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En exergue trois citations, celles d’un anthropologue, d’un sociologue, d’un juriste :
Le péril majeur pour l’humanité ne provient pas d’un régime, d’un parti, d’un groupe ou
d’une classe. Il provient de l’humanité elle-même dans son ensemble qui se révèle être sa pire
ennemie et celle du reste de la création. C’est de cela qu’il faut la convaincre si nous voulons
la sauver.
Claude Lévi-Strauss (L’Express va plus loin avec Claude Lévi-Strauss, 25-31 mars 1971.
L’humanité entière est confrontée à un ensemble entremêlé de crises qui, à elles toutes,
constituent la Grande Crise d’une humanité qui n’arrive pas à accéder à l’Humanité.
Edgar Morin(Le chemin de l’espérance, Stéphane Hessel , Edgar Morin, fayard, 2011.
Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une
progression quantitative ; accéder à l’Humanité‚ suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est
franchi, elle doit, elle-même, jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs.
René Jean Dupuy (La clôture du système international. La cité terrestre, puf,
1989
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(Cette intervention a été faite le 5 février 2018 au matin à la Faculté de droit et des sciences
économiques de Limoges. Retraité j’étais accueilli comme « professeur invité ».J’ai eu aussi
la joie d’aller cette même année partager cette réflexion à l’Université de tous les âges de
Limoges.)
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Dans cette introduction nous partirons de quatre séries de données. Constatons d’abord
que le mot humanité a plusieurs sens. Le sens choisi ici est celui de l’ensemble des êtres
humains à travers le temps. Mais existent deux autres significations, qui interviendront aussi,
d’abord un sentiment de bienveillance, on parle de traiter quelqu’un « avec humanité », enfin
les caractères communs de l’espèce humaine.
Rappelons ensuite quelques repères dans l’histoire de l’idée d’humanité. Héraclite , au
Vème siècle avant notre ère, symbolise cette prise de conscience de l’appartenance à
l’humanité et au monde, saint Augustin, au IVème siècle voit dans le Christ le médiateur entre
Dieu et l’humanité, Grotius, un des fondateurs du droit international public, en 1609 affirme
que ,dans l’intérêt général de l’humanité, la haute mer doit être libre, le philosophe Kant vers
1750 soutient que le respect repose sur l’humanité qui existe en chaque membre de l’espèce
humaine, en 1904 Jaurès écrit « l’humanité commence à peine à exister»,il vise la prise de
conscience de l’humanité par les générations présentes. Au long du XXème siècle cette entité
qu’est l’humanité prend corps au fur et à mesure des horreurs qui s’y opposent : le génocide
mis en oeuvre par les nazis fait apparaitre dans le droit la notion de crimes contre l’humanité et
en 1945 l’horreur nucléaire montre que l’homme a les moyens de faire disparaitre l’humanité,
Einstein dira « soit l’humanité détruira les armements soit les armements détruiront
l’humanité ».En 1972, à partir de la Conférence de Stockholm sur l’environnement certains
affirment que sa dégradation menace l’humanité et l’ensemble du vivant. Dans l’Accord de
Paris de 2015 sur le climat les changements climatiques sont qualifiés de « sujet de
préoccupation pour l’humanité tout entière ».
Si l’on veut maintenant resituer l’humanité dans le temps : les hominidés arrivent il y a
7millions d’années, le genre Homo a 2 millions d’années, l’homo sapiens apparait il y a
200.000 ans. Et, immensément en avant de nous, dans un milliard d’années, à travers un
terrible sursaut, le soleil grillera le système solaire dont notre vieille Terre puis, nous dit-on, il
s’éteindra complètement 2 milliards d’années plus tard. Voilà qui supposerait que, si les
générations futures étaient encore là, il faudrait pour survivre qu’elles aient pris pied en
dehors du système solaire, or la durée moyenne d’un genre est d’une trentaine de millions
d’années. Le genre Homo n’a que deux millions d’années, mais il a certainement épuisé une
large partie de ce parcours. En ce sens les prévisions les plus sombres existent, par exemple
celle d’un grand scientifique australien qui déclarait en 2010: « Le destin de l’homme est déjà
scellé, il est trop tard, dans moins de cent ans les sociétés humaines ne seront plus. » Il n’était
pas le premier à le dire, ni les derniers ceux qui lui répondent que l’espoir est toujours là,
celui, comme l’appelle Edgar Morin, d’une « métamorphose de l’humanité » cela à travers
des volontés massives de changements gigantesques.
Enfin, dernier point de cette introduction, relatif au nombre d’habitants : il a fallu 2
millions d’années pour arriver en 1800 au premier milliard d’habitants et seulement 210 ans
pour avoir une population sept fois plus élevée, sept milliards en 2011.L’explosion
démographique continue et en 2050 il y aurait en principe de l’ordre de 9 milliards( ?)
d’habitants, elle ralentirait ensuite puisqu’en 2100 il devrait y avoir (?) 10 à 11 milliards de
terriens. De façon peut-être plus parlante, chaque seconde aujourd’hui il y a 4,4 naissances,
1,8 décès, donc un accroissement de 2,6, autrement dit chaque jour un accroissement de
226.000 personnes, (soit un peu plus que Limoges -Métropole). Depuis le début de
l’humanité probablement de l’ordre de 100 milliards d’êtres humains ont vécu sur terre,
depuis 200.000 ans il y a eu environ 8000 générations.
C’est à partir de 2007 que la moitié des terriens se trouve en ville, cette urbanisation est
marquée par la mégapolisation, la bidonvillisation, les pollutions. Chaque jour 110 km2 , c’est
à dire l’équivalent de la superficie de Paris, passent de la terre à la ville.
Cette introduction terminée nous proposons tour à tour quatre séries de questions d’où
quatre parties relatives à l’humanité : quels rapports a-t-elle avec nous ? (I) Quels sont ses
éléments constitutifs ? (II) Quels sont ses droits ? (III) Que peut-on dire de ses
devenirs ? (IV) Nous devrions ainsi essayer de rechercher le sens des ensembles qui est une
façon de répondre, comme l’appelle Edgar Morin, au « défi de la complexité. »
I- Quels rapports de l’humanité avec nous, les générations présentes ?
…rapports avec les générations passées, puis les générations futures enfin avec chacun
chacune de nous.
1er point : que dire de nos rapports avec les générations passées ? Quatre réflexions au
moins peuvent nous venir au coeur et à l’esprit. D’abord si quelqu’un nous affirme « je ne
m’intéresse pas aux générations passées » on peut toujours répondre demandez-vous si les
générations passées se sont intéressées à vous ? Est-ce qu’elles ont contribué à inspirer,
à préparer, à accompagner tel ou tel aspect de vos vies ? De quelles aliénations et/ou de
quelles libérations, de quelles difficultés et /ou de quelles chances ont-elles été porteuses ?
Ensuite n’oublions pas qu’elles ont participé à l’espérance de l’humanité qui est,
aussi, celle de vies qui nous ont précédés à travers ces témoins, connus et inconnus, luttant
contre des forces de mort, contre des mécanismes terricides, assassinant la terre et
humanicides, assassinant l’humanité.
Autre élément voilà aussi ce gigantesque patrimoine culturel qu’elles nous laissent avec
l’immense bonheur de le découvrir, de le partager, et le devoir de le protéger et de le
transmettre.
Enfin les générations passées ne nous invitent-elles pas à essayer d’habiter le
temps ? Alexis de Tocqueville écrivait « Quand le passé n’éclaire plus l’avenir l’esprit
marche dans les ténèbres. » Comment arriver, noyés dans des difficultés ou des drames du
présent, dépassés par l’accumulation des problèmes et l’accélération du temps, comment
arriver à établir des ponts, des liens entre « le passé comme expérience, le présent
comme agissant et l’avenir comme horizon de responsabilité »?
2ème point : que dire de nos rapports avec les générations futures ? Est-ce que, face aux
générations futures, au moins quatre questions ne nous sont pas posées ?D’abord que
répondre à diverses formes d’indifférences par rapport aux générations futures ? Un
humoriste se demandait : « Pourquoi faudrait-il que je me préoccupe des générations futures
? Ont-elles une seule fois fait quelque chose pour moi?»Ces indifférences s’expriment à
travers des réflexions comme « Après nous le déluge ! », «Occupons-nous des vivants ! »,
« Elles devront faire face comme nous l’avons fait, c’est leur affaire. ». « Il y a ceux et celles
qui doivent s’occuper de leurs fins de mois, il y a ceux et celles qui ont le temps et le luxe
de pouvoir s’occuper de fins du monde!». Indifférences donc dans les pensées et les actes
dont nous pouvons être les témoins et/ou les acteurs… Que répondre ? Si vous ne vous
intéressez pas aux générations futures demandez-vous si l’avenir de ces générations ne
dépend pas en partie de vous ? Devons-nous et voulons-nous faire en sorte qu’elles soient
sujets de leurs propres vies et non objets des vies de générations qui n’auront pas su être aux
rendez-vous de leurs responsabilités personnelles et collectives?
Ensuite n’oublions pas que les générations futures participeront , à leurs façons, à
l’espérance de l’humanité, ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et qui
peuvent nous dire : essayez, nous vous les prêtons, d’aimer le monde avec les coeurs et les
esprits de ceux et celles qui vont arriver, et puis laissez-nous la liberté de devenir ce que nous
voudrons être. Autre question : les générations futures ne sont-elles pas menacées par
notre dictature du court terme ? La priorité du court terme est synonyme de dictature de
l’instant au détriment de l’élaboration de politiques à long terme. Il faut répondre aux
urgences et construire des politiques à long terme. Enfin les générations futures ne sontelles
pas menacées par certains effets incommensurablement longs du
productivisme ? Des mécanismes se mettent en route, avec des conséquences bien au-delà
du long terme, sur des échelles de temps gigantesques, ils ont des effets environnementaux et
sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le temps. Ainsi, par exemple,
l’irréversibilité de l’enfouissement des déchets radioactifs, les recherches sur les armes de
destruction massive. On est loin d’indiens iroquois qui, par transmission orale depuis le
XIIème et par leur Grande loi de paix de 1720, prenaient des décisions « en tenant compte du
bien-être jusqu’à la septième génération à venir. » Cette pratique rejoint une pensée de
Théodore Monod qui aimait dire «Il faut voir loin et clair ».
3èmeet dernier point de cette 1ère partie : qu’en est-il des rapports de chacun chacune de
nous avec l’humanité ? Deux questions posées : que peut m’apporter l’humanité, que puis-je
lui apporter ?
D’abord que peut m’apporter l’humanité ? Probablement au moins deux
éléments :premier élément mon humanité ne sera-t-elle pas d’autant plus vivante que la
voilà partie prenante (« un sac pour recevoir ») et donnante (« un sac pour donner ») dans la
chaine des générations ?Autrement dit ne peut-elle pas contribuer à me transformer ?
Plus nous portons en nous un projet d’humanité plus il peut nous porter à son tour. Et
lorsque, dans nos vies personnelles et/ou collectives, existent la grisaille, les brouillards, les
ombres de certains instants présents, ne pouvons-nous pas essayer, autant que faire se peut
( ?!…), de les resituer dans la perspective de l’espérance de l’humanité ? Difficile à
exprimer, mais encore beaucoup plus difficile – ou parfois impossible- à vivre, et pourtant
ce peut être une force et une chance que celles d’entrer dans cette espérance de l’humanité
qui est probablement inépuisable tant qu’il y aura des êtres humains. Deuxième élément :
la fraternité transgénérationnelle n’implique-t-elle pas une acceptation de se situer
dans le temps ? Nos remises en cause présentes peuvent être porteuses d’une fraternité dont
nous ne verrons pas les effets. L’idée de consentir à quelque chose qui nous précède et qui va
nous succéder n’est-ce pas aussi une façon d’accepter sa propre finitude ? Ensuite que puisje
apporter à l’humanité ? C’est là que se situe l’image de la « goutte d’eau dans
l’océan ». D’une part quant au contenu d’une petite action : elle ne change pas le monde
mais peut changer la vie ou une partie de la vie d’une personne, d’une famille, d’un village,
d’un quartier… D’autre part quant aux liens entre le mondial et le local : la formule
« penser globalement, agir localement » est parlante. L’enjeu est de faire évoluer ou de
changer le système productiviste à tous les niveaux géographiques. En ce sens, des
alternatives locales, par exemple à travers la vie associative, peuvent contribuer à imaginer et
à soutenir des changements plus vastes, permettre de ne pas en rester à l’art du possible, de
tenter aussi celui de l’impossible, d’ouvrir des pistes, de corriger plus vite des erreurs. Oui, la
goutte d’eau « est dans l’océan » qui contribue à nous porter mais l’océan, d’une certaine
façon, est « déjà là dans la goutte d’eau » qui contribue à le constituer. Cette humanité
comment la définir ?
Mais reposons nous une minute en partageant un petit conte :
Un empereur demande à de nombreux savants de lui écrire l’histoire de l’humanité. Au
bout de dix années ils reviennent avec dix volumes, « c’est trop long » dit
l’empereur », au bout d’un an ils reviennent avec un gros volume, « c’est trop long » dit
l’empereur, au bout d’un mois ils reviennent avec une page, « c’est trop long » dit
l’empereur. Au bout d’une heure ils donnent à l’empereur un petit bout de
papier. « Merci » dit-il après l’avoir lu.
Il était écrit : « l’homme nait, aime, est aimé, souffre, lutte et meurt. »
II- Quels éléments constitutifs de l’humanité ?
Exprimons au départ une conviction sur ce qu’elle n’est pas, puis soulignons ses éléments
vitaux et enfin ses éléments importants.
1er point Ce que n’est pas l’humanité
D’abord l’humanité n’est pas une illusion fumeuse, autrement dit une incantation
magique, une représentation impossible, une nébuleuse floue, une étoile inaccessible, un
gadget pour idéaliste, ou l’occasion d’un exercice de trémolos dans la voix .
Ensuite l’humanité n’est pas une fuite ,autrement dit un refuge à l’abri du présent, une
fuite des responsabilités, un mythe d’une communauté unanime, une forme d’appel à la bonne
conscience, un immense cortège ne distinguant plus les bourreaux et les victimes, un souci
de luxe de fins du monde loin des fins de mois, un lot de consolation distribué par les maitres
aux esclaves ou le camouflage d’un gigantesque cimetière des rêves trahis et des espoirs
déçus.
2ème point Quels sont donc les éléments vitaux constitutifs de l’humanité ?
Il y en existe au moins trois : ses générations, son unité et ses diversités, et ses rapports avec
la nature.
Premier élément vital l’humanité est constituée par l’ensemble des générations
passées, présentes et futures.
L’humanité s’incarne à travers les temps et les lieux, elle est un héritage, un temps présent,
une promesse. Elle a quelque chose d’indivisible, c’est un grand tout, un ensemble, qui va
de la première à la dernière génération, cela à travers l’histoire de l’humanité.
En même temps ce grand tout est composé d’éléments, les générations passées de loin les
plus nombreuses (93 milliards de personnes cela représente 13 disparus pour un vivant
actuel !), les générations présentes (7,5 milliards de personnes) caractérisées en particulier par
leurs responsabilités de la continuité de la famille humaine, les générations futures, en nombre
inconnu, dont on peut espérer qu’elles auront encore des marges de manoeuvres.
Second élément vital : l’unité et les diversités de l’humanité
Ne faut-il pas rechercher l’unité de l’espèce humaine ? Cette unité de l’humanité repose
certes sur une donnée, les êtres humains ont des caractères qui définissent leur appartenance
à l’espèce homo sapiens, mais cette unité va beaucoup plus loin. Elle est aussi une
construction à travers des solidarités, à travers des luttes pour faire face aux périls
communs. « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » disait Einstein. Cette unité ne doit pas
signifier une « uniformité uniformisante » aurait dénoncé Kostas Axelos. Le titre d’un
rapport de l’UNESCO exprimait clairement cette exigence: « Voix multiples, un seul
monde. »
Ne faut-il pas donc également respecter les diversités de l’espèce humaine ? Elles sont
au coeur de nos relations avec les autres. (Attention : le passage qui suit peut-être très
opérationnel dans nos vies personnelles et/ou collectives). Un acteur donné, par exemple
une personne, un peuple, un pays, une culture, une génération, ne doit pas éliminer les
différences, il faut prévenir et dénoncer ces pratiques de dominations qui débouchent souvent
sur des drames terribles. Un acteur donné ne doit pas exacerber les différences, ce regard est
lui aussi destructeur à travers la formation de replis identitaires qui au-delà d’un certain
degré peuvent se traduire par des pratiques inhumaines. Un acteur donné ne doit pas effacer
les différences, ce regard d’ « assimilation » consiste à dire que l’autre est notre égal …
parce qu’il devient comme nous. Un acteur donné devrait avoir une attitude « d’ouverture »
reposant sur le respect des différences qui correspond à « l’intégration. » On reconnaît des
similitudes et des différences, c’est le grand principe de non-discrimination. Nous sommes
égaux et différents, « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droits(…) », il faut lutter pour conquérir et protéger ces égalités et pour que ces différences
soient respectées. Ainsi les Etats parties aux deux Pactes internationaux des droits de
l’homme de 1966 s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur
territoire et relevant de leur compétence « les droits reconnus dans ces pactes, sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de religion, de langue, d’opinion politique
ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance, de
handicap, d’âge, d’orientation sexuelle ou de toute autre situation. »Ce respect des
différences se manifeste par exemple entre autres à travers les expressions de l’ensemble des
cultures. Il faut cependant ajouter que des différences ne doivent pas en appeler à
l’inhumanité, à la haine de l’autre, dans ce cas elles sont inacceptables et se posent des
questions de sanctions à adopter, et surtout des moyens à mettre en oeuvre pour prévenir, en
amont, de telles situations le plus souvent issues de désespoirs et/ou d’idéologies fondées sur
l’administration des peurs, sur la fabrication de l’image de l’ennemi.
Troisième élément vital : l’humanité a des liens avec la nature.
L’humanité se situe dans un ensemble plus vaste qu’elle. Il existe aujourd’hui trois
conceptions des rapports entre l’homme et la nature. La première conception de la nature
est dominante, c’est l’anthropocentrisme. La nature est un objet au service des êtres
humains. L’homme est tout-puissant par rapport au non-humain, il doit se comporter en
« maitre et possesseur de la nature », il exerce, par le droit de propriété, un pouvoir absolu sur
la nature qui est un objet de droit. La seconde conception de la nature est celle de l’écocentrisme.
La nature est un sujet, elle a une valeur intrinsèque, en elle-même,
indépendamment de toute utilité pour les êtres humains. L’homme fait partie d’un ensemble,
le vivant. Ayant vu le jour dans des civilisations très anciennes, en particulier amérindiennes,
cette conception recommence à se développer depuis quelques décennies, par exemple la
Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les Droits de la Terre-Mère
a adopté en 2010, à Cochabamba en Bolivie, une déclaration finale dans laquelle il est affirmé
que « la Terre-Mère doit être reconnue comme source de vie, comme un être vivant ». Une
troisième conception est celle de l’ anthropo-éco-centrisme. Cette synthèse veut dépasser
les contradictions entre les deux visions précédentes pour contribuer à une véritable protection
mondiale de l’humanité et de la nature. La nature est un donné et un construit pour les êtres
humains (anthropocentrisme) et en elle-même (éco centrisme).L’humanité n’est pas au
dessus de la nature. La nature n’est pas au dessus de l’humanité. L’humanité et la nature ont
des liens de réciprocité, de complémentarité, d’interdépendance. L’humanité fait partie de la
nature, la nature accueille l’humanité. La nature n’est pas objet ni sujet de droit, elle
est projet de droit. Cette troisième conception se veut synonyme de responsabilités et de
patrimoine commun. On retrouve ici Hans Jonas et son ouvrage « Principe responsabilité »
avec en particulier cette pensée bien connue : « Agis de façon que les effets de ton action
soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. »
3ème point Quels sont les éléments importants constitutifs de l’humanité ?
Il en existe probablement au moins trois : les interdépendances, les formes du commun, et des
concepts et principes
Premier élément important l’humanité est caractérisée par des interdépendances.
La Déclaration de Rio de 1992 affirme « La Terre, foyer de l’humanité, est un tout marqué par
l’interdépendance. »L’humanité est porteuse de nombreuses interdépendances, pour le
meilleur, pour l’entre deux, pour le pire. Parmi ces interdépendances celles entre les
générations, entre les peuples, entre différents acteurs dans le temps, entre les activités, entre
différents principes, différents droits, différents lieux, sans oublier les interdépendances entre
les êtres humains et la nature.
Un des domaines les plus importants est ici celui de l’humanité et de ses territoires.
Comment les qualifier ? Par exemple en affirmant que la Terre est notre foyer d’humanité,
que les continents sont nos « matries », que les pays sont nos patries, que les régions les villes
et les villages sont nos terroirs. Ces territoires nous aident à construire nos identités, à nous
structurer. Mais ils ne doivent pas se refermer, devenir des fractures de l’humain, des
administrations de peurs de l’autre, des fabriques de l’ennemi. Ils doivent se découvrir,
s’interpeller, se compléter, s’incliner les uns vers les autres. (Je ne suis pas conseiller
conjugal mais entre deux éléments, par exemple les membres d’un couple, on peut retrouver
ces quatre attitudes : se découvrir, s’interpeller, se compléter, s’incliner l’un vers l’autre).
Montesquieu, citoyen du monde, exprimait magnifiquement les interdépendances : « Si je
savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de
mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille mais qui ne le fût pas à ma
patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et à l’Europe
mais préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. »Ainsi les lieux de
vie, comme les générations, sont marqués par les interdépendances, n’est-ce pas un devoir
moral de les construire dans la fraternité ?
Second élément important celui du « commun ».
Voilà d’abord l’intérêt commun de l’humanité. Il a vu le jour peu à peu à travers les
générations. Il a certainement pour noms démocratie, justice, écologie et paix. Il doit être
fondé sur des finalités et des moyens démocratiques, justes, écologiques, et pacifiques. Cet
intérêt dépasse les intérêts personnels, les intérêts nationaux, dépasse d’autres intérêts,
ceux par exemple de firmes multinationales, de la techno science, et dépasse les intérêts
communs des Etats. On sait que les confrontations des divers intérêts sont et seront loin
d’être simples, l’intérêt de l’humanité a la caractéristique de tenir compte du long et très long
termes, ce qui est loin d’être le cas de bon nombre d’autres d’intérêts tournés surtout vers le
court et le moyen termes.
Voilà aussi les périls, les fragilités et les projets communs. Ne sommes-nous pas
fraternisés par les périls communs ? Etre frères c’est se rassembler contre des périls
communs. Aujourd’hui ils s’appellent débâcle écologique, armes de destruction massive,
inégalités criantes, toute-puissance de la techno science et des marchés financiers… D’autre
part ce sont aussi les douleurs de la vie qui nous relient, être à l’écoute des fragilités
communes, celles des autres et les nôtres. Vont dans ce sens des religions, des cultures, des
oeuvres d’art, qui nous disent « çà n’est pas un fardeau que tu portes, c’est ton frère. » Un
enfant sur deux est en détresse sur notre Terre : où est la fraternité des hommes ? Et puis ne
sommes-nous pas aussi fraternisés par les projets communs ? Etre frères c’est se
rassembler pour préserver le bien commun et pour construire du commun. De grands travaux
démocratiques, justes, écologiques et pacifiques doivent et peuvent voir le jour.
Et puis voilà enfin les biens communs. Quels biens communs sont à protéger ?Respecter
la biosphère comme un bien commun des êtres humains et de l’ensemble du vivant. Mais
aussi les biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples, des générations
présentes et futures, ainsi l’eau, l’air, le sol, le paysage, l’alimentation, l’habitat, la santé,
l’énergie, l’éducation, la culture, doivent faire l’objet d’un accès universel et effectif. Il s’agit
de mettre en avant des éléments qui, en dépassant le quadrillage étatique, en mettant des
limites à la marchandisation du monde, en étant pensés sur le long terme, voudraient
contribuer à préserver ce que l’humanité peut avoir d’essentiel.(L’essentiel me renvoie
parfois à ce sublime graffiti « To be or not to be –Shakespeare, to do is to be-Camus, to
be is to do-Sartre, doo be doo be doo-Frank Sinatra.)
Troisième élément important l’humanité est et doit être accompagnée de concepts et
de principes.
Deux concepts paraissent essentiels. Le premier concept doit peu à peu voir le jour dans les
vies des générations ce concept, porteur de principes (précaution, prévention…), le concept
de limites au coeur des activités humaines. « Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de
limites? » demandait Jacques Ellul. Sont vitales les pratiques de modération de ceux et celles
qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur
surconsommation, leur mode de vie, à brûler moins d’énergie pour adopter, disent les
objecteurs de croissance, des pratiques de « frugalité conviviale ». Il s’agit d’aller, au Nord et
au Sud de la planète, vers des sociétés écologiquement viables qui mettront en avant une
relocalisation des activités, une redistribution des richesses à partir de fonds internationaux
issus des taxes sur les marchés financiers et sur des activités polluantes.
Le second concept est celui des moyens proposés qui doivent être conformes aux fins que
l’on met en avant. Une pensée de Gandhi est ici lumineuse, décapante, opérationnelle : « Les
fins sont dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » Pour des fins démocratiques,
justes, écologiques et pacifiques, il faut des moyens démocratiques, justes, écologiques et
pacifiques. Des principes doivent aussi accompagner chaque ordre juridique de chaque
territoire, non seulement le principe de non-discrimination déjà évoqué mais aussi le
principe d’humanité c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vie digne répondant aux besoins
essentiels, le principe de responsabilité des divers acteurs dans la construction des
sociétés, le principe de diversité fondé sur le respect des différences, enfin le principe de
précaution qui consiste à ne mettre en oeuvre de nouveaux produits et de nouvelles
techniques que si des risques graves ou irréversibles n’existent pas .
La troisième série de questions, la troisième partie est plus juridique. Mais pour nous reposer
partageons une minute un petit conte.
Un maître demande à ses élèves « Quand est-ce que la nuit prend fin et quand est-ce que
le jour commence ? »
Des enfants répondent : « quand on reconnait un chat et un chien, un gros arbre et un
petit arbre, une vieille dame et un enfant… »
Oui, dit le maitre, mais on peut ajouter que « l’on sait que la nuit prend fin et que le
jour commence lorsque l’on reconnait en chaque visage celui d’un frère ou d’une soeur.
Alors la nuit prend fin, le jour se lève, c’est une aube d’humanité».
III – Quels sont les droits de l’humanité ?
(Si l’on veut aller beaucoup plus loin dans la réflexion juridique voir Catherine Le Bris,
L’humanité saisie par le droit international public, Paris, LGDJ,2012,voir aussi René-Jean
Dupuy, Réflexions sur le patrimoine commun de l’humanité, Droits 1985, n°1. Voir enfin
Jean-Marc Lavieille, Hubert Delzangles, Catherine Le Bris, Droit international de
l’environnement, Ellipses,4ème édition,2018, en particulier p 141 à 148).
Voici l’arrivée dramatiquement trop lente de l’humanité dans l’ensemble des droits. Les
droits de l’homme et les droits des peuples doivent s’appuyer sur ceux de l’humanité et
réciproquement. L’humanité deviendra une forme de garantie (encore faible) de la survie
de tous. Un juriste, René-Jean Dupuy, écrivait : « Passer de l’homme aux groupes familial,
régional, national, international résulte d’une progression quantitative. Accéder à l’Humanité‚
suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi, l’humanité doit, elle-même, jouir de
droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »Trois points proposés : Quelle est la
situation du droit international en vigueur, quel est le droit en gestation et que pourrait-on
imaginer par rapport à la justice ?
1er point L’humanité est entrée dans le droit international public par la porte du drame
puis la porte de la possession.
D’abord les crimes contre l’humanité. Après les crimes nazis le Tribunal militaire
international de Nuremberg a consacré dans le droit positif cette définition reprise et
développée par l’article 7 paragraphe 1 du Statut de 1998 de la Cour pénale internationale.
«On entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est
commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute
population civile, et suivent onze crimes contre l’humanité (extermination, réduction en
esclavage, déportation, la 11ème qualification est celle des « Autres actes inhumains de
caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves
à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
Voilà ensuite, toujours en droit international public, le patrimoine commun de
l’humanité (PCH) qui est consacré en droit positif. Le PCH au sens propre est celui
d’éléments qui appartiennent juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins, de la
Lune , des autres corps célestes, et du génome humain .Beaucoup d’auteurs s’arrêtent là et
n’ont pas une vue d’ensemble d’autres formes qui se rattachent au PCH. En effet le PCH au
sens large comprend aussi des éléments constitués par des espaces internationalisés qui
doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra
atmosphérique et de l’Antarctique. Vient ensuite le PCH au sens plus large, c’est la
Convention sur le Patrimoine mondial conclue dans le cadre de l’UNESCO, patrimoine
constitué par certains biens naturels (à ce jour 197) et culturels(802) ou mixtes (32), qui
restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de
l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.
Avec les crimes contre l’humanité et le PCH il faut ajouter le droit humanitaire qui repose
surtout sur les quatre conventions de Genève de 1949, par exemple celle sur la protection des
populations civiles pendant les conflits armés. L’humanité est là puisque l’on fait référence à
tout le genre humain sans discrimination.
Il faut ajouter enfin le droit international de l’environnement dans lequel les générations
présentes et futures sont souvent consacrées dans des déclarations et des conventions
internationales ou régionales.
2ème point L’arrivée des droits et des devoirs relatifs à l’humanité
En premier lieu dans quels textes trouve-t-on ces droits ? Dans des conventions mais
elles sont rares, ainsi par exemple dans la Convention de Bonn de 1979 sur la conservation
des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, un préambule affirme que « Chaque
génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures et a la
mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage
soit fait avec prudence. » Existent également quelques déclarations comme celle de
Stockholm de 1972 sur l’environnement qui en appelle à « l’homme » et à son « devoir
solennel de préserver et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et
futures »,la Déclaration de l’UNESCO de 1997 sur « les responsabilités des générations
présentes envers les générations futures », de façon globale le projet de « Déclaration
universelle des droits de l’humanité » de décembre 2015(écriture à laquelle j’ai eu la joie de
participer) et qui sera peut-être un jour modifiée et adoptée par l’Assemblée générale des
Nations Unies .
En deuxième lieu quel est le contenu des droits et des devoirs , qui sont donc en
gestation, et que l’on trouve dans cette dernière déclaration ? Le droit à la nondiscrimination
générationnelle qui exige que les activités ou mesures entreprises par les
générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction
excessive des ressources et des choix pour les générations futures. Et puis suivent quatre
autres droits : à la démocratie, à la justice, à l’environnement, à la paix. Quant
aux devoirs les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de
l’humanité. Elles sont aussi garantes des ressources écologiques et du patrimoine commun.
Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout
mettre en oeuvre pour préserver les équilibres climatiques, et élaborer un statut international
des déplacés environnementaux. Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès
scientifique et technique vers la préservation de la santé de l’espèce humaine et des autres
espèces. Les Etats et les acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme dans
leurs décisions.
Troisième et dernier point, ne faut-il pas créer un système de personnalité juridique, de
représentation et de juridiction ?
D’abord L’humanité ne devrait-elle pas avoir la personnalité juridique pour défendre
ses droits ? Le fait aussi que l’humanité et le vivant soient côte à côte dans cette défense
serait symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe.
Ensuite la représentation est une difficulté connue, on est dans le droit prospectif, dans
l’imagination juridique. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c’est-à-dire les
humains qui existent (c’est déjà difficile) et aussi ceux qui n’existent plus et ceux qui
n’existent pas encore ? Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question
de la représentation. En effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds
marins ? Les Etats ont répondu par un tour de passe passe. Humanité es-tu là ? Pas de
réponse. Il est donc logique que nous, Etats à travers l’Autorité des fonds marins, nous
décidions à la place de l’humanité irreprésentable. Lorsqu’un jour il sera question de
représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée générale des Etats de la future
Organisation mondiale de l’environnement(OME), suffise à le faire. Il sera souhaitable
qu’interviennent aussi des acteurs autres que les Etats, par exemple des ONG, des gardiens de
l’humanité…Votre imagination juridique fera le reste.
Enfin Quelles juridictions ? L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au
nom de l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale, une
juridiction spécifique sera peut-être créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME). En
attendant cela des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux
blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, en particulier sur la justice
climatique, qui participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé en Equateur en
octobre 2012 , un « tribunal pour les crimes contre la nature et contre le futur de
l’humanité », des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont
éthiques, morales. Enfin des ONG et des citoyens, par exemple aux Pays-Bas, ont fait
récemment condamner par un tribunal cet Etat qui ne respectait pas ses engagements de
réduction de gaz à effet de serre, cela au nom des générations présentes et futures.
Pour nous reposer avant la dernière partie partageons deux minutes un poème de 1953, écrit
par Lucien Jacques.
« Je crois en l’homme » :
« Je crois en l’homme, cette ordure,
je crois en l’homme, cefumier,
ce sable mouvant, cette eau morte.
Je crois en l’homme, ce tordu,
cette vessie de vanité,
je crois en l’homme, cette pommade,
ce grelot, cette plume au vent,
ce boutefeu, ce fouille-merde,
Je crois en l’homme, ce lèche-sang.
Malgré tout ce qu’il a pu faire
de mortel et d’irréparable,
je crois en lui,
pour la sûreté de sa main,
pour son goût de la liberté,
pour le jeu de sa fantaisie,
pour son vertige devant l’étoile.
Je crois en lui pour le sel de son amitié,
pour l’eau de ses yeux, pour son rire,
pour son élan et ses faiblesses.
Je crois à tout jamais en lui
pour une main qui s’est tendue,
pour un regard qui s’est offert.
Et puis surtout et avant tout
pour le simple accueil d’un berger. »
Lucien Jacques (Tombeau d’un berger, 1953, republié par les éditions Alpes de Lumière,
1999).
IVème partie Quels devenirs pour l’humanité ?
Nous retrouvons les deux citations mise en exergue , celle de Claude Lévi-Strauss « Le péril
majeur pour l’humanité ne provient pas d’un régime, d’un parti, d’un groupe ou d’une classe.
Il provient de l’humanité elle-même dans son ensemble qui se révèle être sa pire ennemie et
celle du reste de la création. C’est de cela qu’il faut la convaincre si nous voulons la
sauver »et celle d’Edgar Morin « L’humanité entière est confrontée à un ensemble entremêlé
de crises qui, à elles toutes, constituent la Grande Crise d’une humanité qui n’arrive pas à
accéder à l’Humanité. »
Pour essayer d’avoir le sens des ensembles nous suivrons cette pensée d’Antonio
Gramsci « Il faut avoir à la fois le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la
volonté.. » Ce seront le deuxième et le troisième points. Mais auparavant n’est-il pas
nécessaire de faire une synthèse sur un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur et qui
interroge l’humanité, le transhumanisme ? Ce sera le 1er point.
1er point Qu’en-est-il des devenirs de l’humanité par rapport au transhumanisme ?
Jusque vers 1950 le transhumanisme était de la science-fiction sous forme de livres et de
films. Depuis presque 70 ans c’est une puissante réalité en marche à travers des moyens et
des théories qui posent de multiples questions et demandent des réponses globales et précises.
1er élément : le transhumanisme est d’abord un ensemble gigantesque de moyens
scientifiques et techniques ayant pour fonction l’amélioration illimitée des facultés
humaines.
Cet ensemble se développe sous quatre formes.1ère forme : celle des transformations d’un
corps plus performant (courir plus vite, avoir plus de force, augmenter sa mémoire, restaurer
certaines fonctions chez des malades et des handicapés, augmenter l’espérance de vie, se faire
conserver dans le froid(la cryonie) pour réapparaitre plus tard…),2èmeforme : celle des
transformations psychiques et émotionnelles (ainsi des nanorobots dans le cerveau peuvent
stimuler diverses zones, par exemple créer, pourquoi pas, une sorte de félicité
perpétuelle),3ème forme : celle de la vie avec les robots (par exemple devenus compagnons
domestiques, assistants médicaux, partenaires sexuels),4èmeforme : celle de la robotisation de
l’humain (on crée des êtres hybrides, autrement dit des hommes-machines composés
d’organes et de gènes biologiques et non biologiques synthétiques, des cyborgs, organismes
cybernétiques de commande et d’information issus de la rencontre de multiples disciplines, et
demain peut venir aussi un téléchargement de l’esprit dans un substrat non biologique).
Ces moyens se déploient à travers ce qui est appelée « la grande convergence » de quatre
domaines dits NBIC ,les nanotechnologies avec des puces intégrées, les biotechnologies
avec des clonages, des interventions sur l’embryon, des modifications d’ADN, les
technologies de l’information et les sciences cognitives avec l’intelligence artificielle capable
de simuler l’intelligence humaine. Il y a ainsi des interconnexions entre l’infiniment petit, la
fabrication du vivant, les machines pensantes et l’étude du cerveau humain. Les
nanotechnologies manipulent les atomes, les biotechnologies s’appliquent aux gènes,
l’informatique s’appuie sur la quantité d’information transmise par un message et les sciences
cognitives s’exercent à partir des neurones biologiques. Aux intersections se trouvent ainsi la
nano-bio-médecine, la nano-bio-informatique…
2nd élément :le transhumanisme c’est aussi un ensemble de théories.
L’humanisme, en se fondant sur des textes antiques, s’était épanoui au XVIème siècle sous
la forme d’un mouvement philosophique, culturel et artistique qui mettait en avant la
primauté de l’homme et des valeurs humaines.
Au XVIIIème le siècle des Lumières avait valorisé l’action de l’être humain, sa capacité à
connaitre, à agir sur lui et sur le monde.
Mais à la fin du XIXème et au début du XXème des théories antihumanistes apparaissent ,ce
sont celles du darwinisme social qui affirme que la lutte pour la vie correspond à l’état naturel
des sociétés et celles de l’eugénisme pour lequel la perfectibilité est réduite à un projet
biologique et médical qui a pour but de sélectionner les plus forts et d’éliminer les plus
faibles, suivront en ce domaine les pratiques épouvantables des nazis.
Aldous Huxley en 1932 , dans le roman génial d’anticipation « Le meilleur des mondes »,
dénonçait radicalement la manipulation de l’homme par l’homme. A l’opposé en 1941 son
frère, Julian Huxley, biologiste, dans son ouvrage « L’homme cet être unique », se déclarait
partisan de l’eugénisme comme moyen d’amélioration de la population humaine.
Après la Seconde guerre mondiale la techno science se développe à une allure vertigineuse
et en 1957 dans un texte fondateur, « Nouvelles bouteilles pour un nouveau vin », ce
biologiste propose le mot transhumanisme qui signifie selon lui que « l’homme reste l’homme
mais se transcende par la réalisation de nouvelles possibilités de et pour sa nature. », ce
transhumanisme a pour « devoir cosmique » la « promotion du bien-être des générations à
venir pour l’avancement de notre espèce .»
A partir des années 1980-90 des philosophes, des ingénieurs liés parfois aux armées, et aussi
des start-ups, des firmes multinationales, en particulier en Californie dans la Silicon Valley,
deviennent transhumanistes. Google soutient ce mouvement et par exemple crée en 2013 une
société de biotechnologies, Calico, dont le projet est de « Tuer la mort ».
Les transhumanistes pensent que nous sommes limités par la souffrance, la maladie, le
handicap, le vieillissement, la mort , mais que la techno science peut tout changer, elle peut
repousser, de façon illimitée, ces « insuffisances» . « La grande convergence» aboutira à « la
singularité technologique » c’est-à-dire à une entité supérieure à l’homo sapiens, qui sera
omnisciente, omnipotente, omniprésente et, comme des dieux, ces hommes-machines
pourront atteindre le ciel, au sens propre d’ailleurs puisque certains pensent que des
intelligences artificielles peupleront des galaxies en se déplaçant à la vitesse de la lumière…
3ème élément : existent au moins deux séries de questions posées par le
transhumanisme, les unes relatives à son contexte, les autres à son contenu. Nous ne ferons
qu’en souligner quelques unes à titre indicatif.
Le contexte n’est pas neutre. Est-ce que ces complexes techno-scientifiques ne sont pas liés à
l’ultra libéralisme, à un homme « augmenté » adapté à des perspectives de performance, de
croissance, de compétition, de productivité illimitées ? S’en remet-on à l’économie de
marché pour décider des innovations ? S’en remet-on à l’intelligence artificielle, à son
éventuelle utilisation guerrière ? Qu’en est-il de l’usage privé de ces données et de leur
marchandisation ? Est-ce que le transhumanisme ne renforce pas les inégalités en créant un
nouveau prolétariat de pauvres non « augmentés », devenant une sous-espèce au service d’une
nouvelle oligarchie ? Enfin quels silences criants par rapport aux défis de l’humanité, ceux de
la justice, de la démocratie, de la paix, de l’environnement ! Que serait ainsi un hommemachine
dans une apocalypse écologique, serait-il plus heureux qu’un « non implanté » à son
service ?
Le contenu du transhumanisme est aussi en questions. Les transhumanistes s’intéressent-ils à
l’humanité de l’homme ou bien à son seul changement technique ? S’intéressent-ils à
l’identité profonde, aux émotions authentiques, aux vertus porteuses de changements, aux
solidarités à construire ou bien exclusivement au toujours plus ? Veulent-ils un homme conçu
comme une fin ou bien comme un moyen ? Quelle humanité voulons-nous : celle de sociétés
sans limites, sans finitudes, sociétés qui ne retiennent plus leurs puissances, celle de
générations irresponsables ou bien une humanité déterminant des limites au sein des activités
humaines ?Voulons-nous être des Icares brûlés par les soleils du pouvoir et de l’argent ou
bien des Daphnis fraternels et respectueux du vivant ?
Troisième élément : ces questions appellent des réponses à la fois globales et précises. Si
l’on met de coté le scientisme et l’anti scientisme, on se prononce alors pour une critique à
l’intérieur de la techno science en distinguant, autant que faire se peut, les recherches et les
techniques positives ou, au contraire, néfastes pour les êtres humains et le vivant. On ne peut
pas confier le vivant à « l’autonomie » de la techno science et du marché, lucidement analysée
en particulier par Jacques Ellul.
Cette critique peut se faire de façon modérée en espérant réguler le transhumanisme, par
exemple en fixant des priorités financières entre des projets, ou bien sous la forme de la mise
en oeuvre du principe de précaution. Elle peut aussi se faire de façon plus radicale par de
véritables remises en cause sous la forme de certaines interdictions de projets, interdictions
mondiales, privées et publiques, contrôlées et sanctionnées. Ainsi à ce jour le clonage
reproductif de l’être humain est en voie d’interdiction. Le critère serait donc celui de
recherches et de techniques déclarées contraires à l’intérêt commun de l’humanité, c’est-àdire
portant une atteinte grave et irréversible à la paix, la démocratie, la justice ou
l’environnement. On veut alors non seulement garder un contrôle sur la techno science mais
confier à un organe, agissant au nom de l’humanité, un droit et un devoir de remise en cause
de recherches et de techniques inhumaines.
2ème point Les devenirs de l’humanité et les trois séries de raisons d’avoir le
pessimisme de l’intelligence(nous passerons trop vite sur la 2ème et la 3ème) .
Quelle est la 1ère série de raisons ? C’est le système dans lequel on se trouve qui est
autodestructeur. Sont en route des mécanismes puissants : La recherche du profit, le culte
de la croissance, la course aux quantités, la domination sur la nature, la marchandisation du
monde, la priorité du court terme, l’accélération, la compétition. Sont en route des
interactions entre des éléments de l’environnement, par exemple entre les changements
climatiques et l’extinction des espèces …des interactions entre des domaines d’activités, par
exemple entre la dégradation de l’environnement et les guerres, des interactions entre deux
grandes crises, la crise climatique et la crise énergétique.
Le productivisme est un système condamnable et condamné, condamnable du seul fait,
par exemple, qu’il y ait en 2016 un enfant sur deux dans le monde en situation de détresse
et/ou de danger(guerres, maladies, misère…) et du seul fait, par exemple, que les marchés
financiers depuis 1971 ont pris une partie de la place des conducteurs(Etats, entreprises…?
Ce système n’est-il pas condamné du seul fait , par exemple, que plus de 4 milliards de
dollars partent chaque jour en 2016 vers les dépenses militaires mondiales, et du seul fait, par
exemple, que des activités humaines entrainent un réchauffement climatique qui menace
l’ensemble du vivant,+3°C à 6°C vers 2100 et plus de 1 mètre d’élévation du niveau des mers
?
Le productivisme nous dépasse et avance dans l’autodestruction. Il nous dépasse par sa
complexité, sa technicité, sa rapidité, trois facteurs qui font que la fatalité existe souvent,
certes à des doses variables, mais elle correspond à l’impression profonde selon laquelle les
marges de manoeuvres de bon nombre d’acteurs diminuent et des politiques alternatives aux
différents niveaux géographiques sont de plus en plus difficiles à mettre en oeuvre.
D’autre part ce système a des pentes suicidaires à travers son insécurité (par exemple liée à la
gigantesque course aux armements), ses inégalités (entre sociétés Nord-Sud, et à l’intérieur de
chaque société), sa fragilité (en particulier écologique), trois facteurs qui baignent dans une
compétition rapide et effrénée.
Quelle est la 2ème série de raisons d’avoir le pessimisme de l’intelligence ? Les acteurs
locaux, nationaux, régionaux, internationaux, qu’ils soient publics ou privés, à ce jour,
dans l’ensemble, n’ont pas les volontés globales et radicales nécessaires. De façons
variables voilà souvent, quand elles existent, beaucoup de volontés étouffées, dépassées,
essoufflées… (voir sur ce blog « Les volontés politiques »)
Quelle est la 3ème série de raisons d’avoir le pessimisme de l’intelligence ?
L’accélération tend à ruiner différents efforts … L’accélération est une machine
infernale, prenons un des exemples les plus terribles, celui de l’environnement. Quatre
mécanismes ont quelque chose de déstabilisant intellectuellement et affectivement :
1er mécanisme le système international s’accélère.2ème mécanisme Les réformes et les remises
en cause pour protéger l’environnement sont souvent lentes : complexité des rapports de force
et des négociations, retards dans les engagements, obstacles dans les applications, inertie des
systèmes économiques et techniques sans oublier la lenteur de l’évolution des
écosystèmes.3ème mécanisme L’aggravation des problèmes, des menaces et des drames fait
que l’on agit pour une part dans l’urgence : l’urgence tend à occuper une place importante. :
s’il est nécessaire de soulager des souffrances immédiates, il est aussi non moins nécessaire de
lutter contre leurs causes par des politiques à long terme ce qui demande du temps,
…or,4ème mécanisme, le système s’accélère.
La conclusion est sombre : Deux études du 7 juin 2012, cosignées chacune par une
vingtaine de chercheurs de différentes disciplines, chercheurs travaillant dans une quinzaine
d’institutions scientifiques non pas tirent la sonnette d’alarme mais font entendre un glas
apocalyptique: «La biosphère est à la veille d’un basculement abrupte et irréversible »(…)
voilà « l’imminence d’ici à quelques générations d’une transition brutale vers un état de
la biosphère inconnu depuis l’émergence d’homo sapiens c’est-à-dire 200.000 ans. »On
l’a compris : les générations à venir ne sont pas celles d’un futur plus ou moins lointain perdu
dans les incertitudes des siècles ou des millénaires à venir. Les générations visées sont les
« quelques générations » (2, 3, 4 … ) qui viennent et qui plongeraient peu à peu dans cette
forme d’inconnu.
3ème et dernier point : Les devenirs de l’humanité et les trois séries d’autres possibles
portés par l’optimisme de la volonté
L’optimisme de la volonté il en faut beaucoup, il réduit à la cuisson.
Chaque série de possibles, c’est à dire de contre-mécanismes, de contre-logiques nécessaires,
doit répondre aux mécanismes précédents.
1ère série d’autres possibles : penser et mettre en oeuvre des moyens pour une
communauté mondiale humainement viable.
Trois éléments proposés:
1er élément Résister face aux confusions entre les fins et les moyens.
Résister en remettant à leur place les moyens, cela signifie une techno-science et un
marché au service des êtres humains et non le contraire.
2ème élément : Résister en respectant les fins : des êtres humains libres, debout et
solidaires
3ème élément : Construire : Voir sur ce blog « une liste indicative de cinq grands
moyens par grand domaine pour contribuer à passer d’un système international
productiviste autodestructeur à une communauté mondiale humainement viable. » Les
moyens proposés doivent être conformes aux fins que l’on met en avant, à des fins
démocratiques des moyens démocratiques, à des fins justes des moyens justes, à des fins
écologiques des moyens écologiques, à des fins pacifiques des moyens pacifiques. Ne
donnons qu’un seul exemple dans chaque grand domaine : pour la démocratie le désarmement
du pouvoir financier, pour la justice l’instauration d’un revenu universel d’existence, pour
l’environnement la réduction et la suppression des modes de production ,de consommation et
de transports écologiquement non viables, pour la paix l’interdiction des recherches
scientifiques sur les armes de destruction massive…
2ème série d’autres possibles : faire naitre les déterminations de l’ensemble des acteurs
Face aux volontés étouffées des volontés naissances. Face aux volontés dépassées, on
retrouve des volontés résistantes. Face aux volontés essoufflées des volontés à la recherche de
nouveaux souffles (voir sur ce blog « Les volontés politiques »).
3ème série d’autres possibles : reconquérir le temps(voir sur ce blog « L’accélération du
système mondial »)
Trois éléments proposés ici :
1er élément : Les objectifs des réponses volontaristes face à l’accélération
Trouver ou retrouver des besoins fondamentaux. Il s’agit de trouver ou de retrouver le
calme, la lenteur. Fixer des limites au coeur des activités humaines. Jacques Ellul
demandait « Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne pas de limites ? ».Les principes de
précaution, de prévention, de réduction et de suppression des modes de production, de
consommation et de transport écologiquement non viables sont au coeur de ce concept, celui
de détermination de limites ,concept décolonisateur de la pensée productiviste
2nd élément : Prendre en compte des théories et des pratiques de décroissance, de société
post-croissance :
Est vital le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des
gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à
brûler moins d’énergie pour adopter, disent les objecteurs de croissance, des pratiques « de
frugalité conviviale ». Il s’agit d’aller, au Nord et au Sud de la planète, vers des sociétés
écologiquement viables qui mettront en avant une relocalisation des activités, une
redistribution des richesses à partir de fonds internationaux issus des taxes sur les marchés
financiers et les activités polluantes.
Dans cette perspective une vie simple commence aussi sans doute par un ralentissement du
rythme frénétique de nos vies. « Sois lent d’esprit » écrivait Montaigne, la lenteur aide à
ouvrir le chemin de la sagesse. Jacques Robin écrivait dans « Changer d’ère » : « Nous avons
à enrichir le temps libéré pour que celui-ci ne soit ni temps vide ni temps marchand, mais
créativité personnelle, convivialité sociale et curiosité toujours en route ».
Arriver à faire dialoguer passé, présent, avenir. L’individu se trouve projeté dans l’ivresse
d’une course où, pour vivre avec son temps, il doit plus ou moins « abandonner la maîtrise de
sa vie à la dictature de l’urgence, à l’instrumentalisation de l’instant. » La question qui se
pose, formulée par Jean Chesneaux dans « Habiter le temps », est donc la suivante : «
Comment renouer un dialogue entre le passé comme expérience, le présent comme agissant et
l’avenir comme horizon de responsabilité ? ». Le temps citoyen(ne) doit affirmer sa
capacité autonome face au temps de l’Etat, face au temps du marché, face au temps de la
techno science. Mais à travers quels moyens ?
3ème élément : Pour des moyens à penser et à mettre en oeuvre face à l’accélération
Des mouvements de ralentissements de la vie quotidienne :Il s’agit de créer des sortes de
lieux de décélération dans différents domaines : villes, alimentation,
éducation…handicapés…
Des moyens de réintégrer le temps :
Réintégrer le temps, dans nos pratiques quotidiennes, dans notre culture, dans notre art de
vivre, pourrait être mis en oeuvre à travers les moyens suivants proposés à titre indicatif et qui
sont parfois partiellement en route :
Une prise en compte des « droits du temps humain », évoqués par Jean Chesneaux dans
son ouvrage déjà cité « Habiter le temps », par exemple dans une « charte mondiale » disait-il,
donc juridiquement non contraignante, incitative, puis un jour, pourrait-on ajouter, dans une
convention internationale. Des déplacements repensés dans l’urbanisation à tous les
niveaux géographiques. Une désacralisation de la vitesse, en particulier dans l’éducation de
la maternelle à l’université, et donc une désacralisation de la compétition.
A titre de « travaux pratiques » à l’échelle internationale nous proposons la création
d’une Fédération mondiale d’ONG agissant pour le ralentissement du système
international productiviste, une sorte d’internationale de la lenteur.
Remarques terminales
Voilà tour à tour une pensée d’un grand humaniste, une question qui demeure, une invitation à
l’essentiel.
1-Une pensée d’un grand humaniste.
Jean Rostand, biologiste, ardent défenseur du désarmement, avait la vision suivante par
rapport à cette interrogation sur les devenirs de l’humanité, il écrivait « Il n’est pas plus
insensé de s’abandonner à un espoir, celui de la survie de l’humanité, que de le
repousser au nom d’un prétendu réalisme qui n’est qu’un consentement défaitiste au
suicide de l’espèce. »
2-Une question qui demeure.
Pour résister à l’intolérable et pour construire un monde démocratique, juste, écologique,
pacifique, le souffle de ceux et celles qui nous ont précédés et celui de ceux et celles qui vont
nous suivre peuvent contribuer à nous porter, mais c’est notre souffle, celui des vivants que
l’on attend. Et c’est notre souffle qui nous attend.
Les réformes et les remises en cause pour démonter la machine infernale de ce système
terricide et humanicide doivent être tellement titanesques qu’il n’est pas sûr que les
prochaines générations aient beaucoup de temps devant elles pour éviter, si c’est
encore possible, de plus en plus d’irréversibilités.
Cette veille de fin des temps peut-elle ( à travers quels moyens et quelles volontés ?)
encore se transformer en aube d’humanité ?
3–Une invitation à l’essentiel.
Enfin ne l’oublions pas : s’il y a le sens de l’abime (pessimisme de l’intelligence), s’il y a le
souffle d’une espérance possible(optimisme de la volonté), n’existe-t-il pas, aussi, tout
simplement une invitation à l’essentiel, par exemple celle exprimée par un peuple au coeur
d’une catastrophe écologique, à travers cette chanson du peuple Inuit : « Et pourtant il y a
une chose qui est grande, c’est dans la cabane, sur le bord du chemin, de voir venir le
jour, le grand jour et la lumière qui emplit le monde. »