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LA PROTECTION MONDIALE DE L’ENVIRONNEMENT
Introduction
Quel est l’enjeu de la protection mondiale de l’environnement ? Ni plus ni moins la survie de
l’humanité et de l’ensemble du vivant.
Dans cette introduction nous poserons trois questions. Qu’entend-on par « protection ? »(1)
Cette protection n’est-elle pas dérisoire ? (2) Quelles sont les volontés des différents acteurs
pour lui donner le jour ? (3)
1 ) Qu’entendre par « protection » de l’environnement ?
Du point de vue des déclarations essentielles du droit international de l’environnement( DIE) :
la Déclaration de Stockholm (juin 1972)
proclame dans son principe 1 : « L’homme a le devoir solennel de protéger et d’améliorer
l’environnement pour les générations présentes et futures. » La Déclaration de Rio (juin 1992)
proclame dans son principe 7 : « Les Etats doivent coopérer dans un esprit de partenariat
mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de
l’écosystème terrestre. »
Du point de vue des conventions on peut souligner par exemple l’ artIcle 192 de la
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (10-12-1982) selon lequel : « Les Etats
ont l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin. »
Nombreuses sont donc les formes de protection. Il s’agit d’améliorer, de conserver, de
protéger, de rétablir. Le terme de conservation est-il un des plus larges, comprenant à la fois
la protection et l’amélioration ? Comment y voir plus clair dans cet ensemble ?
En fait le DIE intervient à travers toute la panoplie des formes de protection d’amont en
aval : précaution, prévention, conservation, amélioration, réparation, remise en état…
Et le DIE intervient à travers deux grands types de protection qui sont complémentaires : il
existe d’une part des conventions de lutte contre les pollutions relatives à l’air, aux sols, aux
forêts, au milieu marin, aux eaux douces… et, d’autre part, des conventions de conservation
mondiale et régionale de la nature, de protection de la diversité biologique, de protection
du vivant.
2) Une protection dérisoire au regard du temps qui reste ?
Les « fleuves » de « la dégradation mondiale de l’environnement » sont tels qu’on peut
légitimement se demander si les « ruisseaux » de la protection n’ont pas quelque chose de
dérisoire dans la mesure où les remises en cause sont trop tardives, trop peu nombreuses,
trop peu radicales.
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Nous en appellerons aux moyens enfin mis au monde, massifs, radicaux. Ces deux derniers
termes, souvent employés, ne relèvent pas d’une sorte de rite de réassurance ou de
manifestation d’impuissance, mais d’une prise de conscience, d’une volonté, d’une stratégie
de protection.
Intervient aussi un facteur non seulement aggravant mais terrifiant : l’accélération de la
débâcle écologique laisse probablement peu de temps pour éviter l’irréparable. Dans
quelques dizaines d’années les générations à venir seront donc en première ligne. Les défis
qu’elles vont rencontrer, les obstacles qu’elles devront surmonter seraient certainement moins
terribles si, enfin, se mettait en route une « métamorphose » des quelques générations qui les
auront précédées.
Il faut donc contribuer à penser, projeter et soutenir des remises en cause vitales.
3) Des acteurs loin d’être à la hauteur des enjeux ?
Ce serait plus qu’une erreur, ce serait un non-sens d’affirmer que rien n’est fait pour la
protection de la planète, des acteurs agissent, mais sont-ils à la hauteur des enjeux?
Les Etats, en particulier dans le cadre des conférences des Nations Unies sur
l’environnement, avaient certes pris conscience que nous n’avons qu’une seule Terre, ils
consacraient alors le droit de l’homme à l’environnement (Conférence de Stockholm, juin
1972). Ils avaient ensuite adopté deux conventions (l’une sur la biodiversité, l’autre sur les
changements climatiques), une Déclaration sur les principes du développement durable, un
Agenda 21 pour le XXIème siècle, c’était là un certain souffle de la Conférence de Rio, en
juin 1992.
Mais à Johannesburg en juin 2002 et à Rio en juin 2012 (« Rio moins vingt » et non « plus
vingt » ont dit certains commentaires par rapport à la Conférence de 1992), les deux
conférences ont été celles de récessions des volontés politiques, juridiques et financières.
Certes les conventions internationales et régionales mises en oeuvre par les Etats contre les
pollutions et pour la conservation de la nature sont nombreuses, mais par exemple les moyens
d’application sont trop souvent dérisoires et des engagements financiers ne sont pas pris ou ne
sont pas tenus, pour ne citer qu’un exemple : ceux de la Convention de 1994 de lutte contre la
désertification.
D’autre part le temps perdu pour décider, par exemple de la réduction des gaz à effet de serre,
n’a-t-il pas quelque chose de pathétique ? « A l’auberge de la décision les gens dorment
bien » dit un proverbe. La Convention sur les changements climatiques est de 1992, le
Protocole de Kyoto est de 1997, son entrée en vigueur date de 2005, l’accord de l’après Kyoto
se fera en 2015 à Paris, son entrée en vigueur devrait voir le jour en 2020.Il aura donc fallu
presque 30 ans entre la convention et un accord engageant tous les Etats (le Protocole de
Kyoto n’engageait que certains Etats dans les réductions de gaz à effet de serre), cela sans
compter tout le temps perdu avant la Convention de 1992 depuis pratiquement la découverte
de l’effet de serre en 1895 et des premières mesures systématiques de CO2 en 1957 (voir
« Incertitude juridique, incertitude scientifique et droit des changements climatiques »,article
de JML , éditions PULIM, 2000 n°3).
Les Etats-Unis et la Chine représentent en 2013 près de la moitié des émissions mondiales des
gaz à effet de serre, or d’une part les Etats-Unis à ce jour ont une responsabilité particulière
dans l’aspect dérisoire des remises en cause de ces émissions en refusant d’adhérer au
Protocole de Kyoto et en retardant des avancées dans les négociations,et d’autre part la Chine
a vu ses émissions littéralement exploser ces dernières années. L’Union européenne ne s’est
pas montrée toujours unie, ses remises en cause ne sont pas encore à la hauteur des enjeux et
ses alliances dans les négociations internationales n’ont pas été assez pensées.
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Quant aux organisations internationales et régionales elles font sans doute ce qu’elles
peuvent dans le cadre de leurs compétences d’attribution, mais leurs moyens en général et
leurs budgets en particulier sont révélateurs de leurs faiblesses.
Pour ce qui est des organisations non gouvernementales certes elles ont développé leurs
capacités de dénonciations et de propositions mais, là aussi, leurs moyens devraient être
moins faibles par rapport aux enjeux et leurs liens internationaux devraient être beaucoup
mieux organisés et plus opérationnels.
On pourrait passer ainsi en revue d’autres acteurs (collectivités territoriales, entreprises,
personnes…) et faire les mêmes constatations à travers des analyses plus poussées des forces
et des faiblesses de chaque acteur, en allant jusqu’aux individus, à travers des responsabilités
très variables.
Dès lors une question essentielle se pose, elle saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre :
comment, à tous les niveaux géographiques, à partir de tous les acteurs, à travers le plus
grand nombre possible d’activités, construire des logiques nombreuses, radicales,
massives, d’une protection mondiale de l’environnement?
Ne faut-il pas faire apparaitre des choix vitaux, concrets en évoquant un recensement
global de ce qui existe par rapport aux fondements puis aux moyens de cette protection ?
Ne faut-il pas faire de même, en termes prospectifs, en évoquant des alternatives tant
pour les fondements que pour les moyens de la protection ?
Nous nous demanderons donc d’abord sur quels fondements reposent et devraient reposer la
protection mondiale de l’environnement (III) ? Ensuite nous nous demanderons quels
moyens sont mis et devraient être mis en oeuvre pour la protection mondiale de
l’environnement (IV) ?
III- Les fondements de la protection mondiale de l’environnement
La protection est portée par de nombreux courants (A), elle se construit à travers des rapports
de forces (B), elle dépend de choix vitaux (C).
Nous utiliserons souvent le mot « radical », il sera pris au sens de réforme profonde, de remise
en cause. On veut remonter aux causes profondes des phénomènes, prendre des mécanismes à
la racine, mettre en oeuvre des contre-mécanismes, des contre-logiques, changer des éléments
d’un système, puis peu à peu ce système lui-même, le productivisme.
A- Une protection portée par de multiples courants
Que peut nous montrer un recensement, certes non exhaustif mais significatif, de ces courants,
quelles conclusions en tirer (1) ? Les deux courants majeurs et opposés relatifs à la nature
n’appellent-ils pas une synthèse qui contribuerait à cette protection (2) ?
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1) Des théories et des pratiques environnementales au Nord et au Sud de la
planète : des diversités à étendre et à radicaliser
a) Dans des pays du Nord il y a eu, de 1945 à nos jours, au moins une dizaine de courants,
d’ampleur variable, liés à la protection de l’environnement, s’exprimant par de nombreux
écrits et de nombreuses actions à travers des partis politiques, des associations, des
mouvements de citoyens et de nombreux auteurs…
Des usagers de la nature qui s’organisent pour dénoncer diverses pollutions et atteintes à la
nature,
Des adeptes des modes de vie « naturels » relatifs par exemple à l’alimentation,à la santé,au
naturisme.
Des consommateurs modifiant des comportements, consommateurs qui sont conscients de
risques sanitaires de certains produits alimentaires, ces personnes, ces associations cherchent
des aliments qui ne contiennent pas de produits chimiques,et aussi des aliments non
transformés.Ces consommateurs font plus confiance aux « produits bio »,aux produits
fermiers,ils regardent la provenance,la liste des ingrédients,ils cherchent à respecter les cycles
saisonniers. De même des consommateurs investissent le domaine économique par le
commerce équitable,l’économie sociale et solidaire,l’épargne solidaire,les monnaies solidaires
au service de la protection de l’environnement.
Des conservationnistes, favorables aux aires protégées, aux sanctuaires, inspirés entre autres
par Henry David Thoreau (Walden ou la vie dans les bois, 1854),
Des militants de l’écologie profonde, défenseurs de la valeur intrinsèque des êtres vivants,
inspirés en particulier par Arne Naess (Vers l’écologie profonde, collection Domaine sauvage,
2009),
Des partisans du développement durable qui veulent « répondre aux besoins de
développement et d’environnement des générations présentes sans compromettre ceux des
générations futures » (ainsi les quarante chapitres d’Agenda 21, voir par exemple ce
document sur le site agora21.org),
Des militant(e)s de l’écologie politique anti productivistes qui mettent en avant, de façon
modérée ou plus radicale, des sociétés écologiquement viables, (voir l’excellente revue
« Ecologie et politique », avec en particulier les écrits de Jean-Paul Deléage.)
Des écologistes luttant aussi pour la démocratie sous des régimes autoritaires, c’était le
cas dans les pays de l’Est avant les révolutions de 1989, où les luttes pour la transparence des
informations n’étaient pas sans risques et répressions,
Des militant(e)s du ralentissement du système à travers des ONG agissant dans des activités
de plus en plus nombreuses (voir sur ce site l’article sur « L’accélération du système
international » à la rubrique « Dans quel monde vivons-nous? »)
Des objecteurs de croissance qui militent pour une remise en cause de la surconsommation
là où elle existe, pour une relocalisation d’activités, une réduction de l’empreinte écologique,
une simplicité volontaire. ( Voir par exemple les écrits de Serge Latouche, de Paul
Ariès…Voir aussi le journal « La Décroissance. »)
Des adeptes de l’économie collaborative qui créent et développent des pratiques de partage
dans les transports(covoiturages…),dans le logement(colocations… ) et dans d’autres
domaines. Cette économie repose en particulier sur une mutualisation de biens, d’espaces et
d’outils à travers leur usage plutôt que leur possession, elle a pour origines la crise
économique et la crise écologique.
b) Dans les pays du Sud les mouvements précédents existent peu ou prou. Ce que l’on
veut souligner ici ce sont des séries de théories et de pratiques existantes certes aussi dans les
pays du Nord mais particulièrement présentes dans les pays du Sud.
Un premier courant, le plus important, dénonce les responsabilités du Nord, des pays
développés. Il revendique le droit au développement, une aide pour s’adapter à la protection
de l’environnement, il insiste parfois sur une dette écologique des pays du Nord vis-à-vis du
Sud, des pays en développement.
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Un second courant, qui prend une certaine ampleur sous le coup de la dégradation de
l’environnement au Sud, dénonce le productivisme du Nord et celui du Sud quand il
existe, il en appelle à des remises en cause au Nord mais aussi au Sud.
Enfin on doit insister sur le fait que de nombreux groupes de personnes, des minorités, des
peuples autochtones (de l’ordre de 370 millions « habitants premiers » de certains territoires)
luttent pour sauver des écosystèmes essentiels et en eux-mêmes et pour la vie ou la survie de
ces personnes et de ces populations.
c)Dans des pays du Nord et du Sud voilà d’une part la dénonciation du « racisme
environnemental » qui apparait dans les années 1980 en particulier aux Etats-Unis , des
mouvements veulent remettre en cause le fait que ce sont les populations les plus
pauvres,ainsi les noirs aux Etats-Unis, qui, le plus souvent, sont victimes de diverses
pollutions.D’autre part des mouvements sur « la justice climatique » ont vu le jour,ils se
manifestent par exemple au moment de la Conférence sur les climats à Copenhague en
décembre 2009, sont mis en avant les liens entre les changements sociaux et
environnementaux, certes la Terre entière est atteinte par le réchauffement climatique mais les
plus touchés sont d’ores et déjà les populations et les pays les plus pauvres.Les luttes pour
une effectivité universelle du droit à l’environnement doivent se multiplier, elles sont
économiques,sociales,juridiques,culturelles…
d) Des conclusions à tirer de la diversité de ces courants. Ne peut-on pas penser qu’il
faudrait prendre en compte au moins quatre conclusions ?
1- Il faut laisser vivre et se développer la diversité des théories et des pratiques de
protection. Etant donné l’ampleur et la rapidité de la dégradation il y a de la place pour
tous,pour les modérés et les radicaux, pour les luttes partielles et celles plus globales.
2-Il n’en reste pas moins, qu’il faut essayer de privilégier, les théories et les pratiques
radicales, partielles ou plus globales, par des volontés personnelles et collectives, à travers
des moyens écologiques, justes, démocratiques et pacifiques.
3-Il faut avoir conscience que les interdépendances, entre les lieux, les activités et les
acteurs, existent et se multiplient pour le pire mais, aussi, pour le meilleur. Elles peuvent
à un moment donné remettre en cause, en tout ou partie, un mécanisme du
productivisme.
4-Un élément qui pourra peser dans certains rapports de forces consiste à créer et à
renforcer les réseaux d’ONG à tous les niveaux géographiques.
Afin que la protection avance ne faut-il pas aller également vers une synthèse relative aux
façons de se situer par rapport à la nature ?
2) Des conceptions différentes de la nature : un choix à faire, celui du
patrimoine commun de l’humanité, à étendre, à radicaliser
Sur ces conceptions voir par exemple l’ouvrage de François Ost, La nature hors la loi.
L’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 1995.Voir aussi article de Serge Gutwirth,
Trente ans de théorie du droit de l’environnement : concepts et opinions. Environnement et
Société, 26, 2001, 5-17.
a) La conception dominante de la nature : l’anthropocentrisme
Quel est l’essentiel de cette conception ? La nature est un objet au service des êtres
humains. L’homme est tout-puissant par rapport au non-humain, il doit se comporter en
« maitre et possesseur de la nature », l’homme exerce, par le droit de propriété, un pouvoir
absolu sur la nature qui est un objet de droit.
Quelles sont les critiques faites à cette conception ? Certes des textes ont limité ce caractère
absolu du droit de propriété sur la nature, mais peu à peu le marché a réduit les éléments de
l’environnement à des marchandises. La nature, au service des besoins et des intérêts de
l’homme, est entrée dans la marchandisation du monde. (Voir sur ce site l’article relatif à « La
marchandisation de la nature.»)
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b) La conception résistante de la nature : l’éco centrisme
Ayant vu le jour dans des civilisations très anciennes, en particulier amérindiennes, cette
conception recommence à se développer depuis quelques décennies jusqu’à ces dernières
années, par exemple un chapitre de la constitution de l’Equateur est consacré aux droits de la
nature,une loi des droits de la Terre Mère a été adoptée en Bolivie en 2010.
Quel est l’essentiel de cette conception ? La nature est un sujet, elle a une valeur
intrinsèque, en elle-même, indépendamment de toute utilité pour les êtres humains. L’homme
fait partie d’un ensemble, le vivant. La nature est sujet de droit, elle doit être défendue.
Quelles sont les critiques faites à cette conception ? Quatre critiques existent. Cette
conception empêche de faire la différence entre l’humain et le non humain, on ne peut
pas savoir ce que la nature veut, à force d’étendre le droit à tout on le dévalorise, le retour à la
nature a quelque chose de dangereux parce qu’on remet en cause l’homme.
c) Le choix d’une conception d’une nature, patrimoine commun de l’humanité :
l’anthropo-éco-centrisme
Cette synthèse ne doit pas être inconsistante, simpliste, elle doit dépasser la contradiction des
deux visions précédentes pour contribuer à une véritable protection mondiale de
l’environnement.
Quel est l’essentiel de cette conception ? La nature est un donné et un construit pour les êtres
humains (anthropocentrisme) et pour elle-même (éco centrisme). La nature n’est pas objet ni
sujet de droit, elle est projet de droit.
Cette synthèse va prendre le « meilleur » de chaque ensemble de théories et de pratiques en
les transformant les unes par les autres.
De l’anthropocentrisme on garde les humains et on remet en cause la marchandisation,
la société du marché, pas seulement en la contrôlant mais en la remettant à sa place, en
lui fixant des limites.
De l’éco centrisme on garde l’ensemble du vivant et on met de côté l’effacement de la
différence entre l’humain et le non humain, cela en mettant en avant les responsabilités
des êtres humains vis-à-vis de l’ensemble du vivant (humanité, faune, flore).
Ainsi le patrimoine commun de l’humanité(PCH) reposera sur un anthropo éco centrisme, sur
le fait que, pour l’exprimer simplement, la Terre dépend des êtres humains et que les êtres
humains dépendent de la Terre.
1-Ce PCH doit être démocratique, juste, écologique et pacifique. Ce sera une gestion
synonyme de partage entre pays, entre peuples, entre générations présentes et futures,
sans oublier le respect du PCH créé par les générations passées. Ce patrimoine se transmet
pour les générations futures, et pour le vivant (faune, flore).
2-Ce PCH reposera sur une gestion synonyme de limites établies au nom des
responsabilités des êtres humains et du respect des êtres vivants. (Voir Hans Jonas,
Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. (de 1979, paru en
France en 1991, Flammarion.)
3-Le PCH prend et prendra différentes formes, outre les quatre qui suivent on peut en
imaginer et en construire d’autres, on devra les articuler les unes aux autres pour renforcer la
protection générale. A long terme ce devrait être là un contre-mécanisme très important contre
le productivisme, il n’aura ni des logiques d’intérêts nationaux, ni des logiques de primauté du
profit et d’une fuite en avant autodestructrice.
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Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent juridiquement à
l’humanité. Il s’agit des fonds marins (« la Zone ») (Convention sur le droit de la mer du 10-
12-1982, article 136), de la Lune et des autres corps célestes (Accord du 5-12-1979, article
11), du génome humain (Déclaration du 11-11-1997, article 1er).
Le PCH au sens large est celui d’éléments constitués par des espaces internationalisés qui
doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra
atmosphérique (Traité du 27-1-1967, article 1er§1), de l’Antarctique (Traité du 1-12-1959,
préambule).
Le PCH au sens plus large est celui d’éléments constitués par certains biens naturels et
culturels ou mixtes, qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être
protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.
(Conclue dans le cadre de l’UNESCO, c’est la Convention sur le patrimoine mondial, 16-11-
1972).
On peut légitimement soutenir qu’il faudrait rajouter ici une quatrième série d’éléments :
Le PCH au sens très large comprendrait les ressources biologiques ,que les Etats ont
certes le droit souverain d’exploiter (article 3 de la Convention sur la diversité biologique du
5-6-1992), mais les Etats seraient contrôlés (interdictions possibles) par une autorité
internationale, gardienne de ce patrimoine naturel mondial, par exemple la future
Organisation mondiale de l’environnement(OME),celle-ci interviendrait alors au nom de la
nature et au nom des générations futures (protocole à la Convention sur la biodiversité, et
compétence à prévoir pour l’OME).
Cet intérêt commun de l’humanité est lié aussi à des biens communs. Ils sont qualifiés d’
« indispensables pour la vie collective des individus et des peuples » par le projet de «
déclaration universelle du bien commun de l’humanité » (Forum mondial des alternatives,
2012), il est affirmé qu’il s’agit « de l’alimentation, de l’habitat, de la santé, de l’éducation et
des communications matérielles et immatérielles. »Il faut donc « garantir l’accès aux biens
communs et à une protection sociale universelle ». Cette déclaration conçoit plus globalement
le « Bien commun de l’humanité comme possibilité, capacité et responsabilité de produire et
de reproduire la vie de la planète et l´existence physique, culturelle et spirituelle de tous les
êtres humains à travers le monde. »
Ces théories et ces pratiques , encore en gestation, celle de Patrimoine commun de l’humanité,
celle de Biens communs, au-delà de leurs différences(conceptions de la propriété et de la
responsabilité, des acteurs les mettant en oeuvre, de leur étendue, de leur gestion…), ont
probablement un point commun : mettre en avant des éléments qui, en dépassant le
quadrillage étatique, en mettant des limites à la marchandisation du monde, en étant pensés
sur le long terme, voudraient contribuer à préserver ce que l’humanité et la nature peuvent
avoir d’essentiel.
Quelles sont les critiques faites à cette conception ? La critique est double : c’est celle des
souverainetés étatiques qui verront dans cette entreprise une forme de dépossession, c’est
celle du productivisme qui ne peut accepter de remettre en cause des logiques d’exploitation
sans limites de la Terre.
Que penser de ces critiques ? Face aux souverainetés irréductibles, une solidarité mondiale
doit avoir le droit du dernier mot. Face au productivisme, condamnable et condamné, un
système viable pour l’ensemble du vivant(humain, et non humain) doit voir le jour.
Construire la protection se fait aussi à travers des rapports de forces, de multiples acteurs
interviennent.
B- Une protection construite à travers des rapports de forces
Nous partirons de trois séries de situations, celles de la biodiversité et de l’eau(1), celle des
changements climatiques(2). (Sur les dominations environnementales des puissants voir par
exemple Hervé Kempf, « Comment les riches détruisent la planète », Seuil, 2007.)
1) Les exemples de la diversité biologique et de l’eau : des acteurs à
privilégier, des alliances à construire et à renforcer
a) Des rapports de force relatifs à la diversité biologique
Des biotechnologies porteuses de créations de nouveaux médicaments et cosmétiques
représentent des marchés de l’ordre probablement de plusieurs centaines de milliards de
dollars, le chiffrage est cependant difficile. Les rapports de forces font intervenir des
chercheurs, des laboratoires, des Etats, des populations locales, des ONG. Ils se situent
juridiquement dans le cadre en particulier de l’application de la Convention sur la diversité
biologique (5 juin 1992) et du Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et
le partage juste et équitable découlant de leur utilisation (29 octobre 2010).
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Des laboratoires du Nord et leurs chercheurs vont identifier des plantes et aussi des animaux
(insectes…) dans des pays du Sud. Ils déposent ensuite avec des firmes multinationales des
brevets, par exemple sur les biomolécules.
De leurs côtés certains pays du Sud adoptent des législations nationales (plus d’une
quarantaine a ce jour sur les 188 qui ont signé la Convention), législations qui sont censées
protéger ces États fournisseurs face aux États utilisateurs et aux firmes multinationales.
Certains Etats adoptent des positions radicales fondées sur la propriété totale des brevets.
D’autre part des pays du Sud se regroupent depuis 2002 (Cancun) pour être en rapports de
forces face aux pays du Nord et aux firmes multinationales (Pierre Lefevre, A qui appartient
la biodiversité ? Alternatives économiques, n° 254, 1-2007.)
Pour leur part des populations locales agissent (manifestations, recours,…), il s’agit de
prouver que telle ou telle firme n’est pas à l’origine de l’invention. Ce fut le cas dans un
procès en 2005, une firme des Etats-Unis avait déposé en 1990 un brevet sur un arbre en Inde
(l’arbre de Neem) qui avait des propriétés antiparasitaires, la bio piraterie fut démontrée.
Dans le cadre de ces rapports de forces des experts interviennent aussi, certains font valoir la
nécessité de créer un certificat d’origine des ressources génétiques.
A tout cela il faut ajouter des organisations qui s’inscrivent à leurs façons dans ces rapports
de forces : ainsi par exemple l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI),
l’ Office européen des brevets, en France par exemple le Muséum d’histoire naturelle.
Ont aussi un poids important les alertes des scientifiques qui mettent leurs compétences au
service de leur sauvegarde des espèces (par exemple la Conférence internationale,
Biodiversité, sciences et gouvernance, Appel de Paris du 22.1.2005).
L’auteur de cet article et de ce site a un témoignage personnel à apporter sur ces rapports de
forces. Son père, Roger Lavieille, fit sa thèse sur la stevia (Etude du Kaa Hê-é). Il a démontré
le premier son pouvoir sucrant 300 fois supérieur au sucre. Il a proposé à la Société
internationale de chimie le nom de » stévioside. » Avant cette thèse de 1932 des chercheurs
allemands travaillaient sur ce pouvoir sucrant et avant eux un médecin du Paraguay et avant
eux tous… des paraguayens qui avaient constaté le pouvoir sucré de cette plante. Quelques
mois après sa thèse, mon père reçut une offre téléphonique d’une société japonaise qui lui
proposait une collaboration. Il avait refusé en disant « La stevia appartient au Paraguay et au
peuple paraguayen ». La stevia fait aujourd’hui l’objet de rapports de forces puissants avec de
multiples intérêts.
Enfin comment ne pas insister sur le rôle remarquable de nombreuses ONG de conservation
de la nature : UICN,WWF, Greenpeace, Conservation international, GRAIN, Pro-Natura
International, Wildlife Conservation Society, Fauna Flora International, Friends of Nature, et
aussi par exemple les Amis de la Terre, France Nature Environnement, la Ligue pour la
protection des oiseaux, la Fondation pour la nature et pour l’homme, et tant et tant d’autres.
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Parmi ces alliances à créer ou à renforcer pour la protection de la biodiversité on trouve
celles entre des ONG, entre des ONG et des populations locales, entre des pays du Sud.
Les coopérations entre les réseaux scientifiques, elles aussi, sont et seront essentielles.
b) Des rapports de forces relatifs à l’eau
Les situations conflictuelles seront vraisemblablement de plus en plus nombreuses : conflits
entre utilisateurs de l’eau, conflits entre régions d’un même pays, conflits entre États. Il y
différentes forces qui se retrouvent dans des lieux symboliques, parmi ceux-ci :
Le plus massif d’entre eux est le Forum mondial de l’eau qui se tient tous les trois ans (le 1er
en 1997 à Marrakech, le 5ème en 2009 à Istanbul, le 6ème à Marseille en 2012). Ce Forum
regroupe de l’ordre de 25 000 participants, des chercheurs, des représentants d’ONG, des
dirigeants d’entreprises privées, des fonctionnaires d’organisations internationales, des
gestionnaires publics…Ce Forum est un espace de débats, un lieu d’exposition et de
commerce, un instrument de négociations avec l’élaboration d’une déclaration ministérielle
(juridiquement non contraignante).
Il y a ensuite d’autres lieux où se retrouvent les représentants de différentes forces : ainsi un
Forum alternatif composé essentiellement d’ONG dans la mouvance altermondialiste qui se
tient parallèlement au Forum mondial sur l’eau, ainsi également le « groupe de Lisbonne »,
penseurs indépendants qui ont travaillé entre autres à un projet de « contrat mondial de l’eau »
sous l’animation de Riccardo Petrella en 1998).
Le Forum de Davos s’est intéressé aussi à l’eau, en particulier en 2009 en mettant en avant
le rôle des entreprises. Le Forum rassemblait 1 600 dirigeants d’entreprises, 40 chefs d’Etat et
de gouvernement et 300 chercheurs, universitaires et responsables d’ONG.
Le Conseil mondial de l’eau, créé en 1996, comprend plus de 300 membres répartis en cinq
collèges (organisations internationales, autorités nationales, ONG, entreprises, monde de la
recherche). C’est lui qui est à l’origine du Forum mondial. Ce Conseil est critiqué par les
altermondialistes qui lui reprochent d’être dominé par les intérêts privés.
A cela il faudrait ajouter le partenariat mondial de l’eau (Stockholm 1966) mettant en avant
des relations plus étroites entre les gouvernements et les institutions internationales, le panel
mondial pour le financement des infrastructures de l’eau (créé en 2000) qui regroupe
essentiellement des institutions financières publiques et privées, des firmes internationales de
l’eau…
Enfin les Nations Unies interviennent en tant que telles, par exemple en 2000 à travers les
Objectifs du Millénaire pour le développement, c’est à dire sur ce point la réduction de moitié
du nombre de personnes sans accès à l’eau et à l’assainissement d’ici 2015, sans oublier par
exemple le rapport de l’ONU sur les ressources en eau (mars 2009). Les Nations Unies
interviennent aussi à travers leurs institutions spécialisées, ainsi le FMI, la BM souvent très
proches des incitations à la privatisation de l’eau, et la FAO, l’OMS, l’UNESCO, qui ont
dans leurs programmes des éléments relatifs aux ressources en eau, le PNUE bien sûr qui relie
l’eau et l’environnement.
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c) Ces rapports de forces se traduisent par des choix qui sont en particulier les suivants :
Existe un choix majeur pour lequel le plus grand nombre possible d’acteurs doit
s’engager : L’eau est-elle un bien commun de l’humanité ou un bien faisant partie de la
marchandisation dumonde ?
Choisir de faire de l’eau un bien commun de l’humanité signifie qu’il faut clairement
consacrer le droit à l’eau et à l’assainissement et, pour le rendre effectif , il faut décider
des engagements financiers et organiser des programmations financières à tous les
niveaux géographiques.
D’autres questions sont liées à ce choix majeur : Le droit à l’eau implique-t-il ou non
l’obligation pour les pays développés et d’autres forces dominantes de participer massivement
à cet accès à l’eau pour les pays en développement? Faut-il un droit d’accès à l’eau potable
permettant aux plus pauvres une gratuité de tant de litres par jour ? Faut-il agir massivement
pour économiser l’eau (en particulier dans l’agriculture) ou s’en remettre uniquement à une
politique de progression de l’offre ? La ressource de l’eau doit-elle être gérée de façon
collective aux différents niveaux géographiques ou gérée uniquement au niveau local, ou au
contraire à un niveau étatique centralisé ? Faut-il créer quand elles n’existent pas, et renforcer
quand elles existent, des lois sur l’eau pour préserver les écosystèmes et lutter contre les
pollutions ou faut-il ne pas agir en ce sens ? Faut-il créer et développer une participation du
public en ce domaine ou y faire obstacle ? (Sur ces questions et sur d’autres voir Bernard
Drobenko, « Le droit à l’eau : une urgence humanitaire, Johanet , 2ème édition, 2012.)
2) L’exemple des changements climatiques : des alliances à penser et à
construire
Dans ce domaine existent des concentrations d’avoirs, de pouvoirs, de savoirs qui sont
nombreuses et puissantes. Or ne s’agit-il pas de partager, de coopérer, de « s’unir ou périr »
(Einstein) ?
a) Les rapports de forces sont bien présents entre les États.
Ainsi ces rapports de forces existent entre les États du Nord et du Sud, entre les États du
Nord et les pays émergents.
Chaque État est à resituer par rapport à la production des gaz à effet de serre(GES). Ainsi les
Etats-Unis en 2012 avec 315 millions d’habitants produisent 16% des émissions de CO2, la
Chine avec 1,351 milliard d’habitants produit 28% du total mondial. Ces deux pays à eux
seuls représentent donc 44% du total mondial.
Il y a aussi de grandes inégalités entre l’habitant moyen de chaque pays : Etats-Unis 20 tonnes
de CO2, Union européenne 9 tonnes, Chine 2,7 tonnes, Inde 1,2 tonne…
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Il y a d’autre part des relations Nord Sud conflictuelles. Les pays du Sud dénoncent la
responsabilité historique (4/5) des pays du Nord dans les émissions de CO2. Des pays du
Nord, surtout les Etats-Unis sous la précédente administration (Bush), dénoncent la
responsabilité présente et surtout future des pays du Sud dans ces émissions, les pays du Sud
passeraient (selon l’AIE) en 2030 à 50 % des GES alors qu’en 2004 ces émissions étaient de
43 %. Un des enjeux est bien sûr que tous les pays industrialisés et tous les pays émergents
s’engagent vers un après Kyoto plus radical (Conférence de Paris, 2015), la Conférence de
Copenhague (décembre 2009) était censée aller dans ce sens, ce fut un échec. Enfin dans ces
rapports de force n’oublions pas les grands pays charbonniers, pétroliers, gaziers.
D’autre part les pays les moins avancés, une soixantaine de pays les plus pauvres du monde,
demandent des aides financières et technologiques, et de façon plus globale les pays en
développement font de même. Les pays directement menacés par la montée des eaux, en
particulier 42 petits Etats insulaires payes, protestent contre l’insuffisance des politiques de
réduction des GES.D’autre part, point positif,les pays les plus vulnérables au changement
climatique se retrouvent pour peser dans ces rapports de forces,ainsi au niveau des ministres
des finances en 2015 voit le jour le « V 20 ».
Enfin l’Union européenne, favorable aux réductions des GES, s’est opposée aux Etats-Unis
favorables à la domination du marché des GES.
Le G8, club diplomatique lié au néo-libéralisme, détermine quelques grandes orientations
allant dans le sens de ses intérêts. Le G20, qui prend désormais le relai du G8, dans lequel on
trouve aussi les pays émergents, représente des intérêts plus compliqués mais allant aussi
globalement dans le sens du productivisme. Ces deux lieux ne sont cependant pas à sousestimer
comme moyens de prise de conscience possible d’intérêts communs vitaux à long
terme, ceux d’une planète écologiquement viable. L’écologie n’est plus considérée comme un
luxe pour les pays émergents confrontés à leur tour à de terribles dégradations.
Parmi les alliances à privilégier pour aller vers des réductions massives de gaz à effet de
serre : des accords bilatéraux entre la Chine et les Etats-Unis, des rapprochements de
pays d’un même continent voire des engagements communs, enfin des alliances entre
des pays du Nord des pays du Sud et des pays émergents.(Pour une étude approfondie voir
Stefan Aykut et Amy Dahan, « Gouverner le climat ? », Presses de Sciences,2015)
b) Les rapports de forces entre les États et d’autres acteurs, les rapports de forces entre
ces autres acteurs.
Ainsi des ONG agissent pour le développement durable ou bien de façon plus radicale pour
une société écologiquement viable, par exemple a travers la décroissance.
Enfin il ne faut pas oublier le poids du réseau scientifique international constitué par le
groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC).
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Ainsi des milieux d’affaires agissent dans le cadre du libéralisme économique ou quelquefois
d’un certain développement durable.
Dans ces rapports de force on retrouve enfin des compagnies pétrolières, des groupes
charbonniers et gaziers, des compagnies nucléaires.
Les réseaux scientifiques, technologiques et financiers qui se constituent autour des
énergies renouvelables sont appelés à avoir de plus en plus de poids, c’est une source
d’espoir.
Bref : n’est-ce pas à travers ces rapports de forces, sous les pressions inlassables des ONG et
les avertissements répétés des scientifiques, que l’on devrait dégager ce qui serait l’intérêt
commun de l’humanité ? Cela veut dire passer des intérêts privés, des intérêts nationaux à
des intérêts communs des Etats et des peuples, pour arriver ensuite à cet intérêt prenant
en compte les générations passées, présentes et futures.
Les acteurs locaux, nationaux, continentaux, internationaux sont donc devant des choix
vitaux, lesquels ?
C- Une protection fondée sur un choix vital et des choix essentiels
Ces choix vont être les produits des problèmes des drames et des menaces écologiques, des
forces allant dans le sens du productivisme et des forces allant dans le sens de sociétés
humainement viables.
Il existe certainement un choix global qui domine tous les autres, il est vital(1), existent
ensuite des choix que l’on pourrait qualifier d’essentiels (2).
1-Le choix vital anti productiviste : la détermination de limites des activités
humaines
Nombreux ont été les auteurs qui ont préparé ces chemins, parmi beaucoup d’autres : Claude
Levi Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy Debord, Edgar Morin, Herbert Marcuse, Hans
Jonas, André Gorz, Cornelius Castoriadis, François Partant, René Dumont, Théodore Monod,
Jean Rostand, Serge Latouche…
Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits : d’une part le système
productiviste est lancé dans une course en avant autodestructrice, il faut donc être en
rupture globale avec ce système, d’autre part une croissance illimitée surune planète limitée
nous amène vers une gigantesque collision entre l’environnement et lesactivités humaines,
il faut donc « retrouver le sens de la limite »(expression de l’introduction de
l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection Frankenstein,2013).
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a) Les logiques de la fuite en avant
Ces logiques s’appellent : la recherche effrénée du profit, la course à la marchandisation du
monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions humanicides et terricides, la
croissance sacro-sainte, la vitesse facteur de répartition de richesses et de pouvoirs, la
dictature du court terme, le vertige de la puissance, la compétition élevée au rang d’impératif
naturel de nos sociétés, l’accélération d’un système porteur d’une crise du temps.
Et puis, à travers une explosion démographique mondiale qui continue, cette fuite en avant
est aussi celle d’une machine à gagner fonctionnant comme une lame qui met d’un côté ceux
et celles dont les besoins fondamentaux sont plus ou moins satisfaits et de l’autre ceux et
celles, de très loin les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.
b) Les dénis, les mensonges et les silences accompagnant cette fuite en avant
Il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de nombreux dénis personnels et
collectifs de la réalité : on pense que la catastrophe ne se produira pas ou qu’on y échappera.
(Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Le Seuil, 2002.)
Il n’est pas étonnant non plus que cette fuite en avant s’accompagne de silences et de
mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle catastrophe écologique, ou même sur
l’existence de certaines d’entre elles que l’on espère garder dans les secrets de la planète et
qui peuvent constituer autant de bombes à retardement.
c) Pour une pédagogie de compréhension et de dénonciation des impasses
Face à cette fuite en avant doivent exister des limites nécessaires, voila donc une pédagogie
des impasses.
Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de
limites ? Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la
croissance indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. » Cornelius Castoriadis
en appelait à nous défaire des « fantasmes de l’expansion illimitée.» ( voir C. Castoriadis,
La Montée de l’insignifiance, les carrefours du labyrinthe (IV), Seuil, 1996 ;Voir également :
J. Ellul, Le Bluff technologique, Hachette, 1988 ; A. Gorz, Écologica, Galilée, 2008 ; S.
Latouche, Survivre au développement, Mille et une nuits, 2004 ; E. Morin, Pour une politique
de civilisation, Arlea, 2002.)
d) Les limites au sein des activités humaines : un concept porteur de principes
Ce concept de limites ne se traduit-il pas par au moins quatre principes que l’on retrouve par
exemple en droit international de l’environnement? (Voir notre ouvrage de DIE, éditions
Ellipses,2010).
De façon plus globale on retrouve les trois premiers principes dans la remarquable « Plateforme
pour un monde responsable et solidaire », publiée par le Monde diplomatique d’avril
1994, qui est à la fois « un état des lieux des dysfonctionnements de la planète et une mise en
avant de principes d’action pour garantir un avenir digne au genre humain »,plate-forme
portée par la Fondation pour le progrès de l’homme.
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Le quatrième principe est en gestation, ce principe de non régression est porté en particulier
par l’UICN,le vice-président de la commission juridique,Michel Prieur, est l’inspirateur de ce
principe.
1-Le principe de précaution selon lequel les sociétés humaines ne doivent mettre en oeuvre
de nouveaux projets, produits et techniques, comportant des risques graves ou irréversibles,
qu’une fois acquise la capacité de maitriser ou d’éliminer ces risques pour le présent et le
futur.
2-Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des
gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à
bruler moins d’énergie, à maitriser leurs besoins pour adopter des pratiques de frugalité, de
simplicité, de décroissance. Andre Gorz écrivait : « Il est impossible d’éviter la catastrophe
climatique sans rompre radicalement avec les logiques qui y conduisent depuis cent cinquante
ans. »
3-Enfin leprincipe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des modes de
production etde consommation sans prélèvements, sans déchets et sans rejets susceptibles de
porter atteinte à l’environnement. D’où l’existence de ces luttes pour développer des
technologies propres, des énergies renouvelables et pour consacrer des éléments de
l’environnement, comme par exemple l’eau, comme biens publics mondiaux (BPM) ou
comme éléments du patrimoine commun de l’humanité(PCH).
4-Sauvegarde signifie aussi que lorsqu’une avancée décisive, sur un point de protection
importante, a été acquise, un verrou juridique doit être alors posé. Un exemple significatif est
celui du Protocole de Madrid sur l’Antarctique (1991) qui interdit les recherches minérales
pour cinquante ans. On ne doit pas revenir en arrière dans la protection. C’est ce que l’on
nomme le principe de non régression. La nécessité vitale de réduire les atteintes à
l’environnement ne peut que contribuer à convaincre les législateurs, les juges et la société
civile d’agir en vue de renforcer la protection des acquis environnementaux au moyen de la
consécration de ce principe de non régression. ( Voir sous la direction de Michel Prieur et
Gonzalo Sozzo, « La non régression en droit de l’environnement », Bruylant , 2012).
Avec ce choix vital existent aussi les choix essentiels de la protection.
2- Les choix essentiels de la protection mondiale de l’environnement
Nous distinguerons le choix global et les autres choix essentiels.
a) Le choix essentiel global : universalité et environnement ,même combat
Selon le sens commun il est très fréquent d’entendre dire que « si tous les chinois ont une
voiture , écologiquement ce sera catastrophique », il est assez courant d’entendre
répondre « pourquoi les chinois ne pourraient-ils pas se développer comme on a pu le faire ? »
Et, presque toujours, on s’arrête là, beaucoup de citoyen(ne)s et d’élu(e)s ne continuent pas
leur raisonnement. En fait ils n’ont pas conscience que le raisonnement tenu est partiel, ou
consciemment, ils ne veulent pas en avoir un autre.
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Si l’on tient à partager un raisonnement global, pour mieux entrer dans la question ou mieux
choisir ou infirmer ou confirmer son choix, on pourrait alors raisonner ainsi :
Soit on renonce à l’universalité et on affirme que si les pays en développement vont vers le
même niveau de vie que celui des pays développés ce sera le chaos écologique pour tous. En
le disant ou sans le dire, avec regrets ou sans regrets, on justifie on renforce des inégalités
donc des violences structurelles. Cette attitude n’est-elle pas celle d’une violence
d’oppression en imposant sa loi ?
Soit on renonce à la protection de l’environnement et on affirme que les pays en
développement ont le droit de se développer comme ils l’entendent. En le disant ou sans le
dire, avec ou sans regrets, on justifie on renforce le productivisme et ses ravages
environnementaux. Cette attitude n’est-elle pas celle d’une violence de soumission en faisant
taire des valeurs que l’on pense importantes ?
Soit on met en avant à la fois l’universalité et la protection de l’environnement, on
affirme que tous les pays et tous les peuples ont droit au développement et en même temps on
remet en cause au Nord de la planète mais aussi au Sud quand il existe le productivisme.
Universalité et environnement, dans un même combat, doivent se tenir embrassés. Cette
attitude n’est-elle pas porteuse d’une véritable paix, celle de la recherche ensemble de
solutions justes et écologiques ?
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b) Les autres choix essentiels
Rappelons symboliquement ce choix essentiel « penser globalement agir localement »
(formule de René Dubos en 1972 à la Conférence de Stockholm).Au moins sept choix ne
peuvent-ils pas être considérés comme essentiels ?
1-Face au libre-échange tout puissant donner de plus en plus la priorité à la protection
environnementale, sanitaire, sociale, culturelle, par exemple dans des dispositions
spécifiques des traités de commerce, par exemple dans l’application stricte des limites posées
par le droit international de l’environnement au commerce international des espèces et de
certaines substances…Au nom de quoi le commerce international serait-il supérieur à la santé
et à l’environnement ?
2-Face à la société de marché donner de plus en plus de place à une « économie plurielle »
composée d’économie sociale et solidaire, de services publics, de juste échange, de dons,
d’échanges de savoirs, de commerce équitable…
3-Face à une division internationale du travail fondée sur des dominations, construire un
échange international reposant sur une autonomie créatrice de chaque peuple…
4-Face au court terme omniprésent répondre aux urgences et construire le long terme…
5-Face à la domination sur la nature mettre en oeuvre en particulier une protection du
patrimoine mondial de l’humanité…
6-Face à la compétition omniprésente construire des coopérations, des solidarités…Nous
voilà fraternisés par des périls communs, ce sont des côtes à côtes qui doivent voir le jour et
se multiplier.
7-Face à cette coupure entre l’écologique et le social il faut tisser des liens entre
l’écologique et le social, c’est ce qui est fait par exemple à travers l’expression et le
mouvement « justice climatique », par exemple à travers des pratiques autour du
« consommer moins, répartir mieux », le « consommer moins » vise les 20% des habitants de
la planète qui consomment environ 80% des richesses mondiales, tisser ces liens entre
l’écologique et le social par exemple à travers des écotaxes levées avec justice, par exemple
à travers des emplois qui devront devenir massifs, emplois liés à la protection de
l’environnement : villes, villages, quartiers et constructions écologiques, isolations,
matériaux écologiques, énergies renouvelables, modes de production, de consommation et de
transports écologiques, remises en état de régions profondément dégradées, préservation du
patrimoine mondial naturel et culturel, éducation à l’environnement de la maternelle à
l’université…
Ces choix, et d’autres que vous ajouterez à cette liste, doivent s’accompagner de moyens qui
iront en ce sens, ceux d’une société écologique, mais aussi démocratique, juste et pacifique.
Quels moyens ?
JML