LES MOYENS D’UN MONDE VIABLE : quelle mise en oeuvre acharnée ?
( I I I )
· 3ème partie LES MOYENS D’UN MONDE VIABLE : QUELLE MISE EN OEUVRE
ACHARNEE ?
La mise en oeuvre de ces moyens ne sera probablement pas la réflexion la plus facile tant il est
vrai que l’on peut envisager de grands projets et les laisser suspendus dans les airs. C’est la
différence qu’il y a entre l’utopie abstraite, celle des nuages, et l’utopie concrète, créatrice,
celle qui prend les moyens de se réaliser.
A cela s’ajoutent des imprévus, des imprévisibles, des inconnues relatives aux rapports de
force , aux volontés et, par dessus tout , au temps qui reste, aux marges de manoeuvres pour
les générations futures…
Qui dit mise en oeuvre d’un projet dit , à un niveau général, des programmes dans la durée,
des institutions de décisions et d’application, des financements, des évaluations, autant
d’éléments examinés dans cette partie et/ou directement aussi dans la dernière, celle de la liste
des moyens.
Introduction
Prendre en compte la complexité pour agir mais ne pas s’abriter derrière elle, résister et
construire…
- La complexité est omni présente dans ces luttes, pourquoi ? Pour au moins quatre raisons :
Les interactions se sont multipliées, ainsi entre les domaines d’activités, entre les niveaux
géographiques.
Les acteurs se sont multipliés, ainsi les acteurs publics et privés, ainsi les acteurs locaux,
régionaux, nationaux, continentaux, internationaux.
Les urgences occupent une place envahissante, la construction de politiques à long terme une
place qui devrait être essentielle.
L’accélération du système mondial complique ces luttes. - Face à la complexité les théories et les pratiques simplificatrices sont très présentes,
pourquoi ? Pour au moins trois raisons :
La paresse intellectuelle est une tentation qui contribue à basculer facilement dans le
simplisme.
La désignation facile de boucs émissaires est un mécanisme connu que l’on retrouve et dans
les causes et dans des réactions contre des violences.
Une partie des mondes médiatiques en reste aux effets des violences et ne remonte ni à la
complexité des analyses des causes ni à la complexité des luttes.
-La complexité qu’il faut affronter peut être un alibi pour l’inaction et cela sous au moins trois
formes :
Alibi pour ne rien faire parce que c’est trop compliqué. « Qui ne veut pas agir trouve une
excuse, qui veut agir trouve un moyen » dit un proverbe.
Alibi pour mettre en avant le simplisme et proposer une solution qui risquera d’ aggraver une
situation.
Alibi pour renvoyer à d’autres responsabilités diluées et sans effets.
-La prise en compte de la complexité peut avoir quels effets ? Au moins cinq :
Elle en appelle au courage de ne pas tomber dans le simplisme et de faire front avec ténacité.
Elle en appelle à la patience pour organiser ces luttes.
Elle en appelle aux fronts communs, aux rassemblements, aux coopérations, pour donner plus
de chances de remettre en cause et des fins et des moyens..
Elle en appelle à l’humilité en se méfiant du discours-vérité.
Elle se veut en liens avec l’intergénérationnel : on entend encore les pas de ceux et celles qui
étaient là, on entend chaque jour les pas des vivants dans ces luttes, on entend déjà les pas de
ceux et celles qui vont venir.
On casse ce que l’on disait ou ce que l’on pensait être des fatalités, on lance des laboratoires
on imagine des solutions, on ouvre des chantiers, on rejoint des projets en marche…
Pour avoir une vue globale, critique et créatrice de cette mise en oeuvre nous proposons
d’envisager tour à tour - Les priorités face à l’ensemble des moyens viables (I),
-Les niveaux et les rôles des acteurs dans la mise en oeuvre des moyens viables ( II),
–La complexité des volontés des différents acteurs et les moyens viables (III), - Les obstacles face à la mise en oeuvre de ces moyens viables (IV).
-Les moyens de résister face au productivisme dans la mise en oeuvre de moyens viables (V).
Plan général de la 4ème partie
I- – Les priorités dans la mise en oeuvre de ces moyens viables.
II- Les niveaux des acteurs dans la mise en oeuvre de ces moyens viables.
III–La complexité des mécanismes des volontés.
IV-Les obstacles face aux remises en cause pour un monde viable
V- Les moyens de résister face au productivisme dans la mise en oeuvre de moyens
viables
I- – Les priorités dans la mise en oeuvre de ces moyens viables.
Déterminer des priorités ? (A) Sur quels critères ? (B)
A-Doit-on déterminer des priorités dans les moyens ?
1-« Déterminer » c’est vite dit …
Devant le tableau impressionnant des moyens par où commencer ?
Nous ne sommes pas devant une feuille blanche que l’on pourrait écrire au gré des voeux , des
donneurs d’ordre et d’un coup de baguette magique..
D’abord ce ne sont pas des envies d’intellectuel en vase clos ou de collectivités qui seraient
hors sol, ce sont des réponses à des besoins criants.
Ensuite ce ne sont pas des décisions verticales mais partant le plus possible de la base, des
populations.
Enfin ce n’est pas dans la facilité que les remises en cause se font mais dans des rapports de
force, des échecs et des avancées.
2-Ces choix qui seront faits sont les produits de trois séries de facteurs liés à la
prospective
Une analyse qui se veut claire dans le choix du type de discours,
Il y a ceux et celles qui choisiront d’être sur le terrain d’un discours-vérité c’est-à-dire qui
n’admet pas du tout le doute,
ceux et celles qui choisiront le terrain de la prévision, c’est-à-dire un discours qui se fonde sur
des données passées et présentes en les projetant en avant avec telle ou telle évolution,
enfin ceux et celles, dont nous serons, qui choisiront une intervention fondée sur la
prospective c’est-à-dire un mélange de hasards, de nécessités et de volontés, dans des
proportions variables, discours qui admet donc une pluralité de possibles.
La prospective étant un mélange de hasards, de nécessités et de volontés ces trois éléments
peuvent donc intervenir.
Les hasards ? « Nous autres nains malins, avec nos volontés et nos fins , nous sommes
molestés, renversés et souvent piétinés à mort par ces géants imbéciles , les hasards. »écrivait
Nietzsche. Des disciplines essaient de composer avec l’incertain, ainsi les mathématiques.
Mais au niveau d’une liste de moyens, telle que celle proposée, le nombre de variables est tel
que le hasard a un rôle que l’on ne peut complètement maitriser .Par exemple des rencontres
de personnes, d’associations , de projets peuvent relever aussi, pour une part plus ou moins
large, du hasard.
Les nécessités ? Elles sont telles que, dans un domaine sur un point précis ou plus global, les
marges de manoeuvres apparaissent faibles. Ainsi par exemple en matière écologique le temps
de reconstitution d’une forêt dépend de facteurs que l’on ne maitrise pas tous, loin de là.
Les volontés ? On les analysera ci-dessous(III). On comprendra qu’un ensemble d’éléments
intervient pour que ces volontés soient naissantes, résistantes, et à la recherche de nouveaux
souffles.
3-Les critères des priorités
Nombreux peuvent être ces critères.
Le critère de l’atténuation et/ou de la suppression de souffrances est vital. Ainsi dans la
panoplie des moyens justes, par exemple l’accès à l’eau. Mais c’est le cas d’un nombre
important de moyens.
Le critère de la présence d’un moyen dans plusieurs grands domaines est essentiel. Ainsi
l’accès à l’eau se retrouve dans les moyens justes, écologiques, et même démocratiques et
pacifiques. Mais c’est le cas de nombreux moyens.
Le critère de la difficulté de mise en oeuvre du moyen est important. Ainsi on peut être tenté
d’aller vers des moyens moins difficiles à mettre en oeuvre. Mais on peut aussi vouloir
s’attaquer à des moyens plus radicaux et situés plus au coeur du productivisme .
Le critère de la nouveauté du moyen peut être tentant, on trouve alors qu’il a l’air plus porteur
par rapport à d’autres plus anciens, que son effet de surprise peut être plus grand.
Le critère des forces en présence, on se pense assez fort pour le mettre en oeuvre, ou on pense
que le rapport de force est trop défavorable, ou on préfère attendre du « renfort . »
Le critère d’un moyen déjà en route peut être tentant. C’est un signe de facilité ou bien …de
difficulté en ce sens que les rapports de force n’arrivent pas à bouger ou les défenseurs de ce
moyen ont perdu de leur motivation.
Le critère d’un moyen qui va contribuer à en débloquer d’autres, ainsi un fonds permettant la
mise en oeuvre de différents changements,
Le critère d’un moyen à court, moyen, long ou très long termes.
…et d’autres critères que vous ajouterez…
B- Les choix dans les priorités
1-Si l’on choisit les effets des moyens quant aux luttes contre des souffrances
C’est le critère des souffrances particulièrement massives qui est privilégié, par exemple en
termes de santé. Va –t-il un peu, beaucoup ou pas du tout, atténuer ou remettre en cause telle
ou telle souffrance ?
2-Si l’on choisit l’application du moyen dans le temps
C’est un moyen qui est déjà en route qui sera (peut-être ?) le plus simple,
La nouveauté du moyen peut jouer également un certain rôle,
Enfin les prises en compte de courts, moyens, longs et très longs termes peuvent être
opérationnels.
3-Si l’on choisit l’application du moyen dans l’espace
On souligne que tel moyen peut s’étendre à d’autres domaines, que tel autre peut débloquer
une situation.
Bien entendu on suivra la mise en place de tel ou tel moyen dans le temps. Autrement dit il
s’agit de faire face aux obstacles financiers, institutionnels, politiques , techniques,
éducatifs… sur la route de la réalisation.
Ainsi dans la pratique il apparait que de nombreuses variables peuvent intervenir, que l’on
choisira en général sur un mixte de plusieurs priorités.
Mais quels sont donc les acteurs qui font ces choix ?
II- Les niveaux des acteurs dans la mise en oeuvre de ces moyens viables.
Nous envisagerons tour à tour ces acteurs à tous les niveaux géographiques et leurs modes de
fonctionnement (A) et les acteurs dans les rapports de force à travers l’exemple des
changements climatiques. (B), enfin ne faut-il pas poser la question de la représentation de
l’humanité ? (C).
A-Les niveaux géographiques des acteurs et leur organisation pour un monde viable
D’abord nous rappellerons la multitude d’acteurs aux différents niveaux géographiques (1) ,
leurs modes de fonctionnement (2) enfin les liens entre ces acteurs (3).
1-Un rappel des niveaux géographiques des acteurs
Un des raisonnements probablement le plus globalisant et le plus opérationnel est celui des
dimensions des acteurs. On trouve alors des acteurs qui vont du plus petit niveau
géographique jusqu’ au niveau géographique le plus gigantesque et réciproquement. A chaque
niveau interviennent différents acteurs.
Ainsi au niveau international interviennent les organisations internationales , les firmes
multinationales, les organisations non gouvernementales, les réseaux scientifiques mondiaux,
les marchés financiers, les complexes scientifico-militaro-industriels…et les Etats.
Au niveau continental les acteurs internationaux précédents et, de façon plus spécifique, les
organisations régionales ou sous-régionales.
Au niveau national ce sont bien sûr les Etats qui sont amenés, de façons variables, à accepter
un démantèlement par le haut à travers la mondialisation et par le bas à travers des
revendications autonomes voire séparatistes. L’Etat est amené à n’être qu’un des niveaux relié
à d’autres soit plus petits que lui, soit plus vastes (organisations régionales ou sousrégionales).
Au niveau géographique plus petit on trouve des citoyens, des familles, des associations, des
entreprises, des syndicats, des municipalités, des collectivités territoriales et de façon plus
informelle , des mouvements sociaux locaux …
2- Les liens essentiels entre ces acteurs
a-Face aux enjeux majeurs ce sont tous les niveaux qui doivent agir .
Tous les acteurs, aux différents niveaux géographiques, à travers des responsabilités très
variables, ont des remises en cause à entreprendre, des alternatives auxquelles participer.
Ce sont les périls communs qui doivent contribuer à nous fraterniser.
Il est clair aussi que plus l’acteur est puissant et se trouve au coeur du système productiviste
plus la remise en cause sera difficile.
b–Si l’on pense que le village, la ville, la région c’est notre terroir-le pays c’est notre
patrie , le continent c’est notre matrie, la terre c’est notre foyer d’humanité alors le
principe de subsidiarité active s’applique de proche en proche, du monde entier à la
communauté de base.
Il faut enfin souligner le principe de subsidiarité qui consiste, pour chaque collectivité, à
respecter des principes. Le principe d’humanité c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vie
digne répondant aux besoins essentiels, le principe de responsabilité des divers acteurs dans la
construction des sociétés, le principe de diversité par exemple des cultures, le principe de
précaution qui consiste à ne mettre en oeuvre de nouveaux produits et de nouvelles techniques
que si des risques graves ou irréversibles n’existent pas, le principe de modération qui
consiste pour les plus aisés à limiter leur consommation, à apprendre la frugalité.
Des individus à la planète les communautés humaines sont ainsi liées aux différentes
générations : aux générations passées par la protection du patrimoine culturel , aux
générations présentes par les solidarités et aux générations futures par un horizon de
responsabilité. .
3- Les fonctionnements des acteurs pour un monde viable
a-Ces niveaux géographiques n’ont-ils pas au moins quatre schémas de fonctionnements
possibles?
Soit on pense et on agit dans le sens de systèmes centralisés dans lesquels les volontés vont du
haut vers le bas, la démocratie est peu présente ou absente de tel ou tel lieu .
Soit on pense et on agit dans le sens d’un va et vient entre le haut et le bas, en corrections
réciproques, reste à savoir comment se déroulent ces rapports de forces et ce qu’ils produisent
dans tel ou tel lieu .
Soit on pense et on agit du bas vers le haut, on veut faire remonter des micro expériences, des
actions à la base, une certaine démocratie participative existe à des échelles variables.
Soit on veut aller dans le sens de volontés qui, partant de la base, vont essayer de s’étendre,
c’est un schéma proche d’une démocratie participative à des échelles variables.
Sur le terrain les circuits peuvent être compliqués puisque plusieurs schémas, par exemple
dans un pays donné, peuvent fonctionner ensemble avec des ampleurs et des conflits
variables.
b-De quel système s’inspirer ?
Une conscience planétaire est le produit en particulier de catastrophes et de luttes.
Les luttes de terrain à travers manifestations , par exemple des jeunes pour le mouvement
climatique ,et à travers des alternatives, par exemple venant d’associations, ces luttes sont
essentielles. Les premières sont souvent marquées par l’impatience, les secondes par une
certaine patience. Mais les unes et les autres font à la fois pression sur le pouvoir politique et
ont compris que les tergiversations les compromissions, les effets d’annonces, les mensonges
de pouvoirs politiques sont ou peuvent être plus ou moins nombreux.
Si l’on met de côté des systèmes centralisés ,
soit on pense et on agit dans le sens d’un va et vient entre le haut et le bas,
soit on pense et on agit du bas vers le haut,
soit on veut aller dans le sens de volontés qui, partant de la base, vont essayer de s’étendre.
Dans ces trois façons de fonctionner on emploie alors des moyens démocratiques pour des
fins démocratiques.
c-Et la coordination de ces niveaux géographiques ?
Un élément important est d’organiser une coordination soit minimale soit poussée selon les
besoins entre différents niveaux géographiques.
Si l’on imagine une forme d’autorité mondiale , ce que nous verrons dans les moyens de la
4ème partie, encore faut-il qu’elle soit démocratique et qu’existe une séparation des pouvoirs.
Un pouvoir omnipuissant serait le contraire d’une démocratie mondiale fondée sur des
moyens démocratiques.
Tous ces acteurs agissent à travers des rapports de force , partons de l’exemple des
changements climatiques.
B-Agir à travers les rapports de force : l’exemple des changements climatiques
Dans ce domaine existent des concentrations d’avoirs, de pouvoirs, de savoirs qui sont
nombreuses et puissantes. Or ne s’agit-il pas de partager, de coopérer, de « s’unir ou périr »
(Einstein) ?
1-Dans les luttes contre le réchauffement climatique les rapports de forces sont très
présents entre les États.
Ainsi ces rapports de forces existent entre les États du Nord et du Sud, entre les États du Nord
et les pays émergents.
Chaque État est à resituer par rapport à la production des gaz à effet de serre(GES). Ainsi les
Etats-Unis en 2012 avec 315 millions d’habitants produisent 16% des émissions de CO2, la
Chine avec 1,351 milliard d’habitants produit 28% du total mondial. Ces deux pays à eux
seuls représentent donc 44% du total mondial.
Il y a aussi de grandes inégalités entre l’habitant moyen de chaque pays : Etats-Unis 20 tonnes
de CO2, Union européenne 9 tonnes, Chine 2,7 tonnes, Inde 1,2 tonne…
Il y a d’autre part des relations Nord Sud conflictuelles. Les pays du Sud dénoncent la
responsabilité historique (4/5) des pays du Nord dans les émissions de CO2. Des pays du
Nord, surtout les Etats-Unis sous la précédente administration (Bush), dénoncent la
responsabilité présente et surtout future des pays du Sud dans ces émissions, les pays du Sud
passeraient (selon l’AIE) en 2030 à 50 % des GES alors qu’en 2004 ces émissions étaient de
43 %. Un des enjeux est bien sûr que tous les pays industrialisés et tous les pays émergents
s’engagent vers un après Kyoto plus radical (Conférence de Paris, 2015), la Conférence de
Copenhague (décembre 2009) était censée aller dans ce sens, ce fut un échec. Enfin dans ces
rapports de force n’oublions pas les grands pays charbonniers, pétroliers, gaziers.
D’autre part les pays les moins avancés, une soixantaine de pays les plus pauvres du
monde,demandent des aides financières et technologiques, et de façon plus globale les pays en
développement font de même. Les pays directement menacés par la montée des eaux, en
particulier 42 petits Etats insulaires payes, protestent contre l’insuffisance des politiques de
réduction des GES.D’autre part, point positif, les pays les plus vulnérables au changement
climatique se retrouvent pour peser dans ces rapports de forces, ainsi au niveau des ministres
des finances en 2015 voit le jour le « V 20″.
Enfin l’Union européenne, favorable aux réductions des GES, s’est opposée aux Etats-
Unisfavorables à la domination du marché des GES.
Le G8, club diplomatique lié au néo-libéralisme, détermine quelques grandes orientations
allant dans le sens de ses intérêts. Le G20, qui prend désormais le relai du G8, dans lequel on
trouve aussi les pays émergents, représente des intérêts plus compliqués mais allant aussi
globalement dans le sens du productivisme. Ces deux lieux ne sont cependant pas à sousestimer
comme moyens de prise de conscience possible d’intérêts communs vitaux à long
terme, ceux d’une planète écologiquement viable. L’écologie n’est plus considérée comme un
luxe pour les pays émergents confrontés à leur tour à de terribles dégradations.
Parmi les alliances à privilégier pour aller vers des réductions massives de gaz à effet de serre
: des accords bilatéraux entre la Chine et les Etats-Unis, des rapprochements de pays d’un
même continent voire des engagements communs, enfin des alliances entre des pays du Nord
des pays du Sud et des pays émergents. (Pour une étude approfondie voir Stefan Aykut et
Amy Dahan, « Gouverner le climat ? », Presses de Sciences,2015)
2- Les rapports de forces entre les États et d’autres acteurs, les rapports de forces entre
ces autres acteurs.
Ainsi des ONG agissent pour le développement durable ou bien de façon plus radicale
pourune société écologiquement viable, par exemple a travers la décroissance.
Enfin il ne faut pas oublier le poids du réseau scientifique international constitué par le groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC).
Ainsi des milieux d’affaires agissent dans le cadre du libéralisme économique ou quelquefois
d’un certain développement durable.
Dans ces rapports de force on retrouve enfin des compagnies pétrolières, des groupes
charbonniers et gaziers, des compagnies nucléaires.
Les réseaux scientifiques, technologiques et financiers qui se constituent autour des énergies
renouvelables sont appelés à avoir de plus en plus de poids, c’est une source d’espoir.
Bref : n’est-ce pas à travers ces rapports de forces, sous les pressions inlassables des ONG et
les avertissements répétés des scientifiques, que l’on devrait dégager ce qui serait l’intérêt
commun de l’humanité ?
Cela veut dire passer des intérêts privés, des intérêts nationaux à des intérêts communs des
Etats et des peuples, pour arriver ensuite à cet intérêt prenant en compte les générations
passées, présentes et futures.
Les acteurs locaux, nationaux, continentaux, internationaux sont devant leurs volontés.
Comment fonctionnent-elles ?
C-Troisième et dernier point, ne faut-il pas créer un système de personnalité juridique,
de représentation et de juridiction relatives à l’humanité ?
1-D’abord l’humanité ne devrait-elle pas avoir la personnalité juridique pour défendre
ses droits ? Le fait aussi que l’humanité et le vivant soient côte à côte dans cette défense serait
symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe.
2-Ensuite la représentation est une difficulté connue, on est dans le droit prospectif, dans
l’imagination juridique. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c’est-à-dire les
humains qui existent (c’est déjà difficile) et aussi ceux qui n’existent plus et ceux qui
n’existent pas encore ?
Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question de la représentation. En
effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds marins ? Les Etats ont
répondu par un tour de passe passe. Humanité es-tu là ? Pas de réponse. Il est donc logique
que nous, Etats à travers l’Autorité des fonds marins, nous décidions à la place de l’humanité
irreprésentable.
Lorsqu’un jour il sera question de représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée
générale des Etats de la future Organisation mondiale de l’environnement(OME), suffise à le
faire.
Il sera souhaitable qu’interviennent aussi des acteurs autres que les Etats, par exemple des
ONG, des gardiens de l’humanité…Votre imagination juridique fera le reste.
3-Enfin quelles juridictions ? L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au
nom de l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale, une juridiction
spécifique sera peut-être créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME).
En attendant cela des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux
blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, en particulier sur la justice
climatique, qui participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé en Equateur en
octobre 2012 , un « tribunal pour les crimes contre la nature et contre le futur de l’humanité »,
des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont éthiques, morales.
Enfin des ONG et des citoyens, par exemple aux Pays-Bas, ont fait récemment condamner par
un tribunal cet Etat qui ne respectait pas ses engagements de réduction de gaz à effet de serre,
cela au nom des générations présentes et futures.
III–Les mécanismes des volontés dans la mise en oeuvre de ces moyens viables.
On évoque très souvent le manque de volontés en général et de volontés politiques en
particulier. Les situations sont très différentes entre la volonté d’une personne, d’un
mouvement social, d’un Etat, d’une firme multinationale…
Pourtant si l’on veut déterminer les grands circuits des volontés personnelles et collectives
pendant leurs vies on se trouve devant trois séries de mécanismes (A) et donc de contremécanismes
(B).
Ces contre-mécanismes sont souvent pensés, parfois en route et toujours à développer si
possible et même en résistant à l’impossible.
A-Les mécanismes des volontés étouffées, dépassées, essoufflées.
1–Des volontés sont ou peuvent être étouffées par au moins six séries de mécanismes.
Volontés étouffées par une éducation à la soumission, elle s’exerce à travers l’apprentissage
de la soumission à de multiples hiérarchies, l’intégration de la fatalité, la déresponsabilisation,
le discours-vérité auquel on doit se soumettre.
Volontés étouffées par une éducation à la compétition qui met en avant le peloton de tête, le
droit du plus fort, le culte de la croissance, en fait on étouffe des volontés qui pourraient aller
dans le sens de la coopération, de la solidarité et on oriente la volonté vers l’obsession de la
puissance.
Volontés étouffées par l’administration des peurs, laquelle repose sur l’idéologie sécuritaire,
le repli identitaire plus ou moins exacerbé, la fabrication de l’image des adversaires et des
ennemis.
Volontés étouffées par la fuite en avant qui est synonyme d’absence de prise de conscience
des caractères destructeurs du productivisme, de dictature de l’instant consacré « au toujours
plus ».
Volontés étouffées, de façon très variable selon les lieux, par des oppressions politiques,
économiques, sociales, culturelles.
Volontés étouffées par des pratiques de règlement violent des conflits : violence d’oppression
par laquelle on dicte sa loi, violence de soumission par laquelle on exerce une violence contre
soi-même.
2-Des volontés sont ou peuvent être dépassées par au moins cinq séries de mécanismes.
Volontés dépassées par la complexité et la technicité du réel. La complexité est liée à un
grand nombre d’acteurs, à des interdépendances entre les activités, les niveaux géographiques,
à une quantité impressionnante de données fournies par de nombreuses disciplines. Cette
complexité est niée par le discours vérité, par le discours sur le grand remède miracle, par le
discours en vase clos. La technicité du réel est liée à la technique planétaire qui se répand, de
façon inégale, à travers d’énormes complexes scientifico-technico-industriels, à travers
l’appel aux experts, cette technicité fait sentir son poids dans les processus de décision.
Volontés dépassées par la rapidité du système international liée à certaines technologies, à
l’omniprésence du court terme, à la banalisation de la vitesse.
Volontés dépassées par la puissance des intérêts productivistes qui se traduit par de multiples
concentrations d’avoirs, de pouvoirs et de savoirs.
Volontés dépassées par l’absence de moyens ou des moyens souvent dérisoires pour remettre
en cause le productivisme que ce soit par rapport à la dégradation de l’environnement, aux
injustices, aux violences ou aux aspects autoritaires du système international.
Volontés dépassées par l’arrivée de catastrophes qui peuvent briser, pour un temps plus ou
moins long, des volontés, catastrophes dont on est loin de toujours tirer la pédagogie. Ainsi,
des pédagogies des catastrophes sont ou absentes ou réduites à des effets d’annonce, ou
dérisoires, ou sans véritables moyens. Et puis, à l’auberge de la décision, certains décideurs
dorment bien et d’autres partent parfois sans payer l’addition.
3-Des volontés sont ou peuvent être essoufflées par au moins quatre séries de
mécanismes.
Volontés essoufflées par la force de récupération du système productiviste, ce système peut
récupérer des expressions et surtout des pratiques qui se voulaient différentes ou qui étaient en
rupture avec lui.
Volontés essoufflées par des échecs personnels ou collectifs pour changer l’ordre dominant et
se changer soi-même en tant qu’acteur personnel ou collectif lorsque c’est nécessaire.
Volontés essoufflées par le sentiment d’une petite avancée locale mais d’un statu quo global
ou bien réciproquement.
Volontés essoufflées par une érosion, un épuisement des motivations qui poussaient à agir.
B-Les contre-mécanismes des volontés naissantes, résistantes, à la recherche de
nouveaux souffles.
Voilà les déterminations de différents acteurs qui sont synonymes de volontés naissantes,
résistantes et à la recherche de nouveaux souffles. Voilà donc une pédagogie des volontés .
Voilà donc autant de luttes de volontés vivantes.
1-Face à ces volontés étouffées que sont ou que peuvent être des volontés naissantes ?
Au moins six contre-mécanismes répondent aux logiques d’étouffement des volontés.
Volontés naissantes à travers l’éducation à la résistance, c’est-à-dire la formation à l’esprit
critique, à l’autonomie, à la prise de conscience des responsabilités personnelles et collectives.
Volontés naissantes à travers l’éducation à la solidarité, cela à tous les niveaux géographiques
et d’abord avec les plus faibles dans chaque société.
Volontés naissantes à travers la découverte et la mise en oeuvre du principe de nondiscrimination
fondé sur le respect des différences.
Volontés naissantes à travers la prise de conscience des aspects terricides et humanicides du
système productiviste.
Volontés naissantes à travers la gestation de libérations politiques, économiques, sociales,
culturelles.
Volontés naissantes à travers l’apprentissage (de la maternelle à l’université) du règlement
non violent des conflits dans le respect des personnes et la recherche de solutions justes.
2-Face à ces volontés dépassées que sont ou que peuvent être des volontés résistantes ?
Cinq séries de contre-mécanismes sont nécessaires.
Volontés résistantes à travers l’apprivoisement de la complexité, le contrôle des techniques.
Volontés résistantes à travers l’élaboration de politiques à long terme.
Volontés résistantes à travers les regroupements et les actions en commun de divers acteurs, à
travers aussi une autolimitation mise en oeuvre par la minorité des habitants de la planète en
situation de surconsommation.
Volontés résistantes à travers la capacité de propositions relatives aux moyens de remettre en
cause, ici et là, le productivisme.
Volontés résistantes à travers une pédagogie des catastrophes répondant non seulement aux
urgences mais s’attaquant aussi aux causes de ces catastrophes.
3-Face à ces volontés essoufflées que sont ou que peuvent être des volontés à la recherche
de nouveaux souffles ? Quatre séries de contre-mécanismes sont nécessaires.
Volontés à la recherche de nouveaux souffles à travers des actes et des politiques par rapport
aux faiblesses et aux contradictions du système.
Volontés à la recherche de nouveaux souffles qui consistent à essayer de tirer de véritables
leçons des échecs pour déterminer, si nécessaire, de nouvelles stratégies et de nouveaux
moyens.
Volontés à la recherche de nouveaux souffles en ne surestimant pas, mais aussi en ne sousestimant
pas, les avancées « du local » et celles « du global »sans oublier leurs interpellations
réciproques qui peuvent voir le jour tôt ou tard.
Volontés à la recherche de nouveaux souffles en cherchant en soi et avec les autres des
motivations pour « rallumer la flamme » si elle a tendance à s’éteindre.
Peut-être direz-vous que ces mécanismes et ces contre-mécanismes sont bien nombreux et
bien compliqués ?
C’est pour cela que les volontés politiques personnelles et collectives ne fonctionnent pas au «
quart de tour », elles suivent souvent les lignes des plus grandes résistances.
Sans penser à l’ensemble de ces quinze contre-mécanismes ni à plus forte raison sans utiliser
toute cette panoplie on peut plus simplement mettre en avant quelques-uns d’entre eux dans
diverses situations
soit pour faire naitre ces volontés,
soit pour les rendre résistantes,
soit pour leur faire retrouver de nouveaux souffles.
IV-Les obstacles face aux remises en cause pour un monde viable
Trois séries d’obstacles se dressent souvent sur les chemins et les routes des résistances : la
faiblesse de ces résistances(A), la puissance d’adversaires (B) et, terrifiante, l’accélération du
système mondial (C).
A-La faiblesse de certaines résistances.
Des résistances modérées ou radicales ne voient pas le jour ou sont faibles cela pour au moins
quatre séries de raisons.
1-D’abord, au niveau personnel et /ou collectif, l’indifférence est là.
Elle prend différentes formes qui peuvent s’additionner :
mauvaise ou sous-information, insouciance de la prévention, manque de vigilance, lâcheté et
passivité devant des injustices, acceptation parfois aveugle du pouvoir et de l’argent, fuite en
avant, absence de courage… habitudes qu’on ne peut plus et ne veut plus faire bouger .« Le
silence des pantoufles est plus dangereux que le bruit des bottes » écrivait un pasteur
protestant, Martin Niemoller , envoyé en camp de concentration,
Einstein lui-même soulignait que le monde est dangereux à vivre par ceux qui font le mal et
par ceux qui regardent et laissent faire.
Rainer Maria Rilke, dans son poème « Heure grave», demandait : « Qui meurt quelque part
dans le monde, /Sans raison meurt dans le monde , /Me regarde. »
2-Ensuite le sentiment d’impuissance, au niveau personnel et/ou collectif, autrement dit
la difficulté d’agir, ce sentiment est vécu de plusieurs façons :
Le nombre d’acteurs favorables au productivisme peut décourager,
les montagnes des habitudes personnelles et collectives trop difficiles à soulever,
le fait que « le local » bouge parfois mais que « le global » semble immobile,
enfin les interactions entre les atteintes sont très nombreuses, interactions dans chacun des
grands domaines d’activités, par exemple pour l’environnement entre le réchauffement
climatique et l’extinction des espèces, et interactions entre les domaines d’activités, par
exemple entre les atteintes à l’environnement et la paix, entre les injustices(vive la justice
climatique !) et l’environnement.
3-Egalement la faiblesse dans l’organisation. Une des faiblesses à tous les niveaux
géographiques est de ne pas essayer encore et encore de rassembler des forces, par exemple
autour de « fronts communs. »
4-Enfin les « contraintes », elles sont souvent financières par manque de moyens et aussi
juridiques dans la mesure où les marges de manoeuvres sont liées aux possibilités que laissent
les textes aux différents niveaux géographiques et qu’il n’est pas évident de les faire évoluer
ou de les changer, que l’on soit une association dans un pays ou un Etat dans une organisation
régionale, l’Union européenne par exemple.
Ces contraintes peuvent être soit un alibi pour ne pas changer grand chose soit une réalité que
l’on doit affronter. Un proverbe, au niveau personnel comme collectif, a une part de vérité : «
Qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui ne veut rien faire trouve une excuse. »
B- La puissance de certains adversaires.
1-Si l’on veut rappeler quels sont les dominants du système productiviste
Il s’agit des marchés financiers, des grandes banques et des banques centrales, des firmes
multinationales, des complexes scientifico-militaro-industriels, des grands groupes
médiatiques, des Etats du G9 et de quelques autres dont la Chine et l’Inde, de certaines
organisations régionales (Union européenne, Mercosur et de quelques autres…),de certaines
organisations internationales (OMC,FMI, Banque mondiale…) …sans oublier les
dominations des hommes.
2-Deux remarques pour relativiser cette puissance :
D’une part il ne faut pas oublier que les logiques générales du système mondial sont des
logiques d’autodestruction, ainsi d’une part certaines de ces puissances sont menacées par la
compétition et tôt ou tard peuvent être absorbées, d’autre part les catastrophes produites par ce
système peuvent se multiplier et s’aggraver, en particulier les catastrophes écologiques (voir
sous la direction de JM Lavieille, J Bétaille, M Prieur, ,Les catastrophes écologiques et le
droit : échecs du droit, appels au droit, éditions Bruylant, 2012.)
D’autre part il faut entrer en résistance en pensant que chaque acteur ne constitue pas toujours
un bloc (même les hommes par rapport aux libérations des femmes).Il peut y avoir des
contradictions, des fissures, des fractures. Le problème est de les trouver, d’agir dessus, d’y
appliquer des leviers pour soulever des montagnes. Combien de libérations de femmes ont été
accomplies ainsi, combien de gouvernements sont fragilisés par des désaccords qui les
traversent, combien de multinationales, lorsque certaines de leurs pratiques sont dévoilées,
traversent alors des périodes où des réformes voire des remises en cause peuvent voir le jour.
C Un obstacle terrifiant et déstabilisant face aux résistances : l’accélération du système
mondial.
Oui, ce facteur est terrifiant et déstabilisant intellectuellement, affectivement, pratiquement,
humainement.
1-Une synthèse du phénomène de l’accélération
Parmi les ouvrages à souligner : ceux de Paul Virilio, l’un des plus grands penseurs de la
vitesse dans nos sociétés, voir par exemple « Vitesse et politique », (Galilée,1977), ou aussi
Le Grand Accélérateur, Galilée,2010), Jean-Pierre Dupuy, « Pour un catastrophisme éclairé.
Quand l’impossible devient certain. (Seuil,2002), Jean Chesneaux, « Habiter le temps
»,(Bayard,1996), Harmut Rosa « Accélération », (La Découverte,2010), Nicole Aubert, «
Culte de l’urgence. La Société malade du temps. » ( Flammarion, 2013), Lamberto Maffei, «
Hâte-toi lentement » (FYP, 2016)
-L’histoire de l’accélération se déroule en quatre évènements majeurs : les deux accélérations
celle de la techno science et celle du marché mondial, l’explosion démographique (avec un
accroissement-les naissances moins les décès- de la population mondiale de 226.000
personnes chaque jour !), l’urbanisation vertigineuse (plus de la moitié des générations
présentes aujourd’hui vivent dans les villes).
-Les causes de l’accélération s’appellent les logiques des fuites en avant du système
productiviste, la généralisation du règne de la marchandise, la circulation rapide
d’informations, de capitaux, de services, de produits et de personnes, l’arrivée des
technologies de l’information et de la communication…
-Les manifestations de l’accélération se traduisent par une accélération des techniques, des
rythmes de vie, par des accélérations sociales, culturelles, environnementales, politiques.
L’urgence est devenue une catégorie centrale du politique, or moins on élabore de politiques à
long terme plus on se trouve submergé par les urgences.
-L’exemple de l’environnement par rapport à l’accélération frappe, violemment et de plein
fouet, l’ensemble des résistances pour le protéger. Cette accélération fonctionne comme une
machine infernale à travers quatre mécanismes. Premier mécanisme : le système mondial
s’accélère. Deuxième mécanisme : les réformes et les remises en cause pour protéger
l’environnement sont souvent lentes (complexité des rapports de forces et des négociations,
retards dans les engagements, obstacles dans les applications, inertie de systèmes
économiques , sans oublier la lenteur de l’évolution des écosystèmes).Troisième mécanisme :
on agit pour une part dans l’urgence. Quatrième mécanisme : il faut aussi construire et mettre
en oeuvre des politiques à long terme ce qui demande du temps…or le système s’accélère
(premier mécanisme). Autrement dit : il n’est pas sûr que les générations futures aient
beaucoup de temps devant elles pour penser et mettre en oeuvre des contre-mécanismes
nombreux, radicaux et massifs : c’est là une pensée « qui réveille la nuit » beaucoup de
militants, âgés et moins âgés.
-Les effets de l’accélération sur les sociétés : elle porte atteinte à la démocratie, Paul Virilio
écrit tragiquement : « Quand il n’y a plus de temps à partager il n’y a plus de démocratie
possible. ». L’accélération a aussi des effets sur le travail, sur les contrôles, elle augmente du
poids de l’urgence au détriment du long terme, elle contribue au développement des
inégalités, elle a des effets sur l’argent- le temps c’est de l’argent et l’argent c’est du tempselle
a des effets sur les actualités, elle contribue à l’administration des peurs, enfin
compétition et accélération se tiennent embrassées.
-Les effets de l’accélération sur les personnes : les rencontres sont souvent plus rapides, le
présent est comprimé, compressé, existe également un certain effacement de la diversité des
tâches, les rencontres du virtuel et du réel sont en situations d’accélération, le temps « mange
l’espace » écrit Paul Virilio , il y aussi une augmentation du nombre d’actions par unité de
temps et une réduction de chaque épisode de vie, enfin sont souvent présents un stress et une
nervosité, sans oublier une atteinte à la capacité de comprendre.
-Les solutions face à l’accélération peuvent se ramener à trois regroupements (voir blog
Lavieille, Mediapart, L’accélération du système mondial.) :
La soumission à la catastrophe programmée, l’acceptation de cette « course à l’abime qui
emporte un monde impuissant » : dans ce type de « réponses » les résistances s’effacent. Mais
rien n’empêche une personne ou une organisation d’agir tout en partageant cette vision.
Les tentatives d’adaptation : dans ces réponses les résistances se situent souvent en aval, elles
peuvent avoir leur importance en agissant sur des effets, leurs limites sont de ne pas
véritablement remonter aux causes des phénomènes.
Enfin troisième série de solutions : Les réponses volontaires se traduisent, elles, par des
résistances petites et grandes, modérées ou radicales, elles peuvent venir de multiples acteurs.
Avec quels objectifs et quels moyens ?
2- Quels objectifs ces résistances mettront-elles en avant face à l’accélération ?
Au moins cinq séries d’objectifs :
Renouer avec des besoins fondamentaux c’est-à-dire se « déprendre » et patienter.
Se « déprendre », Claude Lévi Strauss nous y invite dans la dernière page de « Tristes
Tropiques » (éditions Plon, collection Terre Humaine, 1955), autrement dit prendre de la
distance, savoir « lâcher prise » (facile à dire nous avons mille sollicitations), différencier
l’urgent de l’important (critique de nos moyens de communication), oser des « moments de
paresse », ralentir le rythme frénétique de nos vies (« Sois lent d’esprit » écrivait…
Montaigne, « la hâte détruit la vie intérieure » disait Lanza del Vasto).
Trouver ou retrouver la patience : avoir le temps de mûrir est contraire au court terme du
productivisme, mais les temps humains et ceux du vivant sont-ils plus proches de ceux des
marchés financiers, ceux de la seconde ou de la nanoseconde ,ou bien sont-ils plus proches de
ceux des saisons de la nature, comme tour à tour l’enfant, l’adolescent, l’adulte, le vieillard ?
Fixer des limites au coeur des activités humaines : précautions, préventions, réductions et
suppressions des modes de production de consommation et de transports écologiquement non
viables. Ce concept est décolonisateur de la pensée productiviste.
Prendre en compte des théories et des pratiques de décroissance et de post-croissance à travers
une économie soutenable (s’éloignant du culte de la croissance, s’attaquant aux inégalités
criantes à tous les niveaux géographiques, et désarmant le pouvoir financier ainsi que… la
course aux armements), à travers le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la
fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur consommation, leur
mode de vie, à bruler moins d’énergie pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité.
Essentielles sont aussi des relocalisations d’activités, des circuits courts, des richesses
redistribuées. Essentielle également cette ennemi redoutable : la compétition, remise en cause
par la consécration de biens communs (eau, forêts…), par des coopérations, des solidarités ,
par l’appartenance à notre commune humanité , par des périls communs qui devraient nous
fraterniser.
Construire un temps libéré : Jacques Robin écrivait dans « Changer d’ère » (Seuil, 1989) ««
Nous avons à enrichir le temps libéré pour qu’il ne soit ni temps vide, ni temps marchand
mais créativité personnelle, convivialité sociale et curiosité toujours en route. » En ce sens on
peut penser que diminuer la durée du temps de travail à partager est impératif non seulement
comme moyen de lutter contre le chômage mais comme un élément d’un équilibre de vie, en
allant même plus loin, comme le propose par exemple André Gorz qui écrivait « Il convient
de trouver un nouvel équilibre entre travail rémunéré et activités productives non rémunérées.
Quant au temps libre Paul Valéry écrivait magnifiquement : « Je déplore la disparition du
temps libre. Nous perdons cette paix essentielle des profondeurs de l’être, cette absence sans
prix pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se rafraichissent et se
réconfortent, pendant laquelle l’être en quelque sorte se lave du passé et du futur, des
obligations suspendues et des attentes embusquées. Point de pression mais une sorte de repos,
une vacance bienfaisante qui rend l’esprit à sa propre liberté. »
Faire dialoguer passé présent et avenir : Jean Chesneaux (« Habiter le temps », Bayard,1996)
se demande « Comment renouer un dialogue entre un passé comme expérience, un présent
comme agissant et un avenir comme horizon de responsabilité ? » Le temps citoyen doit
affirmer sa « capacité autonome » face au temps de l’Etat, du marché et, nous ajouterons, de
la techno science. Dans un raccourci parlant nous pourrions dire qu’il faut à la fois répondre
aux fins de mois et aux fins du monde, aux générations présentes et aux générations futures.
3-Quels moyens penser et mettre en oeuvre face à l’accélération ?
A titre indicatif :
Des mouvements de ralentissement de la vie quotidienne, donc de décélérations dans des
domaines de plus en plus nombreux : villes, alimentation, éducation « lentes »…
Des moyens de réintégrer le temps : un respect des droits des générations futures, un respect
du patrimoine culturel des générations passées, une prise en compte des « droits du temps
humain » ( il faudrait une « Charte mondiale » disait Jean Chesneaux), des déplacements
repensés dans l’urbanisation, une désacralisation de la vitesse, la création d’une fédération
mondiale d’ONG qui serait une sorte d’ « internationale de la lenteur ». De ce dernier point de
vue il s’agirait en particulier de coordonner les ONG existantes et de contribuer à en créer de
nouvelles.
V- Les moyens de résister face au productivisme dans la mise en oeuvre de moyens
viables
Les résistances se déroulent dans différents lieux, dans divers domaines d’activités, et par
rapport à différents adversaires (A).De multiples moyens de résister sont mis en oeuvre (B).
A-Les résistances selon les lieux , les domaines d’activités, les adversaires
1-Les résistances par rapport aux lieux
il est opérationnel de distinguer les résistances selon les territoires où elles se situent. Ainsi les
résistances dans nos villages, nos villes, nos régions sont celles de nos terroirs, les résistances
dans nos pays sont celles de nos patries, les résistances sur nos continents sont celles de nos «
matries », les résistances sur notre Terre sont celles de notre « foyer d’humanité. » ( voir
JMLavieille, « D’où suis-je ? » in Mélanges en l’honneur de JM Breton, 2017).
Mais exprimé ainsi on a l’impression que l’ensemble baignerait dans une certaine harmonie.
En réalité il y a trois façons de concevoir les rapports théoriques et pratiques entre ces
territoires qui ont des conséquences sur les résistances.
Certains conçoivent ces rapports en termes exclusifs, seules comptent par exemple des
résistances nationales, on se ferme sur son territoire. D’autres conçoivent ces rapports en
termes de hiérarchie (qui renvoient d’ailleurs à des ordres juridiques), par exemple les
résistances locales doivent être conformes aux résistances nationales. D’autres, fort
heureusement, conçoivent ces rapports en termes complémentaires, les résistances locales,
nationales, continentales, internationales doivent se soutenir, se critiquer et s’enrichir les unes
les autres. Chaque territoire où se vivent des résistances doit arriver à respecter quelques
grands principes qui s’appellent dignité des êtres humains, solidarité entre les êtres humains,
principes de responsabilité, de précaution…Sur ces thèmes et d’autres voir la remarquable
plate-forme qui devrait être étudiée dans toutes les universités du monde et dans de nombreux
autres lieux : « Pour un monde responsable et solidaire. Bâtir ensemble l’avenir de la planète.
» (Texte de la Fondation pour le progrès de l’homme, Le Monde diplomatique, avril1994,
p.16 et 17).
2-Les résistances par rapport aux domaines d’activités
il apparait que les résistances peuvent se rencontrer dans l’ensemble des activités humaines,
politiques, économiques, financières, sociales, scientifiques, culturelles,
environnementales…Ainsi les résistances sociales , grâce en particulier à des syndicats et à
des luttes de travailleurs , ont permis dans un certain nombre de pays des avancées
essentielles dans des conditions de travail.
Par contre les résistances dans certains domaines puissants arrivent tard ou n’arrivent pas.
Elles arrivent tard par exemple dans le domaine bancaire ainsi à travers l’épargne, comme la
Nef, Les Cigales, tard dans les tentatives de taxations des transactions financières, tard dans le
domaine des recours juridiques contre les firmes multinationales.
Elles ne sont pas encore arrivées en amont de l’amont d’un domaine tabou du désarmement :
l’interdiction des recherches sur les armes de destruction massive ( voir J.M Lavieille,
J.Bétaille, D.Roets, S.Jolivet. Les recherches scientifiques sur les armes de destruction
massive : des lacunes du droit positif à une criminalisation par le droit prospectif, in Droit,
sciences et techniques : quelles responsabilités ? Editions LexisNexis, 2011). Pour les armes
chimiques et les armes biologiques on interdit jusqu’à la mise au point mais on ne va pas audelà,
pour les armes nucléaires les essais en laboratoire restent permis, quant au traité
d’interdiction des armes nucléaires de juillet 2017, aux négociations duquel les Etats
possesseurs de ces armes n’ont pas participé, il est fait silence sur ces recherches qui
continuent puisqu’en particulier le traité ne concerne pas le nucléaire civil et que la
prolifération entre le nucléaire civil et militaire est une réalité dénoncée par des chercheurs
(voir diverses publications de l’Observatoire des armements créé entre autres par Bruno
Barillot et dirigé aujourd’hui par Patrice Bouveret.).
3- Les résistances par rapport aux adversaires.
On peut avancer trois variables pour y voir plus clair.
a -La première variable est relative au type d’adversaire et à sa place dans le système
productiviste. Biens communs et humanité sont des résistances porteuses, à moyen et long
termes, contre de puissants adversaires.
Les adversaires peuvent être des acteurs locaux, nationaux, internationaux.
Plus un acteur participe à de nombreuses et puissantes reproductions du productivisme en
matière d’atteintes à la démocratie, à la justice, à la paix, à l’écologie, plus il constituera un
adversaire impressionnant.
-Mais n’oublions pas qu’un acteur peut évoluer ou changer en allant vers le développement
durable ou une société humainement viable, sous la pression des luttes et des pédagogies des
catastrophes. Ainsi par exemple les puissants ne partagent pratiquement jamais d’eux-mêmes,
ils ne le font que si des rapports de force les y contraignent ou, plus rarement, s’ils arrivent à
avoir une prise de conscience d’intérêts communs.
-On peut également penser que la montée idéologique, économique et juridique, trop lente,
des « biens communs » va pouvoir contribuer à ce que des dominants se remettent en cause,
ainsi des multinationales de l’eau ou celles faisant main basse sur des forêts. ( voir « Les biens
communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridiques(s) ? », Colloque du CRIDEAU de
Limoges, éditions Pulim ,2017.) - Quant à l’humanité son rôle peut être important en particulier par rapport aux Etats, elle
dépasse le quadrillage étatique. Elle est entrée dans le droit international public par la porte du
drame avec les crimes contre l’humanité. La justice pénale internationale a enfin vu le jour
grâce à la pression d’ONG et de quelques Etats. Elle est entrée aussi par la porte de la
possession puisqu’elle a un patrimoine, par exemple les fonds marins et leurs ressources.(voir
Catherine Lebris, L’humanité saisie par le droit international public, LGDJ,2012). Pour
consolider ce dernier les biens communs pourront être consacrés , le mouvement
altermondialiste est et sera un des acteurs qui pourra y contribuer.
Il faut d’ailleurs que l’humanité ait, aussi, enfin sa « Déclaration universelle des droits de
l’humanité.»(voir par exemple sur le blog Mediapart les articles de JM Lavieille).Des ONG et
des Etats ont d’ailleurs un rôle à jouer pour que l’ONU discute dans les années à venir du
projet de texte que la France a donné au Secrétaire général des Nations Unies en 2015.Le
chemin risque d’être long tant il est vrai que les Etats voient dans l’humanité un acteur qui
dépasse le quadrillage étatique..
b-La seconde variable est relative au caractère précis ou diffus de cette résistance.
Dans les premières situations il s’agit d’une personne ou de plusieurs identifiées , ou bien
d’un problème d’une menace ou d’un drame précis.
Dans les secondes situations il s’agit de forces plus ou moins anonymes ou de systèmes plus
ou moins vastes, bien entendu le productivisme dont chacune des logiques profondes, par
exemple la marchandisation de la planète, constitue des systèmes.
Mais les distinctions dans les pratiques de résistances ne sont toujours aussi tranchées. Dans
une résistance on peut dénoncer une pratique injuste ou polluante d’une firme multinationale
sans la personnaliser ou, au contraire, parce qu’on le pense plus juste et plus efficace, en
dénonçant et ses pratiques et ses dirigeants.
Lorsque l’on dénonce un système, par exemple le gigantesque productivisme, le plus
important est de dénoncer ses mécanismes et les différentes responsabilités qui les produisent.
On peut critiquer des fonctions sans obligatoirement nommer des personnes, sauf encore une
fois si l’on pense que la justice et /ou l’efficacité l’exigent.
On constate souvent que, par exemple quant aux dénonciations des injustices dans le monde,
on met en avant une panoplie de critères de répartitions des richesses (planète, continents,
pays, générations, personnes…)
Des penseurs à travers le temps ont souvent dénoncé des systèmes. On retient parfois de
chacun d’eux une résistance particulière alors que leur pensée est riche et complexe, cette
résistance prend place dans l’ensemble de leur oeuvre, elle en est un aspect et d’autres
résistances existent chez ces auteurs.
Là aussi on pourrait proposer une énumération indicative de quelques penseurs, énumération
que vous pourriez modifier et compléter, par exemple : Platon contre les sophistes, Rousseau
contre les Encyclopédistes, Nietzsche contre les professeurs, Victor Hugo contre les
injustices, Voltaire contre le fanatisme religieux, Marx contre le capitalisme, Proudhon contre
la propriété, Frantz Fanon contre la colonisation, Soljenitsyne contre le goulag soviétique,
Herbert Marcuse contre l’homme unidimensionnel, Michel Foucault contre les mécanismes de
pouvoir, Hannah Arendt Raymond Aron et Claude Lefort contre le totalitarisme, Guy Debord
contre « la société du spectacle »,Gilles Deleuze et Felix Guattari pour une critique de la
psychanalyse,Jean Rostand contre la course aux armements nucléaires, Albert Camus contre
toute compromission, Simone de Beauvoir contre la domination des hommes.
Parmi les pourfendeurs de la puissance de la technoscience, du libéralisme et du
productivisme : Claude Levi Strauss, François Partant, Ivan Illich, Bernard Charbonneau,
Jacques Ellul, Cornélius Castoriadis, Hans Jonas, Gunther Anders, Lewis Mumford, Kostas
Axelos, Herbert Marcuse, André Gorz, Théodore Monod, René Dumont, Susan George,
Michela Marzano, Vandana Shiva, Serge Latouche, Edgar Morin…
c -La troisième variable est relative au qualificatif de ce que et/ou de ce qui se trouve en
face : est-ce un adversaire ou un ennemi ? Nous proposons trois réflexions.
D’abord une position parmi d’autres peut être ici la suivante :
Dans la plupart des résistances c’est contre un adversaire que l’on lutte, il s’agit d’une
personne, de personnes, d’une organisation, de mécanismes, de systèmes. On se retrouvera
aussi dans ceux et celles qui disent que tel mécanisme, tel système est un ennemi.
Aujourd’hui il y a trois grandes formes d’adversaires : les haines faites de racismes et de
xénophobies, les injustices criantes qui sont de formes de mépris de l’autre, enfin le
productivisme qui tend à ne plus avoir de limites dans sa financiarisation et sa techno science.
Par contre en ce qui concerne les guerres on déclare donc qui est l’ennemi, les nazis
assassinaient leurs victimes et étaient combattus en tant qu’ennemis. Pourtant des résistants et
d’autres insistaient sur le fait que c’était le nazisme qui était combattu en tant que système
inhumain.
On peut raisonner de même dans le terrorisme. On déclare la guerre à l’ennemi terroriste, ou
on lutte contre ce système jugé inacceptable de l’emploi de moyens de terreur. La distinction
est importante par rapport aux stratégies de lutte en particulier idéologiques, dans le second
cas on insiste beaucoup plus sur des remises en cause en amont de mécanismes considérés
comme producteurs de terrorisme.
Ensuite originale et porteuse apparait l’analyse de l’ennemi faite par les non-violents. Jacques
Sémelin dans son remarquable ouvrage « Pour sortir de la violence », (Pour sortir de la
violence, éditions ouvrières, 1983) écrit : « L’ennemi devient le dépositaire de la mort que
nous avons projetée sur lui. Nous préférons l’affronter sur celui que nous déclarons notre
ennemi. La violence est la grande illusion de l’homme : en tuant l’ennemi il croit se sauver de
la mort. » Effectivement il faudrait passer de ce « ta mort c’est ma vie » à un « ta vie c’est ma
vie », on en souvent loin en particulier puisque les armes de destruction massive, risquant de
tuer tout le monde, sont plutôt tournées vers un « ta mort c’est ma mort ».
Enfin par rapport aux ennemis nous voudrions exprimer une façon de considérer ces
situations. L’Evangile de Saint Mathieu est radical :« Vous avez appris qu’il a été dit tu
aimeras ton prochain et tu hairas ton ennemi .Eh bien moi je vous le dis : Aimez vos ennemis,
priez pour vos persécuteurs. »
Passage difficile ou impossible à comprendre et à vivre quand les évènements ont été trop
graves ou dramatiques. André Laudouze, dominicain engagé, écrivait ce passage que certains
trouveront lumineux : « Aimez vos ennemis non parce qu’ils sont vos frères mais pour qu’ils
le deviennent. Aujourd’hui, déjà, en ce monde. » On connait pourtant les grandes difficultés
de la « Commission vérité et réconciliation » qui a essayé, à partir de 1996, de faire la lumière
sur les crimes de l’apartheid et de recommander des poursuites judiciaires.
De ce point de vue, contrairement à ce que l’on pense souvent, et on est alors dans une
incompréhension de la non-violence, celle-ci n’a pas pour objectif la recherche d’une
réconciliation à tout prix, c’est avant tout un moyen de lutter pour la justice la liberté la paix,
et, ainsi que l’écrivent des auteurs non-violents, « on ne peut parler d’action non-violente
qu’en situation de conflit. ». Lorsque Martin Luther King, en août 1963, après la marche
contre les discriminations raciales, prononce son discours à Washington (« I have a dream »)
c’est le cri de la justice d’abord : « (…)Les tourbillons de la révolte ne cesseront d’ébranler
les fondements de notre nation jusqu’à ce que le jour éclatant de la justice apparaisse (…) » et
çà n’est qu’après cela que « un jour sur les collines rousses de Géorgie les fils d’anciens
esclaves et ceux d’anciens propriétaires pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.
»
B-Les types de moyens de résister
1-L’immense panoplie des moyens de résister.
Si l’on veut essayer d’être global (sans être exhaustif et heureusement puisque les alternatives
se multiplient et ne peuvent être enfermées dans aucune liste qui se voudrait complète), et si
l’on veut être critique et prospectif on peut énumérer ces moyens de résister à partir de six
grands regroupements. Dans les deux premiers regroupements nous raisonnerons sur
l’ensemble des acteurs dont les mouvements sociaux (associations, syndicats, ONG…), dans
les quatre autres regroupements nous serons plus proches des mouvements sociaux. Nous
terminerons en donnant trois exemples très différents de résistances peu connues.
a -D’abord des moyens par grands domaines pour l’ensemble des acteurs (locaux,
nationaux, internationaux) dont les mouvements sociaux :
La démocratie ? L’étendre et l’approfondir, la vivre à la base. La justice ? Désarmer le
pouvoir financier, remettre en cause le chantage à la dette, subordonner le libre-commerce néo
libéral tout-puissant à des conditions sanitaires, sociales et environnementales, relocaliser
entre autres par des circuits cours et des monnaies complémentaires, donner priorité à la
justice sociale et l’égalité réelle, créer des initiatives solidaires, L’écologie ? Réduire et
éliminer les modes de production, de consommation et de transport écologiquement non
viables , engager une véritable transition écologique. La paix ? Aller vers un véritable
désarmement et vers des alternatives de défense, construire une éducation aux droits de
l’homme, à la paix, à la résolution non-violente des conflits, à l’environnement… (sur
beaucoup de ces alternatives et d’autres voir « Le petit manuel de la transition »publié par
ATTAC,2016).
b -Ensuite voilà un tableau opérationnel de l’ensemble des acteurs dont les mouvements
sociaux
Qui sont ces acteurs ? Tous à tous les niveaux géographiques (locaux, nationaux,
internationaux). Ils vont donc de la personne en passant par l’association, le syndicat,
l’entreprise, la municipalité, la région, jusqu’à l’ONG, l’Etat, l’organisation internationale, la
firme multinationale …
Si l’on part de ce que chaque acteur « produit » dans le système mondial (à une toute petite
échelle, à une plus grande et à une puissante) on peut faire le point en trois colonnes : les
reproductions (par exemple les atteintes à l’environnement), « l’entre deux » fait de
reproductions et de ruptures (dans la protection de l’environnement), les ruptures (des remises
en cause environnementales plus ou moins radicales).
Dans chaque colonne on peut prendre les quatre grands domaines d’activités humaines :
démocratie, justice, paix, environnement. On a donc douze réalités à inscrire si l’on veut avoir
une vue globale de l’acteur dans le système productiviste. On peut aussi s’en tenir à un seul
domaine en le développant.
Ce schéma fonctionne pour tous les acteurs. On se rend vite compte du nombre et surtout de
l’ampleur des remises en cause à continuer ou à entreprendre. Chaque acteur a ainsi une sorte
de carte que l’on peut rendre plus parlante en marquant quelques dates dans chaque colonne.
c-Ensuite voici des moyens plus ou moins radicaux pour contribuer à faire face au défi
climatique : on en trouve une énumération remarquable dans un appel d’Alternatiba (villages
des alternatives contre le réchauffement climatique), appel en 2013 :
« Des alternatives existent, elles ne demandent qu’à être renforcées, développées, multipliées :
agriculture paysanne, consommation responsable, relocalisation de l’économie, partage du
travail et des richesses, conversion sociale et écologique de la production, finance éthique,
défense des biens communs(eau terre, forêt, souveraineté alimentaire ,solidarité et partage,
réparation et recyclage, réduction des déchets, transports doux et mobilité soutenable, éco
rénovation, lutte contre l’étalement urbain, lutte contre l’artificialisation des sols,
aménagement du territoire soutenable, démarches de préservation du foncier agricole, sobriété
et efficience énergétiques, défense de la biodiversité, énergies renouvelables ,plans virage
énergie climat, villes en transition, sensibilisation à l’environnement etc… » (Appel du 23
août 2013 de 90 organisations dans le cadre d’Alternatiba, « Ensemble construisons un monde
meilleur en relevant le défi climatique.»)
D’autre part n’oublions pas que la force de récupération du système productiviste mondial est
puissante. Lorsqu’une réforme ou une remise en cause peut l’intéresser financièrement, il est
capable de la détourner en tout ou partie à son profit. Les mouvements et militants de
l’économie sociale et solidaire, du commerce équitable le savent et font divers choix quant
aux moyens pour garder le cap de la remise en cause. Autre exemple lui très massif : donner
un prix à la nature pour la protéger aggrave souvent la marchandisation sans protéger, l’enjeu
est de détecter parmi l’ensemble des moyens lesquels seraient porteurs de protection et de
justice (Jean-Marc Lavieille, La marchandisation de la nature, in Hommage à un printemps
environnemental, Pulim, 2016).
d-Ensuite voici des moyens opérationnels des mouvements sociaux
Faire poids en se regroupant, de ce point de vue Alternatiba , village des alternatives contre le
réchauffement climatique, est un exemple porteur depuis 2013 de citoyens qui agissent là où
ils vivent sans attendre tout d’en haut, ils créent une coordination européenne à partir de
2014.Comment avancer dans l’organisation des mouvements sociaux ?
Continuer à mieux s’organiser au niveau international et continental à travers coordinations,
contre-sommets, forums, déclarations communes, manifestations, universités continentales ou
sous continentales, et en particulier multiplier et renforcer les « fronts communs » sur des
objectifs précis, continuer à approfondir et développer le mouvement altermondialiste.
Se confronter plus systématiquement à l’ensemble des autres acteurs, en particulier en allant
vers des statuts renforcés et nouveaux des ONG dans les organisations inter étatiques, et en
créant ou en renforçant des mécanismes de contrôle des conventions internationales.
Créer des « internationales » dans des domaines de ruptures essentielles du productivisme, par
exemple une « internationale de la lenteur » coordonnant les ONG existant dan ce domaine et
contribuant à en créer de nouvelles.
e-Enfin un rappel de moyens pouvant être importants pour les mouvements sociaux
Les moyens médiatiques sont essentiels pour des résistances, les mouvements sociaux y sont
implantés. Un exemple récent et massif remarquable est celui de l’élection de 2016 où aux
Etats-Unis les réseaux sociaux ont permis de se rassembler rapidement et où la noncoopération
de villes, d’Etats fédérés s’est exprimée à travers déclarations, manifestations,
grèves. Dans certains pays(Espagne) des municipalités, emportées par des mouvements
engagés, (voter est aussi un des moyens de résister par exemple face aux partis xénophobes)
mettent en ligne des budgets municipaux pour que des internautes en discutent.(Politis, « Les
alternatives en marche », article sur les mouvements sociaux européens réunis à Toulouse en
août 2017,n°1467)
Les moyens juridiques sont très importants dans les résistances. Les membres de l’ONG
Urgenda ont obtenu qu’un tribunal par une décision de juin 2015 ordonne au gouvernement
des Pays-Bas de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L’association Sherpa engage
des poursuites contre des firmes multinationales fondées sur la loi du 27 mars 2017 relative le
devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, loi liée à la
responsabilité sociétale des entreprises. Ce sont deux exemples parmi beaucoup d’autres.
Les moyens artistiques sont bien présents dans nombre de résistances. Musiques, chants,
pièces de théâtre, poèmes, dessins, peintures… L’humour, transformé depuis longtemps en
arme contre les dictatures, joue aussi son rôle dans des démocraties, par exemple contre des
injustices et des atteintes aux libertés. Après des attentats, des expressions écrites sont
présentes sur les lieux des drames. Quant aux concerts et aux festivals(par exemple celui des
résistances) ils sont depuis longtemps des moments privilégiés pour exprimer des refus
d’atteintes à la démocratie, à la justice, à la paix, à l’écologie, ils peuvent réunir de grandes
foules qui communient à des révoltes, des solidarités et des espoirs.
D’autre part n’oublions pas que la force de récupération du système productiviste mondial est
puissante. Lorsqu’une réforme ou une remise en cause peut l’intéresser financièrement, il est
capable de la détourner en tout ou partie à son profit. Les mouvements et militants de
l’économie sociale et solidaire, du commerce équitable le savent et font divers choix quant
aux moyens pour garder le cap de la remise en cause. Autre exemple lui très massif : donner
un prix à la nature pour la protéger aggrave souvent la marchandisation sans protéger, l’enjeu
est de détecter parmi l’ensemble des moyens lesquels seraient porteurs de protection et de
justice (Jean-Marc Lavieille, La marchandisation de la nature, in Hommage à un printemps
environnemental, Pulim, 2016).
2-Les moyens non-violents des résistances. - L’histoire de la non-violence, en partie méconnue, révèle l’efficacité de ces méthodes
d’action qui, comme le disait Jacques de Bollardière , « mobilisent par delà le mépris, la
violence et la haine. »(Voir à ce sujet la revue opérationnelle « Non-violence Actualité », et la
remarquable revue « Alternatives non-violentes », directeur F Vaillant, ainsi que les travaux,
eux aussi remarquables, de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits-
IRNC, créé par F. Marchand , JM Muller, C Mellon, J Sémelin, C Delorme.)
-Ces moyens reposent sur un cadre non-violent c’est-à-dire un respect de la dignité humaine,
une exigence de justice, une combativité positive (et non une agressivité) face au conflit. (J
Sémelin, La non-violence expliquée à mes filles, Seuil, 2000.. Cette méthode de règlement
des conflits refuse la violence d’oppression dans laquelle on impose sa loi, elle refuse la
violence de soumission dans laquelle on renonce à ce que l’on pense être essentiel. On
cherche ensemble, dans le respect des personnes et la confrontation, des solutions justes. (JM
Muller, Lexique de la non-violence, ANV,1998). Jacques Sémelin insiste sur « trois principes
majeurs : l’affirmation de l’identité du sujet résistant (…), la non coopération collective(…),
la médiatisation du conflit c’est à dire susciter la constitution de « tiers » qui appuient sa
cause. » (Jacques Sémelin, « Du combat non-violent » dans l’ouvrage « Résister. Le prix du
refus », sous la direction de Gérald Cahen, éditions Autrement, Série Morales n°15,1994)
-La non-violence n’a pas le monopole de certains des moyens qui suivent, par exemple les
grèves et les pétitions. Il peut même arriver que des forces de mort utilisent des moyens «
non-violents », ainsi le boycott des magasins juifs par le régime nazi était un détournement
absolu de ce moyen qui dans la non-violence a pour objectifs la justice et la liberté.
-Ces moyens, énumérés à titre indicatif, font partie des pratiques essentielles de l’action nonviolente.
Il s’agit , de façon non exhaustive, de la non-coopération, la désobéissance civile
(Alain Refalo, Les sources historiques de la désobéissance civile, colloque Lyon 2006),
l’obstruction non-violente, l’objection de conscience, la grève de la faim, la grève, le sit in
(s’asseoir sur la voie publique en particulier des places), le boycott, le refus de l’impôt sur les
armements, les pétitions…(JM Muller, Stratégie de l’action non-violente, Seuil,1981).
Les non-violents ont aussi des pratiques d’éducation à la paix, ainsi par exemple « Nonviolence
Actualité » et son Centre de ressources pour la gestion non-violente des relations et
des conflits, avec ses outils pédagogiques, ses jeux coopératifs, ses formations. Des
expositions comme « Ni hérisson, ni paillasson » du Centre pour l’action non-violente ont été
et sont porteuses pour des jeunes.( Voir aussi JM Muller, De la non-violence en éducation,
UNESCO et IRNC, 2002), des pratiques d’interventions civiles de paix où des volontaires,
après une formation, ont été envoyés sur des zones de conflits, par exemple au Kosovo, en
Palestine, au Guatemala (formation ICP assurée par le Mouvement pour une alternative non
violente, MAN).Les non-violents ont également pensé « La dissuasion civile : les principes et
les méthodes de la résistance non-violente dans la stratégie française. » (C Mellon, JM Muller,
J Sémelin, La dissuasion civile, éditions FEDN, 1985).
Remarques terminales
Se resituer par rapport à différentes analyses peut être nécessaire pour mieux comprendre et
mieux agir.(A).
Les derniers mots seront relatifs à quelques réflexions générales qui précèdent la liste de la
4ème et dernière partie.(B).
A–La prospective, la pédagogie de la catastrophe, l’arrivée de l’improbable et les
moyens viables
La prospective permet de se situer par rapport à une pluralité de possibles .Elle peut être
opérationnelle et dans les théories et dans les pratiques personnelles et collectives , c’est une
heureuse compagne.(1)
La pédagogie de la catastrophe n’est pas un remède miracle, elle n’est pas non plus une
illusion tous azimuts. D’une catastrophe une pédagogie est tirée … un peu, beaucoup … ou
pas du tout.(2).
Enfin terminons par une surprise, celle d’une analyse peu connue, celle de « l’arrivée de
l’improbable. »(3)
1- La prospective
L’analyse s’est voulais claire dans le choix du type de discours.
Il y a ceux et celles qui choisiront d’être sur le terrain d’un discours-vérité c’est-à-dire qui
n’admet pas du tout le doute, çà n’était pas notre choix.
Il y a ceux et celles qui choisiront le terrain de la prévision, c’est-à-dire un discours qui se
fonde sur des données passées et présentes en les projetant en avant avec telle ou telle
évolution, çà n’était pas non plus notre choix.
Enfin il y a ceux et celles, dont nous sommes, qui ont choisi une intervention fondée sur la
prospective c’est-à-dire sur un mélange de hasards, de nécessités et de volontés, dans des
proportions variables, discours qui admet donc une pluralité de possibles. Les hasards et les
nécessités nous laissent peu de prises, mais les volontés sont là. Ce qui ne veut pas dire
qu’elles aussi n’évoluent pas dans des marges de manoeuvres.
2- La pédagogie de la catastrophe
La catastrophe n’est pas vertueuse pédagogiquement en elle-même, on peut en tirer un peu,
beaucoup ou pas du tout les leçons.
Ainsi certains pensent que les leçons , celles d’une sécurité renforcée, ont été tirées des
catastrophes nucléaires de Tchernobyl (1986) et de Fukushima(2011).
D’autres au contraires, dont nous sommes, pensent que de véritables plans face à ce type de
catastrophes devraient voir le jour et qu’une sortie rapide du nucléaire est vitale sanitairement,
écologiquement et financièrement.
C’est ici ce que l’on appelle la pédagogie des catastrophes (voir l’article de l’auteur sur ce site
: « Des idées, des moyens, des volontés face aux catastrophes écologiques. »)
(Voir aussi Actes du colloque international, Les catastrophes écologiques et le droit, échecs
du droit, appels au droit, sous la direction de Jean- Marc. Lavieille, Julien Bétaille, Michel.
Prieur, éditions Bruylant, 2012.)
3- « L’arrivée de l’improbable »?
-L’improbable peut survenir
Cette idée lumineuse est, une fois de plus, celle en particulier d’Edgar Morin qui l’exprime
souvent. «(…) Le pire n’est pas sûr, l’improbable peut advenir(…) » Ce penseur prend entre
autres l’exemple du grand tournant de la Seconde guerre mondiale, la bataille de Stalingrad
qui le 2 février 1943 voit la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie.
Nous pourrions prendre aussi l’exemple de la chute du mur de Berlin du 9 novembre 1989.
L’hypothèse de la grande cause de la détente est une nouvelle équipe, celle de Gorbatchev,
arrivant au pouvoir à Moscou en mars 1985, qui veut alléger le poids de la course aux
armements ce qui permettrait de dégager des marges de manoeuvres militaires, économiques,
politiques.
La détente se met en route à travers de gigantesques changements structurels en Union
soviétique et dans les pays de l’Est , elle prépare la fin des blocs et les grandes retrouvailles
Est-Ouest.En septembre 1989 la Hongrie décide d’ouvrir sa frontière avec l’Autriche, le 10
septembre 10.000 allemands de l’Est vont en RFA.C’est en octobre 1989 que 8000 réfugiés
Est allemands, venant de Prague et de Varsovie, arrivent en Allemagne de l’Ouest à bord «
des trains de la liberté ». Le 9 novembre 1989 les autorités d’Allemagne de l’Est décident
l’ouverture de la frontière, les allemands se déplacent librement. On peut dire des résistants
non-violents des peuples des pays de l’Est « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors
ils l’ont fait. »
Le 9 novembre 1989 c’est la chute du mur de Berlin, M. Gorbatchev écrira : « L’histoire est
sortie de ses gonds », F. Mitterrand affirmera « Comme un fleuve entre dans son lit, l’Europe
est rentrée dans son histoire et sa géographie ».
-D’où l’improbable pourrait-il venir ?
-Quels caractères devrait avoir l’improbable ?
Nous pensons qu’il devrait être volontaire , même s’il n’est pas exclu qu’il parte cependant de
l’involontaire.
Pourquoi volontaire ? Prenons l’exemple de la crise du coronavirus à partir de mars 2020.Elle
a très vraisemblablement pour cause profonde le peu de place laissé par l’homme à la nature
et l’effondrement de la biodiversité qui a suivi. Ainsi à partir de logiques volontaires du
productivisme se produisent des effets involontaires : des pandémies. Il est très vraisemblable
qu’une fois la crise passée le productivisme reparte sur ses logiques à quelques exceptions
près dans tel ou tel domaine : des relocalisations de certaines productions par exemple. Mais il
ne s’agit pas de remises en cause volontaires du productivisme qui reprend son cours.
Nous pensons qu’il devrait se produire dans un lieu essentiel de la puissance du système
productiviste mais il n’est pas exclu qu’il parte d’une simple fissure du système et devienne
rapidement une fracture puis une remise en cause gigantesque.
Pourquoi un lieu de la puissance de ce système ? Parce que même si les autres domaines ont
leur place dans les remises en cause, ce sont les domaines scientifiques, techniques et
financiers qui sont déterminants.
-Une possibilité de l’improbable, laquelle ?
Peut-être de l’un des lieux les plus puissants et secrets du productivisme ? La soixantaine de
paradis fiscaux de ce système autodestructeur ?
Les sommes sont vertigineuses . Selon une étude publiée en 2012 par le groupe de pression
Tax Justice Network, entre 21.000 et 32.000 milliards de dollars, (soit 17.000 à 25.500
milliards d’euros), continueraient à être dissimulés dans les zones défiscalisées du globe.
Difficilement imaginables, ces montants représentent une somme supérieure au PIB combiné
des États-Unis et du Japon…En 2020 on trouve des estimations de l’ordre de 30 à 70 milles
milliards de dollars, sommes titanesques.
Dans l’Union européenne , environ 1000 milliards d’euros «perdus chaque année» .En France,
entre 30 à 60 milliards d’euros de manque à gagner chaque année .Dans un livre publié en
2012, Antoine Peillon chiffrait à 600 milliards le montant des avoirs français dissimulés à
l’étranger, dont environ 250 milliards détenus par des particuliers et le reste par des
entreprises.
-Sous quelle forme pourrait se dérouler cet improbable ?
S’il était volontaire on peut penser qu’il se produirait dans un ou plusieurs paradis fiscaux cela
de l’intérieur et /ou de l’extérieur par des coups portés venant à la fois d’Etats , d’ONG, de
tribunaux et de citoyen(ne)s…
S’il était involontaire on peut imaginer différents types de scénarios mais ils ne sont pas
évidents. Et par exemple on peut penser qu’une épidémie ne suffirait pas à provoquer une
telle remise en cause pensée et organisée.
-Le miracle et le réel.
Nous ne surveillons pas l’arrivée de l’improbable comme le Messie ou le Grand Remède
Miracle mais comme ce qui pourrait être une heureuse possibilité qui verrait le jour.
Mais, si besoin était, un proverbe nous rappelle aux luttes : « En attendant l’eau du ciel arrose
toujours. »
B- Encore quelques réflexions avant cette liste de moyens viables.
1-Les trois fois trois générations
-Nous avons reçu de trois générations passées ( 1850 à 1945 environ), un environnement pour
une part atteint et faisant l’objet de destructions en marche sous les logiques du productivisme
(en route en fait depuis le XVème siècle) et de l’anthropocène en route voilà près de 170 ans à
travers les explosions des énergies fossiles et de la démographie.
-Nos trois générations présentes (1945 -2030 environ),… et en voie de disparition, ont produit
un environnement pour une large part détruit et plongeant dans des apocalypses écologiques
multiformes, massives, en interactions et rapides, en particulier à travers le réchauffement
climatique et les atteintes à la diversité biologique.
-Les trois générations qui ont commencé à voir le jour et qui viennent (2030 à 2110
environ) se trouvent donc devant une question vitale : cette veille de fin des temps peutelle
encore, à travers quelles volontés, quels moyens, quelles marges de manoeuvre, se
transformer en aube d’humanité ?
Les remises en cause , si les prochaines générations futures en ont le temps, verraient le
jour
2-Nous pensons que le schéma général de développements déjà en route et de
déclenchements nouveaux des moyens pour un monde viable serait probablement le
suivant : - DES RESISTANCES ET DES PRATIQUES ALTERNATIVES DE PLUS EN PLUS
NOMBREUSES A » LA BASE », par des personnes, des associations, des mouvements,
d’autres acteurs , cela sous les pressions des catastrophes et en résistances aux logiques
productivistes humanicides et terricides, - DES DISCOURS ET DES REMISES EN CAUSE, D’IMPORTANCES TRES
VARIABLES , AUX « SOMMETS » des différents niveaux géographiques, sous les
pressions des catastrophes et de la base,
-DES FISSURES « AU COEUR » DES LOGIQUES DU PRODUCTIVISME , celles des
marchés financiers, du marché mondial, de la technoscience…sous les pressions et des
catastrophes et de la base et du sommet ,
PEUT-ETRE , AUSSI, L’ARRIVEE DE » L’IMPROBABLE » …
3-La question des questions sans réponse à ce jour
Il est très peu probable que dure longtemps une situation intermédiaire, faite d’apocalypses et
de tentatives pour en sortir.
La question des questions apparait clairement : les quelques générations futures qui
arrivent auront-elles assez de temps pour que ces moyens voient le jour ?
Les volontés ? Elles peuvent les avoir .
Les moyens ? Ils existent , il faut s’en emparer.
Les marges de manoeuvres ? Vont-elles longtemps exister ? En 2020 on ne peut pas
répondre à cette question.
Si ça n’est pas le cas l’humanité plongera dans des formes de fin des temps, des horloges d’
apocalypses auront sonné…
Si c’est le cas ce monde viable peut ouvrir une forme de nouvelle aube d’humanité…
4-Le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté
Plus que jamais la pensée d’Antonio Gramsci devrait être présente dans les actes et les espoirs
des résistances : « Il faut avoir à la fois le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la
volonté. »
Le pessimisme de l’intelligence permet d’avoir les yeux, les esprits et les coeurs ouverts
sur des logiques profondes terricides et humanicides.
L’optimisme de la volonté permet d’avoir les mains, les esprits et les coeurs à l’ouvrage
pour éviter l’irréparable.
Avec nos forces et nos faiblesses, personnelles et collectives, ne faut-il pas faire en sorte
que pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté marchent côte à côte,
s’interpellent, se complètent, s’inclinent l’un vers l’autre , deviennent des couples de
combats ?
5-Dialogue imaginaire entre des auteurs bien aimés
Tour à tour Jean Rostand , Albert Camus, Edgar Morin, Antonio Gramsci, Jacques Ellul…et
Pierre Dac …
« Il n’est pas plus insensé de s’abandonner à un espoir, celui de la survie de l’humanité, que
de le repousser au nom d’un prétendu réalisme qui n’est que le consentement défaitiste au
suicide de l’espèce. »(Jean Rostand)
« J’ai toujours pensé que l’homme qui espérait dans la condition humaine était un fou et que
celui qui désespérait des évènements était un lâche. » (Albert Camus)
« Le désespoir révèle les limites de l’espoir et l’espoir les limites du désespoir. Mais le
désespoir correspond à la face inerte de la réalité et l’espoir à l’action. Dans ce sens l’espoir
est plus vrai que le désespoir. » (Edgar Morin)
« Il faut avoir à la fois le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. »(Antonio
Gramsci)
« Lorsque n’existe aucun espoir raisonnablement acceptable l’espérance doit jouer. C’est au
moment où il n’y a plus d’espoir qu’il faut commencer à espérer. » (Jacques Ellul)
« Tant que l’espoir demeure au niveau de l’espérance il n’y a pas lieu de désespérer puisque
rien de ce qui est fini n’est jamais totalement achevé tant que tout n’est pas totalement
terminé. » (Pierre Dac).
Et maintenant il est temps de laisser parler le tableau qui suit (4ème partie )
Ce sera donc une liste possible des moyens d’un monde viable.
Elle est le produit de multiples écrits et de multiples luttes de personnes et de collectivités en
particulier d’associations et de mouvements.
Fraternellement à vous ,
Jean-Marc