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LE DROIT A LA PAIX
(Intervention de JML, animateur de ce site, au colloque international « Droits
de l’homme et sécurité », en Turquie, à Ankara, 7 et 8-12-2001, les actes du
colloque ont été publiés dans une version turque et une version française,cet
article a été mis à jour en avril 2014 pour le site ).
INTRODUCTION
Dans son discours de réception de prix Nobel de la paix, un des inspirateurs de
la Déclaration universelle des droits de l’homme, René Cassin, affirmait : « La
paix c’est un état où les droits de l’homme sont d’abord connus et ensuite
respectés mais réciproquement c’est une chimère que de croire qu’on peut
respecter les droits de l’homme dans un monde où la guerre, c’est-à-dire la
négation même de l’existence de l’homme, est affirmée tous les jours ».
Dans cette introduction nous partirons d’une vue globale des
conceptions de la paix ce qui constituera une première approche du contenu
de ce droit à la paix.
1) Etymologiquement le mot paix signifiait « conclure un pacte » et traduisait la
volonté d’écarter ou d’arrêter la guerre. Le dictionnaire met en valeur cette
même idée, celle de rapports réguliers, calmes, sans violence d’un Etat avec un
autre.
Ces définitions ne rendent pas compte de toute une diversité liée à cette
notion. On peut en effet rassembler les diverses conceptions de la paix en trois
groupes : les approches selon le sens commun, les approches scientifiques, les
approches de deux organisations internationales, la SDN et l’ONU.
2) Selon le sens commun la paix est, le plus souvent, définie bien sûr par
référence à la guerre, la paix c’est la situation d’un pays qui n’est pas en guerre
civile et/ou en guerre avec d’autres Etats. Oui, il faut avoir présent à l’esprit
l’immense contenu de ce mot paix avec tout ce qu’il représente comme
absence des grandes souffrances de la guerre. Fénelon (vers 1700)
écrivait « Toutes les guerres sont civiles, c’est toujours l’homme qui répand son
propre sang, qui déchire ses propres entrailles. »
Toujours selon le sens commun la paix peut-être synonyme de période
lointaine du passé, d’un âge d’or qui aurait existé ou bien synonyme d’un futur
lointain, d’une sorte d’idéal historique qui serait atteint un jour.
D’autres encore diront que la véritable paix n’est pas de ce monde et qu’elle ne
peut pleinement exister que dans « l’au-delà. »
La paix peut aussi évoquer un ordre que l’on voudrait imposer ou que l’on
impose, par exemple la « Pax Romana », la paix romaine, impliquait la
domination de Rome sur ses adversaires.
Enfin la paix peut être synonyme de paix intérieure, de paix avec soi-même, de
paix des coeurs, d’une profonde sérénité.
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Reprenant plusieurs conceptions précédentes une définition affirme que « la
paix c’est l’ordre dans la tranquillité ».
Mais les questions restent entières : de quel ordre s’agit-il ? Et une tranquillité
pour qui?
3) A côté de ces conceptions selon le sens commun il existe des conceptions
scientifiques de la paix, elles se ramènent à deux grands courants :
Le premier courant scientifique est celui des instituts de polémologie c’est-àdire
d’étude de la guerre. On analyse les conflits armés, la paix est considérée
au sens restreint, il s’agit de l’état d’un groupe humain souverain dont la
mortalité ne comporte pas une part d’homicides collectifs organisés.
Le second courant scientifique est celui des instituts de recherches sur la
paix, c’est à dire d’études des manifestations des conflits armés mais, aussi, de
leurs causes et des solutions à y apporter, par exemple les luttes pour la justice
dans les sociétés du Nord et du Sud. Ainsi est la notion de paix selon le sens
commun et selon les recherches scientifiques.
4) Dernière série de conceptions de la paix, celles de deux grandes
organisations internationales : la Société des Nations et les Nations Unies.
Pour la Société des Nations la paix devait reposer sur le règlement des conflits.
Cette conception se ramenait donc à cette idée : « si nous voulons la paix il faut
régler les conflits ».
Les Nations Unies essaieront d’aller plus loin. La paix doit reposer sur le
règlement des conflits mais aussi sur la coopération. Cette conception se
ramène à cette idée : « si nous voulons la paix il faut régler les conflits et agir
pour la justice ».
5) Pour terminer cette introduction nous proposerons une définition encore
plus large que celle des Nations Unies. La paix c’est, avant tout, l’absence de
guerre et c’est, aussi, la mise en oeuvre de moyens démocratiques, justes,
écologiques et pacifiques, cela à tous les niveaux géographiques (local,
national, continental, international).
Cette diversité des définitions a-t-elle des effets sur le droit à la paix, en
particulier y-a-t-il une diversité du contenu de ce droit ?
En proposant une analyse, qui se voudrait globale, critique et créatrice, nous
poserons quatre questions : quel est le cadre juridique(I), quels sont les
fondements(II), quel est le contenu(III), quelle est la mise en oeuvre(IV) de ce
droit à la paix ?
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1ère partie : Le cadre juridique du droit à la paix
Le droit à la paix se situe dans le cadre des droits de la troisième
génération(1), dans le cadre des rapports entre la paix et le droit(2), dans le
cadre du droit de la paix(3) , enfin dans le cadre du concept de sécurité(4) :
1er point : Les droits de la troisième génération et le droit à la paix.
Comme le droit au développement, comme le droit à l’environnement, le droit
à la paix a fait l’objet de deux critiques auxquelles on peut facilement répondre.
a) La première critique a consisté à dire : l’accumulation de droits risque de
banaliser, de dévaloriser l’ensemble des droits, il faut en rester aux droits
fondamentaux.
D’autres auteurs pour répondre à cette critique ont, à juste titre, insisté sur
l’évolution des réalités et des concepts. Il faut essayer de répondre à de
nouvelles menaces, à de nouveaux drames.
Les trois générations de droits (droits-libertés, droits-égalités, droitssolidarités),
tout en ayant chacune leur spécificité, doivent se renforcer,
s’appuyer les unes sur les autres, et ça n’est pas parce qu’on élève de nouvelles
digues contre de nouvelles menaces qu’il ne faut plus consolider et surveiller
les premières digues que l’on a construites.
b) La seconde critique vise le contenu des droits de la troisième génération,
particulièrement le droit à la paix. Celui-ci n’est pas un droit : c’est un voeu, une
aspiration. Pourquoi ? Parce que son objet est indéterminé, son titulaire
imprécis, sa mise en oeuvre sans opposabilité, sa sanction impossible.
D’autres auteurs pour répondre à cette critique ont, à juste titre, insisté sur le
fait que la détermination des droits-libertés et des droits-égalités a demandé
du temps, sur le fait, aussi, que le droit à l’environnement – droit de la
troisième génération – a été précisé peu à peu et que le droit à la paix devrait
peu à peu suivre le même chemin, la détermination de son contenu est donc
un défi qu’il faut relever.
2ème point : quels sont les rapports entre la paix et le droit ?
Deux approches existent.
a) D’abord la première approche est celle de la paix par le droit. Le droit s’était
accommodé de la violence entre les Etats. Loin de la condamner il fondait sur le
droit de conquête une appropriation des espaces et des ressources. Or, à la fin
du siècle dernier et à la veille de 1914, un certain nombre d’hommes politiques
ont voulu faire coïncider le droit et la paix.
Ainsi le rêve des conférenciers de la Haye (1899-1907) était d’établir la paix par
des textes organisant une prévention et un règlement des conflits. Avant et
après la Première guerre mondiale sont mis en avant l’arbitrage et la
conciliation. Le Pacte Briand-Kellog, signé à Paris en août 1928, auquel
adhéraient 57 Etats sur 62, condamnait le recours à la guerre pour régler les
différends et les Etats s’engageaient à utiliser des moyens pacifiques.
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b) La seconde approche est celle qui considère le droit comme instrument de
paix parmi d’autres instruments, le droit ne peut pas être un remède miracle
isolé, seul il est impuissant à faire la paix. Si les violations du droit peuvent
constituer un facteur de guerre, si le droit est important pour organiser telle ou
telle situation de paix, il ne s’agit que d’un ensemble de moyens qui doivent
être accompagnés de beaucoup d’autres : économiques, sociaux, éducatifs …
Donc le droit à la paix sera au mieux un instrument utile mais ne sera pas, bien
sûr, un remède miracle.
3ème point relatif à ce cadre juridique : le droit « de »la paix.
C’est vraisemblablement par rapport à lui que, pour la plus large part, va se
situer le droit à la paix. Actuellement ce droit de la paix comprend sept
composantes :
l’interdiction et la règlementation du recours à la force dans les relations
internationales,
le droit et la pratique des Nations unies (c’est-à-dire le règlement des
différends, les sanctions économiques et militaires, les opérations de maintien
de la paix),
les actions d’autres organisations internationales et régionales en faveur de la
paix,
le droit humanitaire des conventions de Genève de 1949 et de leurs deux
protocoles de 1977,
le droit des conflits armés fondé sur la limitation des moyens et des méthodes
de combat,
le droit de la maîtrise des armements et du désarmement,
enfin la justice internationale, en particulier le rôle des juridictions
internationales au service de la lutte contre les crimes internationaux ce qui se
traduit par des sanctions pénales et, peut-être parfois, par un certain effet
dissuasif.
4ème et dernier point relatif à ce cadre juridique : le concept de sécurité.
Nous ferons quatre remarques en partant du non-juridique pour aller vers le
juridique.
a) 1ère remarque d’ordre général. On distingue quelquefois la catégorie du
« menaçant » résultant d’entreprises meurtrières des êtres humains et la
catégorie de la « sécurité » visant à créer un milieu humain et un
environnement protecteurs. Certains psychologues pensent qu’aussi important
que le principe de plaisir serait le besoin d’être rassuré, la recherche de
sécurité.
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Cette consommation de la sécurité doit avoir personnellement et
collectivement des limites, sinon l’obsession sécuritaire devient paralysante et
« l’administration de la peur » comporte des dangers et des remises en cause
par rapport aux libertés.
b) La 2nde remarque est relative aux rapports entre la peur, la violence et la
paix. La politique de la peur peut-être fondée en particulier sur les armes de
destruction massive à travers la prolifération gouvernementale et nongouvernementale.
Est-ce qu’elle ne correspond pas à une sorte de vaste chantage à la mort ?
C’est une fausse paix qui repose sur la peur d’être détruit, c’est l’équation « ta
mort c’est ma vie », ou avec les armes de destruction massive « ta mort c’est
ma mort ». D’où l’urgente nécessité pour l’humanité de s’engager dans cette
nouvelle équation : « ta vie c’est ma vie ». Est-ce que « changer notre rapport à
la mort n’est pas changer notre rapport à la paix, à la peur, à la violence ? »
(voir sur ces thèmes l’ouvrage remarquable de Jacques Semelin , « Pour sortir
de la violence », Editions ouvrières, 1983).Pas de paix véritable fondée sur la
peur mais « la volonté d’évoluer vers la maîtrise de nos craintes, la gestion de
nos conflits, la non-violence de nos actions, » la construction d’une sécurité
commune.
c) 3ème remarque : si au sens spécifique la sécurité repose sur des aspects
militaires, par contre au sens large la sécurité doit être conçue non seulement
en termes militaires mais aussi énergétiques, économiques,
environnementaux… La définition proposée par les ONG, présentes au Sommet
de Rio sur l’environnement en juin 1992, était la suivante : « La sécurité ne doit
plus être définie exclusivement en termes militaires mais de la manière la plus
large, englobant la sécurité personnelle, la sécurité des lieux où tous les
besoins de base devraient être satisfaits. Ce type de sécurité ne peut être
atteint que si la justice existe à l’intérieur de chaque société et entre les
sociétés de la planète » (extrait de l’ouvrage sur « les 40 « traités » conclus par
les ONG » à Rio en 1992.)
d) 4ème et dernière remarque relative à la sécurité du point de vue des Nations
Unies. L’expression « maintien de la paix et de la sécurité internationales » est
employée une vingtaine de fois dans la Charte de 1945, la paix et la sécurité
sont conçues comme indissociables, même si elles ont des caractères
spécifiques l’une ne peut aller sans l’autre.
Le terme « Conseil de sécurité » montre bien la préoccupation essentielle de la
Charte. L’article 1-1 fait de ce maintien de la paix et de la sécurité
internationales le premier des buts cités par la Charte. Celle-ci prend en
compte la sécurité individuelle, sous la forme du « droit naturel de légitime
défense », mais surtout est créé un système fondé sur la sécurité collective.
La Charte correspond à une sorte de contrat social international, c’est-à-dire
qu’en compensation de l’abandon du droit de recourir à la force dans leurs
relations avec les autres Etats, les Etats membres des Nations Unies acceptent
de donner au Conseil de sécurité un pouvoir de sanctions économiques et
militaires.
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Tel est le cadre juridique du droit à la paix. Quels sont donc ses fondements ?
2ème partie : Les fondements juridiques du droit à la paix
Existe-t-il un fondement juridique général ? (1) Y-a-t-il des fondements
spécifiques ?(2)
1er point : Le fondement juridique général du droit à la paix.
a) Le droit à la paix n’est-il pas un corollaire, une conséquence nécessaire et
évidente du droit à la vie ? Le droit à la vie est consacré, on le sait, sur le plan
international par la Déclaration universelle des droits de l’homme dans son
article 3 et par le Pacte international des droits civils et politiques dans son
article 6-1 : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit
être protégé par la loi. Nul ne peut-être arbitrairement privé de la vie ». La
guerre n’est-elle pas une forme de privation de la vie ?
De même par rapport à l’article 2 de la Convention européenne des droits de
l’homme qui affirme que « La mort ne peut être infligée à quiconque
intentionnellement », on peut dire que la guerre est une forme de mort infligée
intentionnellement.
b) Donc ou bien on pense que ce rattachement du droit à la paix au droit à la
vie n’est pas évident, qu’il est incertain, indirect, ou bien on pense que ce
rattachement est évident, certain, direct. Rappelons-nous que René Cassin
qualifiait la guerre de « négation même de l’existence de l’homme ».
2ème point : Quels sont les fondements spécifiques du droit à la paix à travers
les déclarations internationales ?
a) C’est d’abord la Déclaration universelle des droits de l’homme qui dans
l’article 28 affirme : « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social
et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans
la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».
Autrement dit : pour que les droits de la Déclaration soient pleinement
appliqués, il faut un ordre juste et pacifique, chaque personne a droit à ce que
règnent la paix civile et la paix internationale.
b) C’est ensuite l’Assemblée générale des Nations Unies qui a reconnu plusieurs
fois ce droit à la paix, certains verront même là une coutume internationale qui
apparaît. Ainsi dans la Déclaration du 15 décembre 1978 relative à « la
préparation des sociétés à vivre dans la paix » il est proclamé que « toutes les
nations et tous les êtres humains ont le droit de vivre dans la paix ». Ce droit ici
concerne les pays et chaque être humain, cette Déclaration de 1978 invite les
Etats à assurer ce droit à la paix.
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Il faut citer aussi la Déclaration de l’Assemblée générale du 8 novembre 1984
sur « le droit des peuples à la paix », Déclaration qui proclame que « les
peuples de la Terre ont un droit sacré à la paix ».
3ème point : les conventions qui consacrent de façon spécifique le droit à la
paix sont, à ce jour, malheureusement peu nombreuses. Il y a essentiellement
la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 26 juin 1981, son
article 23 affirme : « Les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le
plan national que sur le plan international. Le principe de solidarité et de
relations amicales doit présider aux rapports entre les Etats ».
4ème point : au niveau national comme au niveau d’organisations régionales la
consécration de ce droit devrait se développer. Le consacrer au niveau
constitutionnel constitue une forme de reconnaissance de principe très
intéressante même si tout dépend, bien sûr, du contenu et des garanties que
l’on entend lui donner.
Pourquoi aussi, par exemple, ne pas avancer l’idée que, dans une constitution
de l’Union européenne, les droits de la 3ème génération devraient, tôt ou tard,
avoir une place ? Le fait qu’un certain nombre d’Etats membres ou d’Etats
candidats auraient alors déjà consacré le droit à la paix pourrait contribuer à
aller dans ce sens.
Tels sont les fondements juridiques du droit à la paix, quel est son contenu ?
3ème partie : Le contenu du droit à la paix
Certains diront que ce droit n’est qu’une manière de décrire du point de
vue des individus la règle interdisant le recours à la force par les Etats. Ils
affirment qu’on peut donc s’interroger sur l’intérêt juridique de la
proclamation de ce pseudo-droit alors que la paix est le premier des buts mis
en avant par la Charte des Nations Unies.
Bien au contraire : si l’on questionne le contenu de ce droit on peut
souligner plusieurs intérêts juridiques. Nous donnerons un seul exemple qui
devrait exister et cela des classes maternelles jusqu’à l’université. Est-ce que
l’éducation à la paix n’est pas une forme de droit à la paix ? Est-ce que je n’ai
pas le droit, en tant qu’élève, en tant qu’étudiant(e), en tant que citoyen(ne),
de connaître les conditions qui favoriseraient la paix puisque celle-ci ou son
absence sont essentielles dans ma vie ?
Existent de nombreux textes relatifs à l’éducation à la paix, et une ONG
comme « l’Association des éducateurs à la paix » a multiplié les conférences
mondiales et régionales d’éducation à la paix. Bref : est-ce que l’éducation pour
la compréhension internationale, l’éducation à la paix (comme l’éducation aux
droits de l’homme, comme l’éducation à l’environnement) ne doit pas faire de
plus en plus partie intégrante des programmes scolaires et universitaires ?
Cela étant souligné, quels sont les autres aspects de ce contenu ? Au moins
quatre formes n’existent-elles pas ?
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1er point : Le droit à la sécurité
Cinq remarques méritent d’être faites sur cette réalité complexe.
a) Ce droit correspond à la protection contre les guerres qu’elles soient civiles
ou interétatiques, au sens plus large il vise aussi par exemple la sécurité
énergétique et la sécurité environnementale.
b) Du point de vue de la Charte des Nations Unies ce droit signifie que les Etats
parties à un différend doivent- c’est une obligation- en rechercher la solution
par des moyens pacifiques. Au regard du citoyen la question ne se pose-t-elle
pas d’avoir les informations pour savoir si l’Etat dont on est ressortissant a
utilisé ces moyens ? Le droit à l’information peut cependant entrer en conflit ici
avec la diplomatie secrète parfois nécessaire à certains moments.
c) Cette sécurité collective n’empêche pas à chaque Etat d’organiser sa sécurité
individuelle. L’Etat doit assurer la protection de sa population.
d) Il n’est malheureusement pas rare qu’une dictature se retourne contre sa
population et commette des crimes internationaux, (crimes contre l’humanité,
crimes de génocide, crimes de guerre) .C’est alors au Conseil de sécurité de
rétablir la sécurité, il est cependant parfois bloqué (avant la chute du mur de
Berlin beaucoup plus souvent ) par le droit de veto d’un ou plusieurs des cinq
membres permanents, droit de veto dont la réforme est un serpent de mer
vieillissant des Nations Unies.
e) D’autre part le droit à la sécurité apparaît très imprécis du point de vue des
moyens. Pourquoi ? Parce que certains pensent que la sécurité doit reposer sur
un développement quantitatif et qualificatif des armements et, si cela est
nécessaire, d’armes de destruction massive.
D’autres, au contraire, pensent qu’en agissant ainsi on augmente l’insécurité
générale. En août 1996 une Commission de 17 experts et hommes politiques
invités par l’Australie à Canberra avait, dans son « Rapport sur les mesures
pour un monde libéré des armes nucléaires », très clairement affirmé qu’il y a
une vérité essentielle (qui,dirons-nous, saute aux yeux pourvu qu’on les
ouvre) : « Les armes nucléaires diminuent la sécurité de tous les pays. La seule
protection est l’élimination des armes nucléaires et l’assurance qu’on n’en
fabriquera plus jamais ».
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2ème point : l’autre forme de droit à la paix s’appelle le droit au désarmement.
Le droit à la paix se manifeste surtout par les devoirs des Etats par rapport au
désarmement, devoirs qui devraient être respectés.
a) Il existe certes l’article 26 de la Charte des Nations Unies. On peut regretter
qu’il ait été pratiquement inappliqué directement par le Conseil de sécurité. Il
est écrit : « Pour favoriser le maintien de la paix en ne détournant vers les
armements que le minimum des ressources humaines économiques du monde,
le Conseil de sécurité est chargé d’élaborer des plans qui seront soumis aux
membres des Nations Unies pour établir un système de règlementation des
armements ».
b) Il existe aussi l’article 6 du Traité de non-prolifération des armes nucléaires
(1er juillet 1968) selon lequel « Chacune des Parties au Traité s’engage à
poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à
la cessation de la course aux armes nucléaires et sur un traité de désarmement
général et complet sous un contrôle strict et efficace ».
c) Il existe enfin, l’avis de la Cour internationale de justice (8 juillet 1996),
relatif à la licéité de l’utilisation de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, qui affirme qu’il existe « une obligation de poursuivre de bonne foi
et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire
dans tous ses aspects ».
Ces devoirs de désarmer doivent et devraient se manifester par des
limitations, des interdictions, des conversions, des destructions d’armements.
3ème point : le droit à la paix comprend aussi le droit de s’opposer à la guerre.
a) Le Pacte international des droits civils et politiques dans son article 20
précise : « Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi ».
Ne s’agit-il pas là d’une forme de droit à la paix ?
b) D’autre part le droit de demander le statut d’objecteur de conscience va
dans le sens du droit à la paix : une résolution de l’Assemblée générale des
Nations Unies du 11 mars 1987, une résolution du Conseil de l’Europe du 7
octobre 1977 considèrent que l’objection de conscience est « un exercice
légitime du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. »
c) Enfin n’oublions pas de souligner que chaque personne a le droit et le devoir
de s’opposer aux crimes de guerres, aux crimes contre l’humanité, aux crimes
de génocide, et aux crimes contre la paix (au sens de la préparation d’une
guerre d’agression) et demain peut-être aux crimes écologiques(qui ne sont à
ce jour consacrés que comme crimes de guerre, difficiles à démontrer dans le
Statut de la CPI de 1998).
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4ème point : la dernière forme du droit à la paix concerne les recherches
scientifiques sur les armes de destruction massive.
C’est certainement la forme la plus radicale, pourquoi ? Parce que l’on se situe
en amont, à l’une des sources de la course aux armements.
La « recherche-développement militaire » est considérable dans le monde, or
les traités de maîtrise des armements et de désarmement n’abordent jamais ce
problème ce drame et cette menace pour deux raisons : parce qu’il y a des
intérêts financiers, scientifiques et militaires puissants et parce que la liberté de
recherche veut exister sans limites.
a) Ainsi la Convention sur les armes chimiques du 13 janvier 1993 interdit la
mise au point (c’est-à-dire les essais), la fabrication, le stockage, l’emploi des
armes chimiques et organise leur destruction, mais elle ne prend pas en
compte les recherches en amont de « la mise au point. »
Ainsi la Convention sur les armes biologiques, du 10 avril 1972, est dans la
même situation.
De même le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, du 24
septembre 1996 : il n’interdit pas les technologies de simulation en laboratoire,
donc la course à la recherche nucléaire continue.
b) De la même façon que l’on réfléchit et que l’on essaie de légiférer dans le
champ génétique par rapport à des dérives de recherches portant atteinte à la
dignité humaine (la Déclaration sur le génome humain de 1997 le montre bien)
ne faudrait-il pas penser à un droit de l’homme face à des recherches
scientifiques militaires, gouvernementales ou non, sur les armes de destruction
massive ? Autrement dit à un droit de l’homme à des recherches ne portant
pas atteinte à l’intérêt commun de l’humanité?
Ne faudrait-il pas penser, dans les années à venir, à la conclusion d’une
convention universelle sur l’interdiction de ce type de recherches contraires à
l’intérêt commun de l’humanité ? Nous en sommes loin puisque les budgets de
« recherche-développement militaire » se développent dans beaucoup de pays.
Symboliquement cependant le Parlement européen, le 8 novembre 1986, dans
une résolution passée inaperçue, a appelé les Etats membres à interdire la
promotion de la recherche en biotechnologies et en génie génétique lorsqu’elle
est faite à partir de fonds militaires.
(Voir« Les recherches scientifiques sur les armes de destruction massive : des
lacunes du droit positif à une criminalisation par le droit prospectif »,
intervention au colloque international du Réseau Droit Sciences et Techniques,
25et 26 mars 2011 au Palais du Luxembourg(Sénat) à Paris,
Julien Bétaille, Simon Jolivet, Jean-Marc Lavieille, Damien Roets, in Actes du
colloque international, « Droit, sciences et techniques: quelles responsabilités
? » Editions LexisNexis, 2011, p 467 à 491.)
La dernière partie est relative à la mise en oeuvre de ce droit.
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4ème et dernière partie : La mise en oeuvre de ce droit à la paix ?
1er point : quels sont les titulaires de ce droit ?
a) C’est un droit individuel, il appartient à chaque individu si l’on prend pour
base l’article 28 de la DUDH de 1948.
C’est aussi un droit collectif qui appartient aux sujets de droit international
public c’est-à-dire aux Etats et, d’une certaine façon indirectement, aux
organisations internationales et régionales.
C’est un droit qui appartient aussi aux peuples, ainsi que l’affirme la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.On peut dire aussi qu’il
appartient à l’humanité à travers en particulier le patrimoine commun de
l’humanité qui doit être géré à des fins pacifiques.
b) Certes on peut avoir l’impression d’une sorte de confusion par rapport aux
nombreux titulaires du droit à la paix. Cette situation n’est pas étonnante dans
la mesure où les droits de la 3ème génération sont marqués par une forte
solidarité, les titulaires et les bénéficiaires sont solidaires entre eux, les droits
des uns sont liés aux droits des autres, l’obligation de coopération s’impose à
tous. Tout être humain et tous les êtres humains pris collectivement ( en
peuple, en humanité) ont droit à la paix tant sur le plan national
qu’international.
c) Dans une perspective de clarification on pourrait, par exemple, dire que
l’individu doit être le participant actif et le bénéficiaire de ce droit à la paix,
tout en insistant sur les obligations que ce droit crée pour les Etats.
d) Cette désignation claire de chaque Etat et de la communauté des Etats,
comme ayant la responsabilité première de création des conditions favorables
à la réalisation nationale et internationale de ce droit, présente l’avantage de
bien le situer aussi comme un droit de l’individu à être protégé par son Etat. On
en est quelquefois très loin puisque c’est ici et là l’Etat qui viole les droits de
l’homme, commet des crimes contre l’humanité, voire des crimes de génocide
contre sa population.
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e) Le titulaire de ce droit à la paix n’est pas que virtuel puisqu’on a vu des
recours contre les essais nucléaires français en 1995 qui se sont développés sur
le terrain des droits de l’homme. La Commission européenne des droits de
l’homme a été saisie le 8 août 1995 d’une série de requêtes individuelles, de
nombreux moyens étaient invoqués mais en particulier l’atteinte au droit à la
vie à cause des effets de la radioactivité. La requête a été rejetée, la
Commission a déclaré aux requérants que « la reprise des essais n’avait à
l’heure actuelle que des répercussions éventuelles trop lointaines pour être
considérée comme un acte affectant directement leur situation personnelle ».
En se retranchant ce « défaut manifeste de fondement » on a l’impression que
la Commission a évité un débat de fond, et on réalise la difficulté pour les
titulaires de droit à la paix d’exercer ce droit.
2ème point : Qu’en est-il de l’opposabilité ? Qu’en est-il des sanctions ?
a) Face au non respect du droit à l’éducation à la paix, du droit à la sécurité, du
droit de s’opposer à la guerre, du droit au désarmement, du droit de s’opposer
à des recherches scientifiques militaires sur les armes de destruction massive,
cette opposabilité est soit impossible soit très difficile.
On peut, comme pour le droit à l’environnement, penser faire avancer le droit
à l’information, à la participation aux décisions, et le droit au recours.
Tout dépendra surtout de l’Etat qui aura, un peu, beaucoup ou pas du tout,
consacré ce droit à la paix et qui garantira, un peu, beaucoup ou pas du tout, la
jouissance de ce droit. Tout dépendra aussi d’organisations régionales qui
pourraient aller en ce sens, tout dépendra également de la communauté des
Etats qui, à travers une convention spécifique, pourrait faire avancer ce droit,
ce qui contribuerait aussi à une opposabilité entre Etats Parties par rapport à
l’application de cette convention.
A titre de philosophie politique on peut regretter aussi peut-être qu’une
opposabilité soit impossible, sinon à titre symbolique : celle des générations
futures demandant aux générations présentes : notre droit à la paix qu’en avezvous
fait ?
b) Mais de façon plus concrète tout dépendra aussi de la société civile
internationale qui agira, un peu beaucoup ou pas du tout, pour faire avancer la
consécration et l’application de ce droit.
Là aussi, il n’y a pas que du virtuel. Par exemple quelques personnes,
regroupées dans une association « droit contre raison d’Etat », ont assigné en
justice les sociétés d’armement Dassault aviation, Thomson CSF, Aérospatiale,
et Luchaire. Cette association les accusait d’avoir poursuivi leurs livraisons
d’armes à l’Irak et à l’Iran (guerre de 1980 à 1988) sans tenir compte de la
dénonciation faite par l’ONU et le Comité international de la Croix-Rouge de
violations des conventions de droit humanitaire et des conflits armés par ces
deux Etats belligérants. L’association affirmait que la responsabilité était
engagée par les comportements des Etats clients. Un tribunal et une cour
d’appel ont affirmé qu’il s’agissait d’un acte de gouvernement qui échappait à
la compétence de l’autorité, mais la Cour de Cassation, dans un arrêt du 30 juin
1992, a jugé le contraire : ces contrats de vente d’armes sont « détachables des
actes de gouvernement », les marchands d’armes ne peuvent pas s’abriter
derrière les pouvoirs publics et violer le droit international. La Cour de
Cassation n’a pas précisé sous quelle forme ces sociétés auraient des comptes à
rendre si elles violaient à nouveau le droit international.
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c) Pour chacune des formes du droit à la paix on peut imaginer et organiser des
sanctions, qu’elles soient pénales ou civiles. La difficulté est générale au droit
international public. N’oublions pas qu’il a fallu cinquante ans pour qu’une
Cour pénale internationale puisse voir le jour en 1998 (alors qu’en 1948
existait la Convention de prévention et de répression du crime de génocide,
sans juridiction pour le sanctionner).
On imagine les obstacles à lever pour mettre en oeuvre des sanctions relatives
aux recherches scientifiques sur les armes de destruction massive, mais dans
d’autres domaines du droit à la paix également la difficulté reste grande.
3ème et dernier point: on voit bien les nombreuses faiblesses mais, aussi,
quelques atouts de ce droit à la paix.
a) Droit de la 3ème génération il est encore à construire : son cadre juridique est
complexe mais cette complexité permet de tracer ici ou là de petits chemins,
ses fondements éthiques s’accompagnent d’une consécration qui a encore
besoin d’avancer à tous les niveaux géographiques , son contenu reflète non
pas, comme le pensent certains, une utopie inconsistante, abstraite, mais une
utopie créatrice qui doit prendre les moyens de se réaliser, même si
l’opposabilité est difficile à mettre en oeuvre.
b) On pourrait se dire que le droit à la paix est inutile, c’est aux Etats
d’appliquer le droit qui existe. Mais c’est justement là que se situe
probablement l’intérêt juridique du droit à la paix. Les Etats ont contracté et
contracteront -espérons-le- des obligations non seulement entre eux mais
aussi envers les individus au nom desquels ils ratifient les traités.
Il y a là un mouvement nécessaire de réappropriation par « les gens » du droit
international et des droits de l’homme à cette application. Un internationaliste
français, Georges Scelle, parlait à juste titre de « droit des gens ».
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Remarques terminales :
Le tableau par rapport à la paix est garni de tâches noires, celles des horreurs
et des souffrances des guerres.
Il y a beaucoup de gris (sombre ou clair) dans ce tableau, c’est-à-dire certes
des absences de guerres mais correspondant à des sociétés plus ou moins
autoritaires, injustes, destructrices de l’environnement, violentes.
Et puis il y a aussi dans ce tableau des coins bleus où accrocher l’espoir c’est-àdire
la mise en oeuvre de moyens démocratiques, justes, écologiques et
pacifiques.
Ainsi que l’affirmait Martin Luther King « Pour ne pas périr ensemble comme
des imbéciles, il nous faut apprendre à vivre ensemble comme des frères ».
JML
Petite mise à jour bibliographique :
Cet article a été publié après le colloque international par le Turkiye Barolar
Birligi, à Ankara, en 2001.
Depuis sa parution, il y a 12 ans, nous indiquons trois sources bibliographiques :
1) Sur le droit à la paix en général :
L’article de David Szymczak, « Droit de l’Homme et droit à la paix », in « Les
droits de l’Homme face à la guerre », sous la direction de Jean-Pierre
Marguénaud et Hélène Pauliat, Dalloz, 2009, p 197à211.
L’article est très différent du précédent. Il met en avant le droit à la paix
comme droit « inhérent aux Etats » et se demande s’il s’agit aussi « d’un droit
des peuples ou d’un droit de l’homme», il s’interroge ensuite sur « la possible
opposition entre droit à la paix et droits de l’homme » et se prononce pour
« une nécessaire imbrication du droit à la paix et des droits de l’homme ».
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2) Sur l’interdiction des recherches relatives aux armes de destruction massive :
« Les recherches scientifiques sur les armes de destruction massive : des
lacunes du droit positif à une criminalisation par le droit prospectif »,
intervention au colloque international du Réseau Droit Sciences et Techniques,
25et 26 mars 2011 au Palais du Luxembourg(Sénat) à Paris,
Julien Bétaille, Simon Jolivet, Jean-Marc Lavieille, Damien .Roets, in Actes du
colloque international, « Droit, sciences et techniques: quelles responsabilités
? » Editions LexisNexis, 2011, p 467 à 491.
3) Sur « la responsabilité première d’un Etat de protéger sa population »
Voir sur ce site un résumé de la situation à la rubrique « Dans quel monde
vivons-nous ? », plus précisément à « Synthèse de l’histoire des relations
internationales de 1945 à nos jours » p.11.
Les informations et les prises de positions sont nombreuses dès que vous allez
sur votre ordinateur à « La responsabilité de protéger ».