comment la fonder en droit ? Quelle est sa nature juridique ? S’agit-il d’un
droit
des victimes à recevoir une aide, d’un devoir de la communauté internationale
?
Est-ce qu’il ne s’agit pas d’une entreprise de plus d’acteurs puissants
voulant mieux asseoir leur domination à travers une forme
d’ingérence écologique, ou bien n’est-ce pas un alibi pour faire oublier leur
impuissance face aux drames écologiques ?
Lorsque est mise en oeuvre l’assistance écologique : qui décide, qui intervient,
qui est secouru ?
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Quels sont les moyens utilisés, ne faut-il pas les renforcer et, si oui, comment
le faire face aux catastrophes à venir liées en particulier aux changements
climatiques ?
Nous nous demanderons d’abord si l’assistance écologique a acquis les
dimensions d’un principe international, ensuite nous nous interrogerons sur
sa mise en oeuvre.
D’où une première partie relative à la consécration insuffisante de l’assistance
écologique, principe de droit international de l’environnement (I), et une
seconde partie relative à l’application dramatiquement insuffisante de
l’assistance
écologique, forme de solidarité internationale (II).
I. LA CONSÉCRATION INSUFFISANTE DE L’ASSISTANCE
ÉCOLOGIQUE,
PRINCIPE DE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT
(DIE)
Quelques années avant la Conférence de Rio de juin 1992, rares étaient les
auteurs
qui analysaient, comme Alexandre Kiss, comme Pierre-Marie Dupuy, les
prémisses
d’un devoir d’assistance écologique.
Où en sont aujourd’hui les fondements juridiques de l’assistance écologique
et quelle est sa nature juridique ?
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A. Les fondements juridiques de l’assistance écologique
Elle s’inscrit dans la filiation de l’assistance humanitaire, mais n’a-t-elle
pas aussi des fondements plus spécifiques et ne doit-on pas essayer de mieux la
consacrer ?

  1. La filiation de l’assistance écologique avec l’assistance humanitaire,
    elle-même en voie de consolidation coutumière
    a) A l’origine, on le sait, il y a une expérience de l’urgence à travers les
    pratiques
    de médecins français en particulier en 1968 au Biafra, ils créent Médecins
    sans frontières en 1971, Médecins du monde en 1981, lesquels constatent que
    des actions d’ONG sont entravées par des gouvernements, par des groupes
    armés.
    En janvier 1987, ces deux ONG et la Faculté de droit de Paris Sud organisent
    une conférence de droit et de morale humanitaire dans laquelle sont
    mis en avant « le droit des victimes à l’assistance humanitaire et l’obligation
    des États d’y apporter leur contribution ».
    Peu à peu, de 1988 à 1992, apparaît un ensemble de résolutions de
    l’Assemblée générale(AG) et du Conseil de sécurité des Nations
    Unies, résolutions qui donnent naissance à une coutume internationale.
    b) Du point de vue de l’AG, le 8 décembre 1988 est adoptée une résolution
    intitulée
    « assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et situations
    d’urgence du même ordre » (cette dernière expression vise les violations
    des droits de l’homme). L’apport principal de ce texte juridiquement non
    contraignant
    est de poser le principe du libre accès aux victimes qui ne saurait être
    entravé ni par l’État affecté ni par les États voisins.
    Juste après cette résolution, un tremblement de terre en Arménie amène l’Union
    soviétique à demander l’aide des sauveteurs français. La phase suivante date du
    14 décembre 1990, puisque l’AG adopte une résolution ajoutant l’idée de «
    couloirs humanitaires »
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    pour renforcer le libre acheminement de l’assistance humanitaire à travers le
    pays sinistré.
    c) Du point de vue du Conseil de sécurité : au lendemain des sanctions militaires
    contre l’Irak, le Conseil de sécurité adopte le 5 avril 1991 une résolution
    qui insiste pour que l’Irak permette un accès immédiat des organisations
    humanitaires à tous ceux qui ont besoin d’assistance dans toutes les parties de
    l’Irak (il s’agissait des Kurdes assassinés par la dictature). Il y a, affirme le
    Conseil
    de sécurité, un lien entre l’intérêt de la communauté internationale et la
    protection internationale des droits de l’homme. Ainsi, des relais humanitaires
    ont été installés par les alliés sous l’autorité de l’envoyé spécial du Secrétaire
    général des Nations Unies.
    Enfin le Conseil de sécurité, le 3 décembre1992, adopte une autre résolution
    pour acheminer l’aide humanitaire dans l’ensemble de la Somalie, il affirme
    que « l’ampleur de la tragédie humaine causée par le conflit en Somalie
    constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales », ainsi
    l’application du droit d’assistance humanitaire est ici conçue comme un moyen
    de restaurer la paix.
    Cette filiation étant rappelée, soulignons le second point.
  2. Les fondements juridiques de l’assistance écologique reposant
    sur des textes spécifiques de DIE
    L’assistance au pays victime d’une catastrophe écologique est prévue par
    certains textes particuliers.
    a) Du point de vue des déclarations : dans la Déclaration de Stockholm de
    1972 le principe 9 consacre indirectement l’assistance écologique : « Les
    déficiences
    de l’environnement imputables à des catastrophes naturelles posent de
    graves problèmes, le meilleur moyen d’y remédier est l’assistance en tant que
    de besoin ».
    Mais c’est le principe 18 in fine de la Déclaration de Rio de juin 1992
    qui est beaucoup plus direct : « […]. La communauté internationale doit faire
    tout son possible pour aider les États sinistrés ».
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    b) Du point de vue des conventions internationales, la Convention sur le droit
    de la mer(10-12-1982) prévoit une coopération en cas de risque imminent de
    dommage ou
    de dommage effectif au milieu marin par pollution.
    Une convention (Bruxelles, 29-11-1969) prévoit l’intervention en haute mer sur
    les navires battant pavillon étranger en cas d’accident entraînant ou pouvant
    entraîner une pollution par
    hydrocarbures et substances dangereuses.
    Après le drame de Tchernobyl a été adoptée une convention sur l’assistance
    en cas d’accident nucléaire ou de situation d’urgence radiologique (26-9- 1986).
    c) Du point de vue des conventions régionales, par exemple, l’accord de Bonn
    (9-6- 1969) sur la pollution en mer du Nord par les hydrocarbures et autres
    substances
    dangereuses organise une coopération rapide. Tous ces accords sur les
    mers régionales sont bâtis sur le modèle de Bonn de 1969 et prévoient, face à
    l’absence pour un Etat partie ne disposant pas de matériels et de personnels
    suffisants,
    de demander assistance aux autres États Parties.
    d) Du point de vue bilatéral, un certain nombre d’accords entre deux États
    prévoit des modalités d’intervention étrangère, ainsi l’accord franco-allemand
    (3 février 1977) sur l’assistance mutuelle en cas de catastrophes.
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  3. Doit-on aller plus loin dans cette consécration, et si oui comment ?
    La consécration de l’assistance écologique est actuellement insuffisante, il
    faut la renforcer.
    a) Certes, sur le plan de la théorie des relations internationales,
    on peut toujours la fonder à la fois sur les intérêts nationaux lorsqu’une
    catastrophe
    menace d’autres États, et aussi sur les intérêts communs qu’il peut y avoir à
    faire face à des périls communs.
    b) Mais du point de vue juridique qu’en est-il ?
    Existe-t-il une règle générale de droit international autorisant l’intervention
    d’un État étranger dans un État victime d’une catastrophe naturelle ?
    Si l’on se réfère à la Charte des Nations Unies, on sait que la souveraineté
    étatique y est consacrée et que, d’autre part, les compétences des Nations Unies
    vont jusqu’aux sanctions du chapitre VII qui, lui, n’est pas de l’ingérence.
    Le Conseil de sécurité , conformément a ses compétences, n’a pas joué de rôle
    direct par rapport à la protection de l’environnement.
    On peut cependant dire que, lorsque le Conseil de sécurité contribue à régler un
    conflit armé il s’agit d’un effet indirect positif aussi sur l’environnement si la
    prévention a réussi ou si le conflit se termine.
    Cependant une évolution a vu le jour, elle est bien tardive et mal acceptée par
    des Etats mais elle a commencé.
    Le 17 avril 2007 le Conseil a débattu pour la première fois des changements
    climatiques et de leur capacité à engendrer des conflits et un désordre
    international.
    Il est très probable que la protection de l’environnement sera peu à peu
    considérée par le Conseil de sécurité comme une composante de la paix. La
    sécurité environnementale est alors conçue comme une composante du maintien
    de la paix et de la sécurité internationales (6).
    En ce sens l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs
    effets ont été évoquées comme « un des éléments dans la prévention des conflits
    en Afrique de l’Ouest »,cela dans une déclaration du président du Conseil de
    sécurité avec l’accord des Etats membres(10-7-2009). Autrement dit à terme le
    Conseil de sécurité envisagera probablement certaines catastrophes écologiques
    comme « portant atteinte au maintien de la paix et de la sécurité
    internationales.»
    On pourrait aussi invoquer comme fondement de l’assistance écologique la
    coopération qui constitue un des buts des Nations Unies, de même que le respect
    effectif et universel des droits de l’homme.
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    c) On pourrait enfin et surtout conclure une Convention sur l’assistance
    humanitaire et
    l’assistance écologique. Ce serait difficile mais, si elle était bien pensée, cette
    convention
    comblerait une lacune criante. Les dispositions normatives et institutionnelles
    devraient être
    porteuses, en particulier respecter l’indépendance des ONG et dégager de
    puissants moyens d’assistance écologique à différents niveaux géographiques.
    Bref : il y a donc quatre possibilités de renforcer les fondements de l’assistance
    écologique : consolider ceux de l’assistance humanitaire, conclure d’autres
    conventions spécifiques, en appeler éventuellement à la Charte des Nations
    Unies, conclure une Convention spécifique plus globale.
    B. La nature juridique de l’assistance écologique
    N’est-elle pas à la fois un principe de DIE, un droit des victimes et un devoir
    de la communauté internationale ?
  4. L’assistance écologique, un principe de DIE
    L’assistance écologique prend place dans cet ensemble de règles générales
    que l’on trouve dans des déclarations et des conventions de DIE. En tant que
    principe de DIE, l’assistance écologique a deux caractères : c’est une forme de
    coopération et elle se situe en aval.
    C’est une forme de coopération, la coopération est un des grands principes
    de DIE, c’est ici une coopération en cas de situation critique.
    D’autre part l’assistance écologique se situe en aval de la protection de
    l’environnement (contrairement par exemple aux principes de précaution et de
    prévention qui sont en amont), c’est-à-dire que l’assistance écologique arrive,
    de façons variables selon les situations, juste avant la catastrophe, pendant celle
    ci
    et pendant un certain temps juste après la catastrophe. La catastrophe marque
    un point d’arrêt dans le temps (d’arrêt, de rupture, ou d’irréparable).
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  5. L’assistance écologique, un droit des victimes
    Ce droit a deux caractères.
    D’abord l’assistance écologique est liée aux droits de l’homme,
    c’est un corollaire du droit à la vie.
    Le fait de laisser des victimes sans assistance représente une menace
    la vie humaine, une atteinte à la dignité de l’être humain. Donc, chaque
    sinistré a le droit de recevoir cette assistance.
    Ensuite la conséquence de ce droit des victimes c’est le libre accès à
    celles-ci. L’État affecté est invité à faciliter la mise en oeuvre des secours et
    pour
    cela il faut bien sûr arriver aux victimes.
  6. L’assistance écologique, un devoir de la communauté internationale
    Exprimé dans le principe 18 de la Déclaration de Rio, on peut considérer
    que ce devoir a deux caractères.
    D’abord c’est la notion d’urgence qui va constituer le fondement du passage
    du principe de non-ingérence à celui du devoir d’assistance.
    L’urgence correspond à des situations qui causent ou qui menacent
    de causer de façon imminente un dommage grave à un ou plusieurs États,
    ces situations sont provoquées par des causes naturelles et/ou par des activités
    humaines liées à l’environnement.
    Ensuite la Communauté internationale a le devoir d’agir
    dans la mesure où l’État sinistré n’arrive pas à faire face à la catastrophe.
    Il s’agit de la communauté des Etats, à travers en particulier les institutions
    onusiennes.
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    Certes on ménage la susceptibilité de l’État d’accueil
    en lui reconnaissant le droit de refuser l’aide étrangère, ce qu’il fait parfois
    dans un premier temps, le plus souvent elle est ensuite acceptée.
    On peut également relier cette situation aux prémisses d’un élément nouveau :
    « la responsabilité de l’Etat de protéger sa population ». Elle apparait, cela très
    tardivement après bien des drames. Dans le sillage du devoir d’assistance
    (« devoir d’ingérence à des fins humanitaires ») et à la suite du rapport en 2004
    d’un groupe de personnalités, un Sommet des Nations Unies, en septembre
    2005, accepte, dans le document final, de reconnaitre cette responsabilité de
    protéger, c’est « la responsabilité première d’un Etat de protéger sa
    population » du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique, des
    crimes contre l’humanité. Au cas où les moyens pacifiques seraient insuffisants
    et où les autorités nationales échoueraient à protéger leur population, la
    communauté internationale des Etats devrait agir collectivement par l’entremise
    du Conseil de sécurité et conformément à la Charte des Nations Unies.(7)
    Dans cette perspective ne peut-on pas considérer que la responsabilité de l’Etat
    de protéger sa population devrait, un jour, s’étendre à la sécurité
    environnementale, cela dans certaines situations catastrophiques ? La
    communauté internationale ne devrait-elle pas avoir à ce moment là les moyens
    de se substituer à l’Etat ?
    Un des problèmes essentiels qui resterait à résoudre serait celui du retrait
    automatique de forces armées, sous l’égide des Nations Unies, après leur
    contribution à l’assistance écologique face à la catastrophe, étant entendu bien
    sûr que les moyens utilisés seraient pacifiques mais massifs, en particulier des
    hélicoptères, des ponts mobiles,des hôpitaux de campagne, d’autres moyens de
    faire face aux urgences que, souvent, seules les armées possèdent et maitrisent.
    Mais qu’en est-il donc aujourd’hui de l’application de l’assistance écologique ?
    II L’APPLICATION DRAMATIQUEMENT INSUFFISANTE DE
    L’ASSISTANCE ÉCOLOGIQUE,
    FORME DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE
    Se posent des problèmes d’identification des acteurs et des problèmes relatifs
    aux moyens.
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    A. L’identification des acteurs de l’assistance écologique
    D’abord conçue pour faciliter le travail des ONG, l’assistance écologique
    tend à s’appliquer à l’initiative directe des gouvernements occidentaux avant
    d’être en partie institutionnalisée, coordonnée dans le cadre des Nations Unies.
    Qui intervient ?
    Ce sont d’abord sur place des solidarités entre sinistrés, des arrivées de
    sauveteurs
    de l’État sinistré, des réseaux associatifs d’ONG déjà sur place. Toutes
    ces aides vitales peuvent cependant vite avoir leurs limites liées en particulier à
    l’ampleur de la catastrophe.
    La porte s’ouvre alors aux sauveteurs de pays étrangers, aux ONG,
    aux organisations internationales.
    L’État sinistré a un rôle prioritaire dans l’organisation des secours,
    les problèmes de coordination sont complexes (la catastrophe de décembre 2004
    en Asie en témoigne).
    Enfin, il peut y avoir une militarisation de l’assistance écologique à travers
    différentes
    équipes militaires et certains moyens, par exemple des hélicoptères
    qui devraient intervenir vite et en grand nombre…
    Qui est secouru ?
    L’assistance écologique ne doit pas être sélective, elle doit être tournée vers
    toutes les victimes de toutes les catastrophes environnementales qui
    sont de diverses origines. (8)
    Le rôle des médias de ce point de vue est très important en particulier par
    rapport à la
    temporalité de l’intérêt.
    Ne pourrait-on pas essayer d’aller plus loin ?
    Ne faut-il pas organiser une coordination des ressources et des spécialités ?
    On le peut et on le doit. Si l’on veut avancer, il y a probablement trois
    solutions :
    La plus simple consiste à renforcer l’organe de coopération humanitaire
    des Nations Unies. Cette solution ne sera pas à la hauteur des défis de demain.
    Page 13
    La solution la plus opérationnelle consisterait à créer une Agence internationale
    des casques verts qui soutiendrait les équipes sur place,
    agence organisée internationalement et par grande région et sous-région du
    monde et prête à se
    déployer à tout moment. C’est la solution qui semble la plus porteuse,
    l’Agence agirait en coopération étroite avec les acteurs de terrain.
    La solution la plus centralisée consisterait à créer une sorte de Samu mondial
    qui placerait toutes les équipes (ONG comprises) sous son autorité. Sur le
    terrain
    les difficultés à surmonter ne seront pas évidentes.
    B. Les moyens mis en oeuvre à travers l’assistance écologique
    L’assistance écologique se développe à travers deux séries de moyens : ceux
    liés à une action préalable à une situation critique, ceux liés à une situation
    critique
    qui s’est produite.
  7. Les moyens relatifs à l’action préalable à une situation critique
    Ces moyens s’appellent les échanges d’information sur les organes devant
    être alertés, sur les plans prévoyant des situations critiques, les programmes
    d’assistance, la surveillance de zones déterminées. La Convention sur
    l’assistance
    en cas d’accident nucléaire prévoit que les États déterminent et notifient
    à l’AIEA les experts, le matériel pouvant être fourni en cas de besoin, ainsi que
    les conditions financières de cette assistance.
    Page 14
    À titre préventif les moyens de mieux prévenir les désastres s’appellent entre
    autres :
    systèmes d’alerte dans les océans sur les secousses sismiques, digues plus
    élevées, constructions parasismiques, lignes électriques particulièrement
    résistantes, entretien des mangroves de régions côtières, interdictions de
    constructions en terrains considérés comme dangereux et, bien entendu,
    organisation de lieux d’accueil de sinistrés et organisation de l’évacuation de
    populations…
  8. Les moyens relatifs à l’assistance en cas de situation critique qui s’est
    produite
    Il s’agit d’organiser l’assistance : financement des opérations d’assistance,
    formalités de contrôle et de douane en ce qui concerne le passage de frontières
    par le personnel de secours et le matériel, conduite des opérations…(9)
    Par rapport à la Convention sur l’assistance en cas d’accident nucléaire (1986),
    l’État demandant l’assistance doit préciser le type d’assistance requise, il doit
    fournir toutes les informations qui peuvent être nécessaires.
    Tout État peut demander une assistance portant sur le traitement médical
    ou l’installation provisoire sur le territoire d’un autre État Partie de personnes
    affectées par un accident nucléaire.
    Par contre, pour les mesures qui interviennent sur le territoire de l’État qui
    fournit l’assistance, c’est celui-ci qui doit coordonner les opérations. La
    Convention
    fait une large place à l’AIEA dans l’organisation des opérations d’assistance.
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  9. Répondre à l’aspect dramatiquement insuffisant des moyens face aux
    catastrophes écologiques majeures
    Face aux catastrophes qui s’annoncent, liées en particulier aux changements
    climatiques, ne faut-il pas créer un fonds international destiné à l’assistance
    écologique dont les ressources correspondraient à l’une des nombreuses
    taxations mondiales que l’on imagine ici et là.
    Ne faut-il pas créer et développer des moyens de repérer, par exemple
    par satellites, les différentes possibilités d’accéder aux victimes ?
    Ne faut-il pas former et organiser des équipes spécialisées beaucoup
    plus nombreuses dans chaque pays et celles aussi d’une Agence
    internationale des Casques verts ? Cette Organisation mondiale
    de l’assistance écologique pourrait être par exemple un des bras
    de l’Organisation mondiale de l’environnement (voir article sur ce site
    et à cette rubrique « environnement ».)
    De ce point de vue, il ne s’agit pas d’administrer la peur, de cultiver la peur pour
    administrer la sécurité, il s’agit simplement de la peur salutaire force de vie,
    sursaut de vie, celle qui pousse à faire face à ses responsabilités.
    Remarques terminales
    Pour terminer nous voudrions insister sur cette double nécessité : organiser
    l’assistance écologique et construire des politiques à long terme.
    1) L’assistance humanitaire et l’assistance écologique n’ont jamais prétendu
    qu’à soigner les victimes. Elles ne peuvent servir ni d’alibi ni de substitut à des
    politiques
    cohérentes, aux différents niveaux géographiques, politiques destinées
    à prévenir des exactions et des catastrophes.
    La prévention, les remises en cause de modes de production, de consommation,
    de
    transport écologiquement non viables, tout cela est vital.
    Page 16
    2) Cependant organiser l’assistance écologique, soulager des souffrances
    immédiates,cela aussi est essentiel. L’imprévoyance des politiques n’est pas une
    raison
    pour justifier l’indifférence face aux souffrances des sinistrés.
    Pablo Neruda faisait dire à son peuple martyr : « Aucune agonie ne nous
    fera mourir. » On pourrait affirmer cela de sinistrés qui nous laissent sans voix
    en se remettant debout avec un courage qui semble inépuisable.
    3) Mais où sont les courages, où sont les volontés des acteurs qui composent
    la communauté internationale pour construire une véritable assistance
    écologique
    rapide, multiforme, puissamment financée, répartie sur le globe, à la
    hauteur
    (s’il est encore temps) des catastrophes qui se préparent ?
    JML
    Notes
    (1) sur les déplacés environnementaux voir :
    BétailleJulien,Des« réfugiésécologiques »à la protection des
    « déplacés environnementaux », éléments du débat juridique, Revue hommes et
    migrations, n°1284,mars-avril 2010,p144 à 153.
    Chemillier-Gendreau Monique, Faut-il un statut international de réfugié
    écologique? REDE, 4-2008, p 446 à 454.
    Cournil Christel, Emergence et faisabilité des protections en discussion sur les
    « réfugiés environnementaux », in Réfugiés climatiques, migrants
    environnementaux ou déplacés ? Numéro sous la direction de Luc Cambrézy et
    Véronique Lassailly-Jacob, Revue Tiers Monde, n° 204, octobre-novembre
    2010, p 35 à 53.
    Cournil Christel, A la recherche d’une protection pour les « réfugiés
    environnementaux »:actions, obstacles, enjeux et protections, Revue Asylon(s),
    n°6, novembre 2008.
    Cournil Christel, Les défis du droit international pour protéger les « réfugiés
    climatiques » : réflexions sur les pistes actuellement proposées, in Cournil C,
    Colard Fabregoule C (dir), Les changements climatiques et les défis du droit,
    Bruylant, 2010, p345-372.
    Page 17
    Cournil Christel, Les migrations et déplacements climatiques : quelle
    gouvernance, quels droits ? Draft-Contribution écrite de la communication orale
    à l’AFSP, 31 août 2011.
    Lavieille Jean-Marc, Marguénaud Jean-Pierre, Bétaille Julien , Présentation du
    projet de convention sur le statut international des déplacés environnementaux,
    Revue européenne de droit de l’environnement(REDE),numéro spécial,
    2008,n°4.
    Michelot Agnès, Vers un statut de réfugié écologique ? in les catastrophes
    écologiques et le droit, Bruylant, 2012, p517à540.
    Prieur Michel, le projet de convention sur le statut international des déplacés
    environnementaux, même ouvrage Bruylant, 2012, p542à549.
    (2) Jean-Marc Lavieille/Julien Betaille/Michel Prieur (sous la dir.)Les
    catastrophes écologiques et le droit, échecs du droit, appels au droit, Bruylant,
    2011, 608 pages.
    (3) Jean-Marc Lavieille, « Du productivisme autodestructeur à une société
    humainement viable », Pour un droit commun de l’environnement, Mélanges en
    l’honneur de Michel Prieur,Dalloz,2007,pp.223-241.
    (4 )Eduardo Valencia-Ospina,Deuxième rapport sur la protection des personnes
    en cas de catastrophe, Assemblée générale des Nations Unies, Commission du
    droit international,A/cn.4/615, 7 mai 2009, pp.12-16.
    (5) Michel Prieur, « Le projet de convention sur les déplacés
    environnementaux », Les catastrophes écologiques et le droit,Bruylant,
    2011,pp542-553.
    (6) sur la sécurité environnementale voir L’environnement comme cible, Jean-
    Marc Lavieille, Patrice Bouveret, Directeur du CRCPC de Lyon, Rapport du
    GRIP 2008, N°6 sur « Sécurité collective et environnement ».
    (7) Un rapport du Secrétaire général des Nations Unies de 2009 a précisé la mise
    en oeuvre de cette responsabilité. Mais surtout le Conseil de sécurité a fait
    référence à « la responsabilité de protéger » pour le Darfour (avril 2006),la
    Libye(février 2011),la Côte d’Ivoire(mars 2011),le Yémen(octobre 2011),le
    Soudan du Sud(juillet 2012).Par contre le projet de résolution(par exemple en
    février 2012) a échoué par rapport à la Syrie(vetos de la Russie et de la Chine.)
    Page 18
    Au moins deux questions restent présentes : d’abord celle de l’opposition entre
    une légalité qui peut se trouver bloquée au Conseil de sécurité (d’où le serpent
    de mer vieillissant de sa réforme) et la légitimité d’une intervention devant une
    violation particulièrement terrifiante de la protection de la population.
    Ensuite la nature des moyens d’intervention qui peuvent produire victimes,
    souffrances et destructions. Cette dernière question se pose dans le cadre d’une
    intervention légale décidée par l’ONU et aussi dans le cadre d’une intervention
    illégale, décidée par un ou plusieurs Etats sans accord du Conseil de sécurité :
    les effets de bombardements massifs, lorsque ces moyens sont employés, sont le
    plus souvent terribles.
    La communauté internationale souvent se trouve donc, pour n’avoir pas voulu
    agir en amont à travers des moyens porteurs d’une véritable paix, soit
    impuissante devant des drames, soit poussée à employer des moyens militaires
    plus ou moins destructeurs.
    (8) Selon l’International Council for Science (ICSU) (rapport 20 octobre 2005)
    pour la période
    1994 à 2003 les cataclysmes en pourcentages ont été les suivants : les
    inondations (33 %), les
    tempêtes (23 %), les épidémies (15 %), les sécheresses (15 %), les tremblements
    de terre et les tsunamis (7 %), les glissements de terrain (4,5 %), les éruptions
    volcaniques 1,4 %), les avalanches(0,7 %), (Sources EM-DAT the
    OFDA/CRED International disaster database).
    (9) Le manque dramatique de moyens se retrouve ici et là, par exemple au
    Pakistan (séisme du 8 octobre 2005, selon les autorités pakistanaises les chiffres
    provisoires : 49 739 morts et plus de 74 000 blessés ; en Inde : 1 329 morts).
    Deux semaines après le séisme au nord du Pakistan,
    500 000 personnes n’avaient toujours reçu aucune aide selon l’ONU. « Sur
    l’appel d’urgence
    de 312 millions de dollars lancé par l’ONU seuls 86 millions avaient été promis
    ». Le coordonnateur de l’aide d’urgence des Nations Unies, Jan Egeland, a
    dénoncé la faiblesse de la Communauté internationale.