Sélectionner une page

Notion, crise, critique, alternative
Cette réflexion pour une large part ici est réécrite une troisième fois par
l’auteur de ce site, elle se trouve exprimée de deux autres façons , l’une
dans son ouvrage de « Relations internationales » (Ellipses, 2004), l’autre dans
un article « Du système international productiviste autodestructeur à une
communauté mondiale humainement viable », écrit pour les mélanges en
hommage à Michel Prieur, Pour un droit commun de l’environnement, (Dalloz,
2007).
————————————-
Introduction
Certains pensent que le système international traverse une crise de croissance
et que la sortie du tunnel viendra tôt ou tard, d’autres pensent qu’il s’agit de la
croissance d’une crise qui ira jusqu’à la destruction des êtres humains et d’une
grande partie du vivant, d’autres enfin croient que cette agonie du vieux
monde peut encore amener un sursaut face aux catastrophes, une
« métamorphose » de l’humanité.
Comment mieux se situer par rapport à ces différentes analyses ?
Probablement en réfléchissant à ce qu’est le système international. Comportet-
il des logiques humanicides et terricides ?
Qu’on soit indifférent, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette, le système
international peut être défini avant tout comme un système productiviste.
C’est probablement le terme qui le qualifie le mieux dans sa globalité.
Qu’est- ce que productivisme ? N’est-il pas entré dans une crise ? Que peut-on
penser de ce système ? Des alternatives existent-elles face à un tel système ?
Nous envisagerons tour à tour la notion (I), la crise (II), la critique (III), et les
alternatives(IV) relatives au système international productiviste.
I- La notion totalisante de système productiviste
Le productivisme est un système qui s’inscrit dans une histoire(A), qui est
accompagné d’un discours et d’une obsession(B), qui met en avant des
priorités, et surtout qui repose sur des logiques profondes(C).
A- Le productivisme : un système, une histoire
1) Un système c’est la combinaison d’éléments qui vont former un ensemble.
a) Le productivisme a quelque chose d’un système totalisant dans l’espace en
ce sens qu’il est présent à des degrés divers à tous les niveaux géographiques, à
travers tous les acteurs et dans toutes les activités humaines.
Page 2
Il s’étale aussi dans le temps puisqu’il a, au moins, cinq siècles, qu’il est tout
puissant dans le présent et qu’il hypothèque déjà l’avenir.
Un système totalisant n’est pas loin d’un système totalitaire. Ceci voudrait
dire : « tout dans le productivisme, rien contre, rien en dehors ». Peut-être n’en
sommes-nous pas très loin ? En même temps ce système ne s’autodétruit-il pas
lui-même ? Une croissance et des pouvoirs qui se veulent infinis dans un
monde fini constituent à la fois une domination totalisante et, en même temps,
comporte les logiques de destruction d’un système humanicide et terricide.
b) Le productivisme va donc bien au-delà de la simple tendance à rechercher
systématiquement l’amélioration ou l’accroissement de la productivité, celle-ci
étant un rapport mesurable entre une quantité produite (par exemple de
biens) et les moyens (machines, matières premières…) mis en oeuvre pour y
parvenir.
c) Le productivisme est aussi beaucoup plus global que le libéralisme qui est, à
partir du XVIIIème, la doctrine économique de la libre entreprise selon laquelle
l’Etat ne doit pas gêner le libre jeu de la concurrence. De même le
productivisme est plus global et beaucoup plus ancien que le néolibéralisme,
doctrine qui apparaît dans les années 1970 et qui accepte une intervention
limitée de l’Etat.
d) De même le productivisme, s’il a de nombreux points communs avec le
capitalisme, en tant que système économique et social fondé sur la propriété
privée des moyens de production, sur l’initiative individuelle et la recherche du
profit, a aussi quelque chose de plus vaste, lié non seulement aux dominants de
la techno-science mais lié aux recherches et aux techniques elles-mêmes qui,
loin de libérer les êtres humains comme la plupart des marxistes le pensent,
peuvent contribuer à les libérer ou à les écraser.
2) L’histoire du système productiviste à traversé quatre étapes.
a) Le marché des marchands (XVème et XVIème siècles) est aux origines du
colonialisme. Des marchands de Londres, Venise, Amsterdam redistribuent en
Europe des marchandises précieuses ramenées d’Afrique et d’Asie. Ils ont peu
à peu un monopole, c’est une des premières formes de la division
internationale du travail qui s’organise, cela avec des dominants et des
dominés.
b) Le marché des manufactures (XVIIème siècle jusque vers 1860) se manifeste
par le passage de l’atelier à la fabrique industrielle, donc des structures
économiques qui changent.
c) Le marché des monopoles (1850-1914) fait apparaître des entreprises plus
importantes qui absorbent de plus petites à la suite des concurrences, des
crises, des guerres.
d) Enfin le marché mondial contemporain (1914 à nos jours), il repose sur les
firmes géantes, les marchés financiers, la techno-science, les complexes
médiatiques, les Etats très inégaux, les organisations internationales et
régionales, les organisations non-gouvernementales, sans oublier une
urbanisation vertigineuse du monde. C’est à l’intérieur de ce marché mondial
que vivent, survivent et meurent les acteurs humains.
Page 3
Ainsi, le productivisme est né à la fin du Moyen- Âge(XVème), s’est développé à
travers la révolution industrielle du milieu du XVIIIème en Angleterre et du
début du XIXème siècle en France, est devenu omniprésent, omnipotent,
omniscient au XXème et au début du XXIème siècle.
B- Le productivisme : un discours, une obsession
1) Le discours productiviste est, depuis ses origines, lié à la notion de
développement. Le développement joue un rôle complexe, il est synonyme ici
et là de dominations mais il lui est arrivé aussi de contribuer à des entreprises
de libérations.
a) Les origines de la notion de développement se manifestent à travers quatre
phénomènes.
D’abord la colonisation qui est porteuse dans une grande partie de la
« conscience occidentale » d’une conviction : la croissance et le progrès n’ont
pas de limites. Ce discours est très enraciné encore aujourd’hui.
Ensuite deux grands courants de pensée participent à cette idéologie. Le
marxisme affirme que le développement scientifique et économique apporte le
progrès mais à une condition : il faut qu’il remette en cause le capitalisme.
L’humanisme occidental affirme que le développement scientifique et
économique apporte le progrès à une condition : il faut qu’il se fasse dans des
conditions démocratiques libérales. Cependant, pour l’immense majorité des
auteurs, le développement en tant que tel n’apporte ni incertitudes, ni
dangers.
La troisième origine du développement est constituée par les Nations Unies
qui, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lancent l’opposition « pays
développés pays sous-développés » (ces derniers s’appelleront ensuite pays en
voie de développement puis pays en développement) à partir de critères
économiques que les dominants déterminent, le PNB est considéré comme le
hit parade des nations. Cette opposition se substitue aux précédentes (pays
civilisés-pays barbares, pays des lumières-pays obscurs, métropoles-colonies).
La quatrième origine est très puissante, il s’agit de la techno science et de son
développement continuel, elle s’accélère et se mondialise peu à peu à travers
de grands réseaux, elle a même tendance à s’auto reproduire.
Page 4
b) La notion de développement va parcourir différentes étapes avec le
productivisme.
De 1945 à 1950 le développement est souvent perçu comme un ensemble de
luttes contre le retard de la croissance. Les pays du Tiers-Monde sont en retard
par rapport aux pays dominants, il faut donc les aider.
De 1950 à 1955 le développement est souvent perçu comme un ensemble de
luttes contre le blocage de la croissance, ces pays et ces peuples ne sont pas en
retard, ils sont bloqués par des pays dominants.
De 1955 à 1968 le développement est souvent perçu comme une entreprise de
libération politique, économique, culturelle, sociale. Les mouvements de
libération se multiplient, souvent de lutte armée.
c) A partir de 1968 on peut dire que la notion de développement entre en
crise.
Les pays du Sud ne sont pas arrivés à remettre en cause l’ordre dominant, les
tentatives ont été pourtant nombreuses, citons simplement la création de la
Conférence des Nations Unies pour le commerce et le
développement(CNUCED)en 1964 à Genève en réaction contre le libéralisme
économique du GATT, la Déclaration sur le nouvel ordre économique
international(NOEI) en mai 1974 à l’Assemblée générale des Nations Unies, la
tentative de création d’un Nouvel ordre mondial de l’information et de la
communication(NOMIC) en 1980 à l’UNESCO…
Les pays du Nord ont eu, dans des proportions variables, tour à tour quatre
vagues de contestations : en 1968 une contestation des sociétés de
consommation et de toute autorité, en 1970 l’avertissement des écologistes,
en 1990 une dénonciation de l’exclusion dans les pays du Nord, à la fin de la
décennie 1990 et au début du XXIème siècle les altermondialistes qui
dénoncent la mondialisation néolibérale et sa marchandisation, « tout n’est pas
à vendre », ils affirment qu’« un autre monde est possible. »
d) Dès lors les Etats à la Conférence de Rio en juin 1992 mettent en avant la
notion de « développement durable »à travers une Déclaration et un Agenda.
Ce développement se veut respectueux de l’environnement, mais les
brouillards ne se dissipent pas pour autant.
Il y a , dans les théories et les pratiques, le développement productiviste qui
domine avec la puissance du libre-échange, le développement durable plus ou
moins teinté d’une certaine protection de l’environnement, et une société
écologiquement viable qui est, pour l’instant, encore minoritaire dans les
esprits et, surtout, sur le terrain.
c) Malgré ces doutes et ces incertitudes, le discours du productivisme
continue : le marché est naturel, l’argent doit commander, la compétition est
impérative, la croissance est sacrée, le libre-échange doit l’emporter sur tout le
reste, la techno-science toute puissante est toujours porteuse de progrès…
2) Par dessus tout une obsession accompagne le productivisme, elle occupe de
façon permanente le coeur du coeur de multiples discours personnels et
collectifs : la compétition c’est la vie.
Page 5
a) Nous sommes entrés dans la révolution scientifique, il faut être novateur,
notre droit à l’existence est fonction de notre rentabilité ( !! )
« Etre ou ne pas être compétitif » nous dit le système, si vous n’êtes pas
compétitif – pays, région, ville, entreprise, université, personne…- vous êtes
dans les perdants, vous êtes morts. « Chacun invoque la compétitivité de
l’autre pour soumettre sa propre société aux exigences systématiques de la
machine économique. » écrit magnifiquement André Gorz. « La logique de la
compétitivité est élevée au rang d’impératif naturel de la société » écrit aussi
Riccardo Petrella qui dénonce « l’Evangile de la compétitivité ».
b) La compétition est un discours-vérité qui a de très nombreux fidèles sur
terre, ils sont envahis par cette obsession. On est entré dans le grand marché, il
faut donc libéraliser, dérèglementer, privatiser, peu importe le sens du « vivre
ensemble » et celui du « bien commun ».
La compétition est considérée comme sacrée, elle nous protège, il n’y a plus
d’autres critères d’appréciation que la performance, la compétitivité, la
rentabilité.
C- Le productivisme : des priorités, des logiques profondes
1) Quelles sont les priorités du productivisme ?
La recherche du profit, l’efficacité économique, le culte de la croissance, la
course aux quantités, la conquête de parts de marchés, la domination sur la
nature, la marchandisation du monde, le court terme, l’accélération, la
compétition.
Ces dix priorités se soutiennent les unes les autres, elles correspondent à des
logiques profondes.
2) Les logiques profondes du productivismedéfinissent ce système totalisant.
Le passage qui suit est essentiel, il montre les mécanismes, nombreux et
puissants et en interactions, de ce système, mais ces logiques, ces mécanismes
ne sont pas des fatalités.
Des contre-logiques, des contre-mécanismes sont vitaux et possibles, et
lorsqu’ils semblent impossibles il faut et il faudra décupler les volontés et les
imaginations. « Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait. »
N’y a-t-il pas au moins dix logiques profondes qui définissent le
productivisme ?
a) La recherche du profit est synonyme de fructification des patrimoines
financiers avec des opérateurs, à la fois puissants et fragiles, qui ont donc des
logiques spécifiques.
b) L’efficacité économique est synonyme du moment où, cessant d’être au
service de la satisfaction de véritables besoins, la recherche d’efficacité devient
sa propre finalité.
Page 6
c) Le culte de la croissance est synonyme du « toujours plus », de course aux
quantités, de mise en avant de critères économiques supérieurs aux critères
sociaux, environnementaux, culturels, de surexploitation des ressources
naturelles, de fuite en avant dans une techno science qui a tendance, ici et là, à
s’auto reproduire et à dépasser les êtres humains.
d) La course aux quantités est synonyme d’une surexploitation des ressources
naturelles, de surproductions, de créations de pseudos besoins alors que des
besoins vitaux ne sont pas satisfaits pour la grande majorité des habitants de
notre planète.
e) La conquête ou la défense des parts de marchés est synonyme d’un libreéchange
tout-puissant qui repose sur des affrontements directs, des
absorptions des faibles par les forts, des guerres des prix, des efforts de
productivité qui poussent à de nouvelles conquêtes de marchés.
f) La domination sur la nature fait de celle-ci un objet au service des êtres
humains, ses ressources sont souvent exploitées comme si elles étaient
inépuisables, de toutes façons certains pensent que l’homme est capable de
se substituer peu à peu à la nature à travers une artificialisation totalisante, il
commence à se dire même capable, après l’avoir réchauffée, de « mettre la
Terre à l’ombre » par de gigantesques projets technologiques (géo-ingénierie).
g) La marchandisation du monde est synonyme de transformation, rapide et
tentaculaire, de l’argent en toute chose et de toute chose en argent. Voilà de
plus en plus d’activités transformées en marchandises, d’êtres humains plus ou
moins instrumentalisés au service du marché, d’éléments du vivant (animaux,
végétaux) décimés, et d’éléments de l’environnement qui sont entrés dans le
marché (eau, sols, air…).Dans ce système « tout vaut tant », tout est plus ou
moins à vendre ou à acheter.
h) La priorité du court terme est synonyme de dictature de l’instant au
détriment d’élaboration de politiques à long terme qui soit ne sont pas pensées
en termes de société humainement viables, soit ne sont pas mises en oeuvre et
disparaissent dans les urgences fautes de moyens et de volontés.
i) L’accélération n’est pas spécifique au productivisme mais elle y est
omniprésente à travers, par exemple, une techno science en mouvement
perpétuel, une circulation rapide des capitaux, des marchandises, des services,
des informations, des personnes, une accélération qui a de multiples effets sur
les sociétés et les personnes.
j) La compétition est synonyme d’ « impératif naturel de nos sociétés », elle
alimente les neuf logiques précédentes et elle est alimentée par ces logiques.
Il n’est donc pas étonnant que ce système soit entré dans une crise radicale,
laquelle ?
Page 7
II- La crise radicale du système productiviste
Le productivisme s’enfonce dans la croissance d’une crise radicale, pourquoi ?
Parce qu’il réunit les trois facteurs constitutifs d’une crise dans un système
donné, facteurs qui sont portés ici à un niveau très élevé de gravité(A), et que,
d’autre part, il comprend des facteurs aggravants(B) ainsi qu’un facteur
infernal qui a quelque chose de terrifiant(C).
A-) Les facteurs de la crise du productivisme
1)L’ampleur des problèmes des drames et des menaces est impressionnante :
la faim dans le monde, les maladies ( cardiovasculaires, cancers, maladies
infectieuses… ), les conflits armés, le terrorisme, la course aux armements, les
atteintes aux droits des personnes , des peuples, et déjà des générations
futures, la dégradation mondiale de l’environnement, l’urbanisation
vertigineuse, l’explosion de la pauvreté, le chômage,
l’analphabétisme ,l’endettement mondial, la criminalité financière
internationale, l’explosion démographique…
2) L’ampleur de l’incertitude constitue un autre facteur de la radicalité
de la crise. Le monde semble arriver à d’immenses carrefours où des choix
vitaux sont nécessaires, faute de quoi un certain nombre de phénomènes, en
particulier écologiques, basculeront très probablement dans d’irréversibilité.
Autrement dit : on ne sait pas si on va vers de gigantesques catastrophes (liées
par exemple aux armes de destruction massive, ou à la rencontre explosive
entre la crise climatique et la crise énergétique) ou vers une nouvelle
naissance, une « métamorphose » de l’humanité, ou vers une hypothèse
intermédiaire faite de drames et aussi de sursauts pour essayer d’en sortir.
3) La recherche de fausses solutions est le troisième facteur d’une crise.
On se tourne vers « le » grand remède miracle, on en appelle au Sommet
miracle, à « La » technique miracle, à l’Homme providentiel, à l’élimination
des boucs émissaires porteurs de tous les malheurs du monde.
Le second type de fausse solution consiste en une fuite en avant, une sorte de
ralliement passif au modèle dominant, de dictature du présent accompagnée
d’un « après nous le déluge ».
B-) Les facteurs aggravants de la crise du productivisme
Trois facteurs amplifient la crise : des phénomènes d’expropriation, une crise
du temps et les interactions à l’intérieur du système global.
1) Des mécanismes d’expropriation des élus et des citoyens n’ont-ils
pas tendance, ici ou là, à apparaître ou à se développer ? Ainsi les marchés
financiers n’entraînent-ils pas une expropriation du politique par le financier ?
La primauté du libre-échange et la puissance des firmes géantes n’entraînentelles
pas une expropriation du social par l’économique ? La compétition
n’entraîne-t-elle pas une expropriation de la solidarité par l’individualisme ? La
vitesse n’est-elle pas un facteur de répartition des richesses et des pouvoirs qui
défavorise ou rejette des organismes et des individus plus lents ?
Page 8
2) La crise du temps liée au système productiviste aggrave aussi l’état
des lieux. Ainsi de façon globale le temps du marché et du profit à court terme
se heurte aux temps écologiques à long terme, et des pouvoirs humains se
voulant infinis se heurtent à la finitude de la Terre.
Ainsi de façon plus précise les manifestations de la crise du temps, à titre
indicatif, sont liées à l’arrivée de nouvelles technologies représentant des
échelles de temps gigantesques (déchets nucléaires, exploration spatiale) ou
miniaturisées (informatique).
De même participent à cette crise du temps le stress temporel des villes, la
communication qui devient souvent une célébration de l’immédiat, l’exclusion
qui témoigne d’une difficulté à se penser dans le temps…
3) Les interactions entre les crises du système productiviste constituent
un autre facteur d’aggravation. Interactions par exemple entre les guerres qui
portent atteinte à l’environnement et, d’autre part, une gestion injuste de
l’environnement-conflits liés à l’eau par exemple-qui peut contribuer aux
causes d’un conflit.
Interactions par exemple entre la crise énergétique et la crise climatique.
Ainsi s’il est vrai que la consommation de pétrole va augmenter de 1,6% en
moyenne chaque année d’ici 2030 (d’après l’AEI), s’il est vrai qu’après un pic
vers 2015 la production de pétrole s’effondrera vers 2030-2040 et que les
réserves dites non conventionnelles seront chères et difficiles d’accès, s’il est
vrai que les énergies fossiles en 2030 représenteront 89% des énergies du
monde donc une production toujours massive de gaz à effet de serre, s’il est
vrai qu’il n’y aura pas d’ici là de volonté collective massive de développer les
énergies renouvelables, alors il n’est pas exclu que se rencontrent la crise
énergétique et la crise climatique ce qui pourrait provoquer une
désorganisation en profondeur des sociétés et une multitude de drames.
C-) Un facteur aggravant et terrifiant
1) Ce facteur aggravant et terrifiant est constitué par l’accélération du
système international. Elle se manifeste de multiples façons : une technoscience
omniprésente et toujours en mouvement, un règne de la marchandise
toujours à renouveler, une circulation rapide de capitaux, de produits, de
services, d’informations qui font de la planète une sorte de « grand village »,
les déplacements nombreux et rapides des êtres humains, l’explosion
démographique mondiale, l’urbanisation accélérée du monde, les discours sur
la compétition, personnelle et collective, économique, culturelle, militaire, la
prise de conscience d’une fragilité écologique de la planète provoquée par des
activités humaines productivistes… Le fait que le productivisme soit devenu
comme une sorte de camion fou se comprend particulièrement bien à travers
la dégradation et la protection de l’environnement.
Page 9
2) L’accélération est une machine infernale par rapport à
l’environnement, pourquoi ? Quatre mécanismes ont quelque chose de
terrifiant :
Le mécanisme général : le système international s’accélère, on vient d’en
énumérer quelques manifestations.
Second mécanisme : Les réformes et les remises en cause pour protéger
l’environnement sont souvent lentes (complexité des rapports de force et des
négociations, retards dans les engagements, obstacles dans les applications,
inertie des systèmes économiques et techniques sans oublier la lenteur de
l’évolution des écosystèmes).
Troisième mécanisme : l’aggravation des problèmes, des menaces et des
drames fait que l’on agit pour une part dans l’urgence (l’urgence tend à
occuper une place importante).
Dernier mécanisme : s’il est nécessaire de soulager des souffrances
immédiates, il est aussi non moins nécessaire de lutter contre leurs causes par
des politiques à long terme ce qui demande du temps,
…or le système s’accélère. Autrement dit : il n’est pas sûr que les générations
futures aient beaucoup de temps devant elles pour mettre en oeuvre des
contre-mécanismes nombreux, radicaux et massifs.
Tel est le productivisme, telle est la crise. Qu’en penser ?
III- Les critiques du productivisme : un système condamnable et condamné
Ce système n’est-il pas condamnable du seul fait, par exemple, qu’il y ait en
2012 un enfant sur deux dans le monde en situation de détresse et/ou de
danger(guerres, maladies, misère…) et du seul fait, par exemple, que les
marchés financiers depuis 1971 aient pris une partie de la place des
conducteurs(Etats, entreprises…) ?
Ce système n’est-il pas condamné du seul fait , par exemple, que plus de 4
milliards de dollars partent chaque jour en 2014 vers les dépenses militaires
mondiales(4,239 par jour soit en un an 1547), et du seul fait, par exemple, que
des activités humaines entrainent un réchauffement climatique qui menace
l’ensemble du vivant,+3°C à 6°C vers 2100 et autour de 1 mètre d’élévation du
niveau des mers ?
Trois critiques radicales doivent être faites contre ce système
autodestructeur : c’est un système suicidaire(A) qui ne réalise pas le bien
commun(B) et qui contribue aux confusions entre les fins et les moyens(C).
Page 10
A-) Le système productiviste nous dépasse et avance dans l’autodestruction
1) Il nous dépasse par sa complexité, sa technicité, sa rapidité, trois facteurs
qui font que la fatalité existe souvent, certes à des doses variables, mais elle
correspond à l’impression profonde selon laquelle les marges de manoeuvres
de bon nombre d’acteurs diminuent et des politiques alternatives aux
différents niveaux géographiques sont de plus en plus difficiles à mettre en
oeuvre.
2) D’autre part ce système à des pentes suicidaires à travers son insécurité
(par exemple liée à la gigantesque course aux armements), ses inégalités (entre
sociétés Nord-Sud, et à l’intérieur de chaque société), sa fragilité (en particulier
écologique), trois facteurs qui baignent dans une compétition rapide et
effrénée.
B-) Le système productiviste ne réalise pas le bien commun
1) Du point de vue démocratique, les citoyens et citoyennes peuvent de moins
en moins se réapproprier leur présent et leur avenir, le système est pour une
large part autoritaire.
2) Du point de vue environnemental le productivisme fonctionne sur
l’utilisation forcenée de la nature, le système est pour une large part
destructeur de l’environnement.
3) Du point de vue pacifiquele productivisme est porteur de multiples formes
de violences, il est pour une large part violent.
4) Du point de vue de la justice le productivisme contribue à aggraver des
inégalités et en crée de nouvelles, il est pour une large part injuste.
C-) Le système productiviste contribue aux confusions entre les fins et les
moyens
1) Cela signifie que les fins, c’est-à-dire les acteurs humains, en personnes, en
peuples, en humanité, sont plus ou moins ramenées aux rang de moyens, plus
ou moins domestiqués comme consommateurs, expropriés comme
producteurs, dépossédés comme citoyens, « marchandisés » comme êtres
vivants…
2) Cela signifie aussi que les moyens, avant tout la techno-science et le marché
mondial, ont tendance à se transformer en fins suprêmes.
Ainsi, face à un système allant pour une large part vers l’autodestruction
des êtres humains et d’une grande partie du vivant, la critique ne pouvait être
que radicale.
De même une communauté mondiale humainement viable ne doit-elle pas
aller dans le sens de la remise en cause radicale d’un système mortifère ?
Page 11
IV- L’alternative au système international productiviste : pour une
communauté mondiale humainement viable
Face à la toute-puissance du productivisme il faut résister c’est-à-dire penser
(ce qui est parfois fait ici et là) et mettre en oeuvre (ce qui est fait plus
rarement) des contre-mécanismes pour lutter contre la confusion entre les
moyens et les fins(A). Il faut aussi construire des sociétés et une communauté
mondiale à travers des moyens justes, démocratiques, écologiques et
pacifiques(B).
A-) Résister face aux confusions entre les fins et les moyens
Il s’agit de remettre à leur place les moyens et de respecter les fins.
1) Remettre à leur place les moyens , cela signifie une techno-science et un
marché au service des êtres humains et non le contraire.
a) Remettre à sa place la techno-science : comme on s’en remet au marché
on s’en remet souvent aussi à la techno-science. Les recherches et les
technologies aux différents niveaux géographiques, à travers des phénomènes
de concentrations et de groupes dominants (firmes multinationales,
laboratoires) ont tendance à s’auto reproduire parfois, voire souvent,
indépendamment des véritables besoins des êtres humains.
La techno-science ne tend-t-elle pas à échapper de plus en plus aux acteurs
humains ? Après les phases de mécanisation, de motorisation,
d’automatisation est venue celle de la cybernétisation c’est-à-dire de
mécanismes de régulation des machines et des êtres vivants. La
cybernétisation des technologies avancées n’amène-t-elle pas à enlever des
possibilités d’appréciation et de décision à ceux qui sont censés les contrôler ?
Dès lors une question vitale est la suivante : les acteurs humains doivent-ils,
veulent-ils, peuvent-ils mettre en oeuvre un véritable contrôle de la technoscience
à tous les niveaux géographiques ?
Nous citerons au moins six séries de contrôles urgents, cruciaux, décisifs : la
recherche scientifique militaire sur les armes de destruction massive, les graves
problèmes posés par les déchets radioactifs et donc par l’énergie nucléaire, les
pollutions causées par des moyens de transports écologiquement non viables,
la marchandisation de la faune et de la flore, l’exclusion du travail par la
technique (une des grandes causes du chômage), et déjà le déploiement ici ou
là hors encadrement juridique rigoureux des manipulations du génome, des
nanotechnologies et de certains projets de géo-ingénierie…Nous pourrions
prolonger la liste.
La gravité des menaces, la complexité des défis, les souffrances causées par
divers drames exigent une techno-science ramenée au rang de moyen au
service des êtres humains.
Page 12
Il y a ainsi au moins deux grands axes pour mettre en oeuvre un contrôle de la
techno-science ou , de façon plus radicale, pour la remettre à sa place.
Le premier axe se situe en termes de priorités c’est-à-dire que les efforts de
recherches et de nouvelles technologies doivent être orientés en fonction des
priorités liées à l’intérêt commun de l’humanité, les activités de la technoscience
doivent s’inscrire dans des contrats à tous les niveaux géographiques,
contrats mettant en avant ces priorités.
Le second axe se situe en termes d’interdictions : la sacro-sainte liberté de la
recherche scientifique doit être remise en cause quand elle menace la dignité
des personnes ou l’intérêt commun de l’humanité.
b) Remettre à sa place le marché : face à l’économisme triomphant, à la
recherche du profit, à la société du marché qui a tendance à occuper toute la
place, un certain nombre d’auteurs, d’organisations non gouvernementales
(ONG), de citoyen(ne)s, et d’autres acteurs proposent ou contribuent à mettre
en oeuvre ici ou là une « économie plurielle ».
Face au libre-échange généralisé, face aux logiques de guerre économique et
de compétition, il s’agit de remettre le marché à sa place et de créer ou de
développer des logiques de coopération.
Il y a ainsi au moins quatre grands axes pour mettre en oeuvre ce contrôle du
marché ou, de façon plus radicale, pour remettre le marché à sa place.
Il est nécessaire de subordonner le libre-échange à ce qui deviendrait la
primauté de la protection de l’environnement et de la santé.
Il est nécessaire que soient créés ou se développent des formes d’économie
solidaire et sociale, des entreprises coopératives, des services publics, des
systèmes d’échanges locaux (à travers des associations dont les membres
échangent des biens et des services, hors du marché), des pratiques de
commerce équitable et des mécanismes de juste-échange.Se mettent aussi en
place des pratiques d’économie collaborative en matière de
transports(covoiturage)de logements( colocation) de nourriture,d’éducation…
Le troisième axe consiste à désarmer le pouvoir financier en adoptant entre
autres une taxe sur les transactions financières et en remettant en cause les
paradis fiscaux (banques,firmes multinationales).
Le quatrième axe est constitué par le fait que certaines productions du marché
sont, par nature, plus ou moins nuisibles aux acteurs humains. Dans l’économie
plurielle, les reconversions – par exemple des industries d’armements –
contribuent à l’avènement d’un monde responsable et solidaire, reconversions
socialement et écologiquement porteuses.
Page 13
2°) Respecter les fins : des êtres humains libres, debout et solidaires
Il s’agit de consacrer, encore mieux et à tous les niveaux géographiques, les
trois générations de droits humains : les droits civils et politiques, les droits
économiques sociaux et culturels, les droits de solidarité (droit à
l’environnement, droit au développement et droit à la paix).
Il s’agit de préparer la consécration d’une quatrième génération de droits, ceux
des personnes par rapport à la techno science (par exemple l’interdiction de
recherches sur les armes de destruction massive comme portant atteinte à la
dignité humaine, par exemple les droits des personnes par rapport aux
robots…)
Il s’agit bien sûr, aussi et surtout, de mettre en oeuvre ces générations de
droits, de les faire respecter. Résister c’est dire non à l’inacceptable, à toutes
les formes d’atteintes à la dignité humaine. Les rôles des juges et des ONG,
certes différents, sont ici essentiels.
B-) Construire des sociétés humaines à travers des moyens démocratiques,
justes, écologiques, pacifiques.
Nous mettrons en avant, à titre indicatif, cinq grands moyens dans chaque
grand domaine. Leur mise en oeuvre contribuerait très probablement à passer,
dans les différents lieux, d’un productivisme autodestructeur à des sociétés
humainement viables.
1- La détermination et la mise en oeuvre de moyens démocratiques et justes
a) Parmi les moyens démocratiques :
le désarmement du pouvoir financier(taxe sur les transactions de
change,remise en cause des paradis fiscaux,impôt mondial sur le capital…),
la réglementation de firmes multinationales dans le sens de productions
socialement et écologiquement porteuses,
la démocratisation des institutions aux différents niveaux géographiques,
l’accès des femmes aux processus de décision et le non cumul des mandats,
la création de nouvelles organisations internationales fondées sur des Etats,
des ONG, des collectivités territoriales…et le développement de réseaux, de
coordinations, de fronts communs d’ONG…
Page 14
b) Parmi les moyens justes :
la création d’un revenu universel d’existence,la mondialisation de la protection
sociale,
l’annulation de la dette publique des pays les plus pauvres,
le développement du commerce équitable et du juste échange,de l’économie
sociale et solidaire,de l’économie collaborative…
la redistribution des fonds internationaux de taxation du capital vers des
besoins criants,
la mise en place d’agricultures durables et autonomes…
2) La détermination et la mise en oeuvre de moyens écologiques et pacifiques.
a) Parmi les moyens écologiques :
les remises en cause de modes de production, de consommation, de transport
écologiquement non viables,
les programmes d’accès à l’eau potable et à l’assainissement,
la revitalisation des régions profondément dégradées,
les remises en cause de l’énergie nucléaire et le développement massif des
énergies renouvelables et des économies d’énergie,
la conclusion de conventions relatives à la protection des sols, des forêts, aux
pollutions telluriques, la conclusion de protocoles sur la réduction des gaz à
effet de serre, la conclusion d’une convention de création d’ une Organisation
mondiale de l’environnement,d’une convention créant une Organisation pour
les déplacés environnementaux,et une autre créant une Agence internationale
d’assistance écologique…
b) Parmi les moyens pacifiques :
l’interdiction des recherches scientifiques sur les armes de destruction
massive,
la mise en place d’une sécurité collective fondée, entre autres, sur des forces
d’interposition envoyées à titre préventif,
la remise en cause des ventes d’armes à travers des taxations, des
interdictions, des reconversions,
la conclusion de nouveaux traités de désarmement nucléaire,
la mise en place d’une éducation à la paix, de la maternelle à l’université,
fondée en particulier sur l’apprentissage du règlement non-violent des
conflits…
Page 15
Remarques terminales
1) Les personnes, les peuples, l’humanité malgré eux et /ou avec eux sont
embarqués sur un navire dont la route est suicidaire. On peut essayer de
réduire sa vitesse, mais on doit surtout le faire changer de route, quitter la
route du productivisme, prendre celle d’une communauté mondiale
humainement viable.
2) Des moyens existent, des volontés doivent et peuvent voir le jour.
3) Nous terminerons par une pensée de Jean Rostand (disparu en 1977),
biologiste, écrivain, pourfendeur de la course aux armements, citoyen du
monde, au pessimisme de l’intelligence et à l’optimisme de la volonté
marchant côte à côte:
« Il n’est pas plus insensé de s’abandonner à un espoir, celui de la survie de
l’humanité, que de le repousser au nom d’un prétendu réalisme qui n’est que
le consentement défaitiste au suicide de l’espèce. »
JML
(Sur « les volontés politiques » voir un article à la rubrique « sujets tous
azimuts. »)