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Déclaration des droits de l’humanité à l’épreuve
des prises de consciences et des volontés,
des acteurs et des responsabilités,
des remises en cause, des interdépendances, des générations, des moyens
conformes à des fins démocratiques, justes, écologiques et
pacifiques
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« C’est un peu long, pourquoi dix-huit pages sur vos droits ? » demanda le Petit
Prince. « Parce que je les vaux bien…» répondit l’humanité, et elle ajouta «Mais
de toutes façons on ne peut ni le vendre ni l’acheter. » « Qui ? » demanda le
Petit Prince, « Mon souffle… » dit l’humanité.
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A la 21ème Conférence des Parties de la Convention cadre des Nations Unies
sur les changements climatiques, en décembre 2015 à Paris, l’enjeu essentiel
sera celui de l’adoption d’un accord international contraignant sur le climat pour
arriver, si c’est encore possible, à maintenir la température globale en deçà de
2°C.
A l’initiative de la France sera aussi peut-être adoptée une « déclaration sur les
droits de l’humanité pour préserver la planète ». Cette déclaration aura bien sûr
simple valeur incitative, elle sera juridiquement non contraignante. Elle pourra
avoir une certaine valeur pédagogique et contribuer, pourquoi pas, à préparer
une convention contraignante encore bien lointaine. Au mieux elle pourra aussi
comprendre quelques éléments porteurs. Ses silences seront nombreux et criants,
sans crainte de se tromper on peut par exemple affirmer que les Etats ne se
prononceront pas pour des « recherches » sur les armes de destruction massive
comme étant contraires à l’intérêt commun de l’humanité et à la protection de
l’environnement.
Comme la plupart des déclarations celle de Paris comprendra quelques pages et
sera divisée en principes ou articles. Celle qui suit dans la forme contient des
passages qui peuvent être transformés en articles, mais il s’agit surtout d’une
réflexion qui se veut globale, critique, créatrice, à la suite de quarante et une
années d’écrits et d’enseignements de relations internationales, de droit
international public, de droit international du désarmement et surtout de droit
international de l’environnement.
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Le péril majeur pour l’humanité ne provient pas d’un régime, d’un parti, d’un
groupe ou d’une classe. Il provient de l’humanité elle-même dans son ensemble
qui se révèle être sa pire ennemie et celle du reste de la création. C’est de cela
qu’il faut la convaincre si nous voulons la sauver.
Claude Lévi-Strauss (L’Express va plus loin avec Claude Lévi-Strauss, 25-31
mars 1971, p.149.)
L’humanité entière est confrontée à un ensemble entremêlé de crises qui, à elles
toutes,
constituent la Grande Crise d’une humanité qui n’arrive pas à accéder à
l’Humanité.
Edgar Morin(Le chemin de l’espérance, Stéphane Hessel , Edgar Morin, fayard,
2011,chap.1)
Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte
d’une progression quantitative ;accéder à l’Humanité‚ suppose un saut qualitatif.
Dès lors qu’il est franchi, elle doit, elle-même, jouir de droits faute de quoi les
hommes perdraient les leurs.
René Jean Dupuy (La clôture du système international. La cité terrestre, puf,
1989,p.156.)
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Préambule
L’humanité n’est pas une illusion fumeuse, une incantation magique, une
représentation impossible, une nébuleuse floue, une étoile inaccessible,
l’occasion d’un exercice de trémolos dans la voix ou un gadget pour idéaliste …
Elle n’est pas non plus un refuge à l’abri du présent, une fuite des
responsabilités, un mythe d’une communauté unanime, une forme d’appel à la
bonne conscience, un immense cortège ne distinguant plus les responsables et
les victimes, un souci de luxe de fins du monde loin des fins de mois, un lot de
consolation distribué par les maitres aux esclaves ou le camouflage d’un
gigantesque cimetière des rêves trahis et des espoirs déçus…
L’humanité s’incarne à travers les temps et les lieux. Si nous sommes à
l’écoute nous pouvons entendre encore les pas de ceux et celles qui nous ont
précédés, et déjà les pas de ceux et celles qui vont nous suivre. L’humanité est à
la fois et tour à tour un héritage, un temps présent, une promesse.
Pour résister à l’intolérable et pour construire un monde démocratique, juste,
écologique, pacifique, le souffle de ceux et celles qui nous ont précédés et celui
de ceux et celles qui vont nous suivre peuvent contribuer à nous porter, mais
c’est notre souffle, celui des vivants que l’on attend. Et c’est notre souffle qui
nous attend.
Crier chanter embrasser vivre l’espoir, mais lequel ? Celui par exemple de
nos remises en cause, personnelles et collectives, elles donneraient plus de
marges de manoeuvres surtout aux générations encore jeunes, et à celles qui
naitront dans les quelques décennies à venir : ne seront-elles pas aux avantpostes
de tous les défis? Puissent-elles connaitre la fraternité, l’amitié, l’amour
qui peuvent qualifier la vie !
Et mon humanité ? Ne sera-t-elle pas d’autant plus vivante que la voilà partie
prenante (« un sac pour recevoir ») et donnante (« un sac pour donner ») dans la
chaine des générations ? Ne peut-elle pas contribuer à me transformer ? Plus
nous portons un projet d’humanité plus il peut nous porter à son tour. Seronsnous,
personnellement et collectivement, indifférents, tièdes, somnolents,
désenchantés, résignés ou voulons-nous devenir des veilleurs debout ?
Lorsque, dans nos vies personnelles et/ou collectives, existent la grisaille, les
brouillards, les ombres, l’obscurité ou les ténèbres de certains instants présents,
ne pouvons-nous pas essayer, autant que faire se peut ( ?!…), de les resituer
dans la perspective de l’espérance de l’humanité ? Difficile à exprimer, mais
encore beaucoup plus difficile – ou parfois impossible- à vivre, et pourtant ce
peut être une force et une chance que celle d’entrer dans cette espérance de
l’humanité.
L’espérance de l’humanité pour les croyants c’est celle d’un dieu qui
n’abandonne pas les êtres humains, qui les aime et les appelle à aimer. Il y a
aussi une autre façon de la concevoir et de la vivre, soit complémentaire soit
exclusive de la précédente. Ainsi l’espérance de l’humanité
ce sont les vies de ceux et celles qui nous ont précédés à travers ces témoins
d’humanité, connus et inconnus, luttant contre des forces de mort, c’est ce
patrimoine culturel qu’ils nous laissent avec une immense chance, un grand
bonheur de le découvrir et de le partager,
ce sont les vies de ceux et celles qui sont présents aujourd’hui, ces
générations vivantes qui, si elles arrivent à penser et à mettre en oeuvre des
moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, porteront un projet
d’humanité, alors, oui, il les portera à son tour,
ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et qui peuvent nous dire
: notre confiance en vous nous la risquons à nouveau. Essayez, nous vous les
prêtons, d’aimer le monde avec les coeurs et les esprits de ceux et celles qui vont
arriver, et puis laissez-nous la liberté de devenir ce que nous voudrons être.
Pablo Neruda fait dire à tous les peuples martyrs « Aucune agonie ne nous fera
mourir. » Cri de grande douleur, de résistance et d’espoir fou ! La douleur peut
nous casser, la fraternité peut, encore et encore, contribuer à nous mettre debout.
Ainsi, tant que dureront les êtres humains, l’espérance de l’humanité n’est-elle
pas inépuisable ?
Cheminement proposé :
I- Des prises de consciences et des volontés , éléments porteurs des droits de
l’humanité
II-Des acteurs et des responsabilités , éléments complexes des droits de
l’humanité
III- Des remises en cause du productivisme, conditions d’existence des
droits de l’humanité
IV-Des interdépendances, fondements des droits de d’humanité
V- Des générations au coeur du contenu des droits de l’humanité
VI- Des moyens conformes aux fins pour une mise en oeuvre des droits de
l’humanité
I-Des prises de consciences et des volontés, éléments porteurs des droits de
l’humanité
1-Des prises de consciences difficiles.
Quelles sont les causes de ces difficultés de mises au monde ? De nombreux
avoirs pouvoirs et savoirs s’y opposent, et les esprits sont souvent colonisés par
des discours dominants, des habitudes, des tentations de la course en avant.
Cette prise de conscience se traduit soit par cet éclair connu qui déchire la
conscience soit par un cheminement beaucoup plus long.
Lorsque ces prises de consciences personnelles et collectives apparaissent, elles
sont alors mises à rude épreuve par un sentiment d’impuissance, par des
pressions, ou par des répressions.
La prise de conscience peut amener vers ce que l’on pourrait appeler la question
du retournement du risque : au lieu de se demander « qu’est-ce que je risque si
je vais, si nous allons au milieu de telle ou telle situation conflictuelle ? » on se
demande « qu’est-ce que les autres risquent si je n’y vais pas, si nous n’y allons
pas ? » Les choix entre le risque (quels types de risques ?) et la prudence ne sont
pas toujours évidents. Simone de Beauvoir écrivait « C’est dans l’incertitude et
le risque qu’il faut assumer nos actes »
2- L’optimisme de la volonté, à consommer sans modération .
Antonio Gramsci affirmait « Il faut avoir à la fois le pessimisme de
l’intelligence et l’optimisme de la volonté ». En s’interpellant l’un l’autre voilà
une sorte de couple de combat.
L’optimisme de la volonté il en faut beaucoup, non seulement parce qu’il réduit
à la cuisson mais, surtout, parce que le pessimisme de l’intelligence a une
réserve redoutable. Il trouve de quoi s’alimenter dans l’accélération de ce
système productiviste auto destructeur qui a quelque chose d’incontrôlable,
certains évoqueraient même un système devenu fou et dont nous ne serions plus
que les fous d’un fou.
Mais il faut du temps, même si des événements tels que des crises ou de
grandes crises peuvent accélérer des prises de conscience, des réformes, voire
des remises en cause de théories et de pratiques, il faut du temps pour que ces
idées et d’autres, ces moyens et d’autres, portés par des volontés aux différents
niveaux géographiques, à travers des rapports de forces, voient le jour,
grandissent et deviennent de véritables contre-logiques, contre-mécanismes pour
construire des sociétés viables. Or, face à l’accélération du système, les volontés
n’ont peut-être pas beaucoup de temps devant elles avant que des situations
irréversibles ne se multiplient.
Face à des volontés étouffées : des volontés naissantes doivent voir le jour.
Face à des volontés dépassées : des volontés résistantes doivent se rassembler.
Face à des volontés étouffées : des volontés porteuses de nouveaux souffles
doivent revivre.( sur «Les volontés politiques » voir notre site «
autresordessouffles.fr)
Au coeur de ces volontés se trouvent deux éléments essentiels : des luttes pour
ces remises en cause à travers des rapports de forces et, malheureusement, des
catastrophes qui doivent amener des réformes en aval mais, surtout en amont, de
véritables pédagogies vitales.
II- Des acteurs et des responsabilités, éléments complexes des droits de
l’humanité
1-Une diversité et un nombre impressionnants d’ acteurs.
On ne peut faire impasse sur leur diversité : Ils sont puissants ou « entre les
deux » ou faibles, dominants ou dominés, ils sont internationaux, continentaux,
nationaux ou locaux, ils sont reproducteurs ou dans l’entre-deux ou en ruptures
du productivisme, tournés surtout vers le court ou vers le long terme, publics ou
privés, institutionnalisés ou diffus, clairement identifiés ou plus anonymes,
anciens ou nouveaux, dans la légalité ou en dehors d’elle…
On ne peut fermer les yeux sur leur nombre : Complexes de la techno science,
complexes scientifico-militaro-industriels / Firmes multinationales/Marchés
financiers, paradis fiscaux, banques/ Groupes médiatiques/Etats, organisations
internationales et régionales/Civilisations, religions, cultures/ Collectivités
territoriales/Autres entreprises/Administrations/Ecoles, lycées, universités
/Professions/ Organisations non gouvernementales, associations/ Réseaux
sociaux/ Mafias/ Acteurs humains en personnes, en peuples, en humanité/ et
d’autres encore…
2-Des responsabilités non comparables des acteurs.
Elles dépendent de leurs puissances et de leurs places dans le système
productiviste, de leurs parts de reproductions, d’entre-deux, de ruptures dans ce
système. Ces responsabilités sont souvent diluées, il peut exister une grande
difficulté pour comprendre des interdépendances et pour agir sur des remises en
cause de plusieurs types d’acteurs.
Les responsabilités les plus gigantesques sont celles des acteurs au coeur du
productivisme, c’est à dire la techno science et le marché mondial. Leurs
mécanismes, leurs forces d’autoreproductions tendent à occuper toute la place,
l’enjeu est n’est pas seulement de les « contrôler » mais de les remettre à leur
place, elles doivent toutes les deux rester des moyens et ne pas se transformer en
fins (êtres humains).
Les Etats, et d’abord la vingtaine des plus puissants, à travers coopérations et
traités, doivent participer à ces remises en cause, prendre en se regroupant des
initiatives relatives aux moyens d’appliquer ces droits de l’humanité.
Les acteurs humains (personnes, peuples, humanité) ne doivent pas être sousestimés,
ils participent aux reproductions, aux entre-deux et aux ruptures du
productivisme. Leurs responsabilités sont différentes, liées en particulier à leurs
places dans le système et à l’explosion mondiale des inégalités. Leurs
propositions et leurs initiatives, organisées massivement par exemple à travers
l’alter mondialisme, en s’appuyant sur des réseaux sociaux et des associations,
peuvent être déterminantes par rapport à tel ou tel contre-mécanisme. Dans cette
perspective les organisations non gouvernementales doivent amplifier leurs
capacités de dénonciations et de propositions, doivent multiplier et renforcer
secrétariats, coordinations, conférences, forums et fronts communs…
3-Une responsabilité vitale, celle des générations présentes par rapport aux
générations futures.
Que répondre à ceux et celles qui expriment leur indifférence, leur mépris,
ou leur manque de temps pour penser et agir aussi par rapport aux générations
futures ? Ecoutons les : « Après nous le déluge ! », « Je n’en ai rien à faire,
occupons-nous des vivants ! », « Pourquoi épiloguer sur ce qui n’existe pas ? » «
Elles devront faire face comme nous l’avons fait, c’est leur affaire. ». « Il y a
ceux qui sont obligés de s’occuper de leurs fins de mois, il y a ceux qui ont le
temps et le luxe de pouvoir s’occuper de la fin du monde!» Que répondre ?
Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les
générations passées se sont intéressées à vous ? Est-ce qu’elles ont contribué à
inspirer, préparer, construire tel ou tel aspect de vos vies ? De quelles
libérations, de quelles chances, ou bien de quelles difficultés, de quelles
aliénations ont-elles été porteuses ?
Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les
générations présentes s’intéressent à vous ? Est-ce qu’elles contribuent dans
vos vies à des solidarités, des coopérations porteuses de fraternité, de bien-être
ou, au contraire, à des compétitions, des fuites en avant, des formes de mépris
porteuses de difficultés, de souffrances ?
Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les
générations futures s’intéresseront à vous ? Serez-vous, encore pour quelque
temps, sur les lèvres et dans les coeurs des vivants? L’avenir de vos petitsenfants
aura-t-il dépendu en partie de vous, sous quelles formes ?
Ne pas faire aux générations futures ce que l’on ne voudrait pas qu’elles nous
fassent. Devons-nous (éthique), pouvons-nous (marges de manoeuvres), voulonsnous
(volontés et moyens) faire en sorte qu’elles soient sujets de leurs propres
vies et non objets des vies de générations qui n’auront pas su être aux rendezvous
de leurs responsabilités ?
Dans de grands amphis comme dans de petites salles, face au tableau sur lequel
nous avions écrit « Vive et que vivent les générations futures ! » nous nous
levions une fois par an pour les applaudir. Dans ce geste dérisoire et
symbolique, nous avions comme l’impression de vouloir leur donner du courage
(et nous en donner aussi), beaucoup d’entre nous étaient émus, quelques-uns
bouleversés, parce que, à chaque fois, les applaudissements, comme perdus dans
le temps, semblaient ne plus finir. Peut-être étaient-elles déjà un peu avec nous?
III- Des remises en cause du productivisme, conditions d’existence des
droits de l’humanité
1-Une humanité embarquée dans le système productiviste.
Le sort de l’humanité est indissociable du sort de ce système : ou elle
contribue à le remettre en cause ou elle disparait avec lui.
L’alternative est bien celle-ci : « l’utopie ou la mort » (titre d’un ouvrage de
René Dumont), l’utopie non pas celle qui se perd dans l’abstraction mais celle,
concrète, qui pense et propose des moyens de la réaliser. Mettre perpétuellement
en avant et avoir à la bouche le terrible « soyons réalistes, restons réalistes »
c’est aujourd’hui en fait, malgré soi ou avec soi, être probablement fermé sur
des mécanismes de mort, c’est refuser les paris d’autres possibles, étouffer
l’audace, pactiser avec l’indifférence, être paralysé par la peur de ne rien
pouvoir faire et ne rien faire, c’est enfin et surtout se laisser glisser sur la pente
la plus forte : celle d’un système porteur de souffrances et de périls.
2-Un système autodestructeur aux logiques profondes.
Ces mécanismes s’appellent la recherche du profit, la marchandisation du
monde, la domination sur la nature, le culte de la croissance, la course aux
quantités, la priorité au court terme, l’accélération tous azimuts, l’expropriation
des élu(e)s et des citoyen(ne)s, la compétition omniprésente …
3-Un système productiviste humanicide et terricide .
L’ampleur des problèmes des drames et des menaces est impressionnante :
la faim dans le monde, les maladies, les conflits armés, la course aux
armements, les terrorismes, la criminalité financière internationale, les atteintes
aux droits des personnes des peuples et déjà des générations futures, la
dégradation mondiale multiforme et accélérée de l’environnement, l’explosion
démographique, l’urbanisation vertigineuse, la pauvreté et la misère, l’explosion
des inégalités, le chômage, l’analphabétisme , l’endettement mondial…
4-Les formes de la crise radicale du productivisme.
Bien sûr avant tout l’ampleur des problèmes, des drames et des menaces
énumérés ci-dessus. Mais aussi l’ampleur de l’incertitude : le monde semble
arriver à d’immenses carrefours où des choix vitaux sont nécessaires, faute de
quoi un certain nombre de phénomènes, en particulier écologiques, basculeront
très probablement dans d’irréversibilité. Autrement dit : on ne sait pas si on va
vers de gigantesques catastrophes (liées par exemple aux armes de destruction
massive, ou à la rencontre explosive entre la crise climatique et la crise
énergétique) ou vers une nouvelle naissance, une « métamorphose » de
l’humanité, ou vers une hypothèse intermédiaire faite de drames et aussi de
sursauts pour essayer d’en sortir.
La recherche de fausses solutions est aussi une forme de la crise. Le premier
type de fausse solution amène à se tourner vers « Le » grand remède miracle,
ainsi on en appelle au Sommet miracle, à « La » technique miracle, à l’Homme
providentiel, à l’élimination des boucs émissaires porteurs de tous les malheurs
du monde. Le second type de fausse solution consiste en une fuite en avant, une
sorte de ralliement passif au modèle dominant, de dictature du présent
accompagnée d’un « après nous le déluge ».
Autre forme de la crise : des mécanismes d’expropriation des élu(e)s et des
citoyen(ne)s n’ont-ils pas tendance, ici ou là, à apparaître ou à se développer ?
Ainsi les marchés financiers n’entraînent-ils pas une expropriation du politique
par le financier ? La primauté du libre-échange et la puissance des firmes
géantes n’entraînent-elles pas une expropriation du social par l’économique ? La
compétition n’entraîne-t-elle pas une expropriation de la solidarité par
l’individualisme ? La vitesse n’est-elle pas un facteur de répartition des
richesses et des pouvoirs qui défavorise ou rejette des processus de décision, des
groupes, des individus qui sont plus lents ?
5- Les facteurs aggravants de la crise radicale du productivisme.
La crise du temps liée au système productiviste aggrave l’état des lieux. Ainsi
de façon globale le temps du marché et le temps du profit à court terme se
heurtent aux temps écologiques à long terme, et d’autre part des pouvoirs
humains se voulant infinis se heurtent à la finitude de la Terre. Ainsi de façon
plus précise les manifestations de la crise du temps, à titre indicatif, sont liées à
l’arrivée de nouvelles technologies représentant des échelles de temps
gigantesques (déchets nucléaires, exploration spatiale) ou miniaturisées
(informatique, nanotechnologies). De même participent à cette crise du temps le
stress temporel des villes, la communication qui devient souvent une célébration
de l’immédiat, l’exclusion qui témoigne d’une difficulté à se penser dans le
temps…
Les interactions entre les crises du système productiviste aggravent l’état des
lieux. Ainsi les crises financière, économique, sociale, écologique…Des
interactions par exemple entre les guerres qui portent atteinte à l’environnement
et, d’autre part, une gestion injuste de l’environnement (conflits liés à l’eau par
exemple) qui peut contribuer aux causes d’un conflit. Interactions par exemple
entre la crise énergétique et la crise climatique.
6- Un facteur aggravant et terrifiant , l’accélération du système
international.
Elle se manifeste de multiples façons : une techno-science omniprésente et
toujours en mouvement, un règne de la marchandise toujours à renouveler, une
circulation rapide de capitaux, de produits, de services, d’informations qui font
de la planète une sorte de « grand village », les déplacements nombreux et
rapides des êtres humains, l’explosion démographique mondiale, l’urbanisation
accélérée du monde, les discours sur la compétition, personnelle et collective,
économique, culturelle, militaire, la prise de conscience d’une fragilité
écologique de la planète provoquée par des activités humaines productivistes…
Le fait que le productivisme soit devenu comme une sorte de camion fou se
comprend particulièrement bien à travers la dégradation et la protection de
l’environnement.
L’accélération est une machine infernale en particulier par rapport à
l’environnement, pourquoi ? Quatre mécanismes ont quelque chose de
terrifiant. Le mécanisme général : le système international s’accélère, on vient
d’en énumérer quelques manifestations. Second mécanisme : Les réformes et les
remises en cause pour protéger l’environnement sont souvent lentes (complexité
des rapports de force et des négociations, retards dans les engagements,
obstacles dans les applications, inertie des systèmes économiques et techniques
sans oublier la lenteur de l’évolution des écosystèmes).Troisième mécanisme :
l’aggravation des problèmes, des menaces et des drames fait que l’on agit pour
une part dans l’urgence (l’urgence tend à occuper une place de plus en plus
importante).Dernier mécanisme : s’il est nécessaire de soulager des souffrances
immédiates, il est aussi non moins nécessaire de lutter contre leurs causes par
des politiques à long terme ce qui demande du temps …or le système s’accélère.
Autrement dit : il n’est pas sûr que les prochaines générations futures aient
beaucoup de temps devant elles pour mettre en oeuvre des contre-mécanismes
nombreux, radicaux et massifs.
7-La critique radicale du système productiviste.
Ce système n’est-il pas condamnable du seul fait, par exemple, qu’il y ait en
2013 un enfant sur deux dans le monde en situation de détresse et/ou de
danger(guerres, maladies, misère…) et du seul fait, par exemple, que les
marchés financiers depuis 1971 ont pris une large partie de la place des
conducteurs(Etats, entreprises…) ?
Ce système n’est-il pas condamné du seul fait , par exemple, que près de 5
milliards de dollars partent chaque jour en 2013 vers les dépenses militaires
mondiales, et du seul fait, par exemple, que des activités humaines entrainent un
réchauffement climatique qui menace l’ensemble du vivant,+3°C à 6°C vers
2100 et autour de 1 mètre d’élévation du niveau des mers ?
Le système productiviste nous dépasse et avance dans l’autodestruction : il
nous dépasse par sa complexité, sa technicité, sa rapidité, trois facteurs qui font
que la fatalité existe souvent, certes à des doses variables, mais elle correspond à
l’impression profonde selon laquelle les marges de manoeuvres de bon nombre
d’acteurs diminuent et des politiques alternatives aux différents niveaux
géographiques sont de plus en plus difficiles à mettre en oeuvre. D’autre part ce
système a des pentes suicidaires à travers son insécurité (par exemple liée à la
gigantesque course aux armements), ses inégalités (entre sociétés Nord-Sud, et à
l’intérieur de chaque société), sa fragilité (en particulier écologique), trois
facteurs qui baignent dans une compétition rapide et effrénée.
Le système productiviste ne réalise pas le bien commun. Du point de vue
démocratique, les citoyens et citoyennes peuvent de moins en moins se
réapproprier leur présent et leur avenir, le système est pour une large part
autoritaire. Du point de vue de la justice le productivisme contribue à aggraver
des inégalités et en crée de nouvelles, il est pour une large part injuste. Du point
de vue environnemental le productivisme fonctionne sur l’utilisation forcenée de
la nature, le système est pour une large part destructeur de l’environnement. Du
point de vue pacifique le productivisme est porteur de multiples formes de
violences, il est pour une large part violent.
Le système productiviste contribue aux confusions entre les fins et les
moyens : cela signifie que les fins, c’est-à-dire les acteurs humains, en
personnes, en peuples, en humanité, sont plus ou moins ramenées aux rang de
moyens, plus ou moins domestiqués comme consommateurs, expropriés comme
producteurs, dépossédés comme citoyens, « marchandisés » comme êtres
vivants. Cela signifie aussi que les moyens, avant tout la techno-science et le
marché mondial, ont tendance à se transformer en fins suprêmes.
8- Les remises en cause vitales du système productiviste
Elles sont vitales pour les acteurs humains (personnes, peuples, humanité) et
pour l’ensemble du vivant.
Elles doivent être massives, à travers des moyens conformes aux finalités mises
en avant.
Il s’agit des résistances contre un système international autodestructeur, pour
une large part autoritaire, injuste, violent, anti écologique.
Il s’agit des constructions pour une communauté mondiale humainement
viable, pour une large part démocratique, juste, pacifique, écologique.
IV –Des interdépendances, fondements des droits de d’humanité
1- L’humanité et les éléments constitutifs de sa définition.
L’humanité est constituée par l’ensemble des générations passées, présentes et
futures.
Elle a quelque chose d’indivisible, c’est un grand tout, un ensemble, qui va de la
première à la dernière génération, cela à travers l’histoire de l’humanité.
En même temps, les générations ont différentes spécificités, autrement dit
l’humanité comprend un tout et des éléments qui le composent. Quelles sont les
spécificités par exemple des générations présentes ? Certainement la puissance
de la techno science, le marché mondial, l’explosion démographique, les
organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales, la
montée de périls communs (débâcle écologique, armes de destruction
massive…)…
Les générations sont interdépendantes, pour le pire, pour l’entre-deux et pour
le meilleur. C’est un défi vital de construire une solidarité intergénérationnelle
agissante pour un monde viable.
2-L’humanité et la nature.
Quel est l’essentiel de la conception dominante de la nature,
l’anthropocentrisme ? La nature est un objet au service des êtres humains.
L’homme est tout-puissant par rapport au non-humain, il doit se comporter en «
maitre et possesseur de la nature », l’homme exerce, par le droit de propriété, un
pouvoir absolu sur la nature qui est un objet de droit.
Quel est l’essentiel de la conception résistante de la nature, l’éco-centrisme ?
La nature est un sujet, elle a une valeur intrinsèque, en elle-même,
indépendamment de toute utilité pour les êtres humains. L’homme fait partie
d’un ensemble, le vivant. Ayant vu le jour dans des civilisations très anciennes,
en particulier amérindiennes, cette conception recommence à se développer
depuis quelques décennies jusqu’à ces dernières années, par exemple un chapitre
de la Constitution de l’Equateur est consacré aux droits de la nature, une loi des
droits de la Terre-Mère a été adoptée en Bolivie. La Conférence mondiale des
peuples sur le changement climatique et les Droits de la Terre-Mère a adopté en
2010, à Cochabamba en Bolivie, une déclaration finale dans laquelle est affirmé
que « la Terre-Mère doit être reconnue comme source de vie, comme un être
vivant, avec lequel nous avons une relation indivisible, interdépendante,
complémentaire et spirituelle.»
Une troisième conception pourrait être qualifiée d’ anthropo-éco-centrisme.
Quel est l’essentiel de cette conception ? Cette synthèse doit être porteuse, elle
doit dépasser les contradictions entre les deux visions précédentes pour
contribuer à une véritable protection mondiale de l’humanité et de
l’environnement. La nature est un donné et un construit pour les êtres humains
(anthropocentrisme) et en elle-même (éco centrisme). L’humanité n’est pas au
dessus de la nature. La nature n’est pas au dessus de l’humanité. L’humanité et
la nature ont des liens de réciprocité, de complémentarité, d’interdépendance.
L’humanité fait partie de la nature, la nature accueille l’humanité. Pour
l’exprimer simplement : la Terre dépend des êtres humains et les êtres humains
dépendent de la Terre.
La nature n’est pas objet ni sujet de droit, elle est projet de droit, idée forte
avancée il y a vingt ans dans l’ouvrage de François Ost « La nature hors la loi.
L’écologie à l’épreuve du droit. » L’ouvrage plaide pour « une nature-projet qui
inscrit l’homme dans la complexité des interactions avec son milieu et définit
une éthique de la responsabilité soucieuse de notre avenir commun. »
On peut ainsi aller dans le sens d’une synthèse accueillant le « meilleur » de
chaque ensemble de théories et de pratiques et rejetant le plus critiquable. De
l’anthropocentrisme on met en avant les humains et on remet en cause la
marchandisation, la société de marché, pas seulement en la contrôlant mais en la
remettant à sa place, en lui fixant des limites. De l’éco centrisme on met en
avant l’ensemble du vivant et on remet en cause l’effacement de la différence
entre l’humain et le non humain. Cette troisième conception se veut synonyme
de responsabilités et de patrimoine commun.
On se fonde sur les responsabilités des êtres humains vis-à-vis de l’ensemble
du vivant (humanité, faune, flore). Le patrimoine commun de l’humanité
reposera sur une gestion synonyme de limites établies au nom des
responsabilités des êtres humains et du respect des êtres vivants. On retrouve ici
Hans Jonas et le « Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation
technologique » avec en particulier cette pensée bien connue : « Agis de façon
que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie
authentiquement humaine ; ou, pour l’exprimer négativement : agis de façon que
les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une
telle vie ; ou simplement ne compromets pas les conditions pour la survie
indéfinie de l’humanité sur terre… »
Le patrimoine commun de l’humanité(PCH) doit être démocratique, juste,
écologique et pacifique. C’est et ce sera une gestion synonyme de partage entre
pays, entre peuples, entre générations présentes et futures, sans oublier le respect
du PCH créé par les générations passées. Ce patrimoine se transmet pour les
générations futures et pour l’ensemble du vivant.
3- L’humanité, son unité et ses diversités .
Ne faut-il pas rechercher l’unité de l’espèce humaine et respecter ses
différences ?
Cette unité de l’humanité repose sur l’unité de l’espèce humaine, les êtres
humains ont des caractères qui définissent leur appartenance à l’espèce homo
sapiens, mais cette unité va beaucoup plus loin. C’est une construction à travers
des solidarités, à travers des luttes pour faire face aux périls communs. « Un seul
monde ou aucun, s’unir ou périr » disait Einstein. Cette unité ne doit pas
signifier une « uniformité uniformisante » aurait dit Kostas Axelos. Le titre d’un
rapport de l’UNESCO de 1980 le disait magnifiquement : « Voix multiples, un
seul monde. »
Respecter les différences est au coeur de nos relations avec les autres, et par
exemple aussi des relations entre les générations passées, présentes, futures.
En premier lieu un acteur donné, par exemple une personne, un peuple, un pays,
une culture ne doit pas éliminer les différences, il faut prévenir et dénoncer ces
pratiques de domination qui débouchent souvent sur des drames épouvantables.
En second lieu un acteur donné ne doit pas exacerber les différences, ce regard
est lui aussi destructeur à travers la formation des ghettos, le repli identitaire, audelà
d’un certain degré, peut se traduire par des pratiques inhumaines.
En troisième lieu le fait pour un acteur donné d’éffacer les différences n’est-il
pas plus ou moins dommageable ? Ce regard d’ « assimilation » consiste à dire
que l’autre devient notre égal … parce qu’il devient comme nous.
En quatrième lieu se situe l’attitude « d’ouverture », elle repose sur le respect
des différences, elle correspond à « l’intégration. » On reconnaît des similitudes
et des différences, c’est le grand principe de non-discrimination. Nous
sommes égaux et différents, nous sommes égaux « en dignité et en droits », il
faut lutter pour conquérir et protéger ces égalités, « et » (non pas « mais ») nous
sommes différents, il faut lutter pour que ces différences soient respectées. Ainsi
les Etats parties à des pactes internationaux protecteurs des droits de l’homme
s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur
territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans ces pactes, sans
distinction aucune, « notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou
sociale, de fortune, de naissance, de handicap, d’âge, d’orientation sexuelle ou
de toute autre situation. » Ce respect des différences se manifeste par exemple à
travers les expressions de toutes les cultures.
Il faut ajouter que des différences ne peuvent en appeler à l’inhumanité, à la
haine de l’autre, dans ce cas elles ne sont pas acceptables et se posent les
questions des sanctions à adopter, et surtout des moyens à mettre en oeuvre pour
prévenir, en amont, de telles situations le plus souvent issues de désespoirs et/ou
d’idéologies fondées sur la fabrication de l’image de l’ennemi.
4- L’humanité et ses lieux de vie (ou collectivités ou territoires)
interdépendants.
Comment les qualifier ? La Terre est le foyer de l’humanité, les continents sont
nos matries, les pays sont nos patries, les villages, les villes et les régions sont
nos terroirs.
Le projet remarquable de « déclaration universelle du bien commun de
l’humanité »(Forum mondial des alternatives,2012)affirme « il est indispensable
de reconstruire les territoires comme base de la souveraineté alimentaire et
énergétique et des principaux échanges ; de régionaliser les économies sur la
base de la complémentarité et de la solidarité et, pour les régions périphériques,
de se « déconnecter » des centres économiques hégémoniques, pour établir une
autonomie commerciale, financière et de production.»
Les rapports entre ces collectivités doivent reposer d’abord quant à la
forme d’organisation des volontés sur le principe de subsidiarité active.
Dans chaque lieu il faut pouvoir prendre des initiatives et disposer de marges de
manoeuvres quant aux moyens mis en oeuvre, cela à travers des rapports de force
complexes, et à partir aussi des divers ordres juridiques. Ensuite quant au fond
: ces rapports entre collectivités doivent reposer sur le respect de quelques
grands principes énoncés ci-dessous, cela pour chaque lieu de vie, chaque
collectivité, chaque territoire donc en fin de compte, à travers le temps, pour
l’ensemble de l’humanité.
5-L’humanité accompagnée de concepts et de principes
Deux concepts paraissent essentiels. Ainsi doit peu à peu voir le jour dans les
vies des peuples ce concept, porteur de principes (précaution, prévention…), le
concept de limites au coeur des activités humaines. « Qu’est-ce qu’une société
qui ne se donne plus de limites? » demandait Jacques Ellul. N’est-ce pas
d’ailleurs, pour donner un exemple criant, la question des questions que pose le
nucléaire et que nous devons lui poser, n’est-il pas sans limites dans le temps et
l’espace?
Le second concept est celui des moyens proposés qui doivent être conformes
aux fins que l’on met en avant. Pour des fins démocratiques des moyens
démocratiques, pour des fins justes des moyens justes, pour des fins écologiques
des moyens écologiques, pour des fins pacifiques des moyens pacifiques. Cette
pensée de Gandhi est lumineuse, décapante, opérationnelle : « Les fins sont dans
les moyens comme l’arbre est dans la semence »
Des principes doivent accompagner chaque ordre juridique de chaque territoire,
non seulement le principe de non-discrimination évoqué plus haut mais, aussi,
ceux mis en avant par une plate-forme remarquable publiée dans Le Monde
diplomatique (avril 1994, pages 16 et 17) intitulée « Pour un monde solidaire et
responsable ».Elle est fondée sur « les éléments de diagnostic, les principes
communs, l’esquisse d’une stratégie d’action en particulier sur l’articulation des
niveaux géographiques et sur des programmes mobilisateurs. » Sont soulignés le
principe d’humanité c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vie digne répondant
aux besoins essentiels, le principe de responsabilité des divers acteurs dans la
construction des sociétés, le principe de diversité fondé sur le respect des
différences et allant à l’encontre d’une uniformisation tous azimuts, par exemple
des cultures, le principe de précaution qui consiste à ne mettre en oeuvre de
nouveaux produits et de nouvelles techniques que si des risques graves ou
irréversibles n’existent pas , le principe de modération qui consiste pour les
plus aisés à limiter leur consommation, à apprendre ce que des théoriciens et des
praticiens de la décroissance appellent « la frugalité conviviale.»
A ce propos Edgar Morin exprime une position qui peut être porteuse : « Il faut
combiner croissance et décroissance. Je suis contre cette pensée binaire qui
n’arrive pas à sortir d’une contradiction. Il faut distinguer ce qui doit croître et
ce qui doit décroître. Ce qui va croître, c’est évidemment l’économie verte, les
énergies renouvelables, les métiers de solidarité, les services étonnamment sousdéveloppés
comme les services hospitaliers.»
6-Les droits de l’humanité les droits de l’homme les droits des peuples et
leurs interdépendances
Les droits de l’homme et les droits des peuples doivent s’appuyer sur ceux
de l’humanité et réciproquement. En effet d’une part l’humanité devient
une forme de garantie de la survie de tous, êtres humains et peuples, d’autre
part les droits-libertés, les droits-égalités, les droits-solidarités (droits au
développement, à l’environnement, à la paix) qui sont des droits de l’homme et
des peuples renforce les droits de l’humanité. Ainsi par exemple le droit à
l’environnement, appartient aux hommes, aux peuples et à l’humanité, cela à
partir de textes spécifiques.
Certes existent des contradictions entre des droits. On en connait à l’intérieur
des droits de l’homme, par exemple entre la liberté d’aller et de venir et des
limites dans les moyens de se déplacer cela au nom de la protection de
l’environnement. De même à l’intérieur des droits des peuples, par exemple
entre l’autodétermination politique et l’autodétermination d’une économie
dominée. De même à l’intérieur des droits de l’humanité entre des droits des
générations présentes donnant souvent priorité au court terme(telle énergie
moins chère) et pouvant porter atteinte aux droits des générations futures(lourds
effets à long terme du choix telle ou telle ressource énergétique). De même il
faut faire en sorte de ne pas jouer les droits de l’homme contre les droits des
peuples et réciproquement.
De même on ne peut jouer les droits de l’humanité contre les droits de
l’homme et des peuples. Ainsi on ne peut pas, au nom des générations futures,
violer des droits de l’homme, un exemple extrême est connu : ce serait bien sûr
un crime que celui de la disparition forcée de personnes âgées au nom d’une
pression démographique trop forte dans tel ou tel lieu pour les générations
futures. De même on ne peut pas jouer les droits de l’homme et des peuples
contre ceux de l’humanité, ainsi au nom du droit à la sécurité présente on ne
devrait pas pouvoir fabriquer certaines armes menaçant l’existence de
générations futures.
7-L’humanité doit avoir, à terme, son « droit de l’humanité.»
L’humanité est entrée dans le droit international public à travers des
dispositions relatives aux crimes contre l’humanité, au patrimoine commun de
l’humanité, au droit humanitaire…
Les Etats tendent à protéger l’humanité par la consécration des expressions cidessus,
pourtant comment ne pas voir d’abord que certains Etats n’acceptent pas
d’adhérer par exemple au statut de la Cour pénale internationale qui
sanctionnent les crimes contre l’humanité, et comment passer sous silence le fait
que ce sont souvent des Etats qui violent les droits qu’ils sont censés protéger.
D’autre part l’humanité n’a-t-elle pas vocation à dépasser des souverainetés
étatiques soit irréductibles, soit incapables de dégager des intérêts communs ?
En tous les cas ce « droit de l’humanité » non seulement devrait laisser vivre les
diversités mais devrait être pour elles une garantie de plus.
8-L’intérêt commun de l’humanité et son contenu
L’intérêt commun de l’humanité a vu le jour peu à peu à travers les
générations. Il a pour noms démocratie, justice, écologie, paix. Il est donc
fondé sur des finalités et des moyens démocratiques, justes, écologiques,
pacifiques. Ces fins et ces moyens ont leurs spécificités et sont interdépendants.
Ainsi par exemple la paix contribue à la protection de l’environnement et celleci
contribue à la paix.
Il est fondé aussi sur les périls communs (débâcle écologique, armes de
destruction massive, inégalités criantes, régimes autoritaires…), Jean Rostand
affirmait que les humains devraient être « fraternisés par les périls communs. »
Cet intérêt dépasse donc les intérêts personnels, les intérêts nationaux,
d’autres intérêts, et même les intérêts communs des Etats. Schématiquement
ces intérêts ne devraient ils pas être combattus s’ils lui sont contraires, et
soutenus lorsqu’ils vont dans son sens ? On devine que les confrontations des
divers intérêts sont et seront loin d’être simples, l’intérêt de l’humanité a la
caractéristique de tenir compte aussi du long terme, ce qui est loin d’être le cas
de bon nombre d’intérêts tournés surtout vers le court terme. On constate que les
puissants partagent rarement d’eux-mêmes, ils ne le font qu’à travers les
rapports de forces, ou bien s’ils arrivent à avoir conscience d’intérêts vitaux
communs sur le cours ou le long terme.
9-L’humanité à la recherche de son patrimoine commun et de ses biens
communs ,
A ce jour en droit international public c’est le patrimoine commun de l’humanité
(PCH) qui est consacré en droit positif, c’est-à-dire dans le droit en vigueur. Le
PCH prend et prendra différentes formes, outre les quatre qui suivent on peut en
imaginer et en construire d’autres, on devra les articuler entre elles pour
renforcer la protection générale. A long terme ce devrait être là un contremécanisme
important contre le productivisme, il n’aura ni des logiques
d’intérêts nationaux, ni des logiques de primauté du profit et d’une fuite en avant
autodestructrice. Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent
juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins (« la Zone ») (Convention
sur le droit de la mer du 10-12-1982, article 136), de la Lune et de ses ressources
naturelles (Accord du 5-12-1979, article 11), du génome humain (Déclaration du
11-11-1997, article 1er).Beaucoup d’auteurs s’arrêtent là et, malheureusement,
n’ont pas une vue d’ensemble d’autres formes qui se rattachent au PCH. En effet
le PCH au sens large est celui d’éléments constitués par des espaces
internationalisés qui doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de
l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique (Traité du 27-1-1967,
article 1er-1), de l’Antarctique (Traité du 1-12-1959, préambule).Et le PCH au
sens plus large est celui d’éléments constitués par certains biens naturels et
culturels ou mixtes, qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui
nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent
un intérêt exceptionnel. (Conclue dans le cadre de l’UNESCO, c’est la
Convention sur le Patrimoine mondial, 16-11-1972).
On peut légitimement soutenir qu’il faudrait rajouter ici une quatrième
série d’éléments : Le PCH au sens très large comprendrait les ressources
biologiques ,que les Etats ont certes le droit souverain d’exploiter (article 3 de la
Convention sur la diversité biologique du 5-6-1992), mais les Etats seraient
contrôlés (interdictions possibles) par une autorité internationale, gardienne de
ce patrimoine naturel mondial, par exemple-si elle voit enfin le jour- la future
Organisation mondiale de l’environnement(OME).Celle-ci interviendrait alors
au nom de la nature et au nom des générations présentes et futures, cela pourrait
se faire par exemple sous la forme d’un protocole à la Convention sur la
diversité biologique. La critique de cette remise en cause serait double : des
souverainetés étatiques verront dans cette entreprise une forme de dépossession,
et le productivisme ne peut accepter de remettre en cause des logiques
d’exploitation sans limites de la Terre.
Le PCH n’est pas un remède miracle pour la protection de l’environnement
mais, s’il est accompagné de moyens et s’il est plus étendu, une forme
importante contribuant à cette protection.
Cet intérêt commun de l’humanité est lié aussi à des biens communs. Ils sont
qualifiés d’ « indispensables pour la vie collective des individus et des peuples »
par le projet de « déclaration universelle du bien commun de l’humanité »
(Forum mondial des alternatives, 2012), il est affirmé qu’il s’agit « de
l’alimentation, de l’habitat, de la santé, de l’éducation et des communications
matérielles et immatérielles. »Il faut donc « garantir l’accès aux biens
communs et à une protection sociale universelle ». Cette déclaration conçoit
plus globalement le « Bien commun de l’humanité comme possibilité, capacité
et responsabilité de produire et de reproduire la vie de la planète et l´existence
physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde. »
Ces théories et ces pratiques , encore en gestation, celle de Patrimoine commun
de l’humanité, celle de Biens communs, au-delà de leurs
différences(conceptions de la propriété et de la responsabilité, des acteurs les
mettant en oeuvre, de leur étendue, de leur gestion…), ont probablement un point
commun : mettre en avant des éléments qui, en dépassant le quadrillage
étatique, en mettant des limites à la marchandisation du monde, en étant
pensés sur le long terme, voudraient contribuer à préserver ce que
l’humanité et la nature peuvent avoir d’essentiel.
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A ce sujet par rapport à l’essentiel voici de tout coeur deux histoires
symboliques :
La première pourrait s’appeler « Comment remplir un bol ? » Un sage
demande à des personnes « Voilà un bol plein de cailloux, puis-je y mettre autre
chose ? », « Non » répondent-elles. Il ajoute de très petits cailloux « Puis-je y
mettre autre chose ? »« Non » répondent-elles. Il ajoute un peu de sable puis
demande : « Quelle est la philosophie de ce que je viens de faire ? »
Les uns disent « il faut remplir sa vie jusqu’au bout », d’autres affirment « il faut
profiter de chaque moment de sa vie… »Le sage ajoute : «Oui, mais n’oublions
pas aussi dans nos vies de mettre d’abord l’essentiel, puis l’important puis le
secondaire. Essayons avant tout de déterminer ce qui est pour nous essentiel. » (
conte entendu et reconstitué par l’auteur de ce blog)
La seconde que nous proposons pourrait s’appeler « Daphnis es-tu là ?»
Un étudiant demande à son enseignant « Vous semblez aimer la mythologie
grecque et romaine, comment, à partir d’elle, nous diriez-vous ce qui est pour
vous essentiel dans nos vies? »
Après un silence l’enseignant répondit :
J’aimerais pour chacun, chacune, pour tous et toutes, que l’essentiel entre dans
nos vies, comme on accueillerait une nouvelle personne dans une ronde, par
exemple une ronde à quatre.
Voilà Sisyphe, condamné à rouler une roche au sommet d’une montagne, elle
redescend et il doit toujours la remonter, ainsi sont dans nos vies les répétitions,
Voilà Prométhée, qui dérobe le feu aux dieux pour le donner à l’homme, ainsi
sont dans nos vies les créations,
Voilà Castalie, nymphe métamorphosée en fontaine inspiratrice, ainsi sont dans
nos vies l’enthousiasme et l’imagination,
Voilà Hygiée, déesse qui soutient la force des êtres vivants, ainsi sont dans nos
vies la santé, le soulagement ou la guérison des douleurs,
La ronde des quatre commence ou continue, mais ils découvrent que quelqu’un
d’essentiel leur manque. Ils le veulent, ils l’appellent, le voilà.
Apparait Daphnis, berger, chanteur, poète et musicien, remarquable de beauté et
de sagesse, apprenant à tous le respect des hommes et de la nature, et qui, admis
dans l’Olympe, prit sous sa protection les pasteurs et les troupeaux, il fut chéri et
des dieux et des êtres humains et du vivant.
Ainsi les êtres humains, en personnes, en peuples, en humanité, accueillerons-ils
ce qu’ils considèrent comme l’essentiel ?
( Voir sur Daphnis : Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine,
Pocket,1994, pages 187 et 188.)
V- Les générations au coeur du contenu des droits de l’humanité
1-Les droits communs et les droits spécifiques des générations de
l’humanité.
L’ensemble des droits de l’humanité comprend les droits communs des
générations présentes et futures et les droits spécifiques des générations passées.
Les droits communs des générations présentes et futures sont le droit la
démocratie, le droit à la justice, le droit à l’environnement, le droit à la paix. Ces
générations ont droit à la consécration et à l’application de ces droits.
Le droit à la démocratie pour les générations présentes et futures c’est le droit
de déterminer leurs destins. Ces générations bénéficient des droits-libertés des
individus et des peuples qui les composent.
Le droit à la justice pour les générations présentes et futures c’est le droit
d’avoir une vie digne répondant aux besoins essentiels. Ces générations
bénéficient des droits-égalités des individus et des peuples qui les composent.
Le droit à l’environnement pour les générations présentes et futures c’est le
droit de vivre dans un espace qui permette la qualité de leur vie et de leur santé.
Ces générations bénéficient des droits-solidarités (droit à un environnement sain,
droit au développement durable) des individus et des peuples qui les composent.
Le droit à la paix pour les générations présentes et futures c’est le droit à la
sécurité et au désarmement. Ces générations bénéficient des droits-solidarités
(droit à la paix) des individus et des peuples qui les composent.
Les générations présentes et futures ont droit à la consécration et à
l’application de nouveaux droits dans l’avenir, droits qui devront être
déterminés démocratiquement.
On peut ainsi soutenir l’avènement qui a commencé, d’une quatrième
génération de droits (après les droits-libertés, les droits égalités, les droitssolidarités),
celle des droits de l’homme, des peuples et donc des générations
présentes et futures, face à la puissance de la techno science, qu’il faut et
faudra remettre à sa place, ainsi par exemple par rapport à des recherches
scientifiques portant atteinte à la dignité humaine ou à l’intérêt commun de
l’humanité , par rapport aussi à l’accélération du système productiviste qui tend
à porter atteinte aux « droits du temps humain »,par rapport demain aux
pouvoirs de robots…
Les droits spécifiques des générations passées sont le droit à la préservation, à
la mise en valeur, à la transmission des patrimoines culturels internationaux,
continentaux, nationaux, locaux qu’elles ont laissés. Elles ont en particulier droit
à la création et à la préservation de lieux de mémoire contribuant à aller dans le
sens de la démocratie, de la justice, de l’environnement ou de la paix.
2-Les devoirs par rapport aux droits de l’humanité.
Il faut rappeler que pour chaque droit existe un devoir correspondant de
l’appliquer. Le droit international de l’environnement (voir notre ouvrage,
Ellipses, 3èmeédition, 2010) fournit des exemples de nombreuses faiblesses et
de quelques forces sur ce terrain qui nous intéresse ici.
Ce devoir a une portée juridique variable. Par rapport aux Etats ces devoirs
contenus dans une déclaration internationale sont incitatifs, juridiquement non
contraignants comme d’ailleurs les droits énoncés. Par contre dans des
conventions il s’agit d’engagements, d’obligations pour des Etats parties. Des
conventions, par exemple celle sur les changements climatiques, mettent aussi
en avant le principe des « responsabilités communes mais différenciées »
(article3-1), il serait inéquitable de soumettre les pays en développement aux
mêmes obligations environnementales que les pays développés.
D’autres acteurs peuvent être expressément visés par des déclarations. La
Déclaration de Rio de 1992 en appelle plusieurs fois à «Tous les Etats et tous les
peuples » qui ont « le devoir de coopérer », la Déclaration de Stockholm de
1972 en appelle à « l’homme » qui a « le devoir solennel de préserver et
d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. »D’autres
acteurs peuvent être visés par des conventions internationales ou régionales
spécifiques de luttes contre des pollutions ou de conservation de la nature,
puisque les Etats parties vont les appliquer dans le droit national, ainsi c’est à
partir d’une convention internationale (dont les faiblesses sont cependant
graves) que des trafiquants de déchets dangereux peuvent être condamnés.
Mais peut-on parler aussi des devoirs, ici au sens d’obligation, des
générations présentes envers les générations futures ? On retrouve dans la
Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune
sauvage (Bonn, 1979) un préambule qui met en avant le fait que « Chaque
génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures
et a la mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est
fait usage, cet usage soit fait avec prudence. » Il s’agit d’une convention à
vocation universelle et, comme ses articles, son préambule a valeur obligatoire
pour les Etats parties. Certes cette disposition peut-être reprise dans d’autres
déclarations (par exemple celle de Paris en décembre 2015 ) et dans des
conventions à venir, il n’en reste pas moins qu’elle ne pèse pas lourd devant la
puissance du productivisme : le devoir, au sens d’obligation, s’il veut avoir
quelques chances d’efficacité doit être sanctionné et les moyens d’exercer ces
droits et de remplir ces devoirs doivent être précisés en particulier au regard des
acteurs les plus puissants(firmes multinationales…).
3-La consécration de crimes contre les générations futures
Les travaux d’Emilie Gaillard sont précieux pour aider à cheminer. Ainsi sa
thèse « Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures .
» (éd.L.G.D.J, 2011),et ses articles, par exemple « Des Crimes contre l’humanité
aux crimes contre les générations futures: Vers une transposition du concept
éthique de responsabilité transgénérationnelle en droit pénal international?
(Academic journal article, McGill International Journal of Sustainable
Development Law and Policy , Vol. 7, No. 2 , Fall 2011).Une de ses idées fortes
les plus porteuses est celle d’un « principe de non-discrimination temporelle:
terreau juridique pour penser les crimes contre les générations futures? ».
Ce principe et celui de « dignité des générations futures » « insuffleraient un un
nouvel élan qui pourrait se concrétiser par une défense judiciaire des générations
futures. »
Nous aurions dû faire de même pour la démocratie et la justice mais nous
évoquerons ici uniquement l’environnement et la paix par rapport aux
crimes contre les générations futures.
Il est intéressant de partir de la Cour pénale internationale (CPI) pour
arriver ensuite à d’autres incriminations relatives à l’humanité dans le
domaine de l’environnement et de la paix.
Dans le préambule du Statut de Rome il est affirmé que les Etats parties sont «
Déterminés, à ces fins et dans l’intérêt des générations présentes et futures, à
créer une cour pénale internationale permanente et indépendante reliée au
système des Nations Unies, ayant compétence à l’égard des crimes les plus
graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale, »
Qu’en-est-il ,dans le statut de la CPI ,du crime de guerre environnemental, et
qu’en est-il du crime d’agression ?
En premier lieu certes les crimes contre l’environnement sont consacrés de
façon spécifique. Il s’agit de l’article 8, paragraphe 2,b, IV du Statut de la CPI :
« Constitue un crime de guerre le fait de lancer une attaque délibérée en sachant
qu’elle causera incidemment des dommages étendus, durables et graves à
l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à
l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu».
Mais, d’une part, ils sont donc consacrés comme crimes de guerre et non
comme crimes écologiques, autrement dit dans l’état actuel du droit ces crimes
ne sont qu’une forme de crime de guerre. D’autre part cette disposition ne peut
être invoquée que dans le cadre des conflits armés internationaux et non pas des
conflits internes. Enfin la preuve du caractère intentionnel est certainement
difficile à établir, comme d’ailleurs celle de la violation du principe de
proportionnalité. Ces dispositions sont donc limitées.
Pour aller plus loin sur le plan de la CPI il s’agirait de définir un nouveau
crime international, le crime contre l’environnement, cela en période de
conflit armé et, aussi, en période de paix. Ce dernier point est conforté par le fait
que le crime de génocide se situe en période de guerre mais aussi de paix. La
liste des crimes internationaux sanctionnés par la CPI serait alors celle des
crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, de crime de génocide, de crime
d’agression, et donc seraient pris aussi en compte les crimes contre
l’environnement. Cette avancée pourrait prendre la forme, par exemple, d’un
article rajouté au Statut de la CPI (Statut de Rome en 1998, entré en vigueur en
2002, en janvier 2015 le nombre d’Etats parties était de 123).
En second lieu, c’est le crime d’agression qui est pris en compte dans le
Statut de la CPI. Il a été finalement défini par l’Assemblée des États parties en
2010 pour la Conférence de révision du Statut de Rome, l’article 8 bis a été
ajouté au Statut . Son paragraphe 1 est le suivant« on entend par «crime
d’agression» la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une
personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique
ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son
ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».
Selon le paragraphe 2 du même article 38 bis «Aux fins du paragraphe 1, on
entend par «acte d’agression» l’emploi par un État de la force armée contre la
souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État,
ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies. Qu’il
y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes d’agression
au regard de la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations
Unies en date du 14décembre1974 :
a) L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre
État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion
ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du
territoire d’un autre État ; b) Le bombardement par les forces armées d’un État
du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État
contre le territoire d’un autre État ; c) Le blocus des ports ou des côtes d’un État
par les forces armées d’un autre État; d) L’attaque par les forces armées d’un
État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et
maritimes d’un autre État ; e) L’emploi des forces armées d’un État qui se
trouvent dans le territoire d’un autre État avec l’agrément de celui-ci en
contravention avec les conditions fixées dans l’accord pertinent, ou la
prolongation de la présence de ces forces sur ce territoire après l’échéance de
l’accord pertinent ; f) Le fait pour un État de permettre que son territoire, qu’il a
mis à la disposition d’un autre État, serve à la commission par cet autre État
d’un acte d’agression contre un État tiers ; g) L’envoi par un État ou au nom
d’un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui
exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées
d’une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un
concours substantiel à de tels actes.»
La CPI est compétente pour juger un acte d’agression, si elle a été saisie par le
Conseil de Sécurité, en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Le
Procureur est autorisé à ouvrir une enquête de sa propre initiative ou à la
demande d’un État Partie. Au préalable, il devra avoir obtenu l’autorisation de la
Section préliminaire de la CPI. Mais cet élargissement des compétences de la
CPI au crime d’agression n’interviendra que le 1er janvier 2017, lorsqu’ une
décision sera prise par la majorité des États Parties, nécessaire pour l’adoption
d’amendements.
Outre ces obstacles, la paix n’est pas prise dans son ensemble, une raison de plus
pour ne pas passer à côté d’une protection plus large des générations futures.
Nous quittons donc le Statut de la CPI et nous sommes dans le droit prospectif
par rapport aux générations futures.
Les crimes contre l’environnement des générations futures.
Que pourrait-on proposer pour avancer dans la consécration des crimes
contre l’environnement des générations futures ?
C’est un crime qui a très certainement une spécificité, celle d’effets
environnementaux et sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le
temps. Ainsi l’enfouissement non réversible des déchets radioactifs est un
exemple impressionnant. Les personnes physiques et morales responsables
pourraient être condamnées. On peut imaginer aussi une condamnation
symbolique morale des générations présentes pour non-assistance à générations
futures en danger. Tout cela reste à penser puis à préciser. Il est déjà tard mais
sans doute toujours temps.
Les crimes contre la paix des générations futures.
Comment consacrer les crimes contre la paix des générations futures ? En
élargissant le domaine de la paix qui est aussi celui du droit à la sécurité et du
droit au désarmement pour les générations futures. Ainsi les recherches, la mise
au point, la fabrication, l’utilisation, le commerce des armes de destruction
massive existantes(ADM) (nucléaires, biologiques, chimiques) et à venir
devraient être qualifiés de crime contre la paix des générations présentes, des
générations futures et du vivant.
(Voir sur les recherches relatives aux ADM : « Les recherches scientifiques sur
les armes de destruction massive : des lacunes du droit positif à une
criminalisation par le droit prospectif », intervention au colloque international
du RDST, mars 2011 à Paris, Article fait en collaboration avec J. Bétaille,
S.Jolivet, D.Roets, in Droit, sciences et techniques : quelles responsabilités ?
Editions LexisNexis, 2011).
C’est un crime qui, comme le précédent, a très certainement une spécificité,
celle d’effets environnementaux et sanitaires qui ont tendance à être sans
limites dans le temps. On détruit la sécurité, la liberté de choix, la vie de
générations futures.
4-Un système possible de personnalité juridique, de représentation, de
juridiction.
L’humanité devrait avoir la personnalité juridique pour défendre ses droits.
L’affirmer est primordial, elle a dans son ensemble des droits et des devoirs, on
a vu aussi qu’ils se définissent par générations, les générations passées n’ont
plus de devoirs mais elles ont des droits, ceux de l’entretien et de la mise en
valeur de leurs patrimoines naturels et culturels. Les générations présentes ont
des droits et des devoirs, les générations futures ont et auront des droits et auront
des devoirs. Cette complexité n’est que le reflet des générations qui se succèdent
dans le temps.
La nature n’a-t-elle pas droit à ce que soient respectés son existence, ses
fonctions, ses processus évolutifs ? Si elle a des droits elle doit pouvoir les
défendre. Il nous semble plus porteur que ce soit le vivant, c’est-à-dire l’espèce
humaine, les animaux et les végétaux, qui puisse être pris en compte et
représenter l’ensemble de la nature. C’est au nom de la conscience du vivant que
l’ensemble de la nature est défendu.
Le fait que l’humanité et le vivant soient côte à côte n’est pas que symbolique,
ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe, ce qui
n’empêche pas leurs spécificités.
La représentation de l’une et de l’autre est une difficulté connue. Qui va
être légitime pour représenter l’humanité c’est-à-dire ce qui existe (c’est
déjà difficile) et aussi ce qui n’existe plus et ce qui n’existe pas encore ?
Représenter une telle totalité dans le temps a ses limites. Nous avons déjà du
mal à réaliser des découvertes de plus en plus lointaines de l’ existence de
générations passées, quant aux générations futures, notre descendance humaine,
l’avenir seul parlera même si les prévisions les plus sombres existent, par
exemple celle d’un scientifique australien connu, Frank Fenner , qui déclarait en
2010: « Le destin de l’homme est déjà scellé, il est trop tard, dans moins de cent
ans les sociétés humaines ne seront plus. » Il n’était pas le premier à le dire, ni
les derniers ceux qui lui répondent que l’espoir restant est, entre autres, celui
d’une « métamorphose de l’humanité » à travers des volontés massives de
changements massifs.
Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à cette question de
la représentation de l’humanité. En effet qui représente l’humanité à laquelle
appartiennent les fonds marins ? Les Etats ont répondu par un tour de passe
passe. Humanité es-tu là ? Pas de réponse. Il est donc logique que nous, Autorité
des fonds marins, nous décidions à la place de l’humanité irreprésentable
puisque nous sommes Etats parties à la Convention sur le droit de la mer.
Lorsqu’un jour il sera question de représenter l’humanité il n’est pas sûr que
l’Assemblée générale des Etats de l’Organisation mondiale de
l’environnement(OME), si elle voit le jour et si c’est elle qui est déclarée
compétente, suffise à le faire. Il sera souhaitable, au moins à titre consultatif
ou au mieux participant à un vote complexe, qu’interviennent aussi des
acteurs au sein de l’OME et/ou en dehors d’elle, que des imaginations
citoyennes et diverses disciplines peuvent commencer à penser. « L’utopie
ou la mort » disait avec force René Dumont, l’utopie non pas celle des nuages
mais celle qui prend les moyens de se réaliser.
L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au nom de
l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale, une
juridiction spécifique serait créée, la Cour mondiale de
l’environnement(CME). Tout cela sera le produit des rapports de forces et des
pédagogies (?) des catastrophes, le produit aussi de la cohérence des juridictions
internationales.
En attendant, sur le terrain, des ONG et des mouvements sociaux ont
commencé à poser des cailloux blancs sur ce chemin, à travers les créations
de tribunaux, qui de plus en plus nombreux en particulier sur la justice
climatique, participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé à Quito
en octobre 2012 , « le tribunal pour les crimes contre la nature et le futur de
l’humanité »,des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les
condamnations sont éthiques, morales, elles peuvent en préparer d’autres si des
tribunaux nationaux, régionaux, internationaux finissent par être saisis.
Il faut vivement espérer que les Etats n’attendent pas 50 ans comme pour
l’adoption du Statut de la CPI, ou 30 ans comme pour le passage de la
Déclaration à la Convention des droits de l’enfant. Il faut surtout faire en sorte
que les droits de l’humanité contribuent à des avancées. Peut-être le comprendon
mieux en soulignant des moyens concrets pour leur mise en oeuvre ?
VI- Des moyens conformes aux fins et la mise en oeuvre des droits de
l’humanité
Il s’agit d’énumérer à titre indicatif des moyens allant certainement dans le
sens des droits de l’humanité, étant entendu qu’il faudra du temps pour qu’ils
voient le jour à travers les rapports de forces et les pédagogies( ? ) des
catastrophes.
(Pour un ouvrage de synthèse sur les catastrophes voir « Les catastrophes
écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit », sous la direction de
Jean-Marc Lavieille, Julien Bétaille, Michel Prieur, colloque international de
Limoges des 11,12, et 13 mars 2009, organisé par le CRIDEAU-OMIJ et le
CIDCE, pour avoir enfin une vue globale, critique et créatrice des rapports entre
le droit et les catastrophes écologiques. Les actes de ce colloque reproduisent
trente quatre communications, éditions Bruylant, 2011.)
1- Des moyens de mise en oeuvre du droit de l’ humanité à la démocratie.
L’humanité a le droit de passer d’un système international pour une large
part autoritaire à une communauté mondiale démocratique. A titre indicatif
à travers quels moyens ?
-Désarmement du pouvoir financier (taxations des transactions financières,
impôt mondial sur les capitaux, suppressions des paradis fiscaux, impôts sur des
firmes multinationales…)
-Encadrement des firmes multinationales (respects de la santé, du social, de
l’environnement, de la culture…)
-Démocratisation des institutions internationales ( réformes du Conseil de
sécurité et de certaines institutions spécialisées des Nations Unies…place
légitime des pays du Sud, promotion des ONG…)
-Accès des femmes aux processus de décision (aux niveaux locaux, nationaux,
continentaux, internationaux) et non-cumul généralisé des mandats des élu(e)s
dans tous les Etats
-Créations d’organisations nouvelles (composées d’Etats, d’ONG, de
collectivités territoriales …), rencontres institutionnalisées des organisations
internationales, régionales et sous-régionales, développement de réseaux, de
coordinations, de fronts communs d’ONG (par exemple celles allant dans le sens
d’un ralentissement du système.)
2-Des moyens de mise en oeuvre du droit de l’humanité à la justice.
L’humanité a le droit de passer d’un système international pour une large
part injuste à une communauté mondiale juste. A titre indicatif à travers
quels moyens ?
-Création d’un revenu universel d’existence (attribué à tout habitant de la Terre,
revenu déconnecté du travail auquel s’ajouteront des revenus d’activités)
-Effacement de la dette (celles des Etats, des collectivités territoriales, des
organisations internationales…)
-Priorités données au juste échange et au commerce équitable (le libre-échange
leur sera subordonné) , au développement de l‘économie sociale et solidaire, au
développement de l’économie collaborative (importance de la valeur d’usage)
-Mise en place d’agricultures durables et autonomes (respect de
l’environnement, statut international des matières agricoles, souveraineté
alimentaire)
-Créations et redistributions de fonds internationaux (taxes liées au désarmement
du pouvoir financier et liées aux activités polluantes, redistribuées vers des
besoins criants en eau, en alimentation, en santé, en logement, en protection
sociale, en éducation, en environnement, en emplois…).
3-Des moyens de mise en oeuvre du droit de l’humanité à l’environnement.
L’humanité a le droit de passer d’un système international pour une large
part anti écologique à une communauté mondiale écologique. A titre
indicatif à travers quels moyens ?
-Remises en cause d’activités polluantes (réductions et suppressions des modes
de production, de consommation, de transport écologiquement non viables)
-Programmes massifs d’accès à l’eau (effectivités du droit à l’eau potable et du
droit à l’assainissement)
-Revitalisation des régions profondément dégradées (programmes massifs à tous
les niveaux géographiques)
-Transitions énergétiques (développement massif des énergies renouvelables,
économies massives d’énergie, sortie rapide du nucléaire)
-Conclusions de nouvelles conventions mondiales (convention créant une
Organisation mondiale de l’environnement, convention créant une Cour
mondiale de l’environnement, convention créant une Organisation mondiale et
régionale d’assistance écologique, convention sur les droits des déplacés
environnementaux, conventions de protection des sols, convention de protection
des forêts, convention contre les pollutions telluriques …) enfin des accords de
réductions massives et radicales des gaz à effet de serre. L’ensemble de ces
actions environnementales donnerait le jour à des créations massives d’emplois
dans le bâtiment, les énergies renouvelables, l’agriculture, les transports, la
revitalisation de régions dégradées, les travaux contre des effets de la montée
des eaux, l’éducation à l’environnement…
4- Des moyens de mise en oeuvre du droit de l’humanité à la paix.
L’humanité a le droit de passer d’un système international pour une large
part violent à une communauté mondiale pacifique. A titre indicatif à travers
quels moyens?
-Interdiction des recherches scientifiques sur les armes de destruction massive
(déclarées contraires à l’intérêt commun de l’humanité.)
-Mise en place d’une sécurité collective (fondée à titre principal sur des forces
d’interposition envoyées à titre préventif et à titre exceptionnel sur des forces
d’intervention internationalisées)
-Remises en cause des ventes d’armes (restrictions, taxations, interdictions,
reconversions), créations de ministères du désarmement
-Conclusions de nouveaux traités et protocoles de désarmement (armes de
destruction massive en particulier nucléaires) , application des traités qui
existent déjà
-Mise en place d’une éducation à la paix (de la maternelle à l’université et dans
de multiples lieux, fondée entre autres sur les apprentissages de règlement non
violent des conflits, fondée aussi sur une éducation à la démocratie, à la justice
et à l’environnement.)
Commentaires généraux relatifs à ces moyens :
1 /Cette vingtaine de moyens est proposée à titre indicatif, on peut on doit, bien
sûr et heureusement, prolonger la liste. Nous pensons que ces contremécanismes
commenceraient à ralentir ce système autodestructeur et à le
remettre en cause pour donner naissance en quelques décennies (?) à une
communauté mondiale humainement viable.
2/La liste proposée n’est pas celle du Discours Vérité, ce sont des convictions
mais des erreurs sont possibles et tel ou tel moyen peut vous paraitre illégitime,
dangereux, inefficace, irréalisable…
3/ Certains de ces moyens ont des débuts d’application cependant en général
trop timides. Il est vrai qu’un chemin de mille pas commence par un pas, mais
l’accélération du système productiviste implique la mise en oeuvre de moyens
nombreux et radicaux. Des chemins de bonnes intentions sont souvent pavés de
renoncements successifs. Plus on attend, plus la radicalité des moyens
s’imposera face aux causes des catastrophes.
4/Nous avons mis symboliquement en tête à chaque fois un moyen qui nous
semble particulièrement radical par rapport au système productiviste et çà
n’est pas un hasard si ces cinq moyens sont très critiqués par certains. Leurs
pourfendeurs affirment ainsi que le revenu universel d’existence est synonyme
d’institutionnalisation de la paresse et d’impossibilité financière de le réaliser,
que l’interdiction des recherches sur les armes de destruction massive est
synonyme d’atteintes à la liberté de la recherche scientifique, que le
désarmement financier est synonyme de faillite généralisée, ainsi les remises en
cause des modes de production et de consommation non viables sont synonymes
d’actes suicidaires face à la compétitivité…
5/Il faut redire ici que les grands domaines (démocratie, justice,
environnement, paix) sont interdépendants pour le pire et le meilleur. Ainsi
des mécanismes produisant des injustices produisent des violences. Ainsi des
contre-mécanismes porteurs de justice sont ensuite porteurs d’éléments
pacifiques. Les interactions sont multiples dans chaque domaine et entre les
domaines.
6/Penser et mettre en oeuvre ces contre-mécanismes dépend surtout (même
si le hasard peut éventuellement jouer aussi un rôle) des déterminations
personnelles et collectives. Certains moyens pour voir le jour devront
surmonter des obstacles nombreux et puissants mais pensons, exemple
gigantesque, au mur de Berlin qui a fini, au bout de 28 ans, par s’effondrer, «
l’histoire est sortie de ses gonds » (expression de Gorbatchev).
7/Enfin réaffirmons que les moyens proposés doivent être conformes aux
fins que l’on met en avant, à des fins pacifiques des moyens pacifiques, à des
fins justes des moyens justes, à des fins écologiques des moyens écologiques,
à des fins démocratiques des moyens démocratiques.
Cinq remarques terminales relatives aux droits de
l’humanité à l’épreuve
1-Peu à peu, à travers les rapports de forces…et la pédagogie des catastrophes
(pédagogie es-tu souvent là ? Non, non, non !), à travers aussi le droit et sa
complexité, « Le droit c’est l’intermède des forces » disait magnifiquement Paul
Valéry, nous allons donc vraisemblablement vers ces formes de
reconnaissances : les générations qui ne sont plus et les générations qui ne sont
pas encore peuvent avoir des droits, et par rapport à elles les générations
présentes ont des devoirs, peuvent et doivent voir le jour des solidarités
transgénérationnelles.
En ce sens c’est une forme de « défi à la mortalité » (tout relatif !) que
relèvent les générations présentes, défi qui les engage, voilà leurs responsabilités
transgénérationnelles.
Mais, nous le savons bien, la mort des générations est là, la mort de l’humanité
(très probablement (?) aussi un jour, « La Terre a commencé sans l’homme, elle
finira sans lui » écrivait Claude Lévi-Strauss. Nous avons mieux à faire qu’à «
échanger des terreurs »pensait Jean Rostand, nous voilà « fraternisés par les
périls communs », les remises en cause appellent les générations présentes, «
vouloir c’est espérer et aimer »(Alain).
2-Une pente forte( ? ) est probablement celle de la résignation devant les
rapports de forces alors que ceux-ci peuvent changer, alors qu’à chaque instant
le réel contient plus de possibles que l’on ne croit, alors qu’un autre regard nous
montre des personnes et des peuples qui se mettent debout à travers les temps .
Manquer de souffle, être étouffé(e) par l’impératif du réalisme, laisser la place à
des sortes « d’experts de rétrécissements d’horizons », et finalement de ne pas
être à la hauteur des défis ?
On pourrait ajouter aux personnes rencontrées par le Petit Prince de Saint
Exupéry… un casseur d’horizons : « Qu’est-ce que vous faites ? » demanda le
Petit Prince, « Dès que je vois des ailes qui poussent je les rogne, je les casse, je
les coupe. »« Vous aimez çà ? » demanda le Petit Prince d’un air effrayé, « Oh
oui j’aime çà, je n’en décolle plus ! » répondit le rogneur d’ailes. « Moi, dit le
Petit Prince, j’aime l’horizon. J’aime marcher doucement vers une fontaine. »
Simone de Beauvoir écrivait: « Il est peu de vertus plus tristes que la
résignation. Elle transforme en fantasmes, en rêveries contingentes, des projets
qui s’étaient d’abord constitués comme volonté et comme liberté. » Jean-Paul
Sartre écrivait aussi : « L’important n’est pas ce qu’on fait de nous mais ce que
nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous. »
3-Ces contre-mécanismes ci-dessus et d’autres commenceraient à ralentir ce
système autodestructeur et à le remettre en cause pour donner naissance,(
peut-être en quelques décennies ?), s’il en est encore temps, à une
communauté mondiale humainement viable. La « métamorphose » de
l’humanité et « la mise au monde » d’une communauté mondiale viable ne
doivent-elles pas se compléter, s’interpeller, s’appuyer l’une sur l’autre,
s’incliner l’une vers l’autre ?
4-Jean Rostand, grand pessimiste de l’intelligence et grand optimiste de la
volonté (« Pensées d’un biologiste » éditions Stock, 1978), écrivait « Il n’est
pas plus insensé de s’abandonner à un espoir, celui de la survie de
l’humanité, que de le repousser au nom d’un prétendu réalisme qui n’est
que le consentement défaitiste au suicide de l’espèce. »
5-Le dernier mot est souvent symbolique, le dernier mot d’Hamlet c’est «
silence», le dernier mot d’Harpagon c’est « cassette » (mon argent), le dernier
mot de Cyrano c’est « mon panache »(voir notre site « autresordessouffles.fr »,
rubrique « articles tous azimuts », « Le dernier mot est-il le bon ? »). Les trois
livres publiés avant 1986 se terminaient par la même phrase ci-dessous mais
sans point d’interrogation. Considérant que le drame nucléaire d’avril 1986 était
probablement un des derniers avertissements que les générations vivantes
recevaient, les cinq ouvrages suivants ont eu droit, pour leur dernière phrase, au
point d’interrogation … comme cette réflexion proposée ici :
Cette veille de fin des temps peut-elle encore se transformer en aube
d’humanité ?
(« Chaque matin nous serons à la veille de la fin des temps.» écrit Jean-Paul
Sartre peu après les bombardements atomiques d’ Hiroshima et de Nagasaki,
dans la revue Les Temps modernes, n°1 octobre 1945.)