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VIOLENCES : les clarifications ( I )
Les violences
Textes refondus fin novembre 2018
Introduction
Parmi les ouvrages qui ont contribué à inspirer ces deux premières parties
(clarifications, classifications) nous soulignerons surtout :
-Pour sortir de la violence, Jacques Sémelin, les éditions ouvrières, 1983.
– Entretien dans « Alternatives non-violentes », Johan Galtung , n°34,1979.
– Agressivité et combativité, Denise Van Caneghem, puf, 1978.
-Violence et pouvoir, François Stirn, Hatier, 1978.
-La non-violence, François Vaillant, cerf ,1991.
-Stratégie de l’action non-violente, Jean-Marie Muller, Seuil, 1981.
-et bien sûr la remarquable revue « Alternatives non-violentes », en particulier le
numéro 38 sur les « violences banales » (septembre 1980).
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« La violence c’est le négatif de la tendresse. » André Gorz.
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Dans cette introduction nous partirons de termes synonymes de violences
massives et terrifiantes (1), puis de l’explosion du mot dans le langage
courant(2), enfin de son étymologie, sa sémantique, sa mythologie et sa
cosmogonie(3).Il sera alors temps de proposer une analyse qui se voudrait
globale, critique et créatrice(4).
1-Des violences massives et terrifiantes
Hiroshima, Auschwitz, le Goulag, la guerre du Vietnam et celle du
Congo(RDC), les génocides du Cambodge et du Rwanda : voilà quelques unes
des souffrances les plus gigantesques de la seconde moitié du XXème siècle,
précédées par celles du début de ce même siècle, ainsi le génocide des
arméniens de 1915-17, ainsi la grande boucherie de 1914-18, symbolisée
par l’enfer de Verdun.
Le XXIème siècle commence par les attentats de New York et continue par
de multiples drames , celui de la faim, celui de l’absence d’eau potable et
d’assainissement, celui d’un enfant sur deux, en 2016 dans le monde, « en
situation de détresse et/ou de danger » … et d’autres violences massives et
terrifiantes telles que des catastrophes écologiques liées en particulier aux
changements climatiques… A cela s’ajoute la course aux armements,
porteuse d’un pouvoir de destruction qui peut signifier la fin de l’humanité et
d’une grande partie du vivant et qui est synonyme, ce que l’on passe presque
toujours sous silence, de sommes gigantesques englouties et enlevées à des
besoins criants, forme de violence massive, terrifiante et permanente depuis
1945 .
2- Une explosion de l’utilisation du mot violence
Ce terme a de plus en plus envahi le vocabulaire d’une partie des mondes
médiatiques, des mondes politiques et d’un nombre de personnes plus ou moins
important selon les lieux et les périodes, cela dans la vie quotidienne.
C’est ainsi devenu un mot fourre-tout, on parle de la violence de la guerre, de
massacres ethniques, du terrorisme, d’une injustice, d’un régime politique, de la
course aux armements, d’une manifestation, d’une révolte, d’une répression,
d’un crime, d’une bagarre, d’un vol, d’un forcené et, aussi, de la violence d’une
tempête, d’un tremblement de terre, d’une inondation, d’un accident, d’une
chute, d’une maladie, d’une gifle, d’une fessée, d’une parole, d’un fantasme,
d’un rêve, d’une déclaration, d’un silence, d’un regard, d’une absence, d’un
souvenir, d’un bruit, d’un reportage, d’un film, d’un livre, d’une lumière…
En arrivant à qualifier de violent un peu tout et n’importe quoi, on se demande
alors si pourrait être qualifié de violent …tout ce qui est synonyme d’une
certaine souffrance ou de tout ce qui nous déplait ? Mais n’y a-t-il pas des
degrés dans la violence ? Ne suis-je pas, moi-même, tantôt victime, tantôt
témoin, tantôt acteur de telle ou telle violence ? Ne faut-il pas distinguer les
violences personnelles et les violences collectives ? Ont-elles des points
communs, des différences, des oppositions ?
A ce simple niveau on constate donc qu’il est beaucoup plus proche des
réalités de parler « des » violences et non pas de « la » violence.
3- Etymologie, sémantique, mythologie, cosmogonie et violences
Du point de vue de l’étymologie les linguistes nous apprennent que le mot
violence vient du grec « bia » qui signifie la force vitale, la force.
Le mot violence vient ensuite du latin « vis » qui signifie la force physique en
action, d’où d’écoulent « violentia » désignant un caractère emporté,
indomptable et aussi « violentus », désignant une force violente, on parle par
exemple de la force du vent. A partir du XVIème siècle le mot signifie abus de
la force, on fait violence à quelqu’un. Ainsi violence, viol, violer, violation
viennent du latin « violare » qui signifie porter atteinte, attaquer, agresser…
Du point de vue de la sémantique il y a dans le mot violence « viol » ce qui
renvoie à différents sens : un rapport sexuel imposé à une personne sans son
consentement, une action consistant à violer quelque chose (une loi, un
secret…), le fait de forcer une pensée (viol de conscience)… Les mots de cette
famille vont ainsi dans le sens d’une atteinte portée à quelqu’un, à quelque
chose, il y a une transgression, une agression.
Du point de vue de la mythologie, pour les grecs « Bia » est la divinité de la
Force, de la Vaillance, de la Violence. C’est elle, écrit Eschyle, qui a aidé à
enchainer Prométhée. Bia accompagne le dieu des dieux, Zeus, lui-même dieu
de l’univers, dieu souvent violent, brutal, porteur de la foudre.
Le géant Pallas est le père de Bia. Un des fleuves des enfers, Styx, est la mère de
Bia. Sa soeur se nomme Niké, la Victoire, ses frères s’appellent Zélos, l’Ardeur,
et Cratos, la Puissance.
La violence existe également dans une partie de la mythologie grecque. Parmi
de très nombreux exemples celui d’Oedipe qui se rend involontairement
coupable du meurtre de son père et du mariage avec sa mère, laquelle ensuite se
pend, OEdipe qui se crève les yeux pour ne pas voir ses crimes et termine une vie
errante guidée par sa fille Antigone. Violence qui existe de même dans une
partie de la mythologie romaine. Parmi de très nombreux exemples celui de la
naissance d’une civilisation, pour qu’elle apparaisse l’un des deux fondateurs
doit mourir, Romulus tue Rémus pour que naisse Rome.
Du point de vue de la cosmogonie, nombreux sont les récits des différentes
civilisations relatives aux origines du monde, récits liés en partie à différentes
formes de violence. Il s’agit souvent de conflits entre forces opposées, entre
ordre et désordre, entre lumières et ténèbres, se déchainent également des luttes
entre des dieux, entre des héros.
Et cela… jusqu’aux cosmogonies scientifiques contemporaines : la théorie du
Big Bang, proposée à partir de 1922 et établie en 1965, n’est-elle pas
symbolique de la description d’une violence incommensurable? Au début il n’y
avait rien, ni espace, ni temps, ni matière, ni énergie. Arrive alors -venue d’où?-
une boule de feu plus petite qu’un atome, immensément chaude, dont «
l’explosion » produit …l’univers.
Comment continuer notre réflexion, quelle démarche proposer?
4- Quelle démarche proposer ?
Cette démarche peut nous faire entrer dans les complexités des violences cela
avec un objectif : essayer de mieux en comprendre les manifestations, donc
préparer les analyses des causes, essayer de penser et de construire des contrelogiques,
des moyens pour lutter contre ces violences.
Nous ferons au départ un travail de clarification de la notion de violence (I).
Nous proposerons ensuite une synthèse des classifications des violences (II).
Nous pourrons alors énumérer les contenus des violences (III),
Nous essaierons ensuite, réflexion essentielle, de comprendre les analyses des
causes des violences (IV).
Enfin nous en appellerons aux luttes contre les causes des violences, en
dégageant en particulier des alternatives existantes et d’autres possibles (V).
I –Les clarifications relatives aux violences
Pour ce travail préalable et nécessaire de clarification nous distinguerons la
notion de violences d’autres notions proches (A), puis nous essaierons de
repérer des éléments relatifs au contenu de cette notion de violences (B).
A- Violences et clarifications avec d’autres notions proches
Peut-être comprendrons-nous mieux les violences et la non-violence en liens
avec les conflits (2) en analysant d’abord des notions proches(1) ?
1-Confrontation, conflit, agressivité, combativité et violences
a ) La confrontation
Quel est son contenu ? Les relations entre personnes, entre collectivités sont
faites, pour une part plus ou moins importante, de confrontations, c’est-à-dire de
mises en présence et de comparaisons. On confronte des valeurs, des besoins,
des intérêts, des pouvoirs, des idées, des textes, cela à travers des individus et
des collectivités. Qu’est-ce qu’une confrontation positive ? Cette
confrontation suppose l’affirmation de soi, en tant que personne ou que
collectivité, et aussi un respect à travers un certain dialogue. « Il n’y a pas deux
personnes qui ne s’entendent pas, il y a seulement deux personnes qui n’ont pas
discuté »dit un proverbe africain. Mais qu’est-ce donc qu’une confrontation
négative ? Lorsque la confrontation débouche sur un sentiment de concurrence
ou de non reconnaissance ou de mépris, alors une situation peut devenir
conflictuelle. Les concurrences, les non reconnaissances et les mépris étant
omniprésents dans nos sociétés productivistes, les conflits sont, eux aussi,
omniprésents.
b ) Le conflit
Quelle est la place du conflit ? Certains pensent que le conflit est une des « lois
de la vie », « le libre jeu du conflit c’est l’antidote de la guerre, la guerre c’est la
loi de la mort » écrivait Odette Thibault (« Non à la guerre disent-elles »,
éditions Chronique sociale,1982). La guerre d’une certaine façon c’est le refus
du conflit, on pense que, pour supprimer le conflit, il faut supprimer celui que je
déclare être mon ennemi. La place du conflit est donc essentielle dans les
relations entre personnes, entre personnes et collectivités, entre collectivités.
Mais le conflit peut-il être facteur de changement ? Dans le conflit l’autre
(une personne, une collectivité), si on le perçoit comme tel et si on l’accepte
comme tel, pose souvent une ou des questions de plus. La maitrise des peurs
personnelles et/ou collectives est ici très importante. C’est à travers le conflit
que va se jouer une certaine transformation personnelle et/ou collective.
Quels sont donc les mauvais moyens de règlement des conflits ? Le plus
souvent on ne sait pas régler nos conflits. Soit on utilise la violence d’oppression
en imposant sa loi, soit on accepte la violence de soumission en renonçant à ce
que l’on juge être essentiel.
Quel serait le moyen le plus porteur pour régler un conflit ? Lanza del Vasto
(« Technique de la non-violence », Denoël, 1971 ; Gallimard, 1988) écrivait «
Face au conflit cinq attitudes sont possibles : la neutralité, la bagarre, la fuite, la
capitulation, la non-violence.» En ce sens l’attitude la plus porteuse serait celle
d’une résolution non-violente des conflits (voir par exemple l’Institut de
recherche sur la résolution non-violente des conflits(IRNC).Ne faudrait-il pas
arriver à ce que toutes les parties au conflit trouvent, ensemble, dans la
confrontation des idées et dans le respect des personnes, des solutions justes ?
c ) L’agressivité, la combativité
Existe-t-il une différence entre les deux ? Jacques Sémelin écrit (dans
l’ouvrage souvent cité ici : « Pour sortir de la violence », les éditions ouvrières,
1983) « Le langage courant réserve deux sens bien distincts au mot agressivité :
une agressivité-affirmation de soi, synonyme de vitalité, d’énergie, de force et
pas nécessairement de violence; et une agressivité-animosité synonyme
d’antipathie, de malveillance, d’irrespect, de cruauté, voire de haine. » Denise
Van Caneghem exprime aussi cette différence (« Agressivité et combativité »,
puf, 1978) : « Nous proposons d’appeler combativité l’ensemble des combats
adaptatifs pour l’individu et son espèce. La combativité est tout ce qui
témoigne d’une parole circulante ou en gestation, liée à l’amour de la vie. La
combativité est un moyen au service des « besoins fondamentaux » (faim,
sexualité…) dont dépend la survie de l’espèce. Je réserve le mot agressivité à
toutes les formes de destructivité liées à l’amour de la mort et qui,
objectivement, accroissent la solitude, la peur de l’autre et de
soi. L’agressivité apparaît comme un sous-produit, un déchet d’une combativité
coupée de ses inhibiteurs, de ses freins naturels et surtout de toute possibilité de
ritualisation. L’agressivité est une fin en soi évoluant vers la destructivité. » Bref
: ne pourrions-nous pas affirmer qu’ il s’agit de maitriser son agressivitéanimosité
et de la transformer en combativité, synonyme de vitalité ?
2-Violences, non-violence et règlement des conflits
a ) Violences et règlement des conflits
Comment la violence se rattache-t-elle au règlement des conflits ? On peut
penser qu’un conflit non géré ou un conflit mal géré peut donner lieu à des
affrontements violents. C’est la violence d’oppression ou la violence de
soumission. Autrement dit, et c’est une définition classique des non-violents, la
violence est un dérèglement du conflit. Jean-Marie Muller écrit (« Stratégie de
l’action non-violente », Seuil, 1981) « La violence enraye le fonctionnement du
conflit et ne lui permet pas de remplir sa fonction qui est d’établir la justice entre
les adversaires. (…) Le conflit risque alors de ne plus être le moyen de
rechercher une solution juste mais l’élimination de l’adversaire.»
b ) Non-violence et règlement des conflits
Quelles sont les forces du règlement non-violent ? Il en existe au moins deux :
la force de la justice et, moins connue, la valorisation de l’objet du conflit.
La force de la justice doit inspirer un compromis, c’est-à-dire une avancée
tenant compte de l’essentiel des positions en présence et faisant appel à
l’imagination, une synthèse porteuse entre les parties au conflit. La
compromission doit être refusée, elle peut-être « enceinte » d’une violence.
Schématiquement on peut dire qu’il faut alors refuser l’injustice et choisir
l’affrontement non-violent.
La valorisation de l’objet du conflit est primordiale, en quoi consiste-elle ?
Jacques Sémelin l’explique ainsi « Dans la non-violence il y a une
décontamination mimétique du conflit de personnes pour tenter de limiter celuici
à la question du partage ou de la possession de l’objet. Cette valorisation de
l’objet du conflit est une façon de se le réapproprier et d’agir de façon nonviolente
pour sa résolution. »
B-Violences et clarifications d’éléments contenus dans cette notion
La violence n’a-t-elle pas quelque chose à voir avec la force, la contrainte ?(1)
N’est-elle pas liée à l’ordre, au désordre ? Pour qui, pour quoi, et à travers quels
moyens ?(2).
1- Force, emploi de moyens exerçant une contrainte et violences
a ) Force et violences
La violence est-elle liée à toute force ou seulement à une force ayant atteint
un certain degré ? Mais à partir de quand y-a-t-il un excès de la force ?
N’y aurait-il pas violence lorsque des acteurs (personnes et/ou collectivités), à
des degrés variables, par la force, portent atteinte à d’autres acteurs, sur les plans
physique, moral, matériel ou culturel ?
b ) Contrainte et violences
Ainsi, comme l’écrit François Stirn (Violence et pouvoir, Hatier, 1978) « La
violence consiste dans un emploi de la force pour contraindre l’autre, nier
son autonomie, ou son intégrité physique, ou même parfois sa vie. (…) Elle peut
donc être définie par l’emploi de moyens portant atteinte à la liberté ou à
l’existence d’individus ou de groupes (…). »
Les violences évoquent la force mais aussi l’ordre, le désordre et les moyens qui
y sont liés.
2- Ordre, désordre et violences
a ) Ordre établi, refus de cet ordre
Les violences peuvent avoir ici deux aspects : les unes sont synonymes de tel ou
telordre établi que l’on construit et/ou que l’on défend, les autres sont
synonymes derefus face à cet ordre établi, ordre que l’on combat.
b ) L’étendue et le contenu d’un ordre
Un des critères les plus opérationnels est celui de l’étendue du lieu, on peut
ainsi distinguer les ordres locaux, nationaux, continentaux, mondiaux. On peut
compléter ce critère par les domaines, on examine ainsi par exemple l’ordre
commercial international.
Un ordre peut se juger sur son contenu, c’est à dire sur les libertés, les égalités,
la paix, la protection de l’environnement. Est-ce que telle ou telle situation
dans tel lieu est porteuse un peu, moyennement, beaucoup ou pas du tout de ces
quatre grands critères ? Par exemple quelles sont les égalités et les inégalités en
ce lieu ? Cet ordre est-il juste ou injuste ?
c ) Les moyens de refus ou de défense d’un ordre et les violences
Si l’on refuse un ordre injuste une question qui se pose est celle des moyens que
l’on veut employer pour le remettre en cause, s’agit-il de moyens légaux
(élections, adoptions de nouvelles lois…), de moyens non-violents (noncoopération).
Certains ont même mis en oeuvre des luttes armées, ainsi par
exemple des mouvements de libération.
Si l’on veut défendre un ordre juste la même question se pose donc par rapport à
la nature des moyens employés.
Remarques terminales
1-Telles sont ces quelques clarifications relatives aux violences. Si l’on devait
retenir un seul élément fondamental lequel serait-il ?
Une des notions essentielle est celle de conflit, plus ou moins présent entre
personnes, entre personnes et collectivités, entre collectivités. Le conflit
peut-être facteur de changement, c’est à travers lui que vont se jouer des
transformations personnelles et collectives.
Malheureusement le plus souvent on ne sait pas régler les conflits. Soit on
utilise la violence d’oppression en imposant sa loi, soit on accepte la violence
de soumission en renonçant à ce que l’on juge être essentiel.
En ce sens la 3ème attitude la plus porteuse est celle d’une résolution nonviolente
des conflits (voir par exemple l’Institut de recherche sur la résolution
non-violente des conflits(IRNC).Or une des choses les plus importantes de la
vie, régler les conflits, on ne nous l’a pas apprise. Il devrait y avoir, de la
maternelle à l’université et dans tous les lieux de vie, des théories et des
pratiques de règlement non-violent des conflits, à ce jour quand cela existe c’est
une exception. Ne faudrait-il pas arriver ainsi à ce quetoutes les parties au
conflit trouvent, ensemble, dans la confrontation des idées et dans le
respect des personnes, des solutions justes? Confrontation, respect, justice
sont ici les maitres mots.
2-Quelles sont donc les classifications des violences ? (VOIR II )
VIOLENCES : les classifications ( II )
II- Les classifications des violences
L’intérêt de classer les violences est double :
d’une part il s’agit de prendre en compte la diversité des violences, de cerner
l’ensemble des classifications donc de ne pas laisser échapper des catégories de
violences,
d’autre part on peut avoir indirectement une idée de certaines causes et
d’alternatives.
Une classification pourrait avoir pour qualités la clarté, la cohérence, la
globalité, et aussi un caractère opérationnel, autrement dit une certaine utilité
sur le terrain en pensant à des alternatives.
Nous partirons d’un panorama des classifications existantes (A), nous mettrons
ensuite en avant une classification proposée (B).
A- Violences et classifications existantes
Passons rapidement sur un critère qui ne résiste pas à l’analyse (1), pour
énumérer ensuite des classifications simples à souligner(2), pour évoquer enfin
des classifications liées à des critères qui se veulent plus élaborés(3).
1-Une classification des violences fondée sur un critère contestable
a ) Quelle est cette classification ?
Elle consiste à distinguer la légalité qui, par nature, serait pacifique et
l’illégalité qui, par nature, serait violente. On affirme que la légalité est
synonyme d’absence de violence et que l’illégalité est synonyme de violence.
b) Pourquoi cette classification ne résiste-t-elle pas à l’analyse ?
Cette façon de raisonner est assez courante, elle repose pourtant sur une erreur,
pourquoi ? Certes existent de nombreuses lois définissant et sanctionnant des
violences mais la légalité elle-même peut être porteuse de violences, par
exemple une loi injuste, c’est la violence de l’injustice.
2-Les classifications des violences fondées sur des critères relativement
simples
Ces classifications sont nombreuses, elles ont leurs interdépendances et leurs
recoupements.
a ) Une classification fondée sur les domaines des activités humaines
On distingue ainsi les violences politiques (répressions des opposants), militaires
(opérations aériennes, navales, terrestres), sociales (discriminations),
économiques (discriminations, exploitations sous diverses formes…)culturelles
(répressions, sanctions financières)…Cette classification utile ne rend cependant
pas compte des interdépendances entre ces domaines d’activités et ne distingue
pas les violences personnelles et collectives.
b ) Une classification fondée sur les formes de violences
On distingue ainsi les violences physiques (meurtres, attentats, viols, sévices,
tortures …) psychologiques (torture par isolement, harcèlement moral, chantage
affectif, embrigadement…).Les violences, dans des proportions variables, sont
la plupart du temps physiques et psychologiques, les interactions entre les deux
sont nombreuses.
c ) Une classification fondée sur les acteurs des violences
On distingue alors les violences entre des personnes, entre des communautés,
entre des Etats, entre un Etat et une guérilla, les violences de réseaux terroristes,
celles de firmes multinationales…
Cette classification est intéressante, en particulier dans les processus de
règlement des conflits.
d ) Une classification fondée sur les niveaux de destruction
On distingue alors les violences selon le nombre de victimes, selon aussi
l’importance des destructions matérielles (infrastructures, entreprises…) et
environnementales (eaux, sols, air, faune, flore…)
Une classification basée sur l’ampleur du conflit est essentielle.
e ) Les violences de destruction, de répression, de persécution
Jacques Sommet (« L’Acte de mémoire, 50 ans après la déportation », éditions
ouvrières,1995) écrivait :
« Il y a trois niveaux de violence : les violences de destruction telles qu’elles
apparaissent dans toutes les guerres, les violences de répression telles que celles
d’un Etat totalitaire, les violences de persécution qui sont des violences sans fin
puisque même la soumission de la victime n’y met pas de terme. »
Sur un aspect certes essentiel la classification est importante mais n’est pas assez
globale.
f ) Une classification fondée sur les effets dans le temps sur les victimes
On distingue les violences selon leurs effets personnels et/ou collectifs à court
terme, à moyen terme, à long terme, cela sur les êtres humains, sur la nature, sur
les biens.
C’est une classification qui a son intérêt quant à la prise en compte nécessaire
des dommages dans le temps mais c’est une classification qui n’est pas assez
globale.
g ) Une classification fondée sur les niveaux géographiques
Cette classification est assez globale et opérationnelle. Elle consiste à distinguer
les violences locales, régionales, nationales, continentales, internationales. Elle
correspond d’ailleurs aux ordres juridiques c’est-à-dire à l’état du droit dans un
lieu donné.
Elle est cependant toute relative dans la mesure où beaucoup de violences sont
interdépendantes géographiquement. D’autre part la classification ne donne pas
une idée de la diversité des violences.
h ) Une classification fondée sur les violences naturelles et les violences
humaines
On distingue les violences qui sont celles des forces de la nature (inondations,
tempêtes, incendies, tsunamis, tremblements de terre…) et les violences qui ont
pour origine les êtres humains (dans différents domaines, entre différents
acteurs, à différents niveaux géographiques, avec des effets très variables).
En fait cette distinction est en partie arbitraire car les violences naturelles
peuvent avoir aussi, pour une part variable, des causes humaines, par exemple
des inondations. Même certains tremblements de terre peuvent avoir pour
origine des activités humaines (des méthodes d’exploitation du gaz de schiste).
D’autre part la catégorie « violences humaines » est beaucoup trop large.
Retournons-nous donc vers des classifications qui se veulent plus élaborées.
3-Les classifications des violences fondées sur des critères plus élaborés
a ) Une classification fondée sur les violences visibles et les violences cachées
Les violences visibles sont des violences plus ou moins spectaculaires, souvent
médiatisées.
Les violences cachées sont celles qui l’on peut découvrir dans des statistiques,
dans des habitudes, dans un ordre établi, on va les trouver en interprétant des
chiffres, en soulignant les effets de certaines habitudes, en découvrant le contenu
de diverses dominations.
La distinction est intéressante mais relative, ainsi certaines guerres (violences
visibles) sont recouvertes d’un linceul de silence, ainsi des statistiques
(violences cachées) peuvent être illustrées par des reportages mettant en avant
de multiples témoignages et souffrances sur le terrain.
b) Une classification fondée sur les violences directes et les violences
structurelles
Elle consiste à distinguer les violences physiques que l’on peut constater,
violences faites aux victimes et les violences produites par des structures
économiques, politiques, sociales, culturelles.
Jacques Sémelin (ouvrage cité en exergue de l’introduction) écrit « Il
conviendrait au moins de distinguer la violence directe, celle du sang et des
morts, et la violence structurelle, contenue dans les situations d’oppression et de
misère que Johan Galtung nomme « la violence structurelle. » Il n’y a pas que
les armes qui tuent : un système économique injuste, responsable par exemple
de la faim dans le monde, est aussi dévastateur que des centaines de bombes. »
Ainsi, dans la pensée de Galtung (politologue norvégien, fondateur de
l’irénologie , science de la paix)(voir par exemple Entretien dans « Alternatives
non-violentes » n°34,1979), l’absence de violence directe correspond à la « paix
négative. » Pour aller dans le sens d’une « paix positive » il faut remettre en
cause les violences structurelles.
c ) Une classification fondée sur les rapports entre dominants et dominés
On distingue les violences institutionnelles, celles des structures économiques
injustes et des structures politiques oppressives, les violences insurrectionnelles
des opprimés, des sans-droits qui réagissent, les violences répressives qui
répondent aux précédentes.
Cette classification est opérationnelle pour comprendre le déroulement de
certaines violences alors que, dans le langage courant ou dans les médias, on
présente souvent ces violences comme équivalentes. Cette classification reste
cependant partielle, elle laisse de côté de nombreuses violences.
d ) Une classification fondée sur la puissance collective ou non des violences
On distingue alors les violences collectives, liées à un « enracinement »
collectif, ainsi les guerres, et les violences personnelles, liées à un «
enracinement » personnel, ainsi un harcèlement moral.
La question qui se pose est de savoir quels liens existent entre les deux, on
raisonne alors sur les analyses des causes des violences.
e ) Une classification fondée sur les violences volontaires et involontaires.
Dans les violences l’élément intentionnel est essentiel.
Ainsi dans l’horreur du génocide est prise en compte la volonté de détruire.
Ainsi dans l’homicide on distingue entre l’homicide volontaire et l’homicide
involontaire (par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou
manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement).
Même si ce critère n’est pas assez global pour fonder l’ensemble d’une
classification, il est évident qu’on devra le prendre en compte dans un ensemble
de critères.
f ) Une classification fondée sur l’ampleur du conflit
Selon Johan Galtung existent quatre grands types de conflits. Le micro-conflit
est un conflit au niveau intra-personnel ou interpersonnel. Le méso-conflit est un
conflit intra sociétal (intra groupes, inter groupes). Le macro-conflit est celui qui
se situe à l’échelle nationale et internationale, celle des Etats. Le méga-conflit
est celui des relations entre les continents, des relations entre les civilisations et
des relations entre ces deux ensembles.
Si la classification est relativement claire, elle laisse de côté nombre de
violences et ne précise pas assez la diversité des violences.
g ) Une classification basée sur l’institutionnel, le révolutionnaire et le
répressif
Helder Camara distinguait trois violences :
« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la
violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les
oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions
d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la
première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en
se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre
toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant
d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
h) Une classification fondée sur les grandes violences et les violences dites «
banales »
C’est probablement une des classifications les plus intéressantes.
On distingue ainsi les grandes violences massives telles que les guerres, et les
autres violences qu’il ne faut pas banaliser mais qui sont souvent présentées
comme telles, moins visibles, incorporées à la quotidienneté, telles que des
humiliations.
Relativement globale et opérationnelle, cette classification ne couvre pourtant
pas l’ensemble des violences. N’y-a-t-il pas d’autres types de violences qui ne se
situent dans aucun de ces deux regroupements ? En complétant avec un
troisième regroupement cette dernière classification et en la renforçant avec
d’autres critères complémentaires, ne pourrait-on pas arriver à une proposition
plus porteuse ?
B-Violences et classification proposée
Nous envisagerons les caractères de cette classification (1) et son contenu(2).
1- Les caractères de la classification proposée relative aux violences
Quels sont les critères de ce choix ? Quels sont les regroupements proposés ?
Quelles sont les forces de cette classification ?
a ) Quels sont les critères sur lesquels repose la classification proposée ?
Nous avons choisi essentiellement trois éléments sur lesquels repose cette
classification: l’ampleur générale du processus , les moyens employés, les
effets des violences.
Un quatrième élément apparait ici ou là à l’intérieur de chaque regroupement :
lecaractère volontaire ou non de la violence.
Par exemple dans les grandes violences il y a des exceptions, ainsi certaines
violences liées à des catastrophes écologiques peuvent avoir des causes non
volontaires. Existent aussi des analyses opposées par rapport à l’aspect
volontaire de telle ou telle violence : la faim est-elle une violence involontaire
ou un massacre organisé ?
Par exemple dans les atteintes à la personne humaine il y a des homicides
volontaires et d’autres involontaires, certaines affaires montrent qu’il est parfois
difficile d’établir la vérité.
Par exemple dans les violences dites « banales» le caractère volontaire peut-être
clair à travers une conscience de vouloir faire du mal, de porter atteinte à la
dignité humaine mais, dans d’autres situations, ainsi dans des « douces violences
», la conscience de cette forme d’atteinte peut ne pas exister.
D’autres éléments apparaitront à titre secondaire : ainsi les responsabilités
personnelles et collectives, cela au sens moral mais aussi juridique, par exemple
la responsabilité des personnes morales par rapport aux atteintes à la personne
humaine, ainsi aussi certains éléments des autres classifications qu’elles
soient simples ou plus élaborées.
b ) Quels sont les trois grands regroupements de cette classification ?
-Les grandes violences, massives, terrifiantes, porteuses de mort :
Elles sont massives dans les victimes atteintes, cet aspect collectif est
omniprésent.
Elles sont terrifiantes dans les moyens employés synonymes d’horreur.
Elles sont dramatiques et horribles dans leurs effets porteurs de morts et de
terribles souffrances.
-Les atteintes à la personne humaine, aux biens, à la paix publique, à
l’environnement :
Elles sont interpersonnelles, Elles sont terrifiantes ou sous formes de violences
variables dans les moyens employés.
Elles sont dramatiques, à divers degrés, dans les effets porteurs de morts et de
souffrances variables.
-Les autres violences qui ne doivent pas être banalisées :
Elles sont fréquentes.
Elles sont incorporées à des modes de fonctionnement et on ne les perçoit pas
toujours comme des formes de violences.
Elles sont souvent porteuses de souffrances et ne doivent pas être banalisées.
c ) Quelles sont les forces de cette classification ?
Elle est globale, c’est-à-dire qu’elle prend en compte l’ensemble des violences,
à ce titre c’est une classification rare. Par exemple elle n’oublie pas les violences
économiques, écologiques, elle n’oublie pas non plus la course aux armements
qui n’apparait pratiquement jamais dans les classifications.
Elle est cohérente puisque l’on passe des grandes violences à des violences
moins massives pour arriver à des violences que l’on pense parfois banales mais
qui ne le sont pas.
Elle a une troisième force : un certain caractère opérationnel par rapport aux
manifestations des violences mais, également, par rapport à leurs causes et à
leurs alternatives.
2- Le contenu de la classification proposée relative aux violences
a) Les grandes violences : massives, terrifiantes, porteuses de nombreuses
morts et de grandes souffrances
Pour établir cette énumération des grandes violences nous combinerons des
types proches de grandes violences (guerres, massacres, épurations de masse),
des aspects où le droit les qualifie (crimes internationaux), des aspects plus
politiques (régimes politiques, terrorismes) des domaines de grandes violences
(scientifique et industriel, économique, social, culturel, écologique).
Nous les regroupons sous dix formes :
– Les guerres, les massacres, les épurations de masse,
– Les crimes internationaux, (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crime
de génocide, crime d’agression),
– Les crimes contre l’ environnement ,
– Les régimes totalitaires et les camps de l’horreur,
-Les régimes autoritaires,
– Les terrorismes,
– La course aux armements,
– Les grandes violences économiques et sociales,
– Les grandes violences culturelles,
– Les grandes violences écologiques. On notera que celles-ci peuvent constituer
des atteintes aux droits des générations futures.(voir à ce sujet sur ce même blog
nos articles relatifs au projet de Déclaration universelle des droits de
l’humanité).
b) Les atteintes aux personnes , aux biens, à la paix publique, à
l’environnement
Le document utilisé sera celui très significatif d’un Etat, la France, définissant
des crimes et délits, nous ferons ainsi à travers le code pénal un récapitulatif des
atteintes portées aux personnes, aux biens, à la paix publique, puis à travers le
code de l’environnement des atteintes portées à celui-ci. Ces atteintes ne sontelles
pas autant de formes de violence ?
Nous les regroupons sous onze formes :
-Les crimes contre l’humanité, qu’on retrouve donc en droit international et dans
certains droits internes étatiques,
– Les atteintes à la vie de la personne,
– Les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne,
– La mise en danger de la personne,
– Les atteintes aux libertés de la personne,
– Les atteintes à la dignité de la personne humaine,
– Les atteintes à la personnalité ,
– Les atteintes aux mineurs et à la famille,
-Les atteintes contre les biens,
– Les crimes et délits contre la nation, l’Etat, la paix publique, la confiance
publique, autres crimes et délits,
-Les atteintes à l’environnement.
c ) Les autres violences à ne pas banaliser
Jacques Sémelin écrit « Il y a aussi les violences « banales » dont nous sommes
les témoins, les victimes… ou les acteurs. » Cette violence est plus ou moins
intégrée à une partie de nos modes de vie, il arrive que nous n’en ayons pas
conscience, contrairement aux violences spectaculaires.
Nous les regroupons sous dix formes :
– Les discriminations,
– Les violations des différences,
-Les violences d’oppressions,
-L’instrumentalisation des rapports humains,
-La marchandisation de rapports humains,
-Les effets de l’accélération du système international,
-Les harcèlements dans la vie quotidienne,
– Les violences médiatiques,
– Les douces violences,
-Les violences des casseurs d’horizons, terme proposé ici.
Remarques terminales
1- Les classifications des violences sont nombreuses, qu’elles soient simples
ou qu’elles se veuillent plus élaborées.
Une des plus porteuses est certainement celle qui distingue les violences
premières( dominations, injustices…),les violences secondes(révoltes,
révolutions…) les violences troisièmes (répressions sous diverses formes).Et
comme l’écrivait Helder Camara « Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler
violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la
troisième qui la tue. », en tous cas qui veut l’étouffer ou la tuer.
Nous avons proposé une classification globale qui puisse saisir l’ensemble des
violences et qui ait aussi une certaine cohérence.
Nous avons ainsi distingué trois regroupements : les grandes violences (dix
formes), les violences contre les personnes, les biens, la paix publique et
l’environnement (onze formes), les autres violences à ne pas banaliser (dix
formes).
2- A partir de la classification proposée nous arrivons ainsi à la question des
contenus des violences.
(III)