LES MOYENS D’UN MONDE VIABLE : quels fondements renversants ? (
I I )
· IIème partie- LES MOYENS D’UN MONDE VIABLE : QUELS
FONDEMENTS RENVERSANTS ?
Les fondements d’un monde viable n’ont-ils pas quelque chose de renversant dans la mesure
où ils reposent sur des logiques contraires à celles du productivisme ?
Le productivisme est porteur de multiples confusions entre les fins et les moyens,
au contraire un monde viable met en avant des moyens qui doivent être conformes aux
fins proclamées.(I).
Le productivisme se veut sans limites,
au contraire un monde viable met en avant des moyens qui doivent tenir compte de
multiples limites (II).
Le productivisme multiplie les fractures dans l’espèce humaine, par exemple entre pays, et
détruit de nombreuses diversités par exemple écologiques,
au contraire un monde viable met en avant recherche de l’unité de l’humanité et respect
des diversités.(III)
Le productivisme ne tient pas compte de la nécessité d’interdépendances respectueuses les
unes des autres,
au contraire un monde viable met en avant un respect de principes anti productivistes à
chaque niveau d’action, du local au global .(IV)
Le productivisme ne tient pas compte de la globalité du monde, par exemple de la
biodiversité, par exemple des liens entre misère et course aux armements, il ne tient compte
que de quelques dégâts en aval et ne remet que rarement en cause ses logiques de l’amont,
au contraire un monde viable suppose une globalité et une radicalité des moyens qui se
veulent viables. ( V).
Le productivisme est pour une très large part un monde de compétition à tous les niveaux,
dans l’ensemble des activités,
au contraire un monde viable repose sur de multiples remises en cause de la compétition
(VI).
Plan général de la IIème partie
IIème partie- LES MOYENS D’UN MONDE VIABLE : QUELS
FONDEMENTS RENVERSANTS ?
I-Le principe de moyens conformes aux fins mises en avant.
II-Le choix vital anti productiviste : la détermination de limites des activités humaines.
III- Deux choix anti productivistes : la recherche de l’unité de l’espèce humaine et le
respect des diversités.
IV- Un respect de principes anti productivistes à chaque niveau d’action, du local au
global.
V-La globalité et la radicalité de ces moyens viables.
VI –La remise en cause de la compétition dans un monde viable.
I-Un principe anti productiviste : des moyens conformes aux fins mises en avant.
Nous examinerons les fondements de nouveaux rapports entre les fins et les moyens dans un
autre système se voulant viable.
Il s’agit de partir du principe selon lequel aucun moyen n’est neutre (A)
puis de penser la remise des moyens à leur place, la technoscience (B) , le marché mondial
(C), les marchés financiers (D)
il s’agit de respecter les fins, c’est-à-dire les droits de l’homme et ceux des peuples (E) sans
oublier ceux aussi de l’humanité (F).
A- Aucun moyen n’est neutre par rapport aux fins
1-Cette question des rapports entre les moyens et les fins a été pensée bien sûr en
particulier par des philosophes.
Nous n’en citerons ici deux, Kant et Jonas.
a- Ainsi Emmanuel Kant dans ce passage célèbre :
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la
personne de tout autre,
(Fondation de la métaphysique des moeurs(1785) traduction par A. Renault, Flammarion,
1994, p.108).
b-Plus proche de nous dans le temps Hans Jonas dans ce passage connu :
« Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une
vie authentiquement humaine sur terre. » (Le principe responsabilité, une éthique pour la
civilisation technologique, Cerf, 1979, p30).
Ainsi la dignité humaine chez le premier, la responsabilité chez le second sont au coeur de
leurs philosophies.
Mais la philosophie n’est pas la seule à interroger ces rapports. De façon globale les activités
humaines, dans les théories comme dans les pratiques, ont été et sont présentes au coeur de
cette question, comment ?
2-On peut ainsi penser que la légitimité d’une cause n’implique pas la légitimité de tous
les moyens pour la faire triompher.
- Par exemple s’il était oh combien légitime de lutter contre le totalitarisme nazi, certains,
dont nous sommes, penseront qu’il n’était pas légitime d’envoyer des bombes atomiques sur
Hiroshima et Nagasaki (avec d’ailleurs pour objectif de montrer sa puissance face à l’Union
soviétique).
-C’est d’ailleurs ce qui condamne le terrorisme, que ce soit celui de réseau ou celui d’Etat.
Le terrorisme peut mettre en avant une cause illégitime, par exemple la disparition d’une race,
ou une cause légitime, par exemple la lutte contre une occupation armée étrangère, les
moyens de terreur employés contre les personnes peuvent être considérés à juste titre comme
illégitimes.
3- Cette série de théories et de pratiques selon laquelle la fin ne justifie pas tous les
moyens est, pour l’instant , minoritaire dans le monde mais depuis plus d’ une
trentaine d’années (1989, révolutions fondées sur la désobéissance civile à l’Est) elle
prend de plus en plus une certaine ampleur.
Elle consiste à affirmer qu’aucun moyen n’est neutre et en lui-même et par rapport à la
société qui va en sortir.
La force qu’elle représente se retrouve par exemple à travers des révolutions non-violentes
fondées sur des résistances actives, des désobéissances massives. Deux des exemples les plus
connus sont ceux, contre l’empire britannique, de l’indépendance de l’Inde et, contre le
régime soviétique, des révolutions à l’Est.
C’est certainement sous l’influence des problèmes, des menaces et des drames
environnementaux que l’on a été amené à protester contre de nombreux moyens, en
particulier énergétiques, et qu’on en propose de nouveaux qui se veulent respectueux de la
nature. On a alors conscience de ces liens entre les fins et les moyens et on va souvent
utiliser des résistances et des désobéissances qui, elles aussi , ne seront pas neutres. Les
manifestations de jeunes face à la faiblesse ou l’irresponsabilité de politiques étatiques
contre le réchauffement climatique s’inscrit dans ce cadre des résistantes non-violentes.
4-On peut donc penser qu’aucun moyen n’est neutre par rapport aux objectifs
proclamés.
Gandhi, dans l’ouvrage posthume réunissant ses écrits « Tous les hommes sont frères »
(première parution en 1969, puis folio essais , Gallimard,1990, p.147) affirme de façon
radicale et lumineuse :
« On entend dire « les moyens, après tout, ne sont que des moyens ». Moi je vous dirai
plutôt : « tout, en définitive, est dans les moyens. La fin vaut ce que valent les moyens. Il
n’existe aucune cloison entre les deux catégories » (…) Votre grande erreur est de croire
qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens (…) Les moyens sont comme le grain
et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens
qu’entre l’arbre et la semence. Ceux qui, au contraire, s’abaissent à employer n’importe
quel moyen pour arracher une victoire ou qui se permettent d’exploiter d’autres peuples
ou d’autres personnes plus faibles, ceux-là non seulement se dégradent eux-mêmes, mais
aussi toute l’humanité. Qui pourrait donc se réjouir de voir l’homme ainsi bafoué ? »
5-Un témoignage personnel de l’auteur de cette analyse.
Lorsqu’en septembre 1972, alors que je commençais à enseigner les relations internationales
et le droit international public, je me suis aussi plongé dans des lectures tiers-mondistes et
non-violentes. C’est alors que j’ai découvert cette pensée de Gandhi : « Les fins sont dans
les moyens comme l’arbre est dans la semence ».
Je crois que c’est elle qui a contribué à bouleverser ma vie, en quelques années tout s’est
enchainé : luttes pour la démocratie (contre la dictature au Chili ), pour la justice (contre la
misère dans un voyage associatif au Bangladesh), pour le désarmement (contre les ventes
d’armes au salon du Bourget), pour l’environnement ( contre le réacteur nucléaire de Creys
Malville). Dans les cours, les interventions et les écrits je n’ai cessé de partager cette question,
celle des rapports entre les moyens et les fins.
6-La complexité de certains rapports entre les moyens et les fins
Il y a deux types d’abus possibles, les uns sur les moyens, les autres sur les fins.(a)
Il y a ensuite une situation évoquée par exemple par un non-violent célèbre.(b)
Sans oublier la complexité des marges de manoeuvres des acteurs et celle des choix liés au
temps.(c)
a-Un moyen ou une fin que l’on pensait acceptable se révèle inacceptable
.Au niveau des moyens : par exemple un embargo l’on pensait juste finit par porter atteinte
aux droits des plus faibles. Par exemple une loi de protection de l’environnement peut être
injuste en portant atteinte aux plus démunis. D’ou la nécessité souvent soulignée de
conjuguer écologie et justice.
Au niveau d’une fin : par exemple une organisation qui était censée protéger des enfants peut
avoir demandé une aide qui , en fait, participe à un trafic d’enfants.
b-Des moyens acceptables pour des fins inacceptables…
Martin Luther King écrivait dans « Révolution non-violente », (éditions Payot, 1965) « Ces
dernières années j’ai constamment insisté sur le fait que les moyens que nous utilisons doivent
être aussi purs que les buts que nous voulons atteindre. J’ai tenté de démontrer qu’il ne fallait
pas utiliser des moyens immoraux pour atteindre des buts moraux. Mais aujourd’hui j’affirme
qu’il serait encore plus faux d’utiliser des moyens moraux pour atteindre un but immoral.
Vous voulez l’ordre dans la rue, vous êtes contre les manifestations non-violentes que nous
organisons , tout cela pour « la paix publique » dites-vous mais celle-ci n’est pas morale.» Ce
qui est immorale c’est une violence structurelle selon laquelle les noirs n’ont pas les mêmes
droits que les blancs.
-Complexité aussi des marges de manoeuvres des différents acteurs
Le productivisme a les moyens de réduire les marges de manoeuvres d’acteurs qui en
appellent aux résistances actives.
Parmi ces moyens citons des répressions sur des ONG et des militants.
Par rapport à des Etats qui en appellent aux luttes contre des injustices internationales existent
également au moins trois moyens de réduire leurs marges de manoeuvres : d’une part des
augmentations bilatérales ou internationales de taxes douanières, d’autre part une réduction de
l’aide internationale ou bilatérale, enfin l’augmentation de la charge de la dette qui est une
forme de mise sous tutelle des économies.
7-Complexité des choix liés au temps
Moins on tient compte du long terme plus on peut se retrouver dans des situations d’urgence
avec des choix plus limités. Plus on attend pour résister plus c’est difficile de le faire. Des
chemins de bonnes intentions sont parfois pavés de renoncements successifs.
Remettre à leur place les moyens, respecter les fins ; telles sont les deux séries de remises en
cause vitales, cela signifie une techno-science et un marché au service des êtres humains et
non le contraire.
B- La remise à sa place de la techno science
1- Comme on s’en remet au marché on s’en remet souvent aussi à la techno-science. Les
recherches et les technologies aux différents niveaux géographiques, à travers des
phénomènes de concentrations et de groupes dominants (firmes multinationales,
laboratoires) ont tendance à s’auto reproduire parfois, voire souvent, indépendamment
des véritables besoins des êtres humains.
2- La techno-science ne tend-t-elle pas à échapper de plus en plus aux acteurs
humains ? Après les phases de mécanisation, de motorisation, d’automatisation est venue
celle de la cybernétisation c’est-à-dire de mécanismes de régulation des machines et des êtres
vivants. La cybernétisation des technologies avancées n’amène-t-elle pas à enlever des
possibilités d’appréciation et de décision à ceux qui sont censés les contrôler ?
Dès lors une question vitale est la suivante : les acteurs humains doivent-ils, veulent-ils,
peuvent-ils mettre en oeuvre un véritable contrôle de la techno-science à tous les niveaux
géographiques ?
3- Nous citerons au moins six séries de contrôles cruciaux, décisifs :
la recherche scientifique militaire sur les armes de destruction massive, les graves problèmes
drames et menaces posés par les déchets radioactifs et donc par l’énergie nucléaire, les
pollutions de l’air causées entre autres par des moyens de transports écologiquement non
viables, la marchandisation de la faune et de la flore , l’exclusion du travail par la technique
(une des grandes causes du chômage), et déjà le déploiement ici ou là, hors encadrement
juridique rigoureux ,de manipulations du génome, des nanotechnologies et de certains
projets de géo-ingénierie…Nous pourrions prolonger la liste.
La gravité des menaces, la complexité des défis, les souffrances causées par divers drames
exigent une techno-science ramenée au rang de moyen au service des êtres humains.
4-Il y a ainsi au moins deux grands axes pour mettre en oeuvre un contrôle de la technoscience
ou, de façon plus radicale, pour la remettre à sa place.
a-Le premier axe se situe en termes de priorités c’est-à-dire que les efforts de recherches et
de nouvelles technologies doivent être orientés en fonction des priorités liées à l’intérêt
commun de l’humanité, les activités de la techno-science doivent s’inscrire dans des contrats
à tous les niveaux géographiques, contrats mettant en avant ces priorités et décidés par des
processus démocratiques. Un critère significatif est, par exemple, dans un pays donné , celui
consacré aux dépenses de santé par rapport aux dépenses militaires.
b- Le second axe se situe en termes d’interdictions : la sacro-sainte liberté de la
recherche scientifique doit être remise en cause quand elle menace la dignité des
personnes ou l’intérêt commun de l’humanité.
5- La remise à sa place du transhumanisme
Jusque vers 1950 le transhumanisme était de la science-fiction sous forme de livres et de
films. Depuis plus de 70 ans c’est une puissante réalité en marche à travers des moyens et des
théories qui posent de multiples questions et demandent des réponses globales et précises.
a- 1er élément : le transhumanisme est d’abord un ensemble gigantesque de moyens
scientifiques et techniques ayant pour fonction l’amélioration illimitée des facultés
humaines.
Cet ensemble se développe sous quatre formes.1ère forme : celle des transformations d’un
corps plus performant (courir plus vite, avoir plus de force, augmenter sa mémoire, restaurer
certaines fonctions chez des malades et des handicapés, augmenter l’espérance de vie, se faire
conserver dans le froid(la cryonie) pour réapparaitre plus tard…),2èmeforme : celle des
transformations psychiques et émotionnelles (ainsi des nanorobots dans le cerveau peuvent
stimuler diverses zones, par exemple créer, pourquoi pas, une sorte de félicité
perpétuelle),3ème forme : celle de la vie avec les robots (par exemple devenus compagnons
domestiques, assistants médicaux, partenaires sexuels),4èmeforme : celle de la robotisation de
l’humain (on crée des êtres hybrides, autrement dit des hommes-machines composés
d’organes et de gènes biologiques et non biologiques synthétiques, des cyborgs, organismes
cybernétiques de commande et d’information issus de la rencontre de multiples disciplines, et
demain peut venir aussi un téléchargement de l’esprit dans un substrat non biologique).
Ces moyens se déploient à travers ce qui est appelée « la grande convergence » de quatre
domaines dits NBIC ,les nanotechnologies avec des puces intégrées, les biotechnologies
avec des clonages, des interventions sur l’embryon, des modifications d’ADN, les
technologies de l’information et les sciences cognitives avec l’intelligence artificielle capable
de simuler l’intelligence humaine. Il y a ainsi des interconnexions entre l’infiniment petit, la
fabrication du vivant, les machines pensantes et l’étude du cerveau humain. Les
nanotechnologies manipulent les atomes, les biotechnologies s’appliquent aux gènes,
l’informatique s’appuie sur la quantité d’information transmise par un message et les sciences
cognitives s’exercent à partir des neurones biologiques. Aux intersections se trouvent ainsi la
nano-bio-médecine, la nano-bio-informatique…
b- 2nd élément : le transhumanisme c’est aussi un ensemble de théories.
L’humanisme, en se fondant sur des textes antiques, s’était épanoui au XVIème siècle sous
la forme d’un mouvement philosophique, culturel et artistique qui mettait en avant la
primauté de l’homme et des valeurs humaines.
Au XVIIIème le siècle des Lumières avait valorisé l’action de l’être humain, sa capacité à
connaitre, à agir sur lui et sur le monde.
Mais à la fin du XIXème et au début du XXème des théories antihumanistes apparaissent ,ce
sont celles du darwinisme social qui affirme que la lutte pour la vie correspond à l’état naturel
des sociétés et celles de l’eugénisme pour lequel la perfectibilité est réduite à un projet
biologique et médical qui a pour but de sélectionner les plus forts et d’éliminer les plus
faibles, suivront en ce domaine les pratiques épouvantables des nazis.
Aldous Huxley en 1932 , dans le roman génial d’anticipation « Le meilleur des mondes »,
dénonçait radicalement la manipulation de l’homme par l’homme. A l’opposé en 1941 son
frère, Julian Huxley, biologiste, dans son ouvrage « L’homme cet être unique », se déclarait
partisan de l’eugénisme comme moyen d’amélioration de la population humaine.
Après la Seconde guerre mondiale la techno science se développe à une allure vertigineuse
et en 1957 dans un texte fondateur, « Nouvelles bouteilles pour un nouveau vin », ce
biologiste, Julian Huxley, propose le mot transhumanisme qui signifie selon lui
que « l’homme reste l’homme mais se transcende par la réalisation de nouvelles possibilités
de et pour sa nature. », ce transhumanisme a pour « devoir cosmique » la « promotion du
bien-être des générations à venir pour l’avancement de notre espèce .»
A partir des années 1980-90 des philosophes, des ingénieurs liés parfois aux armées, et aussi
des start-ups, des firmes multinationales, en particulier en Californie dans la Silicon Valley,
deviennent transhumanistes. Google soutient ce mouvement et par exemple crée en 2013 une
société de biotechnologies, Calico, dont le projet est de « Tuer la mort ».
Les transhumanistes pensent que nous sommes limités par la souffrance, la maladie, le
handicap, le vieillissement, la mort , mais que la techno science peut tout changer, elle peut
repousser, de façon illimitée, ces « insuffisances» . « La grande convergence» aboutira à « la
singularité technologique » c’est-à-dire à une entité supérieure à l’homo sapiens, qui sera
omnisciente, omnipotente, omniprésente et, comme des dieux, ces hommes-machines
pourront atteindre le ciel, au sens propre d’ailleurs puisque certains pensent que des
intelligences artificielles peupleront des galaxies en se déplaçant à la vitesse de la lumière…
c- 3ème élément : existent au moins deux séries de questions posées par le
transhumanisme , les unes relatives à son contexte, les autres à son contenu. Nous ne ferons
qu’en souligner quelques unes à titre indicatif.
Le contexte n’est pas neutre. Est-ce que ces complexes techno-scientifiques ne sont pas liés à
l’ultra libéralisme, à un homme « augmenté » adapté à des perspectives de performance, de
croissance, de compétition, de productivité illimitées ? S’en remet-on à l’économie de
marché pour décider des innovations ? S’en remet-on à l’intelligence artificielle, à son
éventuelle utilisation guerrière ? Qu’en est-il de l’usage privé de ces données et de leur
marchandisation ? Est-ce que le transhumanisme ne renforce pas les inégalités en créant un
nouveau prolétariat de pauvres non « augmentés », devenant une sous-espèce au service d’une
nouvelle oligarchie ? Enfin quels silences criants par rapport aux défis de l’humanité, ceux de
la justice, de la démocratie, de la paix, de l’environnement ! Que serait ainsi un hommemachine
dans une apocalypse écologique, serait-il plus heureux qu’un « non implanté » à son
service ?
Le contenu du transhumanisme est aussi en questions. Les transhumanistes s’intéressent-ils à
l’humanité de l’homme ou bien à son seul changement technique ? S’intéressent-ils à
l’identité profonde, aux émotions authentiques, aux vertus porteuses de changements, aux
solidarités à construire ou bien exclusivement au toujours plus ? Veulent-ils un homme conçu
comme une fin ou bien comme un moyen ? Quelle humanité voulons-nous : celle de
sociétés sans limites, sans finitudes, sociétés qui ne retiennent plus leurs puissances, celle
de générations irresponsables ou bien une humanité déterminant des limites au sein des
activités humaines ?
Voulons-nous être des Icares, brûlés par les soleils du pouvoir et de l’argent, ou bien des
Daphnis, fraternels et respectueux du vivant ?
Ces questions appellent des réponses à la fois globales et précises.
Si l’on met de coté le scientisme et l’anti scientisme, on se prononce alors pour une
critique à l’intérieur de la techno science en distinguant, autant que faire se peut, les
recherches et les techniques positives ou, au contraire, néfastes pour les êtres humains et le
vivant. On ne peut pas confier le vivant à « l’autonomie » de la techno science et du marché,
lucidement analysée en particulier par Jacques Ellul.
Cette critique peut se faire de façon modérée en espérant réguler le transhumanisme, par
exemple en fixant des priorités financières entre des projets, ou bien sous la forme de la mise
en oeuvre du principe de précaution.
Elle peut aussi se faire de façon plus radicale par de véritables remises en cause sous la
forme de certaines interdictions de projets, interdictions mondiales, privées et publiques,
contrôlées et sanctionnées. Ainsi à ce jour le clonage reproductif de l’être humain est en voie
d’interdiction.
Le critère serait donc celui de recherches et de techniques déclarées contraires à l’intérêt
commun de l’humanité, c’est-à-dire portant une atteinte grave et irréversible à la paix,
la démocratie, la justice ou l’environnement.
On veut alors non seulement garder un contrôle sur la techno science mais confier à un
organe, agissant au nom de l’humanité, un droit et un devoir de remise en cause de
recherches et de techniques inhumaines.
C- La remise à sa place d’un autre moyen gigantesque : le marché mondial
1- Face à l’économisme triomphant, à la recherche du profit, à la société du marché qui
a tendance à occuper toute la place, un certain nombre d’auteurs, d’organisations non
gouvernementales (ONG), de citoyen(ne)s, et d’autres acteurs proposent ou contribuent à
mettre en oeuvre ici ou là une « économie plurielle ».
Face au libre-échange généralisé, face aux logiques de guerre économique et de compétition,
il s’agit de remettre le marché à sa place et de créer ou de développer des logiques de
coopération.
2- Il y a ainsi au moins quatre grands axes pour mettre en oeuvre ce contrôle du marché ou,
de façon plus radicale, pour remettre le marché à sa place.
a-Il est nécessaire de subordonner le libre-échange à ce qui deviendrait la primauté de la
protection de l’environnement et de la santé.
b-Il est nécessaire que soient créés ou se développent des éléments de « l’économie
plurielle » c’est à dire des formes d’économie solidaire et sociale, des entreprises
coopératives, des services publics, des systèmes d’échanges locaux (à travers des
associations dont les membres échangent des biens et des services, hors du marché),des
pratiques de commerce équitable et des mécanismes de juste-échange, des pratiques
d’économie collaborative en matière de transports(covoiturage)de logements(
colocation) de nourriture, d’éducation…
c-Le troisième axe consiste à « désarmer le pouvoir financier » en adoptant entre autres une
taxe massive sur les transactions financières et en remettant en cause les paradis fiscaux. Ces
contre-mécanismes à créer sont connus mais les rapports de force sont à renverser, c’est un
combat gigantesque mais vital.
d- Le quatrième axe est constitué par le fait que certaines productions du marché sont, par
nature, plus ou moins nuisibles aux acteurs humains. Dans l’économie plurielle, les
reconversions – par exemple des industries d’armements – contribuent à l’avènement d’un
monde responsable et solidaire, reconversions socialement et écologiquement porteuses.
D- Les tentatives de contrôles et de remises en cause des marchés financiers
Rappelons la nature et la puissance de ces marchés financiers (1), récapitulons
quelques mécanismes pour tenter non seulement de les contrôler mais pour aller dans le sens
de leurs remises en cause (2).
1-La nature et la puissance de ces marchés financiers
Ces marchés financiers comprennent six classes d’actifs : le marché actions, le marché
obligataire, le marché monétaire, le marché des dérivés, le marché des changes, le marché des
matières premières.
Deux chiffres symboliques de cette force : en avril 2016 les transactions quotidiennes(!) sur
le marché des changes étaient de 5100 milliards de dollars, pour l’année 2017 le gestionnaire
américain d’actifs BlackRock gérait 6000 milliards de dollars et réalisait un bénéfice de 3,7
milliards.
A titre de comparaisons le chiffre d’affaires annuel en 2017 des dix premières entreprises du
monde allait de 200 à 500 milliards de dollars, le PIB en 2017 était pour 139 Etats inférieur à
10 milliards de dollars dont 30 inférieur à 3 , alors que le PIB des Etats-Unis était de 19362 et
celui de la France( cinquième dans la liste des 193 Etats) de 2574, le budget bi annuel des
Nations Unies pour 2018-2019 est de 5,4 milliards de dollars, ce sont là quelques rapports de
forces financiers qui en disent longs sur cette partie de la vie internationale.
2-Une liste indicative de quelques tentatives de contrôle ou de remise en cause
Le « désarmement du pouvoir financier » a toujours de grandes difficultés à se mettre
en route. Les Etats à ce jour ( juin 2019) n’ont pas encore les volontés massives et
radicales de faire face aux nouveaux conducteurs de la planète, les marchés financiers,
de plus en plus puissants depuis 1971 ( la fin de la convertibilité du dollar en or précipite la
spéculation internationale sur les monnaies et amplifie la puissance des bourses, des banques
et des marchés financiers).
a-Voilà certes quelques avancées de levées partielles des secrets bancaire et judiciaire, qui
est un des contre-mécanismes des paradis fiscaux, mais on est encore très loin d’une
véritable remise en cause que serait une transparence généralisée .Les sommes abritées
dans les paradis fiscaux en 2018,c’est à dire dans plus d’une soixantaine de pays et
territoires(?), seraient de l’ordre de 15.000(?) à 40.000(?) milliards de dollars!!! C’est l’une des
sommes les plus gigantesques que l’on puisse imaginer. Il est vrai que l’on est encore loin des
226.000 milliards de dollars(192.000 milliards d’euros) du total de la dette mondiale, soit trois
fois le PIB mondial…On notera l’imprécision, opacité oblige, des sommes cachées dans les
paradis fiscaux.
b-Voilà certes quelques timides tentatives de luttes contre l’évasion fiscale de grandes
firmes multinationales, ainsi le G 20 en novembre 2015 a adopté un plan de l’OCDE en vue
de pousser ces entreprises à déclarer leurs bénéfices pays par pays, de même la Commission
de l’Union européenne va dans ce sens fin 2015 et début 2016 par exemple en critiquant des
pays (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg…) qui sont accusés de soutenir de telles pratiques,
mais on est encore loin d’une véritable convention mondiale accompagnée de sanctions.
En mars 2018 la Commission de l’UE propose de taxer de 3% les revenus des géants
numériques, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), cela dans les pays de leurs
utilisateurs, et au delà 200 groupes ayant un chiffre d’affaires annuel de plus de 750 millions
d’euros et de plus de 50 millions d’euros dans l’Union européenne, cette taxe, rapporterait 5
milliards d’euros par an. La France en 2019 commence à prélever une taxe sur les géants du
numérique, c’est le début d’un long chemin légitime et légal consacré en avril 2019.
Si la taxe précédente est à l’initiative de la France, l’Allemagne par contre semble se déclarer
favorable à « un impôt minimum mondial sur les bénéfices des multinationales du numérique ».
La proposition française beaucoup plus cadrée va donner lieu à un rapport de forces
gigantesque aux enjeux importants entre des Etats européens et les GAFA.
c-Ce rapport de forces on le voit déjà au niveau d’amendes en juin 2017 (2,47 milliards
d’euros) et juillet 2018(4,3 milliards d’euros) infligées par la Commission à Google pour abus
de position dominante, ainsi pour la seconde amende l’abus concerne le système d’exploitation
pour smartphones , Android. Google verse les amendes pour éviter d’énormes astreintes mais
fait appel devant la Cour de justice de l’Union européenne. En février 2019 le géant bancaire
suisse UBS a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris à une amende de 3,7
milliards d’euros pour démarchage bancaire illégal et pour blanchiment aggravé de fraude
fiscale. Les premiers pas des uns et des autres sur ce chemin peuvent être prometteurs.
d-Voilà certes les premières taxes sur les transactions financières(TTF) d’un certain
nombre d’Etats encore très minoritaires (ainsi par exemple à ce jour deux sur 28 dans l’Union
européenne) mais on est encore loin d’une véritable TTF qui serait mondiale dans sa portée et
radicale dans son assiette. C’est très certainement un des grands espoirs de véritables
alternatives mondiales, espoir porté par exemple par une ONG telle que ATTAC, qui
contribuerait à construire une communauté mondiale humainement viable dans la mesure où
des sommes gigantesques, dégagées par ces TTF, seraient consacrées à des besoins criants,
en particulier sanitaires et environnementaux…
e-Certains auteurs proposent « une utopie utile »qui encore au-delà des remèdes partiels et
des marchés financiers . « L’outil idéal serait un impôt mondial et progressif sur le capital
accompagné d’une très grande transparence financière internationale. Une telle institution
permettrait d’éviter une spirale inégalitaire sans fin et de réguler efficacement l’inquiétante
dynamique de la concentration mondiale des patrimoines. » (Thomas Piketty, Le capital au
XXIe siècle, Editions du Seuil, 2013, p.835
En tous les cas, ne l’oublions pas, si les liens entre des Etats, des firmes multinationales et les
marchés financiers contribuent à transformer l’ensemble en géants , ne s’agit-il pas, aussi, de
géants aux pieds d’argile dans la mesure où, en fin de compte, des logiques terricides et
humanicides sont à l’oeuvre ?
E- Le respect des fins : des êtres humains et des peuples libres, debout, solidaires
1- Il s’agit de consacrer, encore mieux et à tous les niveaux géographiques, les trois
générations de droits humains : les droits civils et politiques (libertés), les droits
économiques sociaux et culturels (égalités), le droit à l’environnement, le droit au
développement et le droit à la paix (solidarités).Les droits de l’homme s’appuient sur les
droits des peuples et réciproquement.
2– Il s’agit de préparer la consécration d’une quatrième génération de droits, ceux des
personnes par rapport à la techno science, par exemple l’interdiction de recherches sur les
armes de destruction massive comme portant atteinte à la dignité humaine, par exemple les
droits des personnes par rapport aux robots…Cette quatrième génération a commencé à voir
le jour dans le domaine de la biologie, par exemple à travers la Déclaration( texte donc non
contraignant) universelle sur le génome humain et les droits de l’homme(11-11-1997) .
3- Il s’agit bien sûr, aussi et surtout, de mettre en oeuvre ces générations de droits, de
les faire vivre. Résister c’est dire non à l’inacceptable, à toutes les formes d’atteintes à la
dignité humaine.
Les rôles des juges, des ONG, des réseaux, des citoyen(ne)s, certes différents, sont ici
essentiels. Ainsi le droit à l’environnement est indirectement appliqué par de plus en plus de
tribunaux qui obligent des Etats à respecter leurs engagements internationaux de mise en
oeuvre de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
F-Le respect des fins : une nouvelle prise en compte, celle de l’humanité.
1- Voici l’arrivée dramatiquement trop lente de l’humanité dans l’ensemble des
droits. Les droits de l’homme et les droits des peuples doivent s’appuyer sur ceux de
l’humanité et réciproquement.(voir si besoin sur ce blog de nombreux articles écrits sur
l’humanité)
L’humanité deviendra une forme de garantie (encore faible) de la survie de tous. Un
juriste, René Jean Dupuy, écrivait : « Passer de l’homme aux groupes familial, régional,
national, international résulte d’une progression quantitative. Accéder à l’Humanité‚ suppose
un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi, l’humanité doit, elle-même, jouir de droits faute
de quoi les hommes perdraient les leurs. »
2- Quelle est la situation du droit international en vigueur ?
L’humanité est entrée dans le droit international public par la porte du drame puis celle de la
possession.
a-D’abord les crimes contre l’humanité. Après les crimes nazis le Tribunal militaire
international de Nuremberg a consacré dans le droit positif cette définition reprise et
développée par l’article 7 paragraphe 1 du Statut de 1998 de la Cour pénale internationale.
«On entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est
commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute
population civile, et suivent onze crimes contre l’humanité (extermination, réduction en
esclavage, déportation, la 11ème qualification est celle des « Autres actes inhumains de
caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves
à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
b- Voilà ensuite, toujours en droit international public, le patrimoine commun de
l’humanité (PCH) qui est consacré en droit positif. Le PCH au sens propre est celui
d’éléments qui appartiennent juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins, de la
Lune , des autres corps célestes, et du génome humain .Beaucoup d’auteurs s’arrêtent là et
n’ont pas une vue d’ensemble d’autres formes qui se rattachent au PCH. En effet le PCH au
sens large comprend aussi des éléments constitués par des espaces internationalisés qui
doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra
atmosphérique et de l’Antarctique. Vient ensuite le PCH au sens plus large, c’est la
Convention sur le Patrimoine mondial conclue dans le cadre de l’UNESCO, patrimoine
constitué par certains biens naturels (à ce jour 197) et culturels(802) ou mixtes (32), qui
restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de
l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.
c-Avec les crimes contre l’humanité et le PCH il faut ajouter le droit humanitaire qui
repose surtout sur les quatre conventions de Genève de 1949, par exemple celle sur la
protection des populations civiles pendant les conflits armés. L’humanité est là puisque l’on
fait référence à tout le genre humain sans discrimination.
d-Il faut ajouter enfin le droit international de l’environnement dans lequel les
générations présentes et futures sont souvent consacrées dans des déclarations et des
conventions internationales ou régionales.
3- L’arrivée des droits et des devoirs relatifs à l’humanité
a-En premier lieu dans quels textes trouve-t-on ces droits ? Dans des conventions mais
elles sont rares, ainsi par exemple dans la Convention de Bonn de 1979 sur la conservation
des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, un préambule affirme que « Chaque
génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures et a la
mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage
soit fait avec prudence. » Existent également quelques déclarations comme celle de
Stockholm de 1972 sur l’environnement qui en appelle à « l’homme » et à son « devoir
solennel de préserver et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et
futures »,la Déclaration de l’UNESCO de 1997 sur « les responsabilités des générations
présentes envers les générations futures », de façon globale le projet de « Déclaration
universelle des droits de l’humanité » de décembre 2015 (écriture à laquelle j’ai eu la joie de
participer) et qui sera peut-être un jour modifiée et adoptée par l’Assemblée générale des
Nations Unies .
b-En deuxième lieu quel est le contenu des droits et des devoirs, qui sont donc en
gestation, et que l’on trouve dans cette dernière déclaration ? Le droit à la nondiscrimination
générationnelle qui exige que les activités ou mesures entreprises par les
générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction
excessive des ressources et des choix pour les générations futures. Et puis suivent quatre
autres droits : à la démocratie, à la justice, à l’environnement, à la paix. Quant
aux devoirs les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de
l’humanité. Elles sont aussi garantes des ressources écologiques et du patrimoine commun.
Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout
mettre en oeuvre pour préserver les équilibres climatiques, et élaborer un statut international
des déplacés environnementaux. Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès
scientifique et technique vers la préservation de la santé de l’espèce humaine et des autres
espèces. Les Etats et les acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme dans
leurs décisions.
4- Quel droit en gestation imaginer et adopter ?
a-D’abord l’humanité ne devrait-elle pas avoir la personnalité juridique pour défendre
ses droits ? Le fait aussi que l’humanité et le vivant soient côte à côte dans cette défense
serait symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe.
b-Ensuite la représentation est une difficulté connue, on est dans le droit prospectif, dans
l’imagination juridique. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c’est-à-dire les
humains qui existent (c’est déjà difficile) et aussi ceux qui n’existent plus et ceux qui
n’existent pas encore ? Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question
de la représentation. En effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds
marins ? Les Etats ont répondu par un tour de passe passe. Humanité es-tu là ? Pas de
réponse. Il est donc logique que nous, Etats à travers l’Autorité des fonds marins, nous
décidions à la place de l’humanité irreprésentable. Lorsqu’un jour il sera question de
représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée générale des Etats de la future
Organisation mondiale de l’environnement(OME), suffise à le faire. Il sera souhaitable
qu’interviennent aussi des acteurs autres que les Etats, par exemple des ONG, des gardiens de
l’humanité…Votre imagination juridique fera le reste.
c-Enfin quelles juridictions ? L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au
nom de l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale, une
juridiction spécifique sera peut-être créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME).
En attendant cela des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux
blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, en particulier sur la justice
climatique, qui participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé en Equateur en
octobre 2012 , un « tribunal pour les crimes contre la nature et contre le futur de
l’humanité », des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont
éthiques, morales.
Enfin des ONG et des citoyens, par exemple aux Pays-Bas en 2015, ont fait condamner par
un tribunal cet Etat qui ne respectait pas ses engagements de réduction de gaz à effet de serre,
cela au nom des générations présentes et futures. D’autres condamnations sont en route dans
d’autres pays.
Ce moyen juridique est en route pour trouver les moyens de condamner des complexes
industriels pour absence de remise en cause d’émissions de gaz à effet de serre. Demain se
développeront les premières attaques juridiques de paradis fiscaux allant dans le même sens.
Tel est ce principe des moyens conformes aux fins mises en avant. Dès lors nous pouvons
souligner le second fondement de ces moyens pour un monde viable .
II-Un choix vital anti productiviste : la détermination de limites des activités humaines.
Nous constatons que des philosophes, des économistes, des sociologues, des anthropologues
et d’autres auteurs analysent de façon radicale le système qu’ils qualifient selon les cas de
capitaliste, de néo libéral, de technoscientiste, ou de productiviste, système qui a étendu son
emprise sur la Terre.
Chaque auteur le fait dans la cadre de sa pensée générale et en insistant sur tel et tel élément
mais ce point commun saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre.
Nombreux ont été ces auteurs, ainsi Claude Levi Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy
Debord , Bernard Charbonneau, Edgar Morin, Herbert Marcuse, André Gorz,
Cornelius Castoriadis , François Partant, René Dumont, Théodore Monod, Jean
Rostand, Kostas Axelos, Paul Virilio, Serge Latouche…
Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits :
d’une part le système productiviste est lancé dans une course en avant autodestructrice, il
faut donc être en rupture globale avec ce système,
d’autre part une croissance illimitée sur une planète limitée nous amène vers une
gigantesque collision entre l’environnement et les activités humaines.
Il faut donc « retrouver le sens de la limite »(expression de l’introduction de
l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection Frankenstein,2013).
C’est donc la dénonciation de la fuite en avant(A), c’est également l’élaboration d’un concept
porteur de principes (B).
A-La dénonciation de la fuite en avant
1-Les logiques de la fuite en avant
Ces logiques s’appellent : la recherche effrénée du profit, la course à la marchandisation du
monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions humanicides et terricides, la
croissance sacro-sainte, la vitesse facteur de répartition de richesses et de pouvoirs, la
dictature du court terme, le vertige de la puissance, la compétition élevée au rang d’impératif
naturel de nos sociétés, l’accélération d’un système porteur d’une crise du temps.
Et puis, à travers une explosion démographique mondiale qui continue, cette fuite en avant est
aussi celle d’une machine à gagner fonctionnant comme une lame qui met d’un côté ceux et
celles dont les besoins fondamentaux sont plus ou moins satisfaits et de l’autre ceux et celles,
de très loin les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.
2- Des dénis, des mensonges et des silences accompagnent cette fuite en avant
Il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de nombreux dénis personnels et
collectifs de la réalité : on pense que la catastrophe ne se produira pas ou qu’on y échappera.
(Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Le Seuil, 2002.)
Il n’est pas étonnant non plus que cette fuite en avant s’accompagne de silences et de
mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle catastrophe écologique, ou même sur
l’existence de certaines d’entre elles que l’on espère garder dans les secrets de la planète et
qui peuvent constituer autant de bombes à retardement.
3- Pour une pédagogie de compréhension et de dénonciation des impasses
Face à cette fuite en avant doivent exister des limites nécessaires, voila donc une pédagogie
des impasses.
Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de
limites ?
Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la croissance
indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. »
Cornelius Castoriadis en appelait à nous défaire des « fantasmes de l’expansion illimitée.» (
voir C. Castoriadis, La Montée de l’insignifiance, les carrefours du labyrinthe (IV), Seuil,
1996 ;
Voir également : J. Ellul, Le Bluff technologique, Hachette, 1988 ; A. Gorz, Écologica,
Galilée, 2008 ; S. Latouche, Survivre au développement, Mille et une nuits, 2004 ; E. Morin,
Pour une politique de civilisation, Arlea, 2002.)
B- Les limites au sein des activités humaines : un concept porteur de principes
Ce concept de limites ne se traduit-il pas par au moins quatre principes que l’on retrouve par
exemple en droit international de l’environnement? (Voir notre ouvrage de DIE, éditions
Ellipses).
De façon plus globale on retrouve les trois premiers principes dans la remarquable « Plateforme
pour un monde responsable et solidaire », publiée par le Monde diplomatique
d’avril 1994, qui est à la fois « un état des lieux des dysfonctionnements de la planète et une
mise en avant de principes d’action pour garantir un avenir digne au genre humain », plateforme
portée par la Fondation pour le progrès de l’homme, plate-forme qui devrait être
symboliquement affichée sur beaucoup de portes de beaucoup d’universités dans le monde,
étudiée et débattue dans de nombreux cours.
Le quatrième principe est en gestation, ce principe de non régression est porté en particulier
par l’UICN, le vice-président de la commission juridique, Michel Prieur, est l’inspirateur de
ce principe.
1-Le principe de précaution selon lequel les sociétés humaines ne doivent mettre en oeuvre
de nouveaux projets, produits et techniques, comportant des risques graves ou irréversibles,
qu’une fois acquise la capacité de maitriser ou d’éliminer ces risques pour le présent et le
futur.
2-Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des
gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à
bruler moins d’énergie, à maitriser leurs besoins pour adopter des pratiques de frugalité, de
simplicité, de décroissance. Andre Gorz écrivait : « Il est impossible d’éviter la catastrophe
climatique sans rompre radicalement avec les logiques qui y conduisent depuis cent cinquante
ans. »
3- Le principe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des modes de
production et de consommation sans prélèvements, sans déchets et sans rejets susceptibles de
porter atteinte à l’environnement. D’où l’existence de ces luttes pour développer des
technologies propres, des énergies renouvelables et pour consacrer des éléments de
l’environnement, comme par exemple l’eau, comme biens publics mondiaux (BPM) ou
comme éléments du patrimoine commun de l’humanité(PCH).
4-Enfin le principe de non régression. Sauvegarde signifie aussi que lorsqu’une avancée
décisive, sur un point de protection importante, a été acquise, un verrou juridique doit être
alors posé. Un exemple significatif est celui du Protocole de Madrid sur l’Antarctique (1991)
qui interdit les recherches minérales pour cinquante ans. On ne doit pas revenir en arrière dans
la protection. C’est donc ce que l’on nomme le principe de non régression. La nécessité vitale
de réduire les atteintes à l’environnement ne peut que contribuer à convaincre les législateurs,
les juges et la société civile d’agir en vue de renforcer la protection des acquis
environnementaux au moyen de la consécration de ce principe de non régression. ( Voir sous
la direction de Michel Prieur et Gonzalo Sozzo, « La non régression en droit de
l’environnement », Bruylant , 2012).
Prendre en compte des théories et des pratiques de décroissance et de post-croissance à
travers une économie soutenable (s’éloignant du culte de la croissance, s’attaquant aux
inégalités criantes à tous les niveaux géographiques, et désarmant le pouvoir financier ainsi
que… la course aux armements), à travers le principe de modération de ceux et celles qui, pris
dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur consommation,
leur mode de vie, à bruler moins d’énergie pour adopter des pratiques de frugalité, de
simplicité. Essentielles sont aussi des relocalisations d’activités, des circuits courts, des
richesses redistribuées. Essentielle également cette ennemi redoutable : la compétition, remise
en cause par la consécration de biens communs (eau, forêts…), par des coopérations, des
solidarités , par l’appartenance à notre commune humanité , par des périls communs qui
devraient nous fraterniser.
III- Deux choix anti productivistes : la recherche de l’unité de l’espèce humaine et le
respect des diversités.
Il faut rechercher inlassablement l’unité de l’espèce humaine, c’est cette unité qui nous
relie(A) et ne faut-il pas respecter les diversités, ce sont elles qui nous enrichissent (B ).
A-Rechercher l’unité de l’espèce humaine
Piller la planète, échanger des terreurs, créer des injustices, étouffer des libertés : n’avonsnous
pas mieux à faire ?
Remettre en cause la surconsommation quand elle existe, prévenir et gérer pacifiquement les
conflits, préserver et développer des égalités, des libertés, des solidarités : autant de remises
en cause porteuses pour les uns et les autres.
Oui « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » (Albert Einstein), oui « Il nous faut
apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous périrons ensemble comme des
imbéciles » (Martin Luther King).
Le « vivre ensemble » c’est l’intérêt commun de l’humanité qui a pour fondements la
démocratie, la justice, la paix, la protection de l’environnement.
B- Respecter le respect des diversités.
Il s’agit ici des rapports entre une unité donnée et des diversités.
En premier lieu une unité donnée, par exemple un pays, ne doit pas éliminer les différences,
il faut prévenir et dénoncer ces pratiques de domination, ces regards de capture qui
débouchent souvent sur des drames épouvantables.
En second lieu une unité donnée ne doit pas exacerber les différences, ce regard est lui aussi
destructeur à travers la formation des ghettos, le repli identitaire peut se traduire par des
pratiques inhumaines.
En troisième lieu le fait d’effacer les différences n’est-il pas plus ou moins dommageable ?
Ce regard d’assimilation consiste à dire que l’autre est notre égal parce qu’il devient comme
nous.
En quatrième lieu se situe le regard d’ouverture, il repose sur le respect des différences, c’est
le regard d’intégration. On reconnaît des similitudes et des différences, c’est le grand
principe de non-discrimination. Ce respect de la diversité des personnes dans les différents
lieux doit se manifester par exemple du point de vue culturel.
Ainsi dans chaque village, ville, pays, continent et pour la Terre entière ne faut-il pas lutter
pour consacrer, protéger ces unités et ces différences, construire peu à peu un sens du
« vivre ensemble ».
IV- Un respect de principes anti productivistes à chaque niveau d’action, du local au
global.
A-Deux pensées inspiratrices
Mais comment articuler ces différents lieux ? En consacrant et en mettant en oeuvre les
principes énumérés ci-dessus, et en s’inspirant par exemple d’un Charles de Montesquieu
(1689-1755) , penseur politique, philosophe, et d’un René-Jean Dupuy(1918-1997), juriste
internationaliste, dont les pensées sont sur ce point rapportées ci dessous.
Une vision est exprimée à travers une magnifique citation de Montesquieu : « Si je savais
quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de
mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma
patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût
préjudiciable à l’Europe et au genre humain, je le regarderais comme un crime »
.(Oeuvres complètes, Garnier ,1879,tome septième, Pensées diverses, page 158.)
Cette réflexion se retrouve d’une autre façon sous la plume d’un internationaliste, René-Jean
Dupuy, qui écrivait « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national,
international résulte d’une progression quantitative. Accéder à l’humanité suppose un
saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi elle doit, elle-même, avoir des droits faute de
quoi les hommes perdraient les leurs » (La clôture du système international, puf,
1989).L’humanité est conçue ici comme contribuant à être la garante de la survie de tous.
B-Quels principes à respecter par chaque unité géographique ?
Quelle énumération de principes essentiels pourrait-on penser et mettre en oeuvre pour
chaque lieu donné, du local au global?
1-Une plate-forme remarquable, dont nous nous inspirons, a été publiée dans Le Monde
diplomatique (avril 1994, pages 16 et 17) intitulée « Pour un monde solidaire et
responsable », elle est fondée sur « les éléments de diagnostic, les principes communs,
l’esquisse d’une stratégie d’action en particulier sur l’articulation des niveaux géographiques
et sur des programmes mobilisateurs. » Cette plate-forme met en avant les principes suivants :
2-Le principe d’humanité c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vie digne répondant aux
besoins essentiels, le principe de responsabilité des divers acteurs dans la construction des
sociétés, le principe de diversité par exemple des cultures, le principe de précaution qui
consiste à ne mettre en oeuvre de nouveaux produits et de nouvelles techniques que si des
risques graves ou irréversibles n’existent pas, le principe de modération qui consiste pour les
plus aisés à limiter leur consommation, à apprendre la frugalité.
3-Il faut enfin souligner le principe de subsidiarité qui consiste, pour chaque collectivité, à
respecter les principes évoqués ci-dessus. Cette forme d’organisation des volontés consiste
dans chaque lieu à prendre des initiatives et à disposer de marges de manoeuvres quant aux
moyens qui seront mis en oeuvre, cela à travers des rapports de force complexes, à partir aussi
des divers ordres juridiques.
4- Les acteurs aux différents niveaux géographiques (Techno-science, marché mondial,
marchés financiers, firmes géantes, Etats, organisations internationales et régionales, ONG et
associations, collectivités locales, entreprises, universités, peuples, générations présentes …)
ont des parts très variables de reproductions et de ruptures (remises en cause) par
rapport à ces bonheurs et à ces malheurs.
Chaque personne a aussi, à une petite échelle, de façons très très très variables, des
parts de reproductions d’injustices, de destructions de l’environnement, de violences,
d’actes non démocratiques,
Chaque personne a également, de façons très très très variables, des parts de ruptures
ou de tentatives de ruptures à travers des actes justes, écologiques, pacifiques,
démocratiques.
Ainsi ne peut-on pas penser que chaque acteur, que chaque lieu, du plus petit au plus grand, a
ses parts de reproductions, d’entre-deux et de ruptures ? Par exemple l’empreinte écologique
de telle ville, de tel pays s’améliore-t-elle ou s’aggrave-t-elle ?
5-Bien entendu les responsabilités d’une firme multinationale qui, par exemple, pollue
massivement, ne sont pas comparables à une participation individuelle aux émissions de gaz à
effet de serre, pourtant toutes les remises en causes sont nécessaires même si celles de la
multinationale ont un poids qui est incomparablement plus lourd que celles d’une personne.
Une fois de plus le « Penser globalement et agir localement » est bien présent, il signifie
penser à la Terre et agir dans mon village ou ma ville. Mais la réciproque est vraie : penser
localement et agir globalement, ainsi par exemple si je ne souhaite pas dans mon quartier telle
pollution il ne s’agit pas pour autant de la rejeter plus loin mais de participer à une remise en
cause plus radicale de cette atteinte à l’environnement.
Cette responsabilité on la retrouve également comme horizon. Voulons-nous demain des
petits-enfants sujets de leurs propres vies ou objets de la vie de quelques générations qui
n’auront pas su prendre leurs responsabilités ?
Nous sommes là dans cette utopie concrète qui nous appelle à penser et à construire des
projets sur le réel aux différents niveaux géographiques, dans les différents lieux de vie, dans
les divers ordres juridiques.
V- La globalité et la radicalité de ces moyens viables.
A-La globalité des moyens pour un monde viable
Qu’est-ce en général qu’une analyse globale ? Elle repose sur le refus d’un discours en vase
clos, elle veut contextualiser des connaissances, ne pas perdre le sens des ensembles, regarder
d’un certain nombre de points de vue, apprivoiser la complexité. « Penser c’est dialoguer avec
l’incertitude et la complexité » (Edgar Morin).
-Cette globalité doit ici se déployer comment ?
1-En premier lieu cette globalité doit viser le court, le moyen et le long termes.
Face au court terme omniprésent répondre certes aux urgences mais construire aussi le long
terme…Autrement dit il faut répondre et aux fins de mois et aux fins du monde.
2-En second lieu cette globalité doit viser l’ensemble des activités humaines.
Les grands domaines que sont la démocratie, la justice, l’environnement, la paix
correspondent à des valeurs essentielles que sont les libertés, les égalités , les solidarités.
Ces mêmes grands domaines correspondent aux générations de droits de l’homme, des
peuples et de l’humanité, droits civils et politiques, droits économiques sociaux et culturels,
droit au développement, à la paix, à l’environnement. Ainsi sont couvertes l’ensemble des
activités humaines.
3–En troisième lieu cette globalité doit prendre en compte les nombreuses interactions
En effet ces quatre domaines sont interdépendants pour le pire, pour l’entre deux, pour le
meilleur.
Ainsi des mécanismes produisant des injustices constituent des violences.
Ainsi des contre-mécanismes porteurs de justice peuvent être ensuite porteurs d’éléments
pacifiques.
Ainsi, par exemple, les interactions entre la dégradation de l’environnement et les guerres qui
sont destructrices de l’environnement, mais la réciproque est moins connue : une gestion
injuste et anti écologique de l’environnement peut contribuer à des conflits voire à des conflits
armés. L’environnement a besoin de la paix et la paix a besoin de l’environnement.
Ainsi par exemple les interactions entre les inégalités environnementales et les inégalités
dans les autres domaines. Par exemple la « justice climatique » est aussi impérative que
complexe, elle traverse les rapports entre les pays du Nord et du Sud, entre les pays du Sud et
les pays émergents, entre l’ensemble des pays et les pays les moins avancés ainsi que les iles
menacées par la montée des eaux.
Les interactions sont multiples dans chaque domaine et entre les domaines. Les problèmes de
coordinations de tels moyens seront massifs mais moins gigantesques…que les séries de
drames et de menaces liés au productivisme
Les interactions entre des éléments de l’environnement sont elles aussi multiples.
Depuis longtemps on sait que les éléments de l’environnement sont interdépendants, que des
pollutions peuvent passer d’un milieu dans un autre, peuvent traverser des frontières, on sait
que des catastrophes peuvent avoir des effets plus ou moins étendus. Cependant on ne
connait pas toujours la nature précise des interactions entre les phénomènes de dégradation de
l’environnement.
De plus en plus de scientifiques pensent que les interactions entre les changements
climatiques et d’autres problèmes menaces et drames environnementaux pourraient être
lourdes de conséquences.
Ainsi des interactions entre les changements climatiques et le déplacement de courants
océaniques, entre les changements climatiques et l’extinction des espèces, entre les
changements climatiques et la couche d’ozone.
Ainsi la fonte des glaciers a désormais pour effet la montée du niveau des mers.
Ainsi l’accélération des fontes de l’Arctique et maintenant de l’Antarctique agissent aussi
sur ce niveau des océans, sur la circulation de l’océan global, sur les évènements climatiques
extrêmes…
Ainsi l’urbanisation galopante, la déforestation, la destruction des sols, l’utilisation des
pesticides créent des perturbations environnementales, la nature a de moins en moins de
place …La biodiversité permettait une certaine régulation de maladies infectieuses. Son
effondrement , à travers la faune et la flore dont les espèces sont décimées, contribue à
produire de nouvelles épidémies, et de nombreux chercheurs pensent que le réchauffement
climatique serait porteur de futures épidémies.
4-En quatrième lieu cette globalité envisagée ici, dans cette analyse, a-t-elle des
originalités ?
Première originalité : beaucoup d’auteurs et d’organisations proposent des moyens de
changer le monde. Ils envisagent à juste titre l ’environnement , la justice, la démocratie.
Mais la paix est le plus souvent soit absente soit abordée très partiellement. C’est une lacune
catastrophique et en elle-même et par rapport aux autres domaines.
Seconde originalité : nous n’hésiterons pas à souligner des moyens connus mais aussi
inconnus (tel que le premier cité par rapport à la paix),
Troisième originalité : des moyens difficiles à mettre en oeuvre (aucun n’est ou ne sera
facile) mais aussi extrêmement difficiles, qui paraissent insurmontables. Et pourtant le mur
de Berlin est tombé. « L’utopie ou la mort » , cet ouvrage de René Dumont en 1973 montre
magnifiquement ce qu’est l’utopie créatrice.
Et aujourd’hui en 2020 on peut affirmer que mettre perpétuellement en avant et avoir à la
bouche le terrible « soyons réalistes, restons réalistes » c’est en fait, malgré soi ou avec soi,
être probablement fermé sur des mécanismes de mort, c’est refuser les paris d’autres
possibles, c’est étouffer l’audace, c’est pactiser avec l’indifférence, être paralysé par la
peur de ne rien pouvoir faire et ne rien faire, c’est enfin et surtout se laisser glisser sur la
pente la plus forte : celle d’un système porteur de souffrances et de drames
B- La radicalité des moyens pour un monde viable
Il y a et doit y avoir des résistances modérées et d’autres radicales , il y a et doit y avoir des
résistances en amont et d’autres en aval.
1 -Les résistances modérées et radicales face au productivisme.
-Globalement, que ce soit au niveau personnel ou collectif, il y a trois théories er
pratiques essentielles. Les uns se prononcent pour le système qui existe c’est-à-dire le
développement productiviste, quitte même à en accentuer des caractères tels que ceux de la
compétitivité et de l’irresponsabilité, ils ne « résistent pas » à un système qui leur est
profitable. D’autres se prononcent pour le développement durable c’est-à-dire prenant en
compte des éléments sociaux et environnementaux, ils résistent modérément à tel ou tel aspect
du productivisme. Enfin d’autres se prononcent pour une société humainement viable c’est-àdire
pour une mondialisation solidaire et responsable, ils pensent et mettent en oeuvre des
résistances plus ou moins radicales.
-Des résistances sont plus ou moins modérées par rapport à une situation donnée, c’est-àdire
que les critiques, les actions, les propositions vont dans le sens de modifications
secondaires et de réformes. On fait ces choix liés par exemple à la vision d’un changement
réformiste, de rapports de forces, de stratégies. On pense parfois qu’une lézarde en amènera
d’autres qui finiront un jour par abattre l’édifice.
-Des résistances sont plus ou moins radicales par rapport à une situation donnée ou une
situation plus globale, c’est-à-dire que l’on veut remonter vers l’amont, vers des causes et ne
pas seulement avaliser, gérer. On veut prendre les choses à la racine, changer des structures.
(Voir Radicalite ,20 penseurs vraiment critiques, Editions L’Echappée, 2013 ). Les critiques,
les actions, les propositions vont dans le sens de remises en cause, de réformes profondes, de
ruptures. On fait ces choix liés par exemple à la vision de changements révolutionnaires, de
contestation radicale d’un système capitaliste ou productiviste, d’injustices inacceptables…
Dans la pratique, par exemple celle de la protection de l’environnement, on constate, ce qui
est d’une logique impressionnante, que plus l’on repousse des ruptures nécessaires, plus
les remises en cause devront devenir radicales et massives.
-Le mouvement altermondialiste est un des exemples les plus vastes d’une variété de
mouvements sociaux qui vont des modérés jusqu’aux radicaux. Composé d’ONG, de
syndicats, de mouvements citoyens, sans se transformer en parti politique, l’ensemble des
éléments du mouvement essaie de devenir des levains réformistes et radicaux dans les pâtes
des lieux où ils se trouvent.
Nous avons mis symboliquement en tête à chaque fois un moyen qui nous semble
particulièrement radical par rapport au système productiviste et çà n’est pas un hasard
si ces cinq moyens sont très critiqués par certains.
Ainsi pour leurs pourfendeurs
-Le revenu universel d’existence est, pour certains, synonyme d’institutionnalisation de la
paresse et d’impossibilité financière de le réaliser.
-L’interdiction des recherches sur les armes de destruction massive est, pour certains,
synonyme d’atteintes à la liberté de la recherche scientifique.
-Le désarmement financier est, pour certains, synonyme de faillite généralisée, d’obstacles
infranchissables.
-Les remises en cause des modes de production de consommation et de transports
écologiquement non viables sont , pour certains, synonymes d’actes suicidaires face à la
compétitivité.
2- Les résistances en amont et en aval face au productivisme.
a-Cette distinction est proche de la précédente, les résistances en amont sont le plus souvent
radicales, les résistances en aval ont souvent quelque chose de plus modéré. Mais la
distinction entre l’amont et l’aval est relativement opérationnelle pour l’ensemble des acteurs.
les résistances en amont sont le plus souvent radicales, les résistances en aval ont souvent
quelque chose de plus modéré. Mais la distinction entre l’amont et l’aval est relativement
opérationnelle pour l’ensemble des acteurs.
-Prenons l’exemple de la protection de l’environnement.
Tous les acteurs locaux nationaux internationaux sont concernés par l’amont et l’aval de cette
protection, les mouvements sociaux se tournent surtout vers l’amont.
Les partis politiques, lorsqu’ils ont un programme environnemental, ont le plus souvent
quelques projets en amont et quelques projets en aval. En ce sens « voter c’est aussi résister »
contre ceux qui par exemple n’ont pas de projets environnementaux ou qui, irresponsables,
embrassent totalement le productivisme.
Les Etats travaillent surtout en aval, mais remonter en amont de la protection est possible et
arrive ici et là sous la pression entre autres des catastrophes (la « pédagogie de la
catastrophe » est loin d’être toujours présente, ainsi les militants antinucléaires luttent pour
essayer d’avancer),du mimétisme d’Etats plus engagés et de textes protecteurs pouvant être
adoptés par une organisation régionale.
Dans ces trois séries de situations les groupes de pression, les lobbies agissent pour protéger
leurs intérêts. Les mouvements sociaux doivent souvent leur faire face, le travail de
journalistes démontant des mécanismes anti-environnementaux est remarquable.
b -On peut examiner pour chaque acteur ses présences et ses absences en amont et en aval,
par exemple par rapport aux principes de protection de l’environnement.
Il y a les principes qui se situent en amont de la dégradation, ceux qui se situent au moment de
la situation critique et de la catastrophe, et ceux qui se situent sur l’ensemble des problèmes,
menaces et drames environnementaux.
Les principes qui ont vocation à se situer en amont de la protection s’appellent : la
réduction et l’élimination des modes de production de consommation et de transports
écologiquement non viables, le principe de méthodes de production propre, une gestion
écologiquement rationnelle, le principe de sobriété et d’usage prudent des ressources
naturelles, l’utilisation équitable d’une ressource partagée, le devoir de tout Etat d’éviter les
dommages causés à l’environnement au-delà des frontières nationales, le principe de
prévention et la surveillance de l’environnement, le principe de prévention et l’évaluation des
activités(études d’impacts) pouvant avoir des effets nocifs sur l’environnement, l’information
et la consultation préalables, le principe de précaution, l’internalisation des coûts écologiques
(c’est-à-dire la responsabilité élargie du producteur) ,le respect des rythmes de l’humanité et
de la nature opposés à l’accélération du système productiviste , la prise en compte du long
terme opposée à la dictature du court terme…
Les principes qui ont vocation à se situer en aval de la protection : la notification
immédiate des situations critiques, la coopération transfrontière en cas d’accident industriel, le
devoir d’assistance écologique, la non-discrimination et l’égalité de traitement des victimes
des pollutions transfrontières, la responsabilité pour dommages causés à l’environnement, la
remise en état de l’environnement (prévu en particulier par le Traité d’interdiction des armes
nucléaires de 2017 quant aux essais nucléaires passés !), le principe pollueur-payeur, le
respect des droits des déplacés environnementaux…
Les principes ayant vocation à se situer dans l’ensemble de la protection : le droit à
l’environnement, l’obligation ou le devoir pour tous les Etats de conserver l’environnement,
la souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles, le principe de biens communs
appartenant à l’humanité qui devrait se développer, le principe de l’intégration de
l’environnement au développement, l’obligation des Etats de résoudre pacifiquement leurs
différends internationaux, le principe des responsabilités communes et différenciées des
Etats(auquel les pays du Sud tiennent tant), l’interdépendance entre la paix le développement
et la protection de l’environnement, le principe de non régression les acquis
environnementaux essentiels (qui doit être consolidé encore) …( sur ces principes voir Jean-
Marc Lavieille, Droit international de l’environnement, Ellipses,3ème édition 2010,voir aussi
4ème Edition début 2018 en collaboration avec Catherine Lebris et Hubert Delzangles).
Le dernier fondement est omniprésent dans le productivisme, donc sa remise en cause devra
être omniprésente.
VI- Les remises en cause des compétitions dans un monde viable
Nous envisagerons tour à tour les fondements de ces remises en cause (A) puis les alternatives
de ces remises en cause (B).
A- Les fondements des remises en cause des compétitions
Au moins trois fondements existent qui en appellent à des remises en cause.
D’abord, et avant tout, est-ce que les périls communs n’exigent pas que soient remises en
cause les compétitions qui en sont, souvent, une des causes ? (1)
Ensuite les compétitions ne sont-elles pas, souvent, des contraires de la fraternité ? Celle-ci
peut-elle leur faire face ? (2) .
Nous justifierons le terme « souvent » de la façon suivante : notre analyse n’est pas
totalisante comme ce serait le cas si nous avions écrit « toujours ».
En effet certaines compétitions peuvent échapper à ces deux incriminations, Ainsi par
exemple une compétition sportive vraiment fraternelle et conforme à la paix, l’environnement,
la justice et la démocratie. Ainsi un traité de commerce respectueux d’avancées réciproques
et contribuant à l‘environnement, la paix, la justice, la démocratie.
1-Les périls communs en appellent à la remise en cause de compétitions
a- Devenir frères, et soeurs bien sûr, n’est-ce pas aussi se
rassembler contre des périls communs ? Ils s’appellent et s’appelleront très certainement
la débâcle écologique,
les armes de destruction massive,
les inégalités criantes,
la toute-puissance de la techno science et des marchés financiers.
Devenir frères face aux périls communs devrait correspondre à l’attitude non violente fondée
sur le respect des personnes, les dénonciations et les remises en cause de mécanismes
antifraternels.
Etre frères sans doute, mais ne faut-il pas aller plus loin? « L’esprit de fraternité »,
consacré par la DUDH, porté par « les êtres humains doués de raison et de conscience » met
en avant le fait que ,comme le soulignent des religions et des philosophies, nous sommes
frères et soeurs par notre condition humaine.
Mais une idée forte n’est-elle pas le fait que l’enjeu est, aussi, que nous devenions frères,
et dans le quotidien et dans les moments importants de nos vies. Or les menaces vitales et les
drames ne font-ils pas aussi de nous des frères? Etre frères? Certainement. Mais le
devenir…n’est-ce pas encore plus porteur?
Jean Rostand, inlassable pourfendeur des armes nucléaires, écrivait magnifiquement, plein
d’espoir et dramatiquement « Nous sommes fraternisés par les périls communs. »
Pourtant rien n’est joué tant il est vrai que, si faire face aux périls peut nous rassembler,
il est non moins vrai des peurs terribles de ces situations apocalyptiques peuvent aussi
exaspérer des tensions, des conflits , des paniques, des compétitions infernales et des
déchirements pour la survie. Comment rester et comment devenir côte à côte?
b- D’autre part ce sont aussi les douleurs de la vie (la fraternité de la douleur) qui peuvent
nous relier en étant à l’écoute des fragilités, celles des autres et les nôtres. Vont dans ce sens
des religions, des cultures, des oeuvres d’art, qui nous disent « çà n’est pas un fardeau que tu
portes, c’est ton frère. » Enfants en détresse sur notre terre : un sur deux aujourd’hui et
combien demain face en particulier à la débâcle écologique ?
c- Et puis ne sommes-nous pas aussi fraternisés par les projets communs ? Etre frères
c’est se rassembler à travers le temps pour préserver le bien commun et pour construire du
commun c’est à dire relier, dans l’espace et dans le temps, le proche et le lointain ? Ces
projets ne sont-ils pas témoignages de fraternité, d’espérance s’ils répondent aux urgences et
s’ils construisent des politiques à long terme ?
2- La fraternité doit contribuer à remettre en cause des compétitions
Mais qu’est-ce que la fraternité ? Un voeu pieux, un souhait vaporeux, un pseudo rempart en
papier face à la puissance des compétitions ?
Ce serait une faute politique, un non-sens éthique, une violation juridique que penser la
mettre de côté. Une valeur, un devoir, un principe ça n’est pas rien si on s’en empare.
Pour peser beaucoup plus la fraternité n’est-elle pas une valeur pour le politique qu’elle peut
contribuer à inspirer ? (a)
N’est-elle pas aussi un devoir pour l’éthique qu’elle peut contribuer à questionner ? (b)
N’est-elle pas enfin un principe pour le juridique qu’elle peut contribuer à organiser? (c)
Ces trois aspects complémentaires ne donnent-ils pas plus de force à la fraternité face en
particulier aux compétitions ?
a- La fraternité, une valeur politique contribuant à remettre en cause des
compétitions
En premier lieu les fraternités ont, entre autres, pour noms reconnaissances, réconciliations,
solidarités, coopérations, concordes, soutiens, compassions, dialogues, dignités…
Les antifraternités ont, entre autres, pour noms hostilités, fabrications de boucs émissaires,
cruautés, racismes, fanatismes, haines… Dans ces théories et ces pratiques les concurrences
sont souvent présentes. Les responsables politiques doivent apaiser les tensions, contribuer à
régler des conflits, et pourtant il n’est pas rare que des antifraternités soient attisées ou
provoquées par le politique au sein de multiples compétitions.
En second lieu qu’en est-il aux regards de la démocratie, de la justice, de la paix, de
l’environnement et aux regards des générations passées et présentes ?
Par rapport à la démocratie voilà des antifraternités antidémocratiques extrêmes tels que les
totalitarismes et les génocides porteurs encore aujourd’hui de traumatismes personnels et
collectifs. Voilà au contraire des fraternités démocratiques qui ont été mises en oeuvre, telles
que des luttes pour le suffrage universel, pour des libérations des femmes dont bénéficient les
générations présentes,
Par rapport à la justice voilà des antifraternités injustes : l’esclavage, la colonisation, le
système mondial productiviste avec ses injustices criantes, voilà des fraternités justes :
l’abolition de l’esclavage, la décolonisation, les luttes pour la construction d’un système
remettant en cause les injustices à tous les niveaux géographiques .
Par rapport à la paix, voilà des antifraternités violentes, destructrices de patrimoines
culturels , des fausses paix déjà enceintes d’une autre guerre , des théories et des pratiques en
appelant aux peurs et aux haines , à la course aux armements, à une mondialisation injuste et
irresponsable. Par rapport à la paix voilà des fraternités pacifiques à travers des patrimoines
culturels qui invitent au vivre-ensemble, de véritables traités de paix ou d’amitié porteurs de
réconciliations, de cultures et de religions ouvertes au dialogue, de politiques tournées vers
un mondialisation solidaire et responsable.
Par rapport à l’environnement voilà des anti fraternités destructrices de l’environnement :
certaines activités humaines depuis l’anthropocène, environ six générations, entrainant des
changements climatiques et un effondrement de la diversité biologique, voilà
des fraternités protectrices de l’environnement : des luttes contre les changements
climatiques, des luttes pour la sauvegarde de la diversité biologique.
En troisième lieu ce qui concerne les générations futures : sont-elles impliquées par la
fraternité transgénérationnelle ?
Elles peuvent être menacées par certains effets incommensurablement longs du
productivisme des générations présentes. Certains effets environnementaux et sanitaires (voire
même financiers) ont tendance à être sans limites dans l’espace et le temps. On détruit la
liberté de choix des générations futures en lançant des mécanismes dont il n’est pas prouvé
qu’elles pourront les maitriser. On est loin d’indiens iroquois qui, par transmission orale
depuis le XIIème siècle et par une Grande loi de paix de 1720, prenaient des décisions « en
tenant compte du bien-être jusqu’à la septième génération. » Théodore Monod disait «Il
faut voir loin et clair ».Là aussi la valeur politique de la fraternité a donc tout son sens.
b- La fraternité, un devoir éthique contribuant à remettre en cause des compétitions
C’est l’appartenance à la famille humaine qui est le fondement éthique essentiel de la
fraternité , celle-ci est synonyme de trois éléments.
En premier lieu la famille humaine est synonyme d’unité et de diversités. Il s’agit
de rechercher l’unité de l’espèce humaine. « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » disait
Einstein. La fraternité ne fait-elle pas de nous des frères et des soeurs en humanité laquelle
serait une forme de Mère ?
Il s’agit également de respecter les diversités. Nous sommes ici dans des pratiques
quotidiennes de fraternités et d’anti fraternités . Ne pas éliminer les différences, ne pas les
exacerber, ne pas les effacer mais les respecter. Loin des dominations, des ghettos, des
assimilations, la fraternité correspond à un regard d’intégration, d’ouverture, elle reconnait
des similitudes et des différences entre les personnes, les peuples, les générations.
En second lieu la famille humaine est synonyme également de lieux interdépendants où
vont se vivre des fraternités dans le temps. Le vivre ensemble se déroule dans nos villages,
nos villes, nos régions qui sont nos terroirs, dans nos pays qui sont nos patries, dans nos
continents qui sont nos matries , sur notre Terre qui est notre foyer de l’humanité. Ces
territoires nous aident à construire nos identités, à nous structurer. Mais ils ne doivent pas se
refermer, devenir des fractures de l’humain, des administrations de peurs de l’autre, des
fabriques de l’ennemi. Ils doivent se découvrir, s’interpeller, se compléter, s’incliner les uns
vers les autres. Voilà Montesquieu citoyen du monde: « Si je savais quelque chose qui fût
utile à ma famille mais qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais
quelque chose utile à ma patrie et à l’Europe mais préjudiciable au genre humain, je le
regarderais comme un crime. »Les lieux de vie, comme les générations, sont donc marqués
par les interdépendances, n’est-ce pas un devoir moral de les construire dans la fraternité ?
En troisième lieu quels sont, au regard de l’éthique, les moyens et les fins de cette
fraternité? D’un point de vue général on peut affirmer que la mondialisation
productiviste contribue à la confusion entre les fins et les moyens. Les fins, c’est-à-dire les
acteurs humains en personnes, en peuples, et en humanité, sont plus ou moins ramenés aux
rangs de moyens. Les moyens, c’est-à-dire surtout la techno science et le marché, deviennent
des fins suprêmes et tendent à occuper toute la place. La fraternité, au sens éthique, en appelle
à une cohérence entre les moyens et les fins. Les fins doivent être respectées, les moyens
doivent être remis à leur place. Dans une formule radicale, restée à ce jour inégalée, Gandhi,
dans cet ouvrage posthume « Tous les hommes sont frères », écrivait « La fin est dans les
moyens comme l’arbre est dans la semence». Cette cohérence signifie que si l’on veut
construire des fraternités il faut des moyens fraternels, c’est-à-dire démocratiques, justes,
écologiques et pacifiques. Après le politique et l’éthique voilà le juridique.
c- La fraternité, un principe juridique contribuant à remettre en cause des
compétitions
En premier lieu soulignons que le Conseil constitutionnel français a très heureusement
reconnu dans une décision du 6 juillet 2018 » la valeur constitutionnelle du principe de
fraternité », cela au même titre que celui de liberté et que celui d’égalité. Désormais sa
jurisprudence pourra y faire référence. Comme l’affirme une association dans l’affaire en
question (« délit de solidarité »), il « crée ainsi une protection des actes de solidarité ». Il est
désormais acquis que chacun a « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans
considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». C’est là une avancée
importante.
En second lieu on peut penser que la spécificité de ce principe repose entre autres sur la
non-discrimination transgénérationnelle, inscrite dans le projet de « Déclaration universelle
des droits de l’humanité » remis par la France au Secrétaire général de l’ONU en 2015 (à la
rédaction de laquelle l’auteur de ce blog avait participé) et qui sera (peut-être ?) un jour
consacrée par les Nations Unies. « Les générations présentes ne devraient entreprendre
aucune activité ni prendre aucune mesure qui auraient pour effet de provoquer ou de perpétuer
une forme de discrimination pour les générations futures », cela au sens bien sûr des Pactes
internationaux des droits de l’homme de 1966, mais aussi au sens des droits-solidarités en
particulier à la paix et à l’environnement.
En troisième lieu cette spécificité du principe repose ensuite sur la protection de
l’environnement et de la santé. D’abord environnement et santé, y compris pour les
générations futures, sont liés comme l’affirme la CIJ en 1997, ensuite comme l’exigent
quelques conventions de droit international de droit de l’environnement « chaque génération
humaine a le devoir de faire en sorte que le legs des ressources de la terre soit préservé et
qu’il en soit fait usage avec prudence ». Enfin, plus globalement, l’impératif de la protection
de l’environnement repose sur la vie de l’humanité et de l’ensemble du vivant, donc, comme
l’affirmait un juriste canadien Charles Gonthier « sur la fraternité dans ses dimensions
universelle et temporelle. »
En quatrième lieu non seulement ce principe a une certaine spécificité mais ses
interdépendances existent avec d’autres principes qui, eux aussi, se
transgénérationnalisent. Ainsi le principe des responsabilités des générations présentes
envers les générations futures, consacré dans la Déclaration de l’UNESCO de 1997,le
principe de solidarité par exemple sous la forme de l’assistance écologique qui est un devoir
de la communauté internationale consacré par la Déclaration de Rio de 1992 , le principe de
non régression selon lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une
amélioration constante , le principe de dignité de l’humanité qui implique la satisfaction des
besoins fondamentaux ainsi que la protection des droits intangibles.
A cela s’ajoute la proximité du principe de fraternité transgénérationnelle avec un
concept transgénérationnel qui exige que des limites soient fixées aux activités humaines
concept qui est à base d’ autolimitation et de contrainte, concept sur lequel se greffent les
principes de précaution, de sobriété, de coopération et d’autres à venir. Voilà pour le contenu,
En cinquième lieu la mise en oeuvre de ce principe doit se traduire par des interdictions à
consacrer.. Quelles interdictions ? Constitueraient des crimes écologiques contre les
générations présentes et futures et contre le vivant, des mécanismes ayant des effets sanitaires
et environnementaux sans limites dans l’espace et dans le temps, ainsi les recherches sur
les armes de destruction massive, ainsi l’enfouissement irréversible des déchets radioactifs.
En sixième lieu enfin évoquons à travers des fonctions essentielles, une simple énumération
de quelques institutions, existantes ou nouvelles, porteuses de fraternité
transgénérationnelle.
Fonctions de vigilance et d’anticipation, par exemple des gardiens et des Conseils pour les
générations futures, des Assemblées législatives du long terme.
Fonctions de représentation, par exemple l’humanité aurait la personnalité juridique ,
l’Organisation mondiale de l’environnement pourrait la représenter .
Fonctions de sanction , par exemple de tribunaux nationaux (c’est le début d’un processus
d’avenir ) condamnant des Etats à respecter leurs engagements de réduction des gaz à effet de
serre, également le tribunal déjà créé en 2012 « des crimes contre la nature et contre le futur
de l’humanité », la création un jour d’une Cour mondiale de l’environnement.
Englobant cet ensemble le voilà, l’esprit de fraternité, consacré par la DUDH, porté par
« les êtres humains doués de raison et de conscience », il doit souffler sur notre terre à
travers les temps, il peut briser des solitudes, changer des destins, qualifier des vies. Il doit
faire, de tous envers tous, des tisseurs et des passeurs de fraternités.
B- Les alternatives aux compétitions
Les alternatives générales relatives aux moyens que nous mettrons en avant dans la 3ème
partie vont avoir pour effet d’apaiser certaines compétitions, d’en faire disparaitre d’autres.
Réciproquement l’apaisement ou l’effacement de certaines compétitions pourront favoriser
l’avènement de différents moyens.
Nous soulignerons des alternatives relatives aux violences qui ont un rôle à jouer(1) puis des
alternatives plus spécifiques aux compétitions (2).
1-Alternatives contribuant à remettre en cause des violences et donc agissant sur des
compétitions
a- Face à chaque cause économique :
Face à la propriété : développer la notion et les pratiques de biens communs et celles de
patrimoine commun de l’humanité.
Face à la propriété privée des moyens de production : partager les avoirs et les pouvoirs.
Face à la rareté : répartir les richesses et faire un usage prudent des richesses naturelles.
Face aux injustices : supprimer les inégalités les plus criantes. Cette violence structurelle est
parmi les plus massives, il faut la remettre en cause par un partage équitable des fruits des
sociétés locales, nationales, régionales et de la société internationale.
Les puissants ne partagent que rarement d’eux-mêmes, ils arrivent à le faire si des intérêts
communs deviennent criants, de type écologique par exemple.
Mais la plupart du temps les partages sont les fruits de rapports de forces entre les dominants
et les dominés d’un lieu donné à un moment donné .Ainsi seront les remises en cause des
paradis fiscaux, des évasions fiscales, les créations de taxations de change, d’impôts sur le
capital, sur les firmes multinationales, ainsi sera la remise en cause de la place du conducteur
occupée par les marchés financiers, ainsi sera la remise en cause de la toute-puissance de la
techno science alors au service du vivant …
Face aux compétitions : mettre en route et développer des solidarités, des coopérations, des
contrats mondiaux, des biens communs…
b-Face aux autres causes des violences :
Face à l’agressivité acquise : ne pas surestimer l’influence des gènes et transformer une
socio culture compétitive et agressive en socio culture de coopérations , de causes
communes, de vivre ensemble, de fraternité.
Face à la soumission à l’autorité : apprendre l’esprit critique, construire son autonomie,
construire une participation égale des citoyen(ne)s aux prises de décision dans leur pays.
Face à un mécanisme de transgression du sacré : créer et développer des fêtes qui aient un
sens, autant de moments de fraternité sous de multiples formes.
Face au désir mimétique et au sacrifice du bouc émissaire : lutter contre les inégalités,
refuser les slogans de haine, découvrir et faire découvrir les responsabilités personnelles et
collectives, promouvoir les chances et les bienfaits du « vivre ensemble ».
Face au consentement à la violence : créer et développer des associations et des ONG
porteuses d’éducation à la non-violence en particulier à la désobéissance civile devant des
injustices, et porteuses d’actions de solidarités dans l’urgence et le long terme.
Face à la spirale du ressentiment et de la colère : pour éviter que naissent les haines lutter
contre les inégalités, respecter les différences, organiser les intégrations, rétablir des
dialogues, faire en sorte que les circuits financiers de ces haines soient asséchés et que la
coopération s’intensifie en matière de renseignement et de justice, mettre en avant les
bienfaits du « vivre ensemble » .
Face à la paranoïa et à la dépression collectives : apprendre à apprivoiser et à respecter les
différences, mettre en avant projets communs sous-régionaux, régionaux, intercontinentaux
pacifiques, vastes et à long terme.
Face à des idées dont l’usage peut être meurtrier : bien comprendre et faire comprendre de la
maternelle à l’université, dans les médias, dans différentes administrations et entreprises que,
pour chaque être humain, son village, sa ville, sa région c’est son terroir, son pays c’est sa
patrie, son continent c’est sa matrie, la Terre c’est son foyer d’humanité. Ces différents
territoires et lieux de vie doivent créer et développer des solidarités face aux périls communs
et non s’affronter dans des conflits dérisoires et porteurs de souffrances.
Face à la peur de la mort : changer notre rapport à la mort, essayer de maîtriser nos craintes.
« Evoluer vers la maîtrise de nos craintes, la gestion pacifiée de nos conflits, la non-violence
de nos actions.» écrit Jacques Sémelin.
Face au dérèglement du conflit : prévoir et mettre en oeuvre une résolution non violente des
conflits de la maternelle à l’université, dans l’ensemble des lieux de vie (familles, professions,
citoyenneté…) et dans les relations entre tous les niveaux géographiques. Cela signifie
apprendre et mettre en oeuvre des comportements dans lesquels les personnes, comme le
disent les théories et les pratiques non-violentes, » se montrent assez fortes pour être
reconnues par les autres et se montrent assez imaginatives pour inventer, avec les autres, des
solutions justes à leurs problèmes ».
Face aux causes démographiques, sociologiques, politiques : ralentir l’explosion
démographique mondiale, avancer dans la résolution des conflits sociaux de façon pacifique,
créer quand elle n’existe pas, développer quand elle existe, la démocratie représentative et
participative.
2-Les alternatives plus spécifiques aux compétitions
Si les coopérations et les solidarités sont connues, les contrats mondiaux et les biens publics
mondiaux le sont moins.
La liste est bien sûr indicative et l’imagination doit prendre le pouvoir
a- Des coopérations, des solidarités
Dans la compétition on est, malgré soi ou avec soi , en rivalité avec d’autres acteurs, et on
emploie parfois des moyens critiquables ou inacceptables.
Dans la coopération : des acteurs (Etats, organisations internationales, ONG
etc…s’organisent à travers une certaine permanence pour parvenir à un but commun. La
compétition n’est pas exclue mais elle est censée s’effacer dans un but commun.
Dans la solidarité on veut être avec les autres et d’abord avec les plus faibles et les exclus.
Ces solidarités peuvent s’organiser à tous les niveaux géographiques et à travers une
multitude d’acteurs par exemple des ONG. Des compétitions ne sont pas exclues entre
organisations de solidarités mais la solidarité doit avoir le dernier mot.
De multiples lieux d’éducation remettent et remettront en cause des compétitions. Ainsi des
écoles, des collèges, des lycées, des universités doivent multiplier des initiatives allant dans le
sens des solidarités, dans le sens des éducations aux droits de l’homme, à l’environnement, à
la paix.
b- Les contrats mondiaux dans des domaines vitaux
L’idée forte est ici de construire un cadre mondial permettant de remettre en cause la
compétition qui ne peut gouverner la planète.
Ainsi, par exemple, le groupe de Lisbonne a proposé quatre grands contrats
mondiaux « pour maitriser les excès de la compétitivité : un contrat mondial contre la
pauvreté, un contrat démocratique pour le développement de la participation et de la société
civile planétaire, un contrat culturel pour la tolérance et le dialogue entre cultures et religions,
un contrat naturel pour le développement soutenable. »
Ainsi par exemple des personnalités ont proposé un contrat mondial de l’eau, le Manifeste
est soutenu par de nombreuses associations dans le monde.
D’autres contrats mondiaux verront le jour. Par exemple pourquoi ne pas conclure un contrat
créant une « internationale de la lenteur » qui aurait pour fonction d’organiser et de soutenir
les mouvements allant dans ce sens ? Ce contrat ne ralentirait pas à lui seul le système
productiviste mais constituerait une avancée intéressante. Et le couple compétition-vitesse ne
l’apprécierait guère.
c- La consécration et l’extension des biens publics mondiaux
Cette voie suppose de faire le point sur le patrimoine commun de l’humanité (PCH) puis de
voir ce qui est ou peut être en route autour du concept de biens communs. Le commun n’est-il
pas ne peut-il pas être davantage une remise en cause importante des compétitions ?
Que dire du PCH ?
Ce PCH reposera sur une gestion synonyme de limites établies au nom des responsabilités
des êtres humains et du respect des êtres vivants. (Voir Hans Jonas, Principe
responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. (de 1979, paru en France en
1991, Flammarion.)
Le PCH prend et prendra différentes formes, outre les quatre qui suivent on peut en
imaginer et en construire d’autres, on devra les articuler les unes aux autres pour renforcer la
protection générale. A long terme ce devrait être là un contre-mécanisme très important contre
le productivisme, il n’aura ni des logiques d’intérêts nationaux, ni des logiques de primauté du
profit et d’une fuite en avant autodestructrice.
Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent juridiquement à
l’humanité. Il s’agit des fonds marins (« la Zone ») (Convention sur le droit de la mer du 10-
12-1982, article 136), de la Lune et des autres corps célestes (Accord du 5-12-1979, article
11), du génome humain (Déclaration du 11-11-1997, article 1er).
Le PCH au sens large est celui d’éléments constitués par des espaces internationalisés qui
doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra
atmosphérique (Traité du 27-1-1967, article 1er§1), de l’Antarctique (Traité du 1-12-1959,
préambule).
Le PCH au sens plus large est celui d’éléments constitués par certains biens naturels et
culturels ou mixtes, qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent
d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.
(Conclue dans le cadre de l’UNESCO, c’est la Convention sur le patrimoine mondial, 16-11-
1972).
On peut légitimement soutenir qu’il faudrait rajouter ici une quatrième série d’éléments :
Le PCH au sens très large comprendrait les ressources biologiques ,que les Etats ont
certes le droit souverain d’exploiter (article 3 de la Convention sur la diversité biologique du
5-6-1992), mais les Etats seraient contrôlés (interdictions possibles) par une autorité
internationale, gardienne de ce patrimoine naturel mondial, par exemple la future
Organisation mondiale de l’environnement(OME),celle-ci interviendrait alors au nom de
la nature et au nom des générations futures(protocole à la Convention sur la biodiversité, et
compétence à prévoir pour l’OME).
Que dire des biens communs ?
(Voir par exemple « Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ? »
dans Les cahiers du crideau, pulim 2017,sous la direction de Jessica Makowiak et Simon
Jolivet, voir entre autres notre article sur « Le projet de déclaration universelle du bien
commun de l’humanité »)
Cet intérêt commun de l’humanité est lié aussi à des biens communs. Ils sont qualifiés d’
« indispensables pour la vie collective des individus et des peuples » par le projet de «
déclaration universelle du bien commun de l’humanité » (Forum mondial des
alternatives, 2012), il est affirmé qu’il s’agit « de l’alimentation, de l’habitat, de la santé,
de l’éducation et des communications matérielles et immatérielles. »Il faut donc «
garantir l’accès aux biens communs et à une protection sociale universelle ».
Cette déclaration conçoit plus globalement le « Bien commun de l’humanité comme
possibilité, capacité et responsabilité de produire et de reproduire la vie de la planète et
l´existence physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde.»
Ces théories et ces pratiques , encore en gestation, celle de Patrimoine commun de l’humanité,
celle de Biens communs, au-delà de leurs différences(conceptions de la propriété et de la
responsabilité, des acteurs les mettant en oeuvre, de leur étendue, de leur gestion…), ont
probablement des points…communs :
mettre en avant des éléments qui,
en dépassant le quadrillage étatique,
en mettant des limites à la marchandisation du monde,
en étant pensés sur le long terme,
voudraient contribuer à préserver ce que l’humanité et la nature peuvent avoir d’essentiel.
Quelles sont les critiques faites à cette conception ? La critique est double : c’est celle des
souverainetés étatiques qui verront dans cette entreprise une forme de dépossession, c’est
celle du productivisme qui ne peut accepter de remettre en cause des logiques d’exploitation
sans limites de la Terre.
Que penser de ces critiques ? Face aux souverainetés irréductibles, une solidarité mondiale
doit avoir le droit du dernier mot. Face au productivisme, condamnable et condamné, un
système viable pour l’ensemble du vivant (humain, et non humain) doit voir le jour.
Quels biens communs à protéger ? Respecter la biosphère (maison commune de l’humanité
et du vivant) et le patrimoine commun de l’humanité, organiser un accès universel et effectif
aux biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples, des générations
présentes et futures.
D’où l’existence de ces luttes pour développer des technologies propres, des énergies
renouvelables et pour consacrer des éléments de l’environnement (par exemple l’eau) comme
biens publics mondiaux ou comme patrimoine commun de l’humanité. Ces deux notions
ne peuvent-elles pas contribuer à construire une certaine harmonie ou simplement une
certaine cohabitation entre solidarité, liberté et sécurité ? Ne doit-on pas relier
l’environnement au patrimoine mondial de l’humanité même si cette notion a subi un coup
d’arrêt dans la Convention sur la diversité biologique puisque les États sont souverains sur
leurs ressources naturelles. Il est cependant hautement souhaitable et encore possible que le
potentiel de cette notion se déploie dans les décennies à venir.
René-Jean Dupuy affirmait : « L’humanité doit elle-même jouir de droits faute de quoi les
hommes perdraient les leurs. »
D’où cette idée, en particulier de certains internationalistes, de refonder le droit international
public sur une norme impérative de droit international général (jus cogens) qui serait celle
de l’intérêt commun de l’humanité.
Remarques terminales sur les alternatives aux compétitions
1-Deux citations criantes de vérité
L’une de Riccardo Petrella « La logique de la compétitivité a été élevée au rang
d’impératif naturel de la société. La compétitivité fait perdre le sens du « vivre
ensemble », le sens du « bien commun ».
L’autre d’Edgar Morin : « A la culture de compétition qui régit les rapports mondiaux
doit se substituer une culture de solidarité. »
2 – Dans chaque compétition concrètement n’y a -t -il pas cinq questions que l’on peut
poser?
Qui/ fait quoi/ avec quels effets/ pour qui/ avec quels moyens?
Autrement dit : Quel acteur dans quel domaine? Pour quels objectifs? Quels effets produit la
compétition? Pour quels acteurs, pour quels intérêts? Quels moyens conformes ou non aux
finalités proclamées?
Emile Zola aura le dernier mot sur la tendresse et la fraternité :
« (…) Le rêve final sera de ramener tous les peuples à l’universelle fraternité,
de les sauver tous le plus possible de la commune douleur, de les noyer tous dans une
commune tendresse. »
En ce qui concerne la 3ème partie : La mise en oeuvre des moyens d’un monde viable.
Il aurait été plus logique de terminer par » la mise en oeuvre de ces moyens ».
Mais,soumis à une certaine épreuve, ils tomberont, à la fin, comme un fruit mûr.
Et d’une certaine façon cette liste des moyens sera en position symbolique
d’humilité. »En avançant la connaissance se convainc de son infirmité »écrivait Claude
Levi Strauss.
J’ose espérer aussi qu’en particulier les (en tous cas certains) moyens pratiquement
inconnus jusqu’alors dans la liste proposée commenceront à cheminer dans certains
esprits et peut-être à voir enfin le jour.
Et puis pendant 42 ans j’ai conseillé aux étudiants de terminer leurs copies par » la mise
en oeuvre »d’un principe,d’une idée,d’un projet…Alors dans cette réflexion qui se veut
« renversante » quant aux fondements n’est-il pas symbolique d’oser mettre « la mise en
oeuvre » bien avant la fin?